- The PaperHabitué du forum
Oui, enfin... ça n'est évident que dans la logique où le riche n'entretiendrait qu'une seule maîtresse, ce dont je ne suis pas certain.
Et puis ce n'est pas un marché comme un autre : par exemple, durant le Second empire, on met en prison la prostituée de la rue (donc on décourage l'offre) tandis qu'on tolère la demi-mondaine.
Et dans tous les cas, dans quelles proportions ?
Est-ce qu'il n' y a pas des registres dans la police qui donneraient une idée approximative du nombre de prostituées de chaque catégorie ?
Et puis ce n'est pas un marché comme un autre : par exemple, durant le Second empire, on met en prison la prostituée de la rue (donc on décourage l'offre) tandis qu'on tolère la demi-mondaine.
Et dans tous les cas, dans quelles proportions ?
Est-ce qu'il n' y a pas des registres dans la police qui donneraient une idée approximative du nombre de prostituées de chaque catégorie ?
- SolovieïNiveau 10
Des chiffres, s'ils existent, me paraîtraient bien hasardeux. La travailleuse de rue s'identifient relativement facilement. La courtisane est plus subtile, les critères d'identification me semblent moins objectifs. Cette... fonction n'a par ailleurs pas totalement disparu, elle est seulement plus ou moins assumée.
Je crois me souvenir, mais c'est brumeux, que Vidocq évoque cette distinction de traitement dans ses mémoires (pour ce qu'ils valent) et s'en indigne. Cela vaudrait la peine de trouver le livre numérique et d'entreprendre une recherche par mot-clés.
Je crois me souvenir, mais c'est brumeux, que Vidocq évoque cette distinction de traitement dans ses mémoires (pour ce qu'ils valent) et s'en indigne. Cela vaudrait la peine de trouver le livre numérique et d'entreprendre une recherche par mot-clés.
- cléoNiveau 9
Bonjour,
Est-ce que l'un d'autres vous aurait à sa disposition le corrigé national qui a été proposé pour la dissertation tombée l'an dernier en France métropolitaine ? J'ai cherché sur internet mais sans succès.
Merci !
Est-ce que l'un d'autres vous aurait à sa disposition le corrigé national qui a été proposé pour la dissertation tombée l'an dernier en France métropolitaine ? J'ai cherché sur internet mais sans succès.
Merci !
- SisypheHabitué du forum
Je reprends la question de Sei sur Manon Lescaut et la tragédie. Je ne pense pas que ce roman soir une tragédie mais que Des Grieux s'abrite derrière une fatalité qui est liée au jansénisme. Mais je me demande si je ne dois préparer mes élèves à un sujet de ce type. Qu'allez-vous faire ? Je voulais insister sur le pathétique et la manière dont Des Grieux l'utilise pour susciter le plaisir de son auditeur. Et le temps est compté mais j'ai peur de laisser mes élèves désarmés s'ils sont face à l'idée de tragique ou de tragédie.
- SisypheHabitué du forum
Je me demande aussi ce que veut dire "faire de petites chapelles". L'expression est employé par Lescaut quand il présente DG comme le frère de Manon et G de M la reprend (en référence à cette scène ?) quand il vient voir DG à Saint Lazare. J'imagine des maquettes mais je ne suis pas sûre de moi.
- NLM76Grand Maître
Sisyphe a écrit:Je me demande aussi ce que veut dire "faire de petites chapelles". L'expression est employé par Lescaut quand il présente DG comme le frère de Manon et G de M la reprend (en référence à cette scène ?) quand il vient voir DG à Saint Lazare. J'imagine des maquettes mais je ne suis pas sûre de moi.
Littré a écrit: Fig. Faire petite chapelle, se mettre à part. Le jeune peintre [Fortuny]… n'a pas voulu se hasarder dans ce grand tumulte de peintures [l'exposition], non par orgueil et, comme on dit, pour faire petite chapelle, mais par vraie modestie et susceptibilité nerveuse d'artiste, Th. Gautier, Journ. offic. feuilleton, 19 mai 1870.
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- cléoNiveau 9
NLM76 a écrit:Sisyphe a écrit:Je me demande aussi ce que veut dire "faire de petites chapelles". L'expression est employé par Lescaut quand il présente DG comme le frère de Manon et G de M la reprend (en référence à cette scène ?) quand il vient voir DG à Saint Lazare. J'imagine des maquettes mais je ne suis pas sûre de moi.Littré a écrit: Fig. Faire petite chapelle, se mettre à part. Le jeune peintre [Fortuny]… n'a pas voulu se hasarder dans ce grand tumulte de peintures [l'exposition], non par orgueil et, comme on dit, pour faire petite chapelle, mais par vraie modestie et susceptibilité nerveuse d'artiste, Th. Gautier, Journ. offic. feuilleton, 19 mai 1870.
Faire des petites chapelles, en argot, signifie aussi faire l'exhibitionniste ou se prostituer.
- cléoNiveau 9
Voir le Trésor, où l'on nous explique que faire des petites chapelles veut dire relever ses jupes devant le feu pour se réchauffer.
- SisypheHabitué du forum
Mais pourquoi Lescaut dit-il en présentant DG comme le frère de Manon : "Lescaut l'assura que j'étais naturellement si sage, que je parlais que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire de petites chapelles." ? Je ne comprends pas.
- The PaperHabitué du forum
Sisyphe a écrit:Mais pourquoi Lescaut dit-il en présentant DG comme le frère de Manon : "Lescaut l'assura que j'étais naturellement si sage, que je parlais que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire de petites chapelles." ? Je ne comprends pas.
Quand je préparais mes cours sur le passage de l'arnaque, cette expression m'avait intrigué aussi. Plusieurs éditions ne mettent en petite note que le sens figuré "être à part". J'ai cherché sur le net et j'ai trouvé le même sens que Cleo dans le vocabulaire argotique.
Le passage est plaisant car Lescaut taquine Des Grieux avec des paroles à double sens que le barbon ne peut pas saisir. Et ensuite Des Grieux lui aussi joue sur les mots mais de façon beaucoup plus imprudente.
La preuve qu'il y a bien un jeu de mots sur "faire de petites chapelles", c'est que lorsque le vieux GM va voir Des Grieux en prison, il se moque de lui, ironise et reparle des chapelles pour lui montrer qu'il a compris.
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- Publicité:
- Etude de "Manon Lescaut" https://www.amazon.fr/dp/B0B8BM227F
"Cahier de Douai" + étude https://www.amazon.fr/dp/B0CF4CWMPH
Etude du Menteur de Corneille : https://www.amazon.fr/dp/B0DG31W66J
Etude du "Malade imaginaire" https://www.amazon.fr/dp/B08D54RDYF
Etude de la "Déclaration des droits de la femme" : https://www.amazon.fr/dp/B09B7DHTXP
Etude de "La princesse de Clèves" : https://www.amazon.fr/dp/B07VWGR4L4
"Bataille de dames" + étude https://www.amazon.fr/dp/B09FC7XCW4
"Les Romanesques" + étude : https://www.amazon.fr/dp/B0DC78GZR9
"Bisclavret" et "Le laüstic" + dossier sur le loup https://www.amazon.fr/dp/B0CGL84111
- NLM76Grand Maître
En l'occurrence, je comprends le double sens ainsi : chapelets/masturbation. Non ?
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- SisypheHabitué du forum
The Paper a écrit:La preuve qu'il y a bien un jeu de mots sur "faire de petites chapelles", c'est que lorsque le vieux GM va voir Des Grieux en prison, il se moque de lui, ironise et reparle des chapelles pour lui montrer qu'il a compris.
Merci beaucoup ! c'est plus clair.
- The PaperHabitué du forum
C'est juste qu'il se montre nu. A mettre en rapport avec la plaisanterie de Des Grieux "Nos chairs se touchent de près" (je cite approximativement de mémoire).
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- DeliaEsprit éclairé
Il faut lire Littré jusqu'au bout :
Fig. et familièrement. Jouer à la chapelle, s'occuper sérieusement de choses frivoles ou inutiles comme les enfants qui imitent les cérémonies de l'église et construisent de petites chapelles avec une serviette et quelques figurines de plâtre, surtout à l'époque de la Fête-Dieu.
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Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle.
Amadou Hampaté Ba
- SeiGrand Maître
Sisyphe, au cas où cela t'intéresse, j'avais constitué un florilège de citations du roman qui concernent la fatalité. N'hésite pas...
(La séance était intitulée "Par quelle fatalité suis-je devenu si criminel ?" ^^)
(La séance était intitulée "Par quelle fatalité suis-je devenu si criminel ?" ^^)
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"Humanité, humanité, engeance de crocodile."
- NLM76Grand Maître
A cet égard le passage du discours libertin à Tiberge est tout à fait éloquent. Il faut que je relise, mais on a me semble-t-il, une double parodie, du jésuitisme jansénique au jansénisme jésuitique qui permettent tous deux de se jeter allègrement dans le libertinage. Dans le genre FDG (Fariboles De Godelureau), Grieux est quand même un peu plus fort que les trolls crypto-tchokéslavoques.Sisyphe a écrit:Je reprends la question de Sei sur Manon Lescaut et la tragédie. Je ne pense pas que ce roman soir une tragédie mais que Des Grieux s'abrite derrière une fatalité qui est liée au jansénisme.
- FDG libertino-catholique, ou JJJ (Jésuite-Janséniste-JeanF...):
80 « Tiberge, repris-je, qu’il vous est aisé de vaincre lorsqu’on n’oppose rien à vos armes ! Laissez-moi raisonner à mon tour. Pouvez-vous prétendre que ce que vous appelez le bonheur de la vertu soit exempt de peines, de traverses et d’inquiétudes ? Quel nom donnerez-vous à la prison, aux croix, aux supplices et aux tortures des tyrans ? Direz-vous, comme font les mystiques, que ce qui tourmente le corps est un bonheur pour l’âme ? Vous n’oseriez le dire ; c’est un paradoxe insoutenable. Ce bonheur que vous relevez tant est donc mêlé de mille peines, ou, pour parler plus juste, ce n’est qu’un tissu de malheurs au travers desquels on tend à la félicité. Or, si la force de l’imagination fait trouver du plaisir dans ces maux mêmes, parce qu’ils peuvent conduire à un terme heureux qu’on espère, pourquoi traitez-vous de contradictoire et d’insensée dans ma conduite une disposition toute semblable ? J’aime Manon ; je tends, au travers de mille douleurs, à vivre heureux et tranquille auprès d’elle. La voie par où je marche est malheureuse ; mais l’espérance d’arriver à son terme y répand toujours de la douceur, et je me croirai trop bien payé par un moment passé avec elle de tous les chagrins que j’essuie pour l’obtenir. Toutes choses me paraissent donc égales de votre côté et du mien, ou, s’il y a quelque différence, elle est encore à mon avantage ; car le bonheur que j’espère est proche, et l’autre est éloigné : le mien est de la nature des peines, c’est-à-dire sensible au corps ; et l’autre est d’une nature inconnue, qui n’est certaine que par la foi. »
Tiberge effaré
81 Tiberge parut effrayé de ce raisonnement. Il recula de deux pas en me disant, de l’air le plus sérieux, que non seulement ce que je venais de dire blessait le bon sens, mais que c’était un malheureux sophisme d’impiété et d’irréligion ; « car cette comparaison, ajouta-t-il, du terme de vos peines avec celui qui est proposé par la religion, est une idée des plus libertines et des plus monstrueuses.
Un jésuite ?
82 — J’avoue, repris-je, qu’elle n’est pas juste ; mais prenez-y garde, ce n’est pas sur elle que porte mon raisonnement. J’ai eu dessein d’expliquer ce que vous regardez comme une contradiction dans la persévérance d’un amour malheureux, et je crois avoir fort bien prouvé que, si c’en est une, vous ne sauriez vous en sauver plus que moi. C’est à cet égard seulement que j’ai traité les choses d’égales, et je soutiens encore qu’elles le sont. Répondrez-vous que le terme de la vertu est infiniment supérieur à celui de l’amour ? Qui refuse d’en convenir ? Mais est-ce de quoi il est question ? Ne s’agit-il pas de la force qu’ils ont l’un et l’autre pour faire supporter les peines ? Jugeons-en par l’effet : combien trouve-t-on de déserteurs de la sévère vertu, et combien en trouverez-vous peu de l’amour ? Répondrez-vous encore que, s’il y a des peines dans l’exercice du bien, elles ne sont pas infaillibles et nécessaires ; qu’on ne trouve plus de tyrans ni de croix, et qu’on voit quantité de personnes vertueuses mener une vie douce et tranquille ? Je vous dirai même qu’il y a des amours paisibles et fortunées ; et, ce qui fait encore une différence qui m’est extrêmement avantageuse, j’ajouterai que l’amour, quoiqu’il trompe assez souvent, ne produit du moins que des satisfactions et des joies, au lieu que la religion veut qu’on s’attende à une pratique triste et mortifiante. Ne vous alarmez pas, ajoutai-je en voyant son zèle prêt à se chagriner. L’unique chose que je veux conclure ici, c’est qu’il n’y a point de plus mauvaise méthode pour dégoûter un cœur de l’amour que de lui en décrier les douceurs, et de lui promettre plus de bonheur dans l’exercice de la vertu. De la manière dont nous sommes faits, il est certain que notre félicité consiste dans le plaisir. Je défie qu’on s’en forme une autre idée : or le cœur n’a pas besoin de se consulter longtemps pour sentir que de tous les plaisirs les plus doux sont ceux de l’amour. Il s’aperçoit bientôt qu’on le trompe lorsqu’on lui en promet ailleurs de plus charmants ; et cette tromperie le dispose à se défier des promesses les plus solides. Prédicateur qui voulez me ramener à la vertu, dites-moi qu’elle est indispensablement nécessaire, mais ne me déguisez pas qu’elle est sévère et pénible. Établissez bien que les délices de l’amour sont passagères, qu’elles sont défendues, qu’elles seront suivies par d’éternelles peines, et, ce qui fera peut-être encore plus d’impression sur moi, que plus elles sont douces et charmantes, plus le Ciel sera magnifique à récompenser un si grand sacrifice ; mais confessez qu’avec des cœurs tels que nous les avons, elles sont ici-bas nos plus parfaites félicités. »
Ou un janséniste ?
83 Cette fin de mon discours rendit sa bonne humeur à Tiberge. Il convint qu’il y avait quelque chose de raisonnable dans mes pensées. La seule objection qu’il ajouta fut de me demander pourquoi je n’entrais pas du moins dans mes propres principes en sacrifiant mon amour à l’espérance de cette rémunération dont je me faisais une si grande idée. « Ô mon cher ami ! lui répondis-je, c’est ici que je reconnais ma misère et ma faiblesse. Hélas ! oui, c’est mon devoir d’agir comme je raisonne ; mais l’action est-elle en mon pouvoir ? de quels secours n’aurais-je pas besoin pour oublier les charmes de Manon ? — Dieu me pardonne, reprit Tiberge, je pense que voici encore un de nos jansénistes. — Je ne sais ce que je suis, répliquai-je, et je ne vois pas trop clairement ce qu’il faut être ; mais je n’éprouve que trop la vérité de ce qu’ils disent. »
Un sujet de ce type me paraîtrait d'une difficulté délirante pour des lycéens d'aujourd'hui. Mais je serais curieux de savoir tu insisterais sur le pathétique pour susciter le plaisir... Grieux n'est pathétique que dans le sens que connaissent nos élèves, c'est-à-dire excessivement et ridiculement. Il ne nous est sympathique que dans la mesure où nous aussi nous sommes prêts à tout pour nos petits et grands plaisirs.Mais je me demande si je ne dois préparer mes élèves à un sujet de ce type. Qu'allez-vous faire ? Je voulais insister sur le pathétique et la manière dont Des Grieux l'utilise pour susciter le plaisir de son auditeur. Et le temps est compté mais j'ai peur de laisser mes élèves désarmés s'ils sont face à l'idée de tragique ou de tragédie.
Quoi qu'il en soit, s'il leur faut mettre en relation le tragique avec ce roman, ça leur est impossible, dès lors qu'ils n'ont aucune expérience du tragique (je parle avant tout d'expérience littéraire !). Autrement dit, s'ils n'ont pas véritablement "lu" au moins deux tragédies de Corneille, de Racine, de Shakespeare ou de Sophocle, tout ce qu'ils pourront raconter sur le tragique sera du baratin. D'ailleurs, même des professeurs de lettres racontent n'importe quoi sur le tragique en enfermant la notion de tragique dans un goulot d'étranglement plus ou moins aristotélicien, lequel prétend définir le tragique en quelques mots, ou même en deux ou trois phrases. Alors j'imagine la catastrophe pour des élèves. La mine techniciste d'où l'on extrait des outils pour ne pas lire les textes est vraiment inépuisable et d'une inventivité merveilleuse !
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- SisypheHabitué du forum
Je n'enseigne en LGT que depuis 3 ans. Mon expérience des sujets d'examen est donc très réduite. Cependant, en LP, les sujets fautifs étaient courants. Je me souviens par exemple de l'un d'eux qui demandait aux élèves de justifier l'inscription dans le fantastique d'une planche de BD sur laquelle on voyait une machine à remonter dans le temps ou une soucoupe volante.
J'ai lu un article (je ne sais plus où et je suis dans le tramway ; il est difficile de chercher) qui expliquait que Manon Lescaut appartenait à la "littérature des larmes".
Je ne pleure pas en lisant Manon Lescaut. Mais n'est-ce pas lié à ma posture de lectrice du XXI è siècle ? L'article disait que l'auteur cherchait à intéresser par le pathétique. Et j'ai l'impression que DG aussi.
Je n'ai pas encore dispensé ce cours et je pourrais amender mon cours au besoin grâce à toi, comme je le fais souvent !
J'ai lu un article (je ne sais plus où et je suis dans le tramway ; il est difficile de chercher) qui expliquait que Manon Lescaut appartenait à la "littérature des larmes".
Je ne pleure pas en lisant Manon Lescaut. Mais n'est-ce pas lié à ma posture de lectrice du XXI è siècle ? L'article disait que l'auteur cherchait à intéresser par le pathétique. Et j'ai l'impression que DG aussi.
Je n'ai pas encore dispensé ce cours et je pourrais amender mon cours au besoin grâce à toi, comme je le fais souvent !
- NLM76Grand Maître
Excuse-moi ; je n'ai pas pris le temps de mettre un mot pour dire combien ma diatribe ne t'était pas destinée, et qu'elle se contentait de prendre prétexte de ton billet pour me permettre de satisfaire un goût naturel et excessif pour les grands discours !Sisyphe a écrit:Je n'enseigne en LGT que depuis 3 ans. Mon expérience des sujets d'examen est donc très réduite. Cependant, en LP, les sujets fautifs étaient courants. Je me souviens par exemple de l'un d'eux qui demandait aux élèves de justifier l'inscription dans le fantastique d'une planche de BD sur laquelle on voyait une machine à remonter dans le temps ou une soucoupe volante.
J'ai lu un article (je ne sais plus où et je suis dans le tramway ; il est difficile de chercher) qui expliquait que Manon Lescaut appartenait à la "littérature des larmes".
Je ne pleure pas en lisant Manon Lescaut. Mais n'est-ce pas lié à ma posture de lectrice du XXIe siècle ? L'article disait que l'auteur cherchait à intéresser par le pathétique. Et j'ai l'impression que DG aussi.
Je n'ai pas encore dispensé ce cours et je pourrais amender mon cours au besoin grâce à toi, comme je le fais souvent !
Oui, littérature des larmes ; mais larmes du narrateur qui les ôte au lecteur. Le larmoyant Grieux est agaçant, comique, mais fort peu digne de pitié, sinon au sens péjoratif. Me semble-t-il. Mais tu as raison : il n'est pas impossible en soi que le lecteur du XVIIIe pleurnichât avec le pleurnicheur.
Maintenant, j'ai idée qu'il était surtout émoustillé par le sujet coquin. Ce qui attirait le lecteur, c'est ce qui attirait Grieux, c'était Marilyn Monroe, c'était Brigitte Bardot, c'était Betty Boop, c'était Vénus en chair et en os. Les illustrations qu'on trouve pour le roman sont à cet égard éloquentes. J'ai par exemple celles de Charles Martin, du début du XXe ; mais j'en ai vu d'autres, tout aussi érotiques, d'époque plus ancienne.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- SisypheHabitué du forum
Mais je t'en prie. Je n'en ai nullement pris ombrage. J'aime lire ces discussions parce que j'aime apprendre.
J'ai retrouvé ma source : un mémoire de master 2. "La rhétorique de la “ tendre amitié ” dans Manon Lescaut de l’abbé Prévost". Le mémoire cite R. Chartier, « Livres, lecteurs, lectures », dans Le monde des Lumières. Roger Chartier parle (je n'ai pas contrôlé la source cependant) de lecture « affective », Au XVIIIe siècle, « le roman s’empare de son lecteur, l’attache à sa lettre, gouverne ses pensées et ses conduites ». Son lecteur s’identifie aux héros de l’histoire. Emporté par les passions, « le lecteur (qui est le plus souvent une lectrice) ne peut retenir ni son émotion ni ses larmes."
Jules Michelet dans Histoire de France au XVIIIe siècle. La Régence écrit à propos de Manon Lescaut qu’« il n’y a jamais eu un tel succès de larmes. Nulle critique ; on n’y voyait plus. Les hommes mêmes pleuraient. Les femmes lisaient et relisaient. Les filles dévoraient en cachette". Je sais qu'on peut critiquer Michelet.
Néanmoins je trouve qu'on peut se poser la question de la réception d'une oeuvre. Quand on dit que les imprimeurs pleuraient en imprimant Les Misérables, est-ce une exagération ? Quel éditeur pleure aujourd'hui en lisant ou en présentant un livre ? Je ne suis pas sûre que l'Abbé Prévost attende de son lecteur le détachement de Flaubert face à Emma.
Le pathétique réside-t-il uniquement dans l'effet ressenti ? J'apprends à mes élèves à repérer des indices, dont précisément les larmes et la pitié que DG recherche chez son auditeur.
Ton hypothèse du pathétique comme alibi pour des hommes qui sont émoustillés par Manon me plaît assez. Moi aussi, j'ai des difficultés à croire les intentions morales affichées de L'Avis au lecteur. Mais quid des lectrices ? DG ne me semble pas particulièrement séduisant. Il n'y a pas de coup de foudre réciproque. On peut m'objecter que les femmes du XVIIIè pouvaient être attirées par cette grande sensibilité. Certes. Mais alors il faut accepter l'idée que la perception de ce qui était émouvant pouvait aussi être différente.
J'ai retrouvé ma source : un mémoire de master 2. "La rhétorique de la “ tendre amitié ” dans Manon Lescaut de l’abbé Prévost". Le mémoire cite R. Chartier, « Livres, lecteurs, lectures », dans Le monde des Lumières. Roger Chartier parle (je n'ai pas contrôlé la source cependant) de lecture « affective », Au XVIIIe siècle, « le roman s’empare de son lecteur, l’attache à sa lettre, gouverne ses pensées et ses conduites ». Son lecteur s’identifie aux héros de l’histoire. Emporté par les passions, « le lecteur (qui est le plus souvent une lectrice) ne peut retenir ni son émotion ni ses larmes."
Jules Michelet dans Histoire de France au XVIIIe siècle. La Régence écrit à propos de Manon Lescaut qu’« il n’y a jamais eu un tel succès de larmes. Nulle critique ; on n’y voyait plus. Les hommes mêmes pleuraient. Les femmes lisaient et relisaient. Les filles dévoraient en cachette". Je sais qu'on peut critiquer Michelet.
Néanmoins je trouve qu'on peut se poser la question de la réception d'une oeuvre. Quand on dit que les imprimeurs pleuraient en imprimant Les Misérables, est-ce une exagération ? Quel éditeur pleure aujourd'hui en lisant ou en présentant un livre ? Je ne suis pas sûre que l'Abbé Prévost attende de son lecteur le détachement de Flaubert face à Emma.
Le pathétique réside-t-il uniquement dans l'effet ressenti ? J'apprends à mes élèves à repérer des indices, dont précisément les larmes et la pitié que DG recherche chez son auditeur.
Ton hypothèse du pathétique comme alibi pour des hommes qui sont émoustillés par Manon me plaît assez. Moi aussi, j'ai des difficultés à croire les intentions morales affichées de L'Avis au lecteur. Mais quid des lectrices ? DG ne me semble pas particulièrement séduisant. Il n'y a pas de coup de foudre réciproque. On peut m'objecter que les femmes du XVIIIè pouvaient être attirées par cette grande sensibilité. Certes. Mais alors il faut accepter l'idée que la perception de ce qui était émouvant pouvait aussi être différente.
- roxanneOracle
J'ai étudié un extrait hier avec mes élèves qui a (enfin!!!) été sujet de discussion et d'interrogations dont je n'ai pas forcément eu la réponse d'ailleurs. Je leur ai dit que j'allais "en débattre avec des spécialistes" (ça a fait son petit effet ). Vous êtes donc les spécialistes et voici le "débat". Dans le passage de l'évasion, à la fin, il est écrit "Je souffrais mortellement dans Manon" : ok hyperbole mais c'est quoi ce "dans" Manon? Au départ, ils ont pensé à une faute et que "dans serait sans. Toutes les éditions ont été vérifiées, pas d'erreurs. Serait-il possible qu'un "s" mal recopié soit devenu un "d" de toute éternité? Ou qu'un DG ému ait fait un lapsus un peu sexuel qu'aurait fait passer l'Abbé Prévost? ou est-ce une formulation d'usage? En tout cas, ils étaient très intéressés et pour une fois, on a parlé de littérature et non plus sacro-saints procédés. Et dans notre élan, autre sujet : un peu plus loin, enfin délivré, il va chez un traiteur où il se remit "un peu de la mauvaise chère " des trois derniers mois et il ne put s'y livrer au plaisir. Là, aussi, pourrait-on voir une allusion grivoise et un jeu de mots sur chère et plaisirs de la chair dont il a été privé et auxquels il s'adonne avec Manon? Parce que bon, le DG, il n'est pas qu'amoureux platonique (sans jeux de mots à mon tour). En tout cas, le roman leur est( devenu d'un coup bien plus attirant et le cours qui ronronnait s'est animé. Mais, je ne voudrais pas les pousser trop loin non plus. Donc, les spécialistes, qu'en pensez-vous?
- NLM76Grand Maître
Je comprends quelque chose comme "dans la souffrance de Manon", "en me mettant à la place de Manon".roxanne a écrit:J'ai étudié un extrait hier avec mes élèves qui a (enfin!!!) été sujet de discussion et d'interrogations dont je n'ai pas forcément eu la réponse d'ailleurs. Je leur ai dit que j'allais "en débattre avec des spécialistes" (ça a fait son petit effet ). Vous êtes donc les spécialistes et voici le "débat". Dans le passage de l'évasion, à la fin, il est écrit "Je souffrais mortellement dans Manon" : ok hyperbole mais c'est quoi ce "dans" Manon? Au départ, ils ont pensé à une faute et que "dans serait sans. Toutes les éditions ont été vérifiées, pas d'erreurs. Serait-il possible qu'un "s" mal recopié soit devenu un "d" de toute éternité? Ou qu'un DG ému ait fait un lapsus un peu sexuel qu'aurait fait passer l'Abbé Prévost? ou est-ce une formulation d'usage? En tout cas, ils étaient très intéressés et pour une fois, on a parlé de littérature et non plus sacro-saints procédés. Et dans notre élan, autre sujet : un peu plus loin, enfin délivré, il va chez un traiteur où il se remit "un peu de la mauvaise chère " des trois derniers mois et il ne put s'y livrer au plaisir. Là, aussi, pourrait-on voir une allusion grivoise et un jeu de mots sur chère et plaisirs de la chair dont il a été privé et auxquels il s'adonne avec Manon? Parce que bon, le DG, il n'est pas qu'amoureux platonique (sans jeux de mots à mon tour). En tout cas, le roman leur est( devenu d'un coup bien plus attirant et le cours qui ronronnait s'est animé. Mais, je ne voudrais pas les pousser trop loin non plus. Donc, les spécialistes, qu'en pensez-vous?
Pour moi, à priori, le passage n'est pas graveleux. Le traiteur traite du plaisir de se nourrir. Mais bon; il ne me paraît pas illégitime, dans Manon Lescaut, de voir du graveleux partout...
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- Astolphe33Niveau 5
Bonjour. Je ne crois pas du tout non plus à un sous-entendu sexuel : je dirais même, au contraire.
"Souffrir dans" était une tournure probablement plus répandue qu'aujourd'hui. On pourrait la rapprocher de la construction "s'intéresser dans/pour quelqu'un" qui a disparu alors qu'elle était très courante au XVIIIe siècle, avec une nuance de sympathie ou d'empathie différente du simple "s'intéresser à".
Pour "souffrir dans", le TLF donne les exemples suivants :« Souffrir dans. Éprouver du dommage. Souffrir dans son commerce, dans ses intérêts. L'armée a beaucoup souffert dans sa marche, faute de provisions (Ac.). En partic. Souffrir dans sa chair. Être mutilé. » Le problème est que les exemples renvoient à un point du dommage qui est matériel (l'exemple de l'armée, qui figure dans à peu près tous les dictionnaires du XVIIIe siècle, est significatif). Mais la phrase de Prévost peut-elle se comprendre comme, littéralement et simplement, "J'éprouvais du dommage relativement à Manon" ?
En contexte, l'idée est que le souvenir obsessionnel de Manon (alors incarcérée) occasionne chez son amant une souffrance mortelle : hyperbole conforme au discours du narrateur dans tout le récit, qui s'emploie à se représenter comme un amant possédé par une passion absolue, et d'autant plus que les situations romanesques sont scabreuses ou scandaleuses (à ce stade, Des Grieux vient de s'évader de Saint-Lazare sous la menace d'une arme contre un religieux, et en tirant avec un pistolet). Mais la formulation inattendue "Je souffrais mortellement dans Manon" apporte une force supplémentaire à cause de la préposition "dans", très simple, mais qui justement dit plus que "à cause de" ou même "pour". Le propos est plutôt, me semble-t-il : "Je souffrais mortellement en communion / en sympathie profonde avec Manon".
J'ajouterais même l'hypothèse (ce n'est qu'une hypothèse) que Prévost joue sur la proximité de cette tournure avec des formules courantes dans la religion (du type "aimer dans le Christ"), notamment au moment de la Passion quand il s'agit pour le fidèle de partager en pensée (sinon dans sa chair…) les souffrances du Christ, de s'associer à ses douleurs. Autrement dit, la formule "Je souffrais mortellement dans Manon", loin de stimuler un sous-entendu sexuel, jouerait plutôt dans l'autre sens (sans effacer la dimension passionnelle), en ajoutant à la passion amoureuse une sorte d'aura spirituelle, s'opposant au plaisir de la restauration chez le traiteur (" Je ne pus néanmoins m'y livrer au plaisir ; je souffrais mortellement dans Manon").
