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- OlympiasProphète
Marie Laetitia a écrit:Écrire permet aussi de prendre du recul et ça m'a permis de prendre les choses moins à coeur. En changeant les prénoms, j'ai vu mes élèves dans le couloir devant la salle comme les acteurs d'une pièce de théâtre, acteurs malgré eux... Entre tragédie et comédie. Du coup, les choses perdaient de leur gravité et devenaient plus vivables.
Le texte d'Olympias, qu'elle m'avait fait parvenir il y a quelques semaines, m'a beaucoup tourneboulée aussi, parce qu'en vingt ans, nous n'avons pas avancé d'un pouce. Je ne sais même pas s'il y a une aggravation de la situation, il y a déjà une situation grave mais ancrée dans le temps long. Hélas... Cela relative le rôle que nous pouvons jouer.
Je viens de te lire...
- OlympiasProphète
La violence au collège...
Dans les établissements scolaires, elle n’est plus aujourd’hui un phénomène marginal. Si les cas de violence meurtrière sont rares, le comportement de plus en plus agressif des élèves, surtout dans la tranche des dix-quinze ans, peut devenir quotidien : en paroles, en actes plus ou moins graves, il déborde largement les zones dites sensibles ou les ZEP et n’épargne pas des établissements réputés calmes ou cotés. En fait, certains établissements classés ZEP peuvent arriver à maîtriser la violence, tandis que d’autres, non classés, peuvent présenter une atmosphère ressentie comme invivable par les enseignants et les élèves qui en souffrent. Beaucoup d’entre nous rêvent d’entrer dans une classe sereine, où les élèves n’auraient d’autre préoccupation que d’apprendre, où le professeur serait là uniquement pour enseigner et non pour exercer une fonction hybride de pédagogue, de père fouettard, d’assistance sociale, de psychologue, de substitut à une autorité parentale défaillante voire inexistante.
Continuons à rêver et à conserver cette soupape de sécurité, car la réalité est tout autre !
Au collège, j’ai été très rapidement confrontée à une violence quotidienne, larvée, vécue par de plus en plus d’enseignants. Elle est d’autant plus insidieuse, que dans bien des cas, elle ne vise personne en particulier. C’est une ambiance de vie sur laquelle viennent se greffer des situations conflictuelles et avec laquelle il faut vite apprendre à composer. Après la relative tranquillité du lycée, c’est le choc. Au collège, le bruit est souvent insupportable : la cour ne résonne pas du bruit des jeux, mais des cris, bousculades, hurlements et bagarres. Les insultes commencent à fuser vers 7h55 ! En fait vers 8h, j’arrive déjà conditionnée, car le trajet de quelques minutes entre notre métro aérien (reliant la ville basse et la ville haute) et le bus donne un avant-goût de l’ambiance de la cour de récréation. Les collégiens tentent obstinément de s’engouffrer en même temps dans la cabine, puis dans le bus scolaire, jouent des coudes en s’insultant. La même scène se reproduit chaque matin : le raffinement de leur vocabulaire (« ***, ***, eh ta mère.... ») et la délicatesse du son de leurs voix m’empêchent de somnoler !
Mon collège de ZEP, situé dans une ville moyenne (27 000 habitants) d’une académie de la moitié nord de la France, ne saurait être qualifié de très difficile, surtout si on le compare à d’autres établissements de la région ou de ceux des banlieues parisienne, lyonnaise, marseillaise, lilloise. Mais la situation se dégrade, rendant le travail plus difficile.
Ces deux dernières années, les articles sur la violence se sont multipliés dans la presse. En les parcourant, je crois reconnaître certaines classes, à travers des témoignages de collègues : « On dirait que ces gamins ne maîtrisent pas leur corps. Ils ne savent même pas rester assis. Encore moins silencieux. Je passe mon temps à les canaliser, alors que je suis là pour leur apprendre des choses. Retenir leur attention quelques minutes, c’est l’enfer. Aucun message ne passe. D’ailleurs, ils ne s’écoutent même pas entre eux. Personne ne leur a appris. Il faut bien qu’ils parlent, et en classe ça fuse pour tout et n’importe quoi ! »
C’est une bonne description de ma sixième 1 en début d’année ! Certains élèves de sixième 4 et 6 pourraient également se reconnaître !
Chronique de la violence ordinaire
Il faut admettre que la violence commence avec le bruit, cette agression assourdissante qui se répète chaque matin lorsque j’arrive au collège. Des élèves frôlent l’hystérie à 8 heures du matin. Comment peuvent-ils alors envisager la perspective d’une journée calme avec la contrainte de demeurer sagement assis et concentrés ? Le bruit et l’agitation permanente constituent la première étape d’une violence plus grande.
Il est parfois impossible de commencer à travailler à 8 heures : il faut leur demander de se ranger devant la porte afin qu’ils arrivent, si possible, à se calmer avant d’entrer. Des hurlements retentissent dans les couloirs. Avec certains, c’est malheureusement à un véritable dressage qu’il faut recourir. Dompter ma horde avant d’ouvrir la porte. Ces élèves n’ont bien souvent aucunement l’impression de mal se conduire : ils crient ainsi depuis des années à l’école, hurlent au lieu de parler calmement. Le couloir est un lieu où on se défoule, sans doute. Cette attitude semble devenue normale, alors qu’elle ne l’est pas.
Une fois qu’ils sont assis (certains n’ont pas d’affinités avec les chaises !) il faut de nouveau les faire taire, vérifier que les affaires sont sorties, que le matériel est au complet. Dure tâche, qui transforme bien des cours en épreuve de force. Dans ce parcours du combattant, je ne peux pas me permettre de lâcher prise : c’est eux ou moi. Autant leur faire comprendre le plus vite possible que c’est moi qui commande, que je suis le seul chef de cette meute. Une telle scène peut se reproduire chaque matin, durant des semaines. Un jour, miracle, une certaine autodiscipline arrive à fonctionner. Mais ce n’est jamais gagné d’avance et il faut en permanence rester vigilant.
Les journées sont épuisantes à force de se démultiplier : transmettre les connaissances, expliquer, ré-expliquer, gérer le caractériel qui risque à tout moment de perturber l’ambiance (l’alchimie de certaines classes est extrêmement fragile et il suffit d’un rien pour la faire exploser), occuper les élèves qui ont déjà terminé (et s’ennuient), d’autres n’ayant pas encore compris qu’il fallait ouvrir le cahier, passer de l’un à l’autre tout en maintenant le silence nécessaire à la tranquillité du travail... Il faut rester calme afin de conserver assez d’énergie pour tenir le coup toute la matinée. Les premières semaines, j’avais beau tenir mes classes, j’étais épuisée. En rentrant chez moi, en fin d’après-midi, je m’allongeais et dormais au moins une heure voire plus. Même ceux et celles qui ont une autorité naturelle, qui résistent, sont fatigués. Les mois passant, on prend un rythme de croisière. On ne l’accepte pas pour autant, mais on s’habitue.
Il ne s’agit là que des éléments les moins graves mais qui nous obligent à puiser dans nos réserves tout au long de la journée. S’y ajoutent le racket, les vols, les agressions verbales et physiques envers d’autres élèves ou certains professeurs, les bagarres, la dégradation du matériel, et les petits détails qui pourrissent la vie quotidienne : injures, crachats, coups de pied dans les portes...
Pour mieux comprendre le phénomène, j’ai fait circuler un questionnaire sur la violence dans les classes. Cette enquête a eu lieu durant une semaine plutôt tendue (davantage de bagarres et de conflits qu’à l’accoutumée, une agression à l’encontre d’un collègue de technologie). Les élèves devaient répondre aux questions suivantes :
1. Quelles sont les manifestations de la violence au collège ? Qu’en pensez-vous ?
2. Pour vous, qu’est-ce qu’une situation où on fait preuve de violence ?
3. Y avez-vous été confronté ? Dans quel cas ?
4. Pourquoi pouvez-vous réagir violemment ? Essayez-vous de vous maîtriser ?
Y arrivez-vous ? Sinon, pourquoi?
5. Quelles seraient, selon vous, les réponses à apporter pour qu’il y ait moins de violence ?
Les réponses, recueillies dans mes classes et celles de collègues, de manière à couvrir tous les niveaux, sont révélatrices du malaise. Comme manifestations de violence, on retrouve le racket, les bagarres (coups de pied, de poing), le bizutage (sans plus de précision), les insultes, souvent racistes (« sale bougnoul, sale arabe, sale noir, rentre dans ton pays ») ou très grossières (« Fils de ***, bâtard, ta mère en slip, Nique ta mère, Ta mère, je la baise ») : la poésie n’est pas de mise ici !!
Certains élèves ressentent mal les insultes concernant leur famille et réagissent. On notera à ce propos que les conflits de quartier ou les querelles de palier entre deux familles se règlent souvent au collège par élèves interposés. La Guerre des boutons version ZEP !
Des clans se constituent. Une barre de HLM jouxte la cour et les familles interpellent fréquemment les élèves durant la récréation. Les insultes racistes semblent être une solution de facilité, car le collège ne compte pas une multitude de nationalités ! Cette année-là, j’avais quelques élèves marocains, une algérienne, deux vietnamiens, un originaire du Togo et un angolais. Les familles étrangères sont plutôt bien intégrées dans les deux quartiers HLM dépendant du collège.
Mon élève angolais, qui vivait mal sa transplantation, faisait du racisme à l’envers et venait ensuite se plaindre d’être traité de « Sale nègre ». Il avait du mal à comprendre qu’il continuerait à se faire insulter s’il ne canalisait pas rapidement son agressivité verbale en s’adressant aux autres. Un autre élève, Abdelaziz utilisait le même procédé, mais avec plus de subtilité ! Insulter les autres sans que les professeurs s’en aperçoivent, et venir ensuite pleurnicher en jouant les martyrs : « Madame, y me traite de bougnoul ! » « Y me traite !! »;
Le maître mot était lâché.
Un jour, excédée, je leur expliquai que cette expression n’avait aucun sens et qu’ils feraient mieux de dire « Il m’insulte » ou « Il me traite d’imbécile ». Message reçu cinq sur cinq ! Deux minutes après, un élève ayant laissé tomber ses crayons de couleur et reçu une remarque de son voisin, m’interpellait : « Madame, il m’insulte d’imbécile ! ».
La phrase « Ça commence toujours par des insultes et ça finit par des coups » revenait fréquemment dans les réponses. Au cours du mois d’octobre, deux élèves, Abdelaziz (encore lui) et Fouzia, tous deux issus d’une famille marocaine, se sont régulièrement battus, y compris en entrant en classe. Il fallait souvent les séparer et ils ont arboré des ecchymoses sur le visage pendant au moins deux semaines. Il y avait une obscure histoire d’insultes familiales dont le mystère est demeuré intact, chaque élève présentant « sa » version de l’affaire (en étant évidemment la victime en état de légitime défense), tentant de faire admettre ses arguments aux divers professeurs de la classe.
