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- tannatHabitué du forum
elpenor08 a écrit:L'élève ? Après Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine, je lui donne du Victor Hugo pour qu'il comprenne à quoi il a échappé !
Construire un sens "esthétique", c'est, il me semble, apprendre à développer la sensibilité par laquelle l'art (et donc la littérature, n'est-ce pas ?) nous est et nous sera accessible. Si l'on ne peut comprendre, sans la médiation d'un tiers, les œuvres auxquelles on est soumis comment peut-on construire un sens esthétique ?
- Invité ElExpert spécialisé
Le fil du rasoir, c'est de leur apprendre à lire (seuls, ils n'inventeront pas tout) tout en leur laissant une place pour leur subjectivité. On ne doit pas être loin des textes de Kant sur le sens commun esthétique et l'intersubjectivité.
On "apprend" bien à "developper sa sensibilité" comme tu dis.
Pour V. Hugo, c'est mon chouchou, ma tête de turc. J'aime bien leur réciter quelques jugements de Baudelaire, de Verlaine ou de Mallarmé sur le grand Totor (les lettres de Juliette Drouet, quel régal!), comme le "c'est kilogrammatique" de Barbey. (pour ma défense, je conseille toujours la lecture des romans et surtout des Travailleurs de la mer).
On "apprend" bien à "developper sa sensibilité" comme tu dis.
Pour V. Hugo, c'est mon chouchou, ma tête de turc. J'aime bien leur réciter quelques jugements de Baudelaire, de Verlaine ou de Mallarmé sur le grand Totor (les lettres de Juliette Drouet, quel régal!), comme le "c'est kilogrammatique" de Barbey. (pour ma défense, je conseille toujours la lecture des romans et surtout des Travailleurs de la mer).
- tannatHabitué du forum
Mais n'évoquions-nous pas les lectures cursives et "l'intérêt littéraire" qu'elles doivent avoir ?
Nos élèves n'ont (n'auront) pas tous lu Langelot à 8 ans et Harry Potter à 8 ans 1/2...
Ils ont sans doute besoin de découvrir ce que ton fils, chanceux de t'avoir pour père, aura pu faire 4 ans avant eux afin de pouvoir, par la suite ou en même temps, construire et développer leur sensibilité esthétique, non ?
Nos élèves n'ont (n'auront) pas tous lu Langelot à 8 ans et Harry Potter à 8 ans 1/2...
Ils ont sans doute besoin de découvrir ce que ton fils, chanceux de t'avoir pour père, aura pu faire 4 ans avant eux afin de pouvoir, par la suite ou en même temps, construire et développer leur sensibilité esthétique, non ?
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« Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent. » Samuel Beckett
« C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres.» Vauvenargues
- Invité ElExpert spécialisé
Comme dit Sphinx, il y a un moment où il faut passer à autre chose. Harry Potter à la grande adolescence, ça me paraît un peu tard.
Entre parenthèses, s'il peut lire Langelot à 8 ans, c'est parce qu'on a complété sonabsence d' apprentissage de la lecture à l'école avec les conseils des collègues de ce site (merci le GRIP!).
Entre parenthèses, s'il peut lire Langelot à 8 ans, c'est parce qu'on a complété son
- MUTISExpert
elpenor08 a écrit:
Pour V. Hugo, c'est mon chouchou, ma tête de turc. J'aime bien leur réciter quelques jugements de Baudelaire, de Verlaine ou de Mallarmé sur le grand Totor (les lettres de Juliette Drouet, quel régal!), comme le "c'est kilogrammatique" de Barbey. (pour ma défense, je conseille toujours la lecture des romans et surtout des Travailleurs de la mer).
Je ne comprends pas bien ton discours... :shock: Tu peux expliquer un peu ? Tu veux dire que tu leur apprends à dédaigner Victor Hugo parce que d'autres l'ont fait ?
Quant à Harry Potter ? Je ne savais pas qu'il était réservé à l'enfance et que l'adolescence devait passer à autre chose. J'ai des amis adultes qui l'ont lu intégralement, j'ai pas l'impression qu'ils soient tous attardés...
Que de jugements un peu... hâtifs et dédaigneux non ? Ou est-ce de l'ironie ?
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"Heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière" (Audiard)
"Ce n'est pas l'excès d'autorité qui est dangereux, c'est l'excès d'obéissance" (Primo Levi)
"La littérature, quelque passion que nous mettions à le nier, permet de sauver de l'oubli tout ce sur quoi le regard contemporain, de plus en plus immoral, prétend glisser dans l'indifférence absolue" (Enrique Vila-Matas)
" Que les dissemblables soient réunis et de leurs différences jaillira la plus belle harmonie ; rien ne se fait sans lutte." (Héraclite)
"Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n'être pas fou" (Pascal).
- tannatHabitué du forum
Oui, mais voilà tous les parents ne peuvent et ne pourront jamais compléter l'absence d'apprentissage de la lecture à l'école avec les conseils des collègues de ce site...
Nos expériences individuelles ne peuvent-elles pas être des exceptions ?
Il ne s'agit pas de ne pas donner de lectures ayant un "intérêt littéraire" mais bien de permettre à ceux qui n'ont pas eu la chance de vous avoir pour père de pouvoir passer à autre chose, enfin il me semble...
Le manque de qualité de certaines œuvres jeunesses ne signifie pas l'indigence de toutes, non ? Et en leur temps, certains auteurs, aujourd'hui reconnus et étudiés, ne l'étaient pas toujours, n'est-ce pas ?
Enfin ne faut-il pas pour pouvoir "à un moment passer à autre chose", avoir lu/connu cette autre chose ?
Nos expériences individuelles ne peuvent-elles pas être des exceptions ?
Il ne s'agit pas de ne pas donner de lectures ayant un "intérêt littéraire" mais bien de permettre à ceux qui n'ont pas eu la chance de vous avoir pour père de pouvoir passer à autre chose, enfin il me semble...
Le manque de qualité de certaines œuvres jeunesses ne signifie pas l'indigence de toutes, non ? Et en leur temps, certains auteurs, aujourd'hui reconnus et étudiés, ne l'étaient pas toujours, n'est-ce pas ?
