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Robin
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Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan) Empty Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan)

par Robin 31.03.13 9:58
Le désir est à distinguer du besoin, qui renvoie au manque et à ce qui est utile pour le combler.
Le besoin au sens strict relève du corps, le désir, de l'âme ; on peut définir le besoin comme un manque objectif, d'ordre physiologique : nous avons besoin de nourriture lorsque notre corps n'a plus les nutriments qui lui sont nécessaires pour se conserver.

Le désir, quant à lui, serait le sentiment ou la conscience que notre esprit a de ce besoin corporel.
Par suite, le désir aura un contenu différent du simple besoin : le besoin a pour objet la nourriture en général, tandis que le désir portera sur tel aliment précis, en fonction de mes goûts, des souvenirs de plaisirs gustatifs passés, etc.

Tandis que le besoin est neutre ou indifférencié, le désir, parce qu'il relève de la pensée ("le désir se parle" dit Roland Barthes), a au contraire un objet déterminé et différencié. Jacques Lacan, critiquant une mystique désincarnée du désir, a montré à propos de sainte Thérèse d'Avila que nous ne désirons pas "l'infini", mais l'absolu et nous cherchons l'absolu dans des "objets" (et les affects qui leur correspondent) finis et précis.

Selon Platon (Le Banquet), Le Désir est une mobilisation vers l'Absolu, le monde intelligible. Et pourtant, son statut demeure ambigu : cette dynamique ambitieuse est freinée sans cesse, notre désir s'accrochant toujours sur des objets sensibles, imparfaits, impropres à le satisfaire. C'est une dynamique arrêtée. D'où notre intérêt peut-être, en vue de purifier cette dynamique, de réfléchir aux rapports que nous entretenons avec notre désir.

Le désir est la recherche d’un objet que l’on imagine ou que l’on sait être source de satisfaction. Il est donc accompagné d’une souffrance, d’un sentiment de manque ou de privation. Et pourtant, le désir semble refuser sa satisfaction puisque, à peine assouvi, il s’empresse de renaître (Socrate, dans le Gorgias, compare ce phénomène au Tonneau des Danaïdes, ces jeunes filles condamnées à remplir un tonneau percé). Le désir entretient avec l’objet une relation ambivalente : il veut et ne veut pas être satisfait. Se déplaçant d’objet en objet, le désir est à la fois illimité et condamné à l’insatisfaction radicale. C’est la raison pour laquelle la tradition classique a tendance à le rejeter ou à le placer sous le contrôle étroit de la volonté.

L’esclavage est l’état de ceux qui sont soumis à une autorité tyrannique… synonymes : asservissement, assujettissement, dépendance, domination, joug, oppression, servitude. (Le Petit Robert)
En quoi le désir nous soumet-il à une autorité tyrannique, en quoi constitue-t-il un esclavage ? Le désir n’a-t-il pas cependant aussi une valeur positive ?
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par JPhMM 31.03.13 11:52
Robin a écrit:Le désir, quant à lui, serait le sentiment ou la conscience que notre esprit a de ce besoin corporel.
N'y aurait-il donc pas de désir étranger à tout besoin ?

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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke

Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
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Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan) Empty Re: Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan)

par Robin 31.03.13 12:00
JPhMM a écrit:
Robin a écrit:Le désir, quant à lui, serait le sentiment ou la conscience que notre esprit a de ce besoin corporel.
. N'y aurait-il donc pas de désir étranger à tout besoin ?

Je pensais à la Physiologie du goût de Brillat-Savarin et à la remarque de Roland Barthes dans sa présentation de l'ouvrage : "le désir, c'est le besoin en tant qu'il se parle."
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Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan) Empty Re: Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan)

par JPhMM 31.03.13 12:13
Je songeais à Spinoza.
J'éprouve le désir d'exister, comme une puissance d'être, sans manquer d'existence, donc sans besoin.

(Désolé pour la brièveté de mon propos)

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Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan) Empty Re: Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan)

par Robin 31.03.13 12:32
JPhMM a écrit:Je songeais à Spinoza.
J'éprouve le désir d'exister, comme une puissance d'être, sans manquer d'existence, donc sans besoin.

(Désolé pour la brièveté de mon propos)

Il me semble que chez Spinoza, le désir n'est pas étranger aux besoins, mais antérieur : "Le désir est l'appétit avec conscience de lui-même." (Éthique III, IX) et le désir est l'essence de l'homme : "Nous ne désirons aucune chose parce que nous la trouvons bonne, mais au contraire, nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous la désirons."

Il y a donc chez Spinoza l'idée d'un "désir fondamental", originaire, qui se décline ensuite de multiples manières du désir de satisfaire un besoin, à la connaissance du troisième genre à travers laquelle "sentimur experimurque nos aeternos esse."