L’agression verbale est donc considérée comme une forme de violence à part entière et elle dégénère. A la fin du mois de décembre, un élève de quatrième technologique, excédé de s’entendre traiter de « Pédé » par deux autres élèves, s’est brusquement jeté sur l’un d’eux en cours d’Anglais et l’aurait assommé si le professeur ne s’était pas interposé, au risque de recevoir des coups. Malheureusement, dans cette classe à petit effectif, les élèves n’arrivaient pas à se supporter. Leurs professeurs étaient souvent contraints de prendre sur le cours le temps nécessaire au règlement de querelles qui se poursuivaient dans la cour et à l’extérieur du collège. Les antagonismes étaient permanents.
D’autres réponses : « La violence, c’est bien! Ca nous fait bouger un peu! » Je n’ai trouvé cet argument qu’une seule fois. Son auteur avait-il peur de rester figé ? Je trouvais que les élèves étaient pourtant assez remuants comme ça.
« C’est quand les profs ont peur de rentrer dans le collège. » Je n’ai pas senti cette peur chez mes collègues. Ou alors, ceux qui étaient concernés l’ont bien cachée. Rien n’est pire que d’être perçu comme un enseignant qui a peur des élèves.
« C’est quand il y a des bandes dans la cour ». Nous n’en sommes pas encore au stade des gangs !
La majeure partie des élèves critique l’ambiance, mais peu d’entre eux avouent arriver à se contenir : « Quand on m’insulte, je ne dis rien, mais quand c’est ma famille, alors là je réagis » ; «C’est impossible de se maîtriser, la puissance est trop forte ».
Ils attendaient malgré tout du changement et les solutions proposées révèlent à quel point le laxisme ambiant est mal vécu : « des colles, des renvois, des exclusions définitives, dire aux surveillants et aux professeurs quand il y a du racket (« On se tait car on a peur d’être battu »), davantage de surveillants, éviter les armes (y en aurait-il dans le collège ?). Ce sont les victimes de la violence qui jugent l’ambiance laxiste. L’administration du collège essayait du mieux qu’elle pouvait de contrôler les éléments les plus difficiles.
Beaucoup tentent de prôner le dialogue, mais cela ne fonctionne pas toujours. Ils attendent des autres davantage de calme et de courtoisie (« Moins de méchanceté, ne pas bousculer les autres, ne pas donner de coups de pied dans les cartables, tenir la porte battante du couloir »), surtout lorsque eux-mêmes ont essayé de faire des efforts. Une telle attitude se remarque surtout chez ceux qui ont commencé à mettre en pratique les conseils donnés en Education civique. Le cours sur la vie en société avait donné lieu à un réel dialogue : je sentais que bon nombre d’entre eux souffraient de l’agressivité ambiante et que d’autres étaient malheureux de se trouver entraînés dans une spirale qui les faisait réagir de plus en plus violemment. Ils avaient besoin d’être écoutés et se confiaient d’autant plus qu’ils savaient que malgré ma sévérité, ils trouvaient toujours chez moi une oreille attentive à leurs problèmes. Ils évoquaient alors le rôle des parents, regrettant l’absence de dialogue (« chez moi, je voudrais parler, mais on ne m’écoute jamais »), la difficulté du quartier, un concentré de crise économique, sociale et de début d’exclusion (« Que les gens qui se battent ne se battent plus ! En plus, on est dans un quartier chaud ! »). Un élève propose un aménagement du règlement : « Plus sévère pour la violence, moins sévère pour ce qui n’est pas grave » (sans préciser la hiérarchisation des sanctions).
Qu’en retenir ? On remarque rapidement que si l’insulte est considérée comme une forme de violence, elle ne concerne que les élèves entre eux. Seule une élève étend le phénomène aux relations élève-enseignant : « Lorsqu’on parle méchamment au professeur ». Pour la quasi-totalité des élèves, la violence verbale envers le professeur n’est pas considérée comme une forme d’agression. Or, une grande partie du malentendu découle aussi de cette erreur d’appréciation ! Certains collégiens n’acceptent pas qu’on leur fasse des remarques, mais trouvent par contre tout à fait naturel d’insulter le voisin, de faire des réflexions désagréables, voire de répondre au professeur de manière insolente. Ils ne comprennent pas qu’ils ne doivent pas répliquer à un adulte, l’interrompre et que cette attitude impolie n’est pas plus admissible vis-à-vis d’un autre élève. Visiblement, mon code et le leur n’est pas le même !
Leur incapacité à vivre sereinement en groupe se traduit par des conflits (souvent ridicules) au moindre prétexte : matériel qui tombe, voisin qui prend un peu trop de place, qui emprunte le matériel sans le demander ou ne le rend pas assez rapidement. Il faut mettre le holà immédiatement sous peine de débordements.
Mais la violence n’est pas l’apanage des seuls établissements classés ZEP ou zone sensible, qu’il serait injuste de stigmatiser.
L’année suivante, j’ai trouvé une atmosphère agitée dans un collège rural du département. Un collège neuf, avec des conditions de vie agréables. Je m’attendais au calme et j’ai vite déchanté car les conflits étaient encore plus nombreux que dans la ZEP ! Certains élèves particulièrement problématiques, (car placés par le juge pour enfants dans un foyer où des éducateurs les prennent en charge) entretiennent ambiance.
Pour comprendre dans quelles conditions nous avons travaillé durant des mois, il faut se plonger dans cette « Chronique de la violence ordinaire » que j’avais affichée dans la salle des professeurs, après plusieurs discussions avec des collègues tendus et exaspérés.
Voici la situation actuelle à l’intérieur du collège (janvier 1996)
Certains élèves se conduisent comme s’ils étaient en situation d’exterritorialité. Leur comportement, depuis le mois de septembre 1995, n’est qu’une longue série de provocations, d’infractions au règlement intérieur et de mépris affiché ouvertement, que ce soit de l’institution scolaire ou de l’ensemble des personnels de l’établissement (enseignants, administration, surveillants, personnels de service..) :
- cours « à la carte » : le collège est-il un self-service ?
- absences et retards multiples et non justifiés, billets d’excuse rédigés par les élèves !
-absence aux retenues
-insolences répétées
-insultes diverses
-réflexions désobligeantes
-vulgarité de langage
-tabagisme
- consommation d’alcool avant d’entrer dans le collège : il suffit de regarder les canettes de bière qui jonchent le trottoir.
-dégradation du matériel
- agressions envers d’autres élèves, surtout les plus petits qui subissent un bizutage permanent : frappés dans les bus scolaires, piqués par des aiguilles (cela ne laisse pas de trace) par les élèves de troisième.
- agressions envers des adultes (une surveillante jetée à terre dans la cour alors qu’elle tente de séparer deux élèves )
-bagarres permanentes
- racket plus ou moins visible, que les petits n’osent pas dénoncer par crainte des représailles. Cela commence par quelques francs, par le dessert ou une partie du repas à la cantine. Puis viennent les vols de matériel. « Apporte-moi un paquet de cigarettes demain, ou je te cogne ! » Certains ont trouvé là un moyen de fumer à peu de frais.
- dégradation des voitures de certains professeurs sur le parking (carrosseries rayées, rétroviseurs cassés ... )
Exemple : Mickaël M. élève de 4e 5, vient quand bon lui semble, choisit ses cours (je ne l’ai pas vu en cours depuis le 26 septembre et il est présent au collège lorsque que le reste de la classe est avec moi), arrive la cigarette aux lèvres et nargue le surveillant, attendant vraisemblablement qu’on lui déroule le tapis rouge, perturbe les cours, provoque les enseignants, frappe les élèves dans la cour ou dans le couloir, insulte qui n’a pas l’heur de lui plaire ce jour-là. L’exclusion le ravit et il revient la semaine suivante en ayant l’air de dire : « Vous voyez, je peux recommencer ! »
D’autres suivent le même chemin, influencés par cet adolescent intelligent et caractériel, déjà entré dans la délinquance. Hier, durant le cours d’EPS, il s’est sauvagement précipité sur un élève, qui ne lui avait rien fait et le professeur a dû le maîtriser physiquement pour lui faire lâcher prise.
L’exclusion répétée sans contrainte aboutit à l’effet inverse de celui qui est espéré : il ne s’agit plus d’une sanction mais de vacances, et le trublion quitte provisoirement le collège en semblant dire : « Ciao ! A la prochaine ! » L’élève renvoyé ne prend pas conscience que son exclusion, même provisoire du système scolaire, ne peut que lui nuire.
Il faudrait plutôt les exclure des cours tout en les obligeant à rester dans l’établissement pour rattraper les cours et fournir les travaux non réalisés ou non rendus. Naturellement, ils doivent être tenus à l’écart des autres élèves qui sont en permanence pour des questions d’emploi du temps.
Exemple : Johnny G., élève de 4e 5, a été exclu à trois reprises depuis la rentrée de janvier 1996 (a agressé une enseignante, a insulté la documentaliste, a enflammé des allumettes dans le couloir) il est incapable de récupérer les cours, donc de suivre et s’enfonce dans la spirale de l’échec.
Il est inadmissible que certains élèves n’aient toujours pas présenté leurs excuses aux professeurs à la suite d’un incident plusieurs mois après les faits, et qu’ils se permettent de continuer à insulter en toute impunité, voire de tutoyer les professeurs. Marjorie M., élève de 3e 3, placée en centre éducatif, agressive et caractérielle, traite son professeur d’histoire de « *** » parce qu’elle lui demande de bien vouloir refaire un contrôle, après suspicion de fraude. « De toute manière, vous n’êtes qu’une conne ! » s’entend dire une collègue de lettres. Peut-on accepter de se faire traiter de « con », « *** », « sale *** » ? Est-il normal d’être insulté de cette manière par des élèves ?
Les parents de certains élèves se permettent d’insulter les enseignants et l’administration, de les menacer, que ce soit sur le carnet de liaison, par téléphone, par courrier ou en venant directement au collège (à croire qu’on entre dans l’établissement comme dans un moulin !). Ils remettent en cause les devoirs, les notes, contestent les sanctions, le motif des retenues et soutiennent les revendications des élèves. Ils ne viennent jamais aux réunions, refusent de rencontrer les professeurs mais donnent systématiquement raison à leurs enfants en cas de problème. Le père de Yann T. ne cesse de menacer les professeurs qui supportent stoïquement la mauvaise éducation de son rejeton : « Si je vois mon fils avec un seul devoir, je jette tout et je viens au collège vous casser la gueule ! »
Comment ensuite, s’étonner que des élèves adoptent le même comportement ? Le respect n’est pas à sens unique. Il doit aussi se mériter.
Il règne un climat de violence latent. Beaucoup d’élèves sont agressifs, clamant haut et fort leurs droits mais faisant fi des devoirs qui leur incombent. Comment peuvent-ils espérer du respect, lorsqu’ils arrivent, l’insulte à la bouche, hurlant et s’agressant, détériorant les cartables, usant du matériel scolaire comme bon leur semble. On ne compte plus les exemples de tables souillées, rayées aux ciseaux ou au cutter, de sols tachés d’encre, de crachats, de livres rendus dans un tel état que les élèves les refuseraient si la documentaliste les leur remettait ainsi en début d’année.
Que n’entend-on pas ? « Cette table, je l’ai payée, donc je fais ce que je veux et d’ailleurs ici, je suis chez moi et je vous emmerde. Mon père paie des impôts. » Voilà ce que rétorque Mickaël M. lorsqu’on ose lui demander de bien vouloir cesser de détériorer le matériel scolaire !
Des parents se comportant en consommateurs d’école, dénigrant l’institution scolaire et ce qu’elle représente, croyant avoir tous les droits et un contrôle sur tout, se plaignant à tout propos, couvrant les absences d’élèves qui sèchent les cours... ne peuvent qu’entraîner un comportement similaire chez les enfants, qui considèrent l’établissement comme une sorte de self-service où on peut agir n’importe comment sans encourir de sanction. On note un refus de ce que représente le collège. Or, à partir du moment où on y est inscrit, on doit respecter le règlement intérieur qui ne peut être aménagé.
Nous accueillons plusieurs élèves très difficiles, placés par le juge des enfants dans un centre éducatif situé à quelques kilomètres du collège. Ils ont de gros problèmes, refusent de se plier aux règles du collège et perturbent fréquemment les cours. Nous ne sommes pas formés pour accueillir de tels élèves. Soit leurs éducateurs prennent leurs responsabilités et travaillent avec nous en les suivant de très près, soit ils doivent les placer ailleurs. Personne ne niera que ces enfants ont droit à l’éducation, mais ce droit ne saurait être celui de faire n’importe quoi.
Certains élèves ont déjà seize ans et plus, sans avoir atteint la troisième, sont délibérément provocateurs et perturbateurs, refusent de se plier aux règles de l’établissement, ne font strictement rien en classe (sinon empêcher les autres de travailler) alors qu’ils pourraient réussir en se donnant un peu de peine. Le collège n’ayant pas vocation à être une halte-garderie pour caractériels qui rejettent les contraintes de la vie en société, constituent une menace pour les plus petits et un mauvais exemple pour d’autres, ces élèves devraient être définitivement exclus.
Il ne s’agit pas là de ceux qui ont des difficultés scolaires mais font, eux tout ce qu’ils peuvent pour améliorer leurs résultats. Ces élèves-là ne peuvent qu’être déstabilises par les caractériels cités plus haut.
Le conseil de discipline doit être utilisé sans crainte (dans une gradation des sanctions qui ait du sens) car il permet de montrer en expliquant à ceux qui ne connaissent pas les limites que ce qui n’est pas acceptable doit être puni. En cas de racket ou d’agression, ce n’est pas la victime qui doit partir, mais le coupable.
Nous avons ici même des élèves qui refusent de prendre leurs responsabilités et de rendre compte de leurs actes, partant du principe que tout le monde leur en veut, se braquant à la moindre remarque : « Ca y est ! C’est encore sur nous que ça tombe ! Chaque fois qu’il y a un problème, on accuse les 3e 4 ! ». Le complexe de persécution.
On retrouve le même problème dans le documentaire « Une vie de prof », dont j’ai fait visionner quelques extraits à une classe en Education civique pour leur faire comprendre où sont les limites. On y voit un enseignant boycotter une classe après avoir reçu une poubelle dans le dos. Il persévère tant que l’auteur de ce geste ne s’est pas dénoncé. Fureur des autres !! Mais les élèves oublient de mentionner que si le jet de poubelle émane d’un seul, l’ensemble de la classe l’a soutenu, en rigolant et en ridiculisant l’enseignant.
Notre collège n’atteint pas le nombre d’élèves requis pour disposer d’un conseiller principal d’éducation. Mais nous en avons besoin, ainsi que d’un autre surveillant. Il faudrait également qu’un médecin, une assistante sociale et un psychologue assurent une permanence au moins deux jours par semaine tant les problèmes à régler sont nombreux. Il y a des élèves relevant d’un suivi psychologique (voire psychiatrique, car capables de crises de fureur à la limite de la démence passagère), des élèves avec des problèmes d’hygiène. Les moyens doivent être mis en relation avec les caractéristiques familiales, économiques et sociales du public fréquentant le collège, au lieu de raisonner avec des statistiques, des dotations globales, un nombre d’élèves plafond pour accorder des postes ou des crédits.
Une telle demande est la preuve que les enseignants prennent leurs responsabilités. Une ambiance de sérénité et de travail n’est possible qu'en s'en tenant à quelques règles simples : sanctionner les contrevenants, utiliser le conseil de discipline, ne pas hésiter à déposer plainte si des parents ou des élèves insultent, diffament ou agressent. Ne pas céder, rester ferme et cohérent, est dissuasif. Et cela n’est nullement incompatible avec la compréhension dont nous faisons preuve à l’égard de nos élèves qui savent bien qu’ils peuvent compter sur nous an cas de besoin. La fermeté n’exclut pas le dialogue. Encore faut-il avoir réellement la capacité d’écouter, la volonté de faire partie du collège au lieu de se marginaliser volontairement. Beaucoup d’élèves traversent des passages difficiles, ont des problèmes familiaux, doutent devant l’avenir. Nous en sommes conscients. Notre établissement est peu touché par la violence qui s’entend en terme de code pénal, mais les actes d’incivilité se multiplient et la violence est parfois liée à l’exclusion économique et sociale (30% de chômeurs dans un des villages de la carte scolaire, des enfants suivis par des éducateurs, des familles délinquantes..) Les problèmes de violence scolaire ne sont pas le seul fait des banlieues. L’école s’adapte comme elle le peut à l’évolution de la société : elle ne saurait être tenue pour responsable de tous ses maux.
Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire :
L’affichage de cet état des lieux provoqua un certain émoi dans l’administration. J’expliquai que j’étais l’auteur du texte et qu’il ne s’agissait pas de mettre l’administration de l’établissement en accusation, mais de discuter ouvertement des problèmes afin de trouver des solutions efficaces, car les professeurs, tous comme les surveillants, étaient tendus et fatigués. Une des surveillantes avait été jetée à terre dans la cour en essayant de séparer deux élèves qui se battaient. Un de mes élèves du centre social, amorphe depuis le mois de septembre, s’était subitement réveillé et avait tenté de m’agresser physiquement, hurlant et m’insultant en voyant que je résistai à sa crise. J’avais dû faire convoquer une des éducatrices du centre pour lui faire comprendre que je ne tolérerais pas une seconde tentative d’agression, verbale ou physique de la part de Johnny.
Si nos élèves s’en étaient tenus au lancer des fusées (expédier au plafond grâce à un élastique une cartouche pleine d’encre - mais percée - bordée de papier et soigneusement enduite de colle forte), mes collègues et moi n’aurions pas passé autant de temps à parler de nos problèmes et à essayer de trouver des solutions. En moins d’un trimestre, il y avait eu autant de dégâts matériels que durant toute l’année scolaire précédente. Les fantaisies de nos trublions commençaient à coûter cher et l’intendant voyait rouge... Afin de maintenir une cohésion pour que nous puissions travailler le mieux possible en nous concertant, notre collègue professeur principal de la 4e 5 (une des plus pénibles du collège) avait inauguré le « cahier de doléances à l’usage exclusif des 4e 5 ». Il restait dans son casier et tout incident y était immédiatement consigné par le professeur concerné. La lecture de ce bêtisier aurait en principe dû nous consterner. Cela provoqua bon nombre de fou-rires. Malgré la fatigue et les difficultés, nous n’étions pas encore déprimés au point de ne plus pouvoir rire. C’était rassurant.
Malgré nos demandes, le principal refusait obstinément de réunir le conseil de discipline, arguant que la procédure se retournerait contre les professeurs. Une telle attitude montre en fait le refus d’admettre qu’il existe des problèmes dans l’établissement, le refus de les régler et l’angoisse vis-à-vis vis de la hiérarchie administrative. Surtout, ne pas se faire remarquer par l’inspection académique ou le rectorat ! Il est sans doute plus simple de conserver tous les élèves, y compris les plus dangereux, de fermer doucement la porte de la salle de classe et de faire comme s’il ne se passait rien...
Quelques jours plus tard, au cours d’ une réunion « Discipline et vie scolaire », le chef d’établissement réitéra ses arguments pour culpabiliser les collègues qui réclamaient le conseil de discipline afin de faire un exemple, expliqua qu’il se faisait aussi insulter par des parents (je lui suggérai de porter plainte...), que le collège n’obtiendrait pas de moyens supplémentaires (surtout si personne ne les réclamait...), refusa d’avoir le moindre contact avec les éducateurs de nos élèves du centre social et fut, comme d’habitude, cassant et désagréable avec certains enseignants, leur parlant d’une façon odieuse.
Il expliqua que si nous avions des problèmes, il n’y pouvait rien (pour un peu, c’était notre faute!) et que son pouvoir se limitait à prononcer des exclusions.
En conclusion, chacun était seul dans sa classe et devait se débrouiller. Il fallait tout régler en circuit interne.
Je quittai le collège quelques semaines plus tard, mon remplacement de six mois étant terminé. Cette initiative ne fut probablement pas sans incidence sur ma note administrative, qui subit une « stagnation » cette année là : certes, j’étais toujours « ponctuelle et assidue », « active et efficace », «je rayonnais avec autorité » (trop, peut-être ?). Mais refusant d’ignorer les problèmes et de m’accommoder de la médiocrité ambiante, j’étais trop exigeante. Ce principal n’était pas mon supérieur hiérarchique, mais il avait malgré tout son mot à dire.
Dans les établissements scolaires, elle n’est plus aujourd’hui un phénomène marginal. Si les cas de violence meurtrière sont rares, le comportement de plus en plus agressif des élèves, surtout dans la tranche des dix-quinze ans, peut devenir quotidien : en paroles, en actes plus ou moins graves, il déborde largement les zones dites sensibles ou les ZEP et n’épargne pas des établissements réputés calmes ou cotés. En fait, certains établissements classés ZEP peuvent arriver à maîtriser la violence, tandis que d’autres, non classés, peuvent présenter une atmosphère ressentie comme invivable par les enseignants et les élèves qui en souffrent. Beaucoup d’entre nous rêvent d’entrer dans une classe sereine, où les élèves n’auraient d’autre préoccupation que d’apprendre, où le professeur serait là uniquement pour enseigner et non pour exercer une fonction hybride de pédagogue, de père fouettard, d’assistance sociale, de psychologue, de substitut à une autorité parentale défaillante voire inexistante.
Continuons à rêver et à conserver cette soupape de sécurité, car la réalité est tout autre !
Au collège, j’ai été très rapidement confrontée à une violence quotidienne, larvée, vécue par de plus en plus d’enseignants. Elle est d’autant plus insidieuse, que dans bien des cas, elle ne vise personne en particulier. C’est une ambiance de vie sur laquelle viennent se greffer des situations conflictuelles et avec laquelle il faut vite apprendre à composer. Après la relative tranquillité du lycée, c’est le choc. Au collège, le bruit est souvent insupportable : la cour ne résonne pas du bruit des jeux, mais des cris, bousculades, hurlements et bagarres. Les insultes commencent à fuser vers 7h55 ! En fait vers 8h, j’arrive déjà conditionnée, car le trajet de quelques minutes entre notre métro aérien (reliant la ville basse et la ville haute) et le bus donne un avant-goût de l’ambiance de la cour de récréation. Les collégiens tentent obstinément de s’engouffrer en même temps dans la cabine, puis dans le bus scolaire, jouent des coudes en s’insultant. La même scène se reproduit chaque matin : le raffinement de leur vocabulaire (« ***, ***, eh ta mère.... ») et la délicatesse du son de leurs voix m’empêchent de somnoler !
Mon collège de ZEP, situé dans une ville moyenne (27 000 habitants) d’une académie de la moitié nord de la France, ne saurait être qualifié de très difficile, surtout si on le compare à d’autres établissements de la région ou de ceux des banlieues parisienne, lyonnaise, marseillaise, lilloise. Mais la situation se dégrade, rendant le travail plus difficile.
Ces deux dernières années, les articles sur la violence se sont multipliés dans la presse. En les parcourant, je crois reconnaître certaines classes, à travers des témoignages de collègues : « On dirait que ces gamins ne maîtrisent pas leur corps. Ils ne savent même pas rester assis. Encore moins silencieux. Je passe mon temps à les canaliser, alors que je suis là pour leur apprendre des choses. Retenir leur attention quelques minutes, c’est l’enfer. Aucun message ne passe. D’ailleurs, ils ne s’écoutent même pas entre eux. Personne ne leur a appris. Il faut bien qu’ils parlent, et en classe ça fuse pour tout et n’importe quoi ! »
C’est une bonne description de ma sixième 1 en début d’année ! Certains élèves de sixième 4 et 6 pourraient également se reconnaître !
Chronique de la violence ordinaire
Il faut admettre que la violence commence avec le bruit, cette agression assourdissante qui se répète chaque matin lorsque j’arrive au collège. Des élèves frôlent l’hystérie à 8 heures du matin. Comment peuvent-ils alors envisager la perspective d’une journée calme avec la contrainte de demeurer sagement assis et concentrés ? Le bruit et l’agitation permanente constituent la première étape d’une violence plus grande.
Il est parfois impossible de commencer à travailler à 8 heures : il faut leur demander de se ranger devant la porte afin qu’ils arrivent, si possible, à se calmer avant d’entrer. Des hurlements retentissent dans les couloirs. Avec certains, c’est malheureusement à un véritable dressage qu’il faut recourir. Dompter ma horde avant d’ouvrir la porte. Ces élèves n’ont bien souvent aucunement l’impression de mal se conduire : ils crient ainsi depuis des années à l’école, hurlent au lieu de parler calmement. Le couloir est un lieu où on se défoule, sans doute. Cette attitude semble devenue normale, alors qu’elle ne l’est pas.
Une fois qu’ils sont assis (certains n’ont pas d’affinités avec les chaises !) il faut de nouveau les faire taire, vérifier que les affaires sont sorties, que le matériel est au complet. Dure tâche, qui transforme bien des cours en épreuve de force. Dans ce parcours du combattant, je ne peux pas me permettre de lâcher prise : c’est eux ou moi. Autant leur faire comprendre le plus vite possible que c’est moi qui commande, que je suis le seul chef de cette meute. Une telle scène peut se reproduire chaque matin, durant des semaines. Un jour, miracle, une certaine autodiscipline arrive à fonctionner. Mais ce n’est jamais gagné d’avance et il faut en permanence rester vigilant.
Les journées sont épuisantes à force de se démultiplier : transmettre les connaissances, expliquer, ré-expliquer, gérer le caractériel qui risque à tout moment de perturber l’ambiance (l’alchimie de certaines classes est extrêmement fragile et il suffit d’un rien pour la faire exploser), occuper les élèves qui ont déjà terminé (et s’ennuient), d’autres n’ayant pas encore compris qu’il fallait ouvrir le cahier, passer de l’un à l’autre tout en maintenant le silence nécessaire à la tranquillité du travail... Il faut rester calme afin de conserver assez d’énergie pour tenir le coup toute la matinée. Les premières semaines, j’avais beau tenir mes classes, j’étais épuisée. En rentrant chez moi, en fin d’après-midi, je m’allongeais et dormais au moins une heure voire plus. Même ceux et celles qui ont une autorité naturelle, qui résistent, sont fatigués. Les mois passant, on prend un rythme de croisière. On ne l’accepte pas pour autant, mais on s’habitue.
Il ne s’agit là que des éléments les moins graves mais qui nous obligent à puiser dans nos réserves tout au long de la journée. S’y ajoutent le racket, les vols, les agressions verbales et physiques envers d’autres élèves ou certains professeurs, les bagarres, la dégradation du matériel, et les petits détails qui pourrissent la vie quotidienne : injures, crachats, coups de pied dans les portes...
Pour mieux comprendre le phénomène, j’ai fait circuler un questionnaire sur la violence dans les classes. Cette enquête a eu lieu durant une semaine plutôt tendue (davantage de bagarres et de conflits qu’à l’accoutumée, une agression à l’encontre d’un collègue de technologie). Les élèves devaient répondre aux questions suivantes :
1. Quelles sont les manifestations de la violence au collège ? Qu’en pensez-vous ?
2. Pour vous, qu’est-ce qu’une situation où on fait preuve de violence ?
3. Y avez-vous été confronté ? Dans quel cas ?
4. Pourquoi pouvez-vous réagir violemment ? Essayez-vous de vous maîtriser ?
Y arrivez-vous ? Sinon, pourquoi?
5. Quelles seraient, selon vous, les réponses à apporter pour qu’il y ait moins de violence ?
Les réponses, recueillies dans mes classes et celles de collègues, de manière à couvrir tous les niveaux, sont révélatrices du malaise. Comme manifestations de violence, on retrouve le racket, les bagarres (coups de pied, de poing), le bizutage (sans plus de précision), les insultes, souvent racistes (« sale bougnoul, sale arabe, sale noir, rentre dans ton pays ») ou très grossières (« Fils de ***, bâtard, ta mère en slip, Nique ta mère, Ta mère, je la baise ») : la poésie n’est pas de mise ici !!
Certains élèves ressentent mal les insultes concernant leur famille et réagissent. On notera à ce propos que les conflits de quartier ou les querelles de palier entre deux familles se règlent souvent au collège par élèves interposés. La Guerre des boutons version ZEP !
Des clans se constituent. Une barre de HLM jouxte la cour et les familles interpellent fréquemment les élèves durant la récréation. Les insultes racistes semblent être une solution de facilité, car le collège ne compte pas une multitude de nationalités ! Cette année-là, j’avais quelques élèves marocains, une algérienne, deux vietnamiens, un originaire du Togo et un angolais. Les familles étrangères sont plutôt bien intégrées dans les deux quartiers HLM dépendant du collège.
Mon élève angolais, qui vivait mal sa transplantation, faisait du racisme à l’envers et venait ensuite se plaindre d’être traité de « Sale nègre ». Il avait du mal à comprendre qu’il continuerait à se faire insulter s’il ne canalisait pas rapidement son agressivité verbale en s’adressant aux autres. Un autre élève, Abdelaziz utilisait le même procédé, mais avec plus de subtilité ! Insulter les autres sans que les professeurs s’en aperçoivent, et venir ensuite pleurnicher en jouant les martyrs : « Madame, y me traite de bougnoul ! » « Y me traite !! »;
Le maître mot était lâché.
Un jour, excédée, je leur expliquai que cette expression n’avait aucun sens et qu’ils feraient mieux de dire « Il m’insulte » ou « Il me traite d’imbécile ». Message reçu cinq sur cinq ! Deux minutes après, un élève ayant laissé tomber ses crayons de couleur et reçu une remarque de son voisin, m’interpellait : « Madame, il m’insulte d’imbécile ! ».
La phrase « Ça commence toujours par des insultes et ça finit par des coups » revenait fréquemment dans les réponses. Au cours du mois d’octobre, deux élèves, Abdelaziz (encore lui) et Fouzia, tous deux issus d’une famille marocaine, se sont régulièrement battus, y compris en entrant en classe. Il fallait souvent les séparer et ils ont arboré des ecchymoses sur le visage pendant au moins deux semaines. Il y avait une obscure histoire d’insultes familiales dont le mystère est demeuré intact, chaque élève présentant « sa » version de l’affaire (en étant évidemment la victime en état de légitime défense), tentant de faire admettre ses arguments aux divers professeurs de la classe.
L’agression verbale est donc considérée comme une forme de violence à part entière et elle dégénère. A la fin du mois de décembre, un élève de quatrième technologique, excédé de s’entendre traiter de « Pédé » par deux autres élèves, s’est brusquement jeté sur l’un d’eux en cours d’Anglais et l’aurait assommé si le professeur ne s’était pas interposé, au risque de recevoir des coups. Malheureusement, dans cette classe à petit effectif, les élèves n’arrivaient pas à se supporter. Leurs professeurs étaient souvent contraints de prendre sur le cours le temps nécessaire au règlement de querelles qui se poursuivaient dans la cour et à l’extérieur du collège. Les antagonismes étaient permanents.
D’autres réponses : « La violence, c’est bien! Ca nous fait bouger un peu! » Je n’ai trouvé cet argument qu’une seule fois. Son auteur avait-il peur de rester figé ? Je trouvais que les élèves étaient pourtant assez remuants comme ça.
« C’est quand les profs ont peur de rentrer dans le collège. » Je n’ai pas senti cette peur chez mes collègues. Ou alors, ceux qui étaient concernés l’ont bien cachée. Rien n’est pire que d’être perçu comme un enseignant qui a peur des élèves.
« C’est quand il y a des bandes dans la cour ». Nous n’en sommes pas encore au stade des gangs !
La majeure partie des élèves critique l’ambiance, mais peu d’entre eux avouent arriver à se contenir : « Quand on m’insulte, je ne dis rien, mais quand c’est ma famille, alors là je réagis » ; «C’est impossible de se maîtriser, la puissance est trop forte ».
Ils attendaient malgré tout du changement et les solutions proposées révèlent à quel point le laxisme ambiant est mal vécu : « des colles, des renvois, des exclusions définitives, dire aux surveillants et aux professeurs quand il y a du racket (« On se tait car on a peur d’être battu »), davantage de surveillants, éviter les armes (y en aurait-il dans le collège ?). Ce sont les victimes de la violence qui jugent l’ambiance laxiste. L’administration du collège essayait du mieux qu’elle pouvait de contrôler les éléments les plus difficiles.