Enfin ne faut-il pas pour pouvoir "à un moment passer à autre chose", avoir lu/connu cette autre chose ?
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- Invité ElExpert spécialisé
Pour de vrai, je n'aime pas la poésie de Victor Hugo. Je suis loin d'être le seul d'ailleurs, c'est même presque une posture assez générale il me semble dans la critique littéraire. J'aime bien le prendre en grippe pour leur montrer qu'on ne doit pas tout aimer a priori, et qu'ils ont le droit de ne pas être en pâmoison devant Racine ou Balzac. Parfois, je fais ça comme un sketch, parfois j'argumente sérieusement (son côté verbeux, la monotonie des rimes, etc, toutes choses largement remarquées par les poètes de la seconde partie du XIXè et pour qui la poésie n'est pas un "genre littéraire" mais bien un langage). Evidemment, je me réserve une occasion dans l'année pour leur dire que tel poème de la Légende est remarquable par son souffle épique par exemple. Bref, je mets en scène, je souffle le chaud et le froid pour qu'ils puissent eux aussi argumenter et voir comment le sentiment esthétique, subjectif, peut rentrer en ligne de compte. Rien de dédaigneux là-dedans, vous me faites vraiment un faux procès je trouve.
Mais sincèrement, si des adultes trouvent quelque chose dans Harry Potter qui leur soit utile, et bien tant pis, je finis par produire la citation de Chamfort qui me démange depuis tout à l'heure: "Ce qui fait le succès de quantité d'ouvrages est le rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées de l'auteur et la médiocrité des idées du public." Vous pourrez maintenant dire que je suis dédaigneux pour quelque chose.
Mais sincèrement, si des adultes trouvent quelque chose dans Harry Potter qui leur soit utile, et bien tant pis, je finis par produire la citation de Chamfort qui me démange depuis tout à l'heure: "Ce qui fait le succès de quantité d'ouvrages est le rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées de l'auteur et la médiocrité des idées du public." Vous pourrez maintenant dire que je suis dédaigneux pour quelque chose.
- CelebornEsprit sacré
tannat a écrit:Que nommez-vous "intérêt littéraire" ? Qui le définit ?quel est l'intérêt de lire un livre sans intérêt littéraire ?
Tous les auteurs des siècles précédents ont-ils toujours été jugés comme ayant un "intérêt littéraire" ?
Qui est "nous" ? Que doit-on les entendre nous dire ?des livres que l'on peut entendre nous dire quelque chose
Je veux bien reconnaître que vos collègues ont des sorties qui invitent à s'interroger mais faut-il, pour être un bon professeur de français, aimer tous les classiques ? Aimez-vous tous les auteurs "classiques" ? Leur trouvez-vous toujours un "intérêt littéraire"?"Montaigne, quand même, c'est chiant", ou "les phrases de Proust, c'est trop long", ou encore "je ne fais pas Céline paske c'est un type malsain",
Certains auteurs qui présentent aujourd'hui un "intérêt littéraire" n'ont-ils pas appartenu à une "littérature jeunesse"?
La question initiale que tu poses est tout à fait passionnante : qui va bien pouvoir définir l'intérêt littéraire d'un ouvrage contemporain (jeunesse ou pas, d'ailleurs) ? Parce que bon, L'Odyssée, Tristan et Iseut ou Les Misérables, ça ne va pas poser de problème (ce qui n'empêche pas qu'on puisse détester des classiques, par ailleurs, et heureusement). Mais en ce qui concerne Mourlevat, Gudule, Weulersse, Cadout-Colin, Morpurgo, Murail, Rowling & co, qui va effectivement bien pouvoir déterminer l' « intérêt littéraire » ? Les professeurs de lettres ? Je donne ma main à couper que sur chaque auteur, il s'en trouvera pour dire que c'est dépourvu de tout intérêt littéraire (et d'autres pour dire le contraire). Par exemple, je suis prêt à défendre Harry Potter bec et ongles. Mais qui suis-je en fait pour présenter mon opinion, fût-elle étayée et argumentée, comme une vérité ?
C'est pour moi un vrai problème : quand on convoque l'intérêt littéraire d'un ouvrage jeunesse, on convoque en fait une sensibilité personnelle plus qu'autre chose, qui n'est pas en soi dépourvue de valeur (surtout quand on travaille autour de l'ouvrage en question), mais qui n'est en aucun cas un critère de légitimation de l'œuvre.
À partir de là, je ne vois que trois raisons de faire lire de la littérature jeunesse (et je n'en vois strictement aucune de l'étudier, soit dit en passant) :
1) L'acte de lire en lui-même. Je comprends très bien cette raison, même si elle pourrait avoir tendance à légitimer de faire lire Paris-Match.
2) La "passerelle vers autre chose" (en gros vers les classiques). Je demeure dubitatif sur le fonctionnement réel du processus.
3) La culture générale, via tout un pan de la littérature jeunesse qui raconte les histoires des dieux grecs, les légendes de tel coin, etc. Il faut juste faire attention que le fond culturel soit réel, et que le roman "au temps des chevaliers" soit vraiment "au temps des chevaliers", et non "au temps d'aujourd'hui avec des ados d'aujourd'hui et un décor en carton-pâte, qui plus est mal peint".
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"On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" (Lewis Carroll)
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- Invité ElExpert spécialisé
tannat a écrit:Oui, mais voilà tous les parents ne peuvent et ne pourront jamais compléter l'absence d'apprentissage de la lecture à l'école avec les conseils des collègues de ce site...
Nos expériences individuelles ne peuvent-elles pas être des exceptions ?
Il ne s'agit pas de ne pas donner de lectures ayant un "intérêt littéraire" mais bien de permettre à ceux qui n'ont pas eu la chance de vous avoir pour père de pouvoir passer à autre chose, enfin il me semble...
Le manque de qualité de certaines œuvres jeunesses ne signifie pas l'indigence de toutes, non ? Et en leur temps, certains auteurs, aujourd'hui reconnus et étudiés, ne l'étaient pas toujours, n'est-ce pas ?
