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- NLM76Grand Maître
Un nouvel article sur Manon Lescaut, avec le "corrigé" d'une dissertation : "Manon Lescaut, un roman sur l'adolescence ?".
- https://www.lettresclassiques.fr/2023/12/28/manon-lescaut-un-roman-sur-ladolescence/
- sinanNiveau 9
J'aime beaucoup ton sujet et ton plan, NLM. Merci beaucoup pour ce partage.
- NLM76Grand Maître
En revanche, je n'ai pas réfléchi encore à l'utilité pédagogique. Un tel plan me paraît infaisable en quatre heures.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- NLM76Grand Maître
Que pensez-vous de la classe sociale de la famille Lescaut ? Difficile de ne pas penser qu'il s'agit d'une bourgeoisie populaire, n'est-ce pas ?
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- NokhNiveau 4
Tu peux définir "bourgeoisie populaire"? Je vois trop pas comment répondre oui ou non sans ça...
- NLM76Grand Maître
Elle appartient à la bourgeoisie, mais plutôt pauvre : artisans, ouvriers... autrement dit, au peuple des villes.
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- roxanneOracle
Est-ce qu'il y a une chance que Lescaut ne soit pas vraiment son frère?
- NLM76Grand Maître
Moi aussi, je me suis dit que cette hypothèse avait toute vraisemblance. En gros, ce pourrait être son premier greluchon.roxanne a écrit:Est-ce qu'il y a une chance que Lescaut ne soit pas vraiment son frère?
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- NokhNiveau 4
Dans ce sens oui: Lescaut semble bien avoir les habitudes de maîtrise de son temps qui font penser à la bourgeoisie (peut-être de robe - le personnage me rappelle un des compagnons interlopes de JF Rameau chez Diderot), et l'hypothèse de Des Grieux des relations d'affaire des parents de Manon, sous réserve que son hypothèse ait un fondement autre que l'apparence donnée (apparence pas nécessairement trompeuse mais quand même très douteuse), associée à la mention des parents de province, laisse à penser que le niveau social de la famille Lescaut au sens large est celle d'une bourgeoisie à la fois parisienne et provinciale. Ça me ferait exclure la position d'ouvrier, et éventuellement celle d'artisan, et donc peut-être remplacer populaire par urbaine? En ajoutant petite? En réalité la dénomination dépendrait du lectorat visé - il en faudrait peut-être également une validation historique. Si l'on en revient à la comparaison avec les moeurs libres (bien qu'ultérieures) décrites chez Diderot, il se peut également si l'on considère l'intégralité de ce qui est présenté par le couple Lescaut comme mensonge que les Lescaut père et mère aient été dans la domesticité éduquée d'une maison établie en ville, auquel cas la notion de bourgeoisie ne fonctionne plus vraiment... mais populaire prend sens de nouveau.
- NLM76Grand Maître
Je ne comprends pas grand-chose à ta première phrase. Qu'appelles-tu les habitudes de maîtrise de son temps ? Que veut dire " l'hypothèse de Des Grieux des relations d'affaire des parents de Manon" ?Nokh a écrit:Dans ce sens oui: Lescaut semble bien avoir les habitudes de maîtrise de son temps qui font penser à la bourgeoisie (peut-être de robe - le personnage me rappelle un des compagnons interlopes de JF Rameau chez Diderot), et l'hypothèse de Des Grieux des relations d'affaire des parents de Manon, sous réserve que son hypothèse ait un fondement autre que l'apparence donnée (apparence pas nécessairement trompeuse mais quand même très douteuse), associée à la mention des parents de province, laisse à penser que le niveau social de la famille Lescaut au sens large est celle d'une bourgeoisie à la fois parisienne et provinciale. Ça me ferait exclure la position d'ouvrier, et éventuellement celle d'artisan, et donc peut-être remplacer populaire par urbaine? En ajoutant petite? En réalité la dénomination dépendrait du lectorat visé - il en faudrait peut-être également une validation historique. Si l'on en revient à la comparaison avec les moeurs libres (bien qu'ultérieures) décrites chez Diderot, il se peut également si l'on considère l'intégralité de ce qui est présenté par le couple Lescaut comme mensonge que les Lescaut père et mère aient été dans la domesticité éduquée d'une maison établie en ville, auquel cas la notion de bourgeoisie ne fonctionne plus vraiment... mais populaire prend sens de nouveau.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- NokhNiveau 4
Lescaut fait ce qu'il veut quand il le veut: il est libre de son temps, et il semble en avoir l'habitude. On peut considérer que c'est parce qu'il est souteneur, mais il semble pour le personnage que ce soit une habitude qu'il ait acquise plus tôt. Ça ne correspond pas aux habitudes des familles de paysans ou d'autres travailleurs manuels pour qui président à l'emploi de son temps la tâche et le rythme de travail.
