- William FosterExpert
Prezbo a écrit:
(Pour 1984, je l'ai lu en troisième, avec quelques camarades, sur conseil du prof. C'était plutôt un livre destiné aux bons lecteurs, qui s'intéressaient à l'histoire et à la politique, mais pas forcément excellents élèves selon les normes de l'époque non plus. J'avais beaucoup aimé, mais pas classé ça dans la grande littérature ni les ouvrages difficiles.
Certes, le sujet est peut-être un peu moins actuel depuis la chute du mur de Berlin, mais si des lycéens ne peuvent pas lire cet ouvrage...Qu'est-ce qu'il reste.
Je trouve au contraire que l'utilisation de la novlangue devient plus importante avec les "progrès" de la communication politique (Cf. la société apprenante) et que les futurs citoyens que sont les élèves devraient connaître quelques rouages machiavéliens qui sont à l’œuvre autour d'eux... Ne serait-ce que pour ne pas tomber dans des théories du complot qui seraient trop fantaisistes
- *Ombre*Grand sage
Je ne suis pas en lycée, mais mes collégiens seront un jour des lycéens. Je l'ai dit ici : j'ai deux classes de Sixième. Dans l'une, 35 % de lecteurs en difficulté ou en très grande difficulté (selon les critères du test ROC), dans l'autre, 40%. Des chiffres qui défient l'entendement. Ces élèves, dans le pire des cas, déchiffrent encore mal, dans le meilleur des cas déchiffrent correctement, mais trop laborieusement, en segmentant la phrase d'une façon qui ne peut aucunement faire sens. Ni les uns ni les autres ne comprennent rien à un texte simple.
Je ne suis ni voyante ni médecin, pour énoncer les causes d'une telle épidémie, mais je constate que :
- ces élèves manifestent des défauts induits par la lecture mixte : lecture approximative, remplacement de mots par d'autres (ce qui donne un texte qui n'a plus aucun sens), lecture qui ne va pas jusqu'à la fin des mots et écorche régulièrement celle-ci ;
- de leur propre aveu, ils ne lisent jamais, d'une part parce que lire est trop difficile pour eux (voir supra), et d'autre part parce qu'ils préfèrent de loin passer leur temps sur leur smartphone ;
- le manque de familiarité avec la langue écrite a créé dans de nombreux cas (ceux, je suppose, où le milieu familial ne compense pas suffisamment) des carences graves en vocabulaire et en syntaxe, ce qui ajoute aux difficultés de lecture au fur et à mesure qu'ils avancent en âge et sont supposés aborder des oeuvres plus exigeantes.
C'est un cercle vicieux.
En réunion de rentrée, j'ai dit aux parents : N'arrêtez pas de lire des histoires à vos enfants le soir sous prétexte qu'ils entrent au collège. Mais vu la tête qu'ils faisaient, je pense qu'ils ont arrêté depuis longtemps, et que certains n'avaient même jamais commencé.
Il serait peut-être temps de se lancer dans une vaste campagne de communication, du même type que manger 5 fruits et légumes par jour : "Ne pas lire nuit gravement à la santé" ?
Je ne suis ni voyante ni médecin, pour énoncer les causes d'une telle épidémie, mais je constate que :
- ces élèves manifestent des défauts induits par la lecture mixte : lecture approximative, remplacement de mots par d'autres (ce qui donne un texte qui n'a plus aucun sens), lecture qui ne va pas jusqu'à la fin des mots et écorche régulièrement celle-ci ;
- de leur propre aveu, ils ne lisent jamais, d'une part parce que lire est trop difficile pour eux (voir supra), et d'autre part parce qu'ils préfèrent de loin passer leur temps sur leur smartphone ;
- le manque de familiarité avec la langue écrite a créé dans de nombreux cas (ceux, je suppose, où le milieu familial ne compense pas suffisamment) des carences graves en vocabulaire et en syntaxe, ce qui ajoute aux difficultés de lecture au fur et à mesure qu'ils avancent en âge et sont supposés aborder des oeuvres plus exigeantes.
C'est un cercle vicieux.