Enfin ne faut-il pas pour pouvoir "à un moment passer à autre chose", avoir lu/connu cette autre chose ?
C'est vrai. Dans les années 50, le texte le plus étudié était paraît-il Athalie de Racine. Il y avait une quinzaine d'éditions scolaires disponibles. Aucune aujourd'hui.
Dans le même temps, le marché des oeuvres de jeunesse a explosé.
Je trouve que le parallèle est un peu navrant et un peu inquiétant.
- Invité ElExpert spécialisé
tannat a écrit:Oui, mais voilà tous les parents ne peuvent et ne pourront jamais compléter l'absence d'apprentissage de la lecture à l'école avec les conseils des collègues de ce site...
Nos expériences individuelles ne peuvent-elles pas être des exceptions ?
Il ne s'agit pas de ne pas donner de lectures ayant un "intérêt littéraire" mais bien de permettre à ceux qui n'ont pas eu la chance de vous avoir pour père de pouvoir passer à autre chose, enfin il me semble...
Le manque de qualité de certaines œuvres jeunesses ne signifie pas l'indigence de toutes, non ? Et en leur temps, certains auteurs, aujourd'hui reconnus et étudiés, ne l'étaient pas toujours, n'est-ce pas ?
Enfin ne faut-il pas pour pouvoir "à un moment passer à autre chose", avoir lu/connu cette autre chose ?
C'est exactement l'argument du Ministère pour entreprendre la démolition du latin et du grec au collège. Et du reste.
- Li-LiNeoprof expérimenté
J'avoue sans honte donner de la littérature jeunesse, car je pense aussi que mieux vaut un livre que pas du tout; même aux troisièmes car la plupart ne sont que de très petits lecteurs, dans des contextes familiaux parfois proche de l'indigence et que tenir un livre dans son intégralité entre leurs mains n'est pas courant pour eux.
- tannatHabitué du forum
Tout d'abord merci, Celeborn, d'avoir répondu à cette question (j'ai parfois l'impression qu'on évite de répondre à mes questions parce qu'elles sont idiotes ou mal posées, je ne sais...)
Le problème posé me semble être celui du jugement : et lorsque je lis Elpenor qui affirme ne pas aimer la poésie de Victor Hugo (et utiliser l'argument d'autorité : "je ne suis pas seul d'ailleurs, c'est même presque une posture assez générale il me semble dans la critique littéraire") parce qu'il est verbeux (par exemple) cela me frappe.
Comment reprocher à des collègues ceci : ""Montaigne, quand même, c'est chiant", ou "les phrases de Proust, c'est trop long", ou encore "je ne fais pas Céline paske c'est un type malsain"" puis affirmer quelques pages plus loin que Victor Hugo a un côté verbeux ?
C'est là que j'ai l'impression d'être loin de vous, si loin... Ma sensibilité esthétique, celle qui me permet ou pas d'accéder aux œuvres, ne me semble pas universelle au point que je puisse dire Victor Hugo a un côté verbeux...
Le problème posé me semble être celui du jugement : et lorsque je lis Elpenor qui affirme ne pas aimer la poésie de Victor Hugo (et utiliser l'argument d'autorité : "je ne suis pas seul d'ailleurs, c'est même presque une posture assez générale il me semble dans la critique littéraire") parce qu'il est verbeux (par exemple) cela me frappe.
Comment reprocher à des collègues ceci : ""Montaigne, quand même, c'est chiant", ou "les phrases de Proust, c'est trop long", ou encore "je ne fais pas Céline paske c'est un type malsain"" puis affirmer quelques pages plus loin que Victor Hugo a un côté verbeux ?
C'est là que j'ai l'impression d'être loin de vous, si loin... Ma sensibilité esthétique, celle qui me permet ou pas d'accéder aux œuvres, ne me semble pas universelle au point que je puisse dire Victor Hugo a un côté verbeux...
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- tannatHabitué du forum
Non, l'argument du ministère est "comme ils ne pourront pas tous y accéder ou compléter l'absence d'apprentissage, on le supprime pour tous" et ce n'est pas ce que j'ai dit... mais je dois m'être mal exprimée.elpenor08 a écrit:C'est exactement l'argument du Ministère pour entreprendre la démolition du latin et du grec au collège. Et du reste.tannat a écrit:Oui, mais voilà tous les parents ne peuvent et ne pourront jamais compléter l'absence d'apprentissage de la lecture à l'école avec les conseils des collègues de ce site...
Je n'ai en aucun cas affirmé qu'il fallait supprimer quoi que ce soit (ce qui ne semble pas être votre cas, enfin j'ai pu mal vous comprendre).
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« Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent. » Samuel Beckett
« C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres.» Vauvenargues
- MUTISExpert
3 remarques Elpenor08
1) Sur Victor Hugo c'est amusant, car c'est le genre de jugement que j'ai appris quand j'étais en fac. Mais auparavant, j'avais lu les Misérables et je l'avais étudié en khâgne avec un prof extraordinaire qui nous avait fait analyser le texte et apprécier. Depuis, je regarde Hugo différemment, même s'il est considéré avec condescendance par les apôtres de la poésie plus hermétique. Je l'apprécie comme un très grand.
Enseigner à dédaigner me semble assez regrettable. Je préfère enseigner à admirer personnellement et à aimer. Et je préfère réserver ce type de jugement à des auteurs beaucoup moins intéressants...
2) Je te conseille la lecture attentive de La Littérature en péril de Todorov. Voici quelques citations de ce livre tout à fait remarquable : "Le lecteur ordinaire qui continue de chercher dans les livres qu'il lit de quoi donner sens à sa vie a raison contre les professeurs, critiques et écrivains qui lui disent que la littérature ne parle que d'elle-même"... Et il avance dans sa conclusion (après une longue analyse) : il faut "encourager la lecture de tous les livres y compris celle des livres que le critique professionnel considère avec condescendance, sinon avec mépris". Il regrette le dédain élitiste qui s'est construit à la fin du 19ème siècle d'ailleurs et la promotion alors d'une littérature d'élite lue et appréciée quasi exclusivement par des professionnels qui ne s'intéressent qu'aux seules prouesses techniques des auteurs. Ce caractère très réservé et très technique de l'enseignement explique aussi d'ailleurs le peu d'intérêt du public pour la poésie dont on le dégoûte ou détourne à coups de champs lexicaux, d'autoréférence et de formalisme. L'approche humaniste d'un Hugo peut nous guérir de ce travers !
