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DesolationRow
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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par DesolationRow Mer 18 Mar 2015 - 12:07
Parménide a écrit:
Tonio Kröger a écrit:Effectivement, c'est plus un texte notionnel et définitionnel que réellement "problématique".

Mais si le texte a été choisi c'est qu'il est nécessairement quelque part problématique, enfin espérons...

Pour l'instant, il me parait difficile d'y voir autre chose comme problème que le suivant : quelles sont les conditions d'accès au bonheur?

Et comme thèse je mets en introduction :

Selon Descartes, chaque homme est susceptible d'accéder au bonheur, pour peu qu'une certaine méthode soit respectée. Pour ce faire, il conviendra de faire la distinction (héritée de la philosophie stoïcienne) entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, en vue d'identifier ce qu'est exactement vivre de façon heureuse, ou encore, "en béatitude". Une fois que la vertu est identifiée comme dépendant de nous, il suffit de l'exercer en vue d'actions rationnelles pour connaitre le bonheur, dans la mesure où ce dernier, au sens fort du terme, ne saurait dépendre de circonstances extérieures.

Quelle différence fais-tu entre la philosophie stoïcienne et la conception de Descartes ?
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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par Leclochard Mer 18 Mar 2015 - 12:11
je n'enseigne pas la philosophie. J'ai essayé modestement de reconstituer le raisonnement de Descartes dans les deux premiers paragraphes. Le dernier paragraphe est compliqué à relier à ce qui précède. Il me semble élargir sa pensée d'abord puis il aboutit à une "conclusion fermée", je trouve, dans le sens où le bonheur pourrait dépendre uniquement de notre usage de la raison.

Sénèque dit que -citation latine-
Descartes veut corriger/préciser cette pensée en introduisant une nuance : bonheur/béatitude.
1- le bonheur dépend de choses qui sont hors de notre volonté =) d'où la distinction heureux/sage pour ceux qui ont obtenu sans effort ce qui les satisfait.
2- la béatitude correspond à un contentement - une satisfaction intérieure (digression: ceux qui sont favorisés par les circonstances ne l'éprouvent pas)
d'où "être heureux" au sens commun, c'est avoir l'esprit satisfait. être comblé.

Qu'est-ce qui "rend heureux" ?
Deux sortes d'objets = 1- ceux qui dépendent de nous (exemples).
                                 2- ceux qui ne dépendent pas de nous (exemples).
Remarque ("car"): Descartes observe qu'on peut être heureux quelle que soit sa situation même s'il est plus aisé de l'être quand on n'a pas lieu de sa plaindre (santé, richesse...).

J'ai lu le reste de la lettre. J'ai trouvé un passage particulièrement ardu. Est-ce pour cela que l'extrait a été tronqué ?

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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par Leclochard Mer 18 Mar 2015 - 12:16
Parménide a écrit:
Tonio Kröger a écrit:Effectivement, c'est plus un texte notionnel et définitionnel que réellement "problématique".

Mais si le texte a été choisi c'est qu'il est nécessairement quelque part problématique, enfin espérons...

Pour l'instant, il me parait difficile d'y voir autre chose comme problème que le suivant : quelles sont les conditions d'accès au bonheur?

Et comme thèse je mets en introduction :

Selon Descartes, chaque homme est susceptible d'accéder au bonheur, pour peu qu'une certaine méthode soit respectée. Pour ce faire, il conviendra de faire la distinction (héritée de la philosophie stoïcienne) entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, en vue d'identifier ce qu'est exactement vivre de façon heureuse, ou encore, "en béatitude". Une fois que la vertu est identifiée comme dépendant de nous, il suffit de l'exercer en vue d'actions rationnelles pour connaitre le bonheur, dans la mesure où ce dernier, au sens fort du terme, ne saurait dépendre de circonstances extérieures.

La formule finale me semble contestable ("le bonheur (..) au sens fort du terme ne saurait dépendre de circonstances extérieures").

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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 12:23
C'est la fin du texte qui est bizarre, vraiment : cette histoire de témoignage de la conscience ... :shock:  

DesolationRow a écrit:
Parménide a écrit:
Tonio Kröger a écrit:Effectivement, c'est plus un texte notionnel et définitionnel que réellement "problématique".

Mais si le texte a été choisi c'est qu'il est nécessairement quelque part problématique, enfin espérons...

Pour l'instant, il me parait difficile d'y voir autre chose comme problème que le suivant : quelles sont les conditions d'accès au bonheur?

Et comme thèse je mets en introduction :

Selon Descartes, chaque homme est susceptible d'accéder au bonheur, pour peu qu'une certaine méthode soit respectée. Pour ce faire, il conviendra de faire la distinction (héritée de la philosophie stoïcienne) entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, en vue d'identifier ce qu'est exactement vivre de façon heureuse, ou encore, "en béatitude". Une fois que la vertu est identifiée comme dépendant de nous, il suffit de l'exercer en vue d'actions rationnelles pour connaitre le bonheur, dans la mesure où ce dernier, au sens fort du terme, ne saurait dépendre de circonstances extérieures.

Quelle différence fais-tu entre la philosophie stoïcienne et la conception de Descartes ?

Justement, je suis en train d'en parler là, en rédigeant :

Les deux conceptions sont très proches : les deux voient l'essence du bonheur dans l'intériorité et la vertu. Mais Descartes semble se séparer du stoïcisme en ce que les choses ne dépendant pas de nous peuvent pour lui constituer comme un surcroit de bonheur. Mais sans jamais en constituer l'essence. Et c'est la raison pour laquelle, je crois, on a considéré que Descartes tempérait la rigueur, à ses yeux excessive, du stoïcisme, par une dose d'épicurisme.

D'ailleurs la morale de Descartes a déjà été présentée comme une synthèse de stoïcisme et d'épicurisme.

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"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)

"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)

"Il avait dit cela d'un air fatigué et royal", Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort" (1996)

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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par User17706 Mer 18 Mar 2015 - 12:55
Coucou Leclochard,

Ton exercice est intéressant, et d'autant plus intéressant qu'il permet aussi de regarder la différence des « réflexes professionnels » (puisque tu enseignes les lettres, si je ne m'abuse). Si ça ne te gêne pas, je profite de l'occasion pour souligner les points sur lesquels toi et moi ne faisons pas la même chose.
Leclochard a écrit:Le dernier paragraphe est compliqué à relier à ce qui précède. Il me semble élargir sa pensée d'abord puis il aboutit à une "conclusion fermée", je trouve, dans le sens où le bonheur pourrait dépendre uniquement de notre usage de la raison.
« Usage de la raison » semblera probablement au prof de philo ordinaire une façon un peu sèche (trop sèche, et pour cela erronée s'agissant de Descartes) de traduire « vertu » (cf. aussi la « résolution »).

En fait Descartes dit exactement que la vertu suffit à rendre content. Le concept de vertu étant déterminé, la relation de condition suffisante étant une relation très précise, et Descartes ayant fait dans ce texte une distinction entre « heur » et « contentement », on voit bien à quel point il est délicat de reformuler sa pensée dans d'autres termes : quand tu dis « le bonheur pourrait dépendre uniquement de notre usage de la raison », on perd de la précision plutôt qu'on n'en gagne, en fait (d'autant que « pourrait » est ambigu).

On rencontre parfois, voire souvent, ce genre de situation, où en fait il n'y a pas vraiment, pour une thèse donnée, de paraphrase possible qui soit à la fois brève et correcte.

Leclochard a écrit: Sénèque dit que -citation latine-
Descartes veut corriger/préciser cette pensée en introduisant une nuance : bonheur/béatitude.
1- le bonheur dépend de choses qui sont hors de notre volonté =) d'où la distinction heureux/sage pour ceux qui ont obtenu sans effort ce qui les satisfait.
2- la béatitude correspond à un contentement - une satisfaction intérieure (digression: ceux qui sont favorisés par les circonstances [, souvent, ─ ajout de PY] ne l'éprouvent pas)
d'où "être heureux" au sens commun, c'est avoir l'esprit satisfait. être comblé.
Alors ce n'est pas digressif, c'est un élément de démonstration : l'expérience montre qu'on peut avoir de l'heur sans béatitude, et de la béatitude sans heur ; ergo ce sont bien deux choses différentes (ce qui était le propos, initialement motivé par la question de savoir comment traduire au mieux vivere beate).

Pour les autres mots que j'ai soulignés : ce que tu nommes « nuance » c'est ce que le prof de philo nommera directement une distinction conceptuelle (en plus ce paragraphe tend à montrer qu'on a bien affaire à deux choses différentes puisqu'on peut apparemment avoir l'une sans l'autre) ; et « d'où » dans tes notes traduit une relation qui est plus indirecte et plus complexe dans le texte de Descartes.

L'emploi du terme « comblé » à la fin est d'autant plus juste qu'il résonne impeccablement avec l'image du remplissement des vaisseaux. Peut-être que je réserverais ce terme pour la suite, du coup, si je devais expliquer le texte en forme.
Leclochard a écrit:Qu'est-ce qui "rend heureux" ?
On peut remarquer que cette deuxième question est motivée, exactement comme la première, par la citation initiale de Sénèque.
Leclochard a écrit:Deux sortes d'objets = 1- ceux qui dépendent de nous (exemples).
                               2- ceux qui ne dépendent pas de nous (exemples).
Remarque ("car"): Descartes observe qu'on peut être heureux quelle que soit sa situation même s'il est plus aisé de l'être quand on n'a pas lieu de sa plaindre (santé, richesse...).
C'est une vraie question de savoir si c'est une question de plus ou moins grande facilité (« plus aisé »). Remarquons que Descartes dit ici autre chose, il dit que le contentement de celui qui jouit des faveurs de la fortune (de l'« heur » donc) est « plus parfait » que le contentement celui qui n'en jouit pas (en supposant qu'ils ont même vertu, la précision est capitale). C'est intéressant conceptuellement, vu que « heur » et « contentement » étaient simplement distingués précédemment : maintenant, il s'agit d'affirmer une relation entre eux. L'essentiel à commenter étant l'analogie des deux vaisseaux, qui a une vraie fonction argumentative ; dans cet alinéa, tout ou presque se joue sur l'explication de cette analogie, que nous n'avons qu'effleurée dans les pages précédentes.
Leclochard a écrit:J'ai lu le reste de la lettre. J'ai trouvé un passage particulièrement ardu. Est-ce pour cela que l'extrait a été tronqué ?
Je serais curieux de savoir quel passage tu as trouvé ardu. (Je l'ai déjà dit, mais à mon avis, la coupure du milieu n'est pas dramatique ; en revanche la coupure de la fin change quelque chose au sens ─ non, d'ailleurs, que ce soit grave s'agissant d'un entraînement à l'explication de texte.)
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par User17706 Mer 18 Mar 2015 - 13:41
Parménide a écrit:C'est la fin du texte qui est bizarre, vraiment : cette histoire de témoignage de la conscience ... :shock:
Ça a été bien expliqué par Levincent p. 1 du fil. On y est ensuite revenu assez longuement ; je ne vois pas ce qu'il reste de bizarre.
Leclochard a écrit:
Parménide a écrit: [...] Une fois que la vertu est identifiée comme dépendant de nous, il suffit de l'exercer en vue d'actions rationnelles pour connaitre le bonheur, dans la mesure où ce dernier, au sens fort du terme, ne saurait dépendre de circonstances extérieures.
La formule finale me semble contestable ("le bonheur (..) au sens fort du terme ne saurait dépendre de circonstances extérieures").
+1. Sous cette forme, c'est une thèse stoïcienne, pas cartésienne.
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par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 13:52
PauvreYorick a écrit:
Leclochard a écrit:
Parménide a écrit: [...] Une fois que la vertu est identifiée comme dépendant de nous, il suffit de l'exercer en vue d'actions rationnelles pour connaitre le bonheur, dans la mesure où ce dernier, au sens fort du terme, ne saurait dépendre de circonstances extérieures.
La formule finale me semble contestable ("le bonheur (..) au sens fort du terme ne saurait dépendre de circonstances extérieures").
+1. Sous cette forme, c'est une thèse stoïcienne, pas cartésienne.