En réunion de rentrée, j'ai dit aux parents : N'arrêtez pas de lire des histoires à vos enfants le soir sous prétexte qu'ils entrent au collège. Mais vu la tête qu'ils faisaient, je pense qu'ils ont arrêté depuis longtemps, et que certains n'avaient même jamais commencé.
Il serait peut-être temps de se lancer dans une vaste campagne de communication, du même type que manger 5 fruits et légumes par jour : "Ne pas lire nuit gravement à la santé" ?
- *Ombre*Grand sage
Orwell n'a jamais été aussi actuel. C'est bien mal comprendre son oeuvre que de la réduire à une critique des régimes de l'ex-bloc soviétique.
- PrezboGrand Maître
William Foster a écrit:
Je trouve au contraire que l'utilisation de la novlangue devient plus importante avec les "progrès" de la communication politique (Cf. la société apprenante) et que les futurs citoyens que sont les élèves devraient connaître quelques rouages machiavéliens qui sont à l’œuvre autour d'eux... Ne serait-ce que pour ne pas tomber dans des théories du complot qui seraient trop fantaisistes
C'est la description du totalitarisme bureaucratique qui me semble peut-être plus lointaine pour un élève né au XXIème siècle. D'autres aspects de la réflexion d'Orwell me semblent effectivement très actuels. (La novlangue entre autres, oui.)
(J'ai lu "Hommage à la Catalogne" récemment. Ce type a eu une vie incroyablement romanesque, jusqu'à ses funérailles mêmes.)
- LeclochardEmpereur
Prezbo a écrit:
Hors-sujet, mais j'ai vu qu'une nouvelle traduction de 1984 venait d'être éditée, écrite au présent de l'indicatif. Je suis a priori sceptique, mais est-ce que quelqu'un sait ce que ça vaut ?)
Un livre écrit au passé (au preterit, j'imagine) traduit au présent, c'est a priori une incongruité. Sur France Inter, la critique avait été féroce avec cette nouvelle version. Ne l'ayant pas lue, je ne peux en dire plus.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- LeclochardEmpereur
Zagara a écrit:Leclochard a écrit:Danska a écrit:Alors là, en revanche, c'est faux : primo, ce n'est pas tellement une question d'argent que de capital culturel ; secundo, il y a des exceptions, évidemment, mais l'origine sociale influe quand même fortement sur la réussite scolaire. Combien de fils d'ouvriers ou d'employés parmi les titulaires d'un master, les étudiants à Sciences po ou à l'ENS, les étudiants dans les prépas ou les grandes écoles, etc., par rapport aux fils de cadres ?
Je suis bien d'accord. L'origine sociale a une influence comme l'environnement au sens large.
Qu'appelles-tu "capital culturel" ?
Concept sociologique. Le capital culturel désigne l'ensemble des ressources symboliques acquises par un individu qui sont jugées positives par ses contemporains et participent donc à sa réussite ou promotion sociale.
C'est donc un peu tout et n'importe quoi selon le milieu, de la chasse à la galinette cendrée, en passant par la pratique de la flûte traversière et la fréquentation de l'opéra jusqu'à la maîtrise du russe et des bonnes manières façon grand bourgeois ?
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- DanskaProphète
Non, pas du tout : le capital culturel, c'est une notion façonnée par Bourdieu, notamment. Il inclut dedans les diplômes (des parents, donc, dans cette situation) et les biens culturels, mais aussi le goût pour la culture et le rapport aux savoirs et à l'école (est-ce que les parents jugent l'école importante ou non et le font savoir à leurs enfants, est-ce qu'ils suivent les devoirs et les notes de près ou non, est-ce qu'obtenir un diplôme est valorisé ou non dans la famille, et ainsi de suite).
Simplifié de cette façon, ça relève du bon sens : un enfant dont les parents surveillent les devoirs et les résultats, qui est encouragé à acquérir des diplômes et voient ses parents lire et discuter (des journaux, de leurs lectures, etc.) a des chances de réussite scolaire plus élevé. Et la pratique régulière de la lecture restent l'apanage des classes sociales les plus aisées, malgré le titre de ce fil
Simplifié de cette façon, ça relève du bon sens : un enfant dont les parents surveillent les devoirs et les résultats, qui est encouragé à acquérir des diplômes et voient ses parents lire et discuter (des journaux, de leurs lectures, etc.) a des chances de réussite scolaire plus élevé. Et la pratique régulière de la lecture restent l'apanage des classes sociales les plus aisées, malgré le titre de ce fil
- SeiGrand Maître
Nadejda a écrit:Sei a écrit:J'ai souvenir d'une 2e partie assez théorique, dans 1984, avec l'action qui passe au 2d plan (mais mon souvenir est flou, je dois dire). N'est-ce pas elle qui peut dérouter les élèves ?
On y trouve, en effet, les dizaines pages du manifeste politique que lit Winston Smith.
Ce ne sont certes pas des élèves de première mais, de manière générale, mes troisièmes ne comprennent pas grand-chose à l'idée d'état policier et totalitaire. Pire, ils sont peu sensibles à ses conséquences dramatiques, ils n'en sont pas révoltés.
Je me souviens en effet d'un phénomène de distanciation lorsque j'avais étudié La Ferme des animaux avec mes 3e (classes très faibles, de niveau). Cela dit, je suis très insatisfaite du travail que j'avais mené avec eux, notamment, paradoxalement, par la contextualisation initiale (à laquelle j'attache pourtant toujours de l'importance). J'aimerais un jour, pour le programme de 3e, travailler de près avec le professeur d'histoire, pour d'autant mieux faire ressurgir la singularité de la littérature.
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Le plus effrayant et le plus actuel, dans 1984 (souvenir toujours un peu lointain), c'est le constat qu'il y a un moyen plus efficace que la force pour vous faire changer d'avis. Galilée peut retourner sa chemise pour éviter une condamnation trop lourde et n'en penser pas moins... mais celui qui arriverait à changer intimement l'avis Galilée serait le diable.
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"Humanité, humanité, engeance de crocodile."
- ZagaraGuide spirituel
Oui comme le dit Danska, à l'origine, chez Bourdieu, ça désignait les ressources symboliques culturelles et scolaires qui permettent la promotion sociale réelle (pas seulement la reconnaissance par autrui).
En histoire, comme on est des petits margoulins, on a tendance à élargir ce concept pour l'adapter aux différentes périodes et sociétés anciennes, qui n'avaient pas les mêmes valeurs culturelles que nous. Pour ça que j'ai donné une définition légèrement plus large qui ne citait pas explicitement les ressources scolaires comme les diplômes (il est évident qu'elles sont centrales dans notre société pour réussir socialement, mais ce n'est pas universellement le cas).
En histoire, comme on est des petits margoulins, on a tendance à élargir ce concept pour l'adapter aux différentes périodes et sociétés anciennes, qui n'avaient pas les mêmes valeurs culturelles que nous. Pour ça que j'ai donné une définition légèrement plus large qui ne citait pas explicitement les ressources scolaires comme les diplômes (il est évident qu'elles sont centrales dans notre société pour réussir socialement, mais ce n'est pas universellement le cas).
- LeclochardEmpereur
Zagara a écrit:Oui comme le dit Danska, à l'origine, chez Bourdieu, ça désignait les ressources symboliques culturelles et scolaires qui permettent la promotion sociale réelle (pas seulement la reconnaissance par autrui).
En histoire, comme on est des petits margoulins, on a tendance à élargir ce concept pour l'adapter aux différentes périodes et sociétés anciennes, qui n'avaient pas les mêmes valeurs culturelles que nous. Pour ça que j'ai donné une définition légèrement plus large qui ne citait pas explicitement les ressources scolaires comme les diplômes (il est évident qu'elles sont centrales dans notre société pour réussir socialement, mais ce n'est pas universellement le cas).