3) Pour moi la citation de Chamfort s'applique à d'autres auteurs que ceux auxquels tu penses visiblement. Et je n'ai pas de mépris pour les succès "populaires". Ils m'intéressent plutôt même si certains me désolent. Je n'ai aucun a priori sur la "littérature pour la jeunesse" et sur les auteurs de ce type d'ouvrages. Après tout, il y a des métiers plus honteux ! Comme pour les romans policiers et la SF; Je dois même dire que beaucoup d'ouvrages de ces genres "mineurs" me semblent majeurs. Et je me moque qu'ils soient considérés alors comme de la grande littérature (par la critique officielle et les arbitres du "bon goût") s'ils permettent de réfléchir, de comprendre ou d'explorer l'expérience humaine.
1) Sur Victor Hugo c'est amusant, car c'est le genre de jugement que j'ai appris quand j'étais en fac. Mais auparavant, j'avais lu les Misérables et je l'avais étudié en khâgne avec un prof extraordinaire qui nous avait fait analyser le texte et apprécier. Depuis, je regarde Hugo différemment, même s'il est considéré avec condescendance par les apôtres de la poésie plus hermétique. Je l'apprécie comme un très grand.
Enseigner à dédaigner me semble assez regrettable. Je préfère enseigner à admirer personnellement et à aimer. Et je préfère réserver ce type de jugement à des auteurs beaucoup moins intéressants...
2) Je te conseille la lecture attentive de La Littérature en péril de Todorov. Voici quelques citations de ce livre tout à fait remarquable : "Le lecteur ordinaire qui continue de chercher dans les livres qu'il lit de quoi donner sens à sa vie a raison contre les professeurs, critiques et écrivains qui lui disent que la littérature ne parle que d'elle-même"... Et il avance dans sa conclusion (après une longue analyse) : il faut "encourager la lecture de tous les livres y compris celle des livres que le critique professionnel considère avec condescendance, sinon avec mépris". Il regrette le dédain élitiste qui s'est construit à la fin du 19ème siècle d'ailleurs et la promotion alors d'une littérature d'élite lue et appréciée quasi exclusivement par des professionnels qui ne s'intéressent qu'aux seules prouesses techniques des auteurs. Ce caractère très réservé et très technique de l'enseignement explique aussi d'ailleurs le peu d'intérêt du public pour la poésie dont on le dégoûte ou détourne à coups de champs lexicaux, d'autoréférence et de formalisme. L'approche humaniste d'un Hugo peut nous guérir de ce travers !
3) Pour moi la citation de Chamfort s'applique à d'autres auteurs que ceux auxquels tu penses visiblement. Et je n'ai pas de mépris pour les succès "populaires". Ils m'intéressent plutôt même si certains me désolent. Je n'ai aucun a priori sur la "littérature pour la jeunesse" et sur les auteurs de ce type d'ouvrages. Après tout, il y a des métiers plus honteux ! Comme pour les romans policiers et la SF; Je dois même dire que beaucoup d'ouvrages de ces genres "mineurs" me semblent majeurs. Et je me moque qu'ils soient considérés alors comme de la grande littérature (par la critique officielle et les arbitres du "bon goût") s'ils permettent de réfléchir, de comprendre ou d'explorer l'expérience humaine.
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"La littérature, quelque passion que nous mettions à le nier, permet de sauver de l'oubli tout ce sur quoi le regard contemporain, de plus en plus immoral, prétend glisser dans l'indifférence absolue" (Enrique Vila-Matas)
" Que les dissemblables soient réunis et de leurs différences jaillira la plus belle harmonie ; rien ne se fait sans lutte." (Héraclite)
"Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n'être pas fou" (Pascal).
- SphinxProphète
Enfin, je vais peut-être avoir l'air d'insister lourdement, mais pour moi il n'y a pas lieu d'opposer littérature classique et littérature jeunesse, parce qu'on peut lire les deux. La littérature en classe, et les bouquins jeunesse (en guidant un peu) à la maison. On peut même proposer bouquins jeunesse et littérature classique à la maison, ce que je fais (je parle toujours des 6e-5e, là) : les bons lecteurs en lisent plusieurs, les moyens lisent les bouquins jeunesse qui sont plus à leur portée, les très très faibles ne lisent rien parce que c'est facultatif (je mets une note bonus comme carotte, ça marche assez bien) et comme ils auront quand même les cinq ou six lectures obligatoires que je fais en classe, guidées, avec eux, et c'est déjà beaucoup pour eux. Un livre n'annule pas l'autre, hein...
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An education was a bit like a communicable sexual disease. It made you unsuitable for a lot of jobs and then you had the urge to pass it on. - Terry Pratchett, Hogfather
"- Alors, Obélix, l'Helvétie c'est comment ? - Plat."
- Invité ElExpert spécialisé
MUTIS a écrit:3 remarques Elpenor08
1) Sur Victor Hugo c'est amusant, car c'est le genre de jugement que j'ai appris quand j'étais en fac. Mais auparavant, j'avais lu les Misérables et je l'avais étudié en khâgne avec un prof extraordinaire qui nous avait fait analyser le texte et apprécier. Depuis, je regarde Hugo différemment, même s'il est considéré avec condescendance par les apôtres de la poésie plus hermétique. Je l'apprécie comme un très grand.
Enseigner à dédaigner me semble assez regrettable. Je préfère enseigner à admirer personnellement et à aimer. Et je préfère réserver ce type de jugement à des auteurs beaucoup moins intéressants...
2) Je te conseille la lecture attentive de La Littérature en péril de Todorov. Voici quelques citations de ce livre tout à fait remarquable : "Le lecteur ordinaire qui continue de chercher dans les livres qu'il lit de quoi donner sens à sa vie a raison contre les professeurs, critiques et écrivains qui lui disent que la littérature ne parle que d'elle-même"... Et il avance dans sa conclusion (après une longue analyse) : il faut "encourager la lecture de tous les livres y compris celle des livres que le critique professionnel considère avec condescendance, sinon avec mépris". Il regrette le dédain élitiste qui s'est construit à la fin du 19ème siècle d'ailleurs et la promotion alors d'une littérature d'élite lue et appréciée quasi exclusivement par des professionnels qui ne s'intéressent qu'aux seules prouesses techniques des auteurs. Ce caractère très réservé et très technique de l'enseignement explique aussi d'ailleurs le peu d'intérêt du public pour la poésie dont on le dégoûte ou détourne à coups de champs lexicaux, d'autoréférence et de formalisme. L'approche humaniste d'un Hugo peut nous guérir de ce travers !
3) Pour moi la citation de Chamfort s'applique à d'autres auteurs que ceux auxquels tu penses visiblement. Et je n'ai pas de mépris pour les succès "populaires". Ils m'intéressent plutôt même si certains me désolent. Je n'ai aucun a priori sur la "littérature pour la jeunesse" et sur les auteurs de ce type d'ouvrages. Après tout, il y a des métiers plus honteux ! Comme pour les romans policiers et la SF; Je dois même dire que beaucoup d'ouvrages de ces genres "mineurs" me semblent majeurs. Et je me moque qu'ils soient considérés alors comme de la grande littérature (par la critique officielle et les arbitres du "bon goût") s'ils permettent de réfléchir, de comprendre ou d'explorer l'expérience humaine.
A force de polémiquer, on ne s'entend plus. Je donne souvent cette citation de Todorov à mes élèves, et j'ai l'impression de ne penser qu'à ça en faisant mes cours: il faut qu'il y ait un intérêt existentiel. C'est le trésor de Rimbaud, davantage que son "intérêt", par exemple. Je crois passer mon temps, trop parfois, à leur dire que ces oeuvres font vivre.
Pour Hugo, j'ai bien parlé de poésie, et vous me citez les Misérables...
Par ailleurs, Baudelaire, qui se gaussait de Hugo, ce n'est pas encore tout à fait de l'hermétisme, faut pas pousser...
Enfin, je n'ai pas dit que j'apprenais à dédaigner. Je mets en scène, plus ou moins artificiellement, ce qui ressemblerait à un débat littéraire pour que les élèves ne trouvent pas tout magnifique sous prétexte que ça se publie. Dans un musée des Beaux-Arts, il y a des croûtes infâmes qui sont à vomir. J'ai choisi Hugo, ça aurait pu être un autre. Il se trouve que je trouve sa poésie trop rhétorique et ennuyeuse. Je ne parle pas ici de ses romans. La leçon que je veux faire passer est justement qu'aucun écrivain n'est sacré.
Finalement, je suis certain que si nous nous croisions, nous nous trouverions plus de sympathie que par ces tirs croisés.
Sphinx, ce que tu décris était ma pratique en collège, évidemment. Il faut bien faire avec le réel...
Mais je n'ai pas trop envie de reconnaître que, comme Tang, des arguments ici posés ont incliné mes propres jugements, parce qu'il faut toujours, dans ce débat sans fin, que ce soit celui qui met le curseur un peu plus vers l'exigence et un peu moins vers le "pratique", qui doive se laver de tout soupçon de condescendance ou d'élitisme. J'aime bien parier sur l'intelligence des élèves a priori. Et je suis frappé de voir à quel point, même au lycée, les Lettres ont capitulé sur tout: plus de problématique exigée, on ne note plus la qualité de l'argumentation, etc. Et pourtant, en philosophie, où on ne leur laisse pas le choix, ils sont comme par miracle capables de produire des devoirs puissants. Je vois ça tous les jours dans les tas de copies posés en face de moi à la maison. Les philosophes:
- doctor whoDoyen
Mari-aime a écrit:
Ce site est-il le tien, Doctor who ?
http://lectureschoisies.eklablog.com/accueil-c18007429
C'est ça.
_________________
Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- IsidoriaDoyen
Elpenor si je ne me trompe, tu n'enseignes qu'en lycée? Je trouve ton point de vue intéressant et j'apprécie le débat avec les collègues de collège qui défendent la lecture des ouvrages dits "de jeunesse". J'aurais tendance, depuis que je n'enseigne qu'en lycée, à la dédaigner aussi, mais n'est-ce pas une manière d'agrémenter son opinion critique que de lire de tout?
Quand j'enseignais en collège, j'ai eu la chance de faire rencontrer à mes élèves de ces écrivains "de jeunesse": J.-P. Arrou Vignod, M.-A. Murail, mais aussi A.-M. Garat,... Tous les élèves ont lu au moins un de leurs ouvrages pour les rencontres, et parler de l'écriture quelle qu'elle soit fut une expérience riche et forte.
Quand j'enseignais en collège, j'ai eu la chance de faire rencontrer à mes élèves de ces écrivains "de jeunesse": J.-P. Arrou Vignod, M.-A. Murail, mais aussi A.-M. Garat,... Tous les élèves ont lu au moins un de leurs ouvrages pour les rencontres, et parler de l'écriture quelle qu'elle soit fut une expérience riche et forte.
- Invité ElExpert spécialisé
C'est certain qu'être au lycée ou au collège, ça change la donne.
Quand j'ai enseigné au collège, je me suis efforcé de me tenir le plus éloigné possible des ouvrages de jeunesse. Mais je ne fais pas trop le malin: qui sait ce que j'aurais pu faire si j'étais resté vingt ans en collège.
Les expériences que j'ai eues m'ont en tout cas convaincu qu'il faut résister, viser le plus haut possible, et, si nécessaire, redescendre. Je ne crois pas avoir abandonné qui que ce soit. Les anciens élèves que je croise et qui sont manutentionnaires au supermarché du coin (ceux qui se sont assez vite arrêtés après le collège) n'ont pas l'air traumatisés de me revoir, bien au contraire.