Beaucoup tentent de prôner le dialogue, mais cela ne fonctionne pas toujours. Ils attendent des autres davantage de calme et de courtoisie (« Moins de méchanceté, ne pas bousculer les autres, ne pas donner de coups de pied dans les cartables, tenir la porte battante du couloir »), surtout lorsque eux-mêmes ont essayé de faire des efforts. Une telle attitude se remarque surtout chez ceux qui ont commencé à mettre en pratique les conseils donnés en Education civique. Le cours sur la vie en société avait donné lieu à un réel dialogue : je sentais que bon nombre d’entre eux souffraient de l’agressivité ambiante et que d’autres étaient malheureux de se trouver entraînés dans une spirale qui les faisait réagir de plus en plus violemment. Ils avaient besoin d’être écoutés et se confiaient d’autant plus qu’ils savaient que malgré ma sévérité, ils trouvaient toujours chez moi une oreille attentive à leurs problèmes. Ils évoquaient alors le rôle des parents, regrettant l’absence de dialogue (« chez moi, je voudrais parler, mais on ne m’écoute jamais »), la difficulté du quartier, un concentré de crise économique, sociale et de début d’exclusion (« Que les gens qui se battent ne se battent plus ! En plus, on est dans un quartier chaud ! »). Un élève propose un aménagement du règlement : « Plus sévère pour la violence, moins sévère pour ce qui n’est pas grave » (sans préciser la hiérarchisation des sanctions).
Qu’en retenir ? On remarque rapidement que si l’insulte est considérée comme une forme de violence, elle ne concerne que les élèves entre eux. Seule une élève étend le phénomène aux relations élève-enseignant : « Lorsqu’on parle méchamment au professeur ». Pour la quasi-totalité des élèves, la violence verbale envers le professeur n’est pas considérée comme une forme d’agression. Or, une grande partie du malentendu découle aussi de cette erreur d’appréciation ! Certains collégiens n’acceptent pas qu’on leur fasse des remarques, mais trouvent par contre tout à fait naturel d’insulter le voisin, de faire des réflexions désagréables, voire de répondre au professeur de manière insolente. Ils ne comprennent pas qu’ils ne doivent pas répliquer à un adulte, l’interrompre et que cette attitude impolie n’est pas plus admissible vis-à-vis d’un autre élève. Visiblement, mon code et le leur n’est pas le même !
Leur incapacité à vivre sereinement en groupe se traduit par des conflits (souvent ridicules) au moindre prétexte : matériel qui tombe, voisin qui prend un peu trop de place, qui emprunte le matériel sans le demander ou ne le rend pas assez rapidement. Il faut mettre le holà immédiatement sous peine de débordements.
Mais la violence n’est pas l’apanage des seuls établissements classés ZEP ou zone sensible, qu’il serait injuste de stigmatiser.
L’année suivante, j’ai trouvé une atmosphère agitée dans un collège rural du département. Un collège neuf, avec des conditions de vie agréables. Je m’attendais au calme et j’ai vite déchanté car les conflits étaient encore plus nombreux que dans la ZEP ! Certains élèves particulièrement problématiques, (car placés par le juge pour enfants dans un foyer où des éducateurs les prennent en charge) entretiennent ambiance.
Pour comprendre dans quelles conditions nous avons travaillé durant des mois, il faut se plonger dans cette « Chronique de la violence ordinaire » que j’avais affichée dans la salle des professeurs, après plusieurs discussions avec des collègues tendus et exaspérés.
Voici la situation actuelle à l’intérieur du collège (janvier 1996)
Certains élèves se conduisent comme s’ils étaient en situation d’exterritorialité. Leur comportement, depuis le mois de septembre 1995, n’est qu’une longue série de provocations, d’infractions au règlement intérieur et de mépris affiché ouvertement, que ce soit de l’institution scolaire ou de l’ensemble des personnels de l’établissement (enseignants, administration, surveillants, personnels de service..) :
- cours « à la carte » : le collège est-il un self-service ?
- absences et retards multiples et non justifiés, billets d’excuse rédigés par les élèves !
-absence aux retenues
-insolences répétées
-insultes diverses
-réflexions désobligeantes
-vulgarité de langage
-tabagisme
- consommation d’alcool avant d’entrer dans le collège : il suffit de regarder les canettes de bière qui jonchent le trottoir.
-dégradation du matériel
- agressions envers d’autres élèves, surtout les plus petits qui subissent un bizutage permanent : frappés dans les bus scolaires, piqués par des aiguilles (cela ne laisse pas de trace) par les élèves de troisième.
- agressions envers des adultes (une surveillante jetée à terre dans la cour alors qu’elle tente de séparer deux élèves )
-bagarres permanentes
- racket plus ou moins visible, que les petits n’osent pas dénoncer par crainte des représailles. Cela commence par quelques francs, par le dessert ou une partie du repas à la cantine. Puis viennent les vols de matériel. « Apporte-moi un paquet de cigarettes demain, ou je te cogne ! » Certains ont trouvé là un moyen de fumer à peu de frais.
- dégradation des voitures de certains professeurs sur le parking (carrosseries rayées, rétroviseurs cassés ... )
Exemple : Mickaël M. élève de 4e 5, vient quand bon lui semble, choisit ses cours (je ne l’ai pas vu en cours depuis le 26 septembre et il est présent au collège lorsque que le reste de la classe est avec moi), arrive la cigarette aux lèvres et nargue le surveillant, attendant vraisemblablement qu’on lui déroule le tapis rouge, perturbe les cours, provoque les enseignants, frappe les élèves dans la cour ou dans le couloir, insulte qui n’a pas l’heur de lui plaire ce jour-là. L’exclusion le ravit et il revient la semaine suivante en ayant l’air de dire : « Vous voyez, je peux recommencer ! »
D’autres suivent le même chemin, influencés par cet adolescent intelligent et caractériel, déjà entré dans la délinquance. Hier, durant le cours d’EPS, il s’est sauvagement précipité sur un élève, qui ne lui avait rien fait et le professeur a dû le maîtriser physiquement pour lui faire lâcher prise.
L’exclusion répétée sans contrainte aboutit à l’effet inverse de celui qui est espéré : il ne s’agit plus d’une sanction mais de vacances, et le trublion quitte provisoirement le collège en semblant dire : « Ciao ! A la prochaine ! » L’élève renvoyé ne prend pas conscience que son exclusion, même provisoire du système scolaire, ne peut que lui nuire.
Il faudrait plutôt les exclure des cours tout en les obligeant à rester dans l’établissement pour rattraper les cours et fournir les travaux non réalisés ou non rendus. Naturellement, ils doivent être tenus à l’écart des autres élèves qui sont en permanence pour des questions d’emploi du temps.
Exemple : Johnny G., élève de 4e 5, a été exclu à trois reprises depuis la rentrée de janvier 1996 (a agressé une enseignante, a insulté la documentaliste, a enflammé des allumettes dans le couloir) il est incapable de récupérer les cours, donc de suivre et s’enfonce dans la spirale de l’échec.
Il est inadmissible que certains élèves n’aient toujours pas présenté leurs excuses aux professeurs à la suite d’un incident plusieurs mois après les faits, et qu’ils se permettent de continuer à insulter en toute impunité, voire de tutoyer les professeurs. Marjorie M., élève de 3e 3, placée en centre éducatif, agressive et caractérielle, traite son professeur d’histoire de « *** » parce qu’elle lui demande de bien vouloir refaire un contrôle, après suspicion de fraude. « De toute manière, vous n’êtes qu’une conne ! » s’entend dire une collègue de lettres. Peut-on accepter de se faire traiter de « con », « *** », « sale *** » ? Est-il normal d’être insulté de cette manière par des élèves ?
Les parents de certains élèves se permettent d’insulter les enseignants et l’administration, de les menacer, que ce soit sur le carnet de liaison, par téléphone, par courrier ou en venant directement au collège (à croire qu’on entre dans l’établissement comme dans un moulin !). Ils remettent en cause les devoirs, les notes, contestent les sanctions, le motif des retenues et soutiennent les revendications des élèves. Ils ne viennent jamais aux réunions, refusent de rencontrer les professeurs mais donnent systématiquement raison à leurs enfants en cas de problème. Le père de Yann T. ne cesse de menacer les professeurs qui supportent stoïquement la mauvaise éducation de son rejeton : « Si je vois mon fils avec un seul devoir, je jette tout et je viens au collège vous casser la gueule ! »
Comment ensuite, s’étonner que des élèves adoptent le même comportement ? Le respect n’est pas à sens unique. Il doit aussi se mériter.
Il règne un climat de violence latent. Beaucoup d’élèves sont agressifs, clamant haut et fort leurs droits mais faisant fi des devoirs qui leur incombent. Comment peuvent-ils espérer du respect, lorsqu’ils arrivent, l’insulte à la bouche, hurlant et s’agressant, détériorant les cartables, usant du matériel scolaire comme bon leur semble. On ne compte plus les exemples de tables souillées, rayées aux ciseaux ou au cutter, de sols tachés d’encre, de crachats, de livres rendus dans un tel état que les élèves les refuseraient si la documentaliste les leur remettait ainsi en début d’année.
Que n’entend-on pas ? « Cette table, je l’ai payée, donc je fais ce que je veux et d’ailleurs ici, je suis chez moi et je vous emmerde. Mon père paie des impôts. » Voilà ce que rétorque Mickaël M. lorsqu’on ose lui demander de bien vouloir cesser de détériorer le matériel scolaire !
Des parents se comportant en consommateurs d’école, dénigrant l’institution scolaire et ce qu’elle représente, croyant avoir tous les droits et un contrôle sur tout, se plaignant à tout propos, couvrant les absences d’élèves qui sèchent les cours... ne peuvent qu’entraîner un comportement similaire chez les enfants, qui considèrent l’établissement comme une sorte de self-service où on peut agir n’importe comment sans encourir de sanction. On note un refus de ce que représente le collège. Or, à partir du moment où on y est inscrit, on doit respecter le règlement intérieur qui ne peut être aménagé.
Nous accueillons plusieurs élèves très difficiles, placés par le juge des enfants dans un centre éducatif situé à quelques kilomètres du collège. Ils ont de gros problèmes, refusent de se plier aux règles du collège et perturbent fréquemment les cours. Nous ne sommes pas formés pour accueillir de tels élèves. Soit leurs éducateurs prennent leurs responsabilités et travaillent avec nous en les suivant de très près, soit ils doivent les placer ailleurs. Personne ne niera que ces enfants ont droit à l’éducation, mais ce droit ne saurait être celui de faire n’importe quoi.
Certains élèves ont déjà seize ans et plus, sans avoir atteint la troisième, sont délibérément provocateurs et perturbateurs, refusent de se plier aux règles de l’établissement, ne font strictement rien en classe (sinon empêcher les autres de travailler) alors qu’ils pourraient réussir en se donnant un peu de peine. Le collège n’ayant pas vocation à être une halte-garderie pour caractériels qui rejettent les contraintes de la vie en société, constituent une menace pour les plus petits et un mauvais exemple pour d’autres, ces élèves devraient être définitivement exclus.
Il ne s’agit pas là de ceux qui ont des difficultés scolaires mais font, eux tout ce qu’ils peuvent pour améliorer leurs résultats. Ces élèves-là ne peuvent qu’être déstabilises par les caractériels cités plus haut.
Le conseil de discipline doit être utilisé sans crainte (dans une gradation des sanctions qui ait du sens) car il permet de montrer en expliquant à ceux qui ne connaissent pas les limites que ce qui n’est pas acceptable doit être puni. En cas de racket ou d’agression, ce n’est pas la victime qui doit partir, mais le coupable.
Nous avons ici même des élèves qui refusent de prendre leurs responsabilités et de rendre compte de leurs actes, partant du principe que tout le monde leur en veut, se braquant à la moindre remarque : « Ca y est ! C’est encore sur nous que ça tombe ! Chaque fois qu’il y a un problème, on accuse les 3e 4 ! ». Le complexe de persécution.
On retrouve le même problème dans le documentaire « Une vie de prof », dont j’ai fait visionner quelques extraits à une classe en Education civique pour leur faire comprendre où sont les limites. On y voit un enseignant boycotter une classe après avoir reçu une poubelle dans le dos. Il persévère tant que l’auteur de ce geste ne s’est pas dénoncé. Fureur des autres !! Mais les élèves oublient de mentionner que si le jet de poubelle émane d’un seul, l’ensemble de la classe l’a soutenu, en rigolant et en ridiculisant l’enseignant.
Notre collège n’atteint pas le nombre d’élèves requis pour disposer d’un conseiller principal d’éducation. Mais nous en avons besoin, ainsi que d’un autre surveillant. Il faudrait également qu’un médecin, une assistante sociale et un psychologue assurent une permanence au moins deux jours par semaine tant les problèmes à régler sont nombreux. Il y a des élèves relevant d’un suivi psychologique (voire psychiatrique, car capables de crises de fureur à la limite de la démence passagère), des élèves avec des problèmes d’hygiène. Les moyens doivent être mis en relation avec les caractéristiques familiales, économiques et sociales du public fréquentant le collège, au lieu de raisonner avec des statistiques, des dotations globales, un nombre d’élèves plafond pour accorder des postes ou des crédits.
Une telle demande est la preuve que les enseignants prennent leurs responsabilités. Une ambiance de sérénité et de travail n’est possible qu'en s'en tenant à quelques règles simples : sanctionner les contrevenants, utiliser le conseil de discipline, ne pas hésiter à déposer plainte si des parents ou des élèves insultent, diffament ou agressent. Ne pas céder, rester ferme et cohérent, est dissuasif. Et cela n’est nullement incompatible avec la compréhension dont nous faisons preuve à l’égard de nos élèves qui savent bien qu’ils peuvent compter sur nous an cas de besoin. La fermeté n’exclut pas le dialogue. Encore faut-il avoir réellement la capacité d’écouter, la volonté de faire partie du collège au lieu de se marginaliser volontairement. Beaucoup d’élèves traversent des passages difficiles, ont des problèmes familiaux, doutent devant l’avenir. Nous en sommes conscients. Notre établissement est peu touché par la violence qui s’entend en terme de code pénal, mais les actes d’incivilité se multiplient et la violence est parfois liée à l’exclusion économique et sociale (30% de chômeurs dans un des villages de la carte scolaire, des enfants suivis par des éducateurs, des familles délinquantes..) Les problèmes de violence scolaire ne sont pas le seul fait des banlieues. L’école s’adapte comme elle le peut à l’évolution de la société : elle ne saurait être tenue pour responsable de tous ses maux.
Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire :
L’affichage de cet état des lieux provoqua un certain émoi dans l’administration. J’expliquai que j’étais l’auteur du texte et qu’il ne s’agissait pas de mettre l’administration de l’établissement en accusation, mais de discuter ouvertement des problèmes afin de trouver des solutions efficaces, car les professeurs, tous comme les surveillants, étaient tendus et fatigués. Une des surveillantes avait été jetée à terre dans la cour en essayant de séparer deux élèves qui se battaient. Un de mes élèves du centre social, amorphe depuis le mois de septembre, s’était subitement réveillé et avait tenté de m’agresser physiquement, hurlant et m’insultant en voyant que je résistai à sa crise. J’avais dû faire convoquer une des éducatrices du centre pour lui faire comprendre que je ne tolérerais pas une seconde tentative d’agression, verbale ou physique de la part de Johnny.
Si nos élèves s’en étaient tenus au lancer des fusées (expédier au plafond grâce à un élastique une cartouche pleine d’encre - mais percée - bordée de papier et soigneusement enduite de colle forte), mes collègues et moi n’aurions pas passé autant de temps à parler de nos problèmes et à essayer de trouver des solutions. En moins d’un trimestre, il y avait eu autant de dégâts matériels que durant toute l’année scolaire précédente. Les fantaisies de nos trublions commençaient à coûter cher et l’intendant voyait rouge... Afin de maintenir une cohésion pour que nous puissions travailler le mieux possible en nous concertant, notre collègue professeur principal de la 4e 5 (une des plus pénibles du collège) avait inauguré le « cahier de doléances à l’usage exclusif des 4e 5 ». Il restait dans son casier et tout incident y était immédiatement consigné par le professeur concerné. La lecture de ce bêtisier aurait en principe dû nous consterner. Cela provoqua bon nombre de fou-rires. Malgré la fatigue et les difficultés, nous n’étions pas encore déprimés au point de ne plus pouvoir rire. C’était rassurant.
Malgré nos demandes, le principal refusait obstinément de réunir le conseil de discipline, arguant que la procédure se retournerait contre les professeurs. Une telle attitude montre en fait le refus d’admettre qu’il existe des problèmes dans l’établissement, le refus de les régler et l’angoisse vis-à-vis vis de la hiérarchie administrative. Surtout, ne pas se faire remarquer par l’inspection académique ou le rectorat ! Il est sans doute plus simple de conserver tous les élèves, y compris les plus dangereux, de fermer doucement la porte de la salle de classe et de faire comme s’il ne se passait rien...
Quelques jours plus tard, au cours d’ une réunion « Discipline et vie scolaire », le chef d’établissement réitéra ses arguments pour culpabiliser les collègues qui réclamaient le conseil de discipline afin de faire un exemple, expliqua qu’il se faisait aussi insulter par des parents (je lui suggérai de porter plainte...), que le collège n’obtiendrait pas de moyens supplémentaires (surtout si personne ne les réclamait...), refusa d’avoir le moindre contact avec les éducateurs de nos élèves du centre social et fut, comme d’habitude, cassant et désagréable avec certains enseignants, leur parlant d’une façon odieuse.
Il expliqua que si nous avions des problèmes, il n’y pouvait rien (pour un peu, c’était notre faute!) et que son pouvoir se limitait à prononcer des exclusions.
En conclusion, chacun était seul dans sa classe et devait se débrouiller. Il fallait tout régler en circuit interne.
Je quittai le collège quelques semaines plus tard, mon remplacement de six mois étant terminé. Cette initiative ne fut probablement pas sans incidence sur ma note administrative, qui subit une « stagnation » cette année là : certes, j’étais toujours « ponctuelle et assidue », « active et efficace », «je rayonnais avec autorité » (trop, peut-être ?). Mais refusant d’ignorer les problèmes et de m’accommoder de la médiocrité ambiante, j’étais trop exigeante. Ce principal n’était pas mon supérieur hiérarchique, mais il avait malgré tout son mot à dire.
- ErgoDevin
L’an dernier, j’ai tenu en classe relais. J’ai tenu en 5e SEGPA. Il aurait donc fallu attendre le 27 mai cette année pour que mon deuxième groupe de compétences de 4e ait ma peau. Enfin…ait ma peau, façon de parler.
Comme d’habitude, ils n’étaient pas rangés – mais il n’y a guère que les 6e qui soient rangés cette année. Certains élèves m’attendaient devant la salle de classe. J’y crois un peu : jeudi dernier, après l’exclusion d’Inès et mes cris, j’ai pu faire cours. Je n’ai pas de nouvelles quant à la venue au collège de la mère d’Inès, que le PP devait convoquer (pour l’ensemble de son œuvre). Il faut dire, je crois bien que la mère d’Inès n’a jamais mis les pieds au collège. Le père est dans la nature. Le frère est en prison. Meurtre. Inès ne sait pas écrire, l’école est bien le cadet de ses soucis.
Bref, ils sont entrés en cours. Washington, Gilson et Alptekin se sont encore assis aux places dont je les déloge à chaque cours et se sont mis à chanter : « Madame [collègue] est enceiiiinnnnnte, madame [collègue] est enceiiiiiiiinte » en tapant des mains. Je les ai séparés en soupirant, tout en distribuant la feuille de cours à compléter. Les autres élèves s’y sont mis tout de suite.
Alptekin a changé de place sans (trop) discuter, Gilson a refusé. J’ai pris ses affaires pour le mettre au premier rang contre le mur. Il a fini par bouger et a voulu, bien sûr, s’asseoir sur la chaise côté couloir. Je l’ai fait changer. Petit combat de regards et j’ai pris la chaise pour la mettre ailleurs. Il a râlé parce qu’il y avait son sac et son blouson dessus. Je lui ai répondu qu’ils n’allaient pas s’envoler. Du coup, Gilson a pris l’autre chaise et l’a déplacée au centre de la table, juste pour ne pas céder. Pendant ce temps, Washington est allé s’asseoir à côté d’Inès, parce qu’il était tout seul, maintenant que j’avais déplacé Gilson.
Alors, bien sûr, j’aurais pu exclure…ce sont six élèves qu’il faudrait que j’exclue à chaque cours, dans ce groupe – un groupe faible, regroupement de quatre classes de 4e (regroupement, donc, d’élèves qu’on avait pris soin de séparer lors de la constitution des classes), qui devrait être scindé en deux : les faibles travailleurs et les faibles perturbateurs ; ou en trois ou quatre : les élèves qui ne savent pas écrire, les élèves qui veulent travailler, les élèves qui n’en ont rien à faire…
Mais non, je suis masochiste, ou je suis consciente des limites de ce système – ces fameuses limites que l’on repousse chaque jour, donc je les garde. Un jour, l’un d’eux m’exaspère plus que d’habitude et je l’exclus. Mais en attendant, aujourd’hui, je pense que le cours est encore rattrapable. Après la correction, je lance la compréhension orale – celle qui nous permet de mieux comprendre comment se déroule le jeu qu’on est censés faire la semaine prochaine, une variante du loup-garou. J’explique les consignes de la CO, ils parlent. Je m’arrête, ils s’arrêtent. Je recommence à parler, ils recommencent. Je m’arrête, ils s’arrêtent. Agacée, je leur fais la remarque et leur lâche un facile : « et si je saute par la fenêtre, vous sautez aussi ? ». Question oratoire, je n’attends pas de réponse et n’en aurai pas.
Je lance la CO: à cause du volume, ils ne s'entendent plus parler. Du coup, ils parlent plus fort. Je n'entends plus le texte. Je m'interromps, encore et je brandis la menace, celle qui m’exaspère le plus mais qui fonctionne parfois : le premier qui parle quand je remets le texte devra me faire la CO sur feuille. Cela fonctionne un instant mais le naturel reprend le dessus.
Je tends une feuille à Gilson, Erdem, Inès, Washington, Hawa et Alptekin. Mon 7e lascar est absent aujourd’hui mais ça ne me fait pas de vacances pour autant. Ils râlent parce que le tableau que nous devons compléter ensemble n’est plus projeté. Un tableau sans importance, leur dis-je, il suffit de mettre le nom du personnage, deux points : ce qu’il faisait, ce qu’il a entendu. Directement.
« Vas-y, j’aime pas ça », râle Washington. « Elle a enlevé le tableau. »
Ca y est, Washington a buggué.
Hawa bougonne parce que d’abord, sa voisine aussi parlait, hein, donc elle devrait avoir la feuille. Inès râle parce qu’elle parlait même pas au moment où j’ai donné la feuille (elle ne maîtrise pas la temporalité différée, ni la cause et la conséquence : elle parlait, j’ai donné la feuille mais c’est vrai que quand je lui ai donné la feuille, elle ne parlait plus).
Je relance la CO. Pendant ce temps, les autres élèves ont attendu patiemment. C’est ce qu’ils font tout le temps : attendre patiemment. Washington est toujours en train d’essayer de faire le tableau. Inès indique qu’elle ne fera rien. Gilson et Erdem parlent et ne me regardent même pas quand je m’adresse à eux. Je les fais sortir et vais leur parler. Gilson particulièrement me met hors de moi : il me tourne le dos au moment où je commence à lui parler, refusant la communication. Je parle donc respect à son dos. Il finit par se retourner et je vois son visage se tendre petit à petit. Une partie de moi est toujours dans l’entrebâillement de la porte pour surveiller les autres. Et puis, c’en est trop, je lui explique qu’à force de mettre des baffes aux gens qui lui tendent la main, plus personne ne lui tendra la main.
Je rentre en classe ; Hawa remet la puce de son téléphone portable. Washington fait toujours son tableau. Inès dessine toujours sur son cahier. C’en est trop. La classe relais, en classe entière, au sein d’une classe entière. Et là, je craque. Ca sonne. Washington veut refaire le tableau. Alptekin me demande ce qu’il doit faire de la feuille qu’il n’a pas complétée. Hawa me répond qu’elle ne se servait pas de son téléphone, elle remettait juste la puce. Et Inès termine son dessin. Je vais stopper l’enregistrement et je leur dis de sortir…pile au moment où mes nerfs lâchent. Pour ce qu’ils (n’)ont (pas) fait pendant une heure, certainement, oui. Mais de rage, surtout. De rage de ne rien pouvoir faire. Je ne peux rien faire : deux mois et demi que ces élèves sont regroupés et que je m’en plains et que rien ne se passe. Alptekin revient à la charge avec sa feuille et je ne peux que leur dire de sortir. D’autres élèves commencent déjà à former un attroupement autour de la porte. Ils m’ont entendu m’époumoner dans le vide pendant une heure, ils voient les larmes dans mes yeux. Ils se tournent vers leurs camarades et lâchent des : « vous êtes cons, ***. » « Ca se fait pas. »
Je n’ai même pas la force de leur demander de circuler. Inès et Hawa reviennent.
« Madame, on voulait vous présenter nos excuses, on voulait pas… » Je les arrête. « Vous savez pourquoi vous vous excusez ? » « Ben… » « Vraiment ? Pourquoi ? Pour votre comportement pendant deux mois et demi ? Parce que vous vous êtes déjà excusées et vous avez recommencé le lendemain. Donc pourquoi ? Juste pour aujourd’hui parce qu’aujourd’hui, vous avez appris que j’étais aussi un être humain avec des limites ? » Elles me regardent, ne sachant que dire. Parce que bien sûr, elles ne comprennent pas.
Ma collègue, ayant entendu naturellement que l’heure s’était mal passée, intervient pour éloigner l’attroupement. Arrive ma classe suivante. J’avais perdu la notion du temps, j’ai cru qu’il était l’heure d’aller manger mais non. Je reste là, devant ma porte, les bras ballants, ne sachant que faire. Le directeur de segpa s’interpose, une surveillante à sa suite. L’heure d’après, je ne prendrai pas les élèves : ils feront leur évaluation sans moi. Je leur donne les consignes, qu’ils connaissent et on m’entraîne dehors, à l’air libre avec un café. Un collègue nous suit, ils vont chercher Super CPE. Et moi, je n’en finis pas de craquer.
Ce soir, on m’a proposé une solution : m’enlever six élèves de cours, les mettre ailleurs avec des exercices pendant les quinze jours que durera encore ce groupe-là.
Il faut donc attendre que les limites soient atteintes pour avoir une solution - et quelle solution…Cette heure n'était pas pire que les autres heures de ce groupe - c'était seulement une heure de plus.
Comme d’habitude, ils n’étaient pas rangés – mais il n’y a guère que les 6e qui soient rangés cette année. Certains élèves m’attendaient devant la salle de classe. J’y crois un peu : jeudi dernier, après l’exclusion d’Inès et mes cris, j’ai pu faire cours. Je n’ai pas de nouvelles quant à la venue au collège de la mère d’Inès, que le PP devait convoquer (pour l’ensemble de son œuvre). Il faut dire, je crois bien que la mère d’Inès n’a jamais mis les pieds au collège. Le père est dans la nature. Le frère est en prison. Meurtre. Inès ne sait pas écrire, l’école est bien le cadet de ses soucis.
Bref, ils sont entrés en cours. Washington, Gilson et Alptekin se sont encore assis aux places dont je les déloge à chaque cours et se sont mis à chanter : « Madame [collègue] est enceiiiinnnnnte, madame [collègue] est enceiiiiiiiinte » en tapant des mains. Je les ai séparés en soupirant, tout en distribuant la feuille de cours à compléter. Les autres élèves s’y sont mis tout de suite.
Alptekin a changé de place sans (trop) discuter, Gilson a refusé. J’ai pris ses affaires pour le mettre au premier rang contre le mur. Il a fini par bouger et a voulu, bien sûr, s’asseoir sur la chaise côté couloir. Je l’ai fait changer. Petit combat de regards et j’ai pris la chaise pour la mettre ailleurs. Il a râlé parce qu’il y avait son sac et son blouson dessus. Je lui ai répondu qu’ils n’allaient pas s’envoler. Du coup, Gilson a pris l’autre chaise et l’a déplacée au centre de la table, juste pour ne pas céder. Pendant ce temps, Washington est allé s’asseoir à côté d’Inès, parce qu’il était tout seul, maintenant que j’avais déplacé Gilson.
Alors, bien sûr, j’aurais pu exclure…ce sont six élèves qu’il faudrait que j’exclue à chaque cours, dans ce groupe – un groupe faible, regroupement de quatre classes de 4e (regroupement, donc, d’élèves qu’on avait pris soin de séparer lors de la constitution des classes), qui devrait être scindé en deux : les faibles travailleurs et les faibles perturbateurs ; ou en trois ou quatre : les élèves qui ne savent pas écrire, les élèves qui veulent travailler, les élèves qui n’en ont rien à faire…
Mais non, je suis masochiste, ou je suis consciente des limites de ce système – ces fameuses limites que l’on repousse chaque jour, donc je les garde. Un jour, l’un d’eux m’exaspère plus que d’habitude et je l’exclus. Mais en attendant, aujourd’hui, je pense que le cours est encore rattrapable. Après la correction, je lance la compréhension orale – celle qui nous permet de mieux comprendre comment se déroule le jeu qu’on est censés faire la semaine prochaine, une variante du loup-garou. J’explique les consignes de la CO, ils parlent. Je m’arrête, ils s’arrêtent. Je recommence à parler, ils recommencent. Je m’arrête, ils s’arrêtent. Agacée, je leur fais la remarque et leur lâche un facile : « et si je saute par la fenêtre, vous sautez aussi ? ». Question oratoire, je n’attends pas de réponse et n’en aurai pas.
Je lance la CO: à cause du volume, ils ne s'entendent plus parler. Du coup, ils parlent plus fort. Je n'entends plus le texte. Je m'interromps, encore et je brandis la menace, celle qui m’exaspère le plus mais qui fonctionne parfois : le premier qui parle quand je remets le texte devra me faire la CO sur feuille. Cela fonctionne un instant mais le naturel reprend le dessus.
Je tends une feuille à Gilson, Erdem, Inès, Washington, Hawa et Alptekin. Mon 7e lascar est absent aujourd’hui mais ça ne me fait pas de vacances pour autant. Ils râlent parce que le tableau que nous devons compléter ensemble n’est plus projeté. Un tableau sans importance, leur dis-je, il suffit de mettre le nom du personnage, deux points : ce qu’il faisait, ce qu’il a entendu. Directement.
« Vas-y, j’aime pas ça », râle Washington. « Elle a enlevé le tableau. »
Ca y est, Washington a buggué.
Hawa bougonne parce que d’abord, sa voisine aussi parlait, hein, donc elle devrait avoir la feuille. Inès râle parce qu’elle parlait même pas au moment où j’ai donné la feuille (elle ne maîtrise pas la temporalité différée, ni la cause et la conséquence : elle parlait, j’ai donné la feuille mais c’est vrai que quand je lui ai donné la feuille, elle ne parlait plus).
Je relance la CO. Pendant ce temps, les autres élèves ont attendu patiemment. C’est ce qu’ils font tout le temps : attendre patiemment. Washington est toujours en train d’essayer de faire le tableau. Inès indique qu’elle ne fera rien. Gilson et Erdem parlent et ne me regardent même pas quand je m’adresse à eux. Je les fais sortir et vais leur parler. Gilson particulièrement me met hors de moi : il me tourne le dos au moment où je commence à lui parler, refusant la communication. Je parle donc respect à son dos. Il finit par se retourner et je vois son visage se tendre petit à petit. Une partie de moi est toujours dans l’entrebâillement de la porte pour surveiller les autres. Et puis, c’en est trop, je lui explique qu’à force de mettre des baffes aux gens qui lui tendent la main, plus personne ne lui tendra la main.
Je rentre en classe ; Hawa remet la puce de son téléphone portable. Washington fait toujours son tableau. Inès dessine toujours sur son cahier. C’en est trop. La classe relais, en classe entière, au sein d’une classe entière. Et là, je craque. Ca sonne. Washington veut refaire le tableau. Alptekin me demande ce qu’il doit faire de la feuille qu’il n’a pas complétée. Hawa me répond qu’elle ne se servait pas de son téléphone, elle remettait juste la puce. Et Inès termine son dessin. Je vais stopper l’enregistrement et je leur dis de sortir…pile au moment où mes nerfs lâchent. Pour ce qu’ils (n’)ont (pas) fait pendant une heure, certainement, oui. Mais de rage, surtout. De rage de ne rien pouvoir faire. Je ne peux rien faire : deux mois et demi que ces élèves sont regroupés et que je m’en plains et que rien ne se passe. Alptekin revient à la charge avec sa feuille et je ne peux que leur dire de sortir. D’autres élèves commencent déjà à former un attroupement autour de la porte. Ils m’ont entendu m’époumoner dans le vide pendant une heure, ils voient les larmes dans mes yeux. Ils se tournent vers leurs camarades et lâchent des : « vous êtes cons, ***. » « Ca se fait pas. »
Je n’ai même pas la force de leur demander de circuler. Inès et Hawa reviennent.
