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- ShajarVénérable
La seconde 5. La classe-des-voleurs-et-des-abrutis, dixit la salle des profs. La classe qui vole les portables de ses profs. La classe où une élève s'est sentie suffisamment menacée pour ne pas venir en cours et contracter une appendicite en fait psychologique. La classe des élèves qui a vu disparaître les balances de physique. Plus pratique pour peser les doses. L'un des deux dealers est passé en conseil de dis' et a disparu en janvier. L'autre est toujours là, au fond de la classe.
Je suis l'une des rares profs auxquels Farid dit bonjour. Au début de l'année, comme avec tout le monde, il passait, raide comme la justice, et s'emballait contre moi à chaque mot. Je l'ai viré une fois ou deux. Et un jour, je lui ai dit qu'il n'était pas bête, entre deux portes, et il a souri. Maintenant, il m'aime un petit peu, et il travaille quand ça lui chante. Et il me dit "bonjour". Et même "bonnes vacances", la dernière fois. Farid est un petit caïd, qui se vante de ses exploits contre la BAC, qui estime que la société, c'est que des magouilles, et qui se voit en héros marginal au coeur pur. Sauf que Farid va aussi passer en conseil de dis pour menace de mort sur un autre enseignant, et qu'il va perdre son dernier appui. Farid n'a pas de père, Farid a une maman qui s'échine à faire des ménages de 6h du matin à 21h le soir, qui doit en élever trois, et qui ne sait plus comment faire. Et Farid finira en prison, parce qu'il n'est pas une génie du crime, et du statut de petit dealer, il finira petit délinquant sans avenir.
Ceci dit, s'il n'y avait que Farid en seconde 5, ce serait du gâteau. On pourrait l'encadrer, l'entourer, lui donner un peu de la tendresse et des repères qui lui manquent. Mais voilà, en seconde 5, il y a aussi Maëlysse, un visage d'ange, une mine souriante, et une vipère sournoise qui menace et qui frappe. Il y a Amina, enfermée plusieurs heures par jour par son père pour qu'elle travaille "afin de ressentir toute la joie qu'il y a à avoir son bac", qui ne fait aucune confiance aux adules et tente par tous les biais de les manipuler. Il y a Jenny, phobie scolaire, qui sèche une fois sur deux, et parle fort et toute l'heure quand elle est là, de tout et n'importe quoi. Il y a Sarah, famille stricte, qui ne sait pas ce qu'elle fait là. Elle mâche son chewing gum (le 4e de l'heure, d'tout manière, elle a tout un paquet) les yeux dans le vague, ou se retourne vers Marvin1 (il y a trois Marvin dans la classe) pour discuter de ce qu'il fallait faire pour le français, puisqu'il est trop tard pour savoir ce qu'il fallait faire en histoire. Sarah, maquillée comme une voiture volée, entre 2 et 4 de moyenne, ne comprend que trop rarement la phrase de consigne d'un exercice. Elle écrit en petit nègre, mais elle est en seconde générale. Il y a aussi Anouch, depuis 4 ans en France, réfugiée politique si j'ai bien compris, qui est déjà passée par la Grande-Bretagne et qui parle presque aussi bien que ses camarades, mais a du mal à comprendre son professeur et n'ose pas poser de question. Il y a Eva, qui n'attend que de repartir en Europe de l'Est où se trouve sa mère, qu'elle n'a pas vu depuis une dizaine d'année. Il y a Natsu, 1m40, 20 kilos tout mouillé, qui attend en silence que la classe se passe. Il y a Eva2 (il y a aussi 3 Eva dans cette classe), qui arrive le matin shootée une fois sur deux, et que son père tabasse probablement ; elle travaille quand même, aime bien l'histoire, veut passer en ES. Il y a Marvin2, petit gros qui empeste le graillon, mais qui s'accroche avec un sérieux qui fait mal. Il y a Eva3, intelligente, famille brillante, qui attend qu'on veuille bien faire quelque chose de son cerveau rapide et efficace, de sa bonne volonté et de son envie d'apprendre. J'en oublie. Ils sont 35. Tous avec leur histoire à faire verser des larmes. Tous rassemblés pour le pire dans la seconde 5.
Lorsqu'ils arrivent, le matin à 8h, les élèves de la seconde 5 ne se rangent pas près de la porte. Ils sont tout au fond du couloir, sur le palier, retardant le plus possible le moment d'entrer en cours. J'ouvre la porte, je les appelle, ils s'approchent, progressivement, sans enthousiasme. Je bloque la moitié de la porte de mon corps, les obligeant à défiler un par un pour entrer. J'ai la poubelle à la main pour les chewin gum, un bonjour souriant à la bouche, alors que je crains l'heure qui va se dérouler. "Bonjour Marvin, le chewing gum, merci ; bonjour Eva, les écouteurs, bonjour Farid, le casque, bonjour Natsu, le chewing gum". Ma poubelle se remplit, avec quelques protestations ("Mais madame, je viens de le prendre, il a encore du goût !") ou haussements d'épaules. Ils se dirigent mollement vers leurs places attribuées, se passent les devoirs à faire pour le français. C'est pas possible, il fallait une blouse pour la chimie dans le groupe 2. Personne n'a une blouse ? J'attends derrière le bureau qu'ils se calment. Ils se calment. S'assoient.
Parce que mine de rien, ce que la plupart des secondes 5 aiment, c'est le début du cours. Avant même que j'ai donné le signal, Eva2 lève la main, "on peut commencer madame ?" Eva2 a préparé ses questions, elle a envie de les poser. Je hoche la tête.
"Quels étaient les trois continents connus ?
- Comment ça Eva, connus par qui ?
- Euh, bah... connus quoi, sur les cartes...
- Des cartes faites par qui ? Eva3
- Les Européens ?
- Oui, bien Eva 3. Alors qui répond à la question d'Eva2, quels étaient les trois continents connus par les Européens au Moyen-Âge ?"
Les bras se lèvent. J'interroge. Bonne réponse, je note les points au tableau, d'autres bras jaillissent pour poser des questions.
Cinq à dix minutes au début de chaque cours, pour faire ce jeu de questions-réponses. J'ai emprunté l'idée à une collègue de collège, et depuis sa mise en place, je vois une différence impressionnante. A force de le répéter depuis trois cours, Les secondes 5 connaissent parfaitement le métier de Nicolas de Nicolaÿ, géographe d'Henri II dont on a étudié un texte, et ils ont même appris qui était Henri II pour l'occasion. Les seconde 5 ont compris ce qu'était un portulan et quelles sont les trois religions du Livre. Ils aiment ces petits quizz qui les dispensent d'apprendre fort juste avant le contrôle. Ils relisent leur cours, juste avant de rentrer, quand ils sont encore loin de moi sur le palier, pour trouver la question qui va coincer les autres. Les seconde 5 ne l'ont pas compris, mais ainsi, ils travaillent un peu plus régulièrement et peuvent avancer sur des bases correctes au cours suivant.
Certes, il y a longtemps que j'ai abandonné l'idée de finir le programme avec les secondes 5. Parce que ces dix minutes (qui se prolongent parfois au rythme des "encore une madame" gémissants), couplées aux cinq minutes d'installation, nous mangent près d'un tiers de l'heure à chaque fois. Parce qu'on ne peut pas demander de but en blanc aux secondes 5 de travailler chez eux pour avancer ; au dernier DM, moins de 15 élèves m'ont rendu une copie. Mais ce qu'ils ont appris leur restera un peu, j'espère.
Aujourd'hui, on entame l'étude des grandes découvertes par un petit film sur le livre des merveilles du monde de Marco Polo. Toujours passer par la vidéo et l'image pour accrocher à un sujet, afin qu'ils ne se rebiffent pas devant l'écrit par la suite. Les réactions sont bonnes, ils ont compris, ils sont morts de rire devant les peuplades décrites, bref, ils aiment. Ils sont dedans, ont oublié qu'ils allaient se faire virer pour l'oubli de la blouse de chimie. On résume ensemble. Ils font des phrases, qu'on accroche petit à petit pour faire un texte d'introduction sur le cahier. 5-6 phrases, avec des subordonnées. Compliqué, d'autant que je n'écris rien au tableau. Ils doivent prendre la phrase construite à l'oral, que je répète 4 ou 5 fois, et même un peu plus. Eva3 l'a prise en note du premier coup, elle s'ennuie en dessinant. Je ne peux rien faire pour elle, avec les 34 autres boulets de la classe, je la laisse faire en me demandant comment effacer la tristesse horrible qui marque son visage. Je n'ai jamais vu cette élève sourire une seule fois. Ses yeux sont cernés. Elle subit à la maison une forte pression, ses frères plus âgés ayant tous réussi des études brillantes dans des grandes écoles. C'est la seule élève de cette classe qui demande S de manière raisonnable. Je me sens démunie.
Maëlysse pose une question sur les Mongols. Elle veut que je lui dise que parce qu'ils sont jaunes et les yeux bridés, ils sont semblables aux Chinois. Mais elle sait que le formuler comme ça, c'est être raciste. Alors elle cherche une manière de le dire qui ne soit pas raciste. Je plonge dans mes archives (merci le vidéo-proj fonctionnel dans les salles d'histoire) pour lui montrer des cartes. J'explique qui sont les Mongols, je raconte Gengis Khan. Ils sentent que ce n'est pas au programme, relâchent leur attention. Je raconte les corps bouillis et les têtes coupées après les sièges. Ca y est, j'ai récupéré tout le monde. Je montre la carte. L'avancée en Iran, le siège de Baghdad, la terreur en Syrie. Ils n'écrivent rien, mais ils m'écoutent. Pas très longtemps, c'est la fin de l'heure. Ca va bientôt sonner. On n'a fait que l'introduction. Je m'en veux de m'être laissée aller, d'avoir perdu du temps au début, d'avoir trop digressé sur un sujet que j'aime bien. Je me sens nulle, incapable de les préparer à la suite, au bac, à l'université, à l'avenir. Ils rangent leurs affaires. Ca sonne. On n'a pas assez écrit, et il ne restera probablement rien de tout cela dans leurs cerveaux mous demain.
Mais c'était un bon cours avec les secondes 5.
Rare.
Je suis l'une des rares profs auxquels Farid dit bonjour. Au début de l'année, comme avec tout le monde, il passait, raide comme la justice, et s'emballait contre moi à chaque mot. Je l'ai viré une fois ou deux. Et un jour, je lui ai dit qu'il n'était pas bête, entre deux portes, et il a souri. Maintenant, il m'aime un petit peu, et il travaille quand ça lui chante. Et il me dit "bonjour". Et même "bonnes vacances", la dernière fois. Farid est un petit caïd, qui se vante de ses exploits contre la BAC, qui estime que la société, c'est que des magouilles, et qui se voit en héros marginal au coeur pur. Sauf que Farid va aussi passer en conseil de dis pour menace de mort sur un autre enseignant, et qu'il va perdre son dernier appui. Farid n'a pas de père, Farid a une maman qui s'échine à faire des ménages de 6h du matin à 21h le soir, qui doit en élever trois, et qui ne sait plus comment faire. Et Farid finira en prison, parce qu'il n'est pas une génie du crime, et du statut de petit dealer, il finira petit délinquant sans avenir.
Ceci dit, s'il n'y avait que Farid en seconde 5, ce serait du gâteau. On pourrait l'encadrer, l'entourer, lui donner un peu de la tendresse et des repères qui lui manquent. Mais voilà, en seconde 5, il y a aussi Maëlysse, un visage d'ange, une mine souriante, et une vipère sournoise qui menace et qui frappe. Il y a Amina, enfermée plusieurs heures par jour par son père pour qu'elle travaille "afin de ressentir toute la joie qu'il y a à avoir son bac", qui ne fait aucune confiance aux adules et tente par tous les biais de les manipuler. Il y a Jenny, phobie scolaire, qui sèche une fois sur deux, et parle fort et toute l'heure quand elle est là, de tout et n'importe quoi. Il y a Sarah, famille stricte, qui ne sait pas ce qu'elle fait là. Elle mâche son chewing gum (le 4e de l'heure, d'tout manière, elle a tout un paquet) les yeux dans le vague, ou se retourne vers Marvin1 (il y a trois Marvin dans la classe) pour discuter de ce qu'il fallait faire pour le français, puisqu'il est trop tard pour savoir ce qu'il fallait faire en histoire. Sarah, maquillée comme une voiture volée, entre 2 et 4 de moyenne, ne comprend que trop rarement la phrase de consigne d'un exercice. Elle écrit en petit nègre, mais elle est en seconde générale. Il y a aussi Anouch, depuis 4 ans en France, réfugiée politique si j'ai bien compris, qui est déjà passée par la Grande-Bretagne et qui parle presque aussi bien que ses camarades, mais a du mal à comprendre son professeur et n'ose pas poser de question. Il y a Eva, qui n'attend que de repartir en Europe de l'Est où se trouve sa mère, qu'elle n'a pas vu depuis une dizaine d'année. Il y a Natsu, 1m40, 20 kilos tout mouillé, qui attend en silence que la classe se passe. Il y a Eva2 (il y a aussi 3 Eva dans cette classe), qui arrive le matin shootée une fois sur deux, et que son père tabasse probablement ; elle travaille quand même, aime bien l'histoire, veut passer en ES. Il y a Marvin2, petit gros qui empeste le graillon, mais qui s'accroche avec un sérieux qui fait mal. Il y a Eva3, intelligente, famille brillante, qui attend qu'on veuille bien faire quelque chose de son cerveau rapide et efficace, de sa bonne volonté et de son envie d'apprendre. J'en oublie. Ils sont 35. Tous avec leur histoire à faire verser des larmes. Tous rassemblés pour le pire dans la seconde 5.
Lorsqu'ils arrivent, le matin à 8h, les élèves de la seconde 5 ne se rangent pas près de la porte. Ils sont tout au fond du couloir, sur le palier, retardant le plus possible le moment d'entrer en cours. J'ouvre la porte, je les appelle, ils s'approchent, progressivement, sans enthousiasme. Je bloque la moitié de la porte de mon corps, les obligeant à défiler un par un pour entrer. J'ai la poubelle à la main pour les chewin gum, un bonjour souriant à la bouche, alors que je crains l'heure qui va se dérouler. "Bonjour Marvin, le chewing gum, merci ; bonjour Eva, les écouteurs, bonjour Farid, le casque, bonjour Natsu, le chewing gum". Ma poubelle se remplit, avec quelques protestations ("Mais madame, je viens de le prendre, il a encore du goût !") ou haussements d'épaules. Ils se dirigent mollement vers leurs places attribuées, se passent les devoirs à faire pour le français. C'est pas possible, il fallait une blouse pour la chimie dans le groupe 2. Personne n'a une blouse ? J'attends derrière le bureau qu'ils se calment. Ils se calment. S'assoient.
Parce que mine de rien, ce que la plupart des secondes 5 aiment, c'est le début du cours. Avant même que j'ai donné le signal, Eva2 lève la main, "on peut commencer madame ?" Eva2 a préparé ses questions, elle a envie de les poser. Je hoche la tête.
"Quels étaient les trois continents connus ?
- Comment ça Eva, connus par qui ?
- Euh, bah... connus quoi, sur les cartes...
- Des cartes faites par qui ? Eva3
- Les Européens ?
- Oui, bien Eva 3. Alors qui répond à la question d'Eva2, quels étaient les trois continents connus par les Européens au Moyen-Âge ?"
Les bras se lèvent. J'interroge. Bonne réponse, je note les points au tableau, d'autres bras jaillissent pour poser des questions.
Cinq à dix minutes au début de chaque cours, pour faire ce jeu de questions-réponses. J'ai emprunté l'idée à une collègue de collège, et depuis sa mise en place, je vois une différence impressionnante. A force de le répéter depuis trois cours, Les secondes 5 connaissent parfaitement le métier de Nicolas de Nicolaÿ, géographe d'Henri II dont on a étudié un texte, et ils ont même appris qui était Henri II pour l'occasion. Les seconde 5 ont compris ce qu'était un portulan et quelles sont les trois religions du Livre. Ils aiment ces petits quizz qui les dispensent d'apprendre fort juste avant le contrôle. Ils relisent leur cours, juste avant de rentrer, quand ils sont encore loin de moi sur le palier, pour trouver la question qui va coincer les autres. Les seconde 5 ne l'ont pas compris, mais ainsi, ils travaillent un peu plus régulièrement et peuvent avancer sur des bases correctes au cours suivant.
Certes, il y a longtemps que j'ai abandonné l'idée de finir le programme avec les secondes 5. Parce que ces dix minutes (qui se prolongent parfois au rythme des "encore une madame" gémissants), couplées aux cinq minutes d'installation, nous mangent près d'un tiers de l'heure à chaque fois. Parce qu'on ne peut pas demander de but en blanc aux secondes 5 de travailler chez eux pour avancer ; au dernier DM, moins de 15 élèves m'ont rendu une copie. Mais ce qu'ils ont appris leur restera un peu, j'espère.
Aujourd'hui, on entame l'étude des grandes découvertes par un petit film sur le livre des merveilles du monde de Marco Polo. Toujours passer par la vidéo et l'image pour accrocher à un sujet, afin qu'ils ne se rebiffent pas devant l'écrit par la suite. Les réactions sont bonnes, ils ont compris, ils sont morts de rire devant les peuplades décrites, bref, ils aiment. Ils sont dedans, ont oublié qu'ils allaient se faire virer pour l'oubli de la blouse de chimie. On résume ensemble. Ils font des phrases, qu'on accroche petit à petit pour faire un texte d'introduction sur le cahier. 5-6 phrases, avec des subordonnées. Compliqué, d'autant que je n'écris rien au tableau. Ils doivent prendre la phrase construite à l'oral, que je répète 4 ou 5 fois, et même un peu plus. Eva3 l'a prise en note du premier coup, elle s'ennuie en dessinant. Je ne peux rien faire pour elle, avec les 34 autres boulets de la classe, je la laisse faire en me demandant comment effacer la tristesse horrible qui marque son visage. Je n'ai jamais vu cette élève sourire une seule fois. Ses yeux sont cernés. Elle subit à la maison une forte pression, ses frères plus âgés ayant tous réussi des études brillantes dans des grandes écoles. C'est la seule élève de cette classe qui demande S de manière raisonnable. Je me sens démunie.
Maëlysse pose une question sur les Mongols. Elle veut que je lui dise que parce qu'ils sont jaunes et les yeux bridés, ils sont semblables aux Chinois. Mais elle sait que le formuler comme ça, c'est être raciste. Alors elle cherche une manière de le dire qui ne soit pas raciste. Je plonge dans mes archives (merci le vidéo-proj fonctionnel dans les salles d'histoire) pour lui montrer des cartes. J'explique qui sont les Mongols, je raconte Gengis Khan. Ils sentent que ce n'est pas au programme, relâchent leur attention. Je raconte les corps bouillis et les têtes coupées après les sièges. Ca y est, j'ai récupéré tout le monde. Je montre la carte. L'avancée en Iran, le siège de Baghdad, la terreur en Syrie. Ils n'écrivent rien, mais ils m'écoutent. Pas très longtemps, c'est la fin de l'heure. Ca va bientôt sonner. On n'a fait que l'introduction. Je m'en veux de m'être laissée aller, d'avoir perdu du temps au début, d'avoir trop digressé sur un sujet que j'aime bien. Je me sens nulle, incapable de les préparer à la suite, au bac, à l'université, à l'avenir. Ils rangent leurs affaires. Ca sonne. On n'a pas assez écrit, et il ne restera probablement rien de tout cela dans leurs cerveaux mous demain.