Bien sûr le lecteur sait qu'il s'agit de l'entretien contre faveur, mais dans l'esprit du jeune homme qui croit, à ce moment, Manon "innocente", les parents de Manon ont œuvré à ce qu'elle ait un soutien, ce qui revient à considérer que M. de B. est ami de la famille - généralement à cette époque celà équivaudrait me semble-t-il à avoir été à son service et en attendre une reconnaissance exceptionnelle suite à sa fidélité, je ne sais pas, comme gérant du rapport d'une forêt, d'une meunerie, par exemple, ou bien à avoir des relations d'affaires proches de l'association avec lui. Peu importe que ce soit faux, le fait que Manon puisse faire passer cette fiction pour plausible dans l'esprit du jeune homme montre que le niveau social affiché par Manon se rapporte à cette possibilité. En tenant compte de la naïveté du personnage pour une part et du degré de professionnalisme des Lescaut dans le mensonge pour une autre part, le rang diminue pour correspondre au niveau social que tu indiques.
Il peut bien sûr sembler anachronique de rechercher un tel réalisme - mais dans ce cas peu importe la fortune des Lescaut, non?
À la fin, je crus avoir trouvé le dénoûment de ce mystère. M. de B***, dis-je en moi-même, est un homme qui fait de grosses affaires et qui a de grandes relations ; les parents de Manon se seront servis de cet homme pour lui faire tenir quelque argent.
Bien sûr le lecteur sait qu'il s'agit de l'entretien contre faveur, mais dans l'esprit du jeune homme qui croit, à ce moment, Manon "innocente", les parents de Manon ont œuvré à ce qu'elle ait un soutien, ce qui revient à considérer que M. de B. est ami de la famille - généralement à cette époque celà équivaudrait me semble-t-il à avoir été à son service et en attendre une reconnaissance exceptionnelle suite à sa fidélité, je ne sais pas, comme gérant du rapport d'une forêt, d'une meunerie, par exemple, ou bien à avoir des relations d'affaires proches de l'association avec lui. Peu importe que ce soit faux, le fait que Manon puisse faire passer cette fiction pour plausible dans l'esprit du jeune homme montre que le niveau social affiché par Manon se rapporte à cette possibilité. En tenant compte de la naïveté du personnage pour une part et du degré de professionnalisme des Lescaut dans le mensonge pour une autre part, le rang diminue pour correspondre au niveau social que tu indiques.
Il peut bien sûr sembler anachronique de rechercher un tel réalisme - mais dans ce cas peu importe la fortune des Lescaut, non?
- NLM76Grand Maître
Oui. Tu précises bien les choses.Nokh a écrit:Lescaut fait ce qu'il veut quand il le veut: il est libre de son temps, et il semble en avoir l'habitude. On peut considérer que c'est parce qu'il est souteneur, mais il semble pour le personnage que ce soit une habitude qu'il ait acquise plus tôt. Ça ne correspond pas aux habitudes des familles de paysans ou d'autres travailleurs manuels pour qui président à l'emploi de son temps la tâche et le rythme de travail.
[...]
Bien sûr le lecteur sait qu'il s'agit de l'entretien contre faveur, mais dans l'esprit du jeune homme qui croit, à ce moment, Manon "innocente", les parents de Manon ont œuvré à ce qu'elle ait un soutien, ce qui revient à considérer que M. de B. est ami de la famille - généralement à cette époque cela équivaudrait me semble-t-il à avoir été à son service et en attendre une reconnaissance exceptionnelle suite à sa fidélité, je ne sais pas, comme gérant du rapport d'une forêt, d'une meunerie, par exemple, ou bien à avoir des relations d'affaires proches de l'association avec lui. Peu importe que ce soit faux, le fait que Manon puisse faire passer cette fiction pour plausible dans l'esprit du jeune homme montre que le niveau social affiché par Manon se rapporte à cette possibilité.
Qu'est-ce que tu veux dire par "le rang diminue" ? Qu'on peut supposer que le rang social des Lescaut est légèrement inférieur par rapport au niveau supposé parEn tenant compte de la naïveté du personnage pour une part, et du degré de professionnalisme des Lescaut dans le mensonge pour une autre part, le rang diminue pour correspondre au niveau social que tu indiques.
Grieux ?
Il me semble que ça importe quand même. Ne serait-ce que parce que le lectorat de Prévost se représente forcément Manon relativement à des types sociaux qu'il connaît. D'autre part, je veux vérifier la vraisemblance de mon assertion selon laquelle jamais le père de Grieux n'eût consenti à un mariage avec une Manon Lescaut — non parce qu'elle est infidèle, mais parce qu'elle n'appartient pas au même monde : son infidélité est celle d'une cocotte, qui vient de la petite bourgeoisie.Il peut bien sûr sembler anachronique de rechercher un tel réalisme - mais dans ce cas peu importe la fortune des Lescaut, non?
D'autre part, j'ai peur de m'être un peu trop avancé en affirmant que Grieux appartient à la grande aristocratie, m'appuyant en particulier sur le début ("une des meilleures maisons de P"), sur le fait qu'en tant que cadet il prenne le titre de chevalier, qu'on le destinât à l'ordre de Malte.
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- NokhNiveau 4
NLM76 a écrit:
Qu'est-ce que tu veux dire par "le rang diminue" ? Qu'on peut supposer que le rang social des Lescaut est légèrement inférieur par rapport au niveau supposé par
Grieux ?
Il me semble que ça importe quand même. Ne serait-ce que parce que le lectorat de Prévost se représente forcément Manon relativement à des types sociaux qu'il connaît. D'autre part, je veux vérifier la vraisemblance de mon assertion selon laquelle jamais le père de Grieux n'eût consenti à un mariage avec une Manon Lescaut — non parce qu'elle est infidèle, mais parce qu'elle n'appartient pas au même monde : son infidélité est celle d'une cocotte, qui vient de la petite bourgeoisie.Il peut bien sûr sembler anachronique de rechercher un tel réalisme - mais dans ce cas peu importe la fortune des Lescaut, non?
Oui, Des Grieux, poussé par le port aristocrate de Manon et la fable du couvent, aveuglé par le désir-amour, doit nécessairement voir une concrétion cristalline sur le rameau de branche social des Lescaut.
Mon propos sur le réalisme ne portait pas tant sur ta démarche que sur mon analyse, tu as sans doute raison sur la vision des lecteurs, encore qu'il faille mâtiner cette réalité: la fonction romanesque va remplacer un type social connu par expérience par un type social construit par sa description dans l'écriture (exemple typique: la figure du moine).
- NLM76Grand Maître
Oui, les types sociaux qu'il connaît, il les connaît dans la vie et dans la littérature.
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- NLM76Grand Maître
Un bout de corrigé pour la dissertation donné l'an dernier en Métropole, et que mes élèves ont dû se coltiner. Si jamais vous voyiez des choses à rendre plus claires, mieux expliquées...
Edit : finalement, j'ai eu le courage de rédiger la dissertation complète :
Edit : finalement, j'ai eu le courage de rédiger la dissertation complète :
- https://www.lettresclassiques.fr/2024/02/02/le-plaisir-de-lire-manon-lescaut-et-le-recit-dune-passion-amoureuse/
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- NoukaExpert
Bonjour,
Est-ce que quelqu’un parmi vous fait l’analyse linéaire du passage de la dispute de Des Grieux et Tiberge à la prison sur le bonheur ?
Merci beaucoup
Est-ce que quelqu’un parmi vous fait l’analyse linéaire du passage de la dispute de Des Grieux et Tiberge à la prison sur le bonheur ?
Merci beaucoup
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En disponibilité
- gregforeverGrand sage
Moi. Mais le trouvant trop difficile pour les élèves et pas assez romanesque j ai changé cette année pour un autre extrait.
- NoukaExpert
gregforever a écrit:Moi. Mais le trouvant trop difficile pour les élèves et pas assez romanesque j ai changé cette année pour un autre extrait.
Je le trouve aussi très difficile. Malheureusement mon fils l’a sur sa liste. L’analyse de sa prof est … bref je dois la faire. Tu aurais des pistes pour m’aider ? Les mouvements ? Quelque chose à ne surtout pas mal interpréter ?
Merci beaucoup pour ton aide
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- NLM76Grand Maître
Comment est-il délimité ? Le passage entier me paraît un peu long (les sous-titres sont de moi):
Prévost a écrit:Aveux à Tiberge
Notre entretien fut plein d’amitié. Il voulut être informé de mes dispositions. Je lui ouvris mon cœur sans réserve, excepté sur le dessein de ma fuite. « Ce n’est pas à vos yeux, cher ami, lui dis-je, que je veux paraître ce que je ne suis point. Si vous avez cru trouver ici un ami sage et réglé dans ses désirs, un libertin réveillé par les châtiments du Ciel, en un mot, un cœur dégagé de l’amour et revenu des charmes de Manon, vous avez jugé trop favorablement de moi. Vous me revoyez tel que vous me laissâtes il y a quatre mois, toujours tendre et toujours malheureux par cette fatale tendresse dans laquelle je ne me lasse point de chercher mon bonheur. »
Il me répondit que l’aveu que je faisais me rendait inexcusable ; qu’on voyait bien des pécheurs qui s’enivraient du faux bonheur du vice jusqu’à le préférer hautement au vrai bonheur de la vertu ; mais que c’était du moins à des images de bonheur qu’ils s’attachaient, et qu’ils étaient les dupes de l’apparence ; mais que de reconnaître, comme je le faisais, que l’objet de mes attachements n’était propre qu’à me rendre coupable et malheureux, et de continuer à me précipiter volontairement dans l’infortune et dans le crime, c’était une contradiction d’idées et de conduite qui ne faisait pas honneur à ma raison.
Un discours libertin
« Tiberge, repris-je, qu’il vous est aisé de vaincre lorsqu’on n’oppose rien à vos armes ! Laissez-moi raisonner à mon tour. Pouvez-vous prétendre que ce que vous appelez le bonheur de la vertu soit exempt de peines, de traverses et d’inquiétudes ? Quel nom donnerez-vous à la prison, aux croix, aux supplices et aux tortures des tyrans ? Direz-vous, comme font les mystiques, que ce qui tourmente le corps est un bonheur pour l’âme ? Vous n’oseriez le dire ; c’est un paradoxe insoutenable. Ce bonheur que vous relevez tant est donc mêlé de mille peines, ou, pour parler plus juste, ce n’est qu’un tissu de malheurs au travers desquels on tend à la félicité. Or, si la force de l’imagination fait trouver du plaisir dans ces maux mêmes, parce qu’ils peuvent conduire à un terme heureux qu’on espère, pourquoi traitez-vous de contradictoire et d’insensée dans ma conduite une disposition toute semblable ? J’aime Manon ; je tends, au travers de mille douleurs, à vivre heureux et tranquille auprès d’elle. La voie par où je marche est malheureuse ; mais l’espérance d’arriver à son terme y répand toujours de la douceur, et je me croirai trop bien payé par un moment passé avec elle de tous les chagrins que j’essuie pour l’obtenir. Toutes choses me paraissent donc égales de votre côté et du mien, ou, s’il y a quelque différence, elle est encore à mon avantage ; car le bonheur que j’espère est proche, et l’autre est éloigné : le mien est de la nature des peines, c’est-à-dire sensible au corps ; et l’autre est d’une nature inconnue, qui n’est certaine que par la foi. »
Tiberge effaré
Tiberge parut effrayé de ce raisonnement. Il recula de deux pas en me disant, de l’air le plus sérieux, que non seulement ce que je venais de dire blessait le bon sens, mais que c’était un malheureux sophisme d’impiété et d’irréligion ; « car cette comparaison, ajouta-t-il, du terme de vos peines avec celui qui est proposé par la religion, est une idée des plus libertines et des plus monstrueuses.
Un jésuite ?
J’avoue, repris-je, qu’elle n’est pas juste ; mais prenez-y garde, ce n’est pas sur elle que porte mon raisonnement. J’ai eu dessein d’expliquer ce que vous regardez comme une contradiction dans la persévérance d’un amour malheureux, et je crois avoir fort bien prouvé que, si c’en est une, vous ne sauriez vous en sauver plus que moi. C’est à cet égard seulement que j’ai traité les choses d’égales, et je soutiens encore qu’elles le sont. Répondrez-vous que le terme de la vertu est infiniment supérieur à celui de l’amour ? Qui refuse d’en convenir ? Mais est-ce de quoi il est question ? Ne s’agit-il pas de la force qu’ils ont l’un et l’autre pour faire supporter les peines ? Jugeons-en par l’effet : combien trouve-t-on de déserteurs de la sévère vertu, et combien en trouverez-vous peu de l’amour ? Répondrez-vous encore que, s’il y a des peines dans l’exercice du bien, elles ne sont pas infaillibles et nécessaires ; qu’on ne trouve plus de tyrans ni de croix, et qu’on voit quantité de personnes vertueuses mener une vie douce et tranquille ? Je vous dirai même qu’il y a des amours paisibles et fortunées ; et, ce qui fait encore une différence qui m’est extrêmement avantageuse, j’ajouterai que l’amour, quoiqu’il trompe assez souvent, ne produit du moins que des satisfactions et des joies, au lieu que la religion veut qu’on s’attende à une pratique triste et mortifiante. Ne vous alarmez pas, ajoutai-je en voyant son zèle prêt à se chagriner. L’unique chose que je veux conclure ici, c’est qu’il n’y a point de plus mauvaise méthode pour dégoûter un cœur de l’amour que de lui en décrier les douceurs, et de lui promettre plus de bonheur dans l’exercice de la vertu. De la manière dont nous sommes faits, il est certain que notre félicité consiste dans le plaisir. Je défie qu’on s’en forme une autre idée : or le cœur n’a pas besoin de se consulter longtemps pour sentir que de tous les plaisirs les plus doux sont ceux de l’amour. Il s’aperçoit bientôt qu’on le trompe lorsqu’on lui en promet ailleurs de plus charmants ; et cette tromperie le dispose à se défier des promesses les plus solides. Prédicateur qui voulez me ramener à la vertu, dites-moi qu’elle est indispensablement nécessaire, mais ne me déguisez pas qu’elle est sévère et pénible. Établissez bien que les délices de l’amour sont passagères, qu’elles sont défendues, qu’elles seront suivies par d’éternelles peines, et, ce qui fera peut-être encore plus d’impression sur moi, que plus elles sont douces et charmantes, plus le Ciel sera magnifique à récompenser un si grand sacrifice ; mais confessez qu’avec des cœurs tels que nous les avons, elles sont ici-bas nos plus parfaites félicités. »
Ou un janséniste ?
Cette fin de mon discours rendit sa bonne humeur à Tiberge. Il convint qu’il y avait quelque chose de raisonnable dans mes pensées. La seule objection qu’il ajouta fut de me demander pourquoi je n’entrais pas du moins dans mes propres principes en sacrifiant mon amour à l’espérance de cette rémunération dont je me faisais une si grande idée. « Ô mon cher ami ! lui répondis-je, c’est ici que je reconnais ma misère et ma faiblesse. Hélas ! oui, c’est mon devoir d’agir comme je raisonne ; mais l’action est-elle en mon pouvoir ? de quels secours n’aurais-je pas besoin pour oublier les charmes de Manon ? — Dieu me pardonne, reprit Tiberge, je pense que voici encore un de nos jansénistes. — Je ne sais ce que je suis, répliquai-je, et je ne vois pas trop clairement ce qu’il faut être ; mais je n’éprouve que trop la vérité de ce qu’ils disent. »
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- gregforeverGrand sage
Je t envoie ça en mp ce soir.Nouka a écrit:gregforever a écrit:Moi. Mais le trouvant trop difficile pour les élèves et pas assez romanesque j ai changé cette année pour un autre extrait.
Je le trouve aussi très difficile. Malheureusement mon fils l’a sur sa liste. L’analyse de sa prof est … bref je dois la faire. Tu aurais des pistes pour m’aider ? Les mouvements ? Quelque chose à ne surtout pas mal interpréter ?