Mais Descartes rejoint pour l'essentiel le stoïcisme, en ce que le bonheur réellement conçu ne dépend pas de l'extérieur. La seule nuance qu'apporte Descartes, à mes yeux, c'est que certains éléments liés à la fortune ne sont pas négligeables dans l'augmentation de la satisfaction qu'on éprouve. Mais le fait que ce ne soit pas négligeable ne veut pas dire pour autant que la conception (stoïcienne) du bonheur doit être changée, et qu'on doit introduire dans sa définition des éléments inessentiels.

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par User17706 Mer 18 Mar 2015 - 13:58
1. Est-ce qu'un Stoïcien dirait que le bonheur de celui que la fortune favorise d'une abondance de biens extérieurs est « plus parfait », à vertu égale, que celui qui ne jouit pas de cette faveur ?

2. Compte tenu de la réponse à la question n°1, revient-il au même de dire que « la vertu suffit au contentement » et de dire que le bonheur « ne saurait dépendre » de ces mêmes faveurs de la fortune ?

(Ou alors il faut expliciter ce que veut dire « ne saurait dépendre » : si ça veut seulement dire que même sans ces biens extérieurs il est possible d'être content de sa vie, autrement dit que les biens extérieurs ne sont pas une condition nécessaire du bonheur, alors OK, Descartes dit bien cela. Les Stoïciens, eux, disent en outre que c'est complètement indifférent, autrement dit que c'est toujours sans incidence aucune sur la question de savoir si l'on est heureux ou pas ─ autrement dit, que les « biens extérieurs » ne sont en réalité pas du tout des biens ; c'est différent de ce qu'explique Descartes dans ce texte, et dans la mesure où il se démarque d'une position il est vrai proche de la sienne, l'explication doit en rendre compte.)
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par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 14:07
PauvreYorick a écrit:

1. Est-ce qu'un Stoïcien dirait que le bonheur de celui que la fortune favorise d'une abondance de biens extérieurs est « plus parfait », à vertu égale, que celui qui ne jouit pas de cette faveur ?

Tu disais hier je crois que c'était une question complexe et qu'elle n'était de toute façon pas au cœur du texte. Non?

Il me semble qu'un Stoïcien devrait répondre non. Justement à cause de la théorie des "indfférents". Le problème c'est que ça va à l'encontre d'un certain bon sens. C'est ce que Descartes pointe.


PauvreYorick a écrit:
2. Compte tenu de la réponse à la question n°1, revient-il au même de dire que « la vertu suffit au contentement » et de dire que le bonheur « ne saurait dépendre » de ces mêmes faveurs de la fortune ?

Oui, ça revient au même, je crois.

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par User17706 Mer 18 Mar 2015 - 14:17
Parménide a écrit:
PauvreYorick a écrit: 1. Est-ce qu'un Stoïcien dirait que le bonheur de celui que la fortune favorise d'une abondance de biens extérieurs est « plus parfait », à vertu égale, que celui qui ne jouit pas de cette faveur ?
Tu disais hier je crois que c'était une question complexe et qu'elle n'était de toute façon pas au cœur du texte. Non?
Ça, non, ce n'est pas une question complexe, c'est la théorie standard. Cette théorie standard pose ultérieurement des difficultés au sein du Stoïcisme, dont on n'a pas à s'occuper outre mesure ici puisqu'ici on explique Descartes (toutefois, on peut, si on se sent armé pour le faire, pointer qu'effectivement Descartes retrouve le problème stoïcien du statut des fameux « indifférents », why not).
Parménide a écrit: Il me semble qu'un Stoïcien devrait répondre non. Justement à cause de la théorie des "indfférents".
En effet. Le Stoïcien mainstream répond « non » à cette question. Descartes, lui, prend le temps de souligner qu'il s'écarte du Stoïcisme à ce sujet, et il prend le temps de le souligner dans le texte qui est à commenter. Je suggère donc (assez naturellement somme toute) d'en tenir compte.
Parménide a écrit:
PauvreYorick a écrit:
2. Compte tenu de la réponse à la question n°1, revient-il au même de dire que « la vertu suffit au contentement » et de dire que le bonheur « ne saurait dépendre » de ces mêmes faveurs de la fortune ?
Oui, ça revient au même, je crois.
Voir la parenthèse que j'ai entretemps ajoutée à mon post précédent.
Leclochard
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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par Leclochard Mer 18 Mar 2015 - 15:01
PauvreYorick a écrit:Coucou Leclochard,

