- BalthazaardVénérable
ET Bergson?..."La pensée demeure incommensurable avec le langage"...c'est quand même un grand classique.
- EuthyphronNiveau 6
Tous, sans doute, ont réfléchi sur les rapports entre le langage et la pensée. Mais il y a une équivoque dans ta question."Limitation" peut être pris comme une restriction, imposant un renoncement à aller plus loin, et donc reviendrait ici à brider l'enthousiasme des illuminés prétendant penser sans langage, ou bien au contraire comme l'appel à dépasser les limites, ouvrant la porte à la mystique.
- ZagaraGuide spirituel
Qu'on se comprenne bien : ce n'est pas parce que je dis que la philosophie doit se constituer en science que je refuse l'idée qu'il y ait d'autres moyens d'accès à la connaissance que la science. Comme je suis bêtement kantienne en cette matière, je reconnais trois principaux moyens d'accès à la connaissance. Un seul passe uniquement par le langage explicite : la démarche scientifique, applicable, selon des modalités variées, à tous les domaines. Les deux autres, la clef esthétique et la clef mystique, sont des inspirations informulées, produites l'une par l'art, l'autre par l'illumination. Cette dernière n'est pas un synonyme de religion/croyance/surnaturel. C'est un état du cerveau (certainement biologiquement explicable) qui s'apparente à la transe.
Soit dit en passant, c'est certainement parce que l'illumination, en tant que réalité biologique, existe que des religions performatives et convaincantes ont pu voir le jour, plutôt que l'inverse.
Soit dit en passant, c'est certainement parce que l'illumination, en tant que réalité biologique, existe que des religions performatives et convaincantes ont pu voir le jour, plutôt que l'inverse.
- EuthyphronNiveau 6
J'ai bien compris, je crois, ta position, et je ne t'en veux pas!
Mais je ne saisis pas la cohérence de ta première phrase. La philosophie a tous les droits! Je veux dire que s'il existe un moyen x d'accéder à un plus en matière de connaissance, il est exclu de lui interdire de s'en servir! Au nom de quoi?
Si donc, la philosophie doit se constituer en science, si c'est obligatoire, c'est qu'il n'y a que par ce moyen que l'on peut progresser vers la vérité. Donc il s'ensuit qu'il ne saurait y avoir d'autres moyens de connaissance que la science. Non?
Mais je ne saisis pas la cohérence de ta première phrase. La philosophie a tous les droits! Je veux dire que s'il existe un moyen x d'accéder à un plus en matière de connaissance, il est exclu de lui interdire de s'en servir! Au nom de quoi?
Si donc, la philosophie doit se constituer en science, si c'est obligatoire, c'est qu'il n'y a que par ce moyen que l'on peut progresser vers la vérité. Donc il s'ensuit qu'il ne saurait y avoir d'autres moyens de connaissance que la science. Non?
- ZagaraGuide spirituel
Oui tu as raison, le verbe prescriptif "doit" est un peu trop vénère.
La philosophie gagnerait à s'ériger en tant que science si son ambition est de produire des connaissances. Parce que si elle se fait art, elle n'est plus philosophie, elle est littérature. Ce qui distingue la philosophie de la littérature, c'est qu'elle ne vise pas le beau mais le vrai (ou plutôt le plus probable en cela qu'il n'est pas réfuté).
La philosophie gagnerait à s'ériger en tant que science si son ambition est de produire des connaissances. Parce que si elle se fait art, elle n'est plus philosophie, elle est littérature. Ce qui distingue la philosophie de la littérature, c'est qu'elle ne vise pas le beau mais le vrai (ou plutôt le plus probable en cela qu'il n'est pas réfuté).
- EuthyphronNiveau 6
Cette fois je suis d'accord, sauf sur les phrases deux et quatre.
Croire que la littérature vise le beau me semble vraiment très réducteur. Il n'est pas sûr qu'il faille la définir en termes de visée d'ailleurs. Mais qu'elle le fasse exprès ou pas, la littérature contribue énormément à nous rendre plus intelligents, ce qui est une forme de connaissance.
Autrement dit, je ne t'accorde pas le postulat selon lequel toute connaissance serait de type scientifique. Postulat qui s'auto-réfute d'ailleurs, puisqu'il n'est lui-même pas démontrable scientifiquement.
Croire que la littérature vise le beau me semble vraiment très réducteur. Il n'est pas sûr qu'il faille la définir en termes de visée d'ailleurs. Mais qu'elle le fasse exprès ou pas, la littérature contribue énormément à nous rendre plus intelligents, ce qui est une forme de connaissance.
Autrement dit, je ne t'accorde pas le postulat selon lequel toute connaissance serait de type scientifique. Postulat qui s'auto-réfute d'ailleurs, puisqu'il n'est lui-même pas démontrable scientifiquement.
- ZagaraGuide spirituel
Je n'ai pas dit que toute connaissance était de type scientifique, j'ai justement dit qu'il y avait trois moyens d'accès à la connaissance, dont l'art.
- klaus2Habitué du forum
C'est quoi, zagara, des axiologies bracantes ??
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Eine andere Sprache zu können, ist wie eine zweite Seele zu besitzen.“ – Karl der Große. "Parler une autre langue, c'est comme posséder une seconde âme" (Charlemagne)
- SimeonNiveau 10
Paradoxalement, ce sont les gens habitués à travailler avec un langage formel: mathématiciens, logiciens, informaticiens.. qui en attendent le moins.
Bientôt un siècle que les espoirs de vérités ou de cohérence des mathématiciens ont été broyé ! Nous vivons pourtant bien avec.
Bientôt un siècle que les espoirs de vérités ou de cohérence des mathématiciens ont été broyé ! Nous vivons pourtant bien avec.
- DesolationRowEmpereur
Zagara a écrit:Oui tu as raison, le verbe prescriptif "doit" est un peu trop vénère.
La philosophie gagnerait à s'ériger en tant que science si son ambition est de produire des connaissances. Parce que si elle se fait art, elle n'est plus philosophie, elle est littérature. Ce qui distingue la philosophie de la littérature, c'est qu'elle ne vise pas le beau mais le vrai (ou plutôt le plus probable en cela qu'il n'est pas réfuté).
Zagara a écrit:Je n'ai pas dit que toute connaissance était de type scientifique, j'ai justement dit qu'il y avait trois moyens d'accès à la connaissance, dont l'art.
- ZagaraGuide spirituel
@Simeon : Oui oui, Godel, 1931, tout ça, on connaît.
@DR : Ben les deux posts ne sont pas contradictoires, si on peut accéder à une forme de connaissance par le beau (par l’esthétique). Ce qui me semble juste.
Ce n'est pas l'objet de la philosophie d'accéder à la connaissance par l'esthétique.
@DR : Ben les deux posts ne sont pas contradictoires, si on peut accéder à une forme de connaissance par le beau (par l’esthétique). Ce qui me semble juste.
Ce n'est pas l'objet de la philosophie d'accéder à la connaissance par l'esthétique.
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
Quand je lis quelqu'un qui n'écrit pas en langage formel, je ne me dis pas que je lis un beau discours dont la beauté me conduit à la connaissance. J'aimerais voir illustrer cette proposition, d'ailleurs : je l'ai déjà rencontrée plusieurs fois, mais je la comprends mal. Quand je lis un tel personnage, donc, je lis quelqu'un dont la pensée a besoin de cette forme pour se déployer. Du moins, s'il s'agit d'un véritable écrivain. On peut bien sûr enjoliver gratuitement des idées, voire au prix de leur clarté. Mais quand je lis Benveniste, Descartes, Veyne, Foucault (je ne parle pas de ceux que je ne lis pas en langue d'origine), je fais l'expérience d'une pensée qui ne peut pas être en dehors de cette forme. Souvent parce que leur pensée ne peut que s'altérer si on lui ôte son mouvement. La pensée n'est pas forcément conceptuelle, formalisable, logicienne. Cela me rappelle d'ailleurs une petite expérience, dans mes études : je tâchais (je n'aurais pas nommé la chose ainsi, mais c'était ça) de "formaliser" Meschonnic, parce que bon je trouvais qu'on n'y voyait quand même pas clair, avec cette parataxe permanente, cette façon de construire ses bouquins. Ben en fait ça m'a fait prendre conscience de certains éléments importants de sa pensée et du lien fort qu'elle entretenait avec son écriture. Pensée que j'aimerais bien voir cataloguée comme acquise par l'expérience du beau.
Sinon, j'aimerais bien connaître cette définition de la philosophie qui conduit à penser qu'elle ferait bien de se formaliser. Et pourquoi cette définition, qui exclut donc bien des philosophes parmi les plus importants.
Sinon, j'aimerais bien connaître cette définition de la philosophie qui conduit à penser qu'elle ferait bien de se formaliser. Et pourquoi cette définition, qui exclut donc bien des philosophes parmi les plus importants.
- EuthyphronNiveau 6
@Zagara
Entièrement d'accord, la philosophie n'accède pas à la connaissance par l'esthétique (je reprends tes termes), pour la raison toute bête que la philosophie s'exprime avec des mots. Elle peut réfléchir sur la beauté d'une œuvre singulière, ou aussi dans une autre genre sur la mystique, mais elle n'est ni une voie mystique ni une application d'une théorie esthétique. Mais la littérature ce n'est pas simplement de l'esthétique!
Et si l'on peut accéder à une forme de connaissance par le beau, ce qui n'est pas certain, alors la philosophie peut s'efforcer d'être belle, et on peut imaginer (d'autant qu'il en existe) de la philosophie exprimée sous la forme strictement poétique. Mais si c'est défendu, c'est parce que l'on juge que ce n'est que de la beauté et donc que c'est sans valeur cognitive. Je ne vois toujours pas comment tu peux sortir de cette contradiction.
Entièrement d'accord, la philosophie n'accède pas à la connaissance par l'esthétique (je reprends tes termes), pour la raison toute bête que la philosophie s'exprime avec des mots. Elle peut réfléchir sur la beauté d'une œuvre singulière, ou aussi dans une autre genre sur la mystique, mais elle n'est ni une voie mystique ni une application d'une théorie esthétique. Mais la littérature ce n'est pas simplement de l'esthétique!
Et si l'on peut accéder à une forme de connaissance par le beau, ce qui n'est pas certain, alors la philosophie peut s'efforcer d'être belle, et on peut imaginer (d'autant qu'il en existe) de la philosophie exprimée sous la forme strictement poétique. Mais si c'est défendu, c'est parce que l'on juge que ce n'est que de la beauté et donc que c'est sans valeur cognitive. Je ne vois toujours pas comment tu peux sortir de cette contradiction.
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
Et puis, y'a pas que la littérature qui est de l'esthétique. J'ai de jolis fauteuils Louis XV chez moi, ça aussi c'est de l'esthétique. Je n'ai jamais compris pourquoi le mot esthétique était encore aujourd'hui si souvent apposé au mot art, alors que c'est 1. réducteur 2. pas spécifique du tout.
- ZagaraGuide spirituel
@Euthyphron : Il va me falloir du temps pour réfléchir à cette contradiction ; merci. Par contre la première phrase n'est pas juste : "la philosophie n'accède pas à la connaissance par l'esthétique (je reprends tes termes), pour la raison toute bête que la philosophie s'exprime avec des mots" -> il existe des arts qui s'expriment avec des mots (littérature, poésie), et si on accepte qu'ils peuvent accéder par ce moyen à une forme de connaissance, alors le fait que la philosophie s'exprimer avec des mots ne suffit pas à accepter qu'elle n'a pas pour objet d'accéder à la connaissance par l'esthétique.
- EuthyphronNiveau 6
D'accord, ce n'est pas suffisant en effet.
Je tente donc de corriger ma formulation, qui fut trop abrupte.
Si on admet, comme Wittgenstein, que ce qui est esthétique ne dit rien, mais montre, alors il faut remarquer qu'en revanche la philosophie passe nécessairement par le langage. Cela n'implique évidemment nulle hostilité entre beauté et philosophie. Simplement la dimension discursive n'est pas nécessaire à l'esthétique, et même peut être très vite superflue.
A la limite, en bon platonicien, je serais tenté de dire que la philosophie vise (parfois) "le beau" (ou quelque chose qui relève de la contemplation) à travers la connaissance, et non l'inverse.
Je tente donc de corriger ma formulation, qui fut trop abrupte.
Si on admet, comme Wittgenstein, que ce qui est esthétique ne dit rien, mais montre, alors il faut remarquer qu'en revanche la philosophie passe nécessairement par le langage. Cela n'implique évidemment nulle hostilité entre beauté et philosophie. Simplement la dimension discursive n'est pas nécessaire à l'esthétique, et même peut être très vite superflue.
A la limite, en bon platonicien, je serais tenté de dire que la philosophie vise (parfois) "le beau" (ou quelque chose qui relève de la contemplation) à travers la connaissance, et non l'inverse.
- ZagaraGuide spirituel
Ça me va parfaitement.Euthyphron a écrit:D'accord, ce n'est pas suffisant en effet.
Je tente donc de corriger ma formulation, qui fut trop abrupte.
Si on admet, comme Wittgenstein, que ce qui est esthétique ne dit rien, mais montre, alors il faut remarquer qu'en revanche la philosophie passe nécessairement par le langage. Cela n'implique évidemment nulle hostilité entre beauté et philosophie. Simplement la dimension discursive n'est pas nécessaire à l'esthétique, et même peut être très vite superflue.
Alors là par contre c'est étranger à mon schéma.Euthyphron a écrit:A la limite, en bon platonicien, je serais tenté de dire que la philosophie vise (parfois) "le beau" (ou quelque chose qui relève de la contemplation) à travers la connaissance, et non l'inverse.
Je ne vois pas comment la connaissance pourrait produire du beau. Lorsqu'un mathématicien dit qu'une équation est "belle" ou "élégante", il veut en fait dire qu'elle est très efficace pour accéder à la connaissance (très courte, le moins de termes possible, ou bien elle fait une boucle rigolote, ou elle a une isomorphie chouette, etc).
Un individu peut avoir une inclination à aimer la connaissance, mais ça ne rend pas cette connaissance "belle" ou capable de révéler le beau ; c'est l'individu qui y investit ses passions.
- PrezboGrand Maître
Simeon a écrit:Paradoxalement, ce sont les gens habitués à travailler avec un langage formel: mathématiciens, logiciens, informaticiens.. qui en attendent le moins.
Bientôt un siècle que les espoirs de vérités ou de cohérence des mathématiciens ont été broyé ! Nous vivons pourtant bien avec.
S'il s'agit d'une référence au théorème de Gödel (ou plutôt devrait-on dire aux théorèmes de Gödel, puisque le mathématicien a établit deux résultats distincts) cette phrase me semble trop rapide et surtout très inexacte.
Ce n'est pas "les espoirs de vérités et de cohérence des mathématiques" qui ont été broyés. Bien évidemment que les mathématiques produisent toujours des vérités, ou du moins des démonstrations formelles, et que tous les mathématiciens qui ont un peu réfléchit à la question espèrent que leur axiomatique est cohérente.
Ce qui a été broyé, ce sont deux choses.
1) L'espoir de complétude des mathématiques, ou plus précisément d'un système d'axiomes formels. Dans tout système d'axiomes suffisamment riche, on trouve des énoncés qui ne sont ni démontrables, ni réfutables. (En gros, les analogues formels de la fameuse affirmation du crétois, "Je mens".)
2) L'espoir que les mathématiques puissent elles-même démontrer en interne leur propre cohérence. Un sytème d'axiome formel ne peut pas démontrer un énoncé dont l'interprétation intuitive est "ce système est cohérent et non contradictoire".
Ce deuxième point transforme peut-être la confiance en la cohérence de nos mathématiques en acte de foi. Mais on peut difficilement faire des mathématiques sans cette conviction, puisqu'il est notable que si un système axiomatique permet de démontrer ne serait-ce qu'un seul énoncé contradictoire, alors il permet de démontrer n'importe quoi.
En gros, Gödel a répondu violemment négativement au second problème de Hilbert.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Probl%C3%A8mes_de_Hilbert#Deuxi%C3%A8me_probl%C3%A8me
- BalthazaardVénérable
Bergson prix nobel de littérature!!!Sylvain de Saint-Sylvain a écrit:Quand je lis quelqu'un qui n'écrit pas en langage formel, je ne me dis pas que je lis un beau discours dont la beauté me conduit à la connaissance. J'aimerais voir illustrer cette proposition, d'ailleurs : je l'ai déjà rencontrée plusieurs fois, mais je la comprends mal. Quand je lis un tel personnage, donc, je lis quelqu'un dont la pensée a besoin de cette forme pour se déployer. Du moins, s'il s'agit d'un véritable écrivain. On peut bien sûr enjoliver gratuitement des idées, voire au prix de leur clarté. Mais quand je lis Benveniste, Descartes, Veyne, Foucault (je ne parle pas de ceux que je ne lis pas en langue d'origine), je fais l'expérience d'une pensée qui ne peut pas être en dehors de cette forme. Souvent parce que leur pensée ne peut que s'altérer si on lui ôte son mouvement. La pensée n'est pas forcément conceptuelle, formalisable, logicienne. Cela me rappelle d'ailleurs une petite expérience, dans mes études : je tâchais (je n'aurais pas nommé la chose ainsi, mais c'était ça) de "formaliser" Meschonnic, parce que bon je trouvais qu'on n'y voyait quand même pas clair, avec cette parataxe permanente, cette façon de construire ses bouquins. Ben en fait ça m'a fait prendre conscience de certains éléments importants de sa pensée et du lien fort qu'elle entretenait avec son écriture. Pensée que j'aimerais bien voir cataloguée comme acquise par l'expérience du beau.
Sinon, j'aimerais bien connaître cette définition de la philosophie qui conduit à penser qu'elle ferait bien de se formaliser. Et pourquoi cette définition, qui exclut donc bien des philosophes parmi les plus importants.