Merci beaucoup pour ton aide
- NoukaExpert
En effet, voici son extrait
NLM76 a écrit:
« Tiberge, repris-je, qu’il vous est aisé de vaincre lorsqu’on n’oppose rien à vos armes ! Laissez-moi raisonner à mon tour. Pouvez-vous prétendre que ce que vous appelez le bonheur de la vertu soit exempt de peines, de traverses et d’inquiétudes ? Quel nom donnerez-vous à la prison, aux croix, aux supplices et aux tortures des tyrans ? Direz-vous, comme font les mystiques, que ce qui tourmente le corps est un bonheur pour l’âme ? Vous n’oseriez le dire ; c’est un paradoxe insoutenable. Ce bonheur que vous relevez tant est donc mêlé de mille peines, ou, pour parler plus juste, ce n’est qu’un tissu de malheurs au travers desquels on tend à la félicité. Or, si la force de l’imagination fait trouver du plaisir dans ces maux mêmes, parce qu’ils peuvent conduire à un terme heureux qu’on espère, pourquoi traitez-vous de contradictoire et d’insensée dans ma conduite une disposition toute semblable ? J’aime Manon ; je tends, au travers de mille douleurs, à vivre heureux et tranquille auprès d’elle. La voie par où je marche est malheureuse ; mais l’espérance d’arriver à son terme y répand toujours de la douceur, et je me croirai trop bien payé par un moment passé avec elle de tous les chagrins que j’essuie pour l’obtenir. Toutes choses me paraissent donc égales de votre côté et du mien, ou, s’il y a quelque différence, elle est encore à mon avantage ; car le bonheur que j’espère est proche, et l’autre est éloigné : le mien est de la nature des peines, c’est-à-dire sensible au corps ; et l’autre est d’une nature inconnue, qui n’est certaine que par la foi. »
Tiberge parut effrayé de ce raisonnement. Il recula de deux pas en me disant, de l’air le plus sérieux, que non seulement ce que je venais de dire blessait le bon sens, mais que c’était un malheureux sophisme d’impiété et d’irréligion ; « car cette comparaison, ajouta-t-il, du terme de vos peines avec celui qui est proposé par la religion, est une idée des plus libertines et des plus monstrueuses.
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- cléoNiveau 9
Je ne l'ai pas choisi non plus, mais ce passage est génial, je comprends que la collègue l'ait choisi. Laisser le personnage délivrer cette tirade argumentative, pleine d'éloquence, convaincante, et n'avoir en face qu'un Tiberge qui au fond ne répond rien, est vraiment savoureux. Le discours libertin apparaît ici comme le plus séduisant, le plus logique, et même le plus héroïque.
- IllianeExpert
Je t'ai envoyé un mp Nouka, ce n'est pas grand-chose, mais si ça peut aider...
- NoukaExpert
gregforever a écrit:Je t envoie ça en mp ce soir.
Illiane a écrit:Je t'ai envoyé un mp Nouka, ce n'est pas grand-chose, mais si ça peut aider...
Merci beaucoup à vous deux
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- NLM76Grand Maître
Ah là là malheureuse... J'ai du travail administratif, et vous me tentez avec du travail intéressant. Voilà ; je viens de passer une heure et demie à faire autre chose que ce que je dois.
Ce passage est vraiment incroyable. Cela dit, si je le faisais avec mes élèves, sans doute ne donnerais-je pas le second paragraphe, qui décrit la réaction de Tiberge. Il y a vraiment déjà trop à dire sur le discours lui-même. Maintenant c'est vrai que la présence de Tiberge donne une couleur supplémentaire au discours : j'ai l'impression de voir en Tiberge la même réaction qu'Hippolyte face à Phèdre dans "Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée..."
@cléo : le discours de Grieux n'est pas pure raison ; il paraît quand même essentiel d'en faire apparaître les éléments sophistiques, ou en tout cas spécieux, même si l'on n'adopte pas un point de vue chrétien.
- https://www.lettresclassiques.fr/2024/03/22/un-discours-libertin/
Ce passage est vraiment incroyable. Cela dit, si je le faisais avec mes élèves, sans doute ne donnerais-je pas le second paragraphe, qui décrit la réaction de Tiberge. Il y a vraiment déjà trop à dire sur le discours lui-même. Maintenant c'est vrai que la présence de Tiberge donne une couleur supplémentaire au discours : j'ai l'impression de voir en Tiberge la même réaction qu'Hippolyte face à Phèdre dans "Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée..."
@cléo : le discours de Grieux n'est pas pure raison ; il paraît quand même essentiel d'en faire apparaître les éléments sophistiques, ou en tout cas spécieux, même si l'on n'adopte pas un point de vue chrétien.
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