C'est autant une posture, un état d'esprit que des connaissances tangibles (avec les diplômes qui les valident), si j'ai bien compris.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- DanskaProphète
Oui, c'est l'idée. Bernard Lahire, un autre sociologue français, a mené une étude très intéressante sur des enfants issus de milieux ouvriers ; il montre notamment pourquoi certains enfants, pas a priori les mieux placés pour réussir, s'en sortent pourtant très bien : ce sont principalement ceux dont les parents, même sans avoir les connaissances nécessaires pour les aider, veillent à ce que les devoirs soient faits, rencontrent les enseignants, valorisent l'école et la réussite scolaire, apprennent à leurs enfants à s'organiser et à prendre le temps de faire leur travail, etc.
- ZagaraGuide spirituel
Ce qui est important de comprendre c'est qu'il s'agit bien d'un capital, au sens où, comme pour le capital numéraire, il est inégalement réparti entre les individus, peut s'acquérir ou se perdre, se transmet par l'héritage, et surtout permet d' "acheter" des bénéfices sociaux. D'un point de vue mécanique ça marche vraiment comme le capital numéraire.
Pour l'anecdote, en histoire médiévale et moderne, on s'est inspiré du capital culturel pour développer la notion de l'honneur comme capital social (ou capital d'honneur). C'est une actualisation du capital culturel pour d'autres périodes qui mettaient moins le savoir et l'école au cœur de leur société et plus les relations interpersonnelles de confiance, de fidélité, etc.
Pour l'anecdote, en histoire médiévale et moderne, on s'est inspiré du capital culturel pour développer la notion de l'honneur comme capital social (ou capital d'honneur). C'est une actualisation du capital culturel pour d'autres périodes qui mettaient moins le savoir et l'école au cœur de leur société et plus les relations interpersonnelles de confiance, de fidélité, etc.
- ElyasEsprit sacré
Danska a écrit:Oui, c'est l'idée. Bernard Lahire, un autre sociologue français, a mené une étude très intéressante sur des enfants issus de milieux ouvriers ; il montre notamment pourquoi certains enfants, pas a priori les mieux placés pour réussir, s'en sortent pourtant très bien : ce sont principalement ceux dont les parents, même sans avoir les connaissances nécessaires pour les aider, veillent à ce que les devoirs soient faits, rencontrent les enseignants, valorisent l'école et la réussite scolaire, apprennent à leurs enfants à s'organiser et à prendre le temps de faire leur travail, etc.
C'est dans la Raison scolaire qu'il y a ces travaux. Il parle de l'importance des petits gestes d'écriture (faire la liste des courses, planifier la semaine etc) qui aide grandement.
En revanche, il pointe le problème des enfants de petits commerçants, de petits artisans et d'agriculteurs, plus en difficultés sur de nombreux points liés à la littératie et au capital culturel symbolique par rapport aux enfants d'ouvriers.
- DanskaProphète
Possible, je pensais plutôt à Tableaux de familles : heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, mais il a pu évoquer cette enquête dans plusieurs ouvrages.
- ElyasEsprit sacré
Danska a écrit:Possible, je pensais plutôt à Tableaux de familles : heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, mais il a pu évoquer cette enquête dans plusieurs ouvrages.
Non, tu as raison. La Raison scolaire a les mêmes idées, c'est pour cela que j'y pensais en premier.
- lene75Prophète
*Ombre* a écrit:Orwell n'a jamais été aussi actuel. C'est bien mal comprendre son oeuvre que de la réduire à une critique des régimes de l'ex-bloc soviétique.
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Une classe, c'est comme une boîte de chocolats, on sait jamais sur quoi on va tomber...
- CasparProphète
Leclochard a écrit:Prezbo a écrit:
Hors-sujet, mais j'ai vu qu'une nouvelle traduction de 1984 venait d'être éditée, écrite au présent de l'indicatif. Je suis a priori sceptique, mais est-ce que quelqu'un sait ce que ça vaut ?)
Un livre écrit au passé (au preterit, j'imagine) traduit au présent, c'est a priori une incongruité. Sur France Inter, la critique avait été féroce avec cette nouvelle version. Ne l'ayant pas lue, je ne peux en dire plus.
Pas lu la traduction non plus, mais la justification du traducteur est que le présent de narration est rarissime en anglais (je ne dis pas que j'approuve, je n fais que répéter).
( Qui a dit que 1984 était uniquement une critique du stalinisme ? )
- CathEnchanteur
Vous êtes déprimants.
Et pourtant je constate cela tous les jours.
J'ai déjà écrit sur ce forum que pendant longtemps, j'ai toujours eu un fan au moins de Stephen King dans mes classes, même en LP, même dans les sections indus.
C'est fini depuis longtemps.
Et pourtant je constate cela tous les jours.
J'ai déjà écrit sur ce forum que pendant longtemps, j'ai toujours eu un fan au moins de Stephen King dans mes classes, même en LP, même dans les sections indus.
C'est fini depuis longtemps.
- ditaNeoprof expérimenté
Oui, mais y a Harry Potter.Cath a écrit:Vous êtes déprimants.
Et pourtant je constate cela tous les jours.
J'ai déjà écrit sur ce forum que pendant longtemps, j'ai toujours eu un fan au moins de Stephen King dans mes classes, même en LP, même dans les sections indus.
C'est fini depuis longtemps.
- InhumaineNiveau 8
Bon ce qui m'inquiète, au passage, c'est aussi les collègues qui me disent "demande la nouvelle édition au présent", ce sera plus facile pour eux. Je crois que parfois les profs s'auto-torpillent...
- EsméraldaGrand sage
*Ombre* a écrit:Je ne suis pas en lycée, mais mes collégiens seront un jour des lycéens. Je l'ai dit ici : j'ai deux classes de Sixième. Dans l'une, 35 % de lecteurs en difficulté ou en très grande difficulté (selon les critères du test ROC), dans l'autre, 40%. Des chiffres qui défient l'entendement. Ces élèves, dans le pire des cas, déchiffrent encore mal, dans le meilleur des cas déchiffrent correctement, mais trop laborieusement, en segmentant la phrase d'une façon qui ne peut aucunement faire sens. Ni les uns ni les autres ne comprennent rien à un texte simple.
Je ne suis ni voyante ni médecin, pour énoncer les causes d'une telle épidémie, mais je constate que :
- ces élèves manifestent des défauts induits par la lecture mixte : lecture approximative, remplacement de mots par d'autres (ce qui donne un texte qui n'a plus aucun sens), lecture qui ne va pas jusqu'à la fin des mots et écorche régulièrement celle-ci ;
- de leur propre aveu, ils ne lisent jamais, d'une part parce que lire est trop difficile pour eux (voir supra), et d'autre part parce qu'ils préfèrent de loin passer leur temps sur leur smartphone ;
- le manque de familiarité avec la langue écrite a créé dans de nombreux cas (ceux, je suppose, où le milieu familial ne compense pas suffisamment) des carences graves en vocabulaire et en syntaxe, ce qui ajoute aux difficultés de lecture au fur et à mesure qu'ils avancent en âge et sont supposés aborder des oeuvres plus exigeantes.
C'est un cercle vicieux.
En réunion de rentrée, j'ai dit aux parents : N'arrêtez pas de lire des histoires à vos enfants le soir sous prétexte qu'ils entrent au collège. Mais vu la tête qu'ils faisaient, je pense qu'ils ont arrêté depuis longtemps, et que certains n'avaient même jamais commencé.
Il serait peut-être temps de se lancer dans une vaste campagne de communication, du même type que manger 5 fruits et légumes par jour : "Ne pas lire nuit gravement à la santé" ?
Il faut suggérer l'idée à JMB ! Je me ferais bien une affiche pour ma salle, tiens !
- Ventre-Saint-GrisNiveau 10
Danska a écrit:Oui, c'est l'idée. Bernard Lahire, un autre sociologue français, a mené une étude très intéressante sur des enfants issus de milieux ouvriers ; il montre notamment pourquoi certains enfants, pas a priori les mieux placés pour réussir, s'en sortent pourtant très bien : ce sont principalement ceux dont les parents, même sans avoir les connaissances nécessaires pour les aider, veillent à ce que les devoirs soient faits, rencontrent les enseignants, valorisent l'école et la réussite scolaire, apprennent à leurs enfants à s'organiser et à prendre le temps de faire leur travail, etc.
Oui, et il y a quelques profs dont les parents étaient ceux-là. Mais je crois qu'on voit / va voir se profiler la fin de ce constat. Pour que cela fonctionne, il fallait une école convaincue qu'elle ferait le bien de ses élèves quand elle se permettait d'exiger un peu de travail, un peu de lecture, un peu d'investissement à la maison, et que la société était globalement d'accord avec ça. L'école de la mise en activité permanente, dans la société qui débat une fois par an de ces satanés devoirs à la maison, n'est pas censée attendre des élèves qu'ils travaillent aussi chez eux pour construire leurs apprentissages. Quel rôle peuvent alors jouer ces parents attentifs mais ne pouvant apporter eux-mêmes des savoirs, puisque l'on a parié sur un apprentissage excluant toujours plus l'investissement domestique ?
Il y a dix jours, j'ai vu défiler les profs de ma cadette entrant en sixième. À la queue leu-leu, ils annonçaient presque tous d'un air complice qu'ils ne demandaient presque aucun travail à la maison (tellement qu'on construisait super bien ses propres savoirs en classe). Je m'attendais presque à les voir terminer leur présentation par un clin d’œil.
Salsepareille a écrit:En fait, il y a quinze ans, on faisait La Gloire de mon père en 6ème (à la rentrée) et 1984 en 3ème. Aujourd'hui, on fait la Gloire de mon père en 3ème (autobiographie) et 1984 au lycée, pour une très bonne classe de seconde, ou en première.
Mais je ne sais pas s'il y a une nostalgie ou de l'inquiétude à avoir. Il y a quinze ans, les profs nous disaient que de leur temps...
La société évolue, c'est tout. En mal, en bien... très difficile de savoir.
J'aimais bien faire lire Le Château de ma mère à mes troisièmes, dans mon petit collège de REP. Le premier bouquin m'ayant fait verser des larmes.
J'ai récemment capitulé. Ils sont désormais trop peu nombreux à être capable de le lire.
Il y a quinze ans, je faisais un tabac en cinquième avec Vendredi ou la vie sauvage, qui réconciliait de petits lecteurs avec la littérature. Je revois un de mes glandeurs me demander : "Y a une suite ?"
Ce même livre est devenu presque trop difficile pour mes élèves. Même pour des gamins volontaires. La mère d'une élève sérieuse qui avait peiné à en lire la moitié me disait, il y a deux ans : "Mais jusqu'à cette année, on ne leur a jamais demandé de lire un livre !"
IPR de lettres... Formations... "On ne peut pas imposer la lecture d'un livre à un enfant..."
"L'idée, aujourd'hui, c'est d'élaborer des activités qui leur donneront l'envie de découvrir par eux-mêmes le plaisir de la lecture..."
Multiplication des activités sympathiques grâce auxquelles on va picorer dans le livre, sans avoir jamais, finalement, à le lire...
Travaux de groupes : "Mais ce n'est pas grave que tous ne l'aient pas lu. On met deux élèves ayant lu le livre avec deux élèves qui ne l'ont pas lu. Et ceux qui n'ont pas lu s'imprègnent de la lecture en entendant les deux autres en parler !"
Voilà, voilà.
Et je suis convaincu que les écrans en eux-mêmes ne jouent qu'un rôle minime. Cela fait des décennies qu'on bouffe de la télé et du jeu, et si j'en juge par les souvenirs qu'aiment partager les trentenaires et quadragénaires en se remémorant les génériques de dessins animés de leur enfance, je n'étais pas le seul à passer des heures devant l'écran. Seulement, après l'effroi de la découverte qu'un enfant pouvait aussi souffrir, l'éducation qui pariait sur la responsabilisation et les capacités des enfants a disparu au profit du toc misérabiliste et de l'effrayant spectre Traumatisme.
- Tem-toGrand sage
Tout d'accord Ventre-Saint-Gris, doté d'un certain âge et de mon expérience limitée de prof, avec ce que tu dis.