Ton exercice est intéressant, et d'autant plus intéressant qu'il permet aussi de regarder la différence des « réflexes professionnels » (puisque tu enseignes les lettres, si je ne m'abuse). Si ça ne te gêne pas, je profite de l'occasion pour souligner les points sur lesquels toi et moi ne faisons pas la même chose.
Leclochard a écrit:Le dernier paragraphe est compliqué à relier à ce qui précède. Il me semble élargir sa pensée d'abord puis il aboutit à une "conclusion fermée", je trouve, dans le sens où le bonheur pourrait dépendre uniquement de notre usage de la raison.
« Usage de la raison » semblera probablement au prof de philo ordinaire une façon un peu sèche (trop sèche, et pour cela erronée s'agissant de Descartes) de traduire « vertu » (cf. aussi la « résolution »).

En fait Descartes dit exactement que la vertu suffit à rendre content. Le concept de vertu étant déterminé, la relation de condition suffisante étant une relation très précise, et Descartes ayant fait dans ce texte une distinction entre « heur » et « contentement », on voit bien à quel point il est délicat de reformuler sa pensée dans d'autres termes : quand tu dis « le bonheur pourrait dépendre uniquement de notre usage de la raison », on perd de la précision plutôt qu'on n'en gagne, en fait (d'autant que « pourrait » est ambigu).

On rencontre parfois, voire souvent, ce genre de situation, où en fait il n'y a pas vraiment, pour une thèse donnée, de paraphrase possible qui soit à la fois brève et correcte.

Leclochard a écrit: Sénèque dit que -citation latine-
Descartes veut corriger/préciser cette pensée en introduisant une nuance : bonheur/béatitude.
1- le bonheur dépend de choses qui sont hors de notre volonté =) d'où la distinction heureux/sage pour ceux qui ont obtenu sans effort ce qui les satisfait.
2- la béatitude correspond à un contentement - une satisfaction intérieure (digression: ceux qui sont favorisés par les circonstances [, souvent, ─ ajout de PY] ne l'éprouvent pas)
d'où "être heureux" au sens commun, c'est avoir l'esprit satisfait. être comblé.
Alors ce n'est pas digressif, c'est un élément de démonstration : l'expérience montre qu'on peut avoir de l'heur sans béatitude, et de la béatitude sans heur ; ergo ce sont bien deux choses différentes (ce qui était le propos, initialement motivé par la question de savoir comment traduire au mieux vivere beate).

Pour les autres mots que j'ai soulignés : ce que tu nommes « nuance » c'est ce que le prof de philo nommera directement une distinction conceptuelle (en plus ce paragraphe tend à montrer qu'on a bien affaire à deux choses différentes puisqu'on peut apparemment avoir l'une sans l'autre) ; et « d'où » dans tes notes traduit une relation qui est plus indirecte et plus complexe dans le texte de Descartes.

L'emploi du terme « comblé » à la fin est d'autant plus juste qu'il résonne impeccablement avec l'image du remplissement des vaisseaux. Peut-être que je réserverais ce terme pour la suite, du coup, si je devais expliquer le texte en forme.
Leclochard a écrit:Qu'est-ce qui "rend heureux" ?
On peut remarquer que cette deuxième question est motivée, exactement comme la première, par la citation initiale de Sénèque.
Leclochard a écrit:Deux sortes d'objets = 1- ceux qui dépendent de nous (exemples).
                               2- ceux qui ne dépendent pas de nous (exemples).
Remarque ("car"): Descartes observe qu'on peut être heureux quelle que soit sa situation même s'il est plus aisé de l'être quand on n'a pas lieu de sa plaindre (santé, richesse...).
C'est une vraie question de savoir si c'est une question de plus ou moins grande facilité (« plus aisé »). Remarquons que Descartes dit ici autre chose, il dit que le contentement de celui qui jouit des faveurs de la fortune (de l'« heur » donc) est « plus parfait » que le contentement celui qui n'en jouit pas (en supposant qu'ils ont même vertu, la précision est capitale). C'est intéressant conceptuellement, vu que « heur » et « contentement » étaient simplement distingués précédemment : maintenant, il s'agit d'affirmer une relation entre eux. L'essentiel à commenter étant l'analogie des deux vaisseaux, qui a une vraie fonction argumentative ; dans cet alinéa, tout ou presque se joue sur l'explication de cette analogie, que nous n'avons qu'effleurée dans les pages précédentes.
Leclochard a écrit:J'ai lu le reste de la lettre. J'ai trouvé un passage particulièrement ardu. Est-ce pour cela que l'extrait a été tronqué ?
Je serais curieux de savoir quel passage tu as trouvé ardu. (Je l'ai déjà dit, mais à mon avis, la coupure du milieu n'est pas dramatique ; en revanche la coupure de la fin change quelque chose au sens ─ non, d'ailleurs, que ce soit grave s'agissant d'un entraînement à l'explication de texte.)

Merci d'avoir pris le temps de commenter mon message. Oui, j'enseigne le français.
J'ai bien conscience d'avoir modifié et simplifié sa dernière idée en parlant de "raison" à la place de "vertu" (surtout en relisant la lettre en entier) ou que je me suis montré expéditif en employant le terme "digression". J'essaye de rester honnête et lucide. C'est vrai que ce que je nomme "nuance" est une vraie distinction. C'est grâce à ce cadre qu'il réussit à proposer son exemple ensuite.
C'est en lisant tes remarques qu'on prend conscience qu'il y a une grande exigence de compréhension et de fidélité à la fois quand on explique. C'est un très bon exercice intellectuel d'essayer de comprendre l'autre et de déployer sa pensée sans le trahir. La connaissance de Sénèque sans être indispensable doit être utile (sans être forcément indispensable) car Descartes emploie l'expression "au commencement". Il s'appuie sur lui pour déployer sa pensée et quand on lit la lettre jusqu'au bout, on voit bien qu'il veut se démarquer de lui.
J'ai trop négligé la comparaison avec les navires, j'en suis conscient. J'y vois une opposition entre la taille qui renvoie à la condition (gros bateau = bonne situation ; petit bateau = mauvaise situation) et la réalité existentielle commune (ce sont tous les deux des bateaux pleins). Il y a un jeu d'opposition entre l'extérieur et l'intérieur. Je comprends que malgré des différences apparentes, le degré de contentement peut être le même entre des hommes de conditions apparentes différentes. cela veut-il dire aussi que ce contentement ne voit pas dans des signes extérieurs (remarque je me demande si un bateau plus chargé qu'un autre ne s'enfonce pas plus ?  Razz ) ?     
Le passage que je n'ai pas du tout compris, c'est celui-ci:
"c’est la fermeté de cette résolution, que je crois devoir être prise pour la vertu, bien que je ne sache point que personne l’ait jamais ainsi expliquée ; mais on l’a divisée en plusieurs espèces, auxquelles on a donné divers noms, à cause des divers objets auxquels elle s’étend."
Je trouve qu'un exemple aurait été le bienvenu ! Razz

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par User17706 Mer 18 Mar 2015 - 15:38
Sur la comparaison des vaisseaux :
Leclochard a écrit:J'y vois une opposition entre la taille qui renvoie à la condition (gros bateau = bonne situation ; petit bateau = mauvaise situation) et la réalité existentielle commune (ce sont tous les deux des bateaux pleins). Il y a un jeu d'opposition entre l'extérieur et l'intérieur. Je comprends que malgré des différences apparentes, le degré de contentement peut être le même entre des hommes de conditions apparentes différentes. cela veut-il dire aussi que ce contentement ne voit pas dans des signes extérieurs (remarque je me demande si un bateau plus chargé qu'un autre ne s'enfonce pas plus ?  Razz ) ? 
Vaisseaux = récipients (tout simplement) plutôt que navires. (Vas.) Ça bloque le pun sur le bateau chargé qui s'enfonce Wink

Sinon, oui, nous y voyons la même chose : même si les vaisseaux sont de capacité différentes, il peut y avoir remplissement (plénitude, état « comblé ») pour l'un comme pour l'autre ; ce ne sont pas les « tonneaux percés » du Gorgias. (Eh oui, y'a tout dans le Gorgias.)

Le résultat, c'est que cela affecte le sens auquel on parle de contentement « parfait » / « entier » : on peut être entièrement content même en jouissant de moins de biens qu'un autre, aussi parce qu'on sait de quoi, comme on dit, « se contenter ». Cette image fournit la clef de l'interprétation du passage suivant : « prenant le contentement d'un chacun pour la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison » ; et elle permet de supposer que les vaisseaux figurent les « désirs réglés selon la raison », permettant aussi de donner une représentation imagée de l'insatisfaction. L'insatisfait, c'est celui qui se fait ou se figure son vaisseau plus grand qu'il ne peut être (qui désire davantage que ce qu'il peut raisonnablement espérer de sa condition et de ses efforts). Ainsi l'image invite bien à réfléchir à une discipline du désir (en ça, on retrouve effectivement des préoccupations typiques des morales hellénistiques).
Leclochard a écrit:
PauvreYorick a écrit:
Leclochard a écrit:J'ai lu le reste de la lettre. J'ai trouvé un passage particulièrement ardu. Est-ce pour cela que l'extrait a été tronqué ?
Je serais curieux de savoir quel passage tu as trouvé ardu. (Je l'ai déjà dit, mais à mon avis, la coupure du milieu n'est pas dramatique ; en revanche la coupure de la fin change quelque chose au sens ─ non, d'ailleurs, que ce soit grave s'agissant d'un entraînement à l'explication de texte.)
 Le passage que je n'ai pas du tout compris, c'est celui-ci:
Descartes a écrit: c’est la fermeté de cette résolution, que je crois devoir être prise pour la vertu, bien que je ne sache point que personne l’ait jamais ainsi expliquée ; mais on l’a divisée en plusieurs espèces, auxquelles on a donné divers noms, à cause des divers objets auxquels elle s’étend.
Je trouve qu'un exemple aurait été le bienvenu ! Razz
C'est vrai, et d'ailleurs il faudrait en donner si on avait à expliquer ce passage. Il se trouve dans la partie coupée (en AT, IV, 265), donc entre le 2e et le 3e alinéa du texte tel qu'il nous est présenté. Descartes fait allusion au vieux problème (socratique, déjà) de la pluralité des vertus : courage, tempérance, justice... sont-ce plusieurs choses irréductibles les unes aux autres, ou une même disposition fondamentale ? et Descartes se range à une thèse « unitaire », si l'on peut dire. La vertu, c'est alors la fermeté avec laquelle l'on se résout à exécuter ce que conseille la raison, qu'il s'agisse de ne pas fuir le danger (courage), de partager un bien de façon équitable (justice), d'éviter les excès de raclette (tempérance), etc. ─ conduites qui sont autant d'occasions d'agir avec une même fondamentale « vertu » si l'on suit Descartes, même si celle-ci donne lieu à des actions diverses en raison de la diversité des objets auxquels elle s'applique (ce qui est à craindre ou non, ce qui est équitable ou non, le dosage du plaisir et, partant, la quantité de raclette à consommer...).
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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 16:25
Compte tenu de tout ce qu'on a vu, la problématique du texte serait, plutôt que ce que je disais ce matin : faut-il exclure de notre conception du bonheur les éléments qui ne dépendent pas de nous?

_________________
"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)

"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)

"Il avait dit cela d'un air fatigué et royal", Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort" (1996)

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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par User17706 Mer 18 Mar 2015 - 16:52
Je crois que je finirai par faire ce que j'ai proposé ce matin à 11h38 (en haut de la présente page), peut-être que ça sera l'occasion de régler nos horloges respectives sur cette question très surprenante de « problème » ou de « problématique » d'un texte.
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par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 16:58
PauvreYorick a écrit:
cette question très surprenante de « problème » ou de « problématique » d'un texte.

:shock:

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"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)

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par Levincent Mer 18 Mar 2015 - 17:16
Juste comme ça, je me permets de faire remarquer que la lettre de Descartes à Christine de Suède du 20 novembre 1647 présente un développement détaillé du dernier paragraphe.
Rendash
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par Rendash Mer 18 Mar 2015 - 17:49
PauvreYorick a écrit:

Si ça aide, je peux rédiger une introduction canonique pour une explication de ce texte et commenter un peu la manière dont procède cette introduction.

Oui, oui, oui, trois fois oui yesyes

Comme ça je m'instruirai, ce qui me permettra à l'occasion de pouvoir faire moi-même l'explication de la distinction valeurs/principes.

_________________
Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 P61r



"Ce serait un bien bel homme s’il n’était pas laid ; il est grand, bâti en Hercule, mais a un teint africain ; des yeux vifs, pleins d’esprit à la vérité, mais qui annoncent toujours la susceptibilité, l’inquiétude ou la rancune, lui donnent un peu l’air féroce, plus facile à être mis en colère qu’en gaieté. Il rit peu, mais il fait rire. [...] Il est sensible et reconnaissant ; mais pour peu qu’on lui déplaise, il est méchant, hargneux et détestable."
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par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 17:56
Mais comment ça se fait que Descartes écrive à la fin :

"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point (...)" ?

Se tromper par rapport à quoi?

Et c'est de toute façon contradictoire avec ce qui est dit au-dessus, vu qu'il faut "la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison".  


_________________
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par User17706 Mer 18 Mar 2015 - 17:58
Parménide a écrit: c'est de toute façon contradictoire
C'est Descartes qui écrit. Donc, ce n'est de toute façon pas contradictoire.

Ou plutôt : si un étudiant du XXIe siècle voit une contradiction là où Descartes n'en voit pas, la probabilité écrasante est que ce soit l'étudiant qui se trompe. On peut le parier à des taux proprement obscènes (1 contre 1000000000).

Rendash : ah oui... Embarassed j'essaie de m'y coller.
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par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 18:00
PauvreYorick a écrit:
Parménide a écrit: c'est de toute façon contradictoire
C'est Descartes qui écrit. Donc, ce n'est de toute façon pas contradictoire.

Ou plutôt : si un étudiant du XXIe siècle voit une contradiction là où Descartes n'en voit pas, la probabilité écrasante est que ce soit l'étudiant qui se trompe.

Oui je n'en doute pas. Mais je ne comprends pas ce qu'il veut dire à la fin...

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Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645. - Page 6 Empty Re: Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645.

par Tonio Kröger Mer 18 Mar 2015 - 20:26
Parménide a écrit:Mais comment ça se fait que Descartes écrive à la fin :

"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point (...)" ?

Se tromper par rapport à quoi?

Et c'est de toute façon contradictoire avec ce qui est dit au-dessus, vu qu'il faut "la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison".  


Tu ne vois pas qu'un "désir réglé selon la raison" (mais pouvant avoir mené à des conséquences négatives) n'est pas la même chose qu'une certitude absolue ? Je l'avais développé dans mon message, il faut identifier ici l'ordre moral comme un domaine où il n'est pas requis le même type de certitude que dans les sciences et la métaphysique ; un désir peut être dirigé par le meilleur effort de vertu, il pourra néanmoins (parce qu'un raisonnement moral n'est pas un déduction mathématique) conduire à des résultats inattendus ou bien de faible poids par rapport aux circonstances extérieures immaîtrisables.
Là où il est requis que "la raison ne se trompe point", c'est le domaine des évidences métaphysiques et mathématiques ; or le domaine moral ne requiert pas plus qu'une volonté constante, forte, et orientée vers une réflexion sur le bien dans la mesure de ce qu'il est possible d'en savoir.

Pour quelqu'un qui passe le CAPES tu as de sacré lacunes.
Parménide
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par Parménide Mer 18 Mar 2015 - 21:08
Tonio Kröger a écrit:
Parménide a écrit:Mais comment ça se fait que Descartes écrive à la fin :

"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point (...)" ?

Se tromper par rapport à quoi?

Et c'est de toute façon contradictoire avec ce qui est dit au-dessus, vu qu'il faut "la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison".  


Tu ne vois pas qu'un "désir réglé selon la raison" (mais pouvant avoir mené à des conséquences négatives) n'est pas la même chose qu'une certitude absolue ? Je l'avais développé dans mon message, il faut identifier ici l'ordre moral comme un domaine où il n'est pas requis le même type de certitude que dans les sciences et la métaphysique ; un désir peut être dirigé par le meilleur effort de vertu, il pourra néanmoins (parce qu'un raisonnement moral n'est pas un déduction mathématique) conduire à des résultats inattendus ou bien de faible poids par rapport aux circonstances extérieures immaîtrisables. Là où il est requis que "la raison ne se trompe point", c'est le domaine des évidences métaphysiques et mathématiques ; or le domaine moral ne requiert pas plus qu'une volonté constante, forte, et orientée vers une réflexion sur le bien dans la mesure de ce qu'il est possible d'en savoir.

Pour quelqu'un qui passe le CAPES tu as de sacré lacunes.

Je connais vaguement l'idée cartésienne selon laquelle le domaine moral est marqué du sceau de l'incertain, contrairement au domaine scientifique et métaphysique, marqué lui par la rigueur de la raison démonstrative. Mais je n'aurais pas pensé à faire intervenir ça dans l'explication du texte.  

Ce qui fait que le texte que j'ai à commenter est sur la fin, extraordinairement elliptique (du moins quand on n'a pas les connaissances sur Descartes) :

"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point" : on ne peut pas comprendre si on ne sait pas que Descartes fait référence ici au caractère incertain de la morale à préconiser...

J'ai interprété les "désirs réglés selon la raison" comme une reprise de la conception stoïcienne selon laquelle il faut savoir accepter l'ordre des choses et collaborer avec lui.

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Aspasie
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par Aspasie Mer 18 Mar 2015 - 22:27
PauvreYorick a écrit:Je crois que je finirai par faire ce que j'ai proposé ce matin à 11h38 (en haut de la présente page), peut-être que ça sera l'occasion de régler nos horloges respectives sur cette question très surprenante de « problème » ou de « problématique » d'un texte.

Pour le coup, c'est certain, cela sera intéressant et utile.

PS 1 : Tss...pour Gorgias... fallait rien dire... C'était tellement chouette ce choix de texte venu d'ailleurs qui appuyait précisément l'intérêt de cette lecture depuis longtemps conseillée (euh... je rappelle que la suivante c'était l'éthique à Nicomaque hein...)

PS 2 : je suis comme Rendash, très preneuse de la distinctions valeurs/principes de la République, vu l'amalgame permanent qu'on lit partout, y compris dans les programmes de l'EN
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Tonio Kröger
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par Tonio Kröger Mer 18 Mar 2015 - 23:28
Parménide a écrit:
Tonio Kröger a écrit:
Parménide a écrit:Mais comment ça se fait que Descartes écrive à la fin :

"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point (...)" ?

Se tromper par rapport à quoi?

Et c'est de toute façon contradictoire avec ce qui est dit au-dessus, vu qu'il faut "la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison".  


Tu ne vois pas qu'un "désir réglé selon la raison" (mais pouvant avoir mené à des conséquences négatives) n'est pas la même chose qu'une certitude absolue ? Je l'avais développé dans mon message, il faut identifier ici l'ordre moral comme un domaine où il n'est pas requis le même type de certitude que dans les sciences et la métaphysique ; un désir peut être dirigé par le meilleur effort de vertu, il pourra néanmoins (parce qu'un raisonnement moral n'est pas un déduction mathématique) conduire à des résultats inattendus ou bien de faible poids par rapport aux circonstances extérieures immaîtrisables. Là où il est requis que "la raison ne se trompe point", c'est le domaine des évidences métaphysiques et mathématiques ; or le domaine moral ne requiert pas plus qu'une volonté constante, forte, et orientée vers une réflexion sur le bien dans la mesure de ce qu'il est possible d'en savoir.

Pour quelqu'un qui passe le CAPES tu as de sacré lacunes.

Je connais vaguement l'idée cartésienne selon laquelle le domaine moral est marqué du sceau de l'incertain, contrairement au domaine scientifique et métaphysique, marqué lui par la rigueur de la raison démonstrative. Mais je n'aurais pas pensé à faire intervenir ça dans l'explication du texte.  

Ce qui fait que le texte que j'ai à commenter est sur la fin, extraordinairement elliptique (du moins quand on n'a pas les connaissances sur Descartes) :

"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point" : on ne peut pas comprendre si on ne sait pas que Descartes fait référence ici au caractère incertain de la morale à préconiser...

J'ai interprété les "désirs réglés selon la raison" comme une reprise de la conception stoïcienne selon laquelle il faut savoir accepter l'ordre des choses et collaborer avec lui.

Dans le cadre du texte, tu vois bien que la raison ici invoquée n'est pas le Logos stoïcien qui informe le monde, mais l'exercice sur soi-même de la rationalité dans l'ordre pratique.

Par ailleurs, une fois encore sans besoin d'avoir des références extérieures, il n'est pas difficile de comprendre que l'exigence selon laquelle la raison ne doit point se tromper n'est pas un dogme spécifiquement cartésien (encore que ce soit lui qui ait fait émerger la certitude subjective comme source de vérité ), mais une attente généralement répandue dès lors qu'il est question d'exercer sa raison sur des objets. La rectitude du jugement vaut ici comme topos général du stoïcisme de l'époque. Descartes ajoute simplement, contrairement à la compréhension stoïcienne rigoriste du sage, qu'en matières morales cette rectitude est toujours perfectible, donc jamais exempte d'erreurs. Mais qu'elle en commette ne la disqualifie pas et doit au contraire nous inciter à perfectionner encore davantage notre entendement et la volonté qu'il éclaire.
supersoso
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par supersoso Jeu 19 Mar 2015 - 8:15
PauvreYorick a écrit:
Parménide a écrit: c'est de toute façon contradictoire
C'est Descartes qui écrit. Donc, ce n'est de toute façon pas contradictoire.

Ou plutôt : si un étudiant du XXIe siècle voit une contradiction là où Descartes n'en voit pas, la probabilité écrasante est que ce soit l'étudiant qui se trompe. On peut le parier à des taux proprement obscènes (1 contre 1000000000).

Rendash : ah oui... Embarassed j'essaie de m'y coller.

Oh ça serait super sympa Very Happy ! Pour ma part, j'ai souvent besoin d'exemples pour me rendre compte des attendus -donc ça me serait très profitable Wink
Parménide
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par Parménide Jeu 19 Mar 2015 - 9:08
Tonio Kröger a écrit:

Parménide a écrit:
Tonio Kröger a écrit:

Tu ne vois pas qu'un "désir réglé selon la raison" (mais pouvant avoir mené à des conséquences négatives) n'est pas la même chose qu'une certitude absolue ? Je l'avais développé dans mon message, il faut identifier ici l'ordre moral comme un domaine où il n'est pas requis le même type de certitude que dans les sciences et la métaphysique ; un désir peut être dirigé par le meilleur effort de vertu, il pourra néanmoins (parce qu'un raisonnement moral n'est pas un déduction mathématique) conduire à des résultats inattendus ou bien de faible poids par rapport aux circonstances extérieures immaîtrisables. Là où il est requis que "la raison ne se trompe point", c'est le domaine des évidences métaphysiques et mathématiques ; or le domaine moral ne requiert pas plus qu'une volonté constante, forte, et orientée vers une réflexion sur le bien dans la mesure de ce qu'il est possible d'en savoir.

Pour quelqu'un qui passe le CAPES tu as de sacré lacunes.

Je connais vaguement l'idée cartésienne selon laquelle le domaine moral est marqué du sceau de l'incertain, contrairement au domaine scientifique et métaphysique, marqué lui par la rigueur de la raison démonstrative. Mais je n'aurais pas pensé à faire intervenir ça dans l'explication du texte.  

Ce qui fait que le texte que j'ai à commenter est sur la fin, extraordinairement elliptique (du moins quand on n'a pas les connaissances sur Descartes) :

"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point" : on ne peut pas comprendre si on ne sait pas que Descartes fait référence ici au caractère incertain de la morale à préconiser...

J'ai interprété les "désirs réglés selon la raison" comme une reprise de la conception stoïcienne selon laquelle il faut savoir accepter l'ordre des choses et collaborer avec lui.

Dans le cadre du texte, tu vois bien que la raison ici invoquée n'est pas le Logos stoïcien qui informe le monde, mais l'exercice sur soi-même de la rationalité dans l'ordre pratique.

Par ailleurs, une fois encore sans besoin d'avoir des références extérieures, il n'est pas difficile de comprendre que l'exigence selon laquelle la raison ne doit point se tromper n'est pas un dogme spécifiquement cartésien (encore que ce soit lui qui ait fait émerger la certitude subjective comme source de vérité ), mais une attente généralement répandue dès lors qu'il est question d'exercer sa raison sur des objets. La rectitude du jugement vaut ici comme topos général du stoïcisme de l'époque. Descartes ajoute simplement, contrairement à la compréhension stoïcienne rigoriste du sage, qu'en matières morales cette rectitude est toujours perfectible, donc jamais exempte d'erreurs. Mais qu'elle en commette ne la disqualifie pas et doit au contraire nous inciter à perfectionner encore davantage notre entendement et la volonté qu'il éclaire.

Je comprends . Mais j'étais à 10 000 lieues de voir tout ça dans le texte. Ce qui est normal, vu que je ne connais pas vraiment ces choses.

Par exemple, ça, je ne le vois pas du tout, dans le texte, a priori :
Tonio Kröger a écrit:
Dans le cadre du texte, tu vois bien que la raison ici invoquée n'est pas le Logos stoïcien qui informe le monde, mais l'exercice sur soi-même de la rationalité dans l'ordre pratique.

Alors soit c'est du à l'interruption du passage, soit c'est du au manque de connaissances sur Descartes (ce qui au demeurant revient un peu au même...)

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