- CedricNiveau 6
Bonsoir à tous,
Cela fait un moment que je travaille et retravaille ma progression de langue pour les 4 niveaux. Auriez-vous des idées? des remarques?
Cédric
Cela fait un moment que je travaille et retravaille ma progression de langue pour les 4 niveaux. Auriez-vous des idées? des remarques?
Cédric
- Fichiers joints
- OSNiveau 1
Bonjour et chapeau pour ce travail !!
Je viens de le survoler (faute de temps pour l'instant :-) ). Ma première question est de savoir combien de temps tu consacres à l'étude de la langue par semaine ?
Odile
Je viens de le survoler (faute de temps pour l'instant :-) ). Ma première question est de savoir combien de temps tu consacres à l'étude de la langue par semaine ?
Odile
- ProvenceEnchanteur
OS a écrit:Ma première question est de savoir combien de temps tu consacres à l'étude de la langue par semaine ?
Je ne suis pas l'initiatrice du fil, mais je rebondis sur la question: je consacre la moitié du temps de cours à la grammaire (+ conjugaison et orthographe).
- miss sophieExpert spécialisé
Merci pour le partage. Est-ce une progression que tu arrives à tenir ? J'hallucine du temps que je passe en révisions chaque année...
- minette74Niveau 5
Merci Cédric !
En 6e, je n'ai pas compris comment tu traites les phrases simples/complexes, en début et en fin d'année. En ce qui me concerne, je n'en parle qu'en fin d'année.
En 6e, je n'ai pas compris comment tu traites les phrases simples/complexes, en début et en fin d'année. En ce qui me concerne, je n'en parle qu'en fin d'année.
- liskayaNeoprof expérimenté
minette74 a écrit:Merci Cédric !
En 6e, je n'ai pas compris comment tu traites les phrases simples/complexes, en début et en fin d'année. En ce qui me concerne, je n'en parle qu'en fin d'année.
Je commence aussi comme ça. Pour ma part, je distingue juste phrase simple (un seul verbe conjugué) et phrase complexe (plusieurs verbes conjugués). Je ne vais pas plus loin.
Bravo Cédric pour ce travail ! C'est une progression que tu a déjà suivi ou c'est un projet ?
Je n'ai regardé que les 6e, mais ça me semble hyper ambitieux !
- RydezJe viens de m'inscrire !
Merci pour le partage. Je vais me greffer sur ta progression et commenterai plus tard. Venant du lycée, l'étude de la langue est mon gros problème cette année. Quand je lis que certains en font la moitié du temps, je suis très très loin. Donc tout ça m'est d'une très grande aide.
- ProvenceEnchanteur
C’est, à mon avis, le cœur de notre mission d’enseignement au collège.Rydez a écrit:Merci pour le partage. Je vais me greffer sur ta progression et commenterai plus tard. Venant du lycée, l'étude de la langue est mon gros problème cette année. Quand je lis que certains en font la moitié du temps, je suis très très loin. Donc tout ça m'est d'une très grande aide.
- marleneNiveau 9
J'y consacre aussi beaucoup de temps et je ne parviens pas à aller jusqu'au bout ce qui est très culpabilisant... mais je reviens aussi sur certaines notions comme toutes les expansions du nom en 4e et sur certaines conjugaisons comme le conditionnel... Bref notre travail consiste à faire et refaire en permanence....
Mais beau travail! très complet. Une suggestion peut-être: coupler un temps simple et son temps composé afin qu'ils comprennent bien la correspondance entre les deux concernant la formation du temps composé.... mais encore une fois, c'est un travail très rigoureux! Merci pour ce partage
Mais beau travail! très complet. Une suggestion peut-être: coupler un temps simple et son temps composé afin qu'ils comprennent bien la correspondance entre les deux concernant la formation du temps composé.... mais encore une fois, c'est un travail très rigoureux! Merci pour ce partage
- CésarionNiveau 6
Bonjour. Un grand merci pour ce partage.
En ce qui me concerne je n'enseigne qu'en 6ème le français depuis longtemps et toujours avec autant de plaisir (et parfois de frustration voire de désarroi quand je constate que certains élèves n'ont jamais entendu parler de Charles Perrault mais c'est une autre histoire...).
Je choisis de mettre l'accent sur la langue dès les premières heures de cours et de charger la barque durant la première moitié de l'année, la seconde moitié, je renforce les acquis mais rien d'essentiel.
Je commence par la phrase - le nerf de la guerre- et j'apprends aux élèves à rédiger une phrase complète en m'appuyant sur un questionnaire qui porte sur un roman facile d'accès à lire à la maison.
J'initie très vite les élèves à la notion de proposition et de phrase complexe dans la foulée. Il me suffit de compléter une phrase simple en faisant ajouter une action (on constate que le verbe est le noyau) et on enregistre qu'il est possible de relier les propositions par une ponctuation faible ou un petit mot. Les élèves connaissent déjà pour certains du moins conjonctions de coordination et j'ose le mot subordonnée si je sens que la classe peut suivre.
Je profite de l'étude de la phrase pour en disséquer les parties : GN et c'est là que je parle des différents déterminants, du verbe et du complément de verbe (GV) voire déjà du complément de phrase. Ex. d'un manuel : Mathilde lit (passionnément)des romans (très gros)(de V.Hugo)(à la bibliothèque)(le samedi matin). Tout est dans cette phrase !
Je m'appuie sur l'étymologie ( adverbe, à côté du verbe)(complément/compléter)
Formes et types de phrases et petite expression écrite à partir du commentaire oral d'un tableau célèbre La diseuse de bonne aventure qui me permet de dire un mot de la ponctuation du dialogue.
Aucune heure de cours ou presque sans le rite de l'orthographe grammaire à l'oral oui l'écrit (phrase du jour).
Je fais apprendre des listes entières de mots. Pourquoi serait-ce l'apanage du primaire ?
Découverte des différents types de dictionnaires avec le professeur documentaliste qui me permet de travailler sur les antonymes/ synonymes etc homophones à partir de courts et fréquents petits exercices d'écriture (type Queneau)(poésies basées sur des jeux de mots variés).
Pour l'étude du verbe, je suggère moi aussi de mêler temps simple / temps composé. Et c'est là qu'on peut différencier é/er (on y revient une fois par semaine car les bons réflexes ne se font plus) et on repère un verbe dans une phrase (les mots écrans posent problème).
Je me concentrerais uniquement sur l'accord avec l'auxiliaire être, en parallèle avec l'attribut du sujet (même fonctionnement).
Pour le verbe je pars du latin; je ne sépare pas présent indicatif et impératif puisque la conjugaison (les formes) est quasiment identique. Je privilégie la régularité des formes.
Je travaille sur les formes qui se ressemblent je fis/fus serai/saurai je mangeai/mangeais/mangerai/mangerais
Les élèves doivent connaître par coeur les 10 verbes les plus usités et je ne transige pas (voir à ce sujet les attendus de fins d'année, une vraie bible, bien faite, pour tous les niveaux et publiés -enfin- au coeur de cet été).
J'apprends très vite à distinguer nom et verbe travailler/il travaille.
En un mot, je prends le temps de poser les jalons et je fais en sorte que l'essentiel soit vu d'ici janvier février. Ensuite, il est plus difficile pour les élèves d'être concentrées (retour du beau temps, cours qui sautent avec les ponts successifs...).
Beaucoup d'exercices de transformation ( raccourcir, agrandir une phrase, remplacer un nom par un pronom, trouver des synonymes, jouer sur les constructions verbales : compter/ compter sur/ compter pour etc...).
Bref, je crois qu'il faut faire apprendre le français comme on fait apprendre n'importe quelle autre langue vivante. Le plus difficile, c'est de simplifier pour se mettre à la portée des élèves et de ne jamais oublier de s'appuyer sur leurs acquis car ils savent des choses !
En écrivant ces lignes, je ne puis m'empêcher de penser à ce fameux prédicat qui a disparu aussi vite qu'il est apparu (fort heureusement) alors que certains se demandaient comment on avait pu enseigner jusqu'à présent la langue sans le fameux prédicat. Quel gâchis !
Encore merci pour ce partage et bonnes vacances.
En ce qui me concerne je n'enseigne qu'en 6ème le français depuis longtemps et toujours avec autant de plaisir (et parfois de frustration voire de désarroi quand je constate que certains élèves n'ont jamais entendu parler de Charles Perrault mais c'est une autre histoire...).
Je choisis de mettre l'accent sur la langue dès les premières heures de cours et de charger la barque durant la première moitié de l'année, la seconde moitié, je renforce les acquis mais rien d'essentiel.
Je commence par la phrase - le nerf de la guerre- et j'apprends aux élèves à rédiger une phrase complète en m'appuyant sur un questionnaire qui porte sur un roman facile d'accès à lire à la maison.
J'initie très vite les élèves à la notion de proposition et de phrase complexe dans la foulée. Il me suffit de compléter une phrase simple en faisant ajouter une action (on constate que le verbe est le noyau) et on enregistre qu'il est possible de relier les propositions par une ponctuation faible ou un petit mot. Les élèves connaissent déjà pour certains du moins conjonctions de coordination et j'ose le mot subordonnée si je sens que la classe peut suivre.
Je profite de l'étude de la phrase pour en disséquer les parties : GN et c'est là que je parle des différents déterminants, du verbe et du complément de verbe (GV) voire déjà du complément de phrase. Ex. d'un manuel : Mathilde lit (passionnément)des romans (très gros)(de V.Hugo)(à la bibliothèque)(le samedi matin). Tout est dans cette phrase !
Je m'appuie sur l'étymologie ( adverbe, à côté du verbe)(complément/compléter)
Formes et types de phrases et petite expression écrite à partir du commentaire oral d'un tableau célèbre La diseuse de bonne aventure qui me permet de dire un mot de la ponctuation du dialogue.
Aucune heure de cours ou presque sans le rite de l'orthographe grammaire à l'oral oui l'écrit (phrase du jour).
Je fais apprendre des listes entières de mots. Pourquoi serait-ce l'apanage du primaire ?
Découverte des différents types de dictionnaires avec le professeur documentaliste qui me permet de travailler sur les antonymes/ synonymes etc homophones à partir de courts et fréquents petits exercices d'écriture (type Queneau)(poésies basées sur des jeux de mots variés).
Pour l'étude du verbe, je suggère moi aussi de mêler temps simple / temps composé. Et c'est là qu'on peut différencier é/er (on y revient une fois par semaine car les bons réflexes ne se font plus) et on repère un verbe dans une phrase (les mots écrans posent problème).
Je me concentrerais uniquement sur l'accord avec l'auxiliaire être, en parallèle avec l'attribut du sujet (même fonctionnement).
Pour le verbe je pars du latin; je ne sépare pas présent indicatif et impératif puisque la conjugaison (les formes) est quasiment identique. Je privilégie la régularité des formes.
Je travaille sur les formes qui se ressemblent je fis/fus serai/saurai je mangeai/mangeais/mangerai/mangerais
Les élèves doivent connaître par coeur les 10 verbes les plus usités et je ne transige pas (voir à ce sujet les attendus de fins d'année, une vraie bible, bien faite, pour tous les niveaux et publiés -enfin- au coeur de cet été).
J'apprends très vite à distinguer nom et verbe travailler/il travaille.
En un mot, je prends le temps de poser les jalons et je fais en sorte que l'essentiel soit vu d'ici janvier février. Ensuite, il est plus difficile pour les élèves d'être concentrées (retour du beau temps, cours qui sautent avec les ponts successifs...).
Beaucoup d'exercices de transformation ( raccourcir, agrandir une phrase, remplacer un nom par un pronom, trouver des synonymes, jouer sur les constructions verbales : compter/ compter sur/ compter pour etc...).
Bref, je crois qu'il faut faire apprendre le français comme on fait apprendre n'importe quelle autre langue vivante. Le plus difficile, c'est de simplifier pour se mettre à la portée des élèves et de ne jamais oublier de s'appuyer sur leurs acquis car ils savent des choses !
En écrivant ces lignes, je ne puis m'empêcher de penser à ce fameux prédicat qui a disparu aussi vite qu'il est apparu (fort heureusement) alors que certains se demandaient comment on avait pu enseigner jusqu'à présent la langue sans le fameux prédicat. Quel gâchis !
Encore merci pour ce partage et bonnes vacances.
- *Ombre*Grand sage
Complément de verbe et complément de phrase sont des terminologies qui ont été abandonnées car inadéquates dans le secondaire. Il est d'ailleurs assez curieux de les trouver sous la plume d'un LC qui a besoin, pour l'enseignement des langues anciennes, de la notion exacte d'objet.
Je te ferai d'ailleurs observer au passage que, dans ta phrase de référence, tu peux parfaitement mettre entre parenthèses "des romans" et que "Martine lit" est un énoncé parfaitement correct. C'est entre autres à cause de semblables considérations qu'on a abandonné ces notions caduques, fondées sur de hasardeux critères de distribution, pour en revenir à la construction des verbes et aux COD et COI.
Je te ferai d'ailleurs observer au passage que, dans ta phrase de référence, tu peux parfaitement mettre entre parenthèses "des romans" et que "Martine lit" est un énoncé parfaitement correct. C'est entre autres à cause de semblables considérations qu'on a abandonné ces notions caduques, fondées sur de hasardeux critères de distribution, pour en revenir à la construction des verbes et aux COD et COI.
- CedricNiveau 6
OS a écrit:Bonjour et chapeau pour ce travail !!
Je viens de le survoler (faute de temps pour l'instant :-) ). Ma première question est de savoir combien de temps tu consacres à l'étude de la langue par semaine ?
Odile
Pardon, je ne m'étais pas connecté depuis un moment. Je consacre 2h par semaine à la langue mais je peine à boucler. Pour l'instant j'arrive à faire 18-19 leçons par an... J'essaie chaque année de faire plus mais c'est difficile.
- CedricNiveau 6
miss sophie a écrit:Merci pour le partage. Est-ce une progression que tu arrives à tenir ? J'hallucine du temps que je passe en révisions chaque année...
Comme je disais, pas en entier malheureusement... Mais je m'améliore chaque année. Je vais peut-être arriver à la boucler un jour en ajustant un peu (moins d'écrit dans une leçon, un exercice plutôt à trous...)
- CedricNiveau 6
liskaya a écrit:minette74 a écrit:Merci Cédric !
En 6e, je n'ai pas compris comment tu traites les phrases simples/complexes, en début et en fin d'année. En ce qui me concerne, je n'en parle qu'en fin d'année.
Je commence aussi comme ça. Pour ma part, je distingue juste phrase simple (un seul verbe conjugué) et phrase complexe (plusieurs verbes conjugués). Je ne vais pas plus loin.
Bravo Cédric pour ce travail ! C'est une progression que tu a déjà suivi ou c'est un projet ?
Je n'ai regardé que les 6e, mais ça me semble hyper ambitieux !
En fin d'année je compte évoquer l'idée de la juxtaposition, de la coordination et rappeler la notion de proposition dans une idée spiralaire mais pour l'instant suis pas arrivé au bout...
- sensiferNiveau 5
Bonjour tout le monde,
Je me permets d'exhumer ce fil puisque je cherchais des idées pour faire ma propre progression. Est-ce que quelqu'un a réussi à faire la progression de Cédric?
Bon courage à tous!
Je me permets d'exhumer ce fil puisque je cherchais des idées pour faire ma propre progression. Est-ce que quelqu'un a réussi à faire la progression de Cédric?
Bon courage à tous!
- CésarionNiveau 6
Lors de la réforme du collège, j'avais suivi un stage sur la langue organisé par les IP-R de lettres de mon académie. Voici le résultat final :
1/ LA PHRASE
en AP ou en classe entière
Qu'est-ce qui relève de la phrase, qu'est-ce qui ne l'est pas ?
Partir de ce que savent les élèves, de corpus (oral, livre audio, définitions, travaux d'élèves… pour ménager des pauses) : on pose des jalons.
Exemple : distinguer une phrase comme le propose le manuel dans un récit, dans un poème, et un extrait de théâtre
2/LES GRANDS CONSTITUANTS DE LA PHRASE CANONIQUE
Groupe sujet – prédicat
manipulation, réduction de phrase (phrase minimale : amplifier, réduire, reformuler)
3/ LE VERBE (lors du chapitre sur le conte par exemple)
Qu'est-ce qu'un verbe ? Sa nature, ses caractéristiques, ses variations
comparaison nom et verbe, exemple : « il crie un cri, il travaille le travail »
variations communes et spécifiques avec le nom : genre/nombre ; personne/temps/mode
morphologie : radical et terminaison, comparer les temps (temps simples et composés), activité de réécriture avec changement de temps
4/ ACCORD SUJET-VERBE : orthographe et grammaire en même temps
sujet-prédicat
partir des corpus (textes étudiés en classe, travaux d'élèves…)
Qu'est-ce qui peut être sujet ? (les différentes classes)
un sujet, plusieurs sujets, sujet inversé
5/ LES PRONOMS PERSONNELS
exemple : partir d'un texte, de qui s'agit-il ?
L'énonciation au théâtre, bulles de bande dessinée
pour élargir le champ du possible : il neige/il faut travailler
pronom personnel sujet, pour continuer à travailler sur l'accord
6/COMPLEMENTS DE VERBE/PRONOMS COMPLEMENTS
groupe prédicat (Paul joue son match, Paul joue du piano)
pronominaliser (Paul y joue)
verbes transitifs, intransitifs, attributifs
substitution avec les pronoms compléments : il les regarde, il les a regardés (accord du participe passé)
partir des corpus : travaux d'élèves
7/COMPLEMENTS DE PHRASE
8/RETOUR A LA DEFINITION PREMIERE DE LA PHRASE ET ENRICHISSEMENT
travail sur un schéma ou une carte mentale avec des couleurs : enrichissement de la phrase canonique
Point de vigilance : évoquer les grands points en langue n'empêche pas de bifurquer parfois (excursion approfondie ou ponctuelle : travail à partir des copies ou des brouillons ; ouvrir une leçon et la reprendre plus tard, cahier ou classeur?)
Place de l'accompagnement personnalisé et classe entière (concertation entre collègues)
distinguer ce qu'on doit avoir vu à tout prix, ce qu'on peut laisser en chemin, les invariants
partir de ce que les élèves savent déjà et d'un corpus :
-textes divers
-articles de dictionnaire
-activités d'écriture et d'oral
Ce qui compte, c'est le système de la langue, ne pas trop se perdre dans les détails.
Je vais le retoucher toutefois à la lumière de ce que j'ai pu lire sur internet, ici :
http://www.lettresnumeriques.com/2018/08/quoi-ma-langue-qu-est-ce-qu-elle-a-ma-langue-grammaire-cycle-3-6eme.html
1/ LA PHRASE
en AP ou en classe entière
Qu'est-ce qui relève de la phrase, qu'est-ce qui ne l'est pas ?
Partir de ce que savent les élèves, de corpus (oral, livre audio, définitions, travaux d'élèves… pour ménager des pauses) : on pose des jalons.
Exemple : distinguer une phrase comme le propose le manuel dans un récit, dans un poème, et un extrait de théâtre
2/LES GRANDS CONSTITUANTS DE LA PHRASE CANONIQUE
Groupe sujet – prédicat
manipulation, réduction de phrase (phrase minimale : amplifier, réduire, reformuler)
3/ LE VERBE (lors du chapitre sur le conte par exemple)
Qu'est-ce qu'un verbe ? Sa nature, ses caractéristiques, ses variations
comparaison nom et verbe, exemple : « il crie un cri, il travaille le travail »
variations communes et spécifiques avec le nom : genre/nombre ; personne/temps/mode
morphologie : radical et terminaison, comparer les temps (temps simples et composés), activité de réécriture avec changement de temps
4/ ACCORD SUJET-VERBE : orthographe et grammaire en même temps
sujet-prédicat
partir des corpus (textes étudiés en classe, travaux d'élèves…)
Qu'est-ce qui peut être sujet ? (les différentes classes)
un sujet, plusieurs sujets, sujet inversé
5/ LES PRONOMS PERSONNELS
exemple : partir d'un texte, de qui s'agit-il ?
L'énonciation au théâtre, bulles de bande dessinée
pour élargir le champ du possible : il neige/il faut travailler
pronom personnel sujet, pour continuer à travailler sur l'accord
6/COMPLEMENTS DE VERBE/PRONOMS COMPLEMENTS
groupe prédicat (Paul joue son match, Paul joue du piano)
pronominaliser (Paul y joue)
verbes transitifs, intransitifs, attributifs
substitution avec les pronoms compléments : il les regarde, il les a regardés (accord du participe passé)
partir des corpus : travaux d'élèves
7/COMPLEMENTS DE PHRASE
8/RETOUR A LA DEFINITION PREMIERE DE LA PHRASE ET ENRICHISSEMENT
travail sur un schéma ou une carte mentale avec des couleurs : enrichissement de la phrase canonique
Point de vigilance : évoquer les grands points en langue n'empêche pas de bifurquer parfois (excursion approfondie ou ponctuelle : travail à partir des copies ou des brouillons ; ouvrir une leçon et la reprendre plus tard, cahier ou classeur?)
Place de l'accompagnement personnalisé et classe entière (concertation entre collègues)
distinguer ce qu'on doit avoir vu à tout prix, ce qu'on peut laisser en chemin, les invariants
partir de ce que les élèves savent déjà et d'un corpus :
-textes divers
-articles de dictionnaire
-activités d'écriture et d'oral
Ce qui compte, c'est le système de la langue, ne pas trop se perdre dans les détails.
Je vais le retoucher toutefois à la lumière de ce que j'ai pu lire sur internet, ici :
http://www.lettresnumeriques.com/2018/08/quoi-ma-langue-qu-est-ce-qu-elle-a-ma-langue-grammaire-cycle-3-6eme.html
- *Ombre*Grand sage
à propos de complément de verbe / complément de phrase
- Spoiler:
- La grammaire au collège : les termes du débat
Lorsque M. Blanquer est arrivé au Ministère de l’Education Nationale, il s’est répandu dans les médias en déclarations d’amour pour la grammaire. Il a dénoncé – non sans raisons – les renoncements en matière de contenus engendrés par la réforme « Collège 2016 » et publié quelques mois après son arrivée de nouveaux textes officiels qui restauraient bien des apprentissages passés par pertes et profits et revenaient à une terminologie grammaticale classique – autant de choses qui ne coûtent rien et étaient propres à rassurer des enseignants de Lettres fortement échaudés.
Cette volonté de clarifier la nomenclature était sans doute nécessaire. En effet, si les causes de la déshérence linguistique qui afflige nos élèves sont multiples, les errements terminologiques que l’on a connus ces dernières années ne les ont guère aidés à fixer des connaissances. Pour évoquer le seul complément d’objet, les actuels collégiens ont entendu parler de prédicat, de complément de verbe, complément essentiel, et enfin de complément d’objet. Que peuvent-ils en retenir ? Rien. Le Ministre a donc tranché. Il a enterré le prédicat qui venait à peine d’être introduit dans les programmes et réaffirmé les notions de complément d’objet et complément circonstanciel, contre les nébuleux « compléments de phrase » ou « de verbe ».
Nous aurions pu espérer que ces nouveaux textes auraient eu pour souci de créer en matière de nomenclature une stabilité indispensable à l’assimilation des concepts par de jeunes esprits ; mieux, que cette nomenclature fût le résultat d’une réflexion sur ces concepts et la meilleure manière d’y faire accéder les élèves. Or, il n’en fut rien.
Dix-huit mois plus tard, la DGESCO publie une terminologie grammaticale qui entre en contradiction avec la terminologie officielle sur bien des points sur lesquels nous ne nous étendrons pas (par exemple le statut du conditionnel ou la nomenclature relative aux subordonnées) et qui surtout vient bousculer encore l’enseignement de la grammaire. En effet, cette grammaire confère à la notion de complément d’objet une extension telle que le concept traditionnel utilisé par les professeurs vole en éclats. Ainsi, dans « Je vais à Paris », elle analyse « à Paris » comme un COI, semant l’incompréhension jusque chez les tenants du complément essentiel de lieu.
Ainsi, face à une nomenclature qui reste désespérément fluctuante et des injonctions de plus en plus inconciliables, les professeurs n’ont plus que leur jugement pour opérer des choix raisonnés : quels termes utiliser dans l’enseignement de la grammaire ? A quelle conception de la pédagogie et quelles représentations des élèves ces choix renvoient-ils ?
COD, COI et transitivité : un objet qui a du sens
Opérer des choix terminologiques en grammaire n’est pas anodin. Derrière ces choix, il y a une conception de la langue, mais aussi de son enseignement. L’acronyme COD (ou son corollaire, le COI) renvoie à des mots qui font sens, y compris pour de jeunes élèves. Le nom complément signifie « qui complète », le nom objet a le sens qu’il a dans être l’objet de (d’amour, d’attention, d’attaques…), c’est-à-dire qu’il désigne la personne ou la chose sur laquelle s’exerce l’action ; la mention direct ou indirect renvoie à la construction de ce complément, médiée ou non par une préposition. La notion de COD est donc liée à la construction du verbe, à la notion de transitivité ou, au contraire, d’intransitivité. Ces constructions ne sont d’ailleurs pas figées (un même verbe peut avoir des emplois transitifs ou intransitifs) et donnent lieu à des réflexions intéressantes et un travail sur le sens. Par exemple, le verbe décliner n’a pas le même sens dans son emploi intransitif (Mes parents commencent à décliner) et dans son emploi transitif (Nous avons décliné son invitation) ; d’un point de vue grammatical, ce n’est pas exactement la même chose que de dire J’habite une maison avec jardin ou J’habite dans une maison avec jardin. Dans le premier cas, on fait mention du lieu que l’on occupe : j’habite une maison avec jardin par opposition à un appartement, une grotte ou un manoir doté d’un parc de plusieurs hectares. La maison est bien l’objet de l’action d’habiter, au sens d’occuper un lieu, et le verbe est considéré comme transitif. Dans le deuxième cas, on précise non l’objet d’une action, mais le lieu où se déroule l’action de résider. Le verbe est considéré comme intransitif et le complément comme un complément de lieu (traditionnellement dit « circonstanciel ») . L’on pourrait d’ailleurs y insérer un COD : J’habite une chambre meublée dans une maison avec jardin, ou : J’habite un deux-pièces dans une maison avec jardin. Et la place des mots, qui est régie, en français, par toutes sortes de règles en concurrence les unes avec les autres (place figée du pronom, progression thématique qui va du connu à l’inconnu, mises en relief, évitement d’ambiguïtés…) n’entre pas en compte. Déplacer les termes de la phrase ne changera pas les rapports qu’ils entretiennent entre eux, ni leur fonction, au sens le plus courtant du terme (indiquer un lieu, un moment, l’objet de l’action). Dans cette approche, chercher la fonction d’un groupe, c’est chercher, comme son nom l’indique, le rôle de ce groupe dans la phrase, son apport sémantique et le lien qu’il entretient avec les autres termes de la phrase, et pas décrire ses propriétés distributionnelles supposées. Le mot fonction a ici un sens qui parle aux élèves, qui est, somme toute, celui du langage courant.
L’on a donné délibérément un exemple délicat, où l’objet pourrait être confondu avec le lieu, pour montrer que, même dans de tels cas, le plus souvent, l’analyse précise de la construction du verbe en relation avec son sens permet de trancher. On remarque en outre que ces compléments ne sont pas repris par les mêmes pronoms interrogatifs ou relatifs. On dira, selon les cas, la maison que j’habite (pronom relatif COD) ou la maison où j’habite (pronom relatif complément de lieu). Mais en général, surtout quand le professeur y veille dans un souci de pédagogie, l’analyse de la construction des verbes est relativement simple. Un verbe est transitif (à l’exclusion des verbes d’état) quand on peut dire « quelque chose » ou « quelqu’un » après le verbe. On dit manger quelque chose, vouloir quelque chose, abimer quelque chose, prendre quelque chose, aimer quelqu’un, appeler quelqu’un : ce sont des verbes transitifs et le COD, c’est cette chose ou cette personne, tout simplement. Parfois, une préposition se glisse entre le verbe et l’objet (généralement à ou de) – penser à quelqu’un, se souvenir de quelque chose, dépendre de quelque chose : ce sont alors des COI. Cette façon de présenter les choses est somme toute assez simple, et, d’expérience, elle permet à tous les élèves d’identifier un COD ou un COI avec assurance en partant de la construction du verbe et en s’appuyant sur le sens de la phrase.
Ce dernier point est tout sauf anecdotique. C’est au contraire le seul moyen de parvenir peu à peu à une appropriation des concepts et à une automatisation de la reconnaissance des groupes fonctionnels. L’élève s’appuie sur la connaissance du verbe, de sa construction dans la langue courante qui lui est familière, et sur sa compréhension de la phrase pour trouver le COD. En procédant ainsi, même un médiocre élève de 6e trouve facilement le COD dans des phrases aussi alambiquées que Le lutin donna à la princesse endormie depuis cent ans dans son lit d’ivoire et d’argent un anneau d’or avant de s’enfuir discrètement, ou La princesse le serra délicatement entre ses doigts fins aux ongles brillants, juste en se rappelant qu’on dit donner quelque chose, serrer quelque chose, et en se demandant quelle est cette chose dans la phrase.
C’est parce qu’elle ne requiert rien d’autre que la compréhension de la phrase que cette démarche peut être progressivement automatisée, passer au rang de réflexe – ce qui est indispensable si l’on veut construire d’autres apprentissages nécessitant l’identification sûre du COD : l’emploi du bon pronom relatif, l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir – ou tout simplement la compréhension de tout énoncé.
En effet, un autre avantage de cette démarche, et non des moindres, est qu’elle oblige à faire attention au sens de la phrase. On ne cesse de nous répéter, enquête après enquête, à quel point nos élèves sont mauvais en lecture et compréhension. Les raisons de cette médiocrité sont nombreuses et excèdent le propos de ce texte, mais l’une de ces raisons nous intéresse ici : bien des élèves ne prêtent pas attention aux pronoms, ces « petits mots » si discrets, qui ressemblent souvent à des articles à peu près vides de sens, et ils perdent ainsi la chaîne référentielle, ne comprennent plus qui fait quoi. Or, la démarche décrite ci-dessus, parce qu’elle lie intimement le sens et l’analyse, oblige à faire attention à ces pronoms, à en élucider la référence, et permet de construire des compétences solides en grammaire, mais aussi d’améliorer sa compréhension.
Je remarque incidemment que c’est cette démarche qu’utilise le lecteur expert face à un texte difficile. Je lisais récemment un roman de Pierre Michon, auteur contemporain à la langue riche et aux tournures étudiées, qui emploie volontiers toutes sortes d’inversions syntaxiques. Le sens d’une phrase, à première lecture, m’échappa. Que croyez-vous que je fis alors ? Pensez-vous que je tentai de déplacer quoi que ce soit dans une phrase déjà fort emmêlée ? Non, je pratiquai bravement ce que j’enseigne à mes élèves : repartir du verbe, de sa construction, chercher son complément d’objet en m’appuyant sur ce qui faisait sens ou non – et la phrase s’éclaira.
Nous ne devrions pas perdre de vue, quand nous enseignons la langue, que notre but n’est pas de former des élèves capables de travailler sur des phrases écrites ad hoc, mais des élèves capables de tout lire, y compris, un jour, Proust ou Pierre Michon. Pense-t-on sérieusement que déplacer un groupe dans une phrase de Proust leur sera d’une quelconque utilité pour mieux comprendre celle-ci ?
Belle marquise, vos compléments mourir me font
Hélas ! il ne faut pas attendre d’être confronté à Proust pour voir les élèves patauger dans l’analyse.
Quelle est donc cette autre démarche qui choisit de parler non de COD et de compléments (circonstanciels) de lieu, de temps, de manière, mais de compléments essentiels (ou de verbe) et facultatifs (ou de phrase) ? C’est une démarche qui se fonde sur les critères de distribution des compléments. Dans cette optique, l’on considère que tout complément qui ne peut être déplacé ou supprimé est un complément de verbe (ou encore complément essentiel). À l’inverse, un complément qui peut être déplacé et supprimé sera considéré comme un complément de phrase (ou encore facultatif, ou encore circonstanciel – la seule pluralité des termes employés dans cette démarche étant problématique). Dans cette logique, dans une phrase comme Je vais à Paris, attendu que l’on ne peut dire ni Je vais, point, ni À Paris je vais, on considère que « à Paris » est un complément essentiel du verbe aller. Mieux, la nouvelle terminologie publiée sur le site de l’Education Nationale considère qu’il s’agit d’un COI – et elle ne fait ainsi que pousser à son comble cette logique qui fonde l’analyse des fonctions sur de simples critères de distribution.
Il n’y a donc plus de différence syntaxique entre J’habite à Paris et J’habite un vieil immeuble haussmannien, puisqu’on ne peut dire ni J’habite tout court, ni À Paris j’habite, ni Un vieil immeuble haussmannien j’habite. Et peu importent dans le fond les différences de sens entre les deux compléments, ou le fait qu’ils ne soient pas repris par les mêmes pronoms. Cette grammaire se fonde exclusivement sur la place des éléments de la phrase et évacue complètement la question du sens.
Déroulons un peu cette logique.
Tout d’abord, l’on remarque que bien des COD ou COI peuvent parfaitement être supprimés sans altérer le sens du verbe : Je mange du pain. Je mange. Je réfléchis à cette question. Je réfléchis. Je continue ma réflexion. Je continue. Ce simple critère est totalement insuffisant, puisqu’un verbe transitif est un verbe qui PEUT avoir un complément d’objet mais que, dans bien des cas, ce complément peut être omis. Il ne reste donc, pour identifier un COD ou un COI, que le critère de déplacement.
On remarque en outre que les COI des verbes à double construction (parfois appelés compléments d’objet second) peuvent toujours être déplacés et supprimés : À son fils cadet, le meunier ne laissa que son chat, Le meunier ne laissa à son fils cadet que son chat, et Le meunier ne laissa que son chat sont autant de phrases correctes. On doit donc, en vertu des règles énoncées plus haut, en déduire que ce sont des compléments de phrase, ou complément circonstanciels, mais pas des compléments d’objet. Je ne saurais dire si l’absurdité de ce système va jusque-là (car cette même terminologie préconise bien de partir de la construction du verbe, sans s’émouvoir des contradictions qui s’ensuivent), en tout cas, l’on constate qu’il est impossible, à partir de ces critères de distribution, d’identifier correctement un COS. C’est pourtant ce que l’on attend de nos élèves. S’ils appliquent rigoureusement ce qu’on leur demande d’appliquer, ils ne peuvent qu’en conclure que les COS sont des compléments circonstanciels et pas des compléments d’objet. Et l’on se plaint ensuite qu’ils mélangent tout…
Nous n’avons pour l’instant envisagé que des compléments appelés par la construction du verbe (appelés par sa construction) et l’affaire paraît déjà fort embrouillée, tant il y a déjà d’exceptions aux principes définissant les compléments essentiels.
Poursuivons.
Le petit chat boit du lait dans son bol.
Le petit chat boit du lait.
Le petit chat boit dans son bol.
Le petit chat boit.
* Dans son bol, le petit chat boit du lait.
* Le petit chat, dans son bol, boit du lait.
* Le petit chat, du lait dans son bol boit.
(Si un léger vertige vous saisit à la lecture des dernières phrases, c’est tout à fait normal. Sachez que ce vertige est supposé favoriser la réflexion.)
On constate que l’on peut supprimer « du lait », mais pas le déplacer. Mais bien qu’on puisse ici le supprimer (comme nous l’avons déjà remarqué, cette propriété est très instable), « du lait » est analysé comme COD : on dit boire quelque chose, l’action de boire s’exerce sur l’objet « du lait ». Certes, je n’en disconviens pas.
On constate que l’on peut dire exactement la même chose de « dans son bol » on peut le supprimer, mais pas le déplacer.
Or, l’on ne saurait, à partir des mêmes observations et des mêmes critères, tirer des conclusions différentes Il faut donc conclure, aussi absurde que cela puisse paraître, que « dans son bol » est un COI - ou alors les critères d’identification des groupes fonctionnels sont inopérants et conduisent à dire des âneries, car je n’ai fait que les appliquer rigoureusement.
Il en va de même avec la phrase : Ta saleté de chat a encore fait pipi sur mon paillasson. Quoique le paillasson désignât le lieu du scandale, en bonne logique, si « À Paris » est un COI, « sur mon paillasson » est un COI aussi, puisqu’on ne peut pas le déplacer, ni le supprimer, puisque le problème, chacun en conviendra, n’est pas que le chat ait fait pipi, ce qui n’est jamais que sacrifier aux vicissitudes de la nature, mais qu’il ait fait pipi sur mon paillasson. Paillasson, COI. Cette analyse a beau heurter le bon sens et la compréhension spontanée de la phrase, il en va ainsi.
On ne peut donc plus s’appuyer sur le sens des mots pour en fonder l’analyse : seuls les critères de distribution président à la détermination de la fonction des groupes, contre le sens, si nécessaire. « À Paris » est le lieu où je vais, mais c’est un complément d’objet, qu’on vous dit.
Les conséquences de ce divorce entre sens et syntaxe sont désastreuses. S’il est une chose que les élèves réussissaient à comprendre, il y a peu encore, dans l’étude des fonctions, c’était bien les compléments circonstanciels. Parce que chacun comprend aisément que, lorsqu’on dit Paul est parti à huit heures, ou Paul est parti pour Paris, ou Paul est parti en train, l’on précise tantôt le temps, tantôt le lieu, tantôt le moyen, et que ces groupes sont donc des compléments circonstanciels de temps, de lieu, de moyen. Mais tout devient mouvant et incertain si l’on considère que deux compléments exprimant la destination seraient, selon la nomenclature d’Eduscol, tantôt complément circonstanciel. En effet, dans un phrase comme Paul est allé de Marseille à Paris, comme on peut parfaitement supprimer et déplacer « de Marseille », « de Marseille » est complément circonstanciel de lieu, mais « à Paris » COI (s’il faut que je redise pourquoi, c’est que vous êtes comme les élèves : à ce stade, vous avez renoncé à comprendre). Bref, les élèves ne sont plus sûrs de rien, et la compréhension de la phrase ne leur est d’aucun secours : il leur faut se livrer aux sacro-saintes manipulations. Et là, leur désarroi est immense. C’est alors que l’on touche au grandiose et que le professeur voit jaillir les questions : Madame, Ta saleté de chat sur mon paillasson a fait pipi, ça se dit ou ça se dit pas ? Et En train Paul est parti ?
En effet, les élèves ne maîtrisent pas encore parfaitement la langue normée, et on leur demande d’identifier les catégories syntaxiques en déterminant a priori si un énoncé est correct ou non, alors que, souventes fois, ils n’en ont pas la moindre idée (et d’autant moins qu’ils viennent de milieux défavorisés, ce qui signifie qu’une fois de plus, cette démarche pénalise les élèves les plus en difficulté sur le plan linguistique). D’ailleurs, les seuls exemples ci-dessus suffisent à montrer que cette démarche produit un tel charabia que chacun y perd son latin, et les forums d’enseignants regorgent de questions destinées à savoir si tel énoncé est acceptable ou non, afin de déterminer si tel complément est essentiel ou pas. Si même des enseignants en Lettres n’y arrivent pas, que dire de nos pauvres élèves ?
Et surtout à quoi bon tout cela ? Quel est le but d’une analyse qui n’éclaire pas le sens de la phrase ? Qui ne permet pas de corriger la syntaxe, puisque la conscience du fait que telle tournure est correcte ou non doit présider à la détermination des fonctions ? On n’a cessé de parler, ces dernières années, de grammaire qui fasse sens. Mais je ne vois rien là qui puisse faire sens pour les élèves, ni dans la démarche qui contredit trop souvent le sens de la phrase, ni dans ses objectifs qui restent nébuleux.