Cela suppose à mon avis de tenir compte, dans le contexte plus large du roman, de la manière dont la parole de Des Grieux amalgame au discours sur sa passion pour Manon des mots qui appartiennent à la langue religieuse : Manon est une "créature" mais que l'amour de son amant transforme en divinité, en idole. Très tôt dans le roman, on trouve par exemple : "Chère Manon, lui dis-je avec un mélange d'expressions amoureuses et théologiques, tu es trop adorable pour une créature". La séquence du séminaire de Saint-Sulpice, c'est un peu l'idole venant reprendre ses droits contre la divinité des catholiques, ou se substituer à elle. Au moment où Manon est arrêtée et incarcérée, le narrateur s'écrie : "Quel sort pour une créature toute charmante, qui eût occupé le premier trône du monde, si tous les hommes eussent eu mes yeux et mon cœur !"
"Souffrir dans" était une tournure probablement plus répandue qu'aujourd'hui. On pourrait la rapprocher de la construction "s'intéresser dans/pour quelqu'un" qui a disparu alors qu'elle était très courante au XVIIIe siècle, avec une nuance de sympathie ou d'empathie différente du simple "s'intéresser à".
Pour "souffrir dans", le TLF donne les exemples suivants :« Souffrir dans. Éprouver du dommage. Souffrir dans son commerce, dans ses intérêts. L'armée a beaucoup souffert dans sa marche, faute de provisions (Ac.). En partic. Souffrir dans sa chair. Être mutilé. » Le problème est que les exemples renvoient à un point du dommage qui est matériel (l'exemple de l'armée, qui figure dans à peu près tous les dictionnaires du XVIIIe siècle, est significatif). Mais la phrase de Prévost peut-elle se comprendre comme, littéralement et simplement, "J'éprouvais du dommage relativement à Manon" ?
En contexte, l'idée est que le souvenir obsessionnel de Manon (alors incarcérée) occasionne chez son amant une souffrance mortelle : hyperbole conforme au discours du narrateur dans tout le récit, qui s'emploie à se représenter comme un amant possédé par une passion absolue, et d'autant plus que les situations romanesques sont scabreuses ou scandaleuses (à ce stade, Des Grieux vient de s'évader de Saint-Lazare sous la menace d'une arme contre un religieux, et en tirant avec un pistolet). Mais la formulation inattendue "Je souffrais mortellement dans Manon" apporte une force supplémentaire à cause de la préposition "dans", très simple, mais qui justement dit plus que "à cause de" ou même "pour". Le propos est plutôt, me semble-t-il : "Je souffrais mortellement en communion / en sympathie profonde avec Manon".
J'ajouterais même l'hypothèse (ce n'est qu'une hypothèse) que Prévost joue sur la proximité de cette tournure avec des formules courantes dans la religion (du type "aimer dans le Christ"), notamment au moment de la Passion quand il s'agit pour le fidèle de partager en pensée (sinon dans sa chair…) les souffrances du Christ, de s'associer à ses douleurs. Autrement dit, la formule "Je souffrais mortellement dans Manon", loin de stimuler un sous-entendu sexuel, jouerait plutôt dans l'autre sens (sans effacer la dimension passionnelle), en ajoutant à la passion amoureuse une sorte d'aura spirituelle, s'opposant au plaisir de la restauration chez le traiteur (" Je ne pus néanmoins m'y livrer au plaisir ; je souffrais mortellement dans Manon").
Cela suppose à mon avis de tenir compte, dans le contexte plus large du roman, de la manière dont la parole de Des Grieux amalgame au discours sur sa passion pour Manon des mots qui appartiennent à la langue religieuse : Manon est une "créature" mais que l'amour de son amant transforme en divinité, en idole. Très tôt dans le roman, on trouve par exemple : "Chère Manon, lui dis-je avec un mélange d'expressions amoureuses et théologiques, tu es trop adorable pour une créature". La séquence du séminaire de Saint-Sulpice, c'est un peu l'idole venant reprendre ses droits contre la divinité des catholiques, ou se substituer à elle. Au moment où Manon est arrêtée et incarcérée, le narrateur s'écrie : "Quel sort pour une créature toute charmante, qui eût occupé le premier trône du monde, si tous les hommes eussent eu mes yeux et mon cœur !"
- NLM76Grand Maître
Un nouvel article sur Manon Lescaut, avec le "corrigé" d'une dissertation : "Manon Lescaut, un roman sur l'adolescence ?".
- https://www.lettresclassiques.fr/2023/12/28/manon-lescaut-un-roman-sur-ladolescence/
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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