- MeerschNiveau 6
Je me permets de participer au débat sur la nature de la philosophie et sur son caractère scientifique. C'est un sujet qui me tient à coeur et je pense qu'il y a en France aujourd'hui une très forte tendance à considérer la philosophie comme une espèce de foire aux opinions farfelues dans lesquelles il s'agirait de faire son choix selon l'arbitraire de ses goûts, et à tenir cette conception pour évidente alors qu'elle est radicalement opposée à la manière dont 90% des penseurs de l'histoire des idées ont eux-mêmes pratiqué cette discipline théorique. Je suis presque intégralement d'accord avec les messages de Zagara sur le sujet, en revanche .
Je ne vois pas en quoi une phrase de la forme "ce que pense tel philosophe sur tel sujet est faux" est nécessairement dépourvue de sens. Elle me semble aussi sensée qu'une phrase de la forme "ce que pense tel scientifique sur tel sujet est faux". Et je crois qu'il suffit d'avoir un tout petit peu de culture philosophique pour avoir lu des centaines d'occurrences de phrases de cette forme dans les ouvrages classiques de l'histoire de la philosophie, puisque les philosophes (ou plus exactement la quasi-totalité des philosophes) écrivent essentiellement pour démontrer la vérité de leurs théories et démontrer la fausseté de celles des philosophes concurrents.
Il me semble également très douteux de dire "qu'on est libre de ne pas croire" à un système philosophique, quoique ce soit malheureusement une conception (je dirais même un contresens) très répandue sur la nature de la philosophie. Si vraiment on est libre d'adhérer à telle philosophie plutôt qu'à telle autre, comme on est libre d'aimer le fromage de brebis ou non, je ne vois pas tellement ce qui distingue la philosophie de la religion. Or la philosophie s'est constituée en grande partie en opposition avec la religion, en ceci essentiellement qu'elle exige des justifications rationnelles là où la religion impose des dogmes. Et on n'est pas libre de croire ou non à des justifications rationnelles : on doit y adhérer ou bien en montrer l'insuffisance, exactement comme dans toute démarche scientifique sérieuse.
C'est la raison pour laquelle on peut très bien prétendre qu'un système philosophique est faux, exactement comme on peut prétendre qu'un système scientifique est faux. On peut montrer son manque de cohérence interne, par exemple, ou son indéquation avec l'expérience, ou le caractère infondé de ses propositions fondamentales. Bref, on procède là encore comme on procède en face de toute proposition ou système théorique qu'on veut réfuter.
Ca me rappelle un professeur de philosophie qui soutenait récemment ici même que le finalisme d'Aristote n'était pas réfuté par le darwinisme, parce qu'en gros philosophie et science se situeraient sur deux plans différents, qui ne communiquent pas. Je trouve ça consternant pour toutes les raisons que j'expose plus haut et plus bas, mais aussi pour une raison importante qu'il faut mentionner, c'est que la distinction entre philosophie et sciences telle qu'on la pense aujourd'hui date du XIXe siècle. A l'époque d'Aristote, elle est très loin d'être en vigueur, et le finalisme d'Aristote appartient donc aussi bien à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa physique qu'à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa philosophie. Il se situe donc bien évidemment sur le même plan scientifique que la théorie de Darwin, pour peu qu'on ne se laisse pas avoir par la différence historique des découpages disciplinaires. Et ça vaut évidemment pour n'importe quelle théorie dite "philosophique" à laquelle la science exacte contemporaine vient infliger un démenti.
Dans la même veine, j'ai lu :
Ben si, carrément. Penser un système philosophique en terme de fausseté ou de vérité est ce qui s'est fait en philosophie pendant au moins 25 siècles et ce qui se fait encore aujourd'hui tout naturellement dans la tradition analytique, par exemple. Il y a évidemment des traditions concurrentes, comme la sophistique par exemple, mais elles sont très minoritaires dans la tradition philosophique.
Plus loin, tu réponds :
à Zagara qui proposait une vision de la philosophie à peu près conforme à celle que je viens d'esquisser. Mais sérieusement, tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça ? Si par "philosophe" tu entends tes anciens potes de fac ou tes collègues, je peux comprendre ; mais si tu entends aussi par là les grands penseurs de la tradition, ce qui serait bien normal, c'est assez aberrant. Pour taquiner, je serais tenté de dire que si tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça, c'est que tu ne connais pas un philosophe tout court. Mais je pense que tu connais Aristote, Descartes, Hobbes, Leibniz, Spinoza, Locke, Berkeley, Condillac, Kant, Schopenhauer ou Russell, par exemple, qui pensent en réalité tous exactement comme ça. Et bien évidemment j'en oublie des dizaines.
Et sérieusement, quand vous lisez, par exemple, les Méditations métaphysiques de Descartes, vous croyez qu'il fait quoi, Descartes ? Qu'il écrit un poème ? Qu'il fonde une religion ? Qu'il raconte un conte de fées ? Il est quand même plus qu'évident que Descartes propose une série de thèses qu'ils juge vraies, et qu'il produit des argumentaires pour établir leur vérité et en convaincre le lecteur, en passant périodiquement par la réfutation d'objections possibles. Vous pensez que les longs argumentaires en lesquels consiste l'essentiel de la quasi-totalité des ouvrages classiques de philosophie sont là juste pour rigoler, et que l'auteur en réalité se moque de prouver la vérité de son système et la fausseté des systèmes adverses ? Franchement, ça me dépasse qu'on puisse avoir lu des classiques de la philosophie et dire ensuite sérieusement, comme s'il s'agissait d'une évidence absolue, qu'elle ne vise pas la vérité, et qu'on est libre d'adhérer à tel ou tel système.
Alors bon, je comprends qu'on fasse un usage très personnel et qu'on ait une vision tout aussi personnelle de la philosophie, qu'on la considère comme un répertoire de systèmes ni vrais ni faux dans lesquels on papillonne selon nos goûts, et non comme une discipline théorique qui vise le vrai ; je comprends aussi qu'on aime s'asseoir sur des pianos et faire de la musique avec des tabourets.
Mais il faut être conscient que c'est un rapport à la philosophie qui contredit 90% de la tradition (bien qu'il soit conforme à une certaine pratique philosophique essentiellement contemporaine et très française). Mais j'ai souvent l'impression que les gens qui défendent comme vous cette vision très spécifique de la philosophie croient qu'elle est une évidence, et ne se rendent même pas compte que ce faisant ils contredisent la quasi-totalité des philosophes, donc ce qu'a été la philosophie historiquement. C'est bien évidemment un droit, mais encore faut-il être conscient de la spécificité de cette position. Malheureusement, je constate qu'il s'agit plus d'un dogme conforme au relativisme ambiant et d'une dérive historisante inconsciente que d'une réinterprétation réfléchie de la pratique philosophique. Et ça montre que ce relativisme dogmatique qu'on déplore à juste titre chez nombre d'élèves a aussi très largement contaminé les professeurs.
Le problème vient partiellement du rapprochement à mon sens totalement erroné entre philosophie et littérature. Les esprits littéraires déambulent dans les rayons de l'histoire de la littérature et choisissent de s'intéresser à Rabelais, ou à Molière, ou à Céline, selon leur tempérament, et ils croient naïvement qu'on peut déambuler et faire son choix exactement de la même manière dans les rayons de l'histoire de la philosophie, probablement au motif que comme la littérature elle s'exprime la plupart du temps en langage ordinaire. Mais c'est une confusion grave, parce que l'identité du moyen (le langage ordinaire) ne signifie l'identité de la fin. Comme l'a bien dit Zagara, la littérature et l'art en général visent le beau, tandis que la philosophie et la science en général visent le vrai. Ce n'est pas parce qu'un livre de philosophie, ou d'histoire, ou de sociologie, est écrit en langage ordinaire, que comme la littérature elles doivent écarter la discrimination et la hiérarchisation en termes de vérité et de fausseté.
En passant, il suffit de comparer le nombre de philosophes scientifiques (sciences exactes ou humaines) avec le nombre de philosophes écrivains pour se rendre compte que la philosophie a infiniment plus d'affinités avec la science qu'avec la littérature. Et c'est tout simplement parce que comme la science elle cherche à produire des théories vraies, et non des beaux textes.
Bref, pour pasticher l'Académie de Platon, je crois qu'il serait bon d'inscrire à l'entrée des facultés de philosophie : "Que nul n'entre ici s'il est littéraire" .
Je suis tout à fait d'accord avec ça : le but ultime de la philosophie peut-être considéré comme étant de trouver le meilleur système du point de vue de la vérité, sans pour autant que les professeurs de philosophie ait déontologiquement le droit de présenter tel système comme étant ce système idéal. Sur ce point, la philosophie se distingue évidemment de la science exacte, car un professeur de physique peut évidemment discriminer ce qui est scientifiquement bien établi et ce qui ne l'est pas sans contrevenir à son devoir de neutralité. Et cet apparent paradoxe s'explique de la façon suivante : ce n'est pas que la philosophie soit moins attachée à la vérité que la science, mais c'est qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'y a toujours pas de consensus de la communauté philosophique sur ce qu'est le bon paradigme, alors que c'est évidemment le cas dans les sciences exactes.
Comme le montre le reste de mon message, je suis absolument d'accord avec toi concernant la nature scientifique de la philosophie, mais je crois que tu te trompes sur ce point. Des gens aussi sérieux scientifiquement que Russell, Frege ou Gödel, qui incarnent la science et la philosophie dans ce qu'elles ont de plus rigoureux, ont adhéré à une forme de platonisme.
C'est la pratique de la philosophie à laquelle je souscris, mais je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est là toute la philosophie contemporaine. Tu fais référence à la philosophie analytique, mais ce n'est absolument pas la tradition dominante en France par exemple !
DesolationRow a écrit:Je pense que la phrase « ce que pense Augustin sur le destin est faux » n’a pas grand sens. Il a construit un système (déjà, c’est vite dit) auquel on est libre de ne pas croire, mais je serais très curieux de savoir comment on peut prétendre que ce système est « faux ».
Je ne vois pas en quoi une phrase de la forme "ce que pense tel philosophe sur tel sujet est faux" est nécessairement dépourvue de sens. Elle me semble aussi sensée qu'une phrase de la forme "ce que pense tel scientifique sur tel sujet est faux". Et je crois qu'il suffit d'avoir un tout petit peu de culture philosophique pour avoir lu des centaines d'occurrences de phrases de cette forme dans les ouvrages classiques de l'histoire de la philosophie, puisque les philosophes (ou plus exactement la quasi-totalité des philosophes) écrivent essentiellement pour démontrer la vérité de leurs théories et démontrer la fausseté de celles des philosophes concurrents.
Il me semble également très douteux de dire "qu'on est libre de ne pas croire" à un système philosophique, quoique ce soit malheureusement une conception (je dirais même un contresens) très répandue sur la nature de la philosophie. Si vraiment on est libre d'adhérer à telle philosophie plutôt qu'à telle autre, comme on est libre d'aimer le fromage de brebis ou non, je ne vois pas tellement ce qui distingue la philosophie de la religion. Or la philosophie s'est constituée en grande partie en opposition avec la religion, en ceci essentiellement qu'elle exige des justifications rationnelles là où la religion impose des dogmes. Et on n'est pas libre de croire ou non à des justifications rationnelles : on doit y adhérer ou bien en montrer l'insuffisance, exactement comme dans toute démarche scientifique sérieuse.
C'est la raison pour laquelle on peut très bien prétendre qu'un système philosophique est faux, exactement comme on peut prétendre qu'un système scientifique est faux. On peut montrer son manque de cohérence interne, par exemple, ou son indéquation avec l'expérience, ou le caractère infondé de ses propositions fondamentales. Bref, on procède là encore comme on procède en face de toute proposition ou système théorique qu'on veut réfuter.
Ca me rappelle un professeur de philosophie qui soutenait récemment ici même que le finalisme d'Aristote n'était pas réfuté par le darwinisme, parce qu'en gros philosophie et science se situeraient sur deux plans différents, qui ne communiquent pas. Je trouve ça consternant pour toutes les raisons que j'expose plus haut et plus bas, mais aussi pour une raison importante qu'il faut mentionner, c'est que la distinction entre philosophie et sciences telle qu'on la pense aujourd'hui date du XIXe siècle. A l'époque d'Aristote, elle est très loin d'être en vigueur, et le finalisme d'Aristote appartient donc aussi bien à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa physique qu'à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa philosophie. Il se situe donc bien évidemment sur le même plan scientifique que la théorie de Darwin, pour peu qu'on ne se laisse pas avoir par la différence historique des découpages disciplinaires. Et ça vaut évidemment pour n'importe quelle théorie dite "philosophique" à laquelle la science exacte contemporaine vient infliger un démenti.
Dans la même veine, j'ai lu :
Ponocrates a écrit:C'est la façon de voir de Platon : la question n'est pas de savoir si on doit y adhérer ou non.
Ben si, carrément. Penser un système philosophique en terme de fausseté ou de vérité est ce qui s'est fait en philosophie pendant au moins 25 siècles et ce qui se fait encore aujourd'hui tout naturellement dans la tradition analytique, par exemple. Il y a évidemment des traditions concurrentes, comme la sophistique par exemple, mais elles sont très minoritaires dans la tradition philosophique.
Plus loin, tu réponds :
DesolationRaw a écrit:Sans blague, je crois que je ne connais pas un philosophe qui pense comme ça.
à Zagara qui proposait une vision de la philosophie à peu près conforme à celle que je viens d'esquisser. Mais sérieusement, tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça ? Si par "philosophe" tu entends tes anciens potes de fac ou tes collègues, je peux comprendre ; mais si tu entends aussi par là les grands penseurs de la tradition, ce qui serait bien normal, c'est assez aberrant. Pour taquiner, je serais tenté de dire que si tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça, c'est que tu ne connais pas un philosophe tout court. Mais je pense que tu connais Aristote, Descartes, Hobbes, Leibniz, Spinoza, Locke, Berkeley, Condillac, Kant, Schopenhauer ou Russell, par exemple, qui pensent en réalité tous exactement comme ça. Et bien évidemment j'en oublie des dizaines.
Et sérieusement, quand vous lisez, par exemple, les Méditations métaphysiques de Descartes, vous croyez qu'il fait quoi, Descartes ? Qu'il écrit un poème ? Qu'il fonde une religion ? Qu'il raconte un conte de fées ? Il est quand même plus qu'évident que Descartes propose une série de thèses qu'ils juge vraies, et qu'il produit des argumentaires pour établir leur vérité et en convaincre le lecteur, en passant périodiquement par la réfutation d'objections possibles. Vous pensez que les longs argumentaires en lesquels consiste l'essentiel de la quasi-totalité des ouvrages classiques de philosophie sont là juste pour rigoler, et que l'auteur en réalité se moque de prouver la vérité de son système et la fausseté des systèmes adverses ? Franchement, ça me dépasse qu'on puisse avoir lu des classiques de la philosophie et dire ensuite sérieusement, comme s'il s'agissait d'une évidence absolue, qu'elle ne vise pas la vérité, et qu'on est libre d'adhérer à tel ou tel système.
Alors bon, je comprends qu'on fasse un usage très personnel et qu'on ait une vision tout aussi personnelle de la philosophie, qu'on la considère comme un répertoire de systèmes ni vrais ni faux dans lesquels on papillonne selon nos goûts, et non comme une discipline théorique qui vise le vrai ; je comprends aussi qu'on aime s'asseoir sur des pianos et faire de la musique avec des tabourets.
Mais il faut être conscient que c'est un rapport à la philosophie qui contredit 90% de la tradition (bien qu'il soit conforme à une certaine pratique philosophique essentiellement contemporaine et très française). Mais j'ai souvent l'impression que les gens qui défendent comme vous cette vision très spécifique de la philosophie croient qu'elle est une évidence, et ne se rendent même pas compte que ce faisant ils contredisent la quasi-totalité des philosophes, donc ce qu'a été la philosophie historiquement. C'est bien évidemment un droit, mais encore faut-il être conscient de la spécificité de cette position. Malheureusement, je constate qu'il s'agit plus d'un dogme conforme au relativisme ambiant et d'une dérive historisante inconsciente que d'une réinterprétation réfléchie de la pratique philosophique. Et ça montre que ce relativisme dogmatique qu'on déplore à juste titre chez nombre d'élèves a aussi très largement contaminé les professeurs.
Le problème vient partiellement du rapprochement à mon sens totalement erroné entre philosophie et littérature. Les esprits littéraires déambulent dans les rayons de l'histoire de la littérature et choisissent de s'intéresser à Rabelais, ou à Molière, ou à Céline, selon leur tempérament, et ils croient naïvement qu'on peut déambuler et faire son choix exactement de la même manière dans les rayons de l'histoire de la philosophie, probablement au motif que comme la littérature elle s'exprime la plupart du temps en langage ordinaire. Mais c'est une confusion grave, parce que l'identité du moyen (le langage ordinaire) ne signifie l'identité de la fin. Comme l'a bien dit Zagara, la littérature et l'art en général visent le beau, tandis que la philosophie et la science en général visent le vrai. Ce n'est pas parce qu'un livre de philosophie, ou d'histoire, ou de sociologie, est écrit en langage ordinaire, que comme la littérature elles doivent écarter la discrimination et la hiérarchisation en termes de vérité et de fausseté.
En passant, il suffit de comparer le nombre de philosophes scientifiques (sciences exactes ou humaines) avec le nombre de philosophes écrivains pour se rendre compte que la philosophie a infiniment plus d'affinités avec la science qu'avec la littérature. Et c'est tout simplement parce que comme la science elle cherche à produire des théories vraies, et non des beaux textes.
Bref, pour pasticher l'Académie de Platon, je crois qu'il serait bon d'inscrire à l'entrée des facultés de philosophie : "Que nul n'entre ici s'il est littéraire" .
Ponocrates a écrit:j'insiste toujours sur le fait que ma perspective est historique et littéraire et que chacun est libre de croire ce qu'il veut.
Je suis tout à fait d'accord avec ça : le but ultime de la philosophie peut-être considéré comme étant de trouver le meilleur système du point de vue de la vérité, sans pour autant que les professeurs de philosophie ait déontologiquement le droit de présenter tel système comme étant ce système idéal. Sur ce point, la philosophie se distingue évidemment de la science exacte, car un professeur de physique peut évidemment discriminer ce qui est scientifiquement bien établi et ce qui ne l'est pas sans contrevenir à son devoir de neutralité. Et cet apparent paradoxe s'explique de la façon suivante : ce n'est pas que la philosophie soit moins attachée à la vérité que la science, mais c'est qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'y a toujours pas de consensus de la communauté philosophique sur ce qu'est le bon paradigme, alors que c'est évidemment le cas dans les sciences exactes.
Zagara a écrit:la conception platonicienne du monde des idées est obsolète
Comme le montre le reste de mon message, je suis absolument d'accord avec toi concernant la nature scientifique de la philosophie, mais je crois que tu te trompes sur ce point. Des gens aussi sérieux scientifiquement que Russell, Frege ou Gödel, qui incarnent la science et la philosophie dans ce qu'elles ont de plus rigoureux, ont adhéré à une forme de platonisme.
Zagara a écrit:Actuellement, la philosophie est devenue une branche de la logique et est plus proche des mathématiques que des lettres. Elle exploite des langages formels qui articulent des arguments pour essayer de trouver des résultats probables, en intégrant aussi les avancées des autres sciences. Dans ce modèle, on peut réfuter des propositions pleinement.
C'est la pratique de la philosophie à laquelle je souscris, mais je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est là toute la philosophie contemporaine. Tu fais référence à la philosophie analytique, mais ce n'est absolument pas la tradition dominante en France par exemple !
- ZagaraGuide spirituel
Merci je me sens moins seule alors que j'avais le sentiment d'avancer des choses pourtant assez communes, puisque je ne faisais que répéter, étant en ce domaine une étudiante un peu formelle et limitée, ce que j'avais entendu ailleurs et qui me semblait le plus juste parmi les propositions avancées. Ça m'a fait un peu bizarre de ne pas trouver de consensus sur ces questions.
- MeerschNiveau 6
J'ai ajouté deux paragraphes à mon message, "Ca me rappelle..." et "Et sérieusement..." .
Tu as dû entendre parler du clivage entre philosophie analytique et philosophie continentale. La vision de la philosophie que tu défends ici relève de la première tradition (Russell, Frege, aujourd'hui Bouveresse), qui est majoritaire dans les facultés de philosophie anglo-saxonnes (mais minoritaires dans les facultés de lettres et de sciences humaines de ces mêmes pays ou règne au contraire paradoxalement la philosophie continentale d'inspiration française !), tandis que celle à laquelle tu t'opposes relève de la seconde tradition, qui est majoritaire en France (avec les Foucault, les Derrida, les Deleuze...).
A mon sens, la philosophie analytique est la continuation de la philosophie historique, attachée à l'objectif de vérité, tandis que la philosophie continentale est assez largement un héritage de la sophistique antique (sans qu'il faille nécessairement y voir une dimension péjorative).
Et du coup, on est très très loin du consensus sur la vocation scientifique de la philosophie. Je dirais même, d'après mon expérience, que le consensus se fait plutôt très très nettement autour du relativisme et de l'approche historique des doctrines. Comme je l'ai dit dans mon message précédent, souvent, on n'a même pas conscience qu'il peut y avoir débat sur la question : au mieux on juge la prétention de la philosophie à la vérité comme un objectif évidemment démodé et réactionnaire, au pire on n'en a même pas conscience du tout. C'est un peu comme si des gens passaient leur vie à étudier les fourchettes sans jamais prendre en compte le fait qu'elles servent à manger. Et, si je puis me permettre, ce sont rarement les esprits les plus rigoureux qui défendent cette vision de la philosophie .
Tu as dû entendre parler du clivage entre philosophie analytique et philosophie continentale. La vision de la philosophie que tu défends ici relève de la première tradition (Russell, Frege, aujourd'hui Bouveresse), qui est majoritaire dans les facultés de philosophie anglo-saxonnes (mais minoritaires dans les facultés de lettres et de sciences humaines de ces mêmes pays ou règne au contraire paradoxalement la philosophie continentale d'inspiration française !), tandis que celle à laquelle tu t'opposes relève de la seconde tradition, qui est majoritaire en France (avec les Foucault, les Derrida, les Deleuze...).
A mon sens, la philosophie analytique est la continuation de la philosophie historique, attachée à l'objectif de vérité, tandis que la philosophie continentale est assez largement un héritage de la sophistique antique (sans qu'il faille nécessairement y voir une dimension péjorative).
Et du coup, on est très très loin du consensus sur la vocation scientifique de la philosophie. Je dirais même, d'après mon expérience, que le consensus se fait plutôt très très nettement autour du relativisme et de l'approche historique des doctrines. Comme je l'ai dit dans mon message précédent, souvent, on n'a même pas conscience qu'il peut y avoir débat sur la question : au mieux on juge la prétention de la philosophie à la vérité comme un objectif évidemment démodé et réactionnaire, au pire on n'en a même pas conscience du tout. C'est un peu comme si des gens passaient leur vie à étudier les fourchettes sans jamais prendre en compte le fait qu'elles servent à manger. Et, si je puis me permettre, ce sont rarement les esprits les plus rigoureux qui défendent cette vision de la philosophie .
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Meersch a écrit:Il me semble également très douteux de dire "qu'on est libre de ne pas croire" à un système philosophique, quoique ce soit malheureusement une conception (je dirais même un contresens) très répandue sur la nature de la philosophie.