Mais c'était un bon cours avec les secondes 5.
Rare.
- ClarinetteGrand Maître
Super, cette idée des questions-réponses par les élèves eux-mêmes ! Je retiens !
- SeptimusNiveau 8
Vos récits sont très bien écrits, c'est un plaisir de les lire! Je retrouve pas mal de situations que j'ai déjà pu vivre.
- profecolesHabitué du forum
C'est émouvant, bien écrit.
Et en plus c'est un (triste) témoignage sur l'Ecole d'aujourd'hui.
Et en plus c'est un (triste) témoignage sur l'Ecole d'aujourd'hui.
- titeprofExpert
Al-qalam : magnifique texte... j'y reconnais quelques portraits de 3eme qu'on envoie bien malgré nous au lycée...
J'ai retrouvé mon texte de blog sur mes élèves :
http://meresindignesforever.over-blog.com/voici-venu-le-temps-des-rires-et-des-chants%E2%80%A6
c'est peut être ça qui te donnait une impression de "déjà lu"!
J'ai retrouvé mon texte de blog sur mes élèves :
http://meresindignesforever.over-blog.com/voici-venu-le-temps-des-rires-et-des-chants%E2%80%A6
c'est peut être ça qui te donnait une impression de "déjà lu"!
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[center]Je suis comme le ciel, rien ne s'accroche à moi (mantra)
- PluiedetoilesExpert
Merci pour vos témoignages .
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Mon blog :https://lalegeretedeslettres.wixsite.com/website
- philannDoyen
Ils sont très beaux vos textes!!! et remplis d'humanité!
_________________
2014-2015: poste fixe dans les Hauts de Seine
2013-2014: certifiée stagiaire dans les Hauts de Seine
2011-2013: prof. contractuelle dans l'Essonne
- AlExpert spécialisé
Clarinette a écrit:Super, cette idée des questions-réponses par les élèves eux-mêmes ! Je retiens !
+10000000 !!! je regrette de ne pas avoir eu cette idée avant !
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"C’est le grand nuage des ambitions moroses qui étouffe la voix d’Éros."
- ShajarVénérable
Ca ne marche pas avec toutes les classes. Avec les 2de, c'est d'enfer, mais avec les term STG (à peu près le même niveau, voire un peu plus faible, mais beaucoup moins faciles à accrocher et à faire bosser), ça n'a pas fonctionné du tout (parce que ça demande quand même un peu d'enthousiasme). Ca doit mieux marcher en collège, avec des élèves un peu plus jeunes. Il y a aussi ( bien évidemment) des élèves qui ne participent pas du tout (mais pas énormément, 6 environ sur mes 35 loustics).
Ceci dit, je suis impressionnée du fonctionnement de ce truc simple ; l'entrée en classe est plus rapide et les questions de cours en contrôle sont bien mieux réussies. Pour les exercices plus compliqués, par contre, ça ne change pas grand chose.
Ca demande aussi une certaine organisation. Perso, je fais un système de point assez simple : poser une question correcte = 1 point, 2 points si c'est une question ouverte qui appelle une réponse développée ; bonne réponse : 2 pts, 3 pts si c'est une question ouverte. Pour les compléments des autres élèves, 1 pt par élément juste. Je mets des bâtons au tableau et je récupère à la fin de l'heure, ou quand ils sont en autonomie. (mais ça prend de la place au tableau, pas toujours très pratique).
Je crois que c'est à Marie-Laetitia que j'ai piqué l'idée, elle aura peut-être des trucs plus efficaces.
Je suis dans un lycée assez tranquille aussi (malgré les apparences...), donc c'est peut-être plus compliqué en ZEP avec des élèves qui n'ont vraiment aucun repère à l'école. Mine de rien, mes secondes me respectent et n'ont pas mauvais fond : ils acceptent de lever la main pour répondre (presque tout le temps...), jouent le jeu même si ils essaient souvent de gruger en regardant dans le cahier.
Ceci dit, je suis impressionnée du fonctionnement de ce truc simple ; l'entrée en classe est plus rapide et les questions de cours en contrôle sont bien mieux réussies. Pour les exercices plus compliqués, par contre, ça ne change pas grand chose.
Ca demande aussi une certaine organisation. Perso, je fais un système de point assez simple : poser une question correcte = 1 point, 2 points si c'est une question ouverte qui appelle une réponse développée ; bonne réponse : 2 pts, 3 pts si c'est une question ouverte. Pour les compléments des autres élèves, 1 pt par élément juste. Je mets des bâtons au tableau et je récupère à la fin de l'heure, ou quand ils sont en autonomie. (mais ça prend de la place au tableau, pas toujours très pratique).
Je crois que c'est à Marie-Laetitia que j'ai piqué l'idée, elle aura peut-être des trucs plus efficaces.
Je suis dans un lycée assez tranquille aussi (malgré les apparences...), donc c'est peut-être plus compliqué en ZEP avec des élèves qui n'ont vraiment aucun repère à l'école. Mine de rien, mes secondes me respectent et n'ont pas mauvais fond : ils acceptent de lever la main pour répondre (presque tout le temps...), jouent le jeu même si ils essaient souvent de gruger en regardant dans le cahier.
- Marie LaetitiaBon génie
Al-qalam a écrit:
Je crois que c'est à Marie-Laetitia que j'ai piqué l'idée, elle aura peut-être des trucs plus efficaces.
Ah je viens d'éclater de rire! J'allais écrire "ah mais elle est géniale cette idée!" En fait, moi je fais ça à l'écrit, j'appelle ça "la question du jour", c'est seulement les jours où le cours commence à l'heure. C'est tout simple, une feuille qui sert pour... le trimestre, l'année enfin, tant qu'il y a de la place (là on doit être à la 3e feuille). J'écris la question au tableau (en noir donc ils ne recopient pas), ils inscrivent juste la date et la réponse, en ayant le droit de ne pas rédiger si ce n'est pas une définition. La fois d'après, ils tirent un trait, marquent la date du jour et la réponse à la question du jour.
Ta manière d'appliquer est pas mal, carrément mieux même, AQ! Seul bémol, avec ma 5e zoo, ça serait le boxon, l'écrit les calme. Mais je tenterai bien avec d'autres classes, ils vont adorer!
Sinon, un texte dans l'esprit du fil, publié sur mon blog (mais il faut que l'on décrire des choses plus drôles, j'ai l'impression que nous vivons tous la même chose, que ce soit en lycée ou en collège, c'est assez terrible...)
Un mercredi ordinaire (l'art d'être utile)
Une matinée ordinaire.
4 heures de cours. Deux premières à peu près correctes, enfin, une. Durant la deuxième, avec ma 6e faible, nous avons avancé avec la vitesse d'un escargot asmathique. Il s'agissait de décrire deux photos du paysage urbain de Strasbourg. À peine un tiers avait fait le travail à la maison. Bref.
Récréation de 10 heures, pas le temps de prendre le pause, la course comme d'habitude. J'arrive juste pour cueillir une 5e en pleine explosion. Le mascara a dégouliné sous les larmes. Elle crie, elle éructe, en pleine rage. J'essaie de la raisonner, elle se débat. Les autres tournent autour, curieux de savoir ce qui c'est passé.
Il faut la calmer, l'isoler d'abord, faire monter les autres. Excédée, je pousse, je hausse le ton, ordonnant à tous de monter sans m'attendre avec la grâce et la douceur de Nicholson dans Full metal jacket. Plus ou moins de bon gré, je réussis à traîner ma bombe vers l'infirmerie, elle n'est pas en état de suivre le cours, seulement d'hurler sa haine "je vais niquer sa mère, sa soeur, sa grand-mère...!" Je crois que toute la famille de l'ennemi(e?) y est passé. Une querelle, une de plus. Avec un peu de chance, demain, elle s'en souviendra à peine et évoquera l'affaire en gloussant de rire.
Dernière heure. Hélas, Jordan n'a pas eu l'heureuse idée aujourd'hui de s'auto-exclure. Il tente bien dès le couloir une escapade vers la vie scolaire (ou la sortie plutôt) mais quand je lui fais comprendre qu'il ne partira pas sans fiche officielle d'exclusion, ses velléités d'échappée belle s'évanouissent. C'est fou le pouvoir d'un morceau de papier. En attendant, il cherche - comme d'habitude - à changer de place, en vain - comme d'habitude, en s'installant de préférence à côté d'un autre qui n'attend que cela pour se distraire. Évidemment, hors de question pour lui de fournir le moindre travail. Pour cela il faudrait qu'il ait son livre. Mais comme d'habitude... a pas. Même noter la leçon, mais quelle idée! Je refuse de le lâcher, il doit copier la moitié seulement. Je le recolle de près, à la sonnerie, et le contraint à ressortir son agenda pour noter le travail. Sans la moitié du cours ni les questions sur le document, c'est purement symbolique.
Pendant l'heure Yilmaz n'a pas cessé de parler, pas du cours, non, mais avec Bakir qui a l'énergie d'une moule. Je change Bakir de place (au passage, Yilmaz ne reste pas deux fois à la même place en cours, la notion de plan de classe relevant pour lui de l'arbitraire professoral qui risque de provoquer des contestations sans fin, tout comme l'autorité en général). Les bavardages continuent à travers la classe. Je ne calme Yilmaz qu'en sortant une fiche d'exclusion que je remplis tranquillement. Évidemment, le cours s'arrête pendant ce temps.
En même temps, entre les deux exclusions définitives, les absents pour absence d'envie, les absents pour voyage scolaire, les non-francophones néo-arrivants pas encore scolarisés en classe, je tente de faire travailler onze élèves sur les vingt de la classe complète. Les ennuis étaient prévisibles avec ce groupe dès le début de l'année, les effectifs ont donc été allégés d'emblée. Par la force des choses, ils ont encore été allégés depuis. A force de collectionner des rapports d'incidents (insultes, refus de respecter le personnel, dégradations, jeux dangereux), l'un est parti sous d'autres cieux, pourrir un autre établissement après un échec en atelier relai. Le deuxième a été éjecté après avoir sorti tout son vocabulaire ordurier sur un collègue. Quand je dis tout, c'est tout. Brassens à côté serait passé pour un petit joueur.
Onze élèves? Non, je travaille sérieusement avec deux élèves, quatre en en poussant deux autres.
L'attention des autres est à peu près nulle. Pourtant il est question de l'iPod, produit choisi dans le manuel pour parler de la mondialisation et des échanges de marchandises (programme de géographie). Je parlerais du XVIIIe siècle, je pourrais comprendre. Même pas.
Je sors à midi en me sentant vraiment utile à l'humanité. En passant, je tombe sur une collègue en train de gérer la dernière connerie de sa dernière classe: un élève a mis de la colle dans l'oeil d'un autre. Parents contactés. Pas disponibles. Pas d'administration, à midi tout est fermé. Heureusement les infirmières sont là. Ambulance.
Il est 12h15, je referme la grille. Monde de fous.
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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- NitaEmpereur
10 heures. La corvée d’après récréation : aller chercher dans la cour les 3e H. Une classe « expérimentale » : un nouveau dispositif testé dans l’Académie, avant d’être généralisé à la France entière. Les 3e H sont une des premières classes de 3e à «Modules de Découverte Professionnelle », ce qui signifie qu’ils vont passer six heures par semaines au Lycée Professionnel d’à côté, sans y trouver bien plus d’intérêt qu’à celles qu’ils passent au collège.
Les faire monter et se ranger avant d’entrer dans la salle, obtenir d’eux un « Bonjour Madame », les faire entrer, puis asseoir, et sortir de quoi écrire s’apparente tous les jours à une épreuve de force : ils renâclent toujours à se conformer aux usages du collège, avec plus ou moins de bonhommie et de bonne humeur.
Les 3e H, ce sont les gueules cassées du collège, des ados hâbleurs qui font semblant de n’avoir peur de rien, et qui cachent avec plus ou moins de succès des situations personnelles qui vont, le plus souvent, de l’ubuesque à l’épouvantable : au fond, il y a la si jolie L., qui vient au collège avec un sac à main et un cahier (pour son courrier, elle ne prend pas de notes en cours), sa voisine J., qui s’ennuie à l’école depuis qu’elle est au Cp, et qui attend sagement que toutes les heures s’écoulent en songeant à on ne sait quoi.
Juste devant, affalé contre le radiateur, le jumeau de J., dont l’initiale est également J. (ce qui fait que leurs deux prénoms accolés reconstituent ceux du couple vedette d’une série sentimentalo-policière, si on peut dire, du début des années 80) dont les rêves se sont racornis au fil de sa scolarité : en 6e, il voulait être pilote de chasse, en 4e, il se voyait électrotechnicien, en 3e MDP6, il espère être admis en CAP au Lycée des Métiers du Bâtiment.
Son voisin, T., est persuadé que son père va l’embaucher dans son entreprise. Comme ce monsieur a, c’est notoire, un excellent sens des réalités et des affaires, la totalité des enseignants de T. sont persuadés qu’il n’en fera rien.
Sur leur droite, il y a S. Il n’a que quatorze ans, alors que ses camarades ont tous un à deux ans de retard, parfois plus, comme U. qui a fait des allers et retours entre la France et l’Anatolie et qui est presque majeur... S. est toujours sur la défensive, c’est-à-dire qu’il agresse tout ce qui passe à deux mètres de lui. Il quitte toujours le collège à la vitesse de l’éclair à 15h50 : il doit chercher, en deux roues, sa petite sœur à l’école maternelle du village d’à côté. S’il y a un cours de 16h. à 17h., S. s’en passe. Quand il arrive, S. fait goûter sa petite sœur, puis il ferme la porte de la cuisine, et il va vérifier que sa mère n’est ni en coma éthylique, ni en train de s’ouvrir les veines dans la salle de bains. Je crois savoir que les standardistes des services d’urgence reconnaissent sa voix, parce que c’est un habitué - ou sa mère, c’est selon. L’école est vraiment très loin de ses préoccupations, et finalement, c’est compréhensible.
R. est assis au premier rang, arborant fièrement un crâne tatoué sur l’avant-bras. R. n’aime rien, ni personne, à part des équipes de foot - enfin, à part les joueurs de couleur, bien entendu.
Comme souvent, c’est R. qui va lancer la phrase qui va faire dévier le cours. Après « Les Arabes, ils doivent retourner chez eux », « Les Italiens, c’est des pédés (manque de bol, T. est Italien, et il a une bonne droite) », et autres joyeusetés, cette fois, c’est au cours de français qu’il s’en prend.
« Fait chier, ***, ça sert à rien, ce qu’on fait ! »
Cette phrase m’exaspère - encore davantage parce que c’est R. qui la prononce. Et je lui demande à quoi il sert. Il me répond, très content de lui, que sans lui, je n’aurais pas de travail. Bien sûr, je lui dis que ni lui, ni ses camarades ne me servent : s’il n’y avait pas d’élèves, je ne serais pas devenue professeur, c’est tout.
T. réfléchit un peu et déclare que quand il sera grand, il servira à quelque chose, puisqu’il sera menuisier, et que c’est utile. Je leur demande alors si c’est leur utilité qui rend les gens ou les choses importants. Tous acquiescent. Ils en sont sûrs, clefs à molette et êtres humains, c’est du pareil au même : seule compte l’utilité.
Je leur déclare alors que je pense qu’ils se trompent, et que ce n’est pas cela qui compte vraiment, que ce qui est précieux et rare, c’est ce qui ne sert à rien, comme l’Art, comme la littérature, comme ce poème de Verlaine qu’ils n’ont pas envie de lire.
Il y a un silence, et puis L. me demande si je pense qu’ils ne servent à rien. T. lui rétorque que c’est ce que je dis depuis dix minutes, et elle reprend, moqueuse, sûre de m’avoir piégée : « Mais alors, nous, on est précieux ? ».
Je lui souris, et je réponds que c’est évident. J. sort de son marasme habituel pour objecter qu’il y a plein de 3e, alors ils ne sont pas rares, et donc pas précieux. J’explique alors qu’ils sont bien plus que rares, ils sont uniques : il y a presque sept milliards d’êtres humains sur Terre, et il n’y en a aucun autre qui soit comme eux. Ils sont donc extrêmement précieux, puisqu’ils sont irremplaçables. On peut trouver un autre menuisier, ou un autre maçon, ou d’autres élèves, mais ce qui les constitue, qui les différencie des outils, c’est que ce qui les rend précieux, c’est tout ce qui en eux, ne sert à rien.
Ils se regardent, un peu incrédules : « Eh, t’es précieux… »
S. veut vérifier quelque chose : « Si on est précieux, alors, on est bien, hein ?
- S., précieux et pénible, ça commence par la même lettre… Vous êtes précieux, uniques, et irremplaçables, tous. Et sacrément casse-pieds, aussi…
Ils rient de bon cœur, et la sonnerie retentit. Ils sont sortis sans bousculades, sans bourrades, pour une fois.
Je sais qu’au cours suivant, ils ont annoncé que j’avais dit qu’ils étaient « précieux, parce qu’ils étaient uniques, et que personne ne pouvait les remplacer » - étrangement, ils n’ont pas évoqué l’adjectif « pénible ».
L’épreuve de force s’est poursuivie toute l’année. Je ne suis pas sûre qu’ils aient fait autant de progrès en grammaire que je l’espérais, et je crains que Verlaine ne les ait jamais enchantés ; j’espère qu’ils se souviennent encore de ce petit moment de grâce où ils se sont découverts uniques - et précieux. Ils savaient déjà qu’ils étaient sacrément pénibles.
(Quand j'ai eu cette discussion avec cette classe, le mot "préssssssssssssssssieux" n'avait pas été irrémédiablement associé à Gollum)
Les faire monter et se ranger avant d’entrer dans la salle, obtenir d’eux un « Bonjour Madame », les faire entrer, puis asseoir, et sortir de quoi écrire s’apparente tous les jours à une épreuve de force : ils renâclent toujours à se conformer aux usages du collège, avec plus ou moins de bonhommie et de bonne humeur.
Les 3e H, ce sont les gueules cassées du collège, des ados hâbleurs qui font semblant de n’avoir peur de rien, et qui cachent avec plus ou moins de succès des situations personnelles qui vont, le plus souvent, de l’ubuesque à l’épouvantable : au fond, il y a la si jolie L., qui vient au collège avec un sac à main et un cahier (pour son courrier, elle ne prend pas de notes en cours), sa voisine J., qui s’ennuie à l’école depuis qu’elle est au Cp, et qui attend sagement que toutes les heures s’écoulent en songeant à on ne sait quoi.