Mes parents viennent d'un milieu pauvre, n'avaient pas de culture mais, en gros, les Trente Glorieuses ont favorisé l'ascension sociale de mon père qui s'est bousculé pour en bénéficier. Ce faisant, il a découvert, dans sa trentaine et sa quarantaine, les bienfaits d'une instruction -même si surtout pragmatique- sur le tas, instruction dont ll a réussi, avec ma mère, pour ses enfants et sans beaucoup de coercition, à faire la promotion non plus sur le tas, mais dès les premières scolarisations.
Aujourd'hui plus rare est l'élévation de l'ascenseur et plus fréquente sa descente, parfois sa chute.
Mes parents viennent d'un milieu pauvre, n'avaient pas de culture mais, en gros, les Trente Glorieuses ont favorisé l'ascension sociale de mon père qui s'est bousculé pour en bénéficier. Ce faisant, il a découvert, dans sa trentaine et sa quarantaine, les bienfaits d'une instruction -même si surtout pragmatique- sur le tas, instruction dont ll a réussi, avec ma mère, pour ses enfants et sans beaucoup de coercition, à faire la promotion non plus sur le tas, mais dès les premières scolarisations.
Aujourd'hui plus rare est l'élévation de l'ascenseur et plus fréquente sa descente, parfois sa chute.
- ElyasEsprit sacré
Tem-to a écrit:Tout d'accord Ventre-Saint-Gris, doté d'un certain âge et de mon expérience limitée de prof, avec ce que tu dis.
Mes parents viennent d'un milieu pauvre, n'avaient pas de culture mais, en gros, les Trente Glorieuses ont favorisé l'ascension sociale de mon père qui s'est bousculé pour en bénéficier. Ce faisant, il a découvert, dans sa trentaine et sa quarantaine, les bienfaits d'une instruction -même si surtout pragmatique- sur le tas, instruction dont ll a réussi, avec ma mère, pour ses enfants et sans beaucoup de coercition, à faire la promotion non plus sur le tas, mais dès les premières scolarisations.
Aujourd'hui plus rare est l'élévation de l'ascenseur et plus fréquente sa descente, parfois sa chute.
Le mythe de l'ascenseur social est un peu comme l'espoir, un outil qui est dans la boîte de Pandore. Durant les Trente Glorieuses, il y a eu un enrichissement d'une grande partie de la population parce que le contexte faisait qu'il y avait nécessité d'avoir une population de techniciens, d'ingénieurs et d'autres métiers mieux rémunérés qu'employés ou ouvriers. Ce fut l'Âge d'Or des classes moyennes et la naissance du mythe de l'ascenseur social, qui a carburé avec l'obsession française pour le mérite (alors que nous sommes un pays où le réseau est très important dans les élites, ce qui crée des plafonds de verre puissants pour la majorité de la population).
Actuellement, le contexte fait que c'est d'employés et de techniciens payés au lance-pierre qu'on veut. Les gens ont l'impression que l'ascenseur social est bloqué. Sauf que celui-ci n'a jamais existé. C'était une époque d'enrichissement qui a permis à de nombreuses personnes d'avoir de meilleurs conditions de vie. Notre époque actuelle est une époque d'accaparement des richesses par une minorité. Les statistiques sont sans appel sur ce point. On va vers une paupérisation de la majorité de la population. Le milieu infirmier, professoral, administratif et technique se le prend en pleine figure. Il suffit de lire notre forum sur les conditions de vie de nombre d'entre nous pour le comprendre.
- JEMSGrand Maître
Je partage cet avis... les CSP défavorisées reste défavorisées, les CSP moyennes basculent de plus en plus vers la précarité. Les travailleurs pauvres sont légions désormais et l'école ne permet pas l'émancipation. C'est un leurre. On forme des masses de jeunes qui viendront s'empaler sur un marché du travail en quête de smicards.
- Tem-toGrand sage
Tout à fait d'accord, ce n'est pas moi qui dirait le contraire. Que l'ascenseur soit monté, descendu ou resté au même niveau, tout dépend sur quel paysage culturel économique et social s'ouvre la porte dudit ascenseur. Tout dépend dès lors de vos capacités et motivations, à vous y adapter pour bénéficier de ce que vous estimerez en être les richesses, à supposer que celles, promues par les temps, vous intéressent.
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