Autre conséquence tout aussi grave de l’enseignement des fonctions à travers les seuls critères de distribution : cette démarche ne se contente pas de heurter le sens et de rendre extrêmement hasardeuse l’identification des fonctions syntaxiques, elle requiert des manipulations si complexes qu’il est impossible de les faire automatiquement. En d’autres termes, elle empêche la mise en place d’automatismes, la reconnaissance rapide et sûre des compléments d’objet et des compléments circonstanciels. Elle fait fi de nombreux autres critères syntaxiques (comme le fait que les pronoms interrogatifs ou relatifs utilisés pour reprendre un COD ou un complément circonstanciel ne sont pas les mêmes ou qu’un pronom complément circonstanciel, du simple fait de sa nature, ne pourra jamais être déplacé) et finit même par ruiner l’idée de construction du verbe sur laquelle la grammaire officielle prétend pourtant s’appuyer. En effet, la construction d’un verbe est fixe : On dit se souvenir de qqch, pas à, ni sur ou vers, dépendre de qqch. Si un verbe peut avoir plusieurs constructions, celles-ci affectent généralement son sens. Tenir qqch, ce n’est pas tenir à qqch, ni tenir de qqch. Aller est donné par tous les dictionnaires comme un verbe intransitif. L’emploi sans complément de lieu, s’il est rare (on juge généralement utile de préciser vers quel lieu l’on se déplace), existe : « Il allait, prenant tous les passages qui s’offraient à lui. » (Hugo, L’Homme qui rit) Faut-il demander au père Hugo de réviser sa copie ? Aller peut s’employer sans complément, mais aussi admettre toutes sortes de prépositions sans que son sens en soit affecté : aller à, vers, dans, sur, en haut de… Précisément parce que le complément ne fait pas partie de la construction du verbe. Il admet des compléments adverbiaux (aller dehors) alors que la fonction complément d’objet est censée être une fonction nominale (occupée par un nom ou son équivalent : un pronom, un verbe à l’infinitif, une proposition). Vouloir voir dans « À Paris » un COI du verbe aller, c’est fouler aux pieds la construction du verbe, l’emploi des pronoms, brouiller complètement la frontière entre complément d’objet et complément circonstanciel (on l’a vu plus haut : à peu près tout et n’importe quoi peut devenir COI – sauf le COS qui en est justement un), tourner le dos au sens des constituants de la phrase et empêcher finalement la construction de notions claires, réellement mobilisables dans le raisonnement.
L’emploi systématique des critères de déplacement pour identifier les fonctions enferme les élèves dans des manipulations embrouillées et hasardeuses, les habitue au charabia et ne permet finalement pas, même quand on les applique avec habileté, de parvenir au but. Pourtant, partir réellement de la construction du verbe (on dit boire qqch, prendre qqch, se souvenir de qqch, mais pas aller qqch ni même à qqch) était relativement simple et permettait la mise en place d’automatismes, l’accès à de véritables concepts, et une attention permanente au sens de la phrase qui venait en soutien de l’analyse.
Comment en sommes-nous arrivés à une complexité aussi folle et, surtout, à une telle inefficacité ? Quelles représentations des élèves ont présidé à la mise en œuvre et l’imposition Urbi et orbi d’une telle démarche – au point que, de façon totalement illégitime, cette démarche, qui devrait rester un choix pédagogique libre, est inscrite dans les programmes ?
De la manipulation à la supercherie
Je quitte ici le champ de l’analyse des méthodes promues dans ma discipline pour me risquer à une hypothèse sur les présupposés qui sous-tendent ces méthodes.
De mon seul point de vue d’enseignante, je ne peux que constater une convergence troublante dans les transformations pédagogiques qui se sont opérées dans plusieurs disciplines. On est allé, quoi qu’on en dise, vers toujours moins d’abstraction et de raisonnement au profit du concret. En sciences, c’est la vogue des expérimentations, des Main à la Pâte et autres FabLab. Les Lettres n’ont pas échappé à ce mouvement général et l’on a vu apparaître la mode des manipulations, censées rendre concrètes et observables les règles qui régissent le fonctionnement de la langue (et dont on a vu l’efficacité). Les Instructions Officielles insistent sur le fait que ces manipulations sont supposées favoriser le raisonnement. Mais outre que l’on ne voit pas bien en quoi une autre approche, par exemple celle qui se base strictement sur la construction des verbes, la notion de transitivité et le sens des compléments, empêcherait le raisonnement, on a montré ci-dessus comment cette démarche embrouillée fait finalement obstacle au raisonnement. En géométrie, on fait construire aux élèves toutes sortes de figures, sur papier ou par logiciel, en pliage et découpage – mais en fait de raisonnement, on a abandonné les démonstrations. Cela dit beaucoup, non des intentions, sans doute, mais du résultat obtenu.
Comme je ne suis qu’une modeste enseignante et que mon point de vue n’embrasse qu’un horizon restreint, je préfère laisser la parole, sur ce sujet, à plus expert que moi. Le sociologue Jean-Pierre Terrail a analysé, dans son essai Pour une école de l’exigence intellectuelle, ce qu’il appelle « le présupposé déficitariste » qui a présidé aux grandes réformes pédagogiques des années 70-80. L’école, selon ses observations, a dû repenser ses pratiques avec la massification de l’enseignement, mais ces transformations se sont accompagnées de l’idée que les classes populaires de plus en plus représentées au collège et au lycée n’étaient pas capables d’atteindre les mêmes objectifs que les autres, en tout cas pas de la même manière, pas de façon aussi abstraite. Depuis lors, nous sommes entraînés dans un mouvement continu vers toujours plus de concret, toujours plus de projets, de ludique, sous couvert de « donner du sens aux apprentissages ». Dans un article de L’Humanité, le philosophe Marcel Gauchet commente cette théorie de Terrail : « L’un des intérêts du livre de Jean-Pierre Terrail est de montrer que sous l’effet du « paradigme déficitariste », notre système scolaire est dans l’erreur depuis quarante ans. Elle méconnaît le principe d’égalité des intelligences et fonctionne sur une idée fausse du fonctionnement de l’esprit humain. Toute connaissance s’appuie sur des concepts. Or, notre enseignement a opté pour le refus de l’abstraction, considérant que « cela va leur passer au-dessus de la tête ». En théorie, on part de ce que les élèves sont capables de comprendre, ce qui est bien, mais en pratique on les laisse là où ils en sont. »
Refus de l’abstraction. C’est bien de cela qu’il s’agit. Parce qu’on présuppose les élèves – certains élèves en tout cas – incapables (« cela va leur passer au-dessus de la tête »), on leur confisque cet accès essentiel à l’abstraction, on les enferme dans le concret des « manipulations ». Ce passage par le concret a beau être présenté comme une étape censée faciliter le raisonnement, la réalité est que, pour beaucoup d’élèves, « on les laisse là où ils sont ». En grammaire, en tout cas, on a monté une telle usine à gaz qu’on a embrouillé ce que l’on voulait éclairer et que l’on ne permet plus aux élèves d’accéder à un raisonnement sûr, qui leur permettrait non seulement d’écrire correctement (on a suffisamment déploré l’effondrement des compétences orthographiques des élèves), mais surtout d’accéder pleinement au logos, à la pensée.
Pour conclure
La valse des terminologies qui se sont succédé depuis des années pourrait paraître seulement agaçante. J’ai parfois entendu dire en salle de professeurs : « Mais qu’ils décident une bonne fois pour toute, dans un sens ou dans l’autre, peu importe, mais qu’ils arrêtent de nous changer la grammaire tous les deux ans ! »
Il importe pourtant.
L’adoption d’une nomenclature n’est pas anodine. En creux, celle trace-ci une démarche pédagogique, et elle se fonde sur une certaine conception de l’élève.
Faire le choix de parler de complément essentiel ou facultatif, ou celui de considérer « à Paris » comme COI, c’est faire le choix de fonder l’identification de ces catégories syntaxiques sur des critères de déplacement / suppression dont on voit peu l’intérêt, qui ne disent rien sur le sens des éléments de la phrase et écrasent même des différences sémantiques essentielles. C’est condamner les élèves à des tripatouillages hasardeux – et finalement inefficaces – sans leur permettre d’abstraire aucun concept pourtant indispensable à une réelle réflexion. C’est les priver de l’accès à la pensée conceptuelle et s’indigner ensuite qu’ils raisonnent avec tant de peine.
Choisir de parler de complément d’objet direct et indirect et de complément circonstanciel, dans l’extension traditionnelle de ces termes, en se fondant sur les notions de transitivité et d’intransitivité, sans s’enliser dans d’inextricables manipulations, c’est choisir de porter attention à ce qui est écrit (et pas à ce qu’on aurait pu écrire) jusque dans les effets de style ; c’est employer des termes qui ont un sens (le lieu est le lieu, le temps est le temps, l’objet est l’objet) et donc articuler en permanence analyse et sens. C’est surtout faire le choix de ne pas réduire l’enseignement de la grammaire à un catalogue de propriétés scabreuses mais d’en faire le lieu du développement de concepts, parce que la pensée a besoin des concepts. C’est s’inscrire dans l’héritage de la Grèce qui faisait de la grammaire la propédeutique à la philosophie, une étape essentielle à la plus noble mise en œuvre de la skholè.
On l’aura compris, entre ces deux démarches, entre ces terminologies différentes, les membres de SLL ont fait leur choix. Parce que nous croyons tous les élèves capables par nature d’accéder à l’abstraction. Parce que nous croyons que cet accès à l’abstraction est essentiel pour développer le raisonnement et ne saurait être escamoté sans dommages. Parce que c’est notre mission, de développer le raisonnement de nos élèves, et que les professeurs peuvent la mener à bien si on leur en donne les moyens.
Une nomenclature bien pensée est un de ces moyens.
- CésarionNiveau 6
J'aurais dû retoucher cette progression avant de l'envoyer, un peu hâtivement, je l'avoue, sur neo, pour ne pas m'attirer les foudres de tel ou tel. Il faut dire que je l'ai bien cherché.
Bien entendu, je ne parle plus de prédicat (que le corps d'inspection de lettres de mon académie présentait à l'époque comme une vraie révolution dans l'enseignement de la grammaire) depuis longtemps, notamment, et les COD et autres compléments ont repris, fort heureusement, ce nom dans mes cours de LCA.
D'ailleurs, je suis pas à pas la bible de cette grammaire publiée en pdf sur eduscol :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Programmes/52/6/Livre_Terminologie_grammaticale_web_1308526.pdf
Bien entendu, je ne parle plus de prédicat (que le corps d'inspection de lettres de mon académie présentait à l'époque comme une vraie révolution dans l'enseignement de la grammaire) depuis longtemps, notamment, et les COD et autres compléments ont repris, fort heureusement, ce nom dans mes cours de LCA.
D'ailleurs, je suis pas à pas la bible de cette grammaire publiée en pdf sur eduscol :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Programmes/52/6/Livre_Terminologie_grammaticale_web_1308526.pdf
- Clecle78Bon génie
Très intéressant cet article. Merci Ombre !*Ombre* a écrit:à propos de complément de verbe / complément de phrase
- Spoiler:
La grammaire au collège : les termes du débat
Lorsque M. Blanquer est arrivé au Ministère de l’Education Nationale, il s’est répandu dans les médias en déclarations d’amour pour la grammaire. Il a dénoncé – non sans raisons – les renoncements en matière de contenus engendrés par la réforme « Collège 2016 » et publié quelques mois après son arrivée de nouveaux textes officiels qui restauraient bien des apprentissages passés par pertes et profits et revenaient à une terminologie grammaticale classique – autant de choses qui ne coûtent rien et étaient propres à rassurer des enseignants de Lettres fortement échaudés.
Cette volonté de clarifier la nomenclature était sans doute nécessaire. En effet, si les causes de la déshérence linguistique qui afflige nos élèves sont multiples, les errements terminologiques que l’on a connus ces dernières années ne les ont guère aidés à fixer des connaissances. Pour évoquer le seul complément d’objet, les actuels collégiens ont entendu parler de prédicat, de complément de verbe, complément essentiel, et enfin de complément d’objet. Que peuvent-ils en retenir ? Rien. Le Ministre a donc tranché. Il a enterré le prédicat qui venait à peine d’être introduit dans les programmes et réaffirmé les notions de complément d’objet et complément circonstanciel, contre les nébuleux « compléments de phrase » ou « de verbe ».
Nous aurions pu espérer que ces nouveaux textes auraient eu pour souci de créer en matière de nomenclature une stabilité indispensable à l’assimilation des concepts par de jeunes esprits ; mieux, que cette nomenclature fût le résultat d’une réflexion sur ces concepts et la meilleure manière d’y faire accéder les élèves. Or, il n’en fut rien.
Dix-huit mois plus tard, la DGESCO publie une terminologie grammaticale qui entre en contradiction avec la terminologie officielle sur bien des points sur lesquels nous ne nous étendrons pas (par exemple le statut du conditionnel ou la nomenclature relative aux subordonnées) et qui surtout vient bousculer encore l’enseignement de la grammaire. En effet, cette grammaire confère à la notion de complément d’objet une extension telle que le concept traditionnel utilisé par les professeurs vole en éclats. Ainsi, dans « Je vais à Paris », elle analyse « à Paris » comme un COI, semant l’incompréhension jusque chez les tenants du complément essentiel de lieu.
Ainsi, face à une nomenclature qui reste désespérément fluctuante et des injonctions de plus en plus inconciliables, les professeurs n’ont plus que leur jugement pour opérer des choix raisonnés : quels termes utiliser dans l’enseignement de la grammaire ? A quelle conception de la pédagogie et quelles représentations des élèves ces choix renvoient-ils ?
COD, COI et transitivité : un objet qui a du sens
Opérer des choix terminologiques en grammaire n’est pas anodin. Derrière ces choix, il y a une conception de la langue, mais aussi de son enseignement. L’acronyme COD (ou son corollaire, le COI) renvoie à des mots qui font sens, y compris pour de jeunes élèves. Le nom complément signifie « qui complète », le nom objet a le sens qu’il a dans être l’objet de (d’amour, d’attention, d’attaques…), c’est-à-dire qu’il désigne la personne ou la chose sur laquelle s’exerce l’action ; la mention direct ou indirect renvoie à la construction de ce complément, médiée ou non par une préposition. La notion de COD est donc liée à la construction du verbe, à la notion de transitivité ou, au contraire, d’intransitivité. Ces constructions ne sont d’ailleurs pas figées (un même verbe peut avoir des emplois transitifs ou intransitifs) et donnent lieu à des réflexions intéressantes et un travail sur le sens. Par exemple, le verbe décliner n’a pas le même sens dans son emploi intransitif (Mes parents commencent à décliner) et dans son emploi transitif (Nous avons décliné son invitation) ; d’un point de vue grammatical, ce n’est pas exactement la même chose que de dire J’habite une maison avec jardin ou J’habite dans une maison avec jardin. Dans le premier cas, on fait mention du lieu que l’on occupe : j’habite une maison avec jardin par opposition à un appartement, une grotte ou un manoir doté d’un parc de plusieurs hectares. La maison est bien l’objet de l’action d’habiter, au sens d’occuper un lieu, et le verbe est considéré comme transitif. Dans le deuxième cas, on précise non l’objet d’une action, mais le lieu où se déroule l’action de résider. Le verbe est considéré comme intransitif et le complément comme un complément de lieu (traditionnellement dit « circonstanciel ») . L’on pourrait d’ailleurs y insérer un COD : J’habite une chambre meublée dans une maison avec jardin, ou : J’habite un deux-pièces dans une maison avec jardin. Et la place des mots, qui est régie, en français, par toutes sortes de règles en concurrence les unes avec les autres (place figée du pronom, progression thématique qui va du connu à l’inconnu, mises en relief, évitement d’ambiguïtés…) n’entre pas en compte. Déplacer les termes de la phrase ne changera pas les rapports qu’ils entretiennent entre eux, ni leur fonction, au sens le plus courtant du terme (indiquer un lieu, un moment, l’objet de l’action). Dans cette approche, chercher la fonction d’un groupe, c’est chercher, comme son nom l’indique, le rôle de ce groupe dans la phrase, son apport sémantique et le lien qu’il entretient avec les autres termes de la phrase, et pas décrire ses propriétés distributionnelles supposées. Le mot fonction a ici un sens qui parle aux élèves, qui est, somme toute, celui du langage courant.
L’on a donné délibérément un exemple délicat, où l’objet pourrait être confondu avec le lieu, pour montrer que, même dans de tels cas, le plus souvent, l’analyse précise de la construction du verbe en relation avec son sens permet de trancher. On remarque en outre que ces compléments ne sont pas repris par les mêmes pronoms interrogatifs ou relatifs. On dira, selon les cas, la maison que j’habite (pronom relatif COD) ou la maison où j’habite (pronom relatif complément de lieu). Mais en général, surtout quand le professeur y veille dans un souci de pédagogie, l’analyse de la construction des verbes est relativement simple. Un verbe est transitif (à l’exclusion des verbes d’état) quand on peut dire « quelque chose » ou « quelqu’un » après le verbe. On dit manger quelque chose, vouloir quelque chose, abimer quelque chose, prendre quelque chose, aimer quelqu’un, appeler quelqu’un : ce sont des verbes transitifs et le COD, c’est cette chose ou cette personne, tout simplement. Parfois, une préposition se glisse entre le verbe et l’objet (généralement à ou de) – penser à quelqu’un, se souvenir de quelque chose, dépendre de quelque chose : ce sont alors des COI. Cette façon de présenter les choses est somme toute assez simple, et, d’expérience, elle permet à tous les élèves d’identifier un COD ou un COI avec assurance en partant de la construction du verbe et en s’appuyant sur le sens de la phrase.
Ce dernier point est tout sauf anecdotique. C’est au contraire le seul moyen de parvenir peu à peu à une appropriation des concepts et à une automatisation de la reconnaissance des groupes fonctionnels. L’élève s’appuie sur la connaissance du verbe, de sa construction dans la langue courante qui lui est familière, et sur sa compréhension de la phrase pour trouver le COD. En procédant ainsi, même un médiocre élève de 6e trouve facilement le COD dans des phrases aussi alambiquées que Le lutin donna à la princesse endormie depuis cent ans dans son lit d’ivoire et d’argent un anneau d’or avant de s’enfuir discrètement, ou La princesse le serra délicatement entre ses doigts fins aux ongles brillants, juste en se rappelant qu’on dit donner quelque chose, serrer quelque chose, et en se demandant quelle est cette chose dans la phrase.
C’est parce qu’elle ne requiert rien d’autre que la compréhension de la phrase que cette démarche peut être progressivement automatisée, passer au rang de réflexe – ce qui est indispensable si l’on veut construire d’autres apprentissages nécessitant l’identification sûre du COD : l’emploi du bon pronom relatif, l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir – ou tout simplement la compréhension de tout énoncé.
En effet, un autre avantage de cette démarche, et non des moindres, est qu’elle oblige à faire attention au sens de la phrase. On ne cesse de nous répéter, enquête après enquête, à quel point nos élèves sont mauvais en lecture et compréhension. Les raisons de cette médiocrité sont nombreuses et excèdent le propos de ce texte, mais l’une de ces raisons nous intéresse ici : bien des élèves ne prêtent pas attention aux pronoms, ces « petits mots » si discrets, qui ressemblent souvent à des articles à peu près vides de sens, et ils perdent ainsi la chaîne référentielle, ne comprennent plus qui fait quoi. Or, la démarche décrite ci-dessus, parce qu’elle lie intimement le sens et l’analyse, oblige à faire attention à ces pronoms, à en élucider la référence, et permet de construire des compétences solides en grammaire, mais aussi d’améliorer sa compréhension.
Je remarque incidemment que c’est cette démarche qu’utilise le lecteur expert face à un texte difficile. Je lisais récemment un roman de Pierre Michon, auteur contemporain à la langue riche et aux tournures étudiées, qui emploie volontiers toutes sortes d’inversions syntaxiques. Le sens d’une phrase, à première lecture, m’échappa. Que croyez-vous que je fis alors ? Pensez-vous que je tentai de déplacer quoi que ce soit dans une phrase déjà fort emmêlée ? Non, je pratiquai bravement ce que j’enseigne à mes élèves : repartir du verbe, de sa construction, chercher son complément d’objet en m’appuyant sur ce qui faisait sens ou non – et la phrase s’éclaira.
Nous ne devrions pas perdre de vue, quand nous enseignons la langue, que notre but n’est pas de former des élèves capables de travailler sur des phrases écrites ad hoc, mais des élèves capables de tout lire, y compris, un jour, Proust ou Pierre Michon. Pense-t-on sérieusement que déplacer un groupe dans une phrase de Proust leur sera d’une quelconque utilité pour mieux comprendre celle-ci ?
Belle marquise, vos compléments mourir me font
Hélas ! il ne faut pas attendre d’être confronté à Proust pour voir les élèves patauger dans l’analyse.
Quelle est donc cette autre démarche qui choisit de parler non de COD et de compléments (circonstanciels) de lieu, de temps, de manière, mais de compléments essentiels (ou de verbe) et facultatifs (ou de phrase) ? C’est une démarche qui se fonde sur les critères de distribution des compléments. Dans cette optique, l’on considère que tout complément qui ne peut être déplacé ou supprimé est un complément de verbe (ou encore complément essentiel). À l’inverse, un complément qui peut être déplacé et supprimé sera considéré comme un complément de phrase (ou encore facultatif, ou encore circonstanciel – la seule pluralité des termes employés dans cette démarche étant problématique). Dans cette logique, dans une phrase comme Je vais à Paris, attendu que l’on ne peut dire ni Je vais, point, ni À Paris je vais, on considère que « à Paris » est un complément essentiel du verbe aller. Mieux, la nouvelle terminologie publiée sur le site de l’Education Nationale considère qu’il s’agit d’un COI – et elle ne fait ainsi que pousser à son comble cette logique qui fonde l’analyse des fonctions sur de simples critères de distribution.
Il n’y a donc plus de différence syntaxique entre J’habite à Paris et J’habite un vieil immeuble haussmannien, puisqu’on ne peut dire ni J’habite tout court, ni À Paris j’habite, ni Un vieil immeuble haussmannien j’habite. Et peu importent dans le fond les différences de sens entre les deux compléments, ou le fait qu’ils ne soient pas repris par les mêmes pronoms. Cette grammaire se fonde exclusivement sur la place des éléments de la phrase et évacue complètement la question du sens.
Déroulons un peu cette logique.
Tout d’abord, l’on remarque que bien des COD ou COI peuvent parfaitement être supprimés sans altérer le sens du verbe : Je mange du pain. Je mange. Je réfléchis à cette question. Je réfléchis. Je continue ma réflexion. Je continue. Ce simple critère est totalement insuffisant, puisqu’un verbe transitif est un verbe qui PEUT avoir un complément d’objet mais que, dans bien des cas, ce complément peut être omis. Il ne reste donc, pour identifier un COD ou un COI, que le critère de déplacement.
On remarque en outre que les COI des verbes à double construction (parfois appelés compléments d’objet second) peuvent toujours être déplacés et supprimés : À son fils cadet, le meunier ne laissa que son chat, Le meunier ne laissa à son fils cadet que son chat, et Le meunier ne laissa que son chat sont autant de phrases correctes. On doit donc, en vertu des règles énoncées plus haut, en déduire que ce sont des compléments de phrase, ou complément circonstanciels, mais pas des compléments d’objet. Je ne saurais dire si l’absurdité de ce système va jusque-là (car cette même terminologie préconise bien de partir de la construction du verbe, sans s’émouvoir des contradictions qui s’ensuivent), en tout cas, l’on constate qu’il est impossible, à partir de ces critères de distribution, d’identifier correctement un COS. C’est pourtant ce que l’on attend de nos élèves. S’ils appliquent rigoureusement ce qu’on leur demande d’appliquer, ils ne peuvent qu’en conclure que les COS sont des compléments circonstanciels et pas des compléments d’objet. Et l’on se plaint ensuite qu’ils mélangent tout…
Nous n’avons pour l’instant envisagé que des compléments appelés par la construction du verbe (appelés par sa construction) et l’affaire paraît déjà fort embrouillée, tant il y a déjà d’exceptions aux principes définissant les compléments essentiels.
Poursuivons.
Le petit chat boit du lait dans son bol.
Le petit chat boit du lait.
Le petit chat boit dans son bol.
Le petit chat boit.
* Dans son bol, le petit chat boit du lait.
* Le petit chat, dans son bol, boit du lait.
* Le petit chat, du lait dans son bol boit.
(Si un léger vertige vous saisit à la lecture des dernières phrases, c’est tout à fait normal. Sachez que ce vertige est supposé favoriser la réflexion.)
On constate que l’on peut supprimer « du lait », mais pas le déplacer. Mais bien qu’on puisse ici le supprimer (comme nous l’avons déjà remarqué, cette propriété est très instable), « du lait » est analysé comme COD : on dit boire quelque chose, l’action de boire s’exerce sur l’objet « du lait ». Certes, je n’en disconviens pas.
On constate que l’on peut dire exactement la même chose de « dans son bol » on peut le supprimer, mais pas le déplacer.
Or, l’on ne saurait, à partir des mêmes observations et des mêmes critères, tirer des conclusions différentes Il faut donc conclure, aussi absurde que cela puisse paraître, que « dans son bol » est un COI - ou alors les critères d’identification des groupes fonctionnels sont inopérants et conduisent à dire des âneries, car je n’ai fait que les appliquer rigoureusement.
Il en va de même avec la phrase : Ta saleté de chat a encore fait pipi sur mon paillasson. Quoique le paillasson désignât le lieu du scandale, en bonne logique, si « À Paris » est un COI, « sur mon paillasson » est un COI aussi, puisqu’on ne peut pas le déplacer, ni le supprimer, puisque le problème, chacun en conviendra, n’est pas que le chat ait fait pipi, ce qui n’est jamais que sacrifier aux vicissitudes de la nature, mais qu’il ait fait pipi sur mon paillasson. Paillasson, COI. Cette analyse a beau heurter le bon sens et la compréhension spontanée de la phrase, il en va ainsi.
On ne peut donc plus s’appuyer sur le sens des mots pour en fonder l’analyse : seuls les critères de distribution président à la détermination de la fonction des groupes, contre le sens, si nécessaire. « À Paris » est le lieu où je vais, mais c’est un complément d’objet, qu’on vous dit.
Les conséquences de ce divorce entre sens et syntaxe sont désastreuses. S’il est une chose que les élèves réussissaient à comprendre, il y a peu encore, dans l’étude des fonctions, c’était bien les compléments circonstanciels. Parce que chacun comprend aisément que, lorsqu’on dit Paul est parti à huit heures, ou Paul est parti pour Paris, ou Paul est parti en train, l’on précise tantôt le temps, tantôt le lieu, tantôt le moyen, et que ces groupes sont donc des compléments circonstanciels de temps, de lieu, de moyen. Mais tout devient mouvant et incertain si l’on considère que deux compléments exprimant la destination seraient, selon la nomenclature d’Eduscol, tantôt complément circonstanciel. En effet, dans un phrase comme Paul est allé de Marseille à Paris, comme on peut parfaitement supprimer et déplacer « de Marseille », « de Marseille » est complément circonstanciel de lieu, mais « à Paris » COI (s’il faut que je redise pourquoi, c’est que vous êtes comme les élèves : à ce stade, vous avez renoncé à comprendre). Bref, les élèves ne sont plus sûrs de rien, et la compréhension de la phrase ne leur est d’aucun secours : il leur faut se livrer aux sacro-saintes manipulations. Et là, leur désarroi est immense. C’est alors que l’on touche au grandiose et que le professeur voit jaillir les questions : Madame, Ta saleté de chat sur mon paillasson a fait pipi, ça se dit ou ça se dit pas ? Et En train Paul est parti ?