- BalthazaardVénérable
Pas sur du tout pour l'histoire sur les equations, je crois que Dirac, platonicien s'il en est, te contredirait.Zagara a écrit:Ça me va parfaitement.Euthyphron a écrit:D'accord, ce n'est pas suffisant en effet.
Je tente donc de corriger ma formulation, qui fut trop abrupte.
Si on admet, comme Wittgenstein, que ce qui est esthétique ne dit rien, mais montre, alors il faut remarquer qu'en revanche la philosophie passe nécessairement par le langage. Cela n'implique évidemment nulle hostilité entre beauté et philosophie. Simplement la dimension discursive n'est pas nécessaire à l'esthétique, et même peut être très vite superflue.Alors là par contre c'est étranger à mon schéma.Euthyphron a écrit:A la limite, en bon platonicien, je serais tenté de dire que la philosophie vise (parfois) "le beau" (ou quelque chose qui relève de la contemplation) à travers la connaissance, et non l'inverse.
Je ne vois pas comment la connaissance pourrait produire du beau. Lorsqu'un mathématicien dit qu'une équation est "belle" ou "élégante", il veut en fait dire qu'elle est très efficace pour accéder à la connaissance (très courte, le moins de termes possible, etc).
Un individu peut avoir une inclination à aimer la connaissance, mais ça ne rend pas cette connaissance "belle" ou capable de révéler le beau ; c'est l'individu qui y investit ses passions.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Ludwie a écrit:
Je ne pensais pas que ce fil susciterait autant d'intérêt. Je ne pense pas souffrir d'hypertrophie de l'égo professoral, pour le moment en tout cas
Les élèves ont effectivement des notions confuses. Ils mettent beaucoup de choses derrière cette idée de "destin". A la question de savoir s'ils pensent que le succès ou l'échec d'un individu est la conséquence de ses propres choix et efforts, ils répondent d'ailleurs majoritairement "oui".
Je n'ai pas l'intention de les convaincre de quoique ce soit. En tant que prof de philo, je cherche simplement à définir, à faire des distinctions, à préciser le sens que plusieurs auteurs différents ont donné à la même idée. Si, après cela, ils comprennent "l'argument paresseux" style Leibniz ou continuent de croire au destin version Stoiciens, Augustin, Calvin, grand bien leur fasse. Ils peuvent même rejeter l'idée de responsabilité personnelle, du moment qu'ils me l'argumentent en quelques phrases.
Je n'ai peut-être pas suffisamment distinguer les enjeux philosophiques des enjeux pédagogiques.
Enjeu pédagogique: faire passer les élèves de la confusion à un peu plus de clarté (pour être réaliste) pour, enjeu philosophique: leur permettre de penser vraiment ce qu'ils croient (quoiqu'ils croient).
Il y a peut-être quelques distinctions à faire entre des concepts assez différents, et qui se trouvent englobées dans la notion de destin.
Autre chose est de croire que l'on est “déterminé” à telle ou telle série d'événements, soit en fonction d'une nécessité générale, soit en fonction d'une “nature”: de ce point de vue, Augustin a fortement critiqué l'astrologie (disons un “gouvernement par les astres”), et il a fortement réfuté le manichéisme auquel il avait, un temps adhéré (pour aller vite: l'idée “gnostique” que certains sont dépositaires d'une parcelle de lumière, ce qui leur permet de se purifier de la part de ténèbre). De mémoire, l'un des textes doit se trouver dans les Confessions IV-iii.
Autre chose est de croire qu'il existe une providence accompagnée de prédestination: celle-ci peut très bien être postulée détenue par un être omniscient (du point de vue duquel il existe donc un destin au sens d'une prédestination) sans pour autant pouvoir être connue d'un point de vue humain (on peut donc être prédestiné, par ex. à la chute, sans pouvoir le savoir).
Autre chose encore, de croire qu'il existe une providence générale, au sens d'un ordre bénéfique des événements dans le monde et d'une nécessité ou d'un ordre juste et bon du monde: ce qui n'implique pas que l'on puisse agir sur cet ordre (en ce sens, il n'y aurait pas de liberté), mais qui peut impliquer que, dans cet ordre, on puisse apprendre à distinguer ce qui dépend de nous de ce qui ne dépend pas de nous.
Autre chose encore, de poser qu'il n'existe dans ce monde que des ensembles de causes et d'effets, et que l'on est donc soumis à un “déterminisme”: dans ce cas, cela peut impliquer une négation de la liberté (sauf à assimiler “être libre” et “croire être libre” à l'aide de l'argument suivant lequel, ne connaissant pas ce déterminisme, on croit subjectivement lui échapper). Mais si l'on postule que cette réalité entièrement soumise en soi au jeu des causes et des effets, ou encore en partie ou totalement livrée à la contingence, est ontologiquement différente de la réalité humaine qui reste “pour soi” une puissance de négation, on peut alors refuser toute forme de destin en affirmant que, quand bien même on meurt d'une maladie mortelle, on choisit la manière dont on fait l'expérience de cette maladie…
Ponocrates a écrit:Autant dire que la théorie de l'Antiquité selon laquelle la lumière est un rayon qui sort des yeux - ou un truc approchant
N.B. c'est plutôt une théorie du “rayon visuel”, par ex. pour les stoïciens, une sorte d'émanation de l'âme qui va “palper” les objets là où ils sont, la “lumière” étant assimilée à un “milieu naturel”, celui dans lequel se propage le “rayon visuel”. Il faut attendre la période qui s'étend entre le traité d'optique d'Alhazen/Ibn al-Haytham au traité d'optique de Descartes (en passant pas Képler et quelques autres), pour que le modèle se “renverse” totalement et qu'on en soit venu à penser que la “lumière entre dans l'oeil”, lequel est un dispositif optique, d'abord pensé comme une sorte de “chambre noire”. Alhazen, par ex. affirme que la lumière entre dans l'oeil jusque dans le cristallin, mais non pas qu'il y a une “propagation” ensuite: le sens, lui, chemine à l'intérieur du corps pour aller “voir” l'image “dans l'oeil”. Là-dessus, il y a pas mal de travaux, dont ceux de Gérard Simon (Le regard, l'être et l'apparence — et L'archéologie de la vision). Mais que ce soit dans l'Antiquité ou à partir de la période moderne, dans tous les cas, il n'en demeure pas moins qu'on fait un usage intensif — et scientifique — de la géométrie…
Cdlt
- BalthazaardVénérable
"on choisit la manière dont on fait l'expérience de cette maladie…"
Je comprends peut-être mal mais dans une vision radicale, la pensée n'échappe pas non plus au déterminisme étant générée par des processus, biologiques, chimiques et physiques, avons nous le choix de ce que nous pensons? même si nous en sommes persuadés..je crois que c'est sans réponse. Faudrait que je relise l'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique, il me semble que Penrose avait des idées sur la question.
