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Iphigénie
Prophète

Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes - Page 6 Empty Re: Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes

par Iphigénie 30/05/20, 10:22 am
trompettemarine a écrit:Les propos de NLM sont emplis d'intelligence et de sagesse, sans polémique ni jugement.
oui, et l'intervention de Barèges est aussi très intéressante.
Oudemia
Oudemia
Bon génie

Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes - Page 6 Empty Re: Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes

par Oudemia 30/05/20, 10:47 am
Iphigénie a écrit:
trompettemarine a écrit:Les propos de NLM sont emplis d'intelligence et de sagesse, sans polémique ni jugement.
oui, et l'intervention de Barèges est aussi très intéressante.
Je plussoie fleurs

À propos des compositions en vers latins:
Schaheb
Schaheb
Niveau 2

Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes - Page 6 Empty Qu'entend-on par "méthode active"?

par Schaheb 30/05/20, 03:28 pm
NLM76 a écrit:

Reste à savoir ce qu'on entend par "méthodes actives".
Eh bien j'ai eu un mal de chien à lire Dickens en VO, plongé régulièrement dans le dictionnaire ou dans une traduction française. Donc, non, ce n'est pas vrai qu'on lit dans le texte seulement grâce à l'apprentissage de la langue courante.

Merci pour votre commentaire, que je trouve intéressant. Je vous réponds sur les deux points précis que je cite ci-dessus et qui me paraissent très représentatifs des malentendus que suscite l'expression "méthode active". J'en fais une typologie et je réponds, point par point.

a) les méthodes actives, c’est bavarder en latin, parler la "langue courante"
b) les méthodes actives, c’est fait pour rendre le latin amusant
c) les méthodes actives, c’est inutile pour lire la littérature
d) les méthodes actives excluent l’étude de la grammaire
e) les méthodes actives sont incompatibles avec la version ou le thème

Tout ça, c’est faux.

a) et b) Les méthodes actives ne visent pas à faire "bavarder les élèves" en latin, pas plus qu'elles n'ont vocation à employer "la langue courante" des Romains. Comme vous le savez, il est probable que le Latin ait été longtemps en situation de diglossie, avec une variante courante (le latin dit vulgaire) et une langue littéraire et un peu artificielle qu'on appelle latin classique. Nous avons relativement peu de témoignages de la langue courante. Il ne s'agit donc pas de parler entre copains comme des Romains, mais d'employer activement l'artifice de la langue littéraire dans le but de lire, analyser et commenter des textes littéraires. Le but est que les élèves puissent produire des structures latines sans réfléchir: quand on y parvient, c'est qu'on maîtrise parfaitement la grammaire. La comparaison avec l'anglais de Dickens ne fonctionne pas, car vous n'avez pas appris l'anglais pour lire Dickens, et votre apprentissage du vocabulaire n'a pas été déterminé par les mots que vous trouvez dans ses romans. J'y reviendrai. Quand on fait du latin ou du grec vivant, en revanche, on oriente l'étude du vocabulaire en fonction des mots employés dans des textes littéraires. Oui, on peut parler aussi de la pluie et du beau temps, mais le but serait plutôt de comprendre à la lecture un texte où Platon raconterait un échange philosophique dans  un beau paysage d'été ensoleillé.

En effet, le but des méthodes actives est de poser des bases linguistiques assez solides, pour permettre aux spécialistes d'être en mesure de lire des livres entiers en latin sans avoir à chercher des mots dans le dictionnaire. On pratique ces méthodes pour lire les textes, pas pour bavarder. Cela ne veut pas dire que cela ne puisse pas être amusant. Mais la grammaire et la traduction peuvent être tout aussi amusantes. Cela n’a rien à voir avec la méthode en elle-même.
Il serait bon qu’on passe plus de temps, au collège/lycée comme à l'université à apprendre à lire les langues anciennes, et un peu moins à faire de la grammaire, de la version et du thème. Ce qui ne veut pas dire qu'on va arrêter de les pratiquer. C’est-à-dire qu’on passerait plus de temps à travailler sur de longs textes facilement compréhensibles, qui permettent progressivement d’accéder à de vrais textes littéraires, au lieu de se concentrer sur un travail de lecture intensive d’extraits à traduire à l’aide du dictionnaire. Il faudrait renoncer, par exemple, à faire étudier des œuvres latines ou grecques en version intégrale pour le bac. On peut, en revanche, étudier ces mêmes œuvres en traduction française, et s’assurer que les élèves, au bout de quelques années de latin, soient en mesure de lire dix de pages de Cicéron d'affilée sans devoir s’arrêter à chaque phrase !
c) Les méthodes actives sont très utiles pour lire la littérature. Elles sont même plus efficaces que l’étude de la grammaire et la version. Je vous explique mon raisonnement en vous présentant ce que j'entends par méthodes actives, et en reprenant ce que vous nous avez dit de votre expérience de lecture avec Dickens. Quand on enseigne l’anglais, ou n’importe quelle autre langue vivante, le but est de permettre aux élèves d’utiliser cette langue dans divers contextes : dans les situations ordinaires de vie quotidienne, au travail, dans les études. On peut souhaiter aussi que ces connaissances puissent permettre à ceux qui s’y intéressent de lire de la littérature et de regarder de bons films. Les compétences acquises en cours posent les bases d’une compréhension générale de la langue, qui leur permet, au bout de quelques années, même en lisant du Dickens, de saisir une bonne partie de ce qu’ils lisent sans se poser des questions du type : est-ce que ce mot est un COD ? quel est la fonction de ce mot dans la phrase ? Cette proposition est-elle une relative ? A quelle personne est conjugé le verbe « eats » ? Le cas de l’anglais est assez particulier car, comme je l’avais dit avant, il y a un fossé entre l’anglais parlé aujourd’hui et l’anglais des siècles précédents. Si vous avez eu du mal avec Dickens, c’est parce que cet auteur emploie un vocabulaire qui vous était inconnu, parce que différent de celui du quotidien, ou de textes plus modernes et plus faciles à lire (le style de Tolkien est faussement archaïque, mais le vocabulaire qu’il emploie est assez simple).
On n’a pas ce problème en latin et en grec. D’abord, parce que le vocabulaire qu’on acquiert en apprenant de façon active, est celui des textes littéraires. Ce n’est pas parce qu’on fait du latin parlé, qu’on va forcément causer vélos et voitures en latin. Le but poursuivi dans la pratique active du latin ou du grec ancien, c’est, j'insiste là dessus, la lecture des textes. On ne met donc pas particulièrement l’accent, en cours, sur des échanges de banalités (la pluie, le beau temps, la boulangerie, les courses).
On peut, en revanche, suivre le manuel Lingua latina per se illustrata pour décrire la vie d’une famille romaine sous Trajan (histoire de parler de culture antique et d'histoire aussi), avant de découvrir, dans le deuxième volume, l’histoire de Rome et de passer, progressivement, aux textes littéraires : le vocabulaire appris au cours des 35 leçons du premier volume, qui aborde toute la syntaxe de la langue, permet de lire Cicéron sans beaucoup de problèmes. A la fin de Roma Aeterna, on peut lire sans trop d'hésitation une très grande partie des grands auteurs latins. Bien sûr, pour mieux lire Cicéron il faut aussi... lire Cicéron, fréquenter ses pages, car il faut s’adapter progressivement au style de chaque auteur, mais dans l’ensemble, vous y arriverez sans effort si vous avez travaillé consciencieusement en lisant le livre d’Orberg.
Ce n’est pas en faisant des versions de Dickens ou en faisant des analyses de grammaticales de Dickens qu’on arrive à lire ses romans. C’est en lisant ses romans qu’on s’habitue à sa langue. Plus vous lisez du Dickens, plus ça devient simple. Quand j’apprenais l’anglais au lycée, j’avais eu un peu de mal à lire Light in August de Faulkner, mais une fois que je l’ai fini, j’ai pu lire plus aisément As I Lay Dying, Sanctuary et ses autres romans. Or je n’ai jamais fait une seule version de Faulkner, et je n’ai certainement pas fais de révisions de grammaire.  De la même façon, si vous lisez du Tacite souvent, vous le lirez sans problème au bout d'un moment. Pareil en grec ou en latin, ou Euripide et Sophocle me semblent plutôt transparents (même les chœurs), alors que j’ai un peu plus de mal avec les chœurs d’Eschyle, car je suis moins habitué à son utilisation un peu plus obscure, pindarique, du dialecte dorien.
Si on veut pouvoir lire des textes, il faut avoir les bases, non pas seulement de la grammaire, mais d'une compréhension globale de textes en lecture extensive.
d) et e)  Prenons un exemple concret : « Tum Tusculum Paulus, qui Romani filius senatoris est, petit. Ibi Claudiam uidet et, captus amore, ei flores dat. »