Quand j'ai enseigné au collège, je me suis efforcé de me tenir le plus éloigné possible des ouvrages de jeunesse. Mais je ne fais pas trop le malin: qui sait ce que j'aurais pu faire si j'étais resté vingt ans en collège.
Les expériences que j'ai eues m'ont en tout cas convaincu qu'il faut résister, viser le plus haut possible, et, si nécessaire, redescendre. Je ne crois pas avoir abandonné qui que ce soit. Les anciens élèves que je croise et qui sont manutentionnaires au supermarché du coin (ceux qui se sont assez vite arrêtés après le collège) n'ont pas l'air traumatisés de me revoir, bien au contraire.
- AmaliahEmpereur
Je ne reprends pas tout depuis le début, mais elpenor, en collège, tu ne donnais aucune LC? J'ai bien compris que tu ne donnais aucun titre de littérature jeunesse mais tu donnais des oeuvres classiques en LC?
Personnellement, je ne fais que des classiques en classe, à part Le Soleil des Scorta en 3e, je mets la barre le plus haut possible en fonction de mes élèves et en LC, j'essaie de varier au maximum.
Et si mon fils lit les Weulersse, je ne m'en plaindrai pas. Je les lui proposerai, comme je proposerai bien bien d'autres titres (mais pas de série comme Chérub que je ne connais même pas mais dont le titre est effrayant!) Je veux qu'il lise, le plus possible, qu'il découvre des genres variés et que ces lectures nourrissent son imagination. Et quand il écrit, je souris en reconnaissant tel ou tel épisode inspiré d'une de ses lectures.
Personnellement, je ne fais que des classiques en classe, à part Le Soleil des Scorta en 3e, je mets la barre le plus haut possible en fonction de mes élèves et en LC, j'essaie de varier au maximum.
Et si mon fils lit les Weulersse, je ne m'en plaindrai pas. Je les lui proposerai, comme je proposerai bien bien d'autres titres (mais pas de série comme Chérub que je ne connais même pas mais dont le titre est effrayant!) Je veux qu'il lise, le plus possible, qu'il découvre des genres variés et que ces lectures nourrissent son imagination. Et quand il écrit, je souris en reconnaissant tel ou tel épisode inspiré d'une de ses lectures.
- V.MarchaisEmpereur
Je ne crois pas qu'on forge son jugement esthétique par comparaison entre des oeuvres riches et des oeuvres pauvres. Je coris qu'on forge son sens esthétique à force de fréquentation de texte riches, polysémiques, qui résonnent en nous profond et longtemps. C'est pourquoi, en classe, étant là pour les faire passer, je ne donne que des classiques.
Mais ce n'est pas pour autant que je rejette une lecture plus accessible en cursive. Elpenor, tu dis qu'un des enjeux, c'est que les élèves deviennent autonomes en lecture, y compris dans la lecture des classiques. Et j'en suis bien d'accord. La question est : comment accèdent-ils à cette autonomie. Tu n'imaginerais sans doute pas coller Zola entre les mains d'un élève de CP sous prétexte qu'il doit, à terme, apprendre à lire les classiques. Dès lors, à quel moment introduit-on Zola, et surtout, sous quelles modalités ? Que lit-on entre les albums de Martine et Zola ? Pour moi, la littérature jeunesse trouve sa place dans cet intervalle, comme autant de barreaux sur une échelle, pour reprendre l'image de Sphinx. C'est cela qui permet, en graduant la difficulté du lexique, de la syntaxe, des images, du récit même, d'accéder à l'autonomie. Ainsi, certains seront capables de lire Zola à 12 ou 13 ans, d'autres pas avant 15 ou 16 ans. Cela dépend aussi de la maturité, et du bagage linguistique fourni par les familles, mais aussi par l'école (dans l'enseignement du vocabulaire, on peut dire que l'on revient de loin, et que sa quasi disparition a été une honte pendant des décennies, honte qui a porté préjudice à des générations d'élèves). Pour moi, avec les cursives, notre rôle est aussi de tenir compte de ces différences de rythme, de pousser les meilleurs élèves vers les classiques, mais aussi de fournir aux autres des lectures qui, sans être des classiques, n'en sont pas moins de qualité, et leur permettront de continuer à progresser dans ce domaine.
Et un jour, peut-être, si on ne les a pas dégoûtés avant en leur imposant des titres hors de portée, ils conviendront eux-mêmes que Zola les nourrit davantage que Weurlesse et se tourneront dès lors vers le premier exclusivement. C'est en ce sens, et en ce sens seulement, je crois, que la littérature jeunesse peut être "un pont vers autre chose". (Cela dit pour répondre à Céléborn, mais pour moi, même cette concession ne saurait justifier son étude en classe.)
Mais ce n'est pas pour autant que je rejette une lecture plus accessible en cursive. Elpenor, tu dis qu'un des enjeux, c'est que les élèves deviennent autonomes en lecture, y compris dans la lecture des classiques. Et j'en suis bien d'accord. La question est : comment accèdent-ils à cette autonomie. Tu n'imaginerais sans doute pas coller Zola entre les mains d'un élève de CP sous prétexte qu'il doit, à terme, apprendre à lire les classiques. Dès lors, à quel moment introduit-on Zola, et surtout, sous quelles modalités ? Que lit-on entre les albums de Martine et Zola ? Pour moi, la littérature jeunesse trouve sa place dans cet intervalle, comme autant de barreaux sur une échelle, pour reprendre l'image de Sphinx. C'est cela qui permet, en graduant la difficulté du lexique, de la syntaxe, des images, du récit même, d'accéder à l'autonomie. Ainsi, certains seront capables de lire Zola à 12 ou 13 ans, d'autres pas avant 15 ou 16 ans. Cela dépend aussi de la maturité, et du bagage linguistique fourni par les familles, mais aussi par l'école (dans l'enseignement du vocabulaire, on peut dire que l'on revient de loin, et que sa quasi disparition a été une honte pendant des décennies, honte qui a porté préjudice à des générations d'élèves). Pour moi, avec les cursives, notre rôle est aussi de tenir compte de ces différences de rythme, de pousser les meilleurs élèves vers les classiques, mais aussi de fournir aux autres des lectures qui, sans être des classiques, n'en sont pas moins de qualité, et leur permettront de continuer à progresser dans ce domaine.
Et un jour, peut-être, si on ne les a pas dégoûtés avant en leur imposant des titres hors de portée, ils conviendront eux-mêmes que Zola les nourrit davantage que Weurlesse et se tourneront dès lors vers le premier exclusivement. C'est en ce sens, et en ce sens seulement, je crois, que la littérature jeunesse peut être "un pont vers autre chose". (Cela dit pour répondre à Céléborn, mais pour moi, même cette concession ne saurait justifier son étude en classe.)
- Invité ElExpert spécialisé
En effet, on ne peut évidemment pas passer directement de la Bibliothèque Rose à la Pléiade, et je comprends bien que les oeuvres pour la jeunesse offrent des possibilités qui d'ailleurs n'existaient presque pas avant.
Comme il a été dit plus haut, et comme vous le dites d'une autre manière, il y a la question du kairos: on ne peut nourrir tout le monde avec la même chose au même moment.
Comme vous, je n'ai jamais donné autre chose que des classiques en cours. A une exception près, lors de mon année de stage, par obligation, l'injonction des formateurs étant très insistante: Le singe de Buffon, dont nous avions rencontré les auteurs. Il m'avait fallu faire quelques lectures en cours, et j'en avais tiré un bilan assez mitigé: si le livre était tout sauf indigent (assez bien écrit, lexique plutôt riche, intérêt des élèves), je n'avais strictement rien à en tirer dans une explication. Au moins, j'avais essayé.
A cause du dispositif de "défi lecture" dont j'ai parlé plus haut, j'ai aussi participé (il n'était pas question de casser un projet déjà bien en place) à la distribution des oeuvres de jeunesse, y compris celles qui me paraissaient navrantes (style, idées). Des élèves faibles prenaient alors un peu de plaisir à la lecture en effet. Mais pourquoi? Après pas mal de discussions avec eux, je comprenais surtout que cette littérature a peu de profondeur, qu'elle a tendance à flatter des tendances présentes en eux, et qu'elle ne les a donc emmenés nulle part. C'est pour moi le signe de leur inutilité. Je comprends bien que la faiblesse de mon argumentation réside dans mon manque de culture dans ce domaine, mais ce que j'en ai vu ne m'a pas donné envie de continuer la découverte.
Et je continue de penser que la lecture n'est pas un but absolument nécessaire. Bien sûr que je cherche à faire partager mes expériences de lecteur. Mais encore une fois, je préfère l'élève qui me dit avoir passé le week-end au bord du canal à la pêche plutôt que celui qui a lu un texte indigent (je ne cite plus de nom!)
Je maintiens aussi mon envie de mettre les oeuvres en concurrence. Ce n'est qu'un jeu, une mise en scène, mais j'ai souvent trouvé stimulant de faire un peu de provocation. Je me sers de tous ces moments pour leur montrer comment on argumente, comment on peut être de mauvaise foi, comment ils peuvent me faire confiance mais sans tout prendre pour parole d'évangile. Toutes les oeuvres ne se valent pas. Leur faire croire qu'il n'y a pas de subjectivité ne me plait pas.
Enfin, je reconnais bien volontiers que mes propos ont pu être assez virulent, mais je trouve que les attaques contre une certaine idée de la littérature, y compris par des enseignants de lettres maintenant, sont devenues proprement insupportables. Je reste aussi déçu d'avoir été personnellement si éloigné de textes incroyables par mes professeurs de collège. Mais je crois qu'ils étaient bien moins exigeants que vous.
Comme il a été dit plus haut, et comme vous le dites d'une autre manière, il y a la question du kairos: on ne peut nourrir tout le monde avec la même chose au même moment.
Comme vous, je n'ai jamais donné autre chose que des classiques en cours. A une exception près, lors de mon année de stage, par obligation, l'injonction des formateurs étant très insistante: Le singe de Buffon, dont nous avions rencontré les auteurs. Il m'avait fallu faire quelques lectures en cours, et j'en avais tiré un bilan assez mitigé: si le livre était tout sauf indigent (assez bien écrit, lexique plutôt riche, intérêt des élèves), je n'avais strictement rien à en tirer dans une explication. Au moins, j'avais essayé.
A cause du dispositif de "défi lecture" dont j'ai parlé plus haut, j'ai aussi participé (il n'était pas question de casser un projet déjà bien en place) à la distribution des oeuvres de jeunesse, y compris celles qui me paraissaient navrantes (style, idées). Des élèves faibles prenaient alors un peu de plaisir à la lecture en effet. Mais pourquoi? Après pas mal de discussions avec eux, je comprenais surtout que cette littérature a peu de profondeur, qu'elle a tendance à flatter des tendances présentes en eux, et qu'elle ne les a donc emmenés nulle part. C'est pour moi le signe de leur inutilité. Je comprends bien que la faiblesse de mon argumentation réside dans mon manque de culture dans ce domaine, mais ce que j'en ai vu ne m'a pas donné envie de continuer la découverte.
Et je continue de penser que la lecture n'est pas un but absolument nécessaire. Bien sûr que je cherche à faire partager mes expériences de lecteur. Mais encore une fois, je préfère l'élève qui me dit avoir passé le week-end au bord du canal à la pêche plutôt que celui qui a lu un texte indigent (je ne cite plus de nom!)
Je maintiens aussi mon envie de mettre les oeuvres en concurrence. Ce n'est qu'un jeu, une mise en scène, mais j'ai souvent trouvé stimulant de faire un peu de provocation. Je me sers de tous ces moments pour leur montrer comment on argumente, comment on peut être de mauvaise foi, comment ils peuvent me faire confiance mais sans tout prendre pour parole d'évangile. Toutes les oeuvres ne se valent pas. Leur faire croire qu'il n'y a pas de subjectivité ne me plait pas.