Je comprends peut-être mal mais dans une vision radicale, la pensée n'échappe pas non plus au déterminisme étant générée par des processus, biologiques, chimiques et physiques, avons nous le choix de ce que nous pensons? même si nous en sommes persuadés..je crois que c'est sans réponse. Faudrait que je relise l'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique, il me semble que Penrose avait des idées sur la question.
- ElaïnaDevin
J'ai un peu honte mais dès que je vois le titre de ce fil apparaître dans la liste des nouveaux sujets, je pense à...
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Kiryu Kazuma inYakuza 4 Remastered
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- epekeina.tes.ousiasModérateur
Balthazaard a écrit:"on choisit la manière dont on fait l'expérience de cette maladie…"
Je comprends peut-être mal mais dans une vision radicale, la pensée n'échappe pas non plus au déterminisme étant générée par des processus, biologiques, chimiques et physiques, avons nous le choix de ce que nous pensons? même si nous en sommes persuadés..je crois que c'est sans réponse. Faudrait que je relise l'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique, il me semble que Penrose avait des idées sur la question.
À mon sens, ta manière d'interpréter les choses serait plutôt du côté d'un déterminisme intégral, à la Spinoza par ex. À quoi l'on peut répondre que dans la mesure où les processus dont tu parles, s'ils existent, nous échappent totalement et où nous n'en avons strictement aucune conscience (quand bien même on les connaîtrait, en tant que processus causaux, cette connaissance n'accompagnerait jamais notre propre vie, à mesure que nous la vivons), entre dire “nous croyons être libres, ou penser”, “nous sommes subjectivement libres”, “nous imaginons l'être”, il n'y a pas de différence, puisque nous sommes incapables de maintenir la distinction entre ce que nous croyons et ce que nous imaginons durant le temps que nous vivons (nous ne pouvons maintenir cette distinction que théoriquement, comme une hypothèse et celle-ci n'a aucune influence sur notre action).
En revanche, si je ne mets plus de côté les références implicites que j'avais en tête: nous choisissons notre maladie, c'est à peu près ce que Sarte veut dire quand il affirme qu'à la guerre, il n'y a pas de victimes innocentes. Évidemment, c'est volontairement paradoxal. Mais il veut dire que, quand bien même nous serions totalement les jouets d'un déterminisme historique massif (la guerre, ça nous tombe dessus, sans, semble-t-il, nous laisser aucun choix), nous nous choisissons nous-mêmes et notre attitude dans cette situation. Les uns s'engagent volontairement, les autres désertent, certains s'abandonnent au fatalisme, d'autres refusent de tuer (Giono, qui fait toute la Grande guerre en sabotant son fusil), etc. Il appelle ça un “choix passif” et il veut dire que, puisque nous sommes engagés dans la trame du monde, embarqués, que nous le voulions ou nous, nous sommes contraints de choisir: et même le fait de fuir cette responsabilité, c'est encore une manière de choix…
Il y a donc, me semble-t-il, bien des manières d'entendre la notion de destin, fort différentes les unes des autres (je ne suis pas certain de ne pas en avoir oublié): mais les raisonnements qui les accompagnent ne sont pas nécessairement des “superstitions”. Et quant au problème lui-même, il se pourrait bien qu'il soit difficilement éliminable, quand bien même il nous mènerait, à chaque fois, dans des voies sans issue.
Cdlt
- MeerschNiveau 6
Je me permets de participer au débat sur la nature de la philosophie et sur son caractère scientifique. C'est un sujet qui me tient à coeur et je pense qu'il y a en France aujourd'hui une très forte tendance à considérer la philosophie comme une espèce de foire aux opinions farfelues dans lesquelles il s'agirait de faire son choix selon l'arbitraire de ses goûts, et à tenir cette conception pour évidente alors qu'elle est radicalement opposée à la manière dont 90% des penseurs de l'histoire des idées ont eux-mêmes pratiqué cette discipline théorique. Je suis presque intégralement d'accord avec les messages de Zagara sur le sujet, en revanche .
Je ne vois pas en quoi une phrase de la forme "ce que pense tel philosophe sur tel sujet est faux" est nécessairement dépourvue de sens. Elle me semble aussi sensée qu'une phrase de la forme "ce que pense tel scientifique sur tel sujet est faux". Et je crois qu'il suffit d'avoir un tout petit peu de culture philosophique pour avoir lu des centaines d'occurrences de phrases de cette forme dans les ouvrages classiques de l'histoire de la philosophie, puisque les philosophes (ou plus exactement la quasi-totalité des philosophes) écrivent essentiellement pour démontrer la vérité de leurs théories et démontrer la fausseté de celles des philosophes concurrents.
Il me semble également très douteux de dire "qu'on est libre de ne pas croire" à un système philosophique, quoique ce soit malheureusement une conception (je dirais même un contresens) très répandue sur la nature de la philosophie. Si vraiment on est libre d'adhérer à telle philosophie plutôt qu'à telle autre, comme on est libre d'aimer le fromage de brebis ou non, je ne vois pas tellement ce qui distingue la philosophie de la religion. Or la philosophie s'est constituée en grande partie en opposition avec la religion, en ceci essentiellement qu'elle exige des justifications rationnelles là où la religion impose des dogmes. Et on n'est pas libre de croire ou non à des justifications rationnelles : on doit y adhérer ou bien en montrer l'insuffisance, exactement comme dans toute démarche scientifique sérieuse.