« Madame, on voulait vous présenter nos excuses, on voulait pas… » Je les arrête. « Vous savez pourquoi vous vous excusez ? » « Ben… » « Vraiment ? Pourquoi ? Pour votre comportement pendant deux mois et demi ? Parce que vous vous êtes déjà excusées et vous avez recommencé le lendemain. Donc pourquoi ? Juste pour aujourd’hui parce qu’aujourd’hui, vous avez appris que j’étais aussi un être humain avec des limites ? » Elles me regardent, ne sachant que dire. Parce que bien sûr, elles ne comprennent pas.
Ma collègue, ayant entendu naturellement que l’heure s’était mal passée, intervient pour éloigner l’attroupement. Arrive ma classe suivante. J’avais perdu la notion du temps, j’ai cru qu’il était l’heure d’aller manger mais non. Je reste là, devant ma porte, les bras ballants, ne sachant que faire. Le directeur de segpa s’interpose, une surveillante à sa suite. L’heure d’après, je ne prendrai pas les élèves : ils feront leur évaluation sans moi. Je leur donne les consignes, qu’ils connaissent et on m’entraîne dehors, à l’air libre avec un café. Un collègue nous suit, ils vont chercher Super CPE. Et moi, je n’en finis pas de craquer.
Ce soir, on m’a proposé une solution : m’enlever six élèves de cours, les mettre ailleurs avec des exercices pendant les quinze jours que durera encore ce groupe-là.
Il faut donc attendre que les limites soient atteintes pour avoir une solution - et quelle solution…Cette heure n'était pas pire que les autres heures de ce groupe - c'était seulement une heure de plus.
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"You went to a long-dead octopus for advice, and you're going to blame *me* for your problems?" -- Once Upon a Time
"The gull was your ordinary gull." -- Wittgenstein's Mistress
« Cède, cède, cède, je le veux ! » écrivait Ronin, le samouraï. (Si vous cherchez un stulo-plyme, de l'encre, récap de juillet 2024)
- NitaEmpereur
Ergo.
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A clean house is a sign of a broken computer.
- Marie LaetitiaBon génie
Ergo, c'est terrible... Ça va mieux aujourd'hui?
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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- Raoul VolfoniGrand sage
Ergo, je suis effarée par ce que tu racontes, mais pas surprise, malheureusement. Une fois de plus, je me demande quels adultes feront ces gamins-là...
Je t'envoie des brassées de virtuelles.
Je t'envoie des brassées de virtuelles.
- LilypimsGrand sage
Raoul Volfoni a écrit:Ergo, je suis effarée par ce que tu racontes, mais pas surprise, malheureusement. Une fois de plus, je me demande quels adultes feront ces gamins-là...
Je t'envoie des brassées de virtuelles.
Repose-toi, Ergo.
- ElaïnaDevin
Ergo,
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It took me forty years to realize this. But for guys like us... our lives aren't really our own. There's always someone new to help. Someone we need to protect. These past few years, I fought that fate with all I had. But I'm done fighting. It's time I accept the hand I was dealt. Too many people depend on us. Their dreams depend on us.
Kiryu Kazuma inYakuza 4 Remastered
Ma page Facebook https://www.facebook.com/Lire-le-Japon-106902051582639
- MelanieSLBDoyen
Ergo,
_________________
La réforme du collège en clair : www.reformeducollege.fr .
Et pour ceux qui voudraient en comprendre quelques fondements idéologiques:
De l’école, Jean-Claude Milner, visionnaire en 1984 (ça ne s'invente pas!) de ce qui nous arrive: "On ne dira pas que les enseignants sont l'appendice inutile d'une institution dangereuse et presque criminelle; on dira seulement qu'ils doivent devenir Autres: animateurs, éducateurs, grands frères, nourrices, etc. La liste est variable. Que, par là, les enseignants cessent d’être ce qu'ils doivent être, c'est encore une fois sortir de la question. On ne dira pas que les enseignants n'ont pas à exister, mais qu'ils ont à exister Autrement. Que cette Autre existence consiste à renoncer à soi-même pour disparaître dans la nuit éducative et s'y frotter, tous corps et tous esprits confondus, avec les partenaires de l'acte éducatif - manutentionnaires, parents, élèves, etc. -, seul un méchant pourrait en prendre ombrage." (page 24)
- ErgoDevin
Merci. Vraiment. (Les 4e partent en live de tous les côtés - à l'exception d'une classe. J'ai intercepté un élève tout à l'heure qui traînait une de mes 6 infâmes d'hier au sol - elle lui avait collé une gifle - alors que cet élève est passé en Commission Educative hier soir...)
Comme vous vous en doutez, j'ai mal dormi, je me suis réveillée en pleurant mais je me suis calmée et j'y suis allée, en brave petit soldat, après avoir longuement hésité.
J'ai eu mon petit moment Dewey quand la vie scolaire a intercepté les six élèves.
Ensuite, l'un des surveillants m'a apporté une lettre cachetée sur laquelle était écrit "urgent". Ils m'avaient chacun écrit un petit mot. (Je les aime, nos surveillants.) :flower:
Je suis allée récupérer les exercices que j'avais photocopiés dans le premier chapitre d'un manuel de 6e et j'ai fait la synthèse: ben, c'est simple, avec le cours à côté, ils n'ont pas réussi. Je vais leur reformuler un cours et essayer de voir comment ils pourraient apprendre. J'ai envisagé de les prendre dans un cours où il n'y aurait qu'eux (comme ça, ils n'empêcheraient pas les autres de bosser) mais comme ils font partie de trois classes différentes, c'est galère pour les emplois du temps donc je ne sais pas trop...
L'une d'elle a essayé de me dire qu'elle était désolée et qu'elle voulait revenir en cours. Sa copine s'est marrée. Et deux autres, en me croisant, m'ont indiqué que c'était injuste - tout comme, d'ailleurs, une élève de ce groupe encore présente en cours qui m'a dit: "ça se fait pas" quand elle s'est rendu compte que les autres ne reviendraient pas. Je me suis abstenue de commentaire.
Comme vous vous en doutez, j'ai mal dormi, je me suis réveillée en pleurant mais je me suis calmée et j'y suis allée, en brave petit soldat, après avoir longuement hésité.
J'ai eu mon petit moment Dewey quand la vie scolaire a intercepté les six élèves.
Ensuite, l'un des surveillants m'a apporté une lettre cachetée sur laquelle était écrit "urgent". Ils m'avaient chacun écrit un petit mot. (Je les aime, nos surveillants.) :flower:
Je suis allée récupérer les exercices que j'avais photocopiés dans le premier chapitre d'un manuel de 6e et j'ai fait la synthèse: ben, c'est simple, avec le cours à côté, ils n'ont pas réussi. Je vais leur reformuler un cours et essayer de voir comment ils pourraient apprendre. J'ai envisagé de les prendre dans un cours où il n'y aurait qu'eux (comme ça, ils n'empêcheraient pas les autres de bosser) mais comme ils font partie de trois classes différentes, c'est galère pour les emplois du temps donc je ne sais pas trop...
L'une d'elle a essayé de me dire qu'elle était désolée et qu'elle voulait revenir en cours. Sa copine s'est marrée. Et deux autres, en me croisant, m'ont indiqué que c'était injuste - tout comme, d'ailleurs, une élève de ce groupe encore présente en cours qui m'a dit: "ça se fait pas" quand elle s'est rendu compte que les autres ne reviendraient pas. Je me suis abstenue de commentaire.
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« Cède, cède, cède, je le veux ! » écrivait Ronin, le samouraï. (Si vous cherchez un stulo-plyme, de l'encre, récap de juillet 2024)
- OmbredeloupNiveau 7
Ergo
Je viens de lire ce qui t'es arrivé. Ca m'a beaucoup touché car cela m'est aussi arrivée après une altercation avec un élève : bilan, mon docteur m'a arrêté et j'ai mis 6 mois à me remettre.
Ca a du être dur de revenir au collège après. Car c'est encore plus dur (je pense) d'être en arrêt et d'y retourner ensuite...
Bon courage
Je viens de lire ce qui t'es arrivé. Ca m'a beaucoup touché car cela m'est aussi arrivée après une altercation avec un élève : bilan, mon docteur m'a arrêté et j'ai mis 6 mois à me remettre.
Ca a du être dur de revenir au collège après. Car c'est encore plus dur (je pense) d'être en arrêt et d'y retourner ensuite...
Bon courage
- SphinxProphète
Tout mon soutien Ergo !
Ce sont des témoignages comme ça qui permettent de relativiser quand on a des classes qui ne sont "que" casse-bonbons... J'admire parce que je ne suis pas sûre que j'aurais ta force d'âme !
Ce sont des témoignages comme ça qui permettent de relativiser quand on a des classes qui ne sont "que" casse-bonbons... J'admire parce que je ne suis pas sûre que j'aurais ta force d'âme !
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An education was a bit like a communicable sexual disease. It made you unsuitable for a lot of jobs and then you had the urge to pass it on. - Terry Pratchett, Hogfather
"- Alors, Obélix, l'Helvétie c'est comment ? - Plat."
- ErgoDevin
Le collègue qui m'a récupérée et la CPE voulaient que je rentre chez moi (logique) ou que je reste chez moi hier. Mais je me suis dit que ce serait plus dur ensuite. Il fallait que je fasse des cours normaux tout de suite pour exorciser, en quelque sorte. J'avais des cours de 6e ensuite, et les 6e, je les ai tellement cravachés en début d'année qu'ils sont plus autonomes (niveau travail et niveau langagier) que les 4e. Du coup, je savais que tout se passerait bien.Ombredeloup a écrit:Ergo
Je viens de lire ce qui t'es arrivé. Ca m'a beaucoup touché car cela m'est aussi arrivée après une altercation avec un élève : bilan, mon docteur m'a arrêté et j'ai mis 6 mois à me remettre.
Ca a du être dur de revenir au collège après. Car c'est encore plus dur (je pense) d'être en arrêt et d'y retourner ensuite...
Bon courage
Je crois que c'est surtout qu'on n'a pas l'impression d'avoir le choix.Sphinx a écrit:Tout mon soutien Ergo !
Ce sont des témoignages comme ça qui permettent de relativiser quand on a des classes qui ne sont "que" casse-bonbons... J'admire parce que je ne suis pas sûre que j'aurais ta force d'âme !
Merci!Stered a écrit: Oh Ergo...
Bon courage...
Merci, Marie.
Merci à tous, encore une fois. Et je suis sûre que je vais pouvoir remettre un "sur le vif" bien plus sympathique.
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