Enfin, je reconnais bien volontiers que mes propos ont pu être assez virulent, mais je trouve que les attaques contre une certaine idée de la littérature, y compris par des enseignants de lettres maintenant, sont devenues proprement insupportables. Je reste aussi déçu d'avoir été personnellement si éloigné de textes incroyables par mes professeurs de collège. Mais je crois qu'ils étaient bien moins exigeants que vous.
- SphinxProphète
Oh, mais les bouquins imposés par les défis lecture et la médiathèque du coin, ce n'est pas toujours ça, loin s'en faut. Les trois qu'on a eu l'an dernier avec ma classe de cinquième étaient assez nazes, même les élèves étaient d'accord. Je ne suis franchement pas sûre d'y reparticiper.
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An education was a bit like a communicable sexual disease. It made you unsuitable for a lot of jobs and then you had the urge to pass it on. - Terry Pratchett, Hogfather
"- Alors, Obélix, l'Helvétie c'est comment ? - Plat."
- Invité ElExpert spécialisé
Là, c'était un défi lecture maison: au fil des ans, une centaine de titres étaient disponibles dans les CDI de trois établissements, et nous faisions tourner la liste, écartant les trop décevants et ajoutant parfois. J'ai mis pas mal de "classiques" qui ont souvent bien marché (en 3è): l'Etranger, Thérèse Raquin, Médée (Anouilh), Le Hussard sur le toit, etc. Quelques bides aussi Les Chouans, La Curée (vraiment trop durs, même pour les meilleurs lecteurs du collège).
- DimkaVénérable
C’est pourtant évident… Un texte en langue vulgaire et en prose.tannat a écrit:Que nommez-vous "intérêt littéraire" ? Qui le définit ?quel est l'intérêt de lire un livre sans intérêt littéraire ?
…
Je trouve que tu as une vision curieusement comptable des livres. Hiérarchique, utilitaire et comptable.elpenor08 a écrit:Toutes les oeuvres ne se valent pas.
Perso, je pense qu’il y a juste différents types de littératures, d’ailleurs comme il y a différents types de langage, différents genres musicaux ou différentes façons de s’habiller… qui correspondent à différents usages, différents objectifs ou attentes, et différents milieux. Évidemment, d’un point de vue personnel, je vais apprécier plus ou moins certaines choses, voire les juger esthétiquement, intellectuellement, politiquement, mais ça, c’est une opinion personnelle, les élèves n’ont pas à le savoir.
Le rôle de l’école n’est pas de faire adhérer les élèves corps et âme aux valeurs et à l’idéologie des élites, mais d’une part de leur donner accès à la culture de cette élite, de leur apprendre comment ça fonctionne, comment ça s’apprécie, ce que ça peut apporter… et d’autre part de leur apprendre à faire la part des choses (non pas sur une échelle de valeur, mais sur une échelle de différences…), de façon à ne pas utiliser le mauvais langage ou les mauvaises références culturelles au mauvais moment ou au mauvais endroit. De ce point de vue, il me semble parfaitement légitime qu’un prof de lettres fasse étudier des classiques, et exclusivement des classiques. Pas pour dire que tout le reste, ce n’est que de la merde indigne d’intérêt, mais parce que c’est le domaine scolaire : le reste, on le découvre ailleurs. Et de ce point de vue, je suis d’accord pour dire que tu as été lésé dans ta scolarité : l’école n’a pas rempli son rôle, ça t’a handicapé parce que tu n’as pas eu toutes les chances pour franchir la sélection à laquelle elle était supposée te préparer
Cependant, je ne vois pas non plus en quoi ce serait choquant d’utiliser de la littérature jeunesse pour faire lire des élèves. Quand tu veux qu’un enfant apprenne un instrument, tu lui donnes d’abord des petits morceaux rigolos, enfantins, sans trop de prétention : ça l’amuse, il prend l’habitude d’éprouver du plaisir à jouer, et au passage, il progresse techniquement et musicalement. Alors que si tu commences par lui filer un concerto très difficile, il sera juste dégoûté. Au collège, on parle de prof de français, non ? Le but, c’est de faire progresser techniquement les élèves dans la maîtrise de la langue, aussi. En plus, il y a un moment où il faut juste lire, lire beaucoup, lire tout, et ce quantitatif ne se fera pas en classe. Du coup, il y a tout intérêt à donner des titres qui ont des chances d’accrocher et que les élèves liront par plaisir (il lit toute la série) et non par contrainte (il lira précisément le nombre de livres exigés par le prof), non ?
En fait, tu me fais l’effet d’un type qui trouverait que le tournevis, c’est mieux que tout (subtil, perfectionné, beau…), alors bon, pourquoi utiliser un marteau (un truc de brute) ? Autant utiliser une hache (un truc de brute, aussi)… Je veux dire : tu te trouves peut-être très spirituel, du haut de ton piédestal intellectuel, à regarder de haut les polars, la littérature jeunesse et le journal, mais en fait, en te lisant, on se dit juste : « attends… Ce gus ne sait même pas qu’on lit un polar pour se détendre avec de la fiction, et un journal pour savoir ce qu’il se passe dans la réalité ?! ».Tangleding a écrit:Autant lire le journal, non ?
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- Spoiler:
- V.MarchaisEmpereur
elpenor08 a écrit:Mais encore une fois, je préfère l'élève qui me dit avoir passé le week-end au bord du canal à la pêche plutôt que celui qui a lu un texte indigent (je ne cite plus de nom!)
Je n'ai aucune préférence relativement aux loisirs de mes élèves, qui ne me regardent pas. Ma mission n'est pas de juger leurs activités, mais de les rendre capables d'accéder, autant que possible, à tous les textes. Et je continue de penser que la littérature de jeunesse joue un rôle dans le développement de cette capacité. Dire cela n'est pas dire que tout se vaut.
D'ailleurs, des tas de collègues ont répété que tout ne se vaut pas, justement, y compris en littérature jeunesse.
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