C'est la raison pour laquelle on peut très bien prétendre qu'un système philosophique est faux, exactement comme on peut prétendre qu'un système scientifique est faux. On peut montrer son manque de cohérence interne, par exemple, ou son indéquation avec l'expérience, ou le caractère infondé de ses propositions fondamentales. Bref, on procède là encore comme on procède en face de toute proposition ou système théorique qu'on veut réfuter.
Ca me rappelle un professeur de philosophie qui soutenait récemment ici même que le finalisme d'Aristote n'était pas réfuté par le darwinisme, parce qu'en gros philosophie et science se situeraient sur deux plans différents, qui ne communiquent pas. Je trouve ça consternant pour toutes les raisons que j'expose plus haut et plus bas, mais aussi pour une raison importante qu'il faut mentionner, c'est que la distinction entre philosophie et sciences telle qu'on la pense aujourd'hui date du XIXe siècle. A l'époque d'Aristote, elle est très loin d'être en vigueur, et le finalisme d'Aristote appartient donc aussi bien à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa physique qu'à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa philosophie. Il se situe donc bien évidemment sur le même plan scientifique que la théorie de Darwin, pour peu qu'on ne se laisse pas avoir par la différence historique des découpages disciplinaires. Et ça vaut évidemment pour n'importe quelle théorie dite "philosophique" à laquelle la science exacte contemporaine vient infliger un démenti.
Dans la même veine, j'ai lu :
Ben si, carrément. Penser un système philosophique en terme de fausseté ou de vérité est ce qui s'est fait en philosophie pendant au moins 25 siècles et ce qui se fait encore aujourd'hui tout naturellement dans la tradition analytique, par exemple. Il y a évidemment des traditions concurrentes, comme la sophistique par exemple, mais elles sont très minoritaires dans la tradition philosophique.
Plus loin, tu réponds :
à Zagara qui proposait une vision de la philosophie à peu près conforme à celle que je viens d'esquisser. Mais sérieusement, tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça ? Si par "philosophe" tu entends tes anciens potes de fac ou tes collègues, je peux comprendre ; mais si tu entends aussi par là les grands penseurs de la tradition, ce qui serait bien normal, c'est assez aberrant. Pour taquiner, je serais tenté de dire que si tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça, c'est que tu ne connais pas un philosophe tout court. Mais je pense que tu connais Aristote, Descartes, Hobbes, Leibniz, Spinoza, Locke, Berkeley, Condillac, Kant, Schopenhauer ou Russell, par exemple, qui pensent en réalité tous exactement comme ça. Et bien évidemment j'en oublie des dizaines.
Et sérieusement, quand vous lisez, par exemple, les Méditations métaphysiques de Descartes, vous croyez qu'il fait quoi, Descartes ? Qu'il écrit un poème ? Qu'il fonde une religion ? Qu'il raconte un conte de fées ? Il est quand même plus qu'évident que Descartes propose une série de thèses qu'ils juge vraies, et qu'il produit des argumentaires pour établir leur vérité et en convaincre le lecteur, en passant périodiquement par la réfutation d'objections possibles. Vous pensez que les longs argumentaires en lesquels consiste l'essentiel de la quasi-totalité des ouvrages classiques de philosophie sont là juste pour rigoler, et que l'auteur en réalité se moque de prouver la vérité de son système et la fausseté des systèmes adverses ? Franchement, ça me dépasse qu'on puisse avoir lu des classiques de la philosophie et dire ensuite sérieusement, comme s'il s'agissait d'une évidence absolue, qu'elle ne vise pas la vérité, et qu'on est libre d'adhérer à tel ou tel système.
Alors bon, je comprends qu'on fasse un usage très personnel et qu'on ait une vision tout aussi personnelle de la philosophie, qu'on la considère comme un répertoire de systèmes ni vrais ni faux dans lesquels on papillonne selon nos goûts, et non comme une discipline théorique qui vise le vrai ; je comprends aussi qu'on aime s'asseoir sur des pianos et faire de la musique avec des tabourets.
Mais il faut être conscient que c'est un rapport à la philosophie qui contredit 90% de la tradition (bien qu'il soit conforme à une certaine pratique philosophique essentiellement contemporaine et très française). Mais j'ai souvent l'impression que les gens qui défendent comme vous cette vision très spécifique de la philosophie croient qu'elle est une évidence, et ne se rendent même pas compte que ce faisant ils contredisent la quasi-totalité des philosophes, donc ce qu'a été la philosophie historiquement. C'est bien évidemment un droit, mais encore faut-il être conscient de la spécificité de cette position. Malheureusement, je constate qu'il s'agit plus d'un dogme conforme au relativisme ambiant et d'une dérive historisante inconsciente que d'une réinterprétation réfléchie de la pratique philosophique. Et ça montre que ce relativisme dogmatique qu'on déplore à juste titre chez nombre d'élèves a aussi très largement contaminé les professeurs.
Le problème vient partiellement du rapprochement à mon sens totalement erroné entre philosophie et littérature. Les esprits littéraires déambulent dans les rayons de l'histoire de la littérature et choisissent de s'intéresser à Rabelais, ou à Molière, ou à Céline, selon leur tempérament, et ils croient naïvement qu'on peut déambuler et faire son choix exactement de la même manière dans les rayons de l'histoire de la philosophie, probablement au motif que comme la littérature elle s'exprime la plupart du temps en langage ordinaire. Mais c'est une confusion grave, parce que l'identité du moyen (le langage ordinaire) ne signifie l'identité de la fin. Comme l'a bien dit Zagara, la littérature et l'art en général visent le beau, tandis que la philosophie et la science en général visent le vrai. Ce n'est pas parce qu'un livre de philosophie, ou d'histoire, ou de sociologie, est écrit en langage ordinaire, que comme la littérature elles doivent écarter la discrimination et la hiérarchisation en termes de vérité et de fausseté.
En passant, il suffit de comparer le nombre de philosophes scientifiques (sciences exactes ou humaines) avec le nombre de philosophes écrivains pour se rendre compte que la philosophie a infiniment plus d'affinités avec la science qu'avec la littérature. Et c'est tout simplement parce que comme la science elle cherche à produire des théories vraies, et non des beaux textes.
Bref, pour pasticher l'Académie de Platon, je crois qu'il serait bon d'inscrire à l'entrée des facultés de philosophie : "Que nul n'entre ici s'il est littéraire" .
Je suis tout à fait d'accord avec ça : le but ultime de la philosophie peut-être considéré comme étant de trouver le meilleur système du point de vue de la vérité, sans pour autant que les professeurs de philosophie ait déontologiquement le droit de présenter tel système comme étant ce système idéal. Sur ce point, la philosophie se distingue évidemment de la science exacte, car un professeur de physique peut évidemment discriminer ce qui est scientifiquement bien établi et ce qui ne l'est pas sans contrevenir à son devoir de neutralité. Et cet apparent paradoxe s'explique de la façon suivante : ce n'est pas que la philosophie soit moins attachée à la vérité que la science, mais c'est qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'y a toujours pas de consensus de la communauté philosophique sur ce qu'est le bon paradigme, alors que c'est évidemment le cas dans les sciences exactes.
Comme le montre le reste de mon message, je suis absolument d'accord avec toi concernant la nature scientifique de la philosophie, mais je crois que tu te trompes sur ce point. Des gens aussi sérieux scientifiquement que Russell, Frege ou Gödel, qui incarnent la science et la philosophie dans ce qu'elles ont de plus rigoureux, ont adhéré à une forme de platonisme.
C'est la pratique de la philosophie à laquelle je souscris, mais je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est là toute la philosophie contemporaine. Tu fais référence à la philosophie analytique, mais ce n'est absolument pas la tradition dominante en France par exemple !
DesolationRow a écrit:Je pense que la phrase « ce que pense Augustin sur le destin est faux » n’a pas grand sens. Il a construit un système (déjà, c’est vite dit) auquel on est libre de ne pas croire, mais je serais très curieux de savoir comment on peut prétendre que ce système est « faux ».
Je ne vois pas en quoi une phrase de la forme "ce que pense tel philosophe sur tel sujet est faux" est nécessairement dépourvue de sens. Elle me semble aussi sensée qu'une phrase de la forme "ce que pense tel scientifique sur tel sujet est faux". Et je crois qu'il suffit d'avoir un tout petit peu de culture philosophique pour avoir lu des centaines d'occurrences de phrases de cette forme dans les ouvrages classiques de l'histoire de la philosophie, puisque les philosophes (ou plus exactement la quasi-totalité des philosophes) écrivent essentiellement pour démontrer la vérité de leurs théories et démontrer la fausseté de celles des philosophes concurrents.
Il me semble également très douteux de dire "qu'on est libre de ne pas croire" à un système philosophique, quoique ce soit malheureusement une conception (je dirais même un contresens) très répandue sur la nature de la philosophie. Si vraiment on est libre d'adhérer à telle philosophie plutôt qu'à telle autre, comme on est libre d'aimer le fromage de brebis ou non, je ne vois pas tellement ce qui distingue la philosophie de la religion. Or la philosophie s'est constituée en grande partie en opposition avec la religion, en ceci essentiellement qu'elle exige des justifications rationnelles là où la religion impose des dogmes. Et on n'est pas libre de croire ou non à des justifications rationnelles : on doit y adhérer ou bien en montrer l'insuffisance, exactement comme dans toute démarche scientifique sérieuse.
C'est la raison pour laquelle on peut très bien prétendre qu'un système philosophique est faux, exactement comme on peut prétendre qu'un système scientifique est faux. On peut montrer son manque de cohérence interne, par exemple, ou son indéquation avec l'expérience, ou le caractère infondé de ses propositions fondamentales. Bref, on procède là encore comme on procède en face de toute proposition ou système théorique qu'on veut réfuter.
Ca me rappelle un professeur de philosophie qui soutenait récemment ici même que le finalisme d'Aristote n'était pas réfuté par le darwinisme, parce qu'en gros philosophie et science se situeraient sur deux plans différents, qui ne communiquent pas. Je trouve ça consternant pour toutes les raisons que j'expose plus haut et plus bas, mais aussi pour une raison importante qu'il faut mentionner, c'est que la distinction entre philosophie et sciences telle qu'on la pense aujourd'hui date du XIXe siècle. A l'époque d'Aristote, elle est très loin d'être en vigueur, et le finalisme d'Aristote appartient donc aussi bien à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa physique qu'à ce qui correspondrait aujourd'hui à sa philosophie. Il se situe donc bien évidemment sur le même plan scientifique que la théorie de Darwin, pour peu qu'on ne se laisse pas avoir par la différence historique des découpages disciplinaires. Et ça vaut évidemment pour n'importe quelle théorie dite "philosophique" à laquelle la science exacte contemporaine vient infliger un démenti.
Dans la même veine, j'ai lu :
Ponocrates a écrit:C'est la façon de voir de Platon : la question n'est pas de savoir si on doit y adhérer ou non.
Ben si, carrément. Penser un système philosophique en terme de fausseté ou de vérité est ce qui s'est fait en philosophie pendant au moins 25 siècles et ce qui se fait encore aujourd'hui tout naturellement dans la tradition analytique, par exemple. Il y a évidemment des traditions concurrentes, comme la sophistique par exemple, mais elles sont très minoritaires dans la tradition philosophique.
Plus loin, tu réponds :
DesolationRaw a écrit:Sans blague, je crois que je ne connais pas un philosophe qui pense comme ça.
à Zagara qui proposait une vision de la philosophie à peu près conforme à celle que je viens d'esquisser. Mais sérieusement, tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça ? Si par "philosophe" tu entends tes anciens potes de fac ou tes collègues, je peux comprendre ; mais si tu entends aussi par là les grands penseurs de la tradition, ce qui serait bien normal, c'est assez aberrant. Pour taquiner, je serais tenté de dire que si tu ne connais pas un philosophe qui pense comme ça, c'est que tu ne connais pas un philosophe tout court. Mais je pense que tu connais Aristote, Descartes, Hobbes, Leibniz, Spinoza, Locke, Berkeley, Condillac, Kant, Schopenhauer ou Russell, par exemple, qui pensent en réalité tous exactement comme ça. Et bien évidemment j'en oublie des dizaines.
Et sérieusement, quand vous lisez, par exemple, les Méditations métaphysiques de Descartes, vous croyez qu'il fait quoi, Descartes ? Qu'il écrit un poème ? Qu'il fonde une religion ? Qu'il raconte un conte de fées ? Il est quand même plus qu'évident que Descartes propose une série de thèses qu'ils juge vraies, et qu'il produit des argumentaires pour établir leur vérité et en convaincre le lecteur, en passant périodiquement par la réfutation d'objections possibles. Vous pensez que les longs argumentaires en lesquels consiste l'essentiel de la quasi-totalité des ouvrages classiques de philosophie sont là juste pour rigoler, et que l'auteur en réalité se moque de prouver la vérité de son système et la fausseté des systèmes adverses ? Franchement, ça me dépasse qu'on puisse avoir lu des classiques de la philosophie et dire ensuite sérieusement, comme s'il s'agissait d'une évidence absolue, qu'elle ne vise pas la vérité, et qu'on est libre d'adhérer à tel ou tel système.
Alors bon, je comprends qu'on fasse un usage très personnel et qu'on ait une vision tout aussi personnelle de la philosophie, qu'on la considère comme un répertoire de systèmes ni vrais ni faux dans lesquels on papillonne selon nos goûts, et non comme une discipline théorique qui vise le vrai ; je comprends aussi qu'on aime s'asseoir sur des pianos et faire de la musique avec des tabourets.
Mais il faut être conscient que c'est un rapport à la philosophie qui contredit 90% de la tradition (bien qu'il soit conforme à une certaine pratique philosophique essentiellement contemporaine et très française). Mais j'ai souvent l'impression que les gens qui défendent comme vous cette vision très spécifique de la philosophie croient qu'elle est une évidence, et ne se rendent même pas compte que ce faisant ils contredisent la quasi-totalité des philosophes, donc ce qu'a été la philosophie historiquement. C'est bien évidemment un droit, mais encore faut-il être conscient de la spécificité de cette position. Malheureusement, je constate qu'il s'agit plus d'un dogme conforme au relativisme ambiant et d'une dérive historisante inconsciente que d'une réinterprétation réfléchie de la pratique philosophique. Et ça montre que ce relativisme dogmatique qu'on déplore à juste titre chez nombre d'élèves a aussi très largement contaminé les professeurs.
Le problème vient partiellement du rapprochement à mon sens totalement erroné entre philosophie et littérature. Les esprits littéraires déambulent dans les rayons de l'histoire de la littérature et choisissent de s'intéresser à Rabelais, ou à Molière, ou à Céline, selon leur tempérament, et ils croient naïvement qu'on peut déambuler et faire son choix exactement de la même manière dans les rayons de l'histoire de la philosophie, probablement au motif que comme la littérature elle s'exprime la plupart du temps en langage ordinaire. Mais c'est une confusion grave, parce que l'identité du moyen (le langage ordinaire) ne signifie l'identité de la fin. Comme l'a bien dit Zagara, la littérature et l'art en général visent le beau, tandis que la philosophie et la science en général visent le vrai. Ce n'est pas parce qu'un livre de philosophie, ou d'histoire, ou de sociologie, est écrit en langage ordinaire, que comme la littérature elles doivent écarter la discrimination et la hiérarchisation en termes de vérité et de fausseté.
En passant, il suffit de comparer le nombre de philosophes scientifiques (sciences exactes ou humaines) avec le nombre de philosophes écrivains pour se rendre compte que la philosophie a infiniment plus d'affinités avec la science qu'avec la littérature. Et c'est tout simplement parce que comme la science elle cherche à produire des théories vraies, et non des beaux textes.
Bref, pour pasticher l'Académie de Platon, je crois qu'il serait bon d'inscrire à l'entrée des facultés de philosophie : "Que nul n'entre ici s'il est littéraire" .
Ponocrates a écrit:j'insiste toujours sur le fait que ma perspective est historique et littéraire et que chacun est libre de croire ce qu'il veut.
Je suis tout à fait d'accord avec ça : le but ultime de la philosophie peut-être considéré comme étant de trouver le meilleur système du point de vue de la vérité, sans pour autant que les professeurs de philosophie ait déontologiquement le droit de présenter tel système comme étant ce système idéal. Sur ce point, la philosophie se distingue évidemment de la science exacte, car un professeur de physique peut évidemment discriminer ce qui est scientifiquement bien établi et ce qui ne l'est pas sans contrevenir à son devoir de neutralité. Et cet apparent paradoxe s'explique de la façon suivante : ce n'est pas que la philosophie soit moins attachée à la vérité que la science, mais c'est qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'y a toujours pas de consensus de la communauté philosophique sur ce qu'est le bon paradigme, alors que c'est évidemment le cas dans les sciences exactes.
Zagara a écrit:la conception platonicienne du monde des idées est obsolète
Comme le montre le reste de mon message, je suis absolument d'accord avec toi concernant la nature scientifique de la philosophie, mais je crois que tu te trompes sur ce point. Des gens aussi sérieux scientifiquement que Russell, Frege ou Gödel, qui incarnent la science et la philosophie dans ce qu'elles ont de plus rigoureux, ont adhéré à une forme de platonisme.
Zagara a écrit:Actuellement, la philosophie est devenue une branche de la logique et est plus proche des mathématiques que des lettres. Elle exploite des langages formels qui articulent des arguments pour essayer de trouver des résultats probables, en intégrant aussi les avancées des autres sciences. Dans ce modèle, on peut réfuter des propositions pleinement.
C'est la pratique de la philosophie à laquelle je souscris, mais je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est là toute la philosophie contemporaine. Tu fais référence à la philosophie analytique, mais ce n'est absolument pas la tradition dominante en France par exemple !
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