Pour ma part, je serais peut-être même plus radical encore: d'une part, je continue à ne pas du tout comprendre quel sens pourrait avoir la proposition “je suis libre de croire X”, car ou bien “libre” signifie en réalité: “j'ai déjà des croyances et je tiens à les conserver”, ou bien “croire” signifie qu'on adhère à une pensée en profondeur et alors on se demande bien comment on pourrait prétendre qu'on en change comme on change de chaussettes…
Quant à “libre de croire ou non à un système philosophique” (passons sur le fait que toutes les philosophies ne sont pas des systèmes et ajoutons “ou à des styles philosophiques”, etc.), c'est un peu la même chose. Je n'ai encore jamais rencontré, depuis plus de 35 ans que je m'amuse à philosopher, qui que ce soit qui dise cela, d'aucun philosophe et qui ne se trouve pas en réalité dans l'un des deux positions suivantes: soit il n'avait en réalité pas eu accès audit philosophe (à son texte) et n'en avait tout simplement pas connaissance (cas le plus courant), soit il voulait dire qu'après avoir étudié (mettons) Descartes, puis (mettons) Leibniz et Kant, il pensait être libre de tenir plus raisonnable (par ex. le troisième). Or, dans le premier cas, celui qui veut dire “je suis libre de ne pas croire à telle philosophie” dit en réalité qu'il préfère ne pas la connaître du tout, parce qu'il préfère ses propres opinions et ne veut pas en changer (les philosophes sont des “idiots” ou des “fous”); et, dans le second, il ne s'agit pas d'être libre de croire ou non telle ou telle philosophie, mais de peser rationnellement ou de manière critique leur valeur relative et comparée…
À quoi j'ajoute pour faire bonne mesure, que ça a à peu près autant de sens que si l'on disait “je suis libre de croire ou non à la littérature”, ou encore “je suis libre de croire ou non que la terre est cubique”…
Et, vu que je sais par expérience qu'il ne faut jamais tenir le discours que je viens de tenir (lequel n'amuse que moi et fâche le plus grand nombre), j'ai trouvé comme réponse la suivante: “tu n'y crois pas, c'est formidable, ça en fera plus pour moi”!
N.B. quant à la question de savoir si la philosophie est une “science” — en dehors des tropismes nationaux anglo-saxons (nord-américains: à condition d'oublier, et la liste n'est pas plus exhaustive que due au hasard, Arendt, Voegelin, Strauss, ou encore Charles Taylor……), ou français (faisons exprès de parler un langage obscur et incompréhensible: mode récente car, de Montaigne à Camus ou Sarte, en passant par Diderot, Condorcet, Rousseau et pas mal d'autres, on n'a pas vraiment cette impression): disons que la signification attribuée au mot “science” est pour le moins flottante, d'une part, et fort récente de l'autre, sans pouvoir prétendre à abolir entièrement toute autre approche. N'en déplaise à Bouveresse, dont j'ai lu les livres avec plaisir et qui m'a beaucoup appris, j'ai beau chercher, je ne vois absolument pas en quoi sa position “annulerait” celle du scepticisme académicien, ou celle d'un philosophe comme Foucault (et ce, même si on fait l'erreur habituel d'oublier à quel point il était proche d'un Canguilhem, à quel point ce dernier, qui n'avait pourtant pas l'habitude de tolérer les billevesées, en appréciait les travaux). On a plutôt l'impression que ça ne communique pas et qu'ils ne parlent absolument pas de la même chose
Cdlt
_________________
Si tu vales valeo.
- ZagaraGuide spirituel
@Meersch : Au lieu d'aller chercher une référence antique qui n'a pas de filiation dans notre société, je pense plutôt que ce sont les méthodes de l'histoire et de l'anthropologie qui ont influencé la philosophie en France, à cause de la haute qualité des productions (meilleure école historique du monde combattez-moi), des chercheurs marquants et de l'importance, en général, de ces deux sciences humaines dans la fabrique de la pensée française.
Or, en histoire, on accepte tout à fait qu'il puisse y avoir plusieurs interprétations concurrentes et pourtant toutes justes sur un même objet. Entre autres parce qu'il y a une matière au centre, la source, qui parce qu'elle est peut être questionnée de différentes manières, prises sous divers angles, peut faire émerger des interprétations concurrentes. Par ailleurs, on travaille des réalités humaines, ce qui signifie qu'on est sans cesse confronté à la culture, l'aléa, l'erreur, l'opinion, portés par les agents historiques qui ont laissé ces traces. On va nécessairement avoir un régime de vérité différent des sciences naturelles ou des mathématiques (parce qu'on a des singes, parfois attardés, qui dansent au milieu du modèle rationnel qu'on essaye d'édifier). On doit intégrer la contingence inhérente au facteur humain. Ces deux raisons (la source à interpréter et manipuler de l'humain) font que, si l'histoire adhère à une démarche scientifique, elle n'a pas pour ambition d'établir une vérité univoque (mythique), comme s'il ne pouvait y avoir qu'un seul regard "objectif" dans et sur une société constituée par de multiples sujets agités (et non par des forces élémentaires amorales et déterministes).
Au contraire, en philosophie, puisqu'il s'agit d'un travail d'abstraction et de logique, et non de tentative d'explication des actions erratiques préexistantes d'agents ordinaires, on devrait pouvoir trouver une proposition universellement valide, quel que soit l'interlocuteur auquel on s'adresse, quelle que soit sa culture, tout comme on doit acquiescer à une proposition mathématique.
Or, en histoire, on accepte tout à fait qu'il puisse y avoir plusieurs interprétations concurrentes et pourtant toutes justes sur un même objet. Entre autres parce qu'il y a une matière au centre, la source, qui parce qu'elle est peut être questionnée de différentes manières, prises sous divers angles, peut faire émerger des interprétations concurrentes. Par ailleurs, on travaille des réalités humaines, ce qui signifie qu'on est sans cesse confronté à la culture, l'aléa, l'erreur, l'opinion, portés par les agents historiques qui ont laissé ces traces. On va nécessairement avoir un régime de vérité différent des sciences naturelles ou des mathématiques (parce qu'on a des singes, parfois attardés, qui dansent au milieu du modèle rationnel qu'on essaye d'édifier). On doit intégrer la contingence inhérente au facteur humain. Ces deux raisons (la source à interpréter et manipuler de l'humain) font que, si l'histoire adhère à une démarche scientifique, elle n'a pas pour ambition d'établir une vérité univoque (mythique), comme s'il ne pouvait y avoir qu'un seul regard "objectif" dans et sur une société constituée par de multiples sujets agités (et non par des forces élémentaires amorales et déterministes).
Au contraire, en philosophie, puisqu'il s'agit d'un travail d'abstraction et de logique, et non de tentative d'explication des actions erratiques préexistantes d'agents ordinaires, on devrait pouvoir trouver une proposition universellement valide, quel que soit l'interlocuteur auquel on s'adresse, quelle que soit sa culture, tout comme on doit acquiescer à une proposition mathématique.
- MeerschNiveau 6
La filiation que tu indiques est sans doute juste mais il y a bel et bien une filiation intellectuelle très apparente de la philosophie continentale avec la sophistique, qu'on peut facilement recomposer sur la base des déclarations des philosophes eux-mêmes (Nietzsche réhabilite explicitement la sophistique et Foucault ou Deleuze sont ouvertement nietzschéens, par exemple). C'est loin d'être une filiation hypothétique ou controuvée .
En tout cas je te remercie pour tes précédents messages, ça fait quand même du bien de voir que le bon sens n'est pas totalement mort.
En tout cas je te remercie pour tes précédents messages, ça fait quand même du bien de voir que le bon sens n'est pas totalement mort.
- DesolationRowEmpereur
Inutile de dire que je ne crois pas un instant que la philosophie soit une foire aux opinions interchangeables. Mais je repose ma question : qui dans l’histoire de la philosophie a prouvé que ce qu’écrivait Augustin sur le destin était « faux » ? Ma curiosité vaut aussi pour Platon d'ailleurs.
Bon cela dit on voit aisément que le problème tient essentiellement à la section de la philosophie qui est discutée dans le fil.
Bon cela dit on voit aisément que le problème tient essentiellement à la section de la philosophie qui est discutée dans le fil.
- MeerschNiveau 6
On aimerait que tu développes un petit peu tes considérations sur le sujet, là on ne comprend pas bien ta position.
Personne n'a dit que quelqu'un, de fait, avait définitivement prouvé la fausseté de ces théories. Pour ma part, j'affirme simplement qu'il est possible, en droit, de prouver la fausseté d'une théorie philosophique ou de démontrer sa vérité, et que c'est ce que font les philosophes dans leurs ouvrages, du fait que la philosophie est une discipline théorique comme les autres.
Personne n'a dit que quelqu'un, de fait, avait définitivement prouvé la fausseté de ces théories. Pour ma part, j'affirme simplement qu'il est possible, en droit, de prouver la fausseté d'une théorie philosophique ou de démontrer sa vérité, et que c'est ce que font les philosophes dans leurs ouvrages, du fait que la philosophie est une discipline théorique comme les autres.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
DesolationRow a écrit:Inutile de dire que je ne crois pas un instant que la philosophie soit une foire aux opinions interchangeables. Mais je repose ma question : qui dans l’histoire de la philosophie a prouvé que ce qu’écrivait Augustin sur le destin était «faux»?
Sur le destin au sens de la prédétermination par les astres, à ma connaissance, personne (en philosophie en tout cas — sauf si on admet que l'expression ancienne “philosophie naturelle” désigne bien de la philosophie et que l'on tient compte des oeuvres de Kepler sur l'astrologie).
Sur le destin au sens de la providence: ils sont nombreux à refuser le concept lui-même (de Spinoza à voltaire et au-delà) — mais refuser le concept en tentant d'en prouver la vacuité, ou le réfuter en argumentant à partir des événements dans le monde, ce sont des choses assez différentes…
Quant à ce qu'il a écrit sur le destin au sens de la grâce (qu'elle soit prévenante, efficace ou autre), c'est à se demander si, à part lui, il y a jamais eu qui que ce soit pour en penser la même chose tant les expositions de cette partie de sa théologie diffèrent les unes des autres, jusqu'au point d'alimenter nombre de conflits entre ceux qui prétendent en détenir la vraie doctrine et leurs adversaires, qu'ils appellent hérétiques…
Cela dit, je comprends bien les mots de ta question — mais pas son intention, ni où tu veux en venir… Tu penses à un enchaînement des pensées philosophiques sous la forme d'une “réfutation des erreurs du passé”? Mettons: mais à condition d'ajouter que c'est ce que font…… tous les philosophes sans exception…
Cdlt
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
epekeina.tes.ousias a écrit:Tu penses à un enchaînement des pensées philosophiques sous la forme d'une “réfutation des erreurs du passé”? Mettons: mais à condition d'ajouter que c'est ce que font…… tous les philosophes sans exception…
Cdlt
Ça a commencé comme ça :
Zagara a écrit:...l'histoire des idées, ce n'est pas fétichiser des autorités, c'est montrer comment la pensée progresse par erreurs, tâtonnements, et réfutation des thèses antérieures. Il me semble qu'on peut affirmer sans trop se mouiller que tout ce que pensait Augustin sur le destin est faux aux yeux des avancées de la logique et de la philosophie moderne. Tout comme la conception platonicienne du monde des idées est obsolète. La philosophie est une science de la logique aussi parce qu'elle est capable d'abandonner ses totems lorsqu'ils sont prouvés faux ; tout comme on ne conserve pas Ptolémée ou Aristote en cosmologie, tout comme on a beaucoup amendé Galilée en physique, etc. Il y a certaines autorités très anciennes qui résistent (comme Euclide), mais tout simplement parce que leur raisonnement résiste aux attaques des scientifiques, y compris après la formalisation du langage scientifique (la géométrie non-euclidienne s'ajoute à l'euclidienne sans la réfuter).
- ZagaraGuide spirituel
Je vais être directe : il faut arrêter de défendre des thèses grotesques parce qu'il y a le beau nom d'une grande autorité dessus.
Toute pensée arguant d'une prédestination, c'est-à-dire d'un destin des humains fixé à l'avance par un être imaginaire ou des forces cosmiques, ou même plus généralement par une force invisible non-prouvée, est grotesque aux yeux des avancées en épistémologie de l'histoire. Je renvoie à tout ce qui a été dit avant, aux réflexions actuelles sur la place de la contingence en histoire, etc. Dire que l'histoire est déterminée à l'avance à un historien est égal à se pointer face à un physicien et lui dire que le soleil tourne autour de la terre.
Là désolée, mais cette thèse, prise au premier degré, que ce soit sous sa forme astrologique ou mystique, est in-dé-fen-dable, si on parle sur le plan scientifique. Après, sur un autre plan, chacun est libre de croire à ce qu'il veut, et de peupler sa vie d'êtres imaginaires, parce que c'est vrai que l'abîme, néant absurde et glauque, nous regarde, nous attend, nous prendra ; je comprends qu'avoir des doudous pour l'affronter, c'est quand même plus sympa (même si au final ça ne change rien : on aura tous une perte définitive de conscience, les cadavres ne pensent pas). Mais je ne peux pas accepter qu'on élève ses croyances à l'état de vérités et qu'on prétende qu'elles sont irréfutables, aussi grotesques soient-elles (parce que oui, sur le plan scientifique, la prédestination divine déterministe, c'est grotesque).
Désolée mais ce genre de mélange des genres m'énerve. Les articles de foi ne sont pas des thèses scientifiques.
Toute pensée arguant d'une prédestination, c'est-à-dire d'un destin des humains fixé à l'avance par un être imaginaire ou des forces cosmiques, ou même plus généralement par une force invisible non-prouvée, est grotesque aux yeux des avancées en épistémologie de l'histoire. Je renvoie à tout ce qui a été dit avant, aux réflexions actuelles sur la place de la contingence en histoire, etc. Dire que l'histoire est déterminée à l'avance à un historien est égal à se pointer face à un physicien et lui dire que le soleil tourne autour de la terre.
Là désolée, mais cette thèse, prise au premier degré, que ce soit sous sa forme astrologique ou mystique, est in-dé-fen-dable, si on parle sur le plan scientifique. Après, sur un autre plan, chacun est libre de croire à ce qu'il veut, et de peupler sa vie d'êtres imaginaires, parce que c'est vrai que l'abîme, néant absurde et glauque, nous regarde, nous attend, nous prendra ; je comprends qu'avoir des doudous pour l'affronter, c'est quand même plus sympa (même si au final ça ne change rien : on aura tous une perte définitive de conscience, les cadavres ne pensent pas). Mais je ne peux pas accepter qu'on élève ses croyances à l'état de vérités et qu'on prétende qu'elles sont irréfutables, aussi grotesques soient-elles (parce que oui, sur le plan scientifique, la prédestination divine déterministe, c'est grotesque).
Désolée mais ce genre de mélange des genres m'énerve. Les articles de foi ne sont pas des thèses scientifiques.
- EuthyphronNiveau 6
Allons allons, un peu de calme!Zagara a écrit:Je vais être directe : il faut arrêter de défendre des thèses grotesques parce qu'il y a le beau nom d'une grande autorité dessus.
Toute pensée arguant d'une prédestination, c'est-à-dire d'un destin des humains fixé à l'avance par un être imaginaire ou des forces cosmiques, ou même plus généralement par une force invisible non-prouvée, est grotesque aux yeux des avancées en épistémologie de l'histoire.
Il est grotesque d'énoncer une prétendue vérité qui commence par "toute pensée". Comment pourrais-tu avoir la connaissance de toutes les pensées invoquant la prédestination, non seulement toute pensée réelle, mais même toute pensée possible?
Certes, tu as raison si tu ajoutes subrepticement que ton axiome ne vaut que pour les pensées fausses, ce que tu fais en mentionnant un "être imaginaire" mais c'est une tautologie que de dire que toute pensée fausse est non vraie.
Je précise d'ailleurs que je suis a priori plutôt convaincu qu'en effet la croyance au destin est généralement illusoire, mais pas au point de condamner a priori "toute pensée". Ce serait une autre manière de prendre ses croyances pour des vérités absolues. ¨Pour te paraphraser, je dirai que les théories scientifiques n'ont pas à devenir des articles de foi. C'est vraiment très naïf que de croire que la "théorie des Idées" de Platon ou "tout ce que pensait Augustin" est obsolète, comme s'il existait quelque chose qui serait "la théorie des Idées" ou "tout ce que pensait Augustin". Cette manière scientiste de figer la pensée en dogmes abstraits participe d'un contresens complet sur ce qu'est l'entreprise philosophique.
Et par exemple, pour répondre à Desolation Row, il existe un texte où est réfutée ce que certains, plus ou moins bien renseignés, appellent la théorie des Idées. C'est le Parménide, de Platon. On trouve aussi d'autres éléments de critique dans le Sophiste, du même. Pour saint Augustin, je sais qu'il a écrit des Rétractations, mais je ne les ai pas lues, donc je m'abstiendrai d'en parler. Mais, bien entendu, chacun sait qu'il a beaucoup contribué à l'élaboration du concept de libre arbitre.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Ça a commencé comme ça :
Ah oui…… Le sceptique que je suis ne peux pas s'empêcher de remarquer que le défaut de ce type de position, c'est de postuler que toutes les questions relèveraient de la “science” (donc la philosophie aussi, ce qui est fort douteux: c'est plutôt une position de type dogmatiste scientiste), ici de plus définie comme “la pensée (logique) qui progresse par erreurs, tâtonnements, et réfutation des thèses antérieures” et comme “ce qui résiste aux attaques des scientifiques”. Or, il se trouve qu'un certain nombre de questions, en philosophie politique, en philosophie esthétique, en philosophie morale etc. — ne procèdent pas du tout comme ça…
De plus, c'est une postulation gratuite puisqu'une “non-science” (mettons une idéologie) peut être systématique et cohérente et résister aux attaques de ceux qu'elle dénonce comme “non-scientifiques”, et elle est très souvent intimement mêlée à “la science”. La science et la non-science, quand on les définit ainsi, se ressemblent comme le chien et le loup au crépuscule, voire plus…
N.B. Il y a encore très peu de temps, en France, nombreux étaient les “historiens” (pas seulement les “philosophes”) qui proclamaient que l'histoire, obéissant à des lois nécessaires, était déterminée (par la lutte des classes) et destinée à la réalisation d'une fin (une société sans classe)…
Cdlt
Zagara a écrit:...l'histoire des idées, ce n'est pas fétichiser des autorités, c'est montrer comment la pensée progresse par erreurs, tâtonnements, et réfutation des thèses antérieures. Il me semble qu'on peut affirmer sans trop se mouiller que tout ce que pensait Augustin sur le destin est faux aux yeux des avancées de la logique et de la philosophie moderne. Tout comme la conception platonicienne du monde des idées est obsolète. La philosophie est une science de la logique aussi parce qu'elle est capable d'abandonner ses totems lorsqu'ils sont prouvés faux ; tout comme on ne conserve pas Ptolémée ou Aristote en cosmologie, tout comme on a beaucoup amendé Galilée en physique, etc. Il y a certaines autorités très anciennes qui résistent (comme Euclide), mais tout simplement parce que leur raisonnement résiste aux attaques des scientifiques, y compris après la formalisation du langage scientifique (la géométrie non-euclidienne s'ajoute à l'euclidienne sans la réfuter).
Ah oui…… Le sceptique que je suis ne peux pas s'empêcher de remarquer que le défaut de ce type de position, c'est de postuler que toutes les questions relèveraient de la “science” (donc la philosophie aussi, ce qui est fort douteux: c'est plutôt une position de type dogmatiste scientiste), ici de plus définie comme “la pensée (logique) qui progresse par erreurs, tâtonnements, et réfutation des thèses antérieures” et comme “ce qui résiste aux attaques des scientifiques”. Or, il se trouve qu'un certain nombre de questions, en philosophie politique, en philosophie esthétique, en philosophie morale etc. — ne procèdent pas du tout comme ça…
De plus, c'est une postulation gratuite puisqu'une “non-science” (mettons une idéologie) peut être systématique et cohérente et résister aux attaques de ceux qu'elle dénonce comme “non-scientifiques”, et elle est très souvent intimement mêlée à “la science”. La science et la non-science, quand on les définit ainsi, se ressemblent comme le chien et le loup au crépuscule, voire plus…
Zagara a écrit: Dire que l'histoire est déterminée à l'avance à un historien est égal à se pointer face à un physicien et lui dire que le soleil tourne autour de la terre.
N.B. Il y a encore très peu de temps, en France, nombreux étaient les “historiens” (pas seulement les “philosophes”) qui proclamaient que l'histoire, obéissant à des lois nécessaires, était déterminée (par la lutte des classes) et destinée à la réalisation d'une fin (une société sans classe)…
Cdlt
- MeerschNiveau 6
epekeina.tes.ousias a écrit:DesolationRow a écrit:Inutile de dire que je ne crois pas un instant que la philosophie soit une foire aux opinions interchangeables. Mais je repose ma question : qui dans l’histoire de la philosophie a prouvé que ce qu’écrivait Augustin sur le destin était «faux»?
Sur le destin au sens de la prédétermination par les astres, à ma connaissance, personne (en philosophie en tout cas — sauf si on admet que l'expression ancienne “philosophie naturelle” désigne bien de la philosophie et que l'on tient compte des oeuvres de Kepler sur l'astrologie).
Si, Augustin lui-même. Les Confessions témoignent du fait qu'il adhérait à l'astrologie dans sa jeunesse, mais c'est une croyance qu'il a plus tard rejetée et réfutée lui-même, notamment au début du cinquième livre de la Cité de Dieu à travers le fameux argument des jumeaux.
@DesolationRow J'aimerais savoir exactement quel est le sens de de ce que tu demandes. Est-ce que tu demandes 1° qui a essayé de réfuter la théorie augustinienne du destin ou la théorie platonicienne des Idées, ou bien 2° qui les a effectivement réfutées d'une manière qu'on pourrait qualifier de définitive ?
- MeerschNiveau 6
epekeina.tes.ousias a écrit:le défaut de ce type de position, c'est de postuler que toutes les questions relèveraient de la “science” (donc la philosophie aussi, ce qui est fort douteux: c'est plutôt une position de type dogmatiste scientiste), ici de plus définie comme “la pensée (logique) qui progresse par erreurs, tâtonnements, et réfutation des thèses antérieures” et comme “ce qui résiste aux attaques des scientifiques”. Or, il se trouve qu'un certain nombre de questions, en philosophie politique, en philosophie esthétique, en philosophie morale etc. — ne procèdent pas du tout comme ça…
De plus, c'est une postulation gratuite puisqu'une “non-science” (mettons une idéologie) peut être systématique et cohérente et résister aux attaques de ceux qu'elle dénonce comme “non-scientifiques”, et elle est très souvent intimement mêlée à “la science”. La science et la non-science, quand on les définit ainsi, se ressemblent comme le chien et le loup au crépuscule, voire plus…
Pour ma part, je dis que la philosophie appartient au même genre que la science au sens où elle vise grossièrement le même objectif (la vérité, ou quelque chose qui s'en rapproche) par les mêmes moyens (la justification rationnelle). Evidemment, il s'agit d'une définition très large qui permet de grandes différences spécifiques entre les sciences particulières, qui tourneront à mon avis autour du type de justification rationnelle mobilisée et de la méthode en général. Mais ces différences spécifiques ne doivent pas occulter l'identité fondamentale de ces deux démarches. C'est pourquoi la philosophie au sens antique comprenait aussi bien la philosophie morale que la philosophie naturelle, c'est-à-dire la physique ou les sciences de la nature. Toutes ces disciplines visaient à produire des théories vraies et rationnellement justifiées. Si la philosophie naturelle s'est autonomisée, ce n'est certainement pas parce qu'elle ou le reste de la philosophie aurait changé de fins et de moyens, mais parce qu'elle a fixé des méthodes spécifiques et qu'elle a mieux réussi que les autres parties de la philosophie (toujours au sens antique) à produire des théories vraies.
Maintenant, il y a le problème de la démarcation entre science et non-science, mais il faut bien comprendre ce qu'on entend par là. Les non-sciences, ce ne sont pas les domaines qui se distinguent radicalement de la science, comme la littérature ou la cuisine, mais bien les domaines qui ont les mêmes prétentions que la science à la vérité, procèdent aussi grossièrement de la même manière (par la justification rationnelle), mais le font d'une manière insuffisante au regard de certains critères.
Je pense donc qu'il faut préciser deux choses importantes : ce qu'on peut appeler la non-science (comme l'astrologie par exemple), pour autant qu'elle essaie de se justifier rationnellement (et n'invoque pas purement et simplement la foi), appartient bien à la science au sens très général du terme, c'est-à-dire comme domaine visant la justification rationnelle de théories vraies (par opposition à la littérature ou au deltaplane).
En revanche, elle n'appartient pas à la science au sens étroit du terme, considérée comme ce qui, au sein de ce domaine, procède selon une méthode jugée suffisante selon des critères conventionnellement établis par la communauté scientifique (comme le critère poppérien de falsifiabilité par exemple, si on est poppérien).
Or, la question qui nous anime depuis le début de ce débat, c'est la question de savoir si la philosophie vise le vrai, et son degré de proximité avec la science. Je pense qu'on peut répondre comme suit : oui, la philosophie vise évidemment le vrai au moyen de la justification rationnelle. Il suffit d'ouvrir un livre de philosophie pour s'en rendre compte. A ce titre, elle est une science au sens 1 (sens très large). En revanche, elle très vraisemblablement n'est pas une science au sens 2 (sens étroit).
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Meersch a écrit:
Si, Augustin lui-même. Les Confessions témoignent du fait qu'il adhérait à l'astrologie dans sa jeunesse, mais c'est une croyance qu'il a plus tard rejetée et réfutée lui-même, notamment au début du cinquième livre de la Cité de Dieu à travers le fameux arguments des jumeaux.
Certes. Mais c'est que l'astrologie à laquelle il adhérait était, simultanément, une astrologie (manichéenne, ou gnostique, en prenant le mot au sens large).
Il a réfuté l'idée d'une prédestination (ou d'un destin) par un ordre de la nature, qui comprendrait en lui-même l'action d'un principe divin (lumineux) et celle d'un mauvais démiurge et de ses archontes (ténèbre et matière, logés dans le monde). Pour les manichéens, auxquels Augustin a appartenu, la nature humaine comporte en elle une part de ténèbre qui l'incline au mal et, éventuellement, une part de lumière qui peut la racheter, à la condition de purifier son être de la part mauvaise. Réfuter l'astrologie est un élément dans une réfutation théologique plus large. Donc, oui, Augustin a “réfuté” une certaine conception du destin…
Pour remplacer ce système de croyances par un autre système, celui du libre arbitre et de la grâce: les hommes conservent la liberté, mais leur nature ayant été corrompue par un péché originel transmis de génération en génération, cette liberté est, à la naissance, dénuée du pouvoir de faire le bien par elle-même (le libre arbitre est impuissant); la liberté, donc, est une puissance réelle dans la nature humaine, mais qui est devenue impuissante, de sorte qu'elle incline immanquablement, mais librement, au mal; elle doit demander une grâce divine, seule capable de la guérir (et demander la grâce suppose d'avoir reçu la grâce de la demander, puis de la conserver, puis de persévérer, etc.).
Entre parenthèses, les Rétractations sont un texte tardif (écrit vers 426 ou 427 et inachevé) dans lequel il “revient” sur lui-même et “retraite” certaines questions à propos desquelles il pense avoir “erré” par rapport à la foi religieuse, spécialement celles de la liberté et de la grâce.
Cdlt
_________________
Si tu vales valeo.
- MeerschNiveau 6
Merci pour ce beau résumé du mouvement de la pensée augustinienne .epekeina.tes.ousias a écrit:Meersch a écrit:
Si, Augustin lui-même. Les Confessions témoignent du fait qu'il adhérait à l'astrologie dans sa jeunesse, mais c'est une croyance qu'il a plus tard rejetée et réfutée lui-même, notamment au début du cinquième livre de la Cité de Dieu à travers le fameux arguments des jumeaux.
Certes. Mais c'est que l'astrologie à laquelle il adhérait était, simultanément, une astrologie (manichéenne, ou gnostique, en prenant le mot au sens large).
Il a réfuté l'idée d'une prédestination (ou d'un destin) par un ordre de la nature, qui comprendrait en lui-même l'action d'un principe divin (lumineux) et celle d'un mauvais démiurge et de ses archontes (ténèbre et matière, logés dans le monde). Pour les manichéens, auxquels Augustin a appartenu, la nature humaine comporte en elle une part de ténèbre qui l'incline au mal et, éventuellement, une part de lumière qui peut la racheter, à la condition de purifier son être de la part mauvaise. Réfuter l'astrologie est un élément dans une réfutation théologique plus large. Donc, oui, Augustin a “réfuté” une certaine conception du destin…
Pour remplacer ce système de croyances par un autre système, celui du libre arbitre et de la grâce: les hommes conservent la liberté, mais leur nature ayant été corrompue par un péché originel transmis de génération en génération, cette liberté est, à la naissance, dénuée du pouvoir de faire le bien par elle-même (le libre arbitre est impuissant); la liberté, donc, est une puissance réelle dans la nature humaine, mais qui est devenue impuissante, de sorte qu'elle incline immanquablement, mais librement, au mal; elle doit demander une grâce divine, seule capable de la guérir (et demander la grâce suppose d'avoir reçu la grâce de la demander, puis de la conserver, puis de persévérer, etc.).
Entre parenthèses, les Rétractations sont un texte tardif (écrit vers 426 ou 427 et inachevé) dans lequel il “revient” sur lui-même et “retraite” certaines questions à propos desquelles il pense avoir “erré” par rapport à la foi religieuse, spécialement celles de la liberté et de la grâce.
Cdlt
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Meersch a écrit:Pour ma part, je dis que la philosophie appartient au même genre que la science au sens où elle vise grossièrement le même objectif (la vérité, ou quelque chose qui s'en rapproche) par les mêmes moyens (la justification rationnelle). Evidemment, il s'agit d'une définition très large qui permet de grandes différences spécifiques entre les sciences particulières, qui tourneront à mon avis autour du type de justification rationnelle mobilisée et de la méthode en général.
En ce sens très large, je peux l'accepter. Mais je conserve tout de même un doute: l'idée de science ajoute à celle de recherche par des moyens rationnels, celle de “saisie du vrai” (par ex. la “représentation compréhensive” des stoïciens). Je doute, pour ma part, que la philosophie dépasse le stade de la recherche pour atteindre celui de la saisie, et je pense très probable qu'elle consiste à élaborer des recherches raisonnables et rationnelles dans les questions qui interdisent cette saisie. Elle est probablement une spéculation rationnelle sur certaines questions.
Mais ces différences spécifiques ne doivent pas occulter l'identité fondamentale de ces deux démarches. C'est pourquoi la philosophie au sens antique comprenait aussi bien la philosophie morale que la philosophie naturelle, c'est-à-dire la physique ou les sciences de la nature. Toutes ces disciplines visaient à produire des théories vraies et rationnellement justifiées. Si la philosophie naturelle s'est autonomisée, ce n'est certainement pas parce qu'elle ou le reste de la philosophie aurait changé de fins et de moyens, mais parce qu'elle a fixé des méthodes spécifiques et qu'elle a mieux réussi que les autres parties de la philosophie (toujours au sens antique) à produire des théories vraies.
À ceci près, que le changement de hiérarchisation entre vie contemplative et vie active (entre théorie et pratique, entre science et technique) est une modification, un retournement fort, qui rend difficiles les comparaisons. C'est surtout parce que ces sciences ont cessé d'être purement spéculatives, ni spéculative sur l'ordre du monde, si sur les substances, ni sur les fins. À part certaines parties de la médecine (les “empiriques”), la démarche expérimentale est à peu près inconnue dans l'antiquité, qui privilégie une démarche de type “géométrique” (ce qui, soit dit en passant, a tout de même permis un certain nombre d'avancées, comme on dit de nos jours).
Maintenant, il y a le problème de la démarcation entre science et non-science, mais il faut bien comprendre ce qu'on entend par là. Les non-sciences, ce ne sont pas les domaines qui se distinguent radicalement de la science, comme la littérature ou la cuisine, mais bien les domaines qui ont les mêmes prétentions que la science à la vérité, procèdent aussi grossièrement de la même manière (par la justification rationnelle), mais le font d'une manière insuffisante au regard de certains critères.
Je pense donc qu'il faut préciser deux choses importantes : ce qu'on peut appeler la non-science (comme l'astrologie par exemple), pour autant qu'elle essaie de se justifier rationnellement (et n'invoque pas purement et simplement la foi), appartient bien à la science au sens très général du terme, c'est-à-dire comme domaine visant la justification rationnelle de théories vraies (par opposition à la littérature ou au deltaplane).
En revanche, elle n'appartient pas à la science au sens étroit du terme, considérée comme ce qui, au sein de ce domaine, procède selon une méthode jugée suffisante selon des critères conventionnellement établis par la communauté scientifique (comme le critère poppérien de falsifiabilité par exemple, si on est poppérien).
Je précise le lieu de mon doute: il ne porte pas sur la possibilité d'établir une “coupure épistémologique” assurée entre science et non-science, c'est-à-dire entre une méthode de pensée formalisée, dotée de procédures de contrôles de ses élaborations et, si possible, capable de construire des expérimentations réfutatives ou prédictives, d'un côté, et un mode pensée qui ne se “justifie” qu'à l'aide de croyances, de sentiments et de perceptions (tout en prétendant, parfois, englober le tout de l'existence et du réel). C'est même tout le travail d'un scientifique d'élaborer ce type de démarche méthodique.
Mon doute porte sur le bien-fondé à isoler cette démarche méthodique pour l'ériger en seul mode de pensée raisonnable, sous le prétexte que les méthodes scientifiques permettraient de se débarrasser des modes de pensée irrationnels (ce qui, soit dit en passant, est infiniment douteux si l'on regarde l'histoire des deux derniers siècles). Car, encore faut-il que les questions dont il est traité relèvent bien de ces méthodes, ce qui n'est pas toujours le cas.
Or, la question qui nous anime depuis le début de ce débat, c'est la question de savoir si la philosophie vise le vrai, et son degré de proximité avec la science. Je pense qu'on peut répondre comme suit : oui, la philosophie vise évidemment le vrai au moyen de la justification rationnelle. Il suffit d'ouvrir un livre de philosophie pour s'en rendre compte. A ce titre, elle est une science au sens 1 (sens très large). En revanche, elle très vraisemblablement n'est pas une science au sens 2 (sens étroit).
La plupart des philosophies visent le vrai (on peut avoir des doutes sur l'application de cette définition aux philosophes sceptiques: mais admettons qu'ils cherchent à éliminer le faux et que le non-faux soit une forme du vrai), et oui, elles le font par argumentation. Mais elles le font tantôt sur des réalités très spécifiques (les choses humaines) tantôt selon des rapports très déterminés (gouverner son existence): il est très probable, j'en suis d'accord, qu'elles ne sont pas une science au sens 2 — mais ces sciences au sens 2 n'ont pas grand-chose à dire sur ses objets propres, et pas grand-chose à voir non plus avec ses intentions. Spéculer sur l'existence humaine, sur son sens, sur la liberté, etc., cela peut se faire de façon très raisonnable et argumentative-rationnelle: mais il reste qu'il s'agit de spéculations, certaines prenant la forme de l'élaboration d'un système, d'autres non. Je me demande donc si, même en restreignant au sens 1, celui d'un genre le plus proche “recherche du vrai au moyen de la justification rationnelle”, la différence spécifique de la spéculation (non expérimentale non prédictive parce que ce n'est pas praticable dans ce à quoi elle s'intéresse) ne devrait pas pousser à refuser le terme de science pour le genre, en ne parlant à son propos que de méthode.
Cdlt
_________________
Si tu vales valeo.