Dernière édition par Robin le 31.03.13 13:11, édité 1 fois
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Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan) Empty Re: Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan)

par JPhMM 31.03.13 13:04
Merci. Very Happy

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yphrog
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Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan) Empty Re: Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan)

par yphrog 31.03.13 16:12
J'ai une envie pressante de taper un texte assez long, de repenser ces mots, de voir la cruauté de son alphabet qui m'empêche sa compréhension, de lui en faire une certaine violence moi-même pour mieux l'inscrire chez moi. Il ne me semble pas que c'est un besoin qui me fait reproduire ce texte avec mes petits doigts qui actent leur mémoire de l'agencement du clavier azerty, des règles des espaces insécable en français, des accords silencieux, des genres... je le sens plutôt comme un désir. Et ce désir, aussi prétentieux et/ou cruel qu'il puisse sembler, n'est peut-être que le désir de produire une mémoire autre que celle où l'on parle de désir comme une volonté « purement » innée... Le désir est-il toujours un esclavage ? (définition des termes, problématique et annonce du plan) 3795679266

Deleuze & Guattari a écrit:


      La machine territoriale primitive code les flux, investit les organes, marque les corps. A quel point circuler, échanger, est une activité secondaire par rapport à cette tâche qui résume toutes les autres: marquer les corps, qui sont de la terre. L'essence du socius enregistreur, inscripteur, en tant qu'il s'attribue les forces productives et distribue les agents de production, réside en ceci -- tatouer, exicer, inciser, découper, scarifier, mutiler, cerner, initier. Nietzsche définissait, « la moralité des mœurs, ou le véritable travail de l'homme sur lui-même pendant la plus longue période de l'espèce humaine, tout son travail préhistorique » : un système d'évaluations ayant force de droit concernant les divers membres et parties du corps. Non seulement le criminel est privé d'organes suivant un ordre d'investissements collectifs, non seulement celui qui doit être mangé l'est suivant des règles sociales aussi précises que celles qui découpent et répartissent un bœuf ; mais l'homme qui jouit pleinement de ses droits et de ses devoirs a tout le corps marqué sous un régime qui rapporte ses organes et leur exercice à la collectivité (la privatisation des organes ne commencera qu'avec « la honte que l'homme éprouve à la vue de l'homme »). Car c'est un acte de fondation, par lequel l'homme cesse d'être un organisme biologique et devient un corps plein, une terre, sur laquelle ses organes s'accrochent, attirés, repoussés, miraculés d'après les exigences d'un socius. Que les organes soient taillés dans le socius, et que les flux coulent sur lui. Nietzche dit: il s'agit de faire à l'homme une mémoire ; et l'homme qui s'est constitué par une faculté active d'oubli, par un refoulement de la mémoire biologique, doit se faire une autre mémoire, qui soit collective, une mémoire des paroles et non plus des choses, une mémoire des signes et non plus des effets. Système de la cruauté, terrible alphabet, cette organisation qui trace des signes à même le corps :
Nietzsche a écrit:Peut-être n'y a-t-il même rien de plus terrible et de plus inquiétant dans la préhistoire de l'homme que sa mnémotechnique... Cela ne se passait jamais sans supplices, sans martyres et sacrifices sanglants quand l'homme jugeait nécessaire de se créer une mémoire ; les plus épouvantables holocaustes et les engagements les plus hideux, les mutilations les plus répugnantes, les rituels les plus cruels de tous les cultes religieux... On se rendra compte des difficultés qu'il y a sur la terre à élever un peuple de penseurs!

Nietzche, La Généaologie de la morale, II, 2-7.

La cruauté n'a rien à voir avec une violence quelconque ou naturelle qu'on chargerait d'expliquer l'histoire de l'homme; elle est le mouvement de la culture qui s'opère dans les corps et s'inscrit sur eux, les labourant. C'est cela que signifie cruauté. Cette culture n'est pas le mouvement de l'idéologie: au contraire, elle met de force la production dans le désir, et inversement elle insère de force le désir dans la production et la reproduction sociales. Car même la mort, le châtiment, les supplices sont désirés, et sont des productions (cf. l'histoire du fatalisme). Des hommes ou de leurs organes, elle fait les pièces et les rouages de la machine sociale. Le signe est position de désir ; mais les premiers signes sont les signes territoriaux qui plantent leurs drapeaux dans les corps. Et si l'on veut appeler « écriture » cette inscription en pleine chair, alors il faut dire en effet que la parole suppose l'écriture, et que c'est ce système cruel de signes inscrits qui rend l'homme capable de langage, et lui donne une mémoire des paroles.



Deleuze et Guattari, L'Anti-Œdipe: capitalisme et schizophrénie, 1972. Chapitre "Sauvages, Barbares, Civilisés", p. 169-170.
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