Comment s’y prendre ? La méthode « traditionnelle », que j’appelle ici grammaire-traduction, demandera généralement aux élèves de faire l’analyse grammaticale, puis de traduire le texte. Elle présuppose que l’élève connaisse :
-le présent de l’indicatif
-les fonctions des cas
-les trois premières déclinaisons
-les relatives
Généralement, elle ne présuppose pas des connaissances de vocabulaire, car on peut travailler sur un texte inconnu en s’aidant du dictionnaire (version).
Cela se passe à peu près comme ceci :
Première phrase : une proposition principale, une subordonnée
Proposition principale : Tum Tusculum Paulus petit
verbe principal: « petit », indicatif présent
sujet : « Paulus », nom. masc. sg.
COD : « Tusculum », acc. neut. sg
adverbe : « tum »
complément du nom : « Romani senatoris », gen. masc. sg.

proposition relative

verbe conjugé : « est », indicatif présent
sujet : « qui », pronom relatif sujet
ETC.
L’élève analyse donc les déclinaisons, les conjugaisons, « cherche le sujet » et le verbe principal. Il doit encore se rappeler que les cas ont des fonctions, ce qu’il fait souvent mal, car il ne sait pas toujours à quoi cela correspond. Il doit s’arrêter pour se dire que « ei » est un datif, que la fonction du datif est d’exprimer le COI, le complément d’attribution, etc., et être capable de se rappeler de ce à quoi cela correspond en français. Tout ça, alors que la déclinaison du datif existe en français, et que ce même étudiant qui perd du temps à analyser la grammaire comprend parfaitement la différence de sens entre « je lui donne » et « je le donne ».
Comment travaille-t-on la même phrase avec un élève qui a suivi une méthode active ? Tout d’abord, l’enseignant ne lui demandera pas de travailler sur un texte que s’il est sûr que l’élève connaît la plupart des mots (disons 96 ou 98 pourcent, 80 à la rigueur). Pour comprendre ce texte sans réfléchir, il suffit d’avoir fait les XII premiers chapitres de Lingua latina per se illustrata. Si c’est le cas, l’élève n’aura aucun mal à comprendre le texte à la lecture.
Le professeur ne lui demandera pas de traduire, mais pour vérifier la compréhension, il lui posera des questions (à l’oral ou à l’écrit) :
-Quis est Paulus ?
-Quod oppidum petit Paulus ?
-Quem uidet? (ou Quam uidet?)
-Cui flores dat ? Cur?
L’élève qui s’est formé en suivant une méthode active est en mesure de répondre sans hésitation à ces questions : « Paulus est filius senatoris Romani », « Paulus Tusculum petit », « Claudiam uidet », « Claudiae flores dat quia captus amore eius est. » Il n’a donc pas besoin de traduire le texte pour montrer ses compétences. En revanche, il n’aurait pas de mal à traduire ce texte si on lui demandait de le faire. Il n’aura pas de difficultés à expliquer la grammaire de la phrase, car si le professeur a été compétent, il a également travaillé sur les leçons de grammaire à la fin de chaque chapitre, qui sont rédigées en latin.
S’il est donc vrai qu’on peut faire de la conversation latine ou grecque en cours, « parler latin » ou « discuter en latin » n’est pas le seul moyen d’employer une méthode active. On peut, en fonction des besoins des élèves, et de l’expérience du professeur, utiliser plus ou moins de conversation, voire se limiter à quelques questions de compréhension auxquelles il faut répondre en latin. On peut même utiliser les ressources disponibles sans forcément parler la langue. Une méthode active vise avant tout à transformer des compétences passives : déchiffrement d’un texte grec ou latin par analyse grammaticale (« cherchez le sujet » -Pourquoi donc faudrait-il le chercher ? S’est-il égaré ?), versions latines ou grecques en quatre heures (pour des textes qu’on peut traduire en moins de 30 minutes si on connaît vraiment le grec ou le latin)… La plupart des collégiens/lycéens reconnaissent le sens d’un verbe, mais doivent d’abord passer par une analyse grammaticale avant de pouvoir comprendre le sens de l’emploi.
Le but de ces méthodes est donc tout simplement d’activer les connaissances passives, souvent abordées par des présentations sous forme de tableaux, avec de nombreux exemples tirés d’auteurs classiques.  Cette connaissance passive, renforcée presque exclusivement par les exercices de version et de thème, est le résultat de la méthode grammaire-traduction.
La plupart des manuels de cinquième, par exemple, proposent dès la première leçon des textes d’Ovide et de César, pour inviter les débutants à reconnaître des éléments communs entre le français et le latin.
Il est tout à fait raisonnable de vouloir créer des ponts entre les deux langues, mais il est pour le moins étrange de proposer des textes de Virgile à des étudiants qui n’y comprennent rien, pour leur montrer que le mot « arme » dérive du pluriel latin « arma », ou de leur demander de « repérer la traduction » de « per orbem terrarum arma circumtulit », en s’appuyant sur ce même mot (Hachette ou Magnard, je ne sais plus). Quel est le sens de cet exercice ? Pourquoi donner un texte de Florus avec une traduction française à côté à quelqu’un qui n’a aucune connaissance en latin ? Certains manuels introduisent la NOTION de déclinaison à la fin de la deuxième séquence, et les formes de la déclinaison ne sont abordées que plus tard, à la fin de la troisième ou la quatrième séquence, et en bloc, sous forme de tableaux. C’est, globalement, la « textbook version » (littéralement) de la méthode grammaire-traduction : on parle de grammaire, on s’appuie sur des traductions, mais on n’apprend pas la langue.
On peut citer, comme contre-exemple, le premier chapitre du livre d’Orberg Lingua latina per se illustrata qui se fonde sur un principe actif d’apprentissage, c’est-à-dire, par un effort de compréhension contextuelle, qui requiert, par la suite, un effort d’expression. Cette expression peut être orale ou écrite. Le livre, intégralement rédigé en latin, est « interactif » : des questions sont posées, en latin, et on y répond directement en latin. Résultat ? En quatre pages de texte, on a présenté clairement, par déduction contextuelle, et s’appuyant sur des aides visuelles :
-l’opposition nominatif/ablatif
-le singulier et pluriel nominatif des deux premières déclinaisons
-les compléments de lieu à l’ablatif
-l’opposition neutre/féminin/masculin
-du vocabulaire utile
-la géographie de l’Empire romain

L’élève est donc capable, grâce à quatre pages de texte en latin de :
-poser des questions de lieu (ubi est Roma ?)
-y répondre (Roma in Italia est)
-poser des questions d'identification (quid est Roma?)
-y répondre (Roma oppidum est)
-citer les principales provinces de l’Empire sous Trajan
-compter jusqu’à trois en latin, parler de l'alphabet latin en latin
-parler de grammaire en latin
C’est vraiment autre chose. C’est ce qui me fait penser que la méthode grammaire-traduction est moins bonne que les différentes méthodes actives.

Ce ne sont que quelques exemples de ce qu’on peut comprendre par « méthodes actives ». Je suis sûr que beaucoup d’entre vous pratiquent déjà ce genre d’exercices. J’espère que cette présentation vous aura permis de voir qu’il ne s’agit pas de bannir l’étude de la grammaire ou de la version, mais de proposer un autre éclairage et un angle d’attaque dont on sait, depuis des décennies, qu’il est le meilleur à l’heure d’apprendre une langue étrangère.
trompettemarine
trompettemarine
Monarque

Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes - Page 6 Empty Re: Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes

par trompettemarine 30/05/20, 04:25 pm
Schaheb a écrit:


d) et e)  Prenons un exemple concret : « Tum Tusculum Paulus, qui Romani filius senatoris est, petit. Ibi Claudiam uidet et, captus amore, ei flores dat. »

Comment s’y prendre ? La méthode « traditionnelle », que j’appelle ici grammaire-traduction, demandera généralement aux élèves de faire l’analyse grammaticale, puis de traduire le texte. Elle présuppose que l’élève connaisse :
-le présent de l’indicatif
-les fonctions des cas
-les trois premières déclinaisons
-les relatives
Généralement, elle ne présuppose pas des connaissances de vocabulaire, car on peut travailler sur un texte inconnu en s’aidant du dictionnaire (version).
Cela se passe à peu près comme ceci :
Première phrase : une proposition principale, une subordonnée
Proposition principale : Tum Tusculum Paulus petit
verbe principal: « petit », indicatif présent
sujet : « Paulus », nom. masc. sg.
COD : « Tusculum », acc. neut. sg
adverbe : « tum »
complément du nom : « Romani senatoris », gen. masc. sg.

proposition relative

verbe conjugé : « est », indicatif présent
sujet : « qui », pronom relatif sujet
ETC.