Juste devant, affalé contre le radiateur, le jumeau de J., dont l’initiale est également J. (ce qui fait que leurs deux prénoms accolés reconstituent ceux du couple vedette d’une série sentimentalo-policière, si on peut dire, du début des années 80) dont les rêves se sont racornis au fil de sa scolarité : en 6e, il voulait être pilote de chasse, en 4e, il se voyait électrotechnicien, en 3e MDP6, il espère être admis en CAP au Lycée des Métiers du Bâtiment.
Son voisin, T., est persuadé que son père va l’embaucher dans son entreprise. Comme ce monsieur a, c’est notoire, un excellent sens des réalités et des affaires, la totalité des enseignants de T. sont persuadés qu’il n’en fera rien.
Sur leur droite, il y a S. Il n’a que quatorze ans, alors que ses camarades ont tous un à deux ans de retard, parfois plus, comme U. qui a fait des allers et retours entre la France et l’Anatolie et qui est presque majeur... S. est toujours sur la défensive, c’est-à-dire qu’il agresse tout ce qui passe à deux mètres de lui. Il quitte toujours le collège à la vitesse de l’éclair à 15h50 : il doit chercher, en deux roues, sa petite sœur à l’école maternelle du village d’à côté. S’il y a un cours de 16h. à 17h., S. s’en passe. Quand il arrive, S. fait goûter sa petite sœur, puis il ferme la porte de la cuisine, et il va vérifier que sa mère n’est ni en coma éthylique, ni en train de s’ouvrir les veines dans la salle de bains. Je crois savoir que les standardistes des services d’urgence reconnaissent sa voix, parce que c’est un habitué - ou sa mère, c’est selon. L’école est vraiment très loin de ses préoccupations, et finalement, c’est compréhensible.
R. est assis au premier rang, arborant fièrement un crâne tatoué sur l’avant-bras. R. n’aime rien, ni personne, à part des équipes de foot - enfin, à part les joueurs de couleur, bien entendu.
Comme souvent, c’est R. qui va lancer la phrase qui va faire dévier le cours. Après « Les Arabes, ils doivent retourner chez eux », « Les Italiens, c’est des pédés (manque de bol, T. est Italien, et il a une bonne droite) », et autres joyeusetés, cette fois, c’est au cours de français qu’il s’en prend.
« Fait chier, ***, ça sert à rien, ce qu’on fait ! »
Cette phrase m’exaspère - encore davantage parce que c’est R. qui la prononce. Et je lui demande à quoi il sert. Il me répond, très content de lui, que sans lui, je n’aurais pas de travail. Bien sûr, je lui dis que ni lui, ni ses camarades ne me servent : s’il n’y avait pas d’élèves, je ne serais pas devenue professeur, c’est tout.
T. réfléchit un peu et déclare que quand il sera grand, il servira à quelque chose, puisqu’il sera menuisier, et que c’est utile. Je leur demande alors si c’est leur utilité qui rend les gens ou les choses importants. Tous acquiescent. Ils en sont sûrs, clefs à molette et êtres humains, c’est du pareil au même : seule compte l’utilité.
Je leur déclare alors que je pense qu’ils se trompent, et que ce n’est pas cela qui compte vraiment, que ce qui est précieux et rare, c’est ce qui ne sert à rien, comme l’Art, comme la littérature, comme ce poème de Verlaine qu’ils n’ont pas envie de lire.
Il y a un silence, et puis L. me demande si je pense qu’ils ne servent à rien. T. lui rétorque que c’est ce que je dis depuis dix minutes, et elle reprend, moqueuse, sûre de m’avoir piégée : « Mais alors, nous, on est précieux ? ».
Je lui souris, et je réponds que c’est évident. J. sort de son marasme habituel pour objecter qu’il y a plein de 3e, alors ils ne sont pas rares, et donc pas précieux. J’explique alors qu’ils sont bien plus que rares, ils sont uniques : il y a presque sept milliards d’êtres humains sur Terre, et il n’y en a aucun autre qui soit comme eux. Ils sont donc extrêmement précieux, puisqu’ils sont irremplaçables. On peut trouver un autre menuisier, ou un autre maçon, ou d’autres élèves, mais ce qui les constitue, qui les différencie des outils, c’est que ce qui les rend précieux, c’est tout ce qui en eux, ne sert à rien.
Ils se regardent, un peu incrédules : « Eh, t’es précieux… »
S. veut vérifier quelque chose : « Si on est précieux, alors, on est bien, hein ?
- S., précieux et pénible, ça commence par la même lettre… Vous êtes précieux, uniques, et irremplaçables, tous. Et sacrément casse-pieds, aussi…
Ils rient de bon cœur, et la sonnerie retentit. Ils sont sortis sans bousculades, sans bourrades, pour une fois.
Je sais qu’au cours suivant, ils ont annoncé que j’avais dit qu’ils étaient « précieux, parce qu’ils étaient uniques, et que personne ne pouvait les remplacer » - étrangement, ils n’ont pas évoqué l’adjectif « pénible ».
L’épreuve de force s’est poursuivie toute l’année. Je ne suis pas sûre qu’ils aient fait autant de progrès en grammaire que je l’espérais, et je crains que Verlaine ne les ait jamais enchantés ; j’espère qu’ils se souviennent encore de ce petit moment de grâce où ils se sont découverts uniques - et précieux. Ils savaient déjà qu’ils étaient sacrément pénibles.
(Quand j'ai eu cette discussion avec cette classe, le mot "préssssssssssssssssieux" n'avait pas été irrémédiablement associé à Gollum)
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A clean house is a sign of a broken computer.
- ErgoDevin
Merci pour ces tranches de classe.
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"You went to a long-dead octopus for advice, and you're going to blame *me* for your problems?" -- Once Upon a Time
"The gull was your ordinary gull." -- Wittgenstein's Mistress
« Cède, cède, cède, je le veux ! » écrivait Ronin, le samouraï. (Si vous cherchez un stulo-plyme, de l'encre, récap de juillet 2024)
- LédisséEsprit sacré
Idem.
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Life is what happens to you while you're making other plans. John Lennon
Life is not governed by will or intention. Life is a question of nerves, and fibres, and slowly built-up cells in which thought hides itself and passion has its dreams. Oscar Wilde
Bien que femme, je me suis permis_ / demandé_ / rendu_ compte / fait_ désirer... etc._
- Raoul VolfoniGrand sage
De beaux textes encore. Pas très joyeux pour répondre à ML mais pleins d'humanité et de bienveillance.
Je note l'idée de questions-réponses, mais je ne me sens pour le moment pas assez sûre de moi pour la pratiquer. J'ai encore peur que tout dérape...
Pour les soucis de type Yilmaz, j'avais trouvé une parade avec mes 1STMG qui refusaient le plan de classe : je leur avais dit avec assurance que je marquerais absents tous ceux qui ne seraient pas à la place que j'avais attribuée. Le PP a été prévenu et a promis de confirmer cette fable si besoin, mais cela n'a pas été nécessaire et je n'ai plus eu de soucis.
Je note l'idée de questions-réponses, mais je ne me sens pour le moment pas assez sûre de moi pour la pratiquer. J'ai encore peur que tout dérape...
Pour les soucis de type Yilmaz, j'avais trouvé une parade avec mes 1STMG qui refusaient le plan de classe : je leur avais dit avec assurance que je marquerais absents tous ceux qui ne seraient pas à la place que j'avais attribuée. Le PP a été prévenu et a promis de confirmer cette fable si besoin, mais cela n'a pas été nécessaire et je n'ai plus eu de soucis.
- flaviaNiveau 3
Ces récits sonnent juste, sans sombrer dans le pathos. Ils mériteraient une large diffusion. Merci et bravo aux auteurs pour leurs talents de narration.
En revanche, sur ce coup-là, j'en veux un peu à Nita : je vais me coltiner "L'aaaaaaaaaaaamour du risque" en boucle dans la tête pour le restant de la journée... :lol:Nita a écrit:Juste devant, affalé contre le radiateur, le jumeau de J., dont l’initiale est également J. (ce qui fait que leurs deux prénoms accolés reconstituent ceux du couple vedette d’une série sentimentalo-policière, si on peut dire, du début des années 80)
- Raoul VolfoniGrand sage
Ahmed, encore lui.
Il est assis au fond de la classe de français, près d'une fenêtre. C'est un point qui a son importance, car Ahmed ne sent pas la rose, et après le cours, j'ouvre cette fenêtre en priorité pour faire partir l'odeur qui semble s'accrocher à sa place. Aux beaux jours, j'encourage les élèves à ouvrir les fenêtres pendant le cours, parce que cette salle est une étuve et qu'une classe, ça pue. Même si chacun des individus qui la composent, professeur et élèves, est d'une hygiène irréprochable, le rassemblement, au bout d'un moment, dégage une odeur de ménagerie. Il faut être entré une fois dans une salle de classe aux fenêtres bien fermées, juste après un cours, pour s'en rendre pleinement compte. Le courant d'air est alors le meilleur ami du professeur, hiver comme été.
Ahmed est correctement vêtu, mais pas très propre sur lui. Et comme il a de terribles lacunes en français, je passe près de lui plus de temps que près d'aucun autre élève. Notre travail a parfois des allures de sacerdoce. Il s'accroche, essaie de comprendre, le visage crispé dans un effort douloureux de concentration. Ahmed est un gamin rondouillard, un peu voûté, à la démarche boitillante. Si c'était mon fils, je lui ferais voir un spécialiste. Le port de semelles améliorerait sans doute sa posture. Mais les parents d'Ahmed ne semblent pas suivre sa santé de très près. Il a cassé ses lunettes en cours d'année. Depuis, tous les lundis, en le voyant plisser les yeux, je lui demande quand il en aura de nouvelles : elles sont commandées, me dit-il. Je ne les verrai jamais. Inutile de le faire changer de place, il faudrait qu'il ait le nez collé au tableau pour pouvoir lire. Alors il attend qu'un copain ait copié le cours, puis il emprunte le cahier et note à son tour. Pendant ce temps, bien entendu, le cours avance, et lui ne peut à la fois suivre et écrire... C'est une histoire sans fin. Il a toujours un temps de retard sur les autres, sauf lorsque nous travaillons à l'oral. Là, Ahmed n'est pas freiné par un écrit catastrophique, et il participe de manière pertinente. La preuve qu'il n'est pas idiot.
Ce jour-là, pour terminer l'heure, nous faisons un petit travail oral sur l'argumentation et, je crois, l'expression de la concession. Un exercice pour lequel j'ai choisi un thème du quotidien. Un père de famille surprend son fils adolescent en train de fumer ; les élèves doivent imaginer la discussion qui s'engage. Je leur demande de se mettre à la place du père de famille : que diraient-ils pour convaincre leur fils de cesser de fumer ? Que diraient leurs propres parents dans ce genre de cas ?
-Moi, mon père, s'il me chope en train de fumer, il discute même pas, déclare Ahmed. Il me passe par la fenêtre.
Et, de fait, il ne parvient pas à imaginer les arguments du père, soucieux de la santé de son enfant. Il ne voit qu'une issue violente à cette situation. Pour lui, c'est la quatrième dimension, une discussion père-fils sur ce sujet. Le père n'a pas à convaincre, il impose. J'ai beau insister sur le fait que c'est une fiction, un prétexte pour travailler un point du programme, Ahmed freine des quatre fers. Nous en parlons tous les deux, et il finit par m'expliquer que son père lui colle des trempes quand il "ne travaille pas bien à l'école" et que lui-même fera probablement de même avec ses propres enfants, plus tard, pour leur bien, évidemment. J'objecte qu'il y a d'autres manières d'éduquer ses enfants, ce à quoi Ahmed répond, très naturellement :
-Oui, mais chez les Arabes, c'est comme ça qu'on fait. Vous, madame, vous pouvez pas savoir, vous êtes française.
Il ne voit aucun mal là-dedans, simplement l'expression de différences culturelles. Cela ne signifie pas que, dans son esprit, l'éducation des "Arabes" soit meilleure que celle des "Français". C'est comme ça, c'est tout. Ahmed est majeur et ne songe aucunement à se soustraire à l'autorité brutale de son père. Pour ma part, je songe avec tristesse qu'il prend une danse chaque fois qu'il ramène de mauvaises notes à la maison, il ne doit pas avoir beaucoup de soirées calmes.
Il est assis au fond de la classe de français, près d'une fenêtre. C'est un point qui a son importance, car Ahmed ne sent pas la rose, et après le cours, j'ouvre cette fenêtre en priorité pour faire partir l'odeur qui semble s'accrocher à sa place. Aux beaux jours, j'encourage les élèves à ouvrir les fenêtres pendant le cours, parce que cette salle est une étuve et qu'une classe, ça pue. Même si chacun des individus qui la composent, professeur et élèves, est d'une hygiène irréprochable, le rassemblement, au bout d'un moment, dégage une odeur de ménagerie. Il faut être entré une fois dans une salle de classe aux fenêtres bien fermées, juste après un cours, pour s'en rendre pleinement compte. Le courant d'air est alors le meilleur ami du professeur, hiver comme été.
Ahmed est correctement vêtu, mais pas très propre sur lui. Et comme il a de terribles lacunes en français, je passe près de lui plus de temps que près d'aucun autre élève. Notre travail a parfois des allures de sacerdoce. Il s'accroche, essaie de comprendre, le visage crispé dans un effort douloureux de concentration. Ahmed est un gamin rondouillard, un peu voûté, à la démarche boitillante. Si c'était mon fils, je lui ferais voir un spécialiste. Le port de semelles améliorerait sans doute sa posture. Mais les parents d'Ahmed ne semblent pas suivre sa santé de très près. Il a cassé ses lunettes en cours d'année. Depuis, tous les lundis, en le voyant plisser les yeux, je lui demande quand il en aura de nouvelles : elles sont commandées, me dit-il. Je ne les verrai jamais. Inutile de le faire changer de place, il faudrait qu'il ait le nez collé au tableau pour pouvoir lire. Alors il attend qu'un copain ait copié le cours, puis il emprunte le cahier et note à son tour. Pendant ce temps, bien entendu, le cours avance, et lui ne peut à la fois suivre et écrire... C'est une histoire sans fin. Il a toujours un temps de retard sur les autres, sauf lorsque nous travaillons à l'oral. Là, Ahmed n'est pas freiné par un écrit catastrophique, et il participe de manière pertinente. La preuve qu'il n'est pas idiot.
Ce jour-là, pour terminer l'heure, nous faisons un petit travail oral sur l'argumentation et, je crois, l'expression de la concession. Un exercice pour lequel j'ai choisi un thème du quotidien. Un père de famille surprend son fils adolescent en train de fumer ; les élèves doivent imaginer la discussion qui s'engage. Je leur demande de se mettre à la place du père de famille : que diraient-ils pour convaincre leur fils de cesser de fumer ? Que diraient leurs propres parents dans ce genre de cas ?
-Moi, mon père, s'il me chope en train de fumer, il discute même pas, déclare Ahmed. Il me passe par la fenêtre.
Et, de fait, il ne parvient pas à imaginer les arguments du père, soucieux de la santé de son enfant. Il ne voit qu'une issue violente à cette situation. Pour lui, c'est la quatrième dimension, une discussion père-fils sur ce sujet. Le père n'a pas à convaincre, il impose. J'ai beau insister sur le fait que c'est une fiction, un prétexte pour travailler un point du programme, Ahmed freine des quatre fers. Nous en parlons tous les deux, et il finit par m'expliquer que son père lui colle des trempes quand il "ne travaille pas bien à l'école" et que lui-même fera probablement de même avec ses propres enfants, plus tard, pour leur bien, évidemment. J'objecte qu'il y a d'autres manières d'éduquer ses enfants, ce à quoi Ahmed répond, très naturellement :
-Oui, mais chez les Arabes, c'est comme ça qu'on fait. Vous, madame, vous pouvez pas savoir, vous êtes française.
Il ne voit aucun mal là-dedans, simplement l'expression de différences culturelles. Cela ne signifie pas que, dans son esprit, l'éducation des "Arabes" soit meilleure que celle des "Français". C'est comme ça, c'est tout. Ahmed est majeur et ne songe aucunement à se soustraire à l'autorité brutale de son père. Pour ma part, je songe avec tristesse qu'il prend une danse chaque fois qu'il ramène de mauvaises notes à la maison, il ne doit pas avoir beaucoup de soirées calmes.
- MelanieSLBDoyen
Les 5ème tarrés de l’an dernier. Cette année, ce sont des 4ème plutôt sympathiques. Les deux élèves relevant de l’EREA ne sont plus là : l’une, après un passage en hôpital psychiatrique l’an dernier, a obtenu une place en EREA (l’affectation avait été décidé il y a longtemps, mais les places manquent) ; l’autre est parti on ne sait où, au gré d’un nouveau placement en famille d’accueil. Les autres sont toujours là. Est-ce l’année de plus ? Est-ce parce que je ne suis plus la nouvelle ? En tout cas, leur comportement s’est nettement amélioré, … malheureusement, pas leur travail.
Ce matin, je veux essayer de leur faire apprendre à parler de quelqu’un à la troisième personne : j’aimerais qu’il décrive quelqu’un lors du DS, et comme ils sont en 4ème, je voudrais qu’ils utilisent correctement He/She et His/Her. Ce n’est pas gagné d’avance.
Trois élèves, Da., Q. et D. devraient comprendre et s’en sortir. B., le « toutou » d’E., est celui qui a le plus de chances de comprendre, mais si E. est là, il n’y a pas la moindre chance que B. fasse un effort. Si E. est là, j’aurais déjà de la chance si je ne dois pas me battre pour que tous sortent leurs affaires, y compris et surtout B. C’est une drôle d’atmosphère dans cette classe, les insultes homophobes pleuvent à longueur de couloir, de cour de récréation et parfois de cours, et pourtant, ils sont au moins 4 garçons, les plus virulents d’ailleurs, B., E., Dy. et A. à être en couple officieux. His/Her : ma réplique habituelle quand ils se trompent, c’est XY est une fille maintenant ? ou XX est un garçon, ah bon ? Trop risqué dans cette classe, il va falloir faire autrement.
Ca sonne, je me demande ce qu’ils me réservent ce matin. Je suis fatiguée, je ne veux pas y aller. Il le faut, allons-y. Je descends. Je regarde rapidement combien ils sont (il est 8 heures, tous ne seront pas là) : discret soupir de soulagement, E. n’est pas là, on devrait réussir à atteindre les objectifs. Je n’ai pas les mêmes pour tous, si A. comprend la différence entre he/she, arrive à les prononcer et copie son cours, ce sera parfait. Pour B., je veux qu’il comprenne tout (he/she, his/her), qu’il copie le cours, et qu’il fasse quelques phrases de son propre cru en utilisant les quatre mots nouveaux. Entre les deux, quasiment autant d’objectifs que d’élèves. Objectif commun à tous : réussir à les garder concentrés 55 minutes.
Je m’avance doucement, le principal est dans la cour. Il se détourne ostensiblement : il essaie de détruire ou ignore ceux qu’il n’aime pas. Pour être passée de la 1ère à la 2ème catégorie, la 2ème est plus confortable, mais pas devant les élèves. On se serre les coudes devant les élèves. Alors, je prends mon courage à deux mains, plaque un sourire sur mes lèvres, et vais lui dire bonjour. Il ne me fera pas l’affront de ne pas voir la main tendue aujourd’hui, il a compris le message : quelques soient les dissensions entre adultes, pas devant les élèves. Mais je viens de perdre encore un peu d’énergie, alors que j’aurai besoin de toute celle-ci pour enchaîner mes 3 heures de ce matin, dont deux de segpa, pendant lesquelles il faut déployer des trésors d’imagination pour les garder concentrés.
On monte, je reprends Dy., il a encore oublié qu’on ne pouvait pas dire n’importe quoi devant n’importe qui. Je lui rappelle qu’il peut toujours avoir une punition avant même de rentrer en classe. Ce moment est important : c’est dans le couloir que les élèves sentent si aujourd’hui, je serai cool (enfin, tout est relatif) ou sévère. Aujourd’hui, Dy. a compris qu’il va falloir être calme. Il le sera. On fait quelques exercices d’écoute, d’abord présentant un homme puis présentant une femme. On s’arrête, on essaie de comprendre, on arrive sans trop de problèmes aux pronoms personnels sujets de la 3ème personne du singulier. A a décroché dès le mot ‘personnel’ mais ‘il’, ‘elle’, ça lui parle. Il fait le lien. Premier obstacle surmonté. Quelques exercices orals puis écrits, ça roule. On continue donc nos exercices d’écoute et on parle des possessions d’un homme puis d’une femme. On est bien parti. On a compris que ça traduisait « son, sa, ses », Da. est motivée, elle a perçu la différence : his si ça appartient à un homme, her si ça appartient à une femme. Elle est tellement excitée d’avoir compris qu’elle le dit sans lever la main, je m’apprête à la reprendre sur sa main non levée puis à la féliciter pour avoir bien compris, j’ouvre légèrement la bouche… B., que je connais donc maintenant depuis 20 mois, dit à Dy. et à A. de me regarder : « eh, regardez la prof, on dirait une vampire ». Dy. et A. n’étant pas forcément des lumières, B. leur précise : « comment elle a des canines trop pointues ». C’est vrai… au bout de 20 mois, il est temps de le remarquer ! C’est un peu comme mes 6ème qui ont remarqué en janvier que j’avais les cheveux longs. Mais ça y est, la classe est perdue, ils me filent entre les doigts. Pas moyen d’attirer leur attention sur le cours : ils me regardent, ça, pour le coup, ce n’est pas le problème, mais je suis devenue un objet de curiosité, et non plus leur prof. Et puisqu’ils se concentrent sur mes dents, j’ai bien du mal à dévier leur attention sur autre chose par des paroles. Alors, je me retourne, j’écris la leçon au tableau en reprenant les phrases simples de Da. La copie les calme 98% du temps. Q., jusque là calme, n’a pas envie d’écrire. Alors, il profite de la fin de la conversation sur mes dents (je me suis retournée, l’objet d’attention n’étant plus sous leurs yeux, la conversation se tarit) pour lancer un nouveau sujet de conversation : et si on pourrissait le cours de Mme L (nouvelle dans l’équipe cette année – j’ai peut-être la réponse à ma première question), le cours sur le film, « comme ça, elle s’ra encore trop dégoûtée ». Vais-je dire quelque chose ? Ou sera-ce une énième pierre dans le jardin de la lâcheté ordinaire ? Je ne dirai rien, je n’ai plus assez d’énergie : il faut encore trouver un moyen de les faire produire deux ou trois phrases sans mon aide d’ici à la fin de l’heure. Je l’écrirai dans le cahier de la classe, cahier relais entre l’équipe de segpa et l’équipe du collège, je sais qu’ils ont leur PP juste après, avant le cours de Mme L : leur PP fera en sorte qu’ils ne pourrissent aucun cours. Je vois l’équipe à 11 heures, loupé, Q. a été renvoyé, mais les autres n’ont pas suivi. Mini-victoire.
Sonnerie, libération, pour les élèves comme pour moi. See you on Friday.
Mini-tranche de joie :
Dy., 6ème Segpa, collé avec moi parce qu’il ne rend jamais ces punitions, qu’il ne peut être mis en retenue que de 11 à 12h et qu’il n’y a pas de permanence à cette heure-là. Je le prends donc dans mon groupe d’ATP de 6ème. Les Segpa ne font pas ATP. Pour lui, ce sera une découverte. En ATP là où je suis, on fait vraiment ce qu’on veut, alors j’ai décidé de lire un conte avec mes élèves, un conte en anglais (The Owl who who was afraid of the Dark). J’ai le CD, on alterne entre la lecture et l’écoute de l’histoire, puis on met en commun ce qu’on a compris évidemment, en anglais d’abord puis en français, pour clarifier certains points restés obscurs. Le père de Plop, notre pauvre hibou ayant peur du noir, est parti « hunting for food ». Les 6ème savent que food c’est de la nourriture, et on cherche ce que peut bien vouloir dire « hunting ». Un élève propose chercher, je lui dis qu’il n’a pas tort, mais je lui demande si le père de Plop va chercher de la nourriture au supermarché ou si ça se passe autrement. Tous mes élèves de 6ème me regardent pendant une bonne minute d’un air interloqué, mon petit Dy., par contre, lève une main toute timide (il est censé faire sa punition, pas écouter ce qu’on fait), et me dit avec difficulté : « sasser, sacher, chasser ». Joie de voir que ce petit peut y arriver, joie de voir qu’il peut même y arriver mieux que des élèves de collège « normal », joie de voir que malgré sa dyslexie prononcée, Dy. a réussi à prononcer un mot compliqué et a impressionné les autres, qui ont d’un mot eu une autre vision des élèves de segpa. Ca ne durera peut-être pas, mais il aura tout de même réussi un exploit.
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La réforme du collège en clair : www.reformeducollege.fr .
Et pour ceux qui voudraient en comprendre quelques fondements idéologiques:
De l’école, Jean-Claude Milner, visionnaire en 1984 (ça ne s'invente pas!) de ce qui nous arrive: "On ne dira pas que les enseignants sont l'appendice inutile d'une institution dangereuse et presque criminelle; on dira seulement qu'ils doivent devenir Autres: animateurs, éducateurs, grands frères, nourrices, etc. La liste est variable. Que, par là, les enseignants cessent d’être ce qu'ils doivent être, c'est encore une fois sortir de la question. On ne dira pas que les enseignants n'ont pas à exister, mais qu'ils ont à exister Autrement. Que cette Autre existence consiste à renoncer à soi-même pour disparaître dans la nuit éducative et s'y frotter, tous corps et tous esprits confondus, avec les partenaires de l'acte éducatif - manutentionnaires, parents, élèves, etc. -, seul un méchant pourrait en prendre ombrage." (page 24)
- NitaEmpereur
flavia a écrit:Ces récits sonnent juste, sans sombrer dans le pathos. Ils mériteraient une large diffusion. Merci et bravo aux auteurs pour leurs talents de narration.En revanche, sur ce coup-là, j'en veux un peu à Nita : je vais me coltiner "L'aaaaaaaaaaaamour du risque" en boucle dans la tête pour le restant de la journée... :lol:Nita a écrit:Juste devant, affalé contre le radiateur, le jumeau de J., dont l’initiale est également J. (ce qui fait que leurs deux prénoms accolés reconstituent ceux du couple vedette d’une série sentimentalo-policière, si on peut dire, du début des années 80)
Mais, euh, :injuste: il faut avoir pitié de moi : je n'ai pas changé leurs prénoms, ils s'appelaient réellement Jonathan et Jennifer (les justiciers milliardaiiiiiiiiiiiiires :chanson: ), et j'ai eu l'air en tête TOUTE l'année...
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A clean house is a sign of a broken computer.
- flaviaNiveau 3
J'imagine bien le calvaire, surtout au moment de l'appel en début d'année et lors des conseils de classe... réussir à réprimer un fou-rire devait relever de l'exploit
- ErgoDevin
Ils entrent dans la salle, me saluant au passage avec de grands sourires et attendent en remuant que je leur donne l'autorisation de s'asseoir. Si., Na. et Cé. ont déjà la main levée pour demander si elles peuvent mettre le papier d'appel à la porte. Normalement, je n'accepte que si la phrase est bien dite (une phrase que, d'ailleurs, je n'aime pas tant elle est inadaptée). En général, cela donne quelque chose de type "CanIputmypaperonthedoor?". Cé. se lance: "Can...I...put..." ("the paper" souffle Si.) "the paper...on...the...door?" Cé. est la seule à prendre son temps quand elle s'exprime. Elle n'essaie pas de parler le plus vite possible, c'est reposant et ses progrès sont phénoménaux depuis le début de l'année. Kel. et elle se sont révélées: muettes, ne participant jamais au désordre ambiant, elles ont travaillé ensemble lors du "projet" et elles ont fait un travail de qualité. Depuis, elles osent davantage.
La situation menace de dégénérer quand Si. lâche une phrase en turc...Compte tenu de la réaction de Na. et de Ke., ce n'est manifestement pas quelque chose de sympathique qu'elle vient de dire à Sa. Je l'invite à prendre l'air deux minutes pendant que j'explique aux autres les objectifs du jour: compréhension orale.
Ke. panique: "Monsieur. Madame, c'est aujourd'hui, le contrôle ? Mais moi, je savais pas, j'étais pas là, hier." Il y a bien longtemps que je ne réagis plus quand ils m'appellent Monsieur, mes petits 5e SEGPA. J'ai même l'impression que Monsieurmadame est un seul mot. Je rassure Ke.: il n'y a rien que nous ayons fait la veille qui lui soit indispensable pour la CO d'aujourd'hui. Pendant qu'ils préparent leur feuille: leur nom, la date ("Monsieur. Madame, aujourd'hui, c'est Tuesday ?" "Mais non," répond Na., "c'est Thursday. T.H.U.R.S.D.A.Y".) et les quatre colonnes - une par personnage, je sors rejoindre Si. "Tu as compris pourquoi je t'ai demandé de sortir, Si.?" "Oui monsieur, madame, c'est parce que j'ai parlé en turc et que nous sommes dans un collège laïc" récite-t-elle. Je l'invite à reprendre sa place et lui explique les consignes.
Au tableau, les quatre noms: Aang, Katara, Sokka, Zuko, quatre personnages de la série animée américaine Avatar, the Last Airbender dont je leur ai déjà passé un épisode.
"Monsieur. Madame, c'est qui, Aang?" demande Af.
"C'est le petit garçon qui est né dans la glace avec le truc bizarre sur la tête." répond Sa.
(Aang n'est pas né dans la glace, mais il est vrai qu'il a passé 100 ans piégé dans un iceberg et que dans le premier épisode, il en sort.)
"Et monsieur, madame, c'est qui, Katara?" demande Ha.
"C'est la fille."
"Et Sokka?"
"Son frère."
"Et Zuko?"
"Celui qui a la cicatrice."
"Et c'est qui, Aang?"
Je décris une dernière fois les personnages, leur indique qu'ils doivent m'expliquer ce qui se passe, ce que fait chaque personnage (en français, après tout, au bac, la CO est en français) et leur re-décrit qui est chaque personnage.
Je lance l'extrait. Comme d'habitude, Sa., Cé., Ke. et Kel. sont extrêmement concentrés, ils prennent des notes et suivent en silence. Si. se recoiffe et je l'invite à cesser. Ha. rigole dans un coin. Af. attend quelques minutes avant de me demander de changer de place parce qu'il verra mieux ailleurs. Is. essuie la table et commente tout ce qu'il voit et Na. refait les dialogues. Pour un personnage qui vient de lancer un défi à un autre, elle s'exclame: "Au revoiiir." de sa petite voix qui traîne comme celle d'un enfant bien plus jeune qu'elle. A chaque personnage qui apparaît à l'écran, l'un d'eux me demande son nom.
Sa. lui demande de se taire. Na. continue de vivre tout l'extrait: elle sursaute au moindre bruit, lance des "oh" quand quelque chose la surprend et imagine des dialogues qui n'ont rien à voir avec les dialogues originaux.
L'extrait se termine, je leur indique de ne pas oublier de faire des phrases avec les notes qu'ils ont prises.
"Mais monsieur, madame, j'ai rien noté, moi !" s'exclame Si.
"Monsieur, madame, c'est qui Aang?" me redemande Af.
"Finish." s'écrit Ha. (encore une expression qui m'exaspère.)
"Tu as fait des phrases?"
"Non."
"Alors tu n'as pas fini."
"Monsieur, madame, c'est qui, Zuko?" demande Si.
"Madame, je peux vous poser une question?" demande Na. "Ouiiii..." Elle sent à ma voix que je me méfie et ajoute: "Mais ça n'a pas de rapport avec ça." "Alors on attendra la fin de l'heure."
Ils terminent leur évaluation - je crois que certains n'ont toujours pas compris qui était qui. Si. me demande si Aang et Katara vont se marier. (Les personnages ont environ 12 ans.)
Je me tourne vers Na.
"Quelle était ta question?"
"J'ai oublié, monsieur. Madame."
Is. intervient:
"Madame, les garçons, ça ne croise pas les jambes, hein?"
Sonnerie. En attendant les 4e, je me demande encore pourquoi et comment je dois apprendre l'anglais à des élèves qui n'arrivent pas à associer quatre visages à quatre noms. Ils sont adorables, ces bisounours, mais je ne leur suis pas adaptée et n'ai pas la moindre envie de l'être.
La situation menace de dégénérer quand Si. lâche une phrase en turc...Compte tenu de la réaction de Na. et de Ke., ce n'est manifestement pas quelque chose de sympathique qu'elle vient de dire à Sa. Je l'invite à prendre l'air deux minutes pendant que j'explique aux autres les objectifs du jour: compréhension orale.
Ke. panique: "Monsieur. Madame, c'est aujourd'hui, le contrôle ? Mais moi, je savais pas, j'étais pas là, hier." Il y a bien longtemps que je ne réagis plus quand ils m'appellent Monsieur, mes petits 5e SEGPA. J'ai même l'impression que Monsieurmadame est un seul mot. Je rassure Ke.: il n'y a rien que nous ayons fait la veille qui lui soit indispensable pour la CO d'aujourd'hui. Pendant qu'ils préparent leur feuille: leur nom, la date ("Monsieur. Madame, aujourd'hui, c'est Tuesday ?" "Mais non," répond Na., "c'est Thursday. T.H.U.R.S.D.A.Y".) et les quatre colonnes - une par personnage, je sors rejoindre Si. "Tu as compris pourquoi je t'ai demandé de sortir, Si.?" "Oui monsieur, madame, c'est parce que j'ai parlé en turc et que nous sommes dans un collège laïc" récite-t-elle. Je l'invite à reprendre sa place et lui explique les consignes.
Au tableau, les quatre noms: Aang, Katara, Sokka, Zuko, quatre personnages de la série animée américaine Avatar, the Last Airbender dont je leur ai déjà passé un épisode.
"Monsieur. Madame, c'est qui, Aang?" demande Af.
"C'est le petit garçon qui est né dans la glace avec le truc bizarre sur la tête." répond Sa.
(Aang n'est pas né dans la glace, mais il est vrai qu'il a passé 100 ans piégé dans un iceberg et que dans le premier épisode, il en sort.)
"Et monsieur, madame, c'est qui, Katara?" demande Ha.
"C'est la fille."
"Et Sokka?"
"Son frère."
"Et Zuko?"
"Celui qui a la cicatrice."
"Et c'est qui, Aang?"
Je décris une dernière fois les personnages, leur indique qu'ils doivent m'expliquer ce qui se passe, ce que fait chaque personnage (en français, après tout, au bac, la CO est en français) et leur re-décrit qui est chaque personnage.
Je lance l'extrait. Comme d'habitude, Sa., Cé., Ke. et Kel. sont extrêmement concentrés, ils prennent des notes et suivent en silence. Si. se recoiffe et je l'invite à cesser. Ha. rigole dans un coin. Af. attend quelques minutes avant de me demander de changer de place parce qu'il verra mieux ailleurs. Is. essuie la table et commente tout ce qu'il voit et Na. refait les dialogues. Pour un personnage qui vient de lancer un défi à un autre, elle s'exclame: "Au revoiiir." de sa petite voix qui traîne comme celle d'un enfant bien plus jeune qu'elle. A chaque personnage qui apparaît à l'écran, l'un d'eux me demande son nom.
Sa. lui demande de se taire. Na. continue de vivre tout l'extrait: elle sursaute au moindre bruit, lance des "oh" quand quelque chose la surprend et imagine des dialogues qui n'ont rien à voir avec les dialogues originaux.
L'extrait se termine, je leur indique de ne pas oublier de faire des phrases avec les notes qu'ils ont prises.
"Mais monsieur, madame, j'ai rien noté, moi !" s'exclame Si.
"Monsieur, madame, c'est qui Aang?" me redemande Af.
"Finish." s'écrit Ha. (encore une expression qui m'exaspère.)
"Tu as fait des phrases?"
"Non."
"Alors tu n'as pas fini."
"Monsieur, madame, c'est qui, Zuko?" demande Si.
"Madame, je peux vous poser une question?" demande Na. "Ouiiii..." Elle sent à ma voix que je me méfie et ajoute: "Mais ça n'a pas de rapport avec ça." "Alors on attendra la fin de l'heure."
Ils terminent leur évaluation - je crois que certains n'ont toujours pas compris qui était qui. Si. me demande si Aang et Katara vont se marier. (Les personnages ont environ 12 ans.)
Je me tourne vers Na.
"Quelle était ta question?"
"J'ai oublié, monsieur. Madame."
Is. intervient:
"Madame, les garçons, ça ne croise pas les jambes, hein?"
Sonnerie. En attendant les 4e, je me demande encore pourquoi et comment je dois apprendre l'anglais à des élèves qui n'arrivent pas à associer quatre visages à quatre noms. Ils sont adorables, ces bisounours, mais je ne leur suis pas adaptée et n'ai pas la moindre envie de l'être.
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"You went to a long-dead octopus for advice, and you're going to blame *me* for your problems?" -- Once Upon a Time
"The gull was your ordinary gull." -- Wittgenstein's Mistress
« Cède, cède, cède, je le veux ! » écrivait Ronin, le samouraï. (Si vous cherchez un stulo-plyme, de l'encre, récap de juillet 2024)
- Marie LaetitiaBon génie
Tu me rappelles le moment d'anthologie cette semaine, quand je me suis rendue compte que je parlais mondialisation depuis le début de l'année à des 4e, dont une était devant moi totalement incapable de placer Londres et la Grande Bretagne sur la carte vierge du monde, placée sous ses yeux... (en plein contrôle). Je l'ai rattrapée avant qu'elle ne les place sur la côte est des Etats Unis... Il est vrai qu'elle relève de la SEGPA, mais enfin...Ergo a écrit:Sonnerie. En attendant les 4e, je me demande encore pourquoi et comment je dois apprendre l'anglais à des élèves qui n'arrivent pas à associer quatre visages à quatre noms.
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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- ErgoDevin
Je ne t'ai jamais mentionné la carte du monde affichée dans la salle des profs de ma coloc ?
L'élève y a écrit "Océan" quatre fois: en Amérique du Sud, en Afrique, en Chine et en Australie.
Les réorientations en segpa sont un casse-tête...(la CDO nous en a refusé 12 cette année )
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"You went to a long-dead octopus for advice, and you're going to blame *me* for your problems?" -- Once Upon a Time
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« Cède, cède, cède, je le veux ! » écrivait Ronin, le samouraï. (Si vous cherchez un stulo-plyme, de l'encre, récap de juillet 2024)
- OlympiasProphète
Souvenirs de la ZEP...
Je n’étais pas retournée enseigner dans un collège depuis mon année de stage. A l’époque, j’avais passé trois mois dans mon ancien collège, sous la houlette bienveillante d’un de mes anciens professeurs, qui accueillait maintenant des stagiaires. En une quinzaine d’années, la sociologie du quartier avait complètement changé et j’avais du mal à reconnaître l’établissement où j’avais passé quatre ans : les problèmes s’y multipliaient, mais ayant en face de moi une classe de quatrième « Patrimoine », composée d’élèves gentils et motivés, je n’y étais pas confrontée. Mes seuls soucis concernaient l’organisation de mon cours !Qu’allais-je choisir comme documents, quel type de contrôle allais-je leur proposer ?
Dans ce nouveau collège, tout était différent. Je n’imaginais pas à quel point, en comparaison, le lycée, même avec sept classes dont trois terminales et des montagnes de copies à corriger, pouvait à la longue, constituer une reposante routine. J’allais rapidement découvrir autre chose.
Aujourd’hui, tous les bâtiments ont été reconstruits. Il y a trois ans, je pénétrai dans un collège « pailleron », bleu, assez laid. Une barre de HLM jouxtait une partie de la cour. Le collège perdait déjà un peu de son intimité. J’héritai de cinq classes, trois sixièmes (n° 1, 4, 6) et deux cinquièmes (n° 4 et 7). Malgré les consignes prônant l’hétérogénéité, on comprend vite que plus le numéro de la classe est élevé, plus le niveau des élèves est faible. Il existe souvent un saupoudrage pour essayer de ne pas constituer des classes d’élèves sans problèmes ou d’autres en grande difficulté, mais dans bien des collèges, on aboutit directement ou indirectement à des classes de niveau. Certains collèges conservent des classes de niveau : les élèves sont dans la même division pour presque tous les cours sauf ceux de français, mathématiques et langue vivante où ils sont regroupés par niveau quelle que soit leur division d’origine. Mais la sélection peut aussi s’effectuer par le biais des langues. Depuis plusieurs années, tout le monde sait qu’en optant pour l’allemand, les parents peuvent espérer que leur enfant sera placé dans une bonne division. Même chose un peu plus tard avec le choix du latin ou du grec. Mais les langues ne sont plus autant qu’il y quelques années un critère de différenciation.
J’en veux pour preuve ma sixième 1 composée de germanistes qui se révéla rapidement être tout le contraire d’une classe d’élite : l’hétérogénéité y était totale et notre équipe pédagogique découvrit rapidement que pour certains élèves, le travail n’était pas une priorité. Il en était ainsi depuis l’école primaire, ainsi que le montraient leurs dossiers scolaires.
Sur les 24 élèves, 6 seulement entamaient le cycle du collège en ayant totalement assimilé les enseignements du primaire. Ils ne rencontraient aucun problème de lecture, de calcul, de compréhension. Les cahiers étaient toujours très bien tenus, les textes proprement calligraphiés, les titres encadrés, les pages décorées de petits documents supplémentaires découpés dans des magazines. Les documents distribués en classe étaient collés au bon endroit. On sentait que pour eux, l’école était un plaisir, l’apprentissage, l’étude, le savoir, une sorte de joie. Ils étaient tous gentils, agréables, polis, calmes, respectueux, mais ni falots ni obséquieux. Assez rapidement, je remarquai qu’ils semblaient mal à l’aise. Deux des filles étaient stressées. Sur les six (deux garçons et quatre filles), seul un des garçons comprit rapidement que la compagnie de ses camarades de classe lui fournirait un inépuisable vivier de sottises : enfant unique, élevé par des parents plutôt sévères, Mickaël se défoulait au collège.
On ne choisit pas ses élèves, on ne choisit pas ses camarades de classe, ni ses professeurs. Chaque rentrée est une découverte, qui se renouvelle, avec certaines classes, à chaque cours : on croit les connaître, mais on se trompe. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Les six se sentaient étrangers au reste de la classe, semblant ne rien avoir en commun avec les autres élèves. Pour comprendre ce fossé, il faut comprendre les autres : une majorité de filles, toujours en effervescence, en train de se disputer à tout propos, caquetant en permanence, incapables de s’installer autrement que dans un joyeux désordre, étourdies, concierges (ce que fait ou dit la voisine, ou même n’importe quelle autre élève du moment qu’il y a un commentaire à faire, se révèle toujours plus intéressant que ce que j’écris au tableau ), un brin vulgaires (les grossièretés sont fréquentes) ; et cinq garçons, dont deux redoublants, hilares mais complètement caractériels, prénommés Benoît et Willy.
Nous rencontrions tous le même problème : comment réussir à faire cohabiter des élèves n’ayant bien souvent aucune affinité les uns avec les autres, obtenir d’eux un minimum de concentration et de calme afin de pouvoir travailler ?
Vous avez dit hétérogénéité ?
J’avais refusé d’emblée le travail au rabais : tous avaient droit au même cours, aux mêmes exercices. Je prévoyais simplement du travail en supplément pour les élèves les plus rapides afin qu’ils ne s’ennuient pas pendant qu’inlassablement, je passais de l’un à l’autre pour expliquer, rectifier, aider, en veillant à ce que les inévitables petits bavardages ne deviennent pas un brouhaha. Je pense que la pédagogie différenciée (adapter la transmission des connaissances au niveau des élèves ) peut se révéler utile mais qu’elle ne doit pas pour autant se transformer en nivellement par le bas (exigences limitées débouchant sur le laxisme, savoir minimal, évaluation de « compétences » ) sous prétexte qu’on enseigne en ZEP. Je reste persuadée qu’on peut toujours tirer les élèves vers le haut, en demeurant exigeant : ils ont ainsi la preuve qu’ils peuvent réussir en se donnant du mal. Cela demande davantage de temps, de patience, mais en les voyant réussir, on éprouve plus de satisfaction qu’avec un élève qui a des « facilités ».
L’hétérogénéité, tant célébrée par les spécialistes en sciences de l’éducation, a ses avantages et ses inconvénients. Dans une classe hétérogène où les élèves en difficulté sont trop nombreux, les très bons élèves s’ennuient, voire régressent, les moyens sont tirés vers le bas et bon nombre d’élèves en difficulté stagnent ou ne progressent guère. Cette situation est inadmissible pour l’enseignant. Comment peut-on se satisfaire de voir qu’entre septembre et juin, des élèves n’ont fait aucun progrès, à part peut-être celui d’arriver à l’heure et d’être calme en classe, ce qui, il faut le souligner, constitue un gros effort pour certains.
L’hétérogénéité ne peut bien fonctionner qu’avec de petits effectifs, car la classe hétérogène doit avoir un but : que les meilleurs puissent aider les plus faibles, que les moyens trouvent des motivations supplémentaires, avec des activités diversifiées, des travaux de groupe, en autonomie (et si possible en autodiscipline), le tout dans un souci de collaboration pédagogique dont toute la classe doit pouvoir profiter. Je sais par expérience que ce n’est pas possible avec plus de quinze élèves. Et il est difficile de faire cohabiter des enfants ou adolescents n’ayant rien en commun. Pourtant, je suis certaine que Pauline aurait volontiers accepté d’aider Cindy (qu’elle ne supportait pourtant pas !) si cette dernière avait pu faire l’effort d’être moins agitée et moins brouillonne en classe, si elle avait pris sur elle pour parler calmement au lieu de crier. Mais il aurait fallu reprendre une bonne partie de l’éducation de Cindy. Était-ce vraiment mon travail ?
Le nombre d’élèves par classe pose problème, je l’ai déjà dit. Or, même en ZEP (et ce, en dépit des dénégations du ministère), on trouve des classes comptant jusqu’à trente élèves ! D’aucun objecteront que le nombre n’est pas un problème et que la pédagogie résout tout. C’est faux. Dans le nombre, certains, déjà fragiles, perdent pied, décrochent : la spirale de l’échec et de l’exclusion s’amorce, suivie de la perturbation, laquelle débouche sur la violence. L’élève comprend qu’il est un exclu à l’intérieur de la classe, de l’établissement. S’il vit dans un milieu marqué par la précarité économique, l’exclusion sociale, la désintégration familiale, les risques de violence sont accrus. L’administration raisonne avec des chiffres, des statistiques. Je raisonne, moi, avec des enfants, parce que malgré les difficultés, je fais mon possible pour ne pas les laisser à la dérive.
Une heure de cours avec la sixième 1 me fatiguait davantage que quatre heures avec la cinquième 4. Il suffit de tenter de décrire le début du cours. La répétition de cette atmosphère finit par lasser l’enseignant le plus patient, le plus obstiné. La ZEP m’a appris la patience et j’arrivais, je ne sais comment à ne pas laisser mon autoritarisme prendre le dessus sur la compréhension.
Tranche de vie
Suivons donc une « tranche de vie » des élèves de sixième 1. Peu avant huit heures, je quitte la salle des professeurs, entourée de collègues. Nous commentons nos activités du week-end en nous dirigeant vers la cour de récréation. Les élèves doivent être rangés, et nous attendre devant le numéro de la salle peint sur le sol. Le bruit est quelquefois assourdissant, le préau renvoie l’écho. Les surveillants qui font leur possible pour que les élèves soient rangés au moment où nous venons les chercher élèvent la voix pour se faire entendre. Le mot gueuler est le plus approprié. Au bruit répond le bruit. Les élèves me suivent, en hurlant « Bonjour ! » comme si j’étais sourde. Ils semblent heureux de me revoir (nous nous sommes quittés le vendredi à 16h30), mais je déplore que cette joie soit si bruyante ! Le tintamarre se poursuit dans les escaliers. Les pas résonnent sur les marches en métal. Ils ne savent pas marcher posément. Les filles font des commentaires sur ma tenue. Rien ne leur échappe : maquillage, parfum, sac assorti aux chaussures, nouvelle coupe de cheveux ... Les classes se croisent, on donne des coups de pied dans les portes battantes et tant pis pour le malheureux qui se trouve derrière, on s’insulte, deux filles commencent déjà (il est huit heures deux..) à se disputer pendant que je cherche ma clef (j’apprendrai vite qu’il vaut mieux l’avoir à la main, afin de ne pas perdre de temps et que les perdre de l’œil fait courir le risque d’un début de désordre qui risque de se transformer en chahut si on n’y prend garde). Benoît et Willy gloussent en racontant des blagues idiotes (Les Grosses Têtes au collège !).
Ayant imposé silence à ma troupe, j’ouvre la porte et malgré les consignes (maintes fois répétées), ils entrent en piaillant et s’asseyent, toujours dans le bruit. Certains jours, on ne sait pourquoi, ils sont silencieux, entrent sagement deux par deux et s’installent avec un minimum de bruit. Au bout de cinq minutes, on peut croire que le cours peut enfin commencer. Erreur. Je remarque que certains élèves n’ôtent pas les blousons, manteaux, anoraks. Nous sommes en novembre, il fait froid mais les salles sont chauffées. Ils sont là en transit, et rester emmitouflés, dans un confort douillet est pour eux une manière de refuser de s’investir complètement en classe. Certains sont des adeptes du radiateur. L’heure d’histoire, de français, d’allemand est une tranche entre deux récréations. Rien n’est dirigé contre moi. Ils sont rarement désagréables. Simplement épuisants !! Je leur demande néanmoins de se débarrasser de leurs vêtements. Cela prendra cinq bonnes minutes. Vient ensuite l’appel, car je dois rapidement accrocher dans le couloir une feuille indiquant les absents afin que le collège puisse avertir les familles et vérifier la validité des absences. Les filles se disputeraient presque pour aller accrocher la feuille. Gare à moi si j’envoie la même élève dans le couloir deux fois de suite ! Il est plus rapide de confier le papier à une élève du premier rang. Mais comme certaines filles ont du mal à se supporter, mieux vaut éviter les jalousies et les conflits. Toute cette agitation pour une simple feuille de papier, on croit rêver. Mais les plus petits détails ont ici leur importance. C’est un moyen comme un autre de se faire remarquer, d’obtenir qu’on fasse attention à eux, ce qui n’est pas toujours le cas dans leur famille (j’y reviendrai plus loin).
Il est déjà huit heures dix. On pourrait penser que tous ont sorti les affaires : trousse, cahier et livre que je leur avais demandé d’apporter aujourd’hui pour une série d’exercices. Comme je suis sensible au problème du poids des cartables, je leur demande de s’organiser pour avoir un livre pour deux. Comme nous arrivons presque à la fin du premier trimestre, on pourrait croire qu’en trois mois, ils ont assimilé et suivent les quelques consignes simples que je considère indispensables. Mais non, il faut sans cesse répéter. Qu’on en juge. Nous commençons un nouveau chapitre consacré à la civilisation égyptienne.
« Vous prenez une nouvelle page, vous inscrivez le titre en rouge en haut de la page, au milieu.»
Cela paraît simple. Mais non. Dans les dix secondes, des questions fusent des quatre coins de la salle. Je précise que je leur ai appris qu’on doit prendre la parole l’un après l’autre, de préférence en levant la main, et qu’on ne coupe pas la parole à celui ou celle qui est train de parler, encore moins au professeur. En principe, ce comportement de base doit être acquis à l’école primaire. Ces consignes sont entrées par une oreille et ressorties par l’autre et chaque cours est un éternel recommencement !
Madame, on écrit en rouge ou en bleu ?
- Vous savez bien qu’on note toujours les titres en rouge.
- Madame, j’ai pas de rouge.
Tu en empruntes.
- Madame, Cindy, elle m’a piqué mon stylo !
- Madame, j’ai écrit en bleu, c’est pas grave ?
- Madame, j’ai oublié ma trousse !
- Madame, on écrit en majuscules ou en minuscules ?
Le titre est écrit en rouge au tableau, en lettres majuscules. Peut-être suis-je trop exigeante ? Je pense qu’un minimum de rigueur n’est pas inutile. Ils ont tendance à écrire ainsi : eGyptE au lieu d’Egypte ou EGYPTE.
- Madame, j’ai écrit au milieu de la page, qu’est-ce que je fais ?
Cela pourrait durer indéfiniment si je n’y mettais pas le holà. Je remarque aussi que deux ou trois élèves n’ont pas encore sorti les affaires (il est huit heures vingt). Sans compter ceux qui ont le cahier mais pas le livre, ou l’inverse. Ils savent, en principe, lequel des deux doit apporter le livre ce jour-là, car ils gardent la même place. Malgré la répétition des consignes, rien n’y fait. On sent bien que certains tentent d’y mettre de la bonne volonté, mais ce qu’on dit en classe ne fait pas partie des choses importantes dont il est bon de conserver le souvenir. Ils sont brouillons, distraits. Le cahier de textes sert à noter les devoirs, le matériel à ne pas oublier, le tour pour apporter le livre. Mais comme 30% des élèves de la classe l’oublient, ou l’ont perdu, ou ont déchiré les pages... Je distribue le fond de carte et note au tableau la page du livre à consulter. Je leur demande de prendre les crayons de couleur. Là non plus, je ne suis pas exigeante. J’ai l’habitude des jérémiades parentales. Cinq ou six couleurs suffiront. J’ai toujours dans mon cartable deux boîtes complètes à prêter aux étourdis, ou à ceux qui ont toutes les couleurs sauf celles de bases, celles dont on se sert le plus souvent ! Il m’arrive aussi de leur acheter le matériel manquant. Comme le conseil général fournit une grande partie du matériel scolaire (cahiers, classeurs, feuilles de copie, papier calque, millimétré, voire stylos bille, cahier de textes ), j’ai du mal à supporter ces oublis perpétuels. Ils ont le matériel. Pourquoi ne l’apportent-ils pas ? J’enrage.
On installe le rétroprojecteur : l’un branche l’appareil, l’autre tire l’écran (en essayant de le faire assez fort pour ne pas s’envoler avec !), un troisième éteint la lumière. Le spectacle peut commencer. Ils adorent participer aux aspects techniques. Je les laisse faire avec plaisir car c’est une manière comme une autre de s’impliquer. La concentration, c’est autre chose. Mais je me dis que tout vient à point pour qui sait attendre ... en espérant ne pas attendre trop longtemps ! Je pose le transparent, allume l’appareil et le fond de carte représentant l’Egypte apparaît sur l’écran. Ils vont compléter la carte en suivant mon propre travail sur le transparent. Pour se repérer, ils ont une carte analogue dans le livre. Certains ne l’ont pas ouvert, d’autres ont oublié qu’ils avaient le livre sous le nez, d’autres cherchent frénétiquement la bonne page ... pourtant notée au tableau. Le fait que le livre soit ouvert ne doit pas induire en erreur : il ne s’agit pas de recopier la carte du livre (ce qui n’aurait aucun intérêt), mais de remplir ensemble ce fond de carte en faisant appel à leurs connaissances personnelles et à ce que nous avons déjà appris dans la leçon précédente (ils doivent en principe pouvoir situer certaines régions du bassin méditerranéen au début de l’Antiquité).
J’explique qu’on va distinguer la terre de la mer (rude tâche ! en troisième, certains n’ont toujours pas compris), en traçant un liseré bleu le long du littoral. Encore une fois, rien n’est simple. Willy a déjà entièrement colorié la mer... au feutre Stabilo turquoise, Cindy et Valinda réclament une autre carte (la leur est déjà froissée et sale). Je rappelle qu’on doit utiliser exclusivement les crayons de couleur, donne une nouvelle carte et un crayon bleu à Willy, poursuis en repassant le cours du Nil. On localise le désert (en jaune), les oasis (en vert) et on complète avec les noms : mers, fleuves en bleu, villes en rouge, autres lieux en noir. Là aussi, je m’obstine : tout nom propre commence par une majuscule, on ne mélange pas majuscules et minuscules dans un même mot, on emploie les couleurs demandées... Il est huit heures cinquante-cinq. Il a fallu vingt-cinq minutes pour remplir cette carte, noter Mer Méditerranée, Mer Rouge, Nil, Memphis, Thèbes, Palestine, Nubie. Mickaël, Thierry, Fanny, Jacques, Isabelle et Pauline avaient terminé en dix minutes. Pour les occuper, j’ai dû donner deux exercices dans le livre.