- MeerschNiveau 6
Je pense que je suis d'accord avec tout ce que tu viens de dire, hormis peut-être quelques menus désaccords terminologiques, mais je souhaiterais faire une ultime précision :
On peut tout à fait considérer que la philosophie n'atteindra jamais la vérité qu'elle vise. C'est un pronostic possible.
Mais premièrement, je pense qu'il est très téméraire. Il peut s'appuyer sur l'idée que la philosophie (au sens contemporain), durant ses 2500 ans d'activité, n'a nulle part réussi à élaborer un paradigme consensuel sur la base duquel elle aurait pu produire des connaissances solides. Certes, mais : a) ç'a été le cas d'autres sciences aujourd'hui très établies, comme la physique, pendant des siècles et des siècles, et b) l'humanité existera sans doute encore pendant des millénaires. Si l'humanité a pu transformer des tâtonnements maladroits en sciences solides en l'espace de quelques siècles d'activité intellectuelle, la prudence requiert d'admettre, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse, que la philosophie du LXXIII siècle sera plus solidement établie que la nôtre.
Deuxièmement, il convient de préciser que, si l'on peut personnellement adhérer à l'idée que la philosophie n'atteindra jamais la vérité qu'elle vise pourtant, ce n'était absolument pas le cas de la majeure partie des philosophes de l'histoire des idées, qui pensaient au contraire souvent avoir enfin élaboré le système philosophique définitif.
epekeina.tes.ousias a écrit:l'idée de science ajoute à celle de recherche par des moyens rationnels, celle de “saisie du vrai” (par ex. la “représentation compréhensive” des stoïciens). Je doute, pour ma part, que la philosophie dépasse le stade de la recherche pour atteindre celui de la saisie, et je pense très probable qu'elle consiste à élaborer des recherches raisonnables et rationnelles dans les questions qui interdisent cette saisie. Elle est probablement une spéculation rationnelle sur certaines questions.
On peut tout à fait considérer que la philosophie n'atteindra jamais la vérité qu'elle vise. C'est un pronostic possible.
Mais premièrement, je pense qu'il est très téméraire. Il peut s'appuyer sur l'idée que la philosophie (au sens contemporain), durant ses 2500 ans d'activité, n'a nulle part réussi à élaborer un paradigme consensuel sur la base duquel elle aurait pu produire des connaissances solides. Certes, mais : a) ç'a été le cas d'autres sciences aujourd'hui très établies, comme la physique, pendant des siècles et des siècles, et b) l'humanité existera sans doute encore pendant des millénaires. Si l'humanité a pu transformer des tâtonnements maladroits en sciences solides en l'espace de quelques siècles d'activité intellectuelle, la prudence requiert d'admettre, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse, que la philosophie du LXXIII siècle sera plus solidement établie que la nôtre.
Deuxièmement, il convient de préciser que, si l'on peut personnellement adhérer à l'idée que la philosophie n'atteindra jamais la vérité qu'elle vise pourtant, ce n'était absolument pas le cas de la majeure partie des philosophes de l'histoire des idées, qui pensaient au contraire souvent avoir enfin élaboré le système philosophique définitif.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Meersch a écrit:
On peut tout à fait considérer que la philosophie n'atteindra jamais la vérité qu'elle vise. C'est un pronostic possible.
Mais premièrement, je pense qu'il est très téméraire. Il peut s'appuyer sur l'idée que la philosophie (au sens contemporain), durant ses 2500 ans d'activité, n'a nulle part réussi à élaborer un paradigme consensuel sur la base duquel elle aurait pu produire des connaissances solides. Certes, mais : a) ç'a été le cas d'autres sciences aujourd'hui très établies, comme la physique, pendant des siècles et des siècles, et b) l'humanité existera sans doute encore pendant des millénaires. Si l'humanité a pu transformer des tâtonnements maladroits en sciences solides en l'espace de quelques siècles d'activité intellectuelle, la prudence requiert d'admettre, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse, que la philosophie du LXXIII siècle sera plus solidement établie que la nôtre.
Tu as parfaitement raison de signaler ce qui est resté implicite dans mon propos (qui est sceptique, mais “probabiliste” plus que purement “zététique”, disons “quelque part” entre le néo-académisme et le pyrrhonisme de Sextus Empiricus): d'une part, quand je dis que la philosophie est une méthode de recherche du non-faux (le doute a au moins la vertu d'écarter certaines opinions comme “fortement improbables”), c'est, à mon sens dire que c'est ce qu'elle est “jusqu'à maintenant” et “en attendant”, se prononcer sur son phénomène plus que sur son essence, mais en essayant de tenir compte du phénomène pour éviter de lui attribuer, au point de vue de l'essence, ce qui est douteux (j'aurais d'ailleurs plutôt tendance à formuler ainsi: “jusqu'à preuve du contraire”).
Donc, plus précisément, je doute que la philosophie soit science (au sens où, dans le mot science, il y a un “je sais”), or, jusqu'à maintenant, il ne me semble pas que la philosophie ait pu prendre la forme d'un je sais; mais il me semble fortement probable qu'elle l'est, science, au sens d'un “que sais-je?” (d'une méthode): donc, pour les mêmes raisons, je doute fortement de la position qui prétendrait (en général de manière très dogmatique et avec des arguments qui ne portent pas) qu'elle n'est assurément et définitivement pas une science, mais un pur système de croyances, une “vision du monde”, etc. (ainsi d'ailleurs que du postulat implicite de leur position: qui est que la “science”, telle qu'elle est, permettrait de savoir ce qu'il y a à savoir).
Rien n'interdit, donc, d'espérer (au sens kantien du terme) que la philosophie atteindra un jour certaines vérités (après tout, en logique, la théorie aristotélicienne du syllogisme paraît tout de même fortement probable, quand bien même elle n'est pas une théorie complète des raisonnements, et quand bien même sa vérité ne serait que formelle, sans contenu et non heuristiquement efficace).
Deuxièmement, il convient de préciser que, si l'on peut personnellement adhérer à l'idée que la philosophie n'atteindra jamais la vérité qu'elle vise pourtant, ce n'était absolument pas le cas de la majeure partie des philosophes de l'histoire des idées, qui pensaient au contraire souvent avoir enfin élaboré le système philosophique définitif.
C'est un argument très intéressant, d'un point de vue sceptique (et qu'un sceptique se voit souvent adresser). Une manière de te répondre, ce serait de remarquer que la “perte” des écrits sceptiques (antiques) n'est pas totalement due au hasard: à part chez Augustin, qui “récupère” une partie des arguments sceptiques (néo-académiciens), de façon à garantir (contre les stoïciens en particulier) que la raison ne peut pas connaître (représentation compréhensive ou espiteme) ce que la foi connaît (gnosis), ce qui ouvre une certaine “tradition sceptique” (mais assez anti-philosophique aussi) dans la tradition chrétienne, on ne peut pas dire que l'histoire les a beaucoup retenus.
Mais je trouve cet argument (que j'ai déjà trouvé je ne sais plus où: il n'était donc pas de moi) relativement faible en fin de compte. Je laisse également de côté un certain nombre de mises en doute (que je trouve tout de même intéressantes): Platon a-t-il réellement constitué un “système”? la forme de “système” sous laquelle nous est transmise l'oeuvre d'Aristote (depuis l'édition d'Andronicos de Rhodes au ~Ier s. av. J.C.) reflète-t-elle réellement sa pensée? Y a-t-il réellement un système stoïcien ou seulement des écoles stoïciennes faites de débats et de polémiques? etc.).
En revanche, celui que ton propos, lui-même, contient: “beaucoup de philosophes ont pensé avoir enfin élaboré le système philosophique définitif” me semble plus intéressant. Certes, méthodologiquement, si l'on pratique la méthode dialectique aristotélicienne, en commençant par les opinions les plus fortes soit des spécialistes les plus nombreux, soit des spécialistes les plus réputés, on a le sentiment que la philosophie doit donc être systématique. Mais, si l'on admet cette hypothèse, puisque ces “systèmes” échouent depuis 25 siècles, cela rend plutôt l'opinion inverse, suivant laquelle le plus intéressant dans une philosophie c'est souvent plutôt sa démarche (sa méthode) et souvent moins ce qu'elle croit (croyait) avoir démontré. Il y a là, je trouve, une ironie que je goûte, pour ma part, infiniment.
N.B. Évidemment, cette idée n'est pas de moi. Je crois me rappeler l'avoir trouvée jadis en lisant Husserl: il doit y avoir quelque chose de cet ordre, si ma mémoire ne me fait pas défaut, dans les Méditations cartésiennes (jusqu'où suivre Descartes? à partir de quand poursuivre sa démarche en l'abandonnant?), et dans un autre texte qui m'avait beaucoup frappé, la première partie de la Philosophie Première, qui est une histoire des idées tout à fait intéressante de ce point de vue (et évidemment, je ne veux absolument pas dire que Husserl serait sceptique: seulement qu'on trouve chez lui une “philosophie de la méthode” très intéressante).
Cdlt
- ZagaraGuide spirituel
epekeina.tes.ousias a écrit:Zagara a écrit: Dire que l'histoire est déterminée à l'avance à un historien est égal à se pointer face à un physicien et lui dire que le soleil tourne autour de la terre.
N.B. Il y a encore très peu de temps, en France, nombreux étaient les “historiens” (pas seulement les “philosophes”) qui proclamaient que l'histoire, obéissant à des lois nécessaires, était déterminée (par la lutte des classes) et destinée à la réalisation d'une fin (une société sans classe)…
Cdlt
Ben justement c'est dépassé au sens le plus fort du terme. C'est comme si en 1680/1700 tu disais "oui bon OK on a prouvé le géocentrisme il y a 50 ans, mais il y avait plein de gens sérieux qui défendaient l'héliocentrisme il n'y a pas si longtemps que ça; alors bon, ça veut bien dire qu'on peut encore en discuter". Désolée pour les analogies, mais je le ressens comme ça. La méthode historique avance et ça me saoule de voir s'agiter des spectres réfutés.
Et alors la question téléologique ("destinée à la réalisation d'une fin"), ça fait pile-poil 100 ans que c'est réfuté. Ce n'est plus un retard méthodologique mais de la nécromancie d'idées fausses à ce niveau-là. Si y'a réellement encore des gens qui croient à une histoire téléologique en 2020, j'ai envie de dire que je ne suis pas responsable de l'ignorance et de la bêtise d'autrui, et qu'ils sont à peu près aussi pertinents que ceux qui croient aux reptiliens et aux illuminati. Même gravité d'erreur, tant c'est anciennement réfuté.
- DesolationRowEmpereur
epekeina.tes.ousias a écrit:DesolationRow a écrit:Inutile de dire que je ne crois pas un instant que la philosophie soit une foire aux opinions interchangeables. Mais je repose ma question : qui dans l’histoire de la philosophie a prouvé que ce qu’écrivait Augustin sur le destin était «faux»?
Sur le destin au sens de la prédétermination par les astres, à ma connaissance, personne (en philosophie en tout cas — sauf si on admet que l'expression ancienne “philosophie naturelle” désigne bien de la philosophie et que l'on tient compte des oeuvres de Kepler sur l'astrologie).
Sur le destin au sens de la providence: ils sont nombreux à refuser le concept lui-même (de Spinoza à voltaire et au-delà) — mais refuser le concept en tentant d'en prouver la vacuité, ou le réfuter en argumentant à partir des événements dans le monde, ce sont des choses assez différentes…
Quant à ce qu'il a écrit sur le destin au sens de la grâce (qu'elle soit prévenante, efficace ou autre), c'est à se demander si, à part lui, il y a jamais eu qui que ce soit pour en penser la même chose tant les expositions de cette partie de sa théologie diffèrent les unes des autres, jusqu'au point d'alimenter nombre de conflits entre ceux qui prétendent en détenir la vraie doctrine et leurs adversaires, qu'ils appellent hérétiques…
Cela dit, je comprends bien les mots de ta question — mais pas son intention, ni où tu veux en venir… Tu penses à un enchaînement des pensées philosophiques sous la forme d'une “réfutation des erreurs du passé”? Mettons: mais à condition d'ajouter que c'est ce que font…… tous les philosophes sans exception…
Cdlt
Sur l'astrologie (qui est un problème, dans la jeunesse d'Augustin, bien distinct du manichéisme), il s'en est chargé lui-même grâce à l'exemple des jumeaux.
Sur sa doctrine de la prédestination, je sais bien qu'elle est refusée généralement, mais j'aimerais savoir qui l'a réfutée, et si je pose la question, c'est que je ne vois guère comment ce serait possible. A partir du moment où, et personne n'est obligé de le faire, tu acceptes l'existence du Dieu des Écritures, l'enchaînement des idées et des notions me paraît relativement implacable, chez Augustin. Je n'ai encore rencontré personne qui "réfute" l'enchaînement des idées d'Augustin, qui me montre une incohérence ou une fausseté dans son raisonnement sur la prédestination. Des lecteurs qui sont en désaccord, qui lisent différemment, qui proposent des interprétations concurrentes, il y en a plein. Mais qui prouvent, par la raison, que ce qu'il dit est faux, j'attends de voir.
Mais évidemment que l'on n'est pas obligé d'entrer dans le jeu : si on refuse l'existence de Dieu, il n'y a plus de système à réfuter. À ce moment on n'a pas prouvé que ce qu'il a dit est faux ; on a dit qu'on était pas d'accord avec lui sur une question fondamentale, celle de la nature humaine. Mais alors autant ne pas lire Augustin, pour qui il n'existe pas de différence entre théologie et philosophie.
A titre personnel, je pense cela dit qu'il y a en effet un moment où son raisonnement heurte une limite rationnelle, c'est la question de la grâce d'Adam (ou de la chute des anges), et que c'est par là qu'il faut essayer de "réfuter" Augustin si c'est possible.
Les Révisions ne corrigent franchement pas grand chose aux idées fortes d'Augustin sur la prédestination, elles sont composées au même moment que les grands traités décisifs sur le sujet.
Désolé je jette ça un peu en vrac, je suis entre plusieurs cours. En fait, ce qui me hérisse, c'est le lol on a réfuté tout ça maintenant on est des scientifiques, dans l'Antiquité c'était des rigolos qui croyaient au destin, vivement qu'on transforme tout ça en formules mathématiques. Moi je veux bien, mais vas-y, montre-moi qui a montré que c'était faux, ça m'intéresse. En attendant qu'on le montre, on peut peut-être faire l'honneur à ces gens qui sont des génies de s'y frotter vraiment, pas de dire bah ils croient au destin, heureusement la science moderne a démonté tout ça.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Zagara a écrit:Ben justement c'est dépassé au sens le plus fort du terme. C'est comme si en 1680/1700 tu disais "oui bon OK on a prouvé le géocentrisme il y a 50 ans, mais il y avait plein de gens sérieux qui défendaient l'héliocentrisme il n'y a pas si longtemps que ça; alors bon, ça veut bien dire qu'on peut encore en discuter". Désolée pour les analogies, mais je le ressens comme ça. La méthode historique avance et ça me saoule de voir s'agiter des spectres réfutés.
Ça n'était pas en ce sens que j'employais l'argument — je l'employais dans un sens sceptique. Il y a disons 40 ou 50 ans, l'histoire était encore “possédée” par un postulat scientiste/téléologique (alors que Raymond Aron avait tout de même soutenu sa thèse en 1938, et ce n'est qu'un exemple). Et c'était au moment même ou d'autres, comme Eric Voegelin (par ex.) développaient une philosophie de l'histoire fortement critique de ce type de postulat, sans pour autant renoncer à la possibilité d'une saisie du sens.
Elle me semble, actuellement, possédée par un postulat inverse, celui de l'impossibilité de penser un “sens de l'histoire”, qui est tout aussi douteux (après tout, il existe actuellement d'autres travaux, comme ceux de Charles Taylor ou ceux de M.Gauchet, ou avant, ceux de Castoriadis, etc.), qui élaborent cette question sans pour autant tomber dans le “téléologisme”.
Et alors la question téléologique ("destinée à la réalisation d'une fin"), ça fait pile-poil 100 ans que c'est réfuté. Ce n'est plus un retard méthodologique mais de la nécromancie d'idées fausses à ce niveau-là. Après si y'a réellement encore des gebs qui agitent une histoire téléologique en 2020, j'ai envie de dire que je ne suis pas responsable de l'ignorance et de la bêtise d'autrui, et qu'ils sont à peu près aussi pertinents que ceux qui croient aux reptiliens et aux illuminati. Même gravité d'erreur, tant c'est anciennement réfuté.
Mais il n'en demeure pas moins que présenter la notion “téléologique” comme tu le fais pèche par imprécision sur deux points. Le premier étant de la réduire à “destiné à la réalisation d'une fin”, c'est-à-dire d'assimiler “destin” et “téléologie” dans l'idée d'une “prédétermination nécessaire”. On peut trouver des doctrines qui procèdent à cette assimilation (celles que Voegelin appelle “gnostiques”, et que Aron critique comme “imaginaires”, etc.), mais ça n'est pas du tout évident. Par exemple la notion de “réalisation d'une fin” est difficilement éliminable, si l'on veut penser l'action humaine (morale, politique, artistique, etc.) pour ce qu'elle est (les êtres humains agissent parfois en se donnant des fins à réaliser), c'est-à-dire sans la réduire au produit (aveugle) de mécanismes (inconscients, souvent “inconnus-mais-qu'on-connaîtra-un-jour”). C'est jeter le bébé avec l'eau du bain, et, en réalité, cela consiste à refuser d'apercevoir le problème (à jeter carrément la baignoire par la fenêtre, avec tout ce qu'elle contient, en se disant que ça simplifie la salle de bain).
Cdlt
_________________
Si tu vales valeo.
- ZagaraGuide spirituel
Non tu ne peux pas mettre sur le même plan croire en un telos de l'histoire (que ce mysticisme soit chrétien comme dans l'histoire parfaite, scientiste comme chez Guizot, ou libéral comme dans la "fin de l'histoire" de l'idéologie néolib) et sa réfutation. Ce serait exactement comme dire : "certains croient en Dieu, d'autres n'y croient pas, le doute subsiste". Ce type d'argument est tout sauf scientifique et cajole des croyances en les faisant passer pour des vérités possibles parce que "on sait pas". La téléologie est une croyance qui est à classer dans la même case que la religion. Ce n'est pas un "biais inverse" de la réfuter, c'est simplement faire son travail correctement en appliquant la démarche scientifique.
D'ailleurs si on est rigoureux, il revient aux gens qui croient en un telos de prouver que le telos existe, et non aux autres de le réfuter. C'est comme ça que ça marche normalement. C'est facile d'arriver avec sa théorie sans preuve et de dire "testez-moi et tant que ce n'est pas réfuté, c'est que c'est vrai !". Non, c'est parce qu'on prouve ce qu'on avance qu'on peut être pris au sérieux.
-> ça vaut pour Augustin. A ses défenseurs de me prouver qu'il existe un Dieu et tout le toutim du christianisme. Ce n'est pas à moi de le réfuter, c'est à eux de prouver rationnellement et empiriquement leurs théories, puisque ce sont eux qui les proposent comme alternative à de vraies théories rationnelles. Bon courage.
L'inversion de la charge de la preuve est une technique classique des croyants pour faire passer leurs croyances pour des vérités révélées à prétention scientifique. C'est glauque de retrouver ce réflexe chez des gens aussi cultivés. Parce que si on en arrive là, je pourrais très bien vous dire : "moi je crois qu'il existe des âmes dans les pierres et que le nombre de cailloux qu'on casse dans sa vie définit le destin de la personne. Prouvez-moi que j'ai tort. Quoi tu refuses l'âme des cailloux ? Il n'y a donc plus de système à réfuter, donc tu n'as pas prouvé que c’était faux. Donc c'est possible que ce soit vrai." Mais réveillez-vous franchement... c'est le même niveau d'argumentation... sophistique ! Si on en arrive là, c'est qu'on refuse 400 ans d'avancée de la méthode scientifique. Si on essaye d'avoir un débat sérieux qui cherche le vrai, on ne peut pas avancer n'importe quoi et attendre d'autrui une rectification. On doit apporter des preuves et une démonstration de ce qu'on avance.
Pour en revenir à la question de la téléologie, je trouve ces débats franchement énervants. Pourquoi est-ce que ce type de rhétorique pseudo-scientifique semble honnête à avancer pour venir emmerder les sciences sociales, qui pourtant essayent de faire leur boulot correctement, alors que ça paraîtrait inconcevable pour des sciences plus anciennement établies ? Peut-être qu'on ne fait pas assez sérieux, avec nos livres accessibles qui se lisent comme des romans et nos 65 millions d'amateurs d'histoire qui se prennent tous pour Le Goff parce qu'ils ont lu 2 biographies et regardé 3 docu-fictions.
Je ne jette aucun bébé puisque ton bébé téléologique est imaginaire. C'est une croyance, produite par les biais cognitifs de notre cerveau simiesque évolué (biais de sur-causalité notamment). Sous quelle que forme que ce soit. Tu me fais penser aux gens qui disent : "bon ok Dieu n'a pas créé le monde. Mais hè, y'a la pichenette de départ non ? Le secret projet initial. Et si Dieu avait lancé le big bang et était ensuite parti se coucher ? Parce que complètement évacuer Dieu ce serait jeter le bébé avec l'eau du bain".
Quant au fait que les agents sociaux se donnent des fins à leurs actions, c'est mille fois plus compliqué : il y a le discours sur l'acte, la représentation de l'acte, l'acte lui-même, et les effets de l'acte, tous différents. Un agent social peut très bien exprimer une fin, en pratique en poursuivre une autre, voir son action être contre-productive,générer autre chose, et ses contemporains mal comprendre l'ensemble de la chaîne et lui attribuer un tout autre sens. Bref dire que les agents sociaux poursuivent une, ou des, fins est simpliste. Cette question n'a strictement rien à voir avec une "fin de l'histoire" en général.
D'ailleurs si on est rigoureux, il revient aux gens qui croient en un telos de prouver que le telos existe, et non aux autres de le réfuter. C'est comme ça que ça marche normalement. C'est facile d'arriver avec sa théorie sans preuve et de dire "testez-moi et tant que ce n'est pas réfuté, c'est que c'est vrai !". Non, c'est parce qu'on prouve ce qu'on avance qu'on peut être pris au sérieux.
-> ça vaut pour Augustin. A ses défenseurs de me prouver qu'il existe un Dieu et tout le toutim du christianisme. Ce n'est pas à moi de le réfuter, c'est à eux de prouver rationnellement et empiriquement leurs théories, puisque ce sont eux qui les proposent comme alternative à de vraies théories rationnelles. Bon courage.
L'inversion de la charge de la preuve est une technique classique des croyants pour faire passer leurs croyances pour des vérités révélées à prétention scientifique. C'est glauque de retrouver ce réflexe chez des gens aussi cultivés. Parce que si on en arrive là, je pourrais très bien vous dire : "moi je crois qu'il existe des âmes dans les pierres et que le nombre de cailloux qu'on casse dans sa vie définit le destin de la personne. Prouvez-moi que j'ai tort. Quoi tu refuses l'âme des cailloux ? Il n'y a donc plus de système à réfuter, donc tu n'as pas prouvé que c’était faux. Donc c'est possible que ce soit vrai." Mais réveillez-vous franchement... c'est le même niveau d'argumentation... sophistique ! Si on en arrive là, c'est qu'on refuse 400 ans d'avancée de la méthode scientifique. Si on essaye d'avoir un débat sérieux qui cherche le vrai, on ne peut pas avancer n'importe quoi et attendre d'autrui une rectification. On doit apporter des preuves et une démonstration de ce qu'on avance.
Pour en revenir à la question de la téléologie, je trouve ces débats franchement énervants. Pourquoi est-ce que ce type de rhétorique pseudo-scientifique semble honnête à avancer pour venir emmerder les sciences sociales, qui pourtant essayent de faire leur boulot correctement, alors que ça paraîtrait inconcevable pour des sciences plus anciennement établies ? Peut-être qu'on ne fait pas assez sérieux, avec nos livres accessibles qui se lisent comme des romans et nos 65 millions d'amateurs d'histoire qui se prennent tous pour Le Goff parce qu'ils ont lu 2 biographies et regardé 3 docu-fictions.
Je ne jette aucun bébé puisque ton bébé téléologique est imaginaire. C'est une croyance, produite par les biais cognitifs de notre cerveau simiesque évolué (biais de sur-causalité notamment). Sous quelle que forme que ce soit. Tu me fais penser aux gens qui disent : "bon ok Dieu n'a pas créé le monde. Mais hè, y'a la pichenette de départ non ? Le secret projet initial. Et si Dieu avait lancé le big bang et était ensuite parti se coucher ? Parce que complètement évacuer Dieu ce serait jeter le bébé avec l'eau du bain".
Quant au fait que les agents sociaux se donnent des fins à leurs actions, c'est mille fois plus compliqué : il y a le discours sur l'acte, la représentation de l'acte, l'acte lui-même, et les effets de l'acte, tous différents. Un agent social peut très bien exprimer une fin, en pratique en poursuivre une autre, voir son action être contre-productive,générer autre chose, et ses contemporains mal comprendre l'ensemble de la chaîne et lui attribuer un tout autre sens. Bref dire que les agents sociaux poursuivent une, ou des, fins est simpliste. Cette question n'a strictement rien à voir avec une "fin de l'histoire" en général.
- Leroy86Niveau 9
Je suis curieux de voir la réponse. Oui, curiosité malsaine... :diable:
_________________
"On ne peut pas plier la réalité à ses désirs." Thomas A. Anderson
"Ça rapporterait des milliers de milliers de dollars." "Ça s'appelle des millions."
- epekeina.tes.ousiasModérateur
DesolationRow a écrit:
Sur sa doctrine de la prédestination, je sais bien qu'elle est refusée généralement, mais j'aimerais savoir qui l'a réfutée, et si je pose la question, c'est que je ne vois guère comment ce serait possible. A partir du moment où, et personne n'est obligé de le faire, tu acceptes l'existence du Dieu des Écritures, l'enchaînement des idées et des notions me paraît relativement implacable, chez Augustin.
Sauf qu'entre l'affirmation de l'existence du Dieu des Écritures et celle de la prédestination par la grâce, il est fort difficile de nier qu'il y a un gouffre… Soit dit en passant, s'il est vrai que la question de la grâce et du libre arbitre, chez Augustin, peut difficilement être séparée de celle des attributs divins (le “filioque” du De Trinitate), elle est surtout liée à une interprétation théologique du péché originel (laquelle est, comme on sait, un objet de fortes controverses depuis maints siècles).
La preuve en est que tous les théologiens, et pas même tous les Pères de l'Église (pour ne parler que des “catholiques”, ne sont pas strictement augustiniens: il est fort difficile de faire de François de Sales, un augustinien strict… D'autre part, on sait fort bien que les “augustiniens” — Luther, Calvin, Jansénius, Arnaud, Pascal, etc. — ne tiennent pas tous les mêmes thèses sur cette doctrine. Et, bien évidemment, un théologien orthodoxe te répondrait que la conception des soi-disant “semi-pélagiens” est en réalité directement issue des conceptions des “pères du désert” et que la doctrine de la “coopération”, correctement interprétée est vraie, alors que celle d'Augustin est (doublement) fausse, et sur les relations entre les personnes de la trinité, et sur la question de la grâce (et qu'ils l'ont d'ailleurs maintes fois réfutées).
Je n'ai encore rencontré personne qui "réfute" l'enchaînement des idées d'Augustin, qui me montre une incohérence ou une fausseté dans son raisonnement sur la prédestination. Des lecteurs qui sont en désaccord, qui lisent différemment, qui proposent des interprétations concurrentes, il y en a plein. Mais qui prouvent, par la raison, que ce qu'il dit est faux, j'attends de voir.
Mais évidemment que l'on n'est pas obligé d'entrer dans le jeu : si on refuse l'existence de Dieu, il n'y a plus de système à réfuter. À ce moment on n'a pas prouvé que ce qu'il a dit est faux ; on a dit qu'on était pas d'accord avec lui sur une question fondamentale, celle de la nature humaine.
On pourrait te répondre, au contraire, qu'Augustin n'ayant pas essentiellement employé la “raison” dans sa “démonstration”, il n'est pas besoin de le “réfuter”:
car s'il est visible que l'on trouve dans ses écrits des arguments de type rationnel, il est tout aussi visible qu'il n'établit pas ses arguments par cette méthode, mais par des procédés d'herméneutiques portant sur la lettre des textes bibliques (postulant que le “verbe”, ou le “logos” qui s'y exprime, n'est pas du tout le “logos” attribué à l'animal humain par Aristote, ni le “logos” ordonnant le monde selon les stoïciens).
C'est confondre “procédé systématique et cohérent” avec “procédé rationnel”.
Mais alors autant ne pas lire Augustin, pour qui il n'existe pas de différence entre théologie et philosophie.
Je suis en double désaccord sur ce point. Je ne vois vraiment pas de raison de ne pas lire Augustin, sous le prétexte que je n'adhèrerais en rien à son anthropologie centrée dans le péché (j'espère ne pas me tromper car, ayant soutenu jadis une thèse qui consacrait la première de ses deux parties à Augustin, ça m'ennuierait de devoir “rendre mon diplôme”!).
D'autre part, il est faux par inexactitude de dire qu'il n'existe pas de différence entre théologie et philosophie pour Augustin. Il serait bien plus exact de reconnaître qu'il fait un usage fort de la catégorie de “philosophie” dans une certaine période (celles des écrits regroupés sous ce label dans la bibliothèque augustinienne: entre 385 (il lit, probablement sous l'influence d'Ambroise de Milan les Platonici Libri, qui le détourne du manichéisme) et 388 (quand il retourne en Afrique). Resterait toutefois à faire l'étude attentive des usages de la catégorie (elle consiste, pour aller vite, à refuser aux philosophes la capacité d'avoir saisit la “vertu” et la “sagesse”, qui est l'un des attributs divins (I Cor. 1,24): en se rappelant qu'il affirme (dans les Confessions) s'être convertit au manichéisme, justement parce qu'il venait de lire une exhortation à la sagesse (l’Hortensius de Cicéron) — et que passer d'un texte (perdu) de Cicéron au manichéisme, cela suppose une conception très spécifique de la “philosophie”, autant que de passer de la lecture de “livres (néo)platoniciens” au christianisme… Pour aller vite (cf. Conf. II-IV, 8, donc vers ~400, quand il est “enflammé” par l'amour de la sagesse, il conçoit cette sagesse comme (attribut de la) divinité.
En revanche, quand on avance dans son oeuvre, on voit disparaître peu à peu, l'emploi du terme “philosophie”, spécialement dans la période 420-430, et il n'y a alors plus qu'une seule occurrence (désolé, c'est un peu ancien et je ne retrouve pas la référence dans ma mémoire: il faudrait que je rouvre Migne) de l'expression “philosophie chrétienne” chez lui — qui refuse nettement aux “philosophes” toute légitimité.
A titre personnel, je pense cela dit qu'il y a en effet un moment où son raisonnement heurte une limite rationnelle, c'est la question de la grâce d'Adam (ou de la chute des anges), et que c'est par là qu'il faut essayer de "réfuter" Augustin si c'est possible.
Mais par “réfuter”, que faudrait-il entendre? Une réfutation par les voies de l'argumentation rationnelle porterait sans doute contre l'idée d'une grâce d'Adam, laquelle suppose une création divine de l'homme, puis sa chute ou son péché, pour ne rien dire de la création des anges, de leur chute, etc.
Ou alors, “réfuter” consistera à produire une autre théologie par des moyens herméneutiques différents, ou en recevant dans les textes “valables” un certain nombre d'écrits rejetés par d'autres. Mais peu de gens en dehors de ceux qui, justement, adhèrent à ces procédés, accepteront d'employer à ce propos des termes comme “démontrer” ou “réfuter”…
Les Révisions ne corrigent franchement pas grand chose aux idées fortes d'Augustin sur la prédestination, elles sont composées au même moment que les grands traités décisifs sur le sujet.
Ce n'est pas ce que j'ai dit. Elles corrigent fortement certaines idées, en particulier sur le libre arbitre (le De liberio et arbitrio (écrit entre 388 et 395)) — mais certainement pas le traité du Don de la persévérance (plutôt vers 428-429) ou le traité De la prédestination des saints (idem) — et pour cause.
Désolé je jette ça un peu en vrac, je suis entre plusieurs cours. En fait, ce qui me hérisse, c'est le lol on a réfuté tout ça maintenant on est des scientifiques, dans l'Antiquité c'était des rigolos qui croyaient au destin, vivement qu'on transforme tout ça en formules mathématiques.
Quoi que n'étant ni augustinien, ni chrétien, ni religieux, je trouve le mépris a priori qu'ont beaucoup pour des pensées qu'ils n'aiment pas (parce qu'ils préfèrent les leurs), totalement infondé. Là-dessus, au moins, je partage cette opinion, au moins “négativement”: ceux qui croient naïvement qu'on aurait “réfuté tout ça” se leurrent totalement…
[quote]Moi je veux bien, mais vas-y, montre-moi qui a montré que c'était faux, ça m'intéresse.
Puisque tu me donnes l'ordre de te montrer que c'était faux (je me demande bien pourquoi, d'ailleurs, puisque je ne suis pas du tout “propriétaire” de ces idées, que je connais un peu, et sans les partager), pardonne-moi de te répondre ça: on ne peut pas plus montrer que c'est faux, qu'on ne peut montrer que c'est vrai…
Car, ou bien on tente de démontrer rationnellement que ni la création du premier homme, ni l'événement du péché originel, ni l'incarnation d'un Christ médiateur (le Dieu fait homme, cumulant dans l'unité de sa personne les deux natures humaine et divine), ni sa crucifixion pour le rachat des péchés, ni sa résurrection puis son ascension, ne correspondent à aucun fait établi scientifiquement et même que les faits scientifiquement établis rendent infiniment douteux les précédents. On s'entend alors répondre qu'il faut d'abord accepter que, dans les textes saints, s'exprime en réalité le verbe divin, qu'il convient d'interpréter par des méthodes herméneutiques dont il faut acquérir la maîtrise.
Ou bien l'on tente de montrer par l'emploi d'une herméneutique portant sur des textes canoniques, qu'Augustin s'est trompé (et je te redis que François de Salles, Érasme, Luther, etc. n'ont pas du tout les mêmes opinions sur ce point), et l'on s'entend dire que, quoi qu'il en soit, tous ces procédés n'ont rien avoir avec les démarches et la méthode scientifique.
En d'autres termes, les emplois des termes “réfuter”, “démontrer”, “argumenter”, etc. relèvent de systèmes de pensées, de mentalités et de positions radicalement différentes. Ce qui signifie qu'exiger, comme tu le fais, que l'on “réfute Augustin”, n'a tout simplement aucun sens assignable.
En attendant qu'on le montre, on peut peut-être faire l'honneur à ces gens qui sont des génies de s'y frotter vraiment, pas de dire bah ils croient au destin, heureusement la science moderne a démonté tout ça.
Mais encore une fois, que l'on puisse lire Augustin, j'en conviens (ne serait-ce que parce que je l'ai fait). Qu'on le doive, j'en doute. Mais qu'on refuse a priori de le faire, aussi.
Cdlt
_________________
Si tu vales valeo.
- Courrier de mes élèves : ils se croient tout permis
- Vague terroriste : mes élèves croient au complot contre les musulmans. Que leur répondre ?
- Malaise dans l'EN : quand les perdirs et les IPR n'y croient plus eux non plus
- 20% des jeunes croient que la Terre est plate : la fake new de l'année !
- recherche DVD Le Destin de Rome
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum