Voir le sujet précédentAller en basVoir le sujet suivant
Mareuil
Neoprof expérimenté

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Mareuil Mar 13 Nov 2012 - 10:42
Robin a écrit:Karl Jaspers, dans son introduction à la Philosophie, note qu'il y a un intérêt spontané pour les "questions premières" chez les enfants, entre 7 et 10 ans, qu'il appelle "l'âge métaphysique". Cet intérêt ressemble à l'étonnement qu'Aristote place à l'origine de la philosophie ("thaumazein").

Cet étonnement surgit souvent à l'occasion de situations de la vie courante : pourquoi est-ce que je dois m'habiller ce matin, puisque je dois me déshabiller ce soir ? Qu'est-ce que ça veut dire "être mort" ? Qu'est-ce qu'il y a "au sommet de la pyramide" ? Pourquoi est-ce que nous allons voir ma grand-mère, puisque dans une heure nous serons partis ? Pourquoi est-ce que je suis moi ?

On peut reconnaître chez les enfants des questions qui ont fait l'objet de débats sur le sens, le temps, la cause première, l'ipséité (le fait d'être ce que l'on est et non autre chose), la contingence de l'être fini, etc.

Mais il me semble qu'il ne faut pas confondre ces questions, leur formulation plus ou moins claires et les réponses qui ont pu être apportées par les philosophes.

Je ne suis pas certain par ailleurs que les enfants attendent forcément un "réponse" à leur question.

J'ai essayé d'expliquer avec des mots simples l'année dernière le début de l'allégorie de la caverne de Platon à Benjamin, un petit élève de CM1 qui me demandait ce que je faisais (je ne l'aurais pas fait spontanément ; j'étais en train de "m'escrimer" sur le texte de Platon).

Un enfant de dix ans, même exceptionnellement intelligent (ce qui était le cas en l'occurrence) ne peut pas saisir la dimension métaphorique du texte, il ne peut que suivre le jeu des métaphores (ce que Benjamin a très bien réussi à faire), mais ce n'est pas vraiment ce qui s'appelle "comprendre" (par exemple que le reflet des objets dans l'eau représentent les idéalités mathématiques et le soleil l'archétype du Bien ou la sortie de la caverne la "dialectique ascendante")

Je reste donc plutôt sceptique et je rejoins le point de vue selon lequel il faut d'abord commencer par donner progressivement aux élèves, dès l'école primaire, des moyens conceptuels (grammaticaux et lexicaux) pour construire ultérieurement un véritable raisonnement philosophique.




Mais oui.
Maieu
Maieu
Habitué du forum

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Maieu Mar 13 Nov 2012 - 14:48
Robin a écrit:
Je reste donc plutôt sceptique et je rejoins le point de vue selon lequel il faut d'abord commencer par donner progressivement aux élèves, dès l'école primaire, des moyens conceptuels (grammaticaux et lexicaux) pour construire ultérieurement un véritable raisonnement philosophique.

Entre les questions du petit enfant qui n’appellent pas forcément toutes des réponses et l’apprentissage des concepts philosophiques par l’adolescent de terminale, le professeur de philosophie n’a-t-il définitivement aucune intervention possible ?
avatar
Mareuil
Neoprof expérimenté

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Mareuil Mar 13 Nov 2012 - 15:04
Maieu a écrit:
Robin a écrit:
Je reste donc plutôt sceptique et je rejoins le point de vue selon lequel il faut d'abord commencer par donner progressivement aux élèves, dès l'école primaire, des moyens conceptuels (grammaticaux et lexicaux) pour construire ultérieurement un véritable raisonnement philosophique.

Entre les questions du petit enfant qui n’appellent pas forcément toutes des réponses et l’apprentissage des concepts philosophiques par l’adolescent de terminale, le professeur de philosophie n’a-t-il définitivement aucune intervention possible ?
Il a à enseigner la philosophie en terminale, où d'ailleurs il n'a plus affaire à des adolescents. Et à laisser faire leur travail aux PE de maternelle.
Reine Margot
Reine Margot
Demi-dieu

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Reine Margot Mar 13 Nov 2012 - 18:53
lene75 a écrit:
Reine Margot a écrit: "thermomix or not Thermomix"? telle est la question.


À ce point ? heu

oh, sur néo, le débat "padagogistes" contre partisans de la tradition fait rage, en ce moment. Very Happy

_________________
Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
Robin
Robin
Fidèle du forum

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Robin Mer 14 Nov 2012 - 5:29
Maieu a écrit:
Robin a écrit:
Je reste donc plutôt sceptique et je rejoins le point de vue selon lequel il faut d'abord commencer par donner progressivement aux élèves, dès l'école primaire, des moyens conceptuels (grammaticaux et lexicaux) pour construire ultérieurement un véritable raisonnement philosophique.

Entre les questions du petit enfant qui n’appellent pas forcément toutes des réponses et l’apprentissage des concepts philosophiques par l’adolescent de terminale, le professeur de philosophie n’a-t-il définitivement aucune intervention possible ?

Je pense que si, mais il va se heurter assez vite à des limites difficiles à franchir. Si je reprends l'exemple de Benjamin, il a été capable de comprendre que l'allégorie de la caverne parlait "du savoir et de l'ignorance", que le prisonnier délivré devait "redescendre libérer ses copains" (sic) et que la caverne ressemblait à une "salle de cinéma"... ce qui montre qu'il est au moins aussi intelligent qu'Alain Badiou qