- ParménideNeoprof expérimenté
Tonio Kröger a écrit:Parménide a écrit:Tonio Kröger a écrit:
Tu ne vois pas qu'un "désir réglé selon la raison" (mais pouvant avoir mené à des conséquences négatives) n'est pas la même chose qu'une certitude absolue ? Je l'avais développé dans mon message, il faut identifier ici l'ordre moral comme un domaine où il n'est pas requis le même type de certitude que dans les sciences et la métaphysique ; un désir peut être dirigé par le meilleur effort de vertu, il pourra néanmoins (parce qu'un raisonnement moral n'est pas un déduction mathématique) conduire à des résultats inattendus ou bien de faible poids par rapport aux circonstances extérieures immaîtrisables. Là où il est requis que "la raison ne se trompe point", c'est le domaine des évidences métaphysiques et mathématiques ; or le domaine moral ne requiert pas plus qu'une volonté constante, forte, et orientée vers une réflexion sur le bien dans la mesure de ce qu'il est possible d'en savoir.
Pour quelqu'un qui passe le CAPES tu as de sacré lacunes.
Je connais vaguement l'idée cartésienne selon laquelle le domaine moral est marqué du sceau de l'incertain, contrairement au domaine scientifique et métaphysique, marqué lui par la rigueur de la raison démonstrative. Mais je n'aurais pas pensé à faire intervenir ça dans l'explication du texte.
Ce qui fait que le texte que j'ai à commenter est sur la fin, extraordinairement elliptique (du moins quand on n'a pas les connaissances sur Descartes) :
"Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point" : on ne peut pas comprendre si on ne sait pas que Descartes fait référence ici au caractère incertain de la morale à préconiser...
J'ai interprété les "désirs réglés selon la raison" comme une reprise de la conception stoïcienne selon laquelle il faut savoir accepter l'ordre des choses et collaborer avec lui.
Dans le cadre du texte, tu vois bien que la raison ici invoquée n'est pas le Logos stoïcien qui informe le monde, mais l'exercice sur soi-même de la rationalité dans l'ordre pratique.
Par ailleurs, une fois encore sans besoin d'avoir des références extérieures, il n'est pas difficile de comprendre que l'exigence selon laquelle la raison ne doit point se tromper n'est pas un dogme spécifiquement cartésien (encore que ce soit lui qui ait fait émerger la certitude subjective comme source de vérité ), mais une attente généralement répandue dès lors qu'il est question d'exercer sa raison sur des objets. La rectitude du jugement vaut ici comme topos général du stoïcisme de l'époque. Descartes ajoute simplement, contrairement à la compréhension stoïcienne rigoriste du sage, qu'en matières morales cette rectitude est toujours perfectible, donc jamais exempte d'erreurs. Mais qu'elle en commette ne la disqualifie pas et doit au contraire nous inciter à perfectionner encore davantage notre entendement et la volonté qu'il éclaire.
Je comprends . Mais j'étais à 10 000 lieues de voir tout ça dans le texte. Ce qui est normal, vu que je ne connais pas vraiment ces choses.
Par exemple, ça, je ne le vois pas du tout, dans le texte, a priori :
Tonio Kröger a écrit:
Dans le cadre du texte, tu vois bien que la raison ici invoquée n'est pas le Logos stoïcien qui informe le monde, mais l'exercice sur soi-même de la rationalité dans l'ordre pratique.
Alors soit c'est du à l'interruption du passage, soit c'est du au manque de connaissances sur Descartes (ce qui au demeurant revient un peu au même...)
- Tonio KrögerNiveau 8
Parménide a écrit:
Par exemple, ça, je ne le vois pas du tout, dans le texte, a priori :Tonio Kröger a écrit:
Dans le cadre du texte, tu vois bien que la raison ici invoquée n'est pas le Logos stoïcien qui informe le monde, mais l'exercice sur soi-même de la rationalité dans l'ordre pratique.
Alors soit c'est du à l'interruption du passage, soit c'est du au manque de connaissances sur Descartes (ce qui au demeurant revient un peu au même...)
Ni l'un ni l'autre, je pencherais plutôt pour un défaut de lecture. Pas besoin d'aller chercher hors du texte pour comprendre qu'il est ici question de morale et donc qu'il va s'agir de définir la vertu au sens de l'effort de la raison (et non pas la conformité à une Raison divine et immanente au monde).
- ParménideNeoprof expérimenté
Tonio Kröger a écrit:
, je pencherais plutôt pour un défaut de lecture.
Oui, il y a cette cause profonde, c'est sûr !
Dans la première phrase du dernier paragraphe, Descartes indique que le désir peut être toléré s'il n'entraine pas de souffrances. Je ne vois pas trop ce que cela vient faire... Quel est le rapport avec tout le reste?
_________________
"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)
"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)
"Il avait dit cela d'un air fatigué et royal", Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort" (1996)
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https://www.babelio.com/monprofil.php
- Tonio KrögerNiveau 8
La "cause profonde" se manifeste à nouveau...
Si tu lis bien ce qui précède, le lien est évident : dans l'esprit du stoïcisme, il faut fuir les désirs qui nous placent en état de dépendance à l'égard des biens et des circonstances extérieurs (Épictète, Sénèque), au risque de faire dépendre notre bonheur de facteurs hors de notre pouvoir. Descartes reprend cela dans sa distinction bonheur-béatitude, mais réintroduit le désir après avoir indiqué à quelles conditions il n'est pas cause de tristesse (i.e. lorsqu'il s'agit d'un désir dont la satisfaction ne dépend que de moi, ou bien est facile à atteindre (Épicure), et qui produira le fameux "contentement").
Si tu lis bien ce qui précède, le lien est évident : dans l'esprit du stoïcisme, il faut fuir les désirs qui nous placent en état de dépendance à l'égard des biens et des circonstances extérieurs (Épictète, Sénèque), au risque de faire dépendre notre bonheur de facteurs hors de notre pouvoir. Descartes reprend cela dans sa distinction bonheur-béatitude, mais réintroduit le désir après avoir indiqué à quelles conditions il n'est pas cause de tristesse (i.e. lorsqu'il s'agit d'un désir dont la satisfaction ne dépend que de moi, ou bien est facile à atteindre (Épicure), et qui produira le fameux "contentement").
- ParménideNeoprof expérimenté
C'est extrêmement bizarre cette fin de texte...
[modéré.]
[modéré.]
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"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)
"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)
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- LeclochardEmpereur
Tonio Kröger a écrit:Parménide a écrit:
Par exemple, ça, je ne le vois pas du tout, dans le texte, a priori :Tonio Kröger a écrit:
Dans le cadre du texte, tu vois bien que la raison ici invoquée n'est pas le Logos stoïcien qui informe le monde, mais l'exercice sur soi-même de la rationalité dans l'ordre pratique.
Alors soit c'est du à l'interruption du passage, soit c'est du au manque de connaissances sur Descartes (ce qui au demeurant revient un peu au même...)
Ni l'un ni l'autre, je pencherais plutôt pour un défaut de lecture. Pas besoin d'aller chercher hors du texte pour comprendre qu'il est ici question de morale et donc qu'il va s'agir de définir la vertu au sens de l'effort de la raison (et non pas la conformité à une Raison divine et immanente au monde).
A mon avis, si on ne perçoit pas les enjeux de ce texte, c'est autant par manque de connaissances que par manque de pratique.
Tes explications comme celles de PY sont très pertinentes. Je n'avais pas vu que le désir était à ce point au centre du second paragraphe. C'est intéressant. PY a compris aussi que la comparaison avec les bateaux devaient être lues comme l'expression d'un désir à adapter (comme si on pouvait choisir la taille du bateau, si je puis dire), alors que je pense être resté bloqué sur une conception plus simpliste (chacun est assimilé à un bateau dont la taille ne varie pas). Ca ne change pas la compréhension globale mais quand on explique le passage, sa formulation est plus claire et rend mieux compte de la pensée de Descartes.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- Tonio KrögerNiveau 8
Je ne me suis pas trop arrêté sur l'image des bateaux mais effectivement, on trouve déjà dans le stoïcisme (romain, à tout le moins) cette idée que c'est à la volonté - armée de l'entendement - de savoir quelles sont les limites de ce qui est "à elle" en propre, lieu de tout vrai contentement. Les stoïciens avaient conscience qu'on ne pouvait pas changer de fond en comble la complexion de ses désirs, mais ils martelaient néanmoins qu'à définir un idéal de sagesse, on ne pouvait pas faire l'économie d'une exigence extrême en termes de maîtrise de soi.
Descartes, lui, met de l'eau dans ce vin, et reconnaît expressément que la volonté n'est pas toute puissante (bien qu'elle soit infinie). C'est d'ailleurs un lieu commun de l'époque que de dénoncer dans "l'orgueil stoïcien" l'illusion d'avoir l'empire sur ses passions. Le stoïcisme du 17e est un stoïcisme teinté de christianisme, qui soutient une vision plus négative de l'homme et rappelle régulièrement qu'il existe un Dieu qui l'a exclu du Paradis pour avoir outrepassé ses commandements. L'orgueil du stoïcien païen est critiqué parce qu'il divinise le sage, tandis que le chrétien est tout emprunt de sa propre faiblesse. Voir le fameux frontispice de la première édition des Maximes de La Rochefoucauld, qui illustre le démasquage du stoïcien.
Descartes, lui, met de l'eau dans ce vin, et reconnaît expressément que la volonté n'est pas toute puissante (bien qu'elle soit infinie). C'est d'ailleurs un lieu commun de l'époque que de dénoncer dans "l'orgueil stoïcien" l'illusion d'avoir l'empire sur ses passions. Le stoïcisme du 17e est un stoïcisme teinté de christianisme, qui soutient une vision plus négative de l'homme et rappelle régulièrement qu'il existe un Dieu qui l'a exclu du Paradis pour avoir outrepassé ses commandements. L'orgueil du stoïcien païen est critiqué parce qu'il divinise le sage, tandis que le chrétien est tout emprunt de sa propre faiblesse. Voir le fameux frontispice de la première édition des Maximes de La Rochefoucauld, qui illustre le démasquage du stoïcien.
- ParménideNeoprof expérimenté
Leclochard a écrit:Tonio Kröger a écrit:Parménide a écrit:
Par exemple, ça, je ne le vois pas du tout, dans le texte, a priori :
Alors soit c'est du à l'interruption du passage, soit c'est du au manque de connaissances sur Descartes (ce qui au demeurant revient un peu au même...)
Ni l'un ni l'autre, je pencherais plutôt pour un défaut de lecture. Pas besoin d'aller chercher hors du texte pour comprendre qu'il est ici question de morale et donc qu'il va s'agir de définir la vertu au sens de l'effort de la raison (et non pas la conformité à une Raison divine et immanente au monde).
A mon avis, si on ne perçoit pas les enjeux de ce texte, c'est autant par manque de connaissances que par manque de pratique.
Tes explications comme celles de PY sont très pertinentes. Je n'avais pas vu que le désir était à ce point au centre du second paragraphe. C'est intéressant. PY a compris aussi que la comparaison avec les bateaux devaient être lues comme l'expression d'un désir à adapter (comme si on pouvait choisir la taille du bateau, si je puis dire), alors que je pense être resté bloqué sur une conception plus simpliste (chacun est assimilé à un bateau dont la taille ne varie pas). Ca ne change pas la compréhension globale mais quand on explique le passage, sa formulation est plus claire et rend mieux compte de la pensée de Descartes.
Sans les explications extérieures c'est très dur de rattacher le dernier paragraphe à tout le reste...
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On ne peut pas choisir la taille du vaisseau, précisément, c'est imposé par le destin. Donc il faut s'accommoder de sa propre situation. Descartes reste stoïcien sur ce point.
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"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)
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- LeclochardEmpereur
Tonio Kröger a écrit:Je ne me suis pas trop arrêté sur l'image des bateaux mais effectivement, on trouve déjà dans le stoïcisme (romain, à tout le moins) cette idée que c'est à la volonté - armée de l'entendement - de savoir quelles sont les limites de ce qui est "à elle" en propre, lieu de tout vrai contentement. Les stoïciens avaient conscience qu'on ne pouvait pas changer de fond en comble la complexion de ses désirs, mais ils martelaient néanmoins qu'à définir un idéal de sagesse, on ne pouvait pas faire l'économie d'une exigence extrême en termes de maîtrise de soi.
Descartes, lui, met de l'eau dans ce vin, et reconnaît expressément que la volonté n'est pas toute puissante (bien qu'elle soit infinie). C'est d'ailleurs un lieu commun de l'époque que de dénoncer dans "l'orgueil stoïcien" l'illusion d'avoir l'empire sur ses passions. Le stoïcisme du 17e est un stoïcisme teinté de christianisme, qui soutient une vision plus négative de l'homme et rappelle régulièrement qu'il existe un Dieu qui l'a exclu du Paradis pour avoir outrepassé ses commandements. L'orgueil du stoïcien païen est critiqué parce qu'il divinise le sage, tandis que le chrétien est tout emprunt de sa propre faiblesse. Voir le fameux frontispice de la première édition des Maximes de La Rochefoucauld, qui illustre le démasquage du stoïcien.
Merci pour l'explication contextuelle.
Comme se rattachent Schopenhauer et Freud à cette idée que la volonté consciente n'est pas toute puissante ?
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- LevincentNiveau 9
Parménide a écrit:
Sans les explications extérieures c'est très dur de rattacher le dernier paragraphe à tout le reste...
Il y a quand même un rapport :
Descartes a écrit:ainsi, prenant le contentement d'un chacun pour la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison, je ne doute point que les plus pauvres et les plus disgraciés de la fortune ou de la nature ne puissent être entièrement contents et satisfaits, aussi bien que les autres, encore qu'ils ne jouissent pas de tant de biens. Et ce n'est que de cette sorte de contentement, de laquelle il est ici question ; car puisque l'autre n'est aucunement en notre pouvoir, la recherche en serait superflue
(...)
Au reste, toutes sortes de désirs ne sont pas incompatibles avec la béatitude ; il n'y a que ceux qui sont accompagnés d'impatience et de tristesse. Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point ; il suffit que notre conscience nous témoigne que nous n'avons jamais manqué de résolution et de vertu, pour exécuter toutes les choses que nous avons jugé être les meilleures, et ainsi la vertu seule est suffisante pour nous rendre contents en cette vie.
Il y a tout de même un développement supplémentaire sur les désirs et la raison, qui permet de rattacher ce paragraphe au reste du texte.
Dans un premier temps, lorsque Descartes parle de "désirs réglés selon la raison", on tend à penser qu'il s'agit de désirs que la raison oriente vers les choses qui dépendent de nous, ce qui explique que leur satisfaction soit identifée avec la plénitude. La raison est là pour jouer ce rôle d'aiguillage vers ce qui peut nous rendre vraiment heureux, c'est à dire la sagesse et la vertu. Cependant, le dernier paragraphe vient comme pour préciser qu'on peut toutefois manifester des désirs de "toutes sortes", c'est-à-dire même ceux dirigés vers des choses extérieures, qui ne dépendent pas de nous, à condition que notre attachement à ces désirs ne soit pas tel qu'il provoque chez nous de l'irritation. Descartes ne recommande donc pas de discipliner ses désirs de manière trop austère, mais, parce qu'il reconnaît aux choses extérieures le pouvoir de concourir à notre bonheur, dans la mesure où, relativement aux autres, celles-ci peuvent nous rendre plus heureux, (et aussi parce qu'il doit avoir conscience que supprimer tout désir vers l'extérieur est impossible), il ne voit aucun inconvénient à ce que quelqu'un qui cherche le bonheur, et qui donc désire la sagesse et la vertu, désire également d'autres choses.
Si la raison d'une part, sert à réguler les désirs, en ce qu'elle les oriente préférentiellement vers la sagesse et qu'elle repousse ceux qui nous causeraient de l'impatience et de la tristesse, il ne faut tout de même pas surévaluer son rôle, car elle est sujette à l'erreur. D'une part, nous pouvons nous tromper dans notre conception de la sagesse, et d'autre part, en voulant faire un bien dans une situation donnée, nous ne pouvons pas connaître tous les tenants et les aboutissants de cette situation. Par conséquent, même si notre volonté est fermement orientée vers l'action vertueuse, il est très probable que nous ne fassions pas tout le bien que nous voulions. Cependant, étant donné notre connaissance des faits au moment de l'action si notre résolution de faire le bien était alors inflexible, nous pouvons ressentir le contentement lié à la vertu. Donc, d'une part, Descartes nous permet de ne pas trop se culpabiliser si nous avons pavé l'enfer avec une bonne intention, à condition toutefois d'être dans une attitude qui permette à la raison de se rectifier, et d'autre part, il laisse la sagesse accessible à tous, même aux âmes simples et naïves qui agissent par bonne volonté, et n'en fait pas l'apanage des intellectuels.
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« Un philosophe moderne qui n'a jamais éprouvé le sentiment d'être un charlatan fait preuve d'une telle légèreté intellectuelle que son oeuvre ne vaut guère la peine d'être lue. »
Leszek Kolakowski
- Tonio KrögerNiveau 8
Leclochard a écrit:
Merci pour l'explication contextuelle.
Comme se rattachent Schopenhauer et Freud à cette idée que la volonté consciente n'est pas toute puissante ?
En fait Descartes n'est pas vraiment concerné par cette question de conscient/inconscient, qui n'apparaît philosophiquement et expressément qu'avec Leibniz (les petites perceptions). Il l'ignore même, puisque le rôle des passions et leur lien avec la raison est expliqué en termes mécanistes et physiques.
Ensuite, les penseurs de l'inconscient (Schopenhauer je connais très mal) iront bien évidemment s'attaquer aux prétentions du sujet psychologique à se connaître lui-même avec transparence, mais pour le coup ils viseront plutôt Descartes dont l'épistémologie tourne autour de la notion d'évidence et qui défend avec force (Regulae, 1) l'unité de l'esprit dans ses opérations intellectuelles. Mais bon, Freud n'a pas pour cible prioritaire la philosophie (sauf dans ses oeuvres philosophiques, justement) mais les préjugés moraux de son époque, réticents notamment à l'idée que la pulsion sexuelle régit l'économie psychique.
- User17706Bon génie
Vaisseau (récipient, vase), pas vaisseau (bateau), bis repetitaLeclochard a écrit: comme si on pouvait choisir la taille du *vaisseau
Oui : si le remplissement du vaisseau est « l'accomplissement du désir réglé selon la raison », alors c'est exactement ça, la conséquence est inévitable : la plénitude est non seulement fonction des contraintes plus ou moins objectives que donnent la naissance, la richesse, etc., mais également de notre capacité à modérer nos espoirs et désirs. En ce sens on peut dire qu'une partie de l'effort moral consiste à ne pas agrandir démesurément son propre vaisseau : celui qui désire plus qu'il ne peut obtenir se frustre lui-même vainement.
- ParménideNeoprof expérimenté
Mais comment as tu pu voir tout ça dans le texte? :shock:Levincent a écrit:Parménide a écrit:
Sans les explications extérieures c'est très dur de rattacher le dernier paragraphe à tout le reste...
Il y a quand même un rapport :Descartes a écrit:ainsi, prenant le contentement d'un chacun pour la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison, je ne doute point que les plus pauvres et les plus disgraciés de la fortune ou de la nature ne puissent être entièrement contents et satisfaits, aussi bien que les autres, encore qu'ils ne jouissent pas de tant de biens. Et ce n'est que de cette sorte de contentement, de laquelle il est ici question ; car puisque l'autre n'est aucunement en notre pouvoir, la recherche en serait superflue
(...)
Au reste, toutes sortes de désirs ne sont pas incompatibles avec la béatitude ; il n'y a que ceux qui sont accompagnés d'impatience et de tristesse. Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point ; il suffit que notre conscience nous témoigne que nous n'avons jamais manqué de résolution et de vertu, pour exécuter toutes les choses que nous avons jugé être les meilleures, et ainsi la vertu seule est suffisante pour nous rendre contents en cette vie.
Il y a tout de même un développement supplémentaire sur les désirs et la raison, qui permet de rattacher ce paragraphe au reste du texte.
Dans un premier temps, lorsque Descartes parle de "désirs réglés selon la raison", on tend à penser qu'il s'agit de désirs que la raison oriente vers les choses qui dépendent de nous, ce qui explique que leur satisfaction soit identifée avec la plénitude. La raison est là pour jouer ce rôle d'aiguillage vers ce qui peut nous rendre vraiment heureux, c'est à dire la sagesse et la vertu. Cependant, le dernier paragraphe vient comme pour préciser qu'on peut toutefois manifester des désirs de "toutes sortes", c'est-à-dire même ceux dirigés vers des choses extérieures, qui ne dépendent pas de nous, à condition que notre attachement à ces désirs ne soit pas tel qu'il provoque chez nous de l'irritation. Descartes ne recommande donc pas de discipliner ses désirs de manière trop austère, mais, parce qu'il reconnaît aux choses extérieures le pouvoir de concourir à notre bonheur, dans la mesure où, relativement aux autres, celles-ci peuvent nous rendre plus heureux, (et aussi parce qu'il doit avoir conscience que supprimer tout désir vers l'extérieur est impossible), il ne voit aucun inconvénient à ce que quelqu'un qui cherche le bonheur, et qui donc désire la sagesse et la vertu, désire également d'autres choses.
Si la raison d'une part, sert à réguler les désirs, en ce qu'elle les oriente préférentiellement vers la sagesse et qu'elle repousse ceux qui nous causeraient de l'impatience et de la tristesse, il ne faut tout de même pas surévaluer son rôle, car elle est sujette à l'erreur. D'une part, nous pouvons nous tromper dans notre conception de la sagesse, et d'autre part, en voulant faire un bien dans une situation donnée, nous ne pouvons pas connaître tous les tenants et les aboutissants de cette situation. Par conséquent, même si notre volonté est fermement orientée vers l'action vertueuse, il est très probable que nous ne fassions pas tout le bien que nous voulions. Cependant, étant donné notre connaissance des faits au moment de l'action si notre résolution de faire le bien était alors inflexible, nous pouvons ressentir le contentement lié à la vertu. Donc, d'une part, Descartes nous permet de ne pas trop se culpabiliser si nous avons pavé l'enfer avec une bonne intention, à condition toutefois d'être dans une attitude qui permette à la raison de se rectifier, et d'autre part, il laisse la sagesse accessible à tous, même aux âmes simples et naïves qui agissent par bonne volonté, et n'en fait pas l'apanage des intellectuels.
En tous cas, je crois que c'est à partir des "désirs réglés selon la raison" que je n'ai plus rien compris au texte : j'ai cru que Descartes pensait la même chose que les Stoïciens.
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"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)
"Il avait dit cela d'un air fatigué et royal", Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort" (1996)
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https://www.babelio.com/monprofil.php
- LevincentNiveau 9
Leclochard a écrit:Tonio Kröger a écrit:Je ne me suis pas trop arrêté sur l'image des bateaux mais effectivement, on trouve déjà dans le stoïcisme (romain, à tout le moins) cette idée que c'est à la volonté - armée de l'entendement - de savoir quelles sont les limites de ce qui est "à elle" en propre, lieu de tout vrai contentement. Les stoïciens avaient conscience qu'on ne pouvait pas changer de fond en comble la complexion de ses désirs, mais ils martelaient néanmoins qu'à définir un idéal de sagesse, on ne pouvait pas faire l'économie d'une exigence extrême en termes de maîtrise de soi.
Descartes, lui, met de l'eau dans ce vin, et reconnaît expressément que la volonté n'est pas toute puissante (bien qu'elle soit infinie). C'est d'ailleurs un lieu commun de l'époque que de dénoncer dans "l'orgueil stoïcien" l'illusion d'avoir l'empire sur ses passions. Le stoïcisme du 17e est un stoïcisme teinté de christianisme, qui soutient une vision plus négative de l'homme et rappelle régulièrement qu'il existe un Dieu qui l'a exclu du Paradis pour avoir outrepassé ses commandements. L'orgueil du stoïcien païen est critiqué parce qu'il divinise le sage, tandis que le chrétien est tout emprunt de sa propre faiblesse. Voir le fameux frontispice de la première édition des Maximes de La Rochefoucauld, qui illustre le démasquage du stoïcien.
Merci pour l'explication contextuelle.
Comme se rattachent Schopenhauer et Freud à cette idée que la volonté consciente n'est pas toute puissante ?
En ce qui concerne Schopenhauer, c'est plus compliqué. Il faut bien préciser pour lui ce qu'est la volonté : c'est la chose en soi de tout phénomène. Il y a une volonté, unique et indivisible, qui s'objective sur un nombre infini de degrés, et chaque degré d'objectivation est identifié avec l'eidos platonicien, c'est-à-dire le modèle selon lequel toute chose est formée. Tout être manifeste cette volonté car il a en lui-même la volonté de vivre, qui se manifeste par l'instinct de survie, la reproduction, et les désirs. Dans ce sens, la volonté est donc "toute puissante", car elle est à l'origine du monde, si je puis dire, et qu'elle se manifeste de manière infaillible dans tout l'univers. Les objets inanimés, degrés les plus bas de l'objectivation de la volonté, sont mûs par des causes physiques, mais dès que l'entendement apparaît chez un être, ses manières d'agir sont déterminées également par des motifs. Ce que Schopenhauer appelle le motif est le pendant dans le monde de la conscience des causes physiques dans le monde des objets. De la même manière qu'un objet soumis à une cause ne peut réagir autrement que selon ce que sa constitution physique détermine, un sujet doué d'entendement soumis à un motif ne peut agir autrement que selon ce que Schopenhauer appelle le caractère. Un caractère déterminé régira toujours aux mêmes motifs de la même manière. Or, le caractère correspond à notre chose en soi, c'est-à-dire à ce que nous sommes au-delà du simple phénomène, et puisque cette chose en soi procède de l'objectivation de la volonté, il s'ensuit que nous avons voulu être qui nous sommes, comme si, schématiquement, nous avions choisi notre caractère avant de venir au monde. L'activité humaine régie à la fois par les causes physiques et par le caractère permet donc à la volonté, dans son degré adéquat d'objectivation, de se déployer dans le monde des phénomènes. Mais, l'homme étant aussi pourvu d'une raison, par nature faillible, il se trompe souvent sur les motifs qui le poussent à agir. En cela, Schopenhauer rejoint Descartes en ce qu'il reconnaît la faillibilité de la raison et ses conséquences dans la conduite humaine, mais en revanche il reste étranger à toute idée de vertu ou de perfectionnement moral. En effet, si nous sommes déterminés par la volonté en ce que notre caractère correspond à un degré d'objectivation de la volonté, nous ne pouvons vouloir autre chose que ce que nous voulons en général. Le seul perfectionnement possible est une perfectionnement de la connaissance, qui nous fait agir conformément à cette volonté. De plus Schopenhauer ne reconnaît pas ce contentement de l'esprit dont parle Descartes, puisque pour lui, la souffrance est consubstantielle à la volonté. Tant que nous sommes les marionnettes de la volonté, nous ne pouvons que souffrir, et tout ce que nous pouvons espérer en terme de bonheur, c'est de souffrir le moins possible (le bonheur n'est que négatif chez Schopenhauer, en ce sens qu'il n'est que la cessation d'une souffrance). Le seul moyen de s'en sortir, c'est la négation de la volonté de vivre, ce qui correspond à l'idéal de l'ascétisme hindou, et même chrétien. Schopenhauer dirait que Descartes, en reconnaissant le rôle positif de certains désirs, est encore dans la volonté de vivre, et ne propose pas la vraie béatitude.
J'espère que j'ai résumé de manière assez clair ce que je crois avoir compris de Schopenhauer. Voici un petit extrait du Monde comme volonté et représentation (une pure merveille que ce pavé) qui concerne la partie sur la raison :
Schopenhauer a écrit:Enfin, là où la volonté est parvenue à son plus haut degré d’objectivation, la connaissance dont les animaux sont capables ne suffit plus, – connaissance qu’ils doivent à l’entendement, auquel les sens fournissent leurs données, et qui est par conséquent une simple intuition, tout entière tournée vers le présent. L’homme, cette créature compliquée, multiple d’aspect, plastique, éminemment remplie de besoins et exposée à d’innombrables lésions, devait, pour pouvoir résister, être éclairé par une double connaissance : à l’intuition simple devait venir s’ajouter, pour ainsi dire, une puissance plus élevée de la connaissance intuitive, un reflet de celle-ci, en un mot la raison, la faculté de créer des concepts. Avec elle se présente la réflexion, qui embrasse la vue de l’avenir et du passé, et, à sa suite, la méditation, la précaution, la faculté de prévoir, de se conduire indépendamment du présent, enfin la pleine et entière conscience des décisions de la volonté, en tant que telle. Plus haut, nous avons vu qu’avec la simple connaissance intuitive était déjà née la possibilité de l’apparence et de l’illusion, et que dès lors l’infaillibilité qu’avait auparavant la volonté, dans son effort inconscient et aveugle, disparaissait. Par suite, l’instinct et les dispositions industrieuses, manifestations inconscientes de la volonté, qui se rangent d’ailleurs parmi les manifestations accompagnées de connaissance, étaient rendus nécessaires. Avec l’avènement de la raison, cette sûreté, cette infaillibilité (qui, à l’autre extrême, dans la nature inorganique, apparaît avec un caractère de rigoureuse régularité) s’évanouit presque entièrement ; l’instinct disparaît tout à fait ; la circonspection, qui doit tenir lieu de tout, produit (comme on l’a vu dans le 1er livre) l’hésitation et l’incertitude ; l’erreur devient possible, et, dans bien des cas, empêche l’objectivation adéquate de la volonté par des actes. Car, bien que la volonté ait déjà pris dans le caractère une direction déterminée et invariable, d’après laquelle elle se manifeste elle-même d’une façon infaillible à l’occasion des motifs, cependant l’erreur peut fausser ses manifestations, des motifs illusoires pouvant prendre la place des motifs véritables et les annihiler.
Le Monde comme volonté et représentation, p.365 à 367 (il n'y a pas si longtemps on pouvait le télécharger gratuitement en pdf)
- LevincentNiveau 9
Parménide a écrit:
Mais comment as tu pu voir tout ça dans le texte? :shock:
En lisant le texte et en me posant des questions sur sa signification. Et aussi en partant du principe que ces explications se trouvent dans le texte lui-même. Ensuite je fais des hypothèses quant à ce que Descartes a voulu dire, et je relis le texte pour vérifier si mon hypothèse tient la route ou bien si j'y trouve un élément qui la contredit directement.
- User17706Bon génie
Levincent a écrit:Parménide a écrit:
Sans les explications extérieures c'est très dur de rattacher le dernier paragraphe à tout le reste...
Il y a quand même un rapport :Descartes a écrit:ainsi, prenant le contentement d'un chacun pour la plénitude et l'accomplissement de ses désirs réglés selon la raison, je ne doute point que les plus pauvres et les plus disgraciés de la fortune ou de la nature ne puissent être entièrement contents et satisfaits, aussi bien que les autres, encore qu'ils ne jouissent pas de tant de biens. Et ce n'est que de cette sorte de contentement, de laquelle il est ici question ; car puisque l'autre n'est aucunement en notre pouvoir, la recherche en serait superflue
(...)
Au reste, toutes sortes de désirs ne sont pas incompatibles avec la béatitude ; il n'y a que ceux qui sont accompagnés d'impatience et de tristesse. Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point ; il suffit que notre conscience nous témoigne que nous n'avons jamais manqué de résolution et de vertu, pour exécuter toutes les choses que nous avons jugé être les meilleures, et ainsi la vertu seule est suffisante pour nous rendre contents en cette vie.
Il y a tout de même un développement supplémentaire sur les désirs et la raison, qui permet de rattacher ce paragraphe au reste du texte.
Dans un premier temps, lorsque Descartes parle de "désirs réglés selon la raison", on tend à penser qu'il s'agit de désirs que la raison oriente vers les choses qui dépendent de nous, ce qui explique que leur satisfaction soit identifée avec la plénitude. La raison est là pour jouer ce rôle d'aiguillage vers ce qui peut nous rendre vraiment heureux, c'est à dire la sagesse et la vertu. Cependant, le dernier paragraphe vient comme pour préciser qu'on peut toutefois manifester des désirs de "toutes sortes", c'est-à-dire même ceux dirigés vers des choses extérieures, qui ne dépendent pas de nous, à condition que notre attachement à ces désirs ne soit pas tel qu'il provoque chez nous de l'irritation. Descartes ne recommande donc pas de discipliner ses désirs de manière trop austère, mais, parce qu'il reconnaît aux choses extérieures le pouvoir de concourir à notre bonheur, dans la mesure où, relativement aux autres, celles-ci peuvent nous rendre plus heureux, (et aussi parce qu'il doit avoir conscience que supprimer tout désir vers l'extérieur est impossible), il ne voit aucun inconvénient à ce que quelqu'un qui cherche le bonheur, et qui donc désire la sagesse et la vertu, désire également d'autres choses.
Si la raison d'une part, sert à réguler les désirs, en ce qu'elle les oriente préférentiellement vers la sagesse et qu'elle repousse ceux qui nous causeraient de l'impatience et de la tristesse, il ne faut tout de même pas surévaluer son rôle, car elle est sujette à l'erreur. D'une part, nous pouvons nous tromper dans notre conception de la sagesse, et d'autre part, en voulant faire un bien dans une situation donnée, nous ne pouvons pas connaître tous les tenants et les aboutissants de cette situation. Par conséquent, même si notre volonté est fermement orientée vers l'action vertueuse, il est très probable que nous ne fassions pas tout le bien que nous voulions. Cependant, étant donné notre connaissance des faits au moment de l'action si notre résolution de faire le bien était alors inflexible, nous pouvons ressentir le contentement lié à la vertu. Donc, d'une part, Descartes nous permet de ne pas trop se culpabiliser si nous avons pavé l'enfer avec une bonne intention, à condition toutefois d'être dans une attitude qui permette à la raison de se rectifier, et d'autre part, il laisse la sagesse accessible à tous, même aux âmes simples et naïves qui agissent par bonne volonté, et n'en fait pas l'apanage des intellectuels.
Levincent, deux beaux paragraphes ici. (Ne m'en veuillez pas, les collègues, je réserve les compliments à ceux qui vont passer le concours, hein. )
Attention à un petit détail toutefois, je voulais déjà le dire plus haut à je ne sais plus qui : ne pas trop vite traduire « être accompagné de » par « causer ». On lira dans les Passions de l'Âme que « la haine n'est jamais sans tristesse » (de mémoire), mais ça ne veut pas dire simplement que la première cause la seconde, ça veut dire d'abord et surtout que la tristesse est comme un ingrédient de la haine. (Cf. ensuite, chez Spinoza, le concept de « passions tristes ».)
De même il ne faudra pas imaginer que le mot « impatience » a son sens actuel, bien sûr.
- ParménideNeoprof expérimenté
Je suis largement passé à coté du texte, semble-t-il...Enfin , on verra quand je posterai le commentaire, j'ai fini de rédiger.
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"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)
"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)
"Il avait dit cela d'un air fatigué et royal", Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort" (1996)
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https://www.babelio.com/monprofil.php
- LeclochardEmpereur
PauvreYorick a écrit:Vaisseau (récipient, vase), pas vaisseau (bateau), bis repetitaLeclochard a écrit: comme si on pouvait choisir la taille du *vaisseau
Oui : si le remplissement du vaisseau est « l'accomplissement du désir réglé selon la raison », alors c'est exactement ça, la conséquence est inévitable : la plénitude est non seulement fonction des contraintes plus ou moins objectives que donnent la naissance, la richesse, etc., mais également de notre capacité à modérer nos espoirs et désirs. En ce sens on peut dire qu'une partie de l'effort moral consiste à ne pas agrandir démesurément son propre vaisseau : celui qui désire plus qu'il ne peut obtenir se frustre lui-même vainement.
Je ne sais pas pourquoi je suis resté fixé sur l'autre sens.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- User17706Bon génie
« Charger la barque »... il y a des échos dans le langage au sens « bateau »
- LeclochardEmpereur
Levincent a écrit:Leclochard a écrit:Tonio Kröger a écrit:Je ne me suis pas trop arrêté sur l'image des bateaux mais effectivement, on trouve déjà dans le stoïcisme (romain, à tout le moins) cette idée que c'est à la volonté - armée de l'entendement - de savoir quelles sont les limites de ce qui est "à elle" en propre, lieu de tout vrai contentement. Les stoïciens avaient conscience qu'on ne pouvait pas changer de fond en comble la complexion de ses désirs, mais ils martelaient néanmoins qu'à définir un idéal de sagesse, on ne pouvait pas faire l'économie d'une exigence extrême en termes de maîtrise de soi.
Descartes, lui, met de l'eau dans ce vin, et reconnaît expressément que la volonté n'est pas toute puissante (bien qu'elle soit infinie). C'est d'ailleurs un lieu commun de l'époque que de dénoncer dans "l'orgueil stoïcien" l'illusion d'avoir l'empire sur ses passions. Le stoïcisme du 17e est un stoïcisme teinté de christianisme, qui soutient une vision plus négative de l'homme et rappelle régulièrement qu'il existe un Dieu qui l'a exclu du Paradis pour avoir outrepassé ses commandements. L'orgueil du stoïcien païen est critiqué parce qu'il divinise le sage, tandis que le chrétien est tout emprunt de sa propre faiblesse. Voir le fameux frontispice de la première édition des Maximes de La Rochefoucauld, qui illustre le démasquage du stoïcien.
Merci pour l'explication contextuelle.
Comme se rattachent Schopenhauer et Freud à cette idée que la volonté consciente n'est pas toute puissante ?
En ce qui concerne Schopenhauer, c'est plus compliqué. Il faut bien préciser pour lui ce qu'est la volonté : c'est la chose en soi de tout phénomène. Il y a une volonté, unique et indivisible, qui s'objective sur un nombre infini de degrés, et chaque degré d'objectivation est identifié avec l'eidos platonicien, c'est-à-dire le modèle selon lequel toute chose est formée. Tout être manifeste cette volonté car il a en lui-même la volonté de vivre, qui se manifeste par l'instinct de survie, la reproduction, et les désirs. Dans ce sens, la raison est donc "toute puissante", car elle est à l'origine du monde, si je puis dire, et qu'elle se manifeste de manière infaillible dans tout l'univers. Les objets inanimés, degrés les plus bas de l'objectivation de la volonté, sont mûs par des causes physiques, mais dès que l'entendement apparaît chez un être, ses manières d'agir sont déterminées également par des motifs. Ce que Schopenhauer appelle le motif est le pendant dans le monde de la conscience des causes physiques dans le monde des objets. De la même manière qu'un objet soumis à une cause ne peut réagir autrement que selon ce que sa constitution physique détermine, un sujet doué d'entendement soumis à un motif ne peut agir autrement que selon ce que Schopenhauer appelle le caractère. Un caractère déterminé régira toujours aux mêmes motifs de la même manière. Or, le caractère correspond à notre chose en soi, c'est-à-dire à ce que nous sommes au-delà du simple phénomène, et puisque cette chose en soi procède de l'objectivation de la volonté, il s'ensuit que nous avons voulu être qui nous sommes, comme si, schématiquement, nous avions choisi notre caractère avant de venir au monde. L'activité humaine régie à la fois par les causes physiques et par le caractère permet donc à la volonté, dans son degré adéquat d'objectivation, de se déployer dans le monde des phénomènes. Mais, l'homme étant aussi pourvu d'une raison, par nature faillible, il se trompe souvent sur les motifs qui le poussent à agir. En cela, Schopenhauer rejoint Descartes en ce qu'il reconnaît la faillibilité de la raison et ses conséquences dans la conduite humaine, mais en revanche il reste étranger à toute idée de vertu ou de perfectionnement moral. En effet, si nous sommes déterminés par la volonté en ce que notre caractère correspond à un degré d'objectivation de la volonté, nous ne pouvons vouloir autre chose que ce que nous voulons en général. Le seul perfectionnement possible est une perfectionnement de la connaissance, qui nous fait agir conformément à cette volonté. De plus Schopenhauer ne reconnaît pas ce contentement de l'esprit dont parle Descartes, puisque pour lui, la souffrance est consubstantielle à la volonté. Tant que nous sommes les marionnettes de la volonté, nous ne pouvons que souffrir, et tout ce que nous pouvons espérer en terme de bonheur, c'est de souffrir le moins possible (le bonheur n'est que négatif chez Schopenhauer, en ce sens qu'il n'est que la cessation d'une souffrance). Le seul moyen de s'en sortir, c'est la négation de la volonté de vivre, ce qui correspond à l'idéal de l'ascétisme hindou, et même chrétien. Schopenhauer dirait que Descartes, en reconnaissant le rôle positif de certains désirs, est encore dans la volonté de vivre, et ne propose pas la vraie béatitude.
Chapeau pour le message. Je crois que tu es prêt à enseigner. Merci aussi à Tonio. Il me reste du chemin à parcourir avant de combler mes lacunes.
Je voulais lire son oeuvre majeure. Cependant quand j'ai vu l'épaisseur du livre, j'ai remis à plus tard sa lecture, me contentant de l'introduction. Il est, d'ailleurs, réédité avec une nouvelle traduction. Je prendrai sans doute celle-là.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- pamplemousses4Expert
Salut les collègues (ou futurs!),
Je me glisse dans la conversation, que je suis assidument et silencieusement, pour vous dire que, si je ne suis pas sûre que Parménide goûte bien la chance qui est la sienne d'être entourée par vos bons soins et vos efforts, sachez que moi, je savoure, et apprécie la qualité de vos conseils et développements. J'en profite traîtreusement...
Certifiée depuis 8 ou 9 ans, et happée depuis tout ce temps par mes élèves chéris et les copies (moins chéries), je me mets cette fois à l'agrég interne sérieusement pour 2016, et je me "dérouille" en vous lisant: alors merci!
Et zut, quoi, Parménide: fais de la philosophie un exercice de réflexion profonde, incarnée, parfois inconfortable et douloureuse, pour qu'elle puisse être authentiquement féconde, pas un exercice scolaire et désincarné, quand bien même il serait érudit. C'est à cette condition, me semble-t-il, qu'une "problématique" -si tu y tiens- se donne à voir, qu'un auteur se laisse comprendre: si quelque chose d'incarné, de décisif, d'existentiel s'y joue. Et que ta tête explose d'avoir vraiment voulu le saisir, pour que tu ne sois plus le même après l'avoir lu qu'avant.
Je me glisse dans la conversation, que je suis assidument et silencieusement, pour vous dire que, si je ne suis pas sûre que Parménide goûte bien la chance qui est la sienne d'être entourée par vos bons soins et vos efforts, sachez que moi, je savoure, et apprécie la qualité de vos conseils et développements. J'en profite traîtreusement...
Certifiée depuis 8 ou 9 ans, et happée depuis tout ce temps par mes élèves chéris et les copies (moins chéries), je me mets cette fois à l'agrég interne sérieusement pour 2016, et je me "dérouille" en vous lisant: alors merci!
Et zut, quoi, Parménide: fais de la philosophie un exercice de réflexion profonde, incarnée, parfois inconfortable et douloureuse, pour qu'elle puisse être authentiquement féconde, pas un exercice scolaire et désincarné, quand bien même il serait érudit. C'est à cette condition, me semble-t-il, qu'une "problématique" -si tu y tiens- se donne à voir, qu'un auteur se laisse comprendre: si quelque chose d'incarné, de décisif, d'existentiel s'y joue. Et que ta tête explose d'avoir vraiment voulu le saisir, pour que tu ne sois plus le même après l'avoir lu qu'avant.
- ShajarVénérable
Bienvenue sur le forum, pamplemousse4. Peux-tu te présenter, comme c'est l'usage en ces contrées ? (par ici : https://www.neoprofs.org/f26-votre-presentation )? Merci !
Par ailleurs, ce serait bien de ne pas faire dévier la conversation sur Parménide, pour une fois que même lui parle philosophie.
Par ailleurs, ce serait bien de ne pas faire dévier la conversation sur Parménide, pour une fois que même lui parle philosophie.
- pamplemousses4Expert
Je vais aller faire les présentations!
- ParménideNeoprof expérimenté
Je ne fais que ça. Mais comme l'a pointé très justement Tonio, mais lacunes sont tellement grandes, et ce malgré toutes les années de philosophie, que reprendre le bon pli est extrêmement difficile. Ici, c'est en ce qui concerne la méthode de commentaire, et plus fondamentalement encore, le "comment lire" d'un point de vue philosophique. Je me sens perdu et ça me fait peur. Mais comme il semble que désormais mes interventions soient très surveillées, je ne peux plus dire grand chose dans ce fil sur ces histoires de méthode . Enfin, ce sera plus ordonné, de cette manière.pamplemousses4 a écrit: je ne suis pas sûre que Parménide goûte bien la chance qui est la sienne d'être entourée par vos bons soins et vos efforts, .
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"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)
"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)
"Il avait dit cela d'un air fatigué et royal", Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort" (1996)
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- User17706Bon génie
Bon, vite fait, voilà ce que ça pourrait donner.
- ParménideNeoprof expérimenté
PauvreYorick a écrit:Bon, vite fait, voilà ce que ça pourrait donner.
Merci
Donc logiquement exposition du problème et du plan ne feraient qu'un ?
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"Les paroles essentielles sont des actions qui se produisent en ces instants décisifs où l'éclair d'une illumination splendide traverse la totalité d'un monde", Martin Heidegger, "Schelling", (semestre d'été 1936)
"Et d'une brûlure d'ail naitra peut-être un soir l'étincelle du génie", Saint-John Perse, "Sécheresse" (1974)
"Il avait dit cela d'un air fatigué et royal", Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort" (1996)
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https://www.babelio.com/monprofil.php
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