Pendant ce temps, j’ai fait le tour des tables, corrigeant les fautes, remplaçant la carte trop sale, faisant taire les bavardes, et constatant avec consternation qu’au bout de trois mois, et en dépit de conseils réitérés lors d’exercices analogues, ils n’arrivaient toujours pas à se concentrer et à fournir un travail propre. Leur calligraphie est malhabile, tel mot est écrit en très grosses lettres, l’autre en pattes de mouche. En cas d’erreur, Carole gomme avec tant d’énergie qu’elle déchire la feuille ! Sonia fait constamment des taches d’encre, car elle secoue la cartouche du stylo-plume au dessus de la carte ! Pour les faire disparaître, elle inonde sa feuille de blanc correcteur avant d’essayer d’écrire par-dessus : le stylo s’embourbe dans cette pâtée blanche et elle finit par réclamer une nouvelle feuille en me promettant que, dès demain, elle sera proprement complétée et collée à la bonne place dans le cahier. Quelques élèves sont pratiquement incapables de compléter leur carte en suivant ce que je fais. En me remémorant les consignes de l’IUFM (une leçon doit tenir en une heure), je rigole ! Malheureusement, les formateurs ne semblent pas savoir que pour Cindy, Sonia, Willy, Benoît et tant d’autres, effectuer un travail simple est impossible et qu’ils mettent une heure pour réaliser ce qui doit être fait en quinze minutes. Mais ces élèves sont de plus en plus nombreux et les formateurs ne les ont jamais eus !!
Un jour pourtant, Willy, Benoît et les deux sœurs, Sonia et Vanessa m’ont prouvé qu’ils pouvaient parfaitement suivre les consignes. Mais dans des conditions très particulières : les autres élèves étaient partis au cinéma et les quatre, n’ayant pas eu l’autorisation de sortie, étaient restés avec moi. Je décidai de leur faire refaire un travail qu’ils n’avaient pas pu terminer en classe : placer des points sur une feuille de papier millimétré et tracer une courbe, ce qui demande de la concentration, de la précision et de la propreté. Je les installai de manière à ce qu’ils ne puissent pas se voir, distribuai les feuilles, taillai les crayons à papier et donnai (plusieurs fois) les consignes. En une heure, le travail était fait. Ils étaient donc capables d’y arriver, mais pas dans un groupe de vingt-quatre. J’avais eu le temps de m’occuper de chacun, de ré-expliquer, ce que je ne pouvais pas faire avec la classe entière. Ces élèves-là ne sont pas du tout autonomes. Ils sont très dépendants, ont besoin qu’on soit presque en permanence près d’eux, pour ré-expliquer, les rassurer sur leurs capacités, les féliciter lorsqu’ils s’en sortent et naturellement les surveiller car une mouche les distrait.
Au cours de l’année, leur conduite s’améliora sensiblement. Willy apprenait à parler autrement qu’en criant d’une voix perçante, Benoît autrement qu’en grognant. Les filles semblaient plus calmes (au premier trimestre, on aurait cru qu’elles étaient assises sur une peau de hérisson !) et faisaient leur possible pour vivre en bonne intelligence, ne pas se retourner sans arrêt ni se disputer. Le changement était spectaculaire, mais avait nécessité une attention de tous les instants. Et que de rabâchage ! Monter l’escalier en silence, se ranger, entrer dans la salle sans se bousculer, s’installer rapidement, obéir lorsque je demande quelque chose, écouter afin d’éviter de me faire répéter et de perdre du temps, mais aussi et surtout dire «bonjour, au revoir, s’il vous plaît, merci », tenir la porte du couloir au lieu de la lâcher brusquement au risque que celui qui est derrière la reçoive en pleine figure, ne plus employer de mots grossiers et d’expressions ordurières. Bref, le b.a. ba de l’éducation.
C’est avec ce type de classe que je me demande quel est exactement mon rôle. Mes collègues et moi avions donc aussi pour tâche de leur inculquer des notions simples de savoir-vivre qu’ils auraient dû recevoir de leurs parents. Or et on touche là un point sensible, bien des familles n’effectuent plus une bonne partie de ce travail éducatif qui incombe de plus en plus à l’école.
Portraits choisis
La famille B. : Elèves d’un collège de ZEP d’une ville moyenne de l’académie, Vanessa et Sonia sont deux sœurs. Vanessa est l’aînée, Sonia la seconde. Toutes deux ont doublé le cours préparatoire, Vanessa double la sixième. Elles se trouvent toutes les deux dans la même classe. Les parents sont mariés et ont six enfants, le dernier entrant à la maternelle. La mère n’a pas d’activité professionnelle. Le père travaille régulièrement. Les deux sœurs sont gentilles mais on découvre rapidement qu’elles ont du caractère ! Elles ont en outre beaucoup de mal à se supporter. N’ayant que peu de repères et ne sachant pas ce qui se fait ou ne se fait pas, elles n’ont pas compris que la salle de classe n’est pas le lieu où elles doivent régler leur mésentente. Elles se disputent souvent, entre elles ou avec d’autres élèves. Vanessa est agressive, Sonia grossière. Il est donc impossible de les laisser à proximité l’une de l’autre, Vanessa commentant les actes de Sonia et inversement. Sonia joue volontiers à la concierge, ce qui ne contribue pas à lui apporter des témoignages d’amitié. Toutes deux s’agitent, manquent de concentration, n’ont pas le matériel nécessaire pour travailler, n’apprennent pas leurs leçons, ne soignent pas leur travail. Avant de juger, il faut comprendre leurs conditions d’existence. La famille est suivie par le travail social et la sauvegarde judiciaire ; elles ne sont pas maltraitées mais la mère ne s’occupe pas des enfants, ce rôle étant dévolu à Vanessa. Elle semblait s’acquitter de cette tâche avec joie et manifestait le désir de devenir puéricultrice. Remplacer sa mère pour les tâches ménagères empêche Vanessa de faire ses devoirs (elle manifeste pourtant de la bonne volonté). Elles posent des problèmes dans la classe à cause de leur manque d’hygiène : elles traînent des pulls et des caleçons souvent troués, tachés et sont affligées de poux rebelles (ce qui est le cas de tous les enfants de la famille, m’a expliqué un travailleur social qui les connaît bien) ; à cause de ces poux, les élèves ne tiennent pas à rester à côté de Vanessa. Le coiffeur ne tenait pas à se charger d’elle, pas plus que le dentiste (elle avait pourtant des caries à soigner) ou l’ophtalmologiste (elle avait un besoin urgent de lunettes).
La mère appartient à la catégorie des parents invisibles. Pas plus que son mari, nous ne l’avons vue lors des réunions trimestrielles. J’avais pourtant essayé de la rencontrer à plusieurs reprises afin d’évoquer les problèmes que ses deux filles pouvaient rencontrer. En vain. L’école est une préoccupation secondaire. Le travailleur social qui les suivait était plus abrupt : pour la mère, l’école est une garderie qui lui permet de se débarrasser de ses enfants.
J’avais du mal à accepter l’échec de Vanessa, et ce d’autant plus qu’elle avait un projet d’avenir, même s’il semblait, pour le moment, difficilement réalisable. Sa sœur et elle auraient eu besoin d’être placées dans des classes peu chargées, avec un soutien spécifique en français et une inscription aux études dirigées. Mais celles-ci ne constituant qu’une heure dans l’emploi du temps, ne peuvent être efficaces que si les élèves présentant le profil de Sonia et Vanessa ont la possibilité de les suivre à la fin de chaque journée de classe puisqu’elles ne peuvent pas travailler chez elles.
Certaines rencontres peuvent s’avérer cocasses... jusqu’à un certain point.
La famille S : Leur fils Cyril est en sixième 1. Sa sœur aînée est en troisième dans le même collège. C’est un élève intelligent mais qui ne travaille pas suffisamment, a tendance à être insolent, ne comprend pas pourquoi on le réprimande et se plaint à tout propos. Avec mon collègue de français, nous parlions souvent de lui, trop à notre goût. Je n’avais pas vu les parents à la réunion du premier trimestre. Un jour, ils demandent à me voir. Je les reçois et les trouve plutôt agressifs. Ils ne semblent pas comprendre que leur fils se défoule en classe (le père a l’air sévère à la maison) et demeurent persuadés que les professeurs lui en veulent, sont agressifs et sont toujours sur son dos. Naturellement, je suis dans le lot et ils me menacent d’écrire au recteur si je ne cesse pas de martyriser leur progéniture. Le malentendu est total. Je saurai plus tard, en interrogeant des collègues, que Cyril, qui double la sixième, a coutume d’en rajouter à la maison et que ses parents sont convaincus qu’il est persécuté. Soudain, le père ajoute qu’il ne comprend pas pourquoi je dispense des cours de « sexualité » durant les leçons d’histoire et qu’ils se plaindront au recteur. Je cherche en vain de quoi il s’agit. La mère déclare que c’est au programme de troisième puisque la sœur de Cyril vient tout juste d’en entendre parler. Je me souviens brusquement que durant le cours sur la Préhistoire, une des filles de la classe avait demandé comment les femmes des hommes préhistoriques avaient leurs enfants. Je m’étais contentée de lui répondre que les naissances se faisaient de manière totalement naturelle puisque les médecins et les maternités n’existaient pas, que certaines mouraient en accouchant et que bon nombre de bébés ne survivaient pas. Réponse qui avait été commentée par les filles et transformée par Cyril. Des effets de la rumeur...
Sur les 24 élèves de ma classe, je n’en avais vu qu’une dizaine à la réunion parents-professeurs du premier trimestre. Certains n’étaient pas venus avec les parents, mais avec le frère ou la sœur aînée qui poursuivait les études au lycée. Il ne s’agissait pas ici de familles issues de l’immigration où les aînés remplacent fréquemment les parents aux réunions, souvent pour des problèmes de compréhension (certains parents maîtrisent mal le français). Les parents de mes meilleurs élèves étaient là, pour se plaindre parce que leurs enfants n’étaient pas à l’aise avec leurs camarades de classe (fossé éducatif, mais surtout culturel). Par contre, les parents que j’aurais souhaité rencontrer ne s’étaient pas déplacés. Au début, je pris cette absence pour un désintérêt manifeste. Je me trompais, du moins pour une partie de ces familles.
Les rapports Ecole/ familles : (ce passage doit beaucoup aux résultats d’une étude que le sociologue Dominique Glasman avait présentée lors d’un stage syndical consacré à l’enseignement dans les quartiers difficiles. J’ai retrouvé chez les parents de mes élèves les mêmes catégories que celles qu’il avait délimitées).
Ils sont souvent empreints de malentendus qui peuvent rendre les relations difficiles. La carte scolaire de ce collège comprenait deux cités HLM peuplées de familles populaires. Dans certains quartiers, les relations entre l’école et les familles doivent être repensées dans le cadre de l’intégration scolaire des plus défavorisés. C’est plus facile à dire qu’à faire, car c’est un travail de longue haleine, où tous les personnels de l’établissement (enseignants, administratifs, surveillants, infirmière, médecin scolaire, conseillère d’orientation-psychologue, assistante sociale) doivent s’impliquer. Mais le temps manque, certaines catégories de personnels également (nous aurons l’occasion d’y revenir).
La pauvreté, la marginalité, l’exclusion font désormais partie du paysage scolaire français. Nous avons au collège des familles du quart monde. La crise économique a fait apparaître la précarité et les familles concernées sont beaucoup plus nombreuses qu’elles ne l’étaient il y une quinzaine d’années. Elles entretiennent des rapports complexes avec l’institution scolaire : l’espoir de la promotion sociale, mais aussi la peur de l’échec, l’incompréhension, le rejet sont autant de sentiments qui conditionnent les réactions des familles défavorisées face à l’école. Ces familles, souvent perçues de façon indifférenciée se composent pourtant de groupes distincts. Il existe des familles pauvres, touchées par la précarité. Elles ne sont cependant pas désorganisées car le père a un travail régulier et le logement est stable. Les parents suivent, du mieux qu’ils le peuvent, la scolarité des enfants.
D’autres familles sont plus marginalisées. Le chômage est plus fréquent que l’emploi fixe. La structure familiale, plus fragile, est désorganisée.
L’attitude face à l’école est différente : les premiers se révèlent plutôt confiants et viennent aux réunions pour rencontrer les enseignants. Les seconds sont plutôt méfiants et leur comportement se nourrit de leur propre vécu scolaire. Certains ne savent pas comment aider leurs enfants qu’ils veulent pourtant voir réussir. Ils sont angoissés à l’idée de rencontrer les professeurs, car l’enseignant, « celui qui sait », fait partie d’un autre monde, auquel des parents qui ont connu l’échec scolaire sont bien loin de s’identifier. Ils ont peur d’être jugés comme de mauvais parents, des incapables, se sentent coupables de ne pouvoir aider leurs enfants. On rencontre donc rarement ce type de parent lors des réunions. D’un autre côté le corps enseignant, face à des parents invisibles peut partir du principe qu’ils ne s’intéressent pas aux études de leurs enfants. Une partie ne vient pas rencontrer les professeurs à cause de la honte ressentie devant leur précarité économique et sociale, devant l’effritement de leur autorité parentale.
Un exemple montre à quel point un couple de parents conscients de l’utilité des études, mais touchés par le chômage peut se trouver humilié : leur fils de quatorze ans qui travaillait fort peu et manquait de concentration (mais disposait de capacités réelles pour suivre au collège) assistait à l’entretien. Après avoir écouté mes observations, le père sermonne son fils qui lui répond excédé : « Mais de quel droit m’engueules-tu ? Tu ne fous rien de ta journée ! » Le père était au chômage depuis deux ans. A cause de sa précarité économique, il avait vu son autorité bafouée par son fils, devant l’enseignant : l’humiliation suprême. Je n’attendais pas une telle réaction de la part de cet élève, tout au plus quelques protestations. La surprise a coupé chez moi toute possibilité de répartie. Je n’ai pas osé faire de remarque à mon élève, une attitude autoritaire aurait, à mon avis, contribué à enfoncer davantage les parents.
Les attentes de ces deux types de parents sont différentes. Les premiers envisagent le CAP, le baccalauréat, le bac professionnel, essaie de prévoir des étapes, de se projeter dans l’avenir. Les seconds ne dessinent pas d’horizon scolaire précis. Pour certains, être au collège, c’est déjà faire des études. On distingue mal une ambition pour les enfants. Pour tous l’école en général demeure une institution mal connue, une instance bureaucratique. L’école est peu déchiffrable. Circule toujours l’idée qu’ « il faut de l’argent pour réussir ». On se fie à des rumeurs au lieu de venir au collège (le lycée fait encore plus peur) pour essayer de savoir. Ceux qui sont conscients qu’il existe des règles à respecter pour réussir comprennent d’autant moins l’échec lorsqu’ils estiment que les règles ont été suivies (1).
Quelle coopération ?
Tous ont en commun une forte attente vis-à-vis de l’école. Face à elle, ils se sentent démunis pour élaborer des stratégies. Ils dépendent de l’école sur laquelle ils veulent pouvoir se reposer, se décharger d’une partie de leur tâche.
Il faut donc pouvoir aider ces parents, dans la mesure du possible. L’école doit avant tout être lisible : ce monde, qui est lointain et complexe doit pouvoir leur devenir plus familier. L’école est un lieu de socialisation et d’apprentissage de règles communes qui ne sont pas toujours celles de la famille. Ces règles doivent être simples, claires, justes et s’appliquer à tous, tant aux élèves qu’aux enseignants. Si ce n’est pas le cas, elles ne peuvent pas être acceptées. Cela commence par le règlement intérieur. Très long, écrit en petits caractères, il est généralement au centre du carnet de liaison ou de correspondance. Certains parents ne l’ont jamais lu. Il ne me semble pas utopique qu’on puisse à l’avenir recevoir à la rentrée, tous les parents, par classes, afin de leur expliquer une partie du fonctionnement du collège. L’incompréhension est source de conflits.
Les Maghrébins ont une très forte attente du système scolaire qui propose l’égalité des chances, alors que leur vie quotidienne est marquée par l’inégalité voire la discrimination. Cela débouche sur une certaine agressivité, mal perçue par les enseignants.
L’école est aussi un lieu de savoir. Savoirs et apprentissages doivent avoir du sens. La multiplication des familles en difficulté tend à nous transformer quelquefois en travailleurs sociaux, ce que nous ne sommes pas. J’ai déjà entendu (à propos de certains élèves) : « Il vaut mieux qu’ils soient ici (à l’école) que chez eux ». L’école deviendrait donc un lieu de placement social alors que ce n’est pas du tout son rôle !
Les élèves issus de familles en difficulté ont souvent du mal à faire le décrochement par rapport à la vie quotidienne. Prendre du recul est souvent impossible pour les jeunes collégiens. Je me souviens de Jacques, un de mes élèves de sixième 1, qui a présenté un état dépressif pendant tout le premier trimestre. Chaque matin, il se réfugiait invariablement à l’infirmerie. Dès qu’on lui expliquait qu’il fallait aller en cours, la crise de larmes commençait. Elle cessait dès qu’il avait eu le courage de franchir la porte de la salle de classe. Son père était au chômage depuis plusieurs mois et Jacques semblait porter sur ses fragiles épaules tout le poids des difficultés familiales.
Le temps consacré à apprendre est très variable selon les familles qui doivent pouvoir décrypter une pédagogie lisible. Les attentes doivent êtres simples et claires pour être comprises. Les élèves doivent pouvoir arriver à faire leurs devoirs et les faire bien. Car les parents qui veulent aider ne sont pas en phase avec les apprentissages demandés. S’ils ne peuvent pas aider, il faut au moins qu’ils soient convaincus que les devoirs sont importants. Ils doivent pouvoir être confortés par les enseignants dans leur rôle de parent, leur autorité doit être valorisée : vérifier que le cartable contient bien les affaires nécessaires, que les devoirs sont régulièrement notés sur le cahier de textes, éteindre la télévision au moment des devoirs (j’ai vu bon nombre de parents, qui, malgré leurs difficultés financières, se privaient ou s’endettaient pour que les enfants puissent avoir la télévision dans la chambre).
Mais la simplicité des consignes n’implique pas la diminution du niveau d’exigence. Même avec ces élèves, il faut refuser le nivellement par le bas.
Je n’étais pas retournée enseigner dans un collège depuis mon année de stage. A l’époque, j’avais passé trois mois dans mon ancien collège, sous la houlette bienveillante d’un de mes anciens professeurs, qui accueillait maintenant des stagiaires. En une quinzaine d’années, la sociologie du quartier avait complètement changé et j’avais du mal à reconnaître l’établissement où j’avais passé quatre ans : les problèmes s’y multipliaient, mais ayant en face de moi une classe de quatrième « Patrimoine », composée d’élèves gentils et motivés, je n’y étais pas confrontée. Mes seuls soucis concernaient l’organisation de mon cours !Qu’allais-je choisir comme documents, quel type de contrôle allais-je leur proposer ?
Dans ce nouveau collège, tout était différent. Je n’imaginais pas à quel point, en comparaison, le lycée, même avec sept classes dont trois terminales et des montagnes de copies à corriger, pouvait à la longue, constituer une reposante routine. J’allais rapidement découvrir autre chose.
Aujourd’hui, tous les bâtiments ont été reconstruits. Il y a trois ans, je pénétrai dans un collège « pailleron », bleu, assez laid. Une barre de HLM jouxtait une partie de la cour. Le collège perdait déjà un peu de son intimité. J’héritai de cinq classes, trois sixièmes (n° 1, 4, 6) et deux cinquièmes (n° 4 et 7). Malgré les consignes prônant l’hétérogénéité, on comprend vite que plus le numéro de la classe est élevé, plus le niveau des élèves est faible. Il existe souvent un saupoudrage pour essayer de ne pas constituer des classes d’élèves sans problèmes ou d’autres en grande difficulté, mais dans bien des collèges, on aboutit directement ou indirectement à des classes de niveau. Certains collèges conservent des classes de niveau : les élèves sont dans la même division pour presque tous les cours sauf ceux de français, mathématiques et langue vivante où ils sont regroupés par niveau quelle que soit leur division d’origine. Mais la sélection peut aussi s’effectuer par le biais des langues. Depuis plusieurs années, tout le monde sait qu’en optant pour l’allemand, les parents peuvent espérer que leur enfant sera placé dans une bonne division. Même chose un peu plus tard avec le choix du latin ou du grec. Mais les langues ne sont plus autant qu’il y quelques années un critère de différenciation.
J’en veux pour preuve ma sixième 1 composée de germanistes qui se révéla rapidement être tout le contraire d’une classe d’élite : l’hétérogénéité y était totale et notre équipe pédagogique découvrit rapidement que pour certains élèves, le travail n’était pas une priorité. Il en était ainsi depuis l’école primaire, ainsi que le montraient leurs dossiers scolaires.
Sur les 24 élèves, 6 seulement entamaient le cycle du collège en ayant totalement assimilé les enseignements du primaire. Ils ne rencontraient aucun problème de lecture, de calcul, de compréhension. Les cahiers étaient toujours très bien tenus, les textes proprement calligraphiés, les titres encadrés, les pages décorées de petits documents supplémentaires découpés dans des magazines. Les documents distribués en classe étaient collés au bon endroit. On sentait que pour eux, l’école était un plaisir, l’apprentissage, l’étude, le savoir, une sorte de joie. Ils étaient tous gentils, agréables, polis, calmes, respectueux, mais ni falots ni obséquieux. Assez rapidement, je remarquai qu’ils semblaient mal à l’aise. Deux des filles étaient stressées. Sur les six (deux garçons et quatre filles), seul un des garçons comprit rapidement que la compagnie de ses camarades de classe lui fournirait un inépuisable vivier de sottises : enfant unique, élevé par des parents plutôt sévères, Mickaël se défoulait au collège.
On ne choisit pas ses élèves, on ne choisit pas ses camarades de classe, ni ses professeurs. Chaque rentrée est une découverte, qui se renouvelle, avec certaines classes, à chaque cours : on croit les connaître, mais on se trompe. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Les six se sentaient étrangers au reste de la classe, semblant ne rien avoir en commun avec les autres élèves. Pour comprendre ce fossé, il faut comprendre les autres : une majorité de filles, toujours en effervescence, en train de se disputer à tout propos, caquetant en permanence, incapables de s’installer autrement que dans un joyeux désordre, étourdies, concierges (ce que fait ou dit la voisine, ou même n’importe quelle autre élève du moment qu’il y a un commentaire à faire, se révèle toujours plus intéressant que ce que j’écris au tableau ), un brin vulgaires (les grossièretés sont fréquentes) ; et cinq garçons, dont deux redoublants, hilares mais complètement caractériels, prénommés Benoît et Willy.
Nous rencontrions tous le même problème : comment réussir à faire cohabiter des élèves n’ayant bien souvent aucune affinité les uns avec les autres, obtenir d’eux un minimum de concentration et de calme afin de pouvoir travailler ?
Vous avez dit hétérogénéité ?
J’avais refusé d’emblée le travail au rabais : tous avaient droit au même cours, aux mêmes exercices. Je prévoyais simplement du travail en supplément pour les élèves les plus rapides afin qu’ils ne s’ennuient pas pendant qu’inlassablement, je passais de l’un à l’autre pour expliquer, rectifier, aider, en veillant à ce que les inévitables petits bavardages ne deviennent pas un brouhaha. Je pense que la pédagogie différenciée (adapter la transmission des connaissances au niveau des élèves ) peut se révéler utile mais qu’elle ne doit pas pour autant se transformer en nivellement par le bas (exigences limitées débouchant sur le laxisme, savoir minimal, évaluation de « compétences » ) sous prétexte qu’on enseigne en ZEP. Je reste persuadée qu’on peut toujours tirer les élèves vers le haut, en demeurant exigeant : ils ont ainsi la preuve qu’ils peuvent réussir en se donnant du mal. Cela demande davantage de temps, de patience, mais en les voyant réussir, on éprouve plus de satisfaction qu’avec un élève qui a des « facilités ».
L’hétérogénéité, tant célébrée par les spécialistes en sciences de l’éducation, a ses avantages et ses inconvénients. Dans une classe hétérogène où les élèves en difficulté sont trop nombreux, les très bons élèves s’ennuient, voire régressent, les moyens sont tirés vers le bas et bon nombre d’élèves en difficulté stagnent ou ne progressent guère. Cette situation est inadmissible pour l’enseignant. Comment peut-on se satisfaire de voir qu’entre septembre et juin, des élèves n’ont fait aucun progrès, à part peut-être celui d’arriver à l’heure et d’être calme en classe, ce qui, il faut le souligner, constitue un gros effort pour certains.
L’hétérogénéité ne peut bien fonctionner qu’avec de petits effectifs, car la classe hétérogène doit avoir un but : que les meilleurs puissent aider les plus faibles, que les moyens trouvent des motivations supplémentaires, avec des activités diversifiées, des travaux de groupe, en autonomie (et si possible en autodiscipline), le tout dans un souci de collaboration pédagogique dont toute la classe doit pouvoir profiter. Je sais par expérience que ce n’est pas possible avec plus de quinze élèves. Et il est difficile de faire cohabiter des enfants ou adolescents n’ayant rien en commun. Pourtant, je suis certaine que Pauline aurait volontiers accepté d’aider Cindy (qu’elle ne supportait pourtant pas !) si cette dernière avait pu faire l’effort d’être moins agitée et moins brouillonne en classe, si elle avait pris sur elle pour parler calmement au lieu de crier. Mais il aurait fallu reprendre une bonne partie de l’éducation de Cindy. Était-ce vraiment mon travail ?
Le nombre d’élèves par classe pose problème, je l’ai déjà dit. Or, même en ZEP (et ce, en dépit des dénégations du ministère), on trouve des classes comptant jusqu’à trente élèves ! D’aucun objecteront que le nombre n’est pas un problème et que la pédagogie résout tout. C’est faux. Dans le nombre, certains, déjà fragiles, perdent pied, décrochent : la spirale de l’échec et de l’exclusion s’amorce, suivie de la perturbation, laquelle débouche sur la violence. L’élève comprend qu’il est un exclu à l’intérieur de la classe, de l’établissement. S’il vit dans un milieu marqué par la précarité économique, l’exclusion sociale, la désintégration familiale, les risques de violence sont accrus. L’administration raisonne avec des chiffres, des statistiques. Je raisonne, moi, avec des enfants, parce que malgré les difficultés, je fais mon possible pour ne pas les laisser à la dérive.
Une heure de cours avec la sixième 1 me fatiguait davantage que quatre heures avec la cinquième 4. Il suffit de tenter de décrire le début du cours. La répétition de cette atmosphère finit par lasser l’enseignant le plus patient, le plus obstiné. La ZEP m’a appris la patience et j’arrivais, je ne sais comment à ne pas laisser mon autoritarisme prendre le dessus sur la compréhension.
Tranche de vie
Suivons donc une « tranche de vie » des élèves de sixième 1. Peu avant huit heures, je quitte la salle des professeurs, entourée de collègues. Nous commentons nos activités du week-end en nous dirigeant vers la cour de récréation. Les élèves doivent être rangés, et nous attendre devant le numéro de la salle peint sur le sol. Le bruit est quelquefois assourdissant, le préau renvoie l’écho. Les surveillants qui font leur possible pour que les élèves soient rangés au moment où nous venons les chercher élèvent la voix pour se faire entendre. Le mot gueuler est le plus approprié. Au bruit répond le bruit. Les élèves me suivent, en hurlant « Bonjour ! » comme si j’étais sourde. Ils semblent heureux de me revoir (nous nous sommes quittés le vendredi à 16h30), mais je déplore que cette joie soit si bruyante ! Le tintamarre se poursuit dans les escaliers. Les pas résonnent sur les marches en métal. Ils ne savent pas marcher posément. Les filles font des commentaires sur ma tenue. Rien ne leur échappe : maquillage, parfum, sac assorti aux chaussures, nouvelle coupe de cheveux ... Les classes se croisent, on donne des coups de pied dans les portes battantes et tant pis pour le malheureux qui se trouve derrière, on s’insulte, deux filles commencent déjà (il est huit heures deux..) à se disputer pendant que je cherche ma clef (j’apprendrai vite qu’il vaut mieux l’avoir à la main, afin de ne pas perdre de temps et que les perdre de l’œil fait courir le risque d’un début de désordre qui risque de se transformer en chahut si on n’y prend garde). Benoît et Willy gloussent en racontant des blagues idiotes (Les Grosses Têtes au collège !).
Ayant imposé silence à ma troupe, j’ouvre la porte et malgré les consignes (maintes fois répétées), ils entrent en piaillant et s’asseyent, toujours dans le bruit. Certains jours, on ne sait pourquoi, ils sont silencieux, entrent sagement deux par deux et s’installent avec un minimum de bruit. Au bout de cinq minutes, on peut croire que le cours peut enfin commencer. Erreur. Je remarque que certains élèves n’ôtent pas les blousons, manteaux, anoraks. Nous sommes en novembre, il fait froid mais les salles sont chauffées. Ils sont là en transit, et rester emmitouflés, dans un confort douillet est pour eux une manière de refuser de s’investir complètement en classe. Certains sont des adeptes du radiateur. L’heure d’histoire, de français, d’allemand est une tranche entre deux récréations. Rien n’est dirigé contre moi. Ils sont rarement désagréables. Simplement épuisants !! Je leur demande néanmoins de se débarrasser de leurs vêtements. Cela prendra cinq bonnes minutes. Vient ensuite l’appel, car je dois rapidement accrocher dans le couloir une feuille indiquant les absents afin que le collège puisse avertir les familles et vérifier la validité des absences. Les filles se disputeraient presque pour aller accrocher la feuille. Gare à moi si j’envoie la même élève dans le couloir deux fois de suite ! Il est plus rapide de confier le papier à une élève du premier rang. Mais comme certaines filles ont du mal à se supporter, mieux vaut éviter les jalousies et les conflits. Toute cette agitation pour une simple feuille de papier, on croit rêver. Mais les plus petits détails ont ici leur importance. C’est un moyen comme un autre de se faire remarquer, d’obtenir qu’on fasse attention à eux, ce qui n’est pas toujours le cas dans leur famille (j’y reviendrai plus loin).
Il est déjà huit heures dix. On pourrait penser que tous ont sorti les affaires : trousse, cahier et livre que je leur avais demandé d’apporter aujourd’hui pour une série d’exercices. Comme je suis sensible au problème du poids des cartables, je leur demande de s’organiser pour avoir un livre pour deux. Comme nous arrivons presque à la fin du premier trimestre, on pourrait croire qu’en trois mois, ils ont assimilé et suivent les quelques consignes simples que je considère indispensables. Mais non, il faut sans cesse répéter. Qu’on en juge. Nous commençons un nouveau chapitre consacré à la civilisation égyptienne.
« Vous prenez une nouvelle page, vous inscrivez le titre en rouge en haut de la page, au milieu.»
Cela paraît simple. Mais non. Dans les dix secondes, des questions fusent des quatre coins de la salle. Je précise que je leur ai appris qu’on doit prendre la parole l’un après l’autre, de préférence en levant la main, et qu’on ne coupe pas la parole à celui ou celle qui est train de parler, encore moins au professeur. En principe, ce comportement de base doit être acquis à l’école primaire. Ces consignes sont entrées par une oreille et ressorties par l’autre et chaque cours est un éternel recommencement !
Madame, on écrit en rouge ou en bleu ?
- Vous savez bien qu’on note toujours les titres en rouge.
- Madame, j’ai pas de rouge.
Tu en empruntes.
- Madame, Cindy, elle m’a piqué mon stylo !
- Madame, j’ai écrit en bleu, c’est pas grave ?
- Madame, j’ai oublié ma trousse !
- Madame, on écrit en majuscules ou en minuscules ?
Le titre est écrit en rouge au tableau, en lettres majuscules. Peut-être suis-je trop exigeante ? Je pense qu’un minimum de rigueur n’est pas inutile. Ils ont tendance à écrire ainsi : eGyptE au lieu d’Egypte ou EGYPTE.
- Madame, j’ai écrit au milieu de la page, qu’est-ce que je fais ?
Cela pourrait durer indéfiniment si je n’y mettais pas le holà. Je remarque aussi que deux ou trois élèves n’ont pas encore sorti les affaires (il est huit heures vingt). Sans compter ceux qui ont le cahier mais pas le livre, ou l’inverse. Ils savent, en principe, lequel des deux doit apporter le livre ce jour-là, car ils gardent la même place. Malgré la répétition des consignes, rien n’y fait. On sent bien que certains tentent d’y mettre de la bonne volonté, mais ce qu’on dit en classe ne fait pas partie des choses importantes dont il est bon de conserver le souvenir. Ils sont brouillons, distraits. Le cahier de textes sert à noter les devoirs, le matériel à ne pas oublier, le tour pour apporter le livre. Mais comme 30% des élèves de la classe l’oublient, ou l’ont perdu, ou ont déchiré les pages... Je distribue le fond de carte et note au tableau la page du livre à consulter. Je leur demande de prendre les crayons de couleur. Là non plus, je ne suis pas exigeante. J’ai l’habitude des jérémiades parentales. Cinq ou six couleurs suffiront. J’ai toujours dans mon cartable deux boîtes complètes à prêter aux étourdis, ou à ceux qui ont toutes les couleurs sauf celles de bases, celles dont on se sert le plus souvent ! Il m’arrive aussi de leur acheter le matériel manquant. Comme le conseil général fournit une grande partie du matériel scolaire (cahiers, classeurs, feuilles de copie, papier calque, millimétré, voire stylos bille, cahier de textes ), j’ai du mal à supporter ces oublis perpétuels. Ils ont le matériel. Pourquoi ne l’apportent-ils pas ? J’enrage.
On installe le rétroprojecteur : l’un branche l’appareil, l’autre tire l’écran (en essayant de le faire assez fort pour ne pas s’envoler avec !), un troisième éteint la lumière. Le spectacle peut commencer. Ils adorent participer aux aspects techniques. Je les laisse faire avec plaisir car c’est une manière comme une autre de s’impliquer. La concentration, c’est autre chose. Mais je me dis que tout vient à point pour qui sait attendre ... en espérant ne pas attendre trop longtemps ! Je pose le transparent, allume l’appareil et le fond de carte représentant l’Egypte apparaît sur l’écran. Ils vont compléter la carte en suivant mon propre travail sur le transparent. Pour se repérer, ils ont une carte analogue dans le livre. Certains ne l’ont pas ouvert, d’autres ont oublié qu’ils avaient le livre sous le nez, d’autres cherchent frénétiquement la bonne page ... pourtant notée au tableau. Le fait que le livre soit ouvert ne doit pas induire en erreur : il ne s’agit pas de recopier la carte du livre (ce qui n’aurait aucun intérêt), mais de remplir ensemble ce fond de carte en faisant appel à leurs connaissances personnelles et à ce que nous avons déjà appris dans la leçon précédente (ils doivent en principe pouvoir situer certaines régions du bassin méditerranéen au début de l’Antiquité).
J’explique qu’on va distinguer la terre de la mer (rude tâche ! en troisième, certains n’ont toujours pas compris), en traçant un liseré bleu le long du littoral. Encore une fois, rien n’est simple. Willy a déjà entièrement colorié la mer... au feutre Stabilo turquoise, Cindy et Valinda réclament une autre carte (la leur est déjà froissée et sale). Je rappelle qu’on doit utiliser exclusivement les crayons de couleur, donne une nouvelle carte et un crayon bleu à Willy, poursuis en repassant le cours du Nil. On localise le désert (en jaune), les oasis (en vert) et on complète avec les noms : mers, fleuves en bleu, villes en rouge, autres lieux en noir. Là aussi, je m’obstine : tout nom propre commence par une majuscule, on ne mélange pas majuscules et minuscules dans un même mot, on emploie les couleurs demandées... Il est huit heures cinquante-cinq. Il a fallu vingt-cinq minutes pour remplir cette carte, noter Mer Méditerranée, Mer Rouge, Nil, Memphis, Thèbes, Palestine, Nubie. Mickaël, Thierry, Fanny, Jacques, Isabelle et Pauline avaient terminé en dix minutes. Pour les occuper, j’ai dû donner deux exercices dans le livre.
Pendant ce temps, j’ai fait le tour des tables, corrigeant les fautes, remplaçant la carte trop sale, faisant taire les bavardes, et constatant avec consternation qu’au bout de trois mois, et en dépit de conseils réitérés lors d’exercices analogues, ils n’arrivaient toujours pas à se concentrer et à fournir un travail propre. Leur calligraphie est malhabile, tel mot est écrit en très grosses lettres, l’autre en pattes de mouche. En cas d’erreur, Carole gomme avec tant d’énergie qu’elle déchire la feuille ! Sonia fait constamment des taches d’encre, car elle secoue la cartouche du stylo-plume au dessus de la carte ! Pour les faire disparaître, elle inonde sa feuille de blanc correcteur avant d’essayer d’écrire par-dessus : le stylo s’embourbe dans cette pâtée blanche et elle finit par réclamer une nouvelle feuille en me promettant que, dès demain, elle sera proprement complétée et collée à la bonne place dans le cahier. Quelques élèves sont pratiquement incapables de compléter leur carte en suivant ce que je fais. En me remémorant les consignes de l’IUFM (une leçon doit tenir en une heure), je rigole ! Malheureusement, les formateurs ne semblent pas savoir que pour Cindy, Sonia, Willy, Benoît et tant d’autres, effectuer un travail simple est impossible et qu’ils mettent une heure pour réaliser ce qui doit être fait en quinze minutes. Mais ces élèves sont de plus en plus nombreux et les formateurs ne les ont jamais eus !!
Un jour pourtant, Willy, Benoît et les deux sœurs, Sonia et Vanessa m’ont prouvé qu’ils pouvaient parfaitement suivre les consignes. Mais dans des conditions très particulières : les autres élèves étaient partis au cinéma et les quatre, n’ayant pas eu l’autorisation de sortie, étaient restés avec moi. Je décidai de leur faire refaire un travail qu’ils n’avaient pas pu terminer en classe : placer des points sur une feuille de papier millimétré et tracer une courbe, ce qui demande de la concentration, de la précision et de la propreté. Je les installai de manière à ce qu’ils ne puissent pas se voir, distribuai les feuilles, taillai les crayons à papier et donnai (plusieurs fois) les consignes. En une heure, le travail était fait. Ils étaient donc capables d’y arriver, mais pas dans un groupe de vingt-quatre. J’avais eu le temps de m’occuper de chacun, de ré-expliquer, ce que je ne pouvais pas faire avec la classe entière. Ces élèves-là ne sont pas du tout autonomes. Ils sont très dépendants, ont besoin qu’on soit presque en permanence près d’eux, pour ré-expliquer, les rassurer sur leurs capacités, les féliciter lorsqu’ils s’en sortent et naturellement les surveiller car une mouche les distrait.
Au cours de l’année, leur conduite s’améliora sensiblement. Willy apprenait à parler autrement qu’en criant d’une voix perçante, Benoît autrement qu’en grognant. Les filles semblaient plus calmes (au premier trimestre, on aurait cru qu’elles étaient assises sur une peau de hérisson !) et faisaient leur possible pour vivre en bonne intelligence, ne pas se retourner sans arrêt ni se disputer. Le changement était spectaculaire, mais avait nécessité une attention de tous les instants. Et que de rabâchage ! Monter l’escalier en silence, se ranger, entrer dans la salle sans se bousculer, s’installer rapidement, obéir lorsque je demande quelque chose, écouter afin d’éviter de me faire répéter et de perdre du temps, mais aussi et surtout dire «bonjour, au revoir, s’il vous plaît, merci », tenir la porte du couloir au lieu de la lâcher brusquement au risque que celui qui est derrière la reçoive en pleine figure, ne plus employer de mots grossiers et d’expressions ordurières. Bref, le b.a. ba de l’éducation.
C’est avec ce type de classe que je me demande quel est exactement mon rôle. Mes collègues et moi avions donc aussi pour tâche de leur inculquer des notions simples de savoir-vivre qu’ils auraient dû recevoir de leurs parents. Or et on touche là un point sensible, bien des familles n’effectuent plus une bonne partie de ce travail éducatif qui incombe de plus en plus à l’école.
Portraits choisis
La famille B. : Elèves d’un collège de ZEP d’une ville moyenne de l’académie, Vanessa et Sonia sont deux sœurs. Vanessa est l’aînée, Sonia la seconde. Toutes deux ont doublé le cours préparatoire, Vanessa double la sixième. Elles se trouvent toutes les deux dans la même classe. Les parents sont mariés et ont six enfants, le dernier entrant à la maternelle. La mère n’a pas d’activité professionnelle. Le père travaille régulièrement. Les deux sœurs sont gentilles mais on découvre rapidement qu’elles ont du caractère ! Elles ont en outre beaucoup de mal à se supporter. N’ayant que peu de repères et ne sachant pas ce qui se fait ou ne se fait pas, elles n’ont pas compris que la salle de classe n’est pas le lieu où elles doivent régler leur mésentente. Elles se disputent souvent, entre elles ou avec d’autres élèves. Vanessa est agressive, Sonia grossière. Il est donc impossible de les laisser à proximité l’une de l’autre, Vanessa commentant les actes de Sonia et inversement. Sonia joue volontiers à la concierge, ce qui ne contribue pas à lui apporter des témoignages d’amitié. Toutes deux s’agitent, manquent de concentration, n’ont pas le matériel nécessaire pour travailler, n’apprennent pas leurs leçons, ne soignent pas leur travail. Avant de juger, il faut comprendre leurs conditions d’existence. La famille est suivie par le travail social et la sauvegarde judiciaire ; elles ne sont pas maltraitées mais la mère ne s’occupe pas des enfants, ce rôle étant dévolu à Vanessa. Elle semblait s’acquitter de cette tâche avec joie et manifestait le désir de devenir puéricultrice. Remplacer sa mère pour les tâches ménagères empêche Vanessa de faire ses devoirs (elle manifeste pourtant de la bonne volonté). Elles posent des problèmes dans la classe à cause de leur manque d’hygiène : elles traînent des pulls et des caleçons souvent troués, tachés et sont affligées de poux rebelles (ce qui est le cas de tous les enfants de la famille, m’a expliqué un travailleur social qui les connaît bien) ; à cause de ces poux, les élèves ne tiennent pas à rester à côté de Vanessa. Le coiffeur ne tenait pas à se charger d’elle, pas plus que le dentiste (elle avait pourtant des caries à soigner) ou l’ophtalmologiste (elle avait un besoin urgent de lunettes).
La mère appartient à la catégorie des parents invisibles. Pas plus que son mari, nous ne l’avons vue lors des réunions trimestrielles. J’avais pourtant essayé de la rencontrer à plusieurs reprises afin d’évoquer les problèmes que ses deux filles pouvaient rencontrer. En vain. L’école est une préoccupation secondaire. Le travailleur social qui les suivait était plus abrupt : pour la mère, l’école est une garderie qui lui permet de se débarrasser de ses enfants.
J’avais du mal à accepter l’échec de Vanessa, et ce d’autant plus qu’elle avait un projet d’avenir, même s’il semblait, pour le moment, difficilement réalisable. Sa sœur et elle auraient eu besoin d’être placées dans des classes peu chargées, avec un soutien spécifique en français et une inscription aux études dirigées. Mais celles-ci ne constituant qu’une heure dans l’emploi du temps, ne peuvent être efficaces que si les élèves présentant le profil de Sonia et Vanessa ont la possibilité de les suivre à la fin de chaque journée de classe puisqu’elles ne peuvent pas travailler chez elles.
Certaines rencontres peuvent s’avérer cocasses... jusqu’à un certain point.
La famille S : Leur fils Cyril est en sixième 1. Sa sœur aînée est en troisième dans le même collège. C’est un élève intelligent mais qui ne travaille pas suffisamment, a tendance à être insolent, ne comprend pas pourquoi on le réprimande et se plaint à tout propos. Avec mon collègue de français, nous parlions souvent de lui, trop à notre goût. Je n’avais pas vu les parents à la réunion du premier trimestre. Un jour, ils demandent à me voir. Je les reçois et les trouve plutôt agressifs. Ils ne semblent pas comprendre que leur fils se défoule en classe (le père a l’air sévère à la maison) et demeurent persuadés que les professeurs lui en veulent, sont agressifs et sont toujours sur son dos. Naturellement, je suis dans le lot et ils me menacent d’écrire au recteur si je ne cesse pas de martyriser leur progéniture. Le malentendu est total. Je saurai plus tard, en interrogeant des collègues, que Cyril, qui double la sixième, a coutume d’en rajouter à la maison et que ses parents sont convaincus qu’il est persécuté. Soudain, le père ajoute qu’il ne comprend pas pourquoi je dispense des cours de « sexualité » durant les leçons d’histoire et qu’ils se plaindront au recteur. Je cherche en vain de quoi il s’agit. La mère déclare que c’est au programme de troisième puisque la sœur de Cyril vient tout juste d’en entendre parler. Je me souviens brusquement que durant le cours sur la Préhistoire, une des filles de la classe avait demandé comment les femmes des hommes préhistoriques avaient leurs enfants. Je m’étais contentée de lui répondre que les naissances se faisaient de manière totalement naturelle puisque les médecins et les maternités n’existaient pas, que certaines mouraient en accouchant et que bon nombre de bébés ne survivaient pas. Réponse qui avait été commentée par les filles et transformée par Cyril. Des effets de la rumeur...
Sur les 24 élèves de ma classe, je n’en avais vu qu’une dizaine à la réunion parents-professeurs du premier trimestre. Certains n’étaient pas venus avec les parents, mais avec le frère ou la sœur aînée qui poursuivait les études au lycée. Il ne s’agissait pas ici de familles issues de l’immigration où les aînés remplacent fréquemment les parents aux réunions, souvent pour des problèmes de compréhension (certains parents maîtrisent mal le français). Les parents de mes meilleurs élèves étaient là, pour se plaindre parce que leurs enfants n’étaient pas à l’aise avec leurs camarades de classe (fossé éducatif, mais surtout culturel). Par contre, les parents que j’aurais souhaité rencontrer ne s’étaient pas déplacés. Au début, je pris cette absence pour un désintérêt manifeste. Je me trompais, du moins pour une partie de ces familles.
Les rapports Ecole/ familles : (ce passage doit beaucoup aux résultats d’une étude que le sociologue Dominique Glasman avait présentée lors d’un stage syndical consacré à l’enseignement dans les quartiers difficiles. J’ai retrouvé chez les parents de mes élèves les mêmes catégories que celles qu’il avait délimitées).
Ils sont souvent empreints de malentendus qui peuvent rendre les relations difficiles. La carte scolaire de ce collège comprenait deux cités HLM peuplées de familles populaires. Dans certains quartiers, les relations entre l’école et les familles doivent être repensées dans le cadre de l’intégration scolaire des plus défavorisés. C’est plus facile à dire qu’à faire, car c’est un travail de longue haleine, où tous les personnels de l’établissement (enseignants, administratifs, surveillants, infirmière, médecin scolaire, conseillère d’orientation-psychologue, assistante sociale) doivent s’impliquer. Mais le temps manque, certaines catégories de personnels également (nous aurons l’occasion d’y revenir).
La pauvreté, la marginalité, l’exclusion font désormais partie du paysage scolaire français. Nous avons au collège des familles du quart monde. La crise économique a fait apparaître la précarité et les familles concernées sont beaucoup plus nombreuses qu’elles ne l’étaient il y une quinzaine d’années. Elles entretiennent des rapports complexes avec l’institution scolaire : l’espoir de la promotion sociale, mais aussi la peur de l’échec, l’incompréhension, le rejet sont autant de sentiments qui conditionnent les réactions des familles défavorisées face à l’école. Ces familles, souvent perçues de façon indifférenciée se composent pourtant de groupes distincts. Il existe des familles pauvres, touchées par la précarité. Elles ne sont cependant pas désorganisées car le père a un travail régulier et le logement est stable. Les parents suivent, du mieux qu’ils le peuvent, la scolarité des enfants.
D’autres familles sont plus marginalisées. Le chômage est plus fréquent que l’emploi fixe. La structure familiale, plus fragile, est désorganisée.
L’attitude face à l’école est différente : les premiers se révèlent plutôt confiants et viennent aux réunions pour rencontrer les enseignants. Les seconds sont plutôt méfiants et leur comportement se nourrit de leur propre vécu scolaire. Certains ne savent pas comment aider leurs enfants qu’ils veulent pourtant voir réussir. Ils sont angoissés à l’idée de rencontrer les professeurs, car l’enseignant, « celui qui sait », fait partie d’un autre monde, auquel des parents qui ont connu l’échec scolaire sont bien loin de s’identifier. Ils ont peur d’être jugés comme de mauvais parents, des incapables, se sentent coupables de ne pouvoir aider leurs enfants. On rencontre donc rarement ce type de parent lors des réunions. D’un autre côté le corps enseignant, face à des parents invisibles peut partir du principe qu’ils ne s’intéressent pas aux études de leurs enfants. Une partie ne vient pas rencontrer les professeurs à cause de la honte ressentie devant leur précarité économique et sociale, devant l’effritement de leur autorité parentale.
Un exemple montre à quel point un couple de parents conscients de l’utilité des études, mais touchés par le chômage peut se trouver humilié : leur fils de quatorze ans qui travaillait fort peu et manquait de concentration (mais disposait de capacités réelles pour suivre au collège) assistait à l’entretien. Après avoir écouté mes observations, le père sermonne son fils qui lui répond excédé : « Mais de quel droit m’engueules-tu ? Tu ne fous rien de ta journée ! » Le père était au chômage depuis deux ans. A cause de sa précarité économique, il avait vu son autorité bafouée par son fils, devant l’enseignant : l’humiliation suprême. Je n’attendais pas une telle réaction de la part de cet élève, tout au plus quelques protestations. La surprise a coupé chez moi toute possibilité de répartie. Je n’ai pas osé faire de remarque à mon élève, une attitude autoritaire aurait, à mon avis, contribué à enfoncer davantage les parents.
Les attentes de ces deux types de parents sont différentes. Les premiers envisagent le CAP, le baccalauréat, le bac professionnel, essaie de prévoir des étapes, de se projeter dans l’avenir. Les seconds ne dessinent pas d’horizon scolaire précis. Pour certains, être au collège, c’est déjà faire des études. On distingue mal une ambition pour les enfants. Pour tous l’école en général demeure une institution mal connue, une instance bureaucratique. L’école est peu déchiffrable. Circule toujours l’idée qu’ « il faut de l’argent pour réussir ». On se fie à des rumeurs au lieu de venir au collège (le lycée fait encore plus peur) pour essayer de savoir. Ceux qui sont conscients qu’il existe des règles à respecter pour réussir comprennent d’autant moins l’échec lorsqu’ils estiment que les règles ont été suivies (1).
Quelle coopération ?
Tous ont en commun une forte attente vis-à-vis de l’école. Face à elle, ils se sentent démunis pour élaborer des stratégies. Ils dépendent de l’école sur laquelle ils veulent pouvoir se reposer, se décharger d’une partie de leur tâche.
Il faut donc pouvoir aider ces parents, dans la mesure du possible. L’école doit avant tout être lisible : ce monde, qui est lointain et complexe doit pouvoir leur devenir plus familier. L’école est un lieu de socialisation et d’apprentissage de règles communes qui ne sont pas toujours celles de la famille. Ces règles doivent être simples, claires, justes et s’appliquer à tous, tant aux élèves qu’aux enseignants. Si ce n’est pas le cas, elles ne peuvent pas être acceptées. Cela commence par le règlement intérieur. Très long, écrit en petits caractères, il est généralement au centre du carnet de liaison ou de correspondance. Certains parents ne l’ont jamais lu. Il ne me semble pas utopique qu’on puisse à l’avenir recevoir à la rentrée, tous les parents, par classes, afin de leur expliquer une partie du fonctionnement du collège. L’incompréhension est source de conflits.
Les Maghrébins ont une très forte attente du système scolaire qui propose l’égalité des chances, alors que leur vie quotidienne est marquée par l’inégalité voire la discrimination. Cela débouche sur une certaine agressivité, mal perçue par les enseignants.
L’école est aussi un lieu de savoir. Savoirs et apprentissages doivent avoir du sens. La multiplication des familles en difficulté tend à nous transformer quelquefois en travailleurs sociaux, ce que nous ne sommes pas. J’ai déjà entendu (à propos de certains élèves) : « Il vaut mieux qu’ils soient ici (à l’école) que chez eux ». L’école deviendrait donc un lieu de placement social alors que ce n’est pas du tout son rôle !
Les élèves issus de familles en difficulté ont souvent du mal à faire le décrochement par rapport à la vie quotidienne. Prendre du recul est souvent impossible pour les jeunes collégiens. Je me souviens de Jacques, un de mes élèves de sixième 1, qui a présenté un état dépressif pendant tout le premier trimestre. Chaque matin, il se réfugiait invariablement à l’infirmerie. Dès qu’on lui expliquait qu’il fallait aller en cours, la crise de larmes commençait. Elle cessait dès qu’il avait eu le courage de franchir la porte de la salle de classe. Son père était au chômage depuis plusieurs mois et Jacques semblait porter sur ses fragiles épaules tout le poids des difficultés familiales.
Le temps consacré à apprendre est très variable selon les familles qui doivent pouvoir décrypter une pédagogie lisible. Les attentes doivent êtres simples et claires pour être comprises. Les élèves doivent pouvoir arriver à faire leurs devoirs et les faire bien. Car les parents qui veulent aider ne sont pas en phase avec les apprentissages demandés. S’ils ne peuvent pas aider, il faut au moins qu’ils soient convaincus que les devoirs sont importants. Ils doivent pouvoir être confortés par les enseignants dans leur rôle de parent, leur autorité doit être valorisée : vérifier que le cartable contient bien les affaires nécessaires, que les devoirs sont régulièrement notés sur le cahier de textes, éteindre la télévision au moment des devoirs (j’ai vu bon nombre de parents, qui, malgré leurs difficultés financières, se privaient ou s’endettaient pour que les enfants puissent avoir la télévision dans la chambre).
Mais la simplicité des consignes n’implique pas la diminution du niveau d’exigence. Même avec ces élèves, il faut refuser le nivellement par le bas.
- LédisséEsprit sacré
Ergo, voilà un texte moins "violent" que les précédents, mais tout aussi triste...
Olympias, dis donc, quand tu écris, ce n'est pas pour rien...
Hélas, ce que tu dis est très vrai. Mais beaucoup de problèmes, peu de solutions, dont la plupart ne sont pas finalement (ou ne devraient pas être) du ressort de l'école...
Olympias, dis donc, quand tu écris, ce n'est pas pour rien...
Hélas, ce que tu dis est très vrai. Mais beaucoup de problèmes, peu de solutions, dont la plupart ne sont pas finalement (ou ne devraient pas être) du ressort de l'école...
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Life is what happens to you while you're making other plans. John Lennon
Life is not governed by will or intention. Life is a question of nerves, and fibres, and slowly built-up cells in which thought hides itself and passion has its dreams. Oscar Wilde
Bien que femme, je me suis permis_ / demandé_ / rendu_ compte / fait_ désirer... etc._
- ErgoDevin
Les cours en segpa me désespèrent pour des raisons différentes...L'avantage, c'est que les 5e de cette année sont vraiment mignons, contrairement à ceux de l'an dernier (où l'un d'eux avait planté un tournevis dans la main d'une autre élève... )
Olympias: excellente synthèse ! Et je suis bien d'accord quant au refus de niveler par le bas; apprendre à reformuler, oui, à simplifier les consignes mais pas les exigences.
Olympias: excellente synthèse ! Et je suis bien d'accord quant au refus de niveler par le bas; apprendre à reformuler, oui, à simplifier les consignes mais pas les exigences.
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"You went to a long-dead octopus for advice, and you're going to blame *me* for your problems?" -- Once Upon a Time
"The gull was your ordinary gull." -- Wittgenstein's Mistress
« Cède, cède, cède, je le veux ! » écrivait Ronin, le samouraï. (Si vous cherchez un stulo-plyme, de l'encre, récap de juillet 2024)
- LédisséEsprit sacré
Idem, j'oubliais de "plussoyer" ce point qui me semble très important. Je préfère expliquer trois fois plutôt que d'en demander moins. D'ailleurs, même si c'est une lutte de longue haleine, cela finit par porter ses fruits.
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