(...)

Je réponds (sans esprit de polémique) par mon expérience d'enseignante. Pardon, pour les réflexions qui viennent sans ordre.
Le réflexe premier des élèves seuls face à une phrase de ce type, c'est de prendre les mots les uns après les autres puis d'inventer une traduction en français en essayant de garder l'ordre des mots. Cela aboutit à des questions comme "Cela veut dire quoi Paulus" ?
Il faut un long apprentissage, dans le sens d'un long entraînement, pour casser ce type de réflexe (ce qui n'empêche par la suite d'établir une traduction qui suive l'ordre des mots). Seule l'explication grammaticale avec un va-et-vient avec le vocabulaire (En cela, pour le grec, la méthode de l'hermaion est remarquable, mais le manuel n'est pas accessible pour des élèves) me paraît possible.
C'est pourquoi, la grammaire ne peut être, selon moi, un simple outil parmi d'autres. Elle est le pont nécessaire et premier entre les langues.

J'ai essayé, après avoir assisté aux journées de l'enseignement des langues anciennes (sous l'ère Châtel), la méthode audio-orale pour l'apprentissage du grec.
Je me suis appuyée sur l'ouvrage de Christophe Rico.

Voici les difficultés que j'ai rencontrées :
1. Utiliser cette méthode avec des élèves qui ont commencé avec une autre méthode, plus traditionnelle, les perd complètement.
2. Poser des questions en grec, en répétant plusieurs fois cette façon de faire, m'a donné l'impression d'abord que les élèves cherchaient à deviner. Quand la réponse est donnée, souvent fausse (ou bien c'est le silence), on répète la question. Puis de nouveau, une réponse est donnée, qui finit par être correcte. Mais s'agit-il d'une réponse comprise, ou bien d'un dressage (sachant qu'il y a aussi une forme de dressage dans la méthode plus traditionnelle qui cherche à donner quelques réflexes pour passer à l'étape suivante) ?
3. La première leçon a duré un temps fou (mais il s'agissait, je l'avoue, d'une forme de noviciat pour moi.)
4. Seul un élève a apprécié cette façon de faire : il connaissait de graves problèmes à l'écrit en français et s'en sortait à ce jeu de devinette. Mais dès qu'il a fallu aborder des phrases plus complexes, c'était fini.

La méthode audio-orale est peut-être plus "efficace" avec des étudiants qui ont déjà un bagage grammatical suffisant qui leur évite de deviner.

J'ai aussi, notamment en latin, utilisé le principe de la "lettre polonaise" qui permet de distinguer le fait de lire, du fait de comprendre (ou d'avoir l'impression de comprendre), puis du fait de traduire. J'ai appliqué ensuite la méthode avec des textes simples (une épigramme de Martial).
Mais j'ai toujours eu la frustration de tourner autour du texte sans une confrontation avec sa difficulté et sa richesse.

J'ai appliqué longtemps les consignes d'apprentissage de textes d'auteurs (feue Mireille Ko, etc.). Là-aussi, aborder des textes d'auteurs pour des élèves débutants et qui n'ont plus les bases en grammaire française, en picorant çà et là ce qui allait constituer une leçon de grammaire, n'était pas satisfaisant (J'ai bien compris que ce n'était pas votre méthode). Mais une bonne partie des enseignants ont été formés à cette méthode (même si tout n'est pas à jeter, loin de là : le but était, je pense, de renouer avec les auteurs qu'on ne lisait et traduisait plus)

Ce que je fais aujourd'hui : je me suis replongée dans les livres d'apprentissage des exercices grecs de Ragon, en essayant de créer moi-même les phrases à traduire. Très vite la progression ne peut être suivie, car d'une part, elle s'appuie sur une connaissance préexistante du latin pour apprendre le grec, et sur la morphologie. (Se pose en outre "la morale" datée des phrases d'exercices.)
J'ai repris ensuite le Maquet et Flûtre. Il est possible de traduire des textes simples en s'appuyant sur la mythologie (l'histoire d'Iphigénie par exemple). Le plaisir de comprendre et de produire une traduction même maladroite qui ait du sens est visible chez les élèves.
Vient ensuite le moment de la lecture d'auteurs, des textes simples, puis plus complexes.
Je renoue avec le plaisir d'enseigner lors de ces moments (fragiles, à cause des conditions matérielles imposées : faiblesse des horaires, etc.).

Je me heurte néanmoins toujours au mur de la grammaire française : il faut savoir que des élèves ne distinguent pas un nom d'un verbe.
L'apprentissage est plus long qu'il ne l'a été pour nous, qui avons baigné dans les exercices d'analyses grammaticale et logique depuis le primaire.


Dernière édition par trompettemarine le 30/05/20, 04:48 pm, édité 9 fois
Nitnelav
Nitnelav
Niveau 4

Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes - Page 6 Empty Re: Visioconférence sur la méthodologie de l'enseignement des langues anciennes

par Nitnelav 30/05/20, 04:35 pm
Merci Schaheb, pour ces explications qui permettront, à qui voudra bien prendre le temps de les lire, de comprendre exactement en quoi consistent les méthodes actives, et pourquoi les arguments qui ont été donnés plus haut sont infondés. Ces arguments sont assez difficiles à entendre d'ailleurs, j'ai parfois l'impression de lire ces "thèses contre les circulateurs", écrites par des gens que la religion interdisait de regarder à l'intérieur des corps et de mener une véritable démarche expérimentale.
Ta démonstration, notamment lorsqu'elle aborde la question du corpus qui sert de base à la pratique du latin vivant, est brillante.

J'ajoute que ces mêmes méthodes existent pour le grec ancien. La méthode Athenaze (version italienne) ou Alexandros (uniquement en grec ancien, même s'il manque à mon goût un vrai tome II pour entrer dans les textes), sont excellents. A la fin du tome II d'Athenaze, on lit des textes originaux (Platon, Hérodote, Aristophane), sans traduire et en comprenant tout. A ce propos j'ai adoré l'argument :" traduire et lire, ce n'est pas la même chose, et dans la subtilité de la traduction on est déjà dans le commentaire" ; en poussant un peu le raisonnement jusqu'à l'absurde on pourrait dire que lire Balzac et le comprendre quand on est français, c'est toujours moins subtile que de le traduire quand on est italien...

Je reste très étonné (en fait non je ne le suis pas, en LC on est bien trop habitué à ce que tout le monde nous laisse dans notre coin et nous laisse penser en rond) qu'on puisse s'autoriser à juger des méthodes qu'on ne connait pas, et j'aimerais bien savoir si ceux qui ont émis d'emblée des doutes ont passé ne serait-ce qu'une heure (oui je sais, prise malheureusement sur le temps passé à lire Virgile éclairé à la bougie...) à feuilleter le manuel Lingua Latina Per Se Illustrata, Cambridge Latin Course, Reading Latin, Reading Greak, Athenaze Oxford, Athenaze Introduzione al greco antico, Polis...

Y a-t-il une seule personne parmi les sceptiques ici, qui connaisse (et connaisse bien) une des méthodes précitées, qui a vu un enseignant l'utiliser, qui a vu un élève confronté à ces démarches, qui connait les universités où on les pratique, qui connait l'institut Polis à Jerusalem, l'Accademia vivarium novum à Rome, Paideia à New York, Caelum et Ouranos à Madrid, l'association Guillaume Budé à Lyon, le kuklos hellenikos de l'Université Lille-III, Claude Fievet quand il enseignait à Pau etc. ? C'est un vraie question. Parce que si ce n'est pas le cas, on parle dans le vide!

musa
musa
Neoprof expérimenté

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par musa 30/05/20, 04:36 pm
Tout à fait d'accord sur le caractère absurde de balancer des textes de Virgile et de Florus à des débutants avec traductions françaises et petits exercices de repérages extrêmement fastidieux. Mais ces exercices qui ont fleuri depuis une quinzaine d'années résultent selon moi, non pas d'une méthode "grammaire-traduction" mais d'une mode du texte authentique qu'il fallait absolument privilégier et bannir les petites phrases par lesquelles on apprenait dans les années 70-80 (genre manuel "initiation au latin" "les servantes ornent de roses les autels des déesses" etc). Je me souviens d'un entretien il y a dix ans avec un IG ;il ridiculisait ce type d'apprentissage et prétendait qu'il fallait tout de suite lancer les débutants dans le grand bain. On en revient un peu maintenant mais les manuels sont toujours sur ce modèle.
Je me sers parfois d'Orberg avec mes élèves mais aussi du "Cambridge latin course" ou encore de "la première année de latin" de Cart-Grimal (années 50). Je ne sais pas si on peut parler de "méthodes actives" mais il y a en tout cas cette idée de lire rapidement des petites phrases, de savoir poser et répondre à des questions pour automatiser l'emploi des cas, des temps, des structures.
Mais de toute façon, en France aujourd'hui, on est même loin de l'apprentissage que tu décris. Avec les pertes d'heures, de postes, ça bricole dans tous les sens et il n'y a plus d'enseignement national cohérent.
trompettemarine
trompettemarine
Monarque

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par trompettemarine 30/05/20, 04:56 pm
Nitnelav a écrit:Merci Schaheb, pour ces explications qui permettront, à qui voudra bien prendre le temps de les lire, de comprendre exactement en quoi consistent les méthodes actives, et pourquoi les arguments qui ont été donnés plus haut sont infondés. (...)

Je reste très étonné (en fait non je ne le suis pas, en LC on est bien trop habitué à ce que tout le monde nous laisse dans notre coin et nous laisse penser en rond) qu'on puisse s'autoriser à juger des méthodes qu'on ne connait pas, et j'aimerais bien savoir si ceux qui ont émis d'emblée des doutes ont passé ne serait-ce qu'une heure (oui je sais, prise malheureusement sur le temps passé à lire Virgile éclairé à la bougie...) à feuilleter le manuel Lingua Latina Per Se Illustrata, Cambridge Latin Course, Reading Latin, Reading Greak, Athenaze Oxford, Athenaze Introduzione al greco antico, Polis...


S'agit-il d'établir un échange constructif  ou d'un topic "publicitaire" ?
Oui, nous connaissons ces méthodes. (Voir mon post, et celui de Musa)
Non, elles ne sont pas nouvelles.
Oui, elles peuvent plaire à certains.
Non, elles ne conviennent pas à d'autres et je pense que les arguments avancés par ceux à qui elles ne conviennent pas ne sont pas des arguments ad hominem ou d'autorité, comme vous le faites.
Ils sont fondés sur leur expérience de la lecture des textes et d'un enseignement qui n'a cessé d'évoluer, contrairement à ce que l'on pense.
Oui, nous réfléchissons à ce que nous faisons et comment nous le faisons parce que nous sommes professeurs.
NLM76
NLM76
Grand Maître

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par NLM76 30/05/20, 05:05 pm
Schaheb a écrit:
NLM76 a écrit:

Reste à savoir ce qu'on entend par "méthodes actives".
Eh bien j'ai eu un mal de chien à lire Dickens en VO, plongé régulièrement dans le dictionnaire ou dans une traduction française. Donc, non, ce n'est pas vrai qu'on lit dans le texte seulement grâce à l'apprentissage de la langue courante.

Merci pour votre commentaire, que je trouve intéressant. Je vous réponds sur les deux points précis que je cite ci-dessus et qui me paraissent très représentatifs des malentendus que suscite l'expression "méthode active". J'en fais une typologie et je réponds, point par point.

a) les méthodes actives, c’est bavarder en latin, parler la "langue courante"
b) les méthodes actives, c’est fait pour rendre le latin amusant
c) les méthodes actives, c’est inutile pour lire la littérature
d) les méthodes actives excluent l’étude de la grammaire
e) les méthodes actives sont incompatibles avec la version ou le thème

Tout ça, c’est faux.

Euh... c'est vrai que mon message est peu structuré. Mais quand même, je trouve ça complètement absurde de tirer de ces deux phrases les cinq points que vous listez.
C'est tout le contraire de mon message. Je vous dis, nom de nom que je n'ai RIEN contre les méthodes actives. Je suis POUR ! Mais je vous demande de n'avoir pas la prétention d'être le seul représentant des "méthodes actives". Quant à Dickens, vous avez raison je dois préciser ma pensée, qui avait quelque chose de faux. Quand j'ai lu Dickens, j'avais toujours un "très bon" niveau en anglais : j'étais capable de lire Tolkien, et à peu près n'importe quel ouvrage de linguistique. Mais le vocabulaire de Dickens, c'était encore autre chose. Autrement dit, savoir lire Saint Augustin ne permet pas encore tout à fait de lire Tite-Live. Autrement dit, on ne s'affole pas si on a du mal à lire Tite-Live quand on connaît passablement bien le latin. Je sais bien que vous ne prétendez pas enseigner seulement la langue courante: je répondais seulement à l'argument qui disait que c'était trop nul la méthode prétendument "traditionnelle" (encore une fois cela recouvre mille choses différentes), parce qu'on ne pouvait pas lire Tite-Live dans le texte.
Encore une fois, je suis POUR ce que vous représentez dans la mesure où vous dites, d'une certaine façon : "l'important c'est la langue !" d'une part, et d'autre part "pour apprendre la langue il faut une méthode rigoureuse, progressive, attrayante, active". Ça nous change des calembredaines qui consistent à noyer les élèves dans Tite-Live dès les premières leçons, avec des pseudo-repérages. Mais c'est insupportable d'être traité de méthode inactive — parce que ce n'est pas vrai. Quant à l'étiquette "grammaire-traduction" qui serait celle de la méthode dépassée, ça ne nous convient pas non plus. Pour moi, il suffit de voir que la méthode que vous défendez est justement une méthode "grammaire-traduction" : vous dites bien (points d et e) qu'elles sont importantes pour vous. Simplement, vous insistez aussi sur d'autres choses, ou en tout cas, de façon différente de ce que nous pratiquons, FOP, DR, Oudemia, moi-même et d'autres. Et ça nous intéresse — avec des inclinations variées selon les personnalités et les philosophies. Mais quand vous commencez par "les méthodes actives" et que vous signifiez que ce ne sont pas les nôtres, on a très envie de dire "Fi !".

Je viens de lire la fin de votre message. Voilà; tout est dit. Je suis tout à fait d'accord avec tout ce que vous dites. Mais il y a d'autres moyens de le faire qu'avec Orberg (que je respecte infiniment !). Voyez par exemple la méthode que je suis en train d'écrire, dont nous avons parlé très longuement ici, et dont le premier volume est paru. Elle est sans doute très imparfaite et très inférieure à celle que vous présentez (je dis cela un ironiquement ; mais en même temps je crains fort que ce soit la vérité!), mais elle ne saurait être accusée des maux que vous décrivez.


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par Ascagne 30/05/20, 05:07 pm
trompettemarine a écrit:Je me heurte néanmoins toujours au mur de la grammaire française : il faut savoir que des élèves ne distinguent pas un nom d'un verbe.
C'est l'éternel problème, y compris avec des étudiants grands débutants à l'arrivée en fac ! L'autre problème étant effectivement les difficultés rencontrées par les LC dans le secondaire.
J'ai les Fabulae syrae de Luigi Miraglia chez moi : je trouve cela bien fait et intéressant, mais je n'ai pas eu l'occasion de l'appliquer tel que c'est pensé. Mon problème, quand j'ai enseigné au lycée, c'est que les élèves et les parents d'élèves faisaient pression pour qu'il y ait le moins de langue et de traduction, mais le plus de vidéo et de divertissement possible.
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par uneodyssée 30/05/20, 05:19 pm
Nitnelav a écrit:

Je reste très étonné (en fait non je ne le suis pas, en LC on est bien trop habitué à ce que tout le monde nous laisse dans notre coin et nous laisse penser en rond) qu'on puisse s'autoriser à juger des méthodes qu'on ne connait pas, et j'aimerais bien savoir si ceux qui ont émis d'emblée des doutes ont passé ne serait-ce qu'une heure (oui je sais, prise malheureusement sur le temps passé à lire Virgile éclairé à la bougie...) à feuilleter le manuel Lingua Latina Per Se Illustrata, Cambridge Latin Course, Reading Latin, Reading Greak, Athenaze Oxford, Athenaze Introduzione al greco antico, Polis...

Y a-t-il une seule personne parmi les sceptiques ici, qui connaisse (et connaisse bien) une des méthodes précitées, qui a vu un enseignant l'utiliser, qui a vu un élève confronté à ces démarches, qui connait les universités où on les pratique, qui connait l'institut Polis à Jerusalem, l'Accademia vivarium novum à Rome, Paideia à New York, Caelum et Ouranos à Madrid, l'association Guillaume Budé à Lyon, le kuklos hellenikos de l'Université Lille-III, Claude Fievet quand il enseignait à Pau etc. ? C'est un vraie question. Parce que si ce n'est pas le cas, on parle dans le vide!


Ce fil devient vraiment intéressant lorsqu'on discute concrètement des pratiques, en tout cas j'ai recommencé à le suivre avec plaisir… et je suis moi-même plutôt intéressée par ces pratiques (en fait, par toute pratique, car curieuse et joyeuse d'expérimenter !)… mais je voudrais que l'on arrête de s'invectiver. On n'a jamais convaincu personne en le disqualifiant ; et pour le coup, est-ce que ce ne serait pas toi qui juges sans connaître l'expérience de tes interlocuteurs ? Je crois que dans l'intérêt de ce que tu défends (et que tu sois passionné, c'est très bien), tu gagnerais à te montrer plus ouvert.
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par uneodyssée 30/05/20, 05:22 pm
NLM76 a écrit: Voyez par exemple la méthode que je suis en train d'écrire, dont nous avons parlé très longuement ici, et dont le premier volume est paru. Elle est sans doute très imparfaite et très inférieure à celle que vous présentez (je dis cela un ironiquement ; mais en même temps je crains fort que ce soit la vérité!), mais elle ne saurait être accusée des maux que vous décrivez.

NLM76, moi qui suis récente sur ce forum, je n'ai pas suivi cette histoire… et suis curieuse (oui, je me répète !) d'en savoir plus sur cette méthode !
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par Schaheb 30/05/20, 05:26 pm
Le réflexe premier des élèves seuls face à une phrase de ce type, c'est de prendre les mots les uns après les autres puis d'inventer une traduction en français en essayant de garder l'ordre des mots. Cela aboutit à des questions comme "Cela veut dire quoi Paulus" ?
Il faut un long apprentissage, dans le sens d'un long entraînement, pour casser ce type de réflexe, (ce qui n'empêche par la suite d'établir une traduction qui suive l'ordre des mots). Seule l'explication grammaticale avec un va-et-vient avec le vocabulaire (En cela, pour le grec, la méthode de l'hermaion est en cela remarquable, mais le manuel n'est pas accessible pour des élèves).

J'ai essayé, après avoir assisté aux journées de l'ensiegnement des langues anciennes (sous l'ère Châtel), la méthode audio-orale pour l'apprentissage du grec.
Je me suis appuyée sur l'ouvrage de Christophe Rico.

Voici les difficultés que j'ai rencontrées :
1. Commencer cette méthode avec des élèves qui ont commencé avec une autre méthode, plus traditionnelle, les perd complètement.
2. Poser des questions en grec, en répétant plusieurs fois cette façon de faire, m'a donné l'impression d'abord que les élèves cherchaient à deviner. Quand la réponse est donnée, souvent fausse (ou bien c'est le silence) on répète la question. Puis de nouveau, une réponse est donnée, qui finit par être correcte. Mais s'agit-il d'une réponse comprise, ou bien d'un dressage (sachant qu'il y a aussi une forme de dressage dans la méthode plus traditionnelle qui cherche à donner quelques réflexes pour passer à l'étape suivante) ?
3. La première leçon a duré un temps fou (mais il s'agissait, je l'avoue, d'une forme de noviciat pour moi.)
4. Seul un élève a apprécié cette façon de faire : il connaissait de graves problèmes à l'écrit en français et s'en sortait à ce jeu de devinette. Mais dès qu'il a fallu aborder des phrases plus complexes, c'était fini.

Je me heurte néanmoins toujours au mur de la grammaire française : il faut savoir que des élèves ne distinguent pas un nom d'un verbe.
L'apprentissage est plus loin qu'il ne l'a été pour nous qui avons baigné dans les exercices d'analyse grammaticale et logique depuis le primaire.

Merci beaucoup de votre réponse qui vient vraiment enrichir le débat en parlant concrètement des problèmes méthodologiques.
Je suis en désaccord avec un point en particulier. Mon expérience en langues anciennes et vivantes m'a appris qu'apprendre ou enseigner une langue passe toujours, forcément, par un dressage. Ce n'est pas fondamentalement un exercice intellectuel:  c'est comme apprendre à jouer du violon ou des abdos. Le solfège et l'anatomie sont utiles dans ces deux cas, mais si vous ne touchez pas au violon, ou si vous vous contentez de lire un traité anatomique, vous n'avancerez pas beaucoup... S'il arrive un moment où les élèves donnent systématiquement la bonne réponse, c'est que c'est acquis. Pour cela il faut faire et refaire des exercices, et beaucoup de lecture extensive.

Je suis tout à fait conscient de ces difficultés dont vous parlez. Voici ce que je vous répondrais, un peu dans le désordre, sans vouloir être dogmatique.
Mais tout cela peut se résumer en un seul point: parler de méthodes orales ne suffit pas. Dire "je connais les méthodes orales" ne suffit pas. Il faudrait pouvoir porter un jugement sur la question après avoir suivi plusieurs semaines ou mois de formation avec des enseignants aguerris. Autrement, on n'avancera pas.
Je donne l'exemple de Lingua latina. Beaucoup d'enseignants l'utilisent pour faire de la version! Dans ce cas, vaut mieux ne pas l'utiliser car ce n'est pas le but du livre... Enfin, voici mes éléments de réponse, que je donne dans un esprit de collaboration et de réflexion, et non pas pour débattre ou pour chercher à critiquer les méthodes d'autres professeurs. Elles sont le résultat de longues années passées à travailler avec les méthodes orales et à fréquenter différentes écoles où ces méthodes sont pratiquées. (Pour les plus sensibles: je ne suis pas en train de me vanter).

Vous dites que le premier réflexe des élèves face à une phrase c'est de dire à peu près n'importe quoi en traduisant mot à mot. J'aurais tendance à répondre que c'est un réflexe acquis, et non pas une réaction naturelle. A mon avis, c'est dû justement au fait qu'ils n'ont pas appris en lisant des textes simples et transparents. Si on commence à apprendre le latin en lisant:

-Roma in Italia est. Italia in Europa est (phrase difficile à comprendre de travers quand même)

et que l'on construit TOUT à partir de cette base, ce réflexe n'aura pas lieu d'être. Si dès le début, on a des portraits de personnages accompagné par des légendes du type: Iulius, Aemilia, Marcus, Quintus, et qu'on lit des dizaines et des dizaines de phrases du type: Iulius pater Marci est... on n'aura pas (ou moins) de questions du type: "Que veut dire "Paulus"?" Si chaque enfant apprend à latiniser son nom pour se présenter, ce lien fondamental s'établira clairement dans son esprit: Marie, devient Maria; Paul, Paulus; Ahmed peut-être Ahmadus, etc... Pareil pour le grec, où l'on peut même jouer avec des noms de diverses origines: Claire peut se dire Λαμπρά, Yacine peut devenir Ὑάκυνθος, etc.
Comme je le disais, on ne peut pas jeter des étudiants dans le bain sans une évolution progressive.
D'ailleurs, je ne suis pas convaincu qu'on ait besoin d'un long apprentissage ou d'explications grammaticales, mais ce n'est pas le lieu de m'étendre là-dessus.

1. Oui. Les élèves qui sont habitués à une autre méthode seront perdus dans un premier temps. Je crains que la meilleure façon de résoudre le problème ne soit de faire table rase et repartir à zéro. Mais je conçois que cela puisse paraître trop radical. Dans tous les cas, il est certain que notre peur pathologique, très française, de la prise de parole, qui transforme un cours de langue vivante en séance de torture ("et si ce faisais des fautes? et si j'ai un trop fort accent? Et pourquoi je vais parler devant ce prof, je vais avoir l'air d'un débile.") ne nous aide pas.
Mais on pourrait déjà avancer si les profs de lettres classiques étaient formés à des méthodes de didactique des langues vivantes... hélas, même les profs de langues vivantes n'ont souvent pas ce genre de formation.
2. Là, je le répète, le principal problème c'est la timidité qui règne dans notre système éducatif. Les élèves n'osent pas prendre la parole sans complexes. Parler, se tromper à l'orale, est une habitude qu'il faut encourager dans tout cours de langue. C'est peut-être plus simple en langues anciennes car nous pouvons  montrer aux élèves que, nous aussi, nous pouvons nous tromper. Ce n'est pas bien grave.
D'ailleurs, cette difficulté est la même qu'on rencontre quand on enseigne une langue vivante. Elle n'a donc rien à voir avec la nature singulière du grec ou du latin. On a toujours du mal à comprendre quand on débute une langue étrangère.
Plus concrètement, en grec, les manuels existants sont loin d'être parfaits. Christophe Rico est un enseignant extraordinaire. J'ai pu le rencontrer en février: sa maîtrise de la langue est admirable. D'ailleurs, le travail que fait l'institut Polis à Jérusalem est excellent. Et pourtant, le manuel de Rico, malgré ses avantages, est plutôt moyen. Je dirais plutôt qu'il faut être Rico, ou avoir été formé par Rico ou ses élèves pour bien comprendre la dynamique.
Pour débuter, il faut employer un mélange des livres de Rouse, Santiago Carbonell, Rico et autres. Ce n'est pas facile. Heureusement, de plus en plus de collègues travaillent à la rédaction de meilleures ressources.
En latin, Lingua latina per se illustrata fonctionne très bien, mais il faut une stratégie. L'une des meilleures est présentée dans le manuel de Luigi Miraglia, Latine doceo.
3. Il faut un temps d'adaptation, bien sûr, pour que l'enseignant puisse parler grec ou latin. Contrairement à ce qu'a écrit un autre enseignant ici, parler latin n'est pas si facile que ça, même quand on a un bon niveau. Encore une fois, il faudrait que tout le monde puisse suivre des formations en méthodes actives destinées aux enseignants du secondaire. On y réfléchit d'ailleurs, et ça va venir.
4. Que dire à ce propos si ce n'est que seule l'expérience et la pratique peuvent vous aider à vous en sortir dans ce genre de situation? Pareil, une formation auprès de gens qualifiés peut donner des outils performants à tous les enseignants. Ces formations se développent petit à petit en France. Comme je le disais, ça va venir...


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par Fires of Pompeii 30/05/20, 05:45 pm
Je m'étais jurée de ne plus intervenir ici. Mais je note plusieurs points intéressants et dans lesquels je me retrouve.

Déjà, commencer par les phrases du type Roma est in Italia. Italia est in Europa. C'est ce que je fais en premier cours avec mes 5e, et même quand je passe voir les 6e. En 1h, les élèves savent se poser des questions les uns aux autres, y répondre, et employer très naturellement "ubi", "-ne", etc. Effectivement je trouve que c'est un démarrage intéressant, car cela me permet de jeter des bases très importantes et de les mettre à l'aise. Ils gardent en tête des phrases, des tournures, du vocabulaire, et c'est important pour la suite, même quand on aborde d'autres points plus compliqués.

Par ailleurs, cultiver cette absence de timidité, éviter la peur de se tromper (dans une certaine mesure et selon le contexte), me paraît tout aussi nécessaire, et j'en parle longuement avec les élèves en début d'année, le leur rappelle souvent. Malgré le fait que je tue l'enseignement du latin, je n'ai pas d'élève bloqué en classe.

Je ne vois pas bien pourquoi tout cela serait particulier à ce que vous appelez "méthode active".

Du reste, la méthode défendue par certains ici, dont moi, n'est pas "passive".

Enfin, je ne vois pas bien pourquoi il faudrait être dans le "tout l'un ou tout l'autre". Une partie de notre métier consiste à prendre à droite à gauche ce que nous pensons pouvoir mettre en oeuvre, et à associer ces choses de façon à former une méthode qui soit nôtre et qui soit cohérente et pertinente. Je n'envisage pas de supprimer de mon cours tout ce qui relève de la compréhension du système de la langue, qui me paraît cruciale et tout à fait intéressante en soi.

J'ajoute que je souscris entièrement aux propos de NLM.


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par Schaheb 30/05/20, 05:48 pm
NLM76 a écrit:

Autrement dit, savoir lire Saint Augustin ne permet pas encore tout à fait de lire Tite-Live. Autrement dit, on ne s'affole pas si on a du mal à lire Tite-Live quand on connaît passablement bien le latin.
Quant à l'étiquette "grammaire-traduction" qui serait celle de la méthode dépassée, ça ne nous convient pas non plus. Pour moi, il suffit de voir que la méthode que vous défendez est justement une méthode "grammaire-traduction" : vous dites bien (points d et e) qu'elles sont importantes pour vous. Simplement, vous insistez aussi sur d'autres choses, ou en tout cas, de façon différente de ce que nous pratiquons, FOP, DR, Oudemia, moi-même et d'autres. Et ça nous intéresse — avec des inclinations variées selon les personnalités et les philosophies. Mais quand vous commencez par "les méthodes actives" et que vous signifiez que ce ne sont pas les nôtres, on a très envie de dire "Fi !".

Je viens de lire la fin de votre message. Voilà; tout est dit. Je suis tout à fait d'accord avec tout ce que vous dites. Mais il y a d'autres moyens de le faire qu'avec Orberg (que je respecte infiniment !). Voyez par exemple la méthode que je suis en train d'écrire, dont nous avons parlé très longuement ici, et dont le premier volume est paru. Elle est sans doute très imparfaite et très inférieure à celle que vous présentez (je dis cela un ironiquement ; mais en même temps je crains fort que ce soit la vérité!), mais elle ne saurait être accusée des maux que vous décrivez.

Je suis très intéressé par la référence de votre manuel, que je ne connais peut-être pas. Quant aux points de réponse de mon message, il s'adressaient à certains présupposés qu'on pouvait lire dans vos propos, mais aussi, plus généralement, à ce que les gens comprennent en entendant "méthodes actives". Je ne vous visais donc pas directement.
Quant à Augustin et à Tite-Live, j'en conviens, même si je trouve que la comparaison avec Dickens et Tolkien ne fonctionne pas, les différences entre les deux auteurs latins ne sont pas de même nature.
Pour ce qui est de l'étiquette grammaire-traduction, elle ne m'appartient pas. C'est une terminologie usuelle en didactique des langues étrangères. Et, si nous étions rigoureux, je ne dirais pas qu'il s'agit d'une méthode dépassée, mais plutôt d'une innovation du 19/20e siècle qui a brisé la continuité des "méthodes actives", au sens défini plus haut: étude de la langue par la langue, lecture extensive de textes compréhensibles. Parmi ces méthodes on peut inclure, comme vous le faites, des aspects plus pragmatiques, comme l'utilisation du corps (la "total physical response" chère à Rico) et la lecture à voix haute qui est, justement, le principe même du livre d'Orberg, selon Orberg.
Quand je parle de méthode grammaire-traduction je parle de tendances générales: beaucoup de profs enseignent le latin et le grec exclusivement à partir de tableaux théoriques, de règles de grammaire, et d'exerices de traduction. A mon avis, cela ne fonctionne pas très bien. Après, c'est une opinion personnelle.


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par Schaheb 30/05/20, 05:56 pm
Fires of Pompeii a écrit:Je m'étais jurée de ne plus intervenir ici. Mais je note plusieurs points intéressants et dans lesquels je me retrouve.