En effet, les élèves ne maîtrisent pas encore parfaitement la langue normée, et on leur demande d’identifier les catégories syntaxiques en déterminant a priori si un énoncé est correct ou non, alors que, souventes fois, ils n’en ont pas la moindre idée (et d’autant moins qu’ils viennent de milieux défavorisés, ce qui signifie qu’une fois de plus, cette démarche pénalise les élèves les plus en difficulté sur le plan linguistique). D’ailleurs, les seuls exemples ci-dessus suffisent à montrer que cette démarche produit un tel charabia que chacun y perd son latin, et les forums d’enseignants regorgent de questions destinées à savoir si tel énoncé est acceptable ou non, afin de déterminer si tel complément est essentiel ou pas. Si même des enseignants en Lettres n’y arrivent pas, que dire de nos pauvres élèves ?
Et surtout à quoi bon tout cela ? Quel est le but d’une analyse qui n’éclaire pas le sens de la phrase ? Qui ne permet pas de corriger la syntaxe, puisque la conscience du fait que telle tournure est correcte ou non doit présider à la détermination des fonctions ? On n’a cessé de parler, ces dernières années, de grammaire qui fasse sens. Mais je ne vois rien là qui puisse faire sens pour les élèves, ni dans la démarche qui contredit trop souvent le sens de la phrase, ni dans ses objectifs qui restent nébuleux.
Autre conséquence tout aussi grave de l’enseignement des fonctions à travers les seuls critères de distribution : cette démarche ne se contente pas de heurter le sens et de rendre extrêmement hasardeuse l’identification des fonctions syntaxiques, elle requiert des manipulations si complexes qu’il est impossible de les faire automatiquement. En d’autres termes, elle empêche la mise en place d’automatismes, la reconnaissance rapide et sûre des compléments d’objet et des compléments circonstanciels. Elle fait fi de nombreux autres critères syntaxiques (comme le fait que les pronoms interrogatifs ou relatifs utilisés pour reprendre un COD ou un complément circonstanciel ne sont pas les mêmes ou qu’un pronom complément circonstanciel, du simple fait de sa nature, ne pourra jamais être déplacé) et finit même par ruiner l’idée de construction du verbe sur laquelle la grammaire officielle prétend pourtant s’appuyer. En effet, la construction d’un verbe est fixe : On dit se souvenir de qqch, pas à, ni sur ou vers, dépendre de qqch. Si un verbe peut avoir plusieurs constructions, celles-ci affectent généralement son sens. Tenir qqch, ce n’est pas tenir à qqch, ni tenir de qqch. Aller est donné par tous les dictionnaires comme un verbe intransitif. L’emploi sans complément de lieu, s’il est rare (on juge généralement utile de préciser vers quel lieu l’on se déplace), existe : « Il allait, prenant tous les passages qui s’offraient à lui. » (Hugo, L’Homme qui rit) Faut-il demander au père Hugo de réviser sa copie ? Aller peut s’employer sans complément, mais aussi admettre toutes sortes de prépositions sans que son sens en soit affecté : aller à, vers, dans, sur, en haut de… Précisément parce que le complément ne fait pas partie de la construction du verbe. Il admet des compléments adverbiaux (aller dehors) alors que la fonction complément d’objet est censée être une fonction nominale (occupée par un nom ou son équivalent : un pronom, un verbe à l’infinitif, une proposition). Vouloir voir dans « À Paris » un COI du verbe aller, c’est fouler aux pieds la construction du verbe, l’emploi des pronoms, brouiller complètement la frontière entre complément d’objet et complément circonstanciel (on l’a vu plus haut : à peu près tout et n’importe quoi peut devenir COI – sauf le COS qui en est justement un), tourner le dos au sens des constituants de la phrase et empêcher finalement la construction de notions claires, réellement mobilisables dans le raisonnement.
L’emploi systématique des critères de déplacement pour identifier les fonctions enferme les élèves dans des manipulations embrouillées et hasardeuses, les habitue au charabia et ne permet finalement pas, même quand on les applique avec habileté, de parvenir au but. Pourtant, partir réellement de la construction du verbe (on dit boire qqch, prendre qqch, se souvenir de qqch, mais pas aller qqch ni même à qqch) était relativement simple et permettait la mise en place d’automatismes, l’accès à de véritables concepts, et une attention permanente au sens de la phrase qui venait en soutien de l’analyse.
Comment en sommes-nous arrivés à une complexité aussi folle et, surtout, à une telle inefficacité ? Quelles représentations des élèves ont présidé à la mise en œuvre et l’imposition Urbi et orbi d’une telle démarche – au point que, de façon totalement illégitime, cette démarche, qui devrait rester un choix pédagogique libre, est inscrite dans les programmes ?
De la manipulation à la supercherie
Je quitte ici le champ de l’analyse des méthodes promues dans ma discipline pour me risquer à une hypothèse sur les présupposés qui sous-tendent ces méthodes.
De mon seul point de vue d’enseignante, je ne peux que constater une convergence troublante dans les transformations pédagogiques qui se sont opérées dans plusieurs disciplines. On est allé, quoi qu’on en dise, vers toujours moins d’abstraction et de raisonnement au profit du concret. En sciences, c’est la vogue des expérimentations, des Main à la Pâte et autres FabLab. Les Lettres n’ont pas échappé à ce mouvement général et l’on a vu apparaître la mode des manipulations, censées rendre concrètes et observables les règles qui régissent le fonctionnement de la langue (et dont on a vu l’efficacité). Les Instructions Officielles insistent sur le fait que ces manipulations sont supposées favoriser le raisonnement. Mais outre que l’on ne voit pas bien en quoi une autre approche, par exemple celle qui se base strictement sur la construction des verbes, la notion de transitivité et le sens des compléments, empêcherait le raisonnement, on a montré ci-dessus comment cette démarche embrouillée fait finalement obstacle au raisonnement. En géométrie, on fait construire aux élèves toutes sortes de figures, sur papier ou par logiciel, en pliage et découpage – mais en fait de raisonnement, on a abandonné les démonstrations. Cela dit beaucoup, non des intentions, sans doute, mais du résultat obtenu.
Comme je ne suis qu’une modeste enseignante et que mon point de vue n’embrasse qu’un horizon restreint, je préfère laisser la parole, sur ce sujet, à plus expert que moi. Le sociologue Jean-Pierre Terrail a analysé, dans son essai Pour une école de l’exigence intellectuelle, ce qu’il appelle « le présupposé déficitariste » qui a présidé aux grandes réformes pédagogiques des années 70-80. L’école, selon ses observations, a dû repenser ses pratiques avec la massification de l’enseignement, mais ces transformations se sont accompagnées de l’idée que les classes populaires de plus en plus représentées au collège et au lycée n’étaient pas capables d’atteindre les mêmes objectifs que les autres, en tout cas pas de la même manière, pas de façon aussi abstraite. Depuis lors, nous sommes entraînés dans un mouvement continu vers toujours plus de concret, toujours plus de projets, de ludique, sous couvert de « donner du sens aux apprentissages ». Dans un article de L’Humanité, le philosophe Marcel Gauchet commente cette théorie de Terrail : « L’un des intérêts du livre de Jean-Pierre Terrail est de montrer que sous l’effet du « paradigme déficitariste », notre système scolaire est dans l’erreur depuis quarante ans. Elle méconnaît le principe d’égalité des intelligences et fonctionne sur une idée fausse du fonctionnement de l’esprit humain. Toute connaissance s’appuie sur des concepts. Or, notre enseignement a opté pour le refus de l’abstraction, considérant que « cela va leur passer au-dessus de la tête ». En théorie, on part de ce que les élèves sont capables de comprendre, ce qui est bien, mais en pratique on les laisse là où ils en sont. »
Refus de l’abstraction. C’est bien de cela qu’il s’agit. Parce qu’on présuppose les élèves – certains élèves en tout cas – incapables (« cela va leur passer au-dessus de la tête »), on leur confisque cet accès essentiel à l’abstraction, on les enferme dans le concret des « manipulations ». Ce passage par le concret a beau être présenté comme une étape censée faciliter le raisonnement, la réalité est que, pour beaucoup d’élèves, « on les laisse là où ils sont ». En grammaire, en tout cas, on a monté une telle usine à gaz qu’on a embrouillé ce que l’on voulait éclairer et que l’on ne permet plus aux élèves d’accéder à un raisonnement sûr, qui leur permettrait non seulement d’écrire correctement (on a suffisamment déploré l’effondrement des compétences orthographiques des élèves), mais surtout d’accéder pleinement au logos, à la pensée.
Pour conclure
La valse des terminologies qui se sont succédé depuis des années pourrait paraître seulement agaçante. J’ai parfois entendu dire en salle de professeurs : « Mais qu’ils décident une bonne fois pour toute, dans un sens ou dans l’autre, peu importe, mais qu’ils arrêtent de nous changer la grammaire tous les deux ans ! »
Il importe pourtant.
L’adoption d’une nomenclature n’est pas anodine. En creux, celle trace-ci une démarche pédagogique, et elle se fonde sur une certaine conception de l’élève.
Faire le choix de parler de complément essentiel ou facultatif, ou celui de considérer « à Paris » comme COI, c’est faire le choix de fonder l’identification de ces catégories syntaxiques sur des critères de déplacement / suppression dont on voit peu l’intérêt, qui ne disent rien sur le sens des éléments de la phrase et écrasent même des différences sémantiques essentielles. C’est condamner les élèves à des tripatouillages hasardeux – et finalement inefficaces – sans leur permettre d’abstraire aucun concept pourtant indispensable à une réelle réflexion. C’est les priver de l’accès à la pensée conceptuelle et s’indigner ensuite qu’ils raisonnent avec tant de peine.
Choisir de parler de complément d’objet direct et indirect et de complément circonstanciel, dans l’extension traditionnelle de ces termes, en se fondant sur les notions de transitivité et d’intransitivité, sans s’enliser dans d’inextricables manipulations, c’est choisir de porter attention à ce qui est écrit (et pas à ce qu’on aurait pu écrire) jusque dans les effets de style ; c’est employer des termes qui ont un sens (le lieu est le lieu, le temps est le temps, l’objet est l’objet) et donc articuler en permanence analyse et sens. C’est surtout faire le choix de ne pas réduire l’enseignement de la grammaire à un catalogue de propriétés scabreuses mais d’en faire le lieu du développement de concepts, parce que la pensée a besoin des concepts. C’est s’inscrire dans l’héritage de la Grèce qui faisait de la grammaire la propédeutique à la philosophie, une étape essentielle à la plus noble mise en œuvre de la skholè.
On l’aura compris, entre ces deux démarches, entre ces terminologies différentes, les membres de SLL ont fait leur choix. Parce que nous croyons tous les élèves capables par nature d’accéder à l’abstraction. Parce que nous croyons que cet accès à l’abstraction est essentiel pour développer le raisonnement et ne saurait être escamoté sans dommages. Parce que c’est notre mission, de développer le raisonnement de nos élèves, et que les professeurs peuvent la mener à bien si on leur en donne les moyens.
Une nomenclature bien pensée est un de ces moyens.
- *Ombre*Grand sage
Césarion a écrit:J'aurais dû retoucher cette progression avant de l'envoyer, un peu hâtivement, je l'avoue, sur neo, pour ne pas m'attirer les foudres de tel ou tel. Il faut dire que je l'ai bien cherché.
Bien entendu, je ne parle plus de prédicat (que le corps d'inspection de lettres de mon académie présentait à l'époque comme une vraie révolution dans l'enseignement de la grammaire) depuis longtemps, notamment, et les COD et autres compléments ont repris, fort heureusement, ce nom dans mes cours de LCA.
D'ailleurs, je suis pas à pas la bible de cette grammaire publiée en pdf sur eduscol :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Programmes/52/6/Livre_Terminologie_grammaticale_web_1308526.pdf
Cette bible de la grammaire est un pur cauchemar, qui n'utilise que les critères de déplacement / suppression au lieu de s'attacher à faire comprendre des concepts.
- RwanNiveau 6
*Ombre* a écrit:à propos de complément de verbe / complément de phrase
- Spoiler:
La grammaire au collège : les termes du débat
Lorsque M. Blanquer est arrivé au Ministère de l’Education Nationale, il s’est répandu dans les médias en déclarations d’amour pour la grammaire. Il a dénoncé – non sans raisons – les renoncements en matière de contenus engendrés par la réforme « Collège 2016 » et publié quelques mois après son arrivée de nouveaux textes officiels qui restauraient bien des apprentissages passés par pertes et profits et revenaient à une terminologie grammaticale classique – autant de choses qui ne coûtent rien et étaient propres à rassurer des enseignants de Lettres fortement échaudés.
Cette volonté de clarifier la nomenclature était sans doute nécessaire. En effet, si les causes de la déshérence linguistique qui afflige nos élèves sont multiples, les errements terminologiques que l’on a connus ces dernières années ne les ont guère aidés à fixer des connaissances. Pour évoquer le seul complément d’objet, les actuels collégiens ont entendu parler de prédicat, de complément de verbe, complément essentiel, et enfin de complément d’objet. Que peuvent-ils en retenir ? Rien. Le Ministre a donc tranché. Il a enterré le prédicat qui venait à peine d’être introduit dans les programmes et réaffirmé les notions de complément d’objet et complément circonstanciel, contre les nébuleux « compléments de phrase » ou « de verbe ».
Nous aurions pu espérer que ces nouveaux textes auraient eu pour souci de créer en matière de nomenclature une stabilité indispensable à l’assimilation des concepts par de jeunes esprits ; mieux, que cette nomenclature fût le résultat d’une réflexion sur ces concepts et la meilleure manière d’y faire accéder les élèves. Or, il n’en fut rien.
Dix-huit mois plus tard, la DGESCO publie une terminologie grammaticale qui entre en contradiction avec la terminologie officielle sur bien des points sur lesquels nous ne nous étendrons pas (par exemple le statut du conditionnel ou la nomenclature relative aux subordonnées) et qui surtout vient bousculer encore l’enseignement de la grammaire. En effet, cette grammaire confère à la notion de complément d’objet une extension telle que le concept traditionnel utilisé par les professeurs vole en éclats. Ainsi, dans « Je vais à Paris », elle analyse « à Paris » comme un COI, semant l’incompréhension jusque chez les tenants du complément essentiel de lieu.
Ainsi, face à une nomenclature qui reste désespérément fluctuante et des injonctions de plus en plus inconciliables, les professeurs n’ont plus que leur jugement pour opérer des choix raisonnés : quels termes utiliser dans l’enseignement de la grammaire ? A quelle conception de la pédagogie et quelles représentations des élèves ces choix renvoient-ils ?
COD, COI et transitivité : un objet qui a du sens
Opérer des choix terminologiques en grammaire n’est pas anodin. Derrière ces choix, il y a une conception de la langue, mais aussi de son enseignement. L’acronyme COD (ou son corollaire, le COI) renvoie à des mots qui font sens, y compris pour de jeunes élèves. Le nom complément signifie « qui complète », le nom objet a le sens qu’il a dans être l’objet de (d’amour, d’attention, d’attaques…), c’est-à-dire qu’il désigne la personne ou la chose sur laquelle s’exerce l’action ; la mention direct ou indirect renvoie à la construction de ce complément, médiée ou non par une préposition. La notion de COD est donc liée à la construction du verbe, à la notion de transitivité ou, au contraire, d’intransitivité. Ces constructions ne sont d’ailleurs pas figées (un même verbe peut avoir des emplois transitifs ou intransitifs) et donnent lieu à des réflexions intéressantes et un travail sur le sens. Par exemple, le verbe décliner n’a pas le même sens dans son emploi intransitif (Mes parents commencent à décliner) et dans son emploi transitif (Nous avons décliné son invitation) ; d’un point de vue grammatical, ce n’est pas exactement la même chose que de dire J’habite une maison avec jardin ou J’habite dans une maison avec jardin. Dans le premier cas, on fait mention du lieu que l’on occupe : j’habite une maison avec jardin par opposition à un appartement, une grotte ou un manoir doté d’un parc de plusieurs hectares. La maison est bien l’objet de l’action d’habiter, au sens d’occuper un lieu, et le verbe est considéré comme transitif. Dans le deuxième cas, on précise non l’objet d’une action, mais le lieu où se déroule l’action de résider. Le verbe est considéré comme intransitif et le complément comme un complément de lieu (traditionnellement dit « circonstanciel ») . L’on pourrait d’ailleurs y insérer un COD : J’habite une chambre meublée dans une maison avec jardin, ou : J’habite un deux-pièces dans une maison avec jardin. Et la place des mots, qui est régie, en français, par toutes sortes de règles en concurrence les unes avec les autres (place figée du pronom, progression thématique qui va du connu à l’inconnu, mises en relief, évitement d’ambiguïtés…) n’entre pas en compte. Déplacer les termes de la phrase ne changera pas les rapports qu’ils entretiennent entre eux, ni leur fonction, au sens le plus courtant du terme (indiquer un lieu, un moment, l’objet de l’action). Dans cette approche, chercher la fonction d’un groupe, c’est chercher, comme son nom l’indique, le rôle de ce groupe dans la phrase, son apport sémantique et le lien qu’il entretient avec les autres termes de la phrase, et pas décrire ses propriétés distributionnelles supposées. Le mot fonction a ici un sens qui parle aux élèves, qui est, somme toute, celui du langage courant.
L’on a donné délibérément un exemple délicat, où l’objet pourrait être confondu avec le lieu, pour montrer que, même dans de tels cas, le plus souvent, l’analyse précise de la construction du verbe en relation avec son sens permet de trancher. On remarque en outre que ces compléments ne sont pas repris par les mêmes pronoms interrogatifs ou relatifs. On dira, selon les cas, la maison que j’habite (pronom relatif COD) ou la maison où j’habite (pronom relatif complément de lieu). Mais en général, surtout quand le professeur y veille dans un souci de pédagogie, l’analyse de la construction des verbes est relativement simple. Un verbe est transitif (à l’exclusion des verbes d’état) quand on peut dire « quelque chose » ou « quelqu’un » après le verbe. On dit manger quelque chose, vouloir quelque chose, abimer quelque chose, prendre quelque chose, aimer quelqu’un, appeler quelqu’un : ce sont des verbes transitifs et le COD, c’est cette chose ou cette personne, tout simplement. Parfois, une préposition se glisse entre le verbe et l’objet (généralement à ou de) – penser à quelqu’un, se souvenir de quelque chose, dépendre de quelque chose : ce sont alors des COI. Cette façon de présenter les choses est somme toute assez simple, et, d’expérience, elle permet à tous les élèves d’identifier un COD ou un COI avec assurance en partant de la construction du verbe et en s’appuyant sur le sens de la phrase.
Ce dernier point est tout sauf anecdotique. C’est au contraire le seul moyen de parvenir peu à peu à une appropriation des concepts et à une automatisation de la reconnaissance des groupes fonctionnels. L’élève s’appuie sur la connaissance du verbe, de sa construction dans la langue courante qui lui est familière, et sur sa compréhension de la phrase pour trouver le COD. En procédant ainsi, même un médiocre élève de 6e trouve facilement le COD dans des phrases aussi alambiquées que Le lutin donna à la princesse endormie depuis cent ans dans son lit d’ivoire et d’argent un anneau d’or avant de s’enfuir discrètement, ou La princesse le serra délicatement entre ses doigts fins aux ongles brillants, juste en se rappelant qu’on dit donner quelque chose, serrer quelque chose, et en se demandant quelle est cette chose dans la phrase.
C’est parce qu’elle ne requiert rien d’autre que la compréhension de la phrase que cette démarche peut être progressivement automatisée, passer au rang de réflexe – ce qui est indispensable si l’on veut construire d’autres apprentissages nécessitant l’identification sûre du COD : l’emploi du bon pronom relatif, l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir – ou tout simplement la compréhension de tout énoncé.
En effet, un autre avantage de cette démarche, et non des moindres, est qu’elle oblige à faire attention au sens de la phrase. On ne cesse de nous répéter, enquête après enquête, à quel point nos élèves sont mauvais en lecture et compréhension. Les raisons de cette médiocrité sont nombreuses et excèdent le propos de ce texte, mais l’une de ces raisons nous intéresse ici : bien des élèves ne prêtent pas attention aux pronoms, ces « petits mots » si discrets, qui ressemblent souvent à des articles à peu près vides de sens, et ils perdent ainsi la chaîne référentielle, ne comprennent plus qui fait quoi. Or, la démarche décrite ci-dessus, parce qu’elle lie intimement le sens et l’analyse, oblige à faire attention à ces pronoms, à en élucider la référence, et permet de construire des compétences solides en grammaire, mais aussi d’améliorer sa compréhension.
Je remarque incidemment que c’est cette démarche qu’utilise le lecteur expert face à un texte difficile. Je lisais récemment un roman de Pierre Michon, auteur contemporain à la langue riche et aux tournures étudiées, qui emploie volontiers toutes sortes d’inversions syntaxiques. Le sens d’une phrase, à première lecture, m’échappa. Que croyez-vous que je fis alors ? Pensez-vous que je tentai de déplacer quoi que ce soit dans une phrase déjà fort emmêlée ? Non, je pratiquai bravement ce que j’enseigne à mes élèves : repartir du verbe, de sa construction, chercher son complément d’objet en m’appuyant sur ce qui faisait sens ou non – et la phrase s’éclaira.
Nous ne devrions pas perdre de vue, quand nous enseignons la langue, que notre but n’est pas de former des élèves capables de travailler sur des phrases écrites ad hoc, mais des élèves capables de tout lire, y compris, un jour, Proust ou Pierre Michon. Pense-t-on sérieusement que déplacer un groupe dans une phrase de Proust leur sera d’une quelconque utilité pour mieux comprendre celle-ci ?
Belle marquise, vos compléments mourir me font
Hélas ! il ne faut pas attendre d’être confronté à Proust pour voir les élèves patauger dans l’analyse.
Quelle est donc cette autre démarche qui choisit de parler non de COD et de compléments (circonstanciels) de lieu, de temps, de manière, mais de compléments essentiels (ou de verbe) et facultatifs (ou de phrase) ? C’est une démarche qui se fonde sur les critères de distribution des compléments. Dans cette optique, l’on considère que tout complément qui ne peut être déplacé ou supprimé est un complément de verbe (ou encore complément essentiel). À l’inverse, un complément qui peut être déplacé et supprimé sera considéré comme un complément de phrase (ou encore facultatif, ou encore circonstanciel – la seule pluralité des termes employés dans cette démarche étant problématique). Dans cette logique, dans une phrase comme Je vais à Paris, attendu que l’on ne peut dire ni Je vais, point, ni À Paris je vais, on considère que « à Paris » est un complément essentiel du verbe aller. Mieux, la nouvelle terminologie publiée sur le site de l’Education Nationale considère qu’il s’agit d’un COI – et elle ne fait ainsi que pousser à son comble cette logique qui fonde l’analyse des fonctions sur de simples critères de distribution.
Il n’y a donc plus de différence syntaxique entre J’habite à Paris et J’habite un vieil immeuble haussmannien, puisqu’on ne peut dire ni J’habite tout court, ni À Paris j’habite, ni Un vieil immeuble haussmannien j’habite. Et peu importent dans le fond les différences de sens entre les deux compléments, ou le fait qu’ils ne soient pas repris par les mêmes pronoms. Cette grammaire se fonde exclusivement sur la place des éléments de la phrase et évacue complètement la question du sens.
Déroulons un peu cette logique.
Tout d’abord, l’on remarque que bien des COD ou COI peuvent parfaitement être supprimés sans altérer le sens du verbe : Je mange du pain. Je mange. Je réfléchis à cette question. Je réfléchis. Je continue ma réflexion. Je continue. Ce simple critère est totalement insuffisant, puisqu’un verbe transitif est un verbe qui PEUT avoir un complément d’objet mais que, dans bien des cas, ce complément peut être omis. Il ne reste donc, pour identifier un COD ou un COI, que le critère de déplacement.
On remarque en outre que les COI des verbes à double construction (parfois appelés compléments d’objet second) peuvent toujours être déplacés et supprimés : À son fils cadet, le meunier ne laissa que son chat, Le meunier ne laissa à son fils cadet que son chat, et Le meunier ne laissa que son chat sont autant de phrases correctes. On doit donc, en vertu des règles énoncées plus haut, en déduire que ce sont des compléments de phrase, ou complément circonstanciels, mais pas des compléments d’objet. Je ne saurais dire si l’absurdité de ce système va jusque-là (car cette même terminologie préconise bien de partir de la construction du verbe, sans s’émouvoir des contradictions qui s’ensuivent), en tout cas, l’on constate qu’il est impossible, à partir de ces critères de distribution, d’identifier correctement un COS. C’est pourtant ce que l’on attend de nos élèves. S’ils appliquent rigoureusement ce qu’on leur demande d’appliquer, ils ne peuvent qu’en conclure que les COS sont des compléments circonstanciels et pas des compléments d’objet. Et l’on se plaint ensuite qu’ils mélangent tout…
Nous n’avons pour l’instant envisagé que des compléments appelés par la construction du verbe (appelés par sa construction) et l’affaire paraît déjà fort embrouillée, tant il y a déjà d’exceptions aux principes définissant les compléments essentiels.
Poursuivons.
Le petit chat boit du lait dans son bol.
Le petit chat boit du lait.
Le petit chat boit dans son bol.
Le petit chat boit.
* Dans son bol, le petit chat boit du lait.
* Le petit chat, dans son bol, boit du lait.
* Le petit chat, du lait dans son bol boit.
(Si un léger vertige vous saisit à la lecture des dernières phrases, c’est tout à fait normal. Sachez que ce vertige est supposé favoriser la réflexion.)
On constate que l’on peut supprimer « du lait », mais pas le déplacer. Mais bien qu’on puisse ici le supprimer (comme nous l’avons déjà remarqué, cette propriété est très instable), « du lait » est analysé comme COD : on dit boire quelque chose, l’action de boire s’exerce sur l’objet « du lait ». Certes, je n’en disconviens pas.
On constate que l’on peut dire exactement la même chose de « dans son bol » on peut le supprimer, mais pas le déplacer.
Or, l’on ne saurait, à partir des mêmes observations et des mêmes critères, tirer des conclusions différentes Il faut donc conclure, aussi absurde que cela puisse paraître, que « dans son bol » est un COI - ou alors les critères d’identification des groupes fonctionnels sont inopérants et conduisent à dire des âneries, car je n’ai fait que les appliquer rigoureusement.
Il en va de même avec la phrase : Ta saleté de chat a encore fait pipi sur mon paillasson. Quoique le paillasson désignât le lieu du scandale, en bonne logique, si « À Paris » est un COI, « sur mon paillasson » est un COI aussi, puisqu’on ne peut pas le déplacer, ni le supprimer, puisque le problème, chacun en conviendra, n’est pas que le chat ait fait pipi, ce qui n’est jamais que sacrifier aux vicissitudes de la nature, mais qu’il ait fait pipi sur mon paillasson. Paillasson, COI. Cette analyse a beau heurter le bon sens et la compréhension spontanée de la phrase, il en va ainsi.
On ne peut donc plus s’appuyer sur le sens des mots pour en fonder l’analyse : seuls les critères de distribution président à la détermination de la fonction des groupes, contre le sens, si nécessaire. « À Paris » est le lieu où je vais, mais c’est un complément d’objet, qu’on vous dit.
Les conséquences de ce divorce entre sens et syntaxe sont désastreuses. S’il est une chose que les élèves réussissaient à comprendre, il y a peu encore, dans l’étude des fonctions, c’était bien les compléments circonstanciels. Parce que chacun comprend aisément que, lorsqu’on dit Paul est parti à huit heures, ou Paul est parti pour Paris, ou Paul est parti en train, l’on précise tantôt le temps, tantôt le lieu, tantôt le moyen, et que ces groupes sont donc des compléments circonstanciels de temps, de lieu, de moyen. Mais tout devient mouvant et incertain si l’on considère que deux compléments exprimant la destination seraient, selon la nomenclature d’Eduscol, tantôt complément circonstanciel. En effet, dans un phrase comme Paul est allé de Marseille à Paris, comme on peut parfaitement supprimer et déplacer « de Marseille », « de Marseille » est complément circonstanciel de lieu, mais « à Paris » COI (s’il faut que je redise pourquoi, c’est que vous êtes comme les élèves : à ce stade, vous avez renoncé à comprendre). Bref, les élèves ne sont plus sûrs de rien, et la compréhension de la phrase ne leur est d’aucun secours : il leur faut se livrer aux sacro-saintes manipulations. Et là, leur désarroi est immense. C’est alors que l’on touche au grandiose et que le professeur voit jaillir les questions : Madame, Ta saleté de chat sur mon paillasson a fait pipi, ça se dit ou ça se dit pas ? Et En train Paul est parti ?
En effet, les élèves ne maîtrisent pas encore parfaitement la langue normée, et on leur demande d’identifier les catégories syntaxiques en déterminant a priori si un énoncé est correct ou non, alors que, souventes fois, ils n’en ont pas la moindre idée (et d’autant moins qu’ils viennent de milieux défavorisés, ce qui signifie qu’une fois de plus, cette démarche pénalise les élèves les plus en difficulté sur le plan linguistique). D’ailleurs, les seuls exemples ci-dessus suffisent à montrer que cette démarche produit un tel charabia que chacun y perd son latin, et les forums d’enseignants regorgent de questions destinées à savoir si tel énoncé est acceptable ou non, afin de déterminer si tel complément est essentiel ou pas. Si même des enseignants en Lettres n’y arrivent pas, que dire de nos pauvres élèves ?
Et surtout à quoi bon tout cela ? Quel est le but d’une analyse qui n’éclaire pas le sens de la phrase ? Qui ne permet pas de corriger la syntaxe, puisque la conscience du fait que telle tournure est correcte ou non doit présider à la détermination des fonctions ? On n’a cessé de parler, ces dernières années, de grammaire qui fasse sens. Mais je ne vois rien là qui puisse faire sens pour les élèves, ni dans la démarche qui contredit trop souvent le sens de la phrase, ni dans ses objectifs qui restent nébuleux.
Autre conséquence tout aussi grave de l’enseignement des fonctions à travers les seuls critères de distribution : cette démarche ne se contente pas de heurter le sens et de rendre extrêmement hasardeuse l’identification des fonctions syntaxiques, elle requiert des manipulations si complexes qu’il est impossible de les faire automatiquement. En d’autres termes, elle empêche la mise en place d’automatismes, la reconnaissance rapide et sûre des compléments d’objet et des compléments circonstanciels. Elle fait fi de nombreux autres critères syntaxiques (comme le fait que les pronoms interrogatifs ou relatifs utilisés pour reprendre un COD ou un complément circonstanciel ne sont pas les mêmes ou qu’un pronom complément circonstanciel, du simple fait de sa nature, ne pourra jamais être déplacé) et finit même par ruiner l’idée de construction du verbe sur laquelle la grammaire officielle prétend pourtant s’appuyer. En effet, la construction d’un verbe est fixe : On dit se souvenir de qqch, pas à, ni sur ou vers, dépendre de qqch. Si un verbe peut avoir plusieurs constructions, celles-ci affectent généralement son sens. Tenir qqch, ce n’est pas tenir à qqch, ni tenir de qqch. Aller est donné par tous les dictionnaires comme un verbe intransitif. L’emploi sans complément de lieu, s’il est rare (on juge généralement utile de préciser vers quel lieu l’on se déplace), existe : « Il allait, prenant tous les passages qui s’offraient à lui. » (Hugo, L’Homme qui rit) Faut-il demander au père Hugo de réviser sa copie ? Aller peut s’employer sans complément, mais aussi admettre toutes sortes de prépositions sans que son sens en soit affecté : aller à, vers, dans, sur, en haut de… Précisément parce que le complément ne fait pas partie de la construction du verbe. Il admet des compléments adverbiaux (aller dehors) alors que la fonction complément d’objet est censée être une fonction nominale (occupée par un nom ou son équivalent : un pronom, un verbe à l’infinitif, une proposition). Vouloir voir dans « À Paris » un COI du verbe aller, c’est fouler aux pieds la construction du verbe, l’emploi des pronoms, brouiller complètement la frontière entre complément d’objet et complément circonstanciel (on l’a vu plus haut : à peu près tout et n’importe quoi peut devenir COI – sauf le COS qui en est justement un), tourner le dos au sens des constituants de la phrase et empêcher finalement la construction de notions claires, réellement mobilisables dans le raisonnement.
L’emploi systématique des critères de déplacement pour identifier les fonctions enferme les élèves dans des manipulations embrouillées et hasardeuses, les habitue au charabia et ne permet finalement pas, même quand on les applique avec habileté, de parvenir au but. Pourtant, partir réellement de la construction du verbe (on dit boire qqch, prendre qqch, se souvenir de qqch, mais pas aller qqch ni même à qqch) était relativement simple et permettait la mise en place d’automatismes, l’accès à de véritables concepts, et une attention permanente au sens de la phrase qui venait en soutien de l’analyse.
Comment en sommes-nous arrivés à une complexité aussi folle et, surtout, à une telle inefficacité ? Quelles représentations des élèves ont présidé à la mise en œuvre et l’imposition Urbi et orbi d’une telle démarche – au point que, de façon totalement illégitime, cette démarche, qui devrait rester un choix pédagogique libre, est inscrite dans les programmes ?
De la manipulation à la supercherie
Je quitte ici le champ de l’analyse des méthodes promues dans ma discipline pour me risquer à une hypothèse sur les présupposés qui sous-tendent ces méthodes.
De mon seul point de vue d’enseignante, je ne peux que constater une convergence troublante dans les transformations pédagogiques qui se sont opérées dans plusieurs disciplines. On est allé, quoi qu’on en dise, vers toujours moins d’abstraction et de raisonnement au profit du concret. En sciences, c’est la vogue des expérimentations, des Main à la Pâte et autres FabLab. Les Lettres n’ont pas échappé à ce mouvement général et l’on a vu apparaître la mode des manipulations, censées rendre concrètes et observables les règles qui régissent le fonctionnement de la langue (et dont on a vu l’efficacité). Les Instructions Officielles insistent sur le fait que ces manipulations sont supposées favoriser le raisonnement. Mais outre que l’on ne voit pas bien en quoi une autre approche, par exemple celle qui se base strictement sur la construction des verbes, la notion de transitivité et le sens des compléments, empêcherait le raisonnement, on a montré ci-dessus comment cette démarche embrouillée fait finalement obstacle au raisonnement. En géométrie, on fait construire aux élèves toutes sortes de figures, sur papier ou par logiciel, en pliage et découpage – mais en fait de raisonnement, on a abandonné les démonstrations. Cela dit beaucoup, non des intentions, sans doute, mais du résultat obtenu.
Comme je ne suis qu’une modeste enseignante et que mon point de vue n’embrasse qu’un horizon restreint, je préfère laisser la parole, sur ce sujet, à plus expert que moi. Le sociologue Jean-Pierre Terrail a analysé, dans son essai Pour une école de l’exigence intellectuelle, ce qu’il appelle « le présupposé déficitariste » qui a présidé aux grandes réformes pédagogiques des années 70-80. L’école, selon ses observations, a dû repenser ses pratiques avec la massification de l’enseignement, mais ces transformations se sont accompagnées de l’idée que les classes populaires de plus en plus représentées au collège et au lycée n’étaient pas capables d’atteindre les mêmes objectifs que les autres, en tout cas pas de la même manière, pas de façon aussi abstraite. Depuis lors, nous sommes entraînés dans un mouvement continu vers toujours plus de concret, toujours plus de projets, de ludique, sous couvert de « donner du sens aux apprentissages ». Dans un article de L’Humanité, le philosophe Marcel Gauchet commente cette théorie de Terrail : « L’un des intérêts du livre de Jean-Pierre Terrail est de montrer que sous l’effet du « paradigme déficitariste », notre système scolaire est dans l’erreur depuis quarante ans. Elle méconnaît le principe d’égalité des intelligences et fonctionne sur une idée fausse du fonctionnement de l’esprit humain. Toute connaissance s’appuie sur des concepts. Or, notre enseignement a opté pour le refus de l’abstraction, considérant que « cela va leur passer au-dessus de la tête ». En théorie, on part de ce que les élèves sont capables de comprendre, ce qui est bien, mais en pratique on les laisse là où ils en sont. »
Refus de l’abstraction. C’est bien de cela qu’il s’agit. Parce qu’on présuppose les élèves – certains élèves en tout cas – incapables (« cela va leur passer au-dessus de la tête »), on leur confisque cet accès essentiel à l’abstraction, on les enferme dans le concret des « manipulations ». Ce passage par le concret a beau être présenté comme une étape censée faciliter le raisonnement, la réalité est que, pour beaucoup d’élèves, « on les laisse là où ils sont ». En grammaire, en tout cas, on a monté une telle usine à gaz qu’on a embrouillé ce que l’on voulait éclairer et que l’on ne permet plus aux élèves d’accéder à un raisonnement sûr, qui leur permettrait non seulement d’écrire correctement (on a suffisamment déploré l’effondrement des compétences orthographiques des élèves), mais surtout d’accéder pleinement au logos, à la pensée.
Pour conclure
La valse des terminologies qui se sont succédé depuis des années pourrait paraître seulement agaçante. J’ai parfois entendu dire en salle de professeurs : « Mais qu’ils décident une bonne fois pour toute, dans un sens ou dans l’autre, peu importe, mais qu’ils arrêtent de nous changer la grammaire tous les deux ans ! »
Il importe pourtant.
L’adoption d’une nomenclature n’est pas anodine. En creux, celle trace-ci une démarche pédagogique, et elle se fonde sur une certaine conception de l’élève.
Faire le choix de parler de complément essentiel ou facultatif, ou celui de considérer « à Paris » comme COI, c’est faire le choix de fonder l’identification de ces catégories syntaxiques sur des critères de déplacement / suppression dont on voit peu l’intérêt, qui ne disent rien sur le sens des éléments de la phrase et écrasent même des différences sémantiques essentielles. C’est condamner les élèves à des tripatouillages hasardeux – et finalement inefficaces – sans leur permettre d’abstraire aucun concept pourtant indispensable à une réelle réflexion. C’est les priver de l’accès à la pensée conceptuelle et s’indigner ensuite qu’ils raisonnent avec tant de peine.
Choisir de parler de complément d’objet direct et indirect et de complément circonstanciel, dans l’extension traditionnelle de ces termes, en se fondant sur les notions de transitivité et d’intransitivité, sans s’enliser dans d’inextricables manipulations, c’est choisir de porter attention à ce qui est écrit (et pas à ce qu’on aurait pu écrire) jusque dans les effets de style ; c’est employer des termes qui ont un sens (le lieu est le lieu, le temps est le temps, l’objet est l’objet) et donc articuler en permanence analyse et sens. C’est surtout faire le choix de ne pas réduire l’enseignement de la grammaire à un catalogue de propriétés scabreuses mais d’en faire le lieu du développement de concepts, parce que la pensée a besoin des concepts. C’est s’inscrire dans l’héritage de la Grèce qui faisait de la grammaire la propédeutique à la philosophie, une étape essentielle à la plus noble mise en œuvre de la skholè.
On l’aura compris, entre ces deux démarches, entre ces terminologies différentes, les membres de SLL ont fait leur choix. Parce que nous croyons tous les élèves capables par nature d’accéder à l’abstraction. Parce que nous croyons que cet accès à l’abstraction est essentiel pour développer le raisonnement et ne saurait être escamoté sans dommages. Parce que c’est notre mission, de développer le raisonnement de nos élèves, et que les professeurs peuvent la mener à bien si on leur en donne les moyens.
Une nomenclature bien pensée est un de ces moyens.
Merci très instructif...même pour un prof de math ^^
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Q est dénombrable, et dense dans R
Pourtant R est n'est pas dénombrable.
C'est beau.
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