Déjà, commencer par les phrases du type Roma est in Italia. Italia est in Europa. C'est ce que je fais en premier cours avec mes 5e, et même quand je passe voir les 6e. En 1h, les élèves savent se poser des questions les uns aux autres, y répondre, et employer très naturellement "ubi", "-ne", etc. Effectivement je trouve que c'est un démarrage intéressant, car cela me permet de jeter des bases très importantes et de les mettre à l'aise. Ils gardent en tête des phrases, des tournures, du vocabulaire, et c'est important pour la suite, même quand on aborde d'autres points plus compliqué,s.

Par ailleurs, cultiver cette absence de timidité, éviter la peur de se tromper (dans une certaine mesure et selon le contexte), me paraît tout aussi nécessaire, et j'en parle longuement avec les élèves en début d'année, le leur rappelle souvent. Malgré le fait que je tue l'enseignement du latin, je n'ai pas d'élève bloqué en classe.

Je ne vois pas bien pourquoi tout cela serait particulier à ce que vous appelez "méthode active".

Du reste, la méthode défendue par certains ici, dont moi, n'est pas "passive".

Enfin, je ne vois pas bien pourquoi il faudrait être dans le "tout l'un ou tout l'autre". Une partie de notre métier consiste à prendre à droite à gauche ce que nous pensons pouvoir mettre en oeuvre, et à associer ces choses de façon à former une méthode qui soit nôtre et qui soit cohérente et pertinente.

Eh bien, si vous faites cela, si les élèves se posent des questions les uns aux autres, vous êtes en train d'appliquer ce qu'on appelle, en études de didactique des langues, une méthode active, par opposition à la méthode grammaire-traduction. Il est un peu étrange de s'acharner sur l'usage d'une terminologie consacrée, comme si c'était moi ai l'avais inventée.
Personne ne prétend pas non plus que ces méthodes soient nouvelles: je l'ai dit depuis le début, c'est comme ça qu'on fait depuis la Renaissance et même avant.

Quant à ce qu'on appelle la méthode grammaire-traduction, je voudrais savoir en quoi elle est active car (je suis sans doute biaisé) je ne vois vraiment pas.
C'est une vraie requête, sans ironie.

Je parle aussi de ma propre expérience: bien que j'adore la grammaire et la linguistique, je n'ai jamais appris une langue aussi peu efficacement qu'en suivant ces approches traditionnelles, à l'école, en prépa, à la fac, tout seul... ça reste une expérience individuelle.
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par Iphigénie 30/05/20, 06:06 pm
Comment travaille-t-on la même phrase avec un élève qui a suivi une méthode active ? Tout d’abord, l’enseignant ne lui demandera pas de travailler sur un texte que s’il est sûr que l’élève connaît la plupart des mots (disons 96 ou 98 pourcent, 80 à la rigueur). Pour comprendre ce texte sans réfléchir, il suffit d’avoir fait les XII premiers chapitres de Lingua latina per se illustrata. Si c’est le cas, l’élève n’aura aucun mal à comprendre le texte à la lecture.
Le professeur ne lui demandera pas de traduire, mais pour vérifier la compréhension, il lui posera des questions (à l’oral ou à l’écrit) :
-Quis est Paulus ?
-Quod oppidum petit Paulus ?
-Quem uidet? (ou Quam uidet?)
-Cui flores dat ? Cur?
L’élève qui s’est formé en suivant une méthode active est en mesure de répondre sans hésitation à ces questions : « Paulus est filius senatoris Romani », « Paulus Tusculum petit », « Claudiam uidet », « Claudiae flores dat quia captus amore eius est. » Il n’a donc pas besoin de traduire le texte pour montrer ses compétences. En revanche, il n’aurait pas de mal à traduire ce texte si on lui demandait de le faire. Il n’aura pas de difficultés à expliquer la grammaire de la phrase, car si le professeur a été compétent, il a également travaillé sur les leçons de grammaire à la fin de chaque chapitre, qui sont rédigées en latin.

Puis-je en tant qu'ancêtre faire remarquer que finalement, après toutes ces invectives dans le vide,  la méthode active ici décrite est en fait très, très proche des méthodes traditionnelles d'"avant" (avant le désastre) : par exemple la démarche, très progressive, avec beaucoup, beaucoup, de petits exercices de manipulation de la langue, des livres type Cart-Grimal années 60 dont parlait Trompettemarine, avec un enchaînement des leçons qui reprennent chacune la précédente avant d'avancer  et réutilisent le vocabulaire, et les structures vues avant d'ajouter les nouvelles etc..?
Ce qui manque aujourd'hui le plus ( et cela n'est pas lié à quelque méthode) c'est la progressivité cohérente des difficultés, de l'apprentissage du vocabulaire et l'acquisition  des tournures grammaticales de plus en plus complexes : on balance des textes littéraires avant d'avoir donné aux élèves le sens de la langue, qui, oui, effectivement passe par la manipulation d'énoncés simples.
Pour tout ça, il faut aussi du temps, et des élèves qui aient envie : et rien que ça, c'est pas gagné actif ou pas...
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par Fires of Pompeii 30/05/20, 06:31 pm
Schaheb a écrit:
Fires of Pompeii a écrit:Je m'étais jurée de ne plus intervenir ici. Mais je note plusieurs points intéressants et dans lesquels je me retrouve.

Déjà, commencer par les phrases du type Roma est in Italia. Italia est in Europa. C'est ce que je fais en premier cours avec mes 5e, et même quand je passe voir les 6e. En 1h, les élèves savent se poser des questions les uns aux autres, y répondre, et employer très naturellement "ubi", "-ne", etc. Effectivement je trouve que c'est un démarrage intéressant, car cela me permet de jeter des bases très importantes et de les mettre à l'aise. Ils gardent en tête des phrases, des tournures, du vocabulaire, et c'est important pour la suite, même quand on aborde d'autres points plus compliqué,s.

Par ailleurs, cultiver cette absence de timidité, éviter la peur de se tromper (dans une certaine mesure et selon le contexte), me paraît tout aussi nécessaire, et j'en parle longuement avec les élèves en début d'année, le leur rappelle souvent. Malgré le fait que je tue l'enseignement du latin, je n'ai pas d'élève bloqué en classe.

Je ne vois pas bien pourquoi tout cela serait particulier à ce que vous appelez "méthode active".

Du reste, la méthode défendue par certains ici, dont moi, n'est pas "passive".

Enfin, je ne vois pas bien pourquoi il faudrait être dans le "tout l'un ou tout l'autre". Une partie de notre métier consiste à prendre à droite à gauche ce que nous pensons pouvoir mettre en oeuvre, et à associer ces choses de façon à former une méthode qui soit nôtre et qui soit cohérente et pertinente.

Eh bien, si vous faites cela, si les élèves se posent des questions les uns aux autres, vous êtes en train d'appliquer ce qu'on appelle, en études de didactique des langues, une méthode active, par opposition à la méthode grammaire-traduction. Il est un peu étrange de s'acharner sur l'usage d'une terminologie consacrée, comme si c'était moi ai l'avais inventée.
Personne ne prétend pas non plus que ces méthodes soient nouvelles: je l'ai dit depuis le début, c'est comme ça qu'on fait depuis la Renaissance et même avant.

Quant à ce qu'on appelle la méthode grammaire-traduction, je voudrais savoir en quoi elle est active car (je suis sans doute biaisé) je ne vois vraiment pas.
C'est une vraie requête, sans ironie.

Je parle aussi de ma propre expérience: bien que j'adore la grammaire et la linguistique, je n'ai jamais appris une langue aussi peu efficacement qu'en suivant ces approches traditionnelles, à l'école, en prépa, à la fac, tout seul... ça reste une expérience individuelle.

Ce que vous appelez méthode active, je l'utilise pendant le premier cours de latin, pour mettre en route des choses, et ensuite je passe à des cours de dinosaure (si je suis votre classification). Mais quand je l'utilise, je sais ce que je fais, je sais que j'emprunte à d'autres méthodes, et peu me chaut. C'est vous qui dressez des barrières.

Mais quand un élève décortique et rationalise l'usage des mots dans la phrase, ce que vous appelez "grammaire-traduction", je ne sache pas qu'il soit passif. Il me semble au contraire qu'il utilise de manière très active et consciente toutes les ressources qu'il a. Je ne vois pas comment on peut considérer que l'élève est passif, sauf si vous considérez que la réflexion est de la passivité.


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par Schaheb 30/05/20, 06:31 pm
Iphigénie a écrit:
Puis-je en tant qu'ancêtre faire remarquer que finalement, après toutes ces invectives dans le vide,  la méthode active ici décrite est en fait très, très proche des méthodes traditionnelles d'"avant" (avant le désastre) : par exemple la démarche, très progressive, avec beaucoup, beaucoup, de petits exercices de manipulation de la langue, des livres type Cart-Grimal années 60 dont parlait Trompettemarine, avec un enchaînement des leçons qui reprennent chacune la précédente avant d'avancer  et réutilisent le vocabulaire, et les structures vues avant d'ajouter les nouvelles etc..?
Ce qui manque aujourd'hui le plus ( et cela n'est pas lié à quelque méthode) c'est la progressivité cohérente des difficultés, de l'apprentissage du vocabulaire et l'acquisition  des tournures grammaticales de plus en plus complexes : on balance des textes littéraires avant d'avoir donné aux élèves le sens de la langue, qui, oui, effectivement passe par la manipulation d'énoncés simples.
Pour tout ça, il faut aussi du temps, et des élèves qui aient envie : et rien que ça, c'est pas gagné actif ou pas...

C'est pourtant ce que je dis depuis le début: c'est LA méthode depuis la Renaissance, mais plus récemment elle a été écartée.
Comme je l'ai dit aussi plusieurs fois: le problème, ce sont les gens qui écrivent les programmes, pas les profs. Mais pas mal de gens ont préféré réagir de façon épidermique à quelques remarques, comme le fait, indéniable, que même à la fac de lettres classiques le niveau global est fort mauvais et que souvent les spécialistes, en France, considèrent qu’il est impossible de lire le latin et le grec comme on lit les langues modernes, à livre ouvert et sans dictionnaire.
J'ai eu de très bons profs en prépa, qui aimaient leur discipline et arrivaient à faire du bon boulot en employant la méthode grammaire-traduction (après tout, c'était logique: on apprenait le latin et le grec pour un concours, par pour lire les auteurs). Pourtant, ils m'ont tous laissé entendre que jamais je n'arriverais à lire un livre en latin ou en grec avec aisance.
D'où vient donc cette difficulté supposée du latin, qui fait que même Mary Beard, l'une des plus grandes spécialistes britanniques de la Rome antique, que j'admire sincèrement pour son travail d'historienne, mais aussi de vulgarisation, avoue être incapable de lire le latin couramment ? Cherchez l'article du TLS, intitulé "What does latin actually say?"
  Rappelons qu’il y a cent cinquante ans, tous les spécialistes lisaient le latin, écrivaient en latin, etc... Je ne suis pas nostalgique de cette époque-là et, bien sûr, je sais que notre but ne peut pas être, dans les conditions actuelles, de former des lycéens à la rédaction de dissertations latines. Je ne sais pas si c’est souhaitable, mais, dans tous les cas, les moyens et le temps nous font défaut.

Mon expérience avec mes profs en prépa m'a beaucoup déçu, mais plus ou moins au même moment, j'ai eu la chance de tomber sur deux groupes de latin et de grec vivant. Les gens y lisaient les auteurs sans hésiter. Autant dire que ça a changé ma vision des choses. Si je n'avais pas découvert ces méthodes, je ne pourrais pas lire les langues anciennes comme je le fais aujourd'hui. Mais encore une fois, c'est un témoignage personnel, qui n'a d'autre valeur qu'anecdotique.
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par Fires of Pompeii 30/05/20, 06:37 pm
Je suis fort désolée, je n'aurais pas dû intervenir, j'étais bien dans mon silence. Les préjugés venant de non-latinistes je peux les supporter et les contrer, mais les préjugés des latinistes, ça me dépasse. Je laisse tomber.

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par DesolationRow 30/05/20, 06:41 pm
Je dois vivre dans un monde parallèle, parce que la plupart des spécialistes que je connais lisent en gros le latin dans le texte. Pas Stace ou Dracontius, sans doute, mais pour le reste on se débrouille quand même Razz
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par Fires of Pompeii 30/05/20, 06:43 pm
DesolationRow a écrit:Je dois vivre dans un monde parallèle, parce que la plupart des spécialistes que je connais lisent en gros le latin dans le texte. Pas Stace ou Dracontius, sans doute, mais pour le reste on se débrouille quand même Razz

Bah peut-être qu'ils ont appris avec la "méthode active" alors puisqu'il n'y a de salut que dans icelle Very Happy
(c'est ça, j'ai compris ?)

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par DesolationRow 30/05/20, 06:43 pm
Par ailleurs, pour le prof de prépa qui dit à ses élèves qu’ils ne liront jamais le latin avec aisance :shock:
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par Schaheb 30/05/20, 06:45 pm
Fires of Pompeii a écrit: Ce que vous appelez méthode active, je l'utilise pendant le premier cours de latin, pour mettre en route des choses, et ensuite je passe à des cours de dinosaure. Mais quand je l'utilise, je sais ce que je fais, je sais que j'emprunte à d'autres méthodes, et peu me chaut. C'est vous qui dressez des barrières.

Mais quand un élève décortique et rationalise l'usage des mots dans la phrase, ce que vous appelez "grammaire-traduction", je ne sache pas qu'il soit passif. Il me semble au contraire qu'il utilise de manière très active et consciente toutes les ressources qu'il a. Je ne vois pas comment on peut considérer que l'élève est passif, sauf si vous considérez que la réflexion est de la passivité.

Je le répète: ce n'est pas moi qui appelle cela "grammaire-traduction". C'est une terminologie consacrée. Pareil pour "méthode active". Mais bon.
Quand on parle, dans cette terminologie, d'une méthode active, c'est une méthode où la langue est utilisée pour créer des énoncés activements, et non pas comme objet passif d'analyse. Ici, la passivité porte sur l'objet d'étude et non sur le sujet.
Mais admettons que la terminologie soit impropre. Le fait de parler en termes d'activité et passivité ne convient peut-être pas si l'on tient à être absolument littéral. Souligner des verbes sur le papier c'est aussi actif, puisqu'il faut quelqu'un pour tenir le crayon. Mais passons.
Le fond de l'affaire n'est pas l'usage du terme actif ou passif. Or, je crois, c'est que qui a le plus fait réagir. Le fond de la question est plutôt le suivant: à quoi bon décortiquer l'usage des mots dans une phrase alors qu'on peut la comprendre? Pourquoi perdre son temps à réfléchir sur des points inutiles? Autant réfléchir au sens des textes, non? Pourquoi la plupart des étudiants de lettres classiques, même après l'agrégation, sont incapables de lire réellement un texte en langues anciennes?
Ce n'était pas le cas il y a 60 ans, et l'argument des heures de cours ne fonctionne que pour le collège et le lycée. A l'INALCO, les gens arrivent à apprendre le russe, le chinois ou l'arabe en trois ou quatre ans. Le latin et le grec sont-ils plus difficiles que ces langues-là?
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par Schaheb 30/05/20, 06:48 pm
DesolationRow a écrit:Par ailleurs, pour le prof de prépa qui dit à ses élèves qu’ils ne liront jamais le latin avec aisance :shock:

Vous vivez sans doute dans un monde parallèle, en effet. Car c'est très courant. C'était une très bonne prépa. Avec d'excellents profs de langues anciennes, auteurs de manuels. Et ce n'était pas un seul prof de prépa, mais deux qui m'ont tenu le même discours. Et la troisième m'a demandé de ne pas lui poser des questions à brûle-pourpoint car elle était incapable de lire le grec "comme ça". Ils étaient tous, pourtant, traducteurs de littérature grecque, agrégés de lettres classiques ou de grammaire et normaliens...
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par Schaheb 30/05/20, 07:20 pm
DesolationRow a écrit:Je dois vivre dans un monde parallèle, parce que la plupart des spécialistes que je connais lisent en gros le latin dans le texte. Pas Stace ou Dracontius, sans doute, mais pour le reste on se débrouille quand même Razz

Intéressant. Ils lisent, en gros, le latin dans le texte. Que dirait-on d'un prof de littérature français qui lirait, en gros, le français dans le texte?
Sur ce, j'abandonne ce forum, et ses dinosaures "anciens" autoproclamés. Car je crois que personne ne vous a traités de vieux, de réacs ou de passéistes.
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par DesolationRow 30/05/20, 07:23 pm
Non mais « en gros », c’était pour faire modeste. J’y arrive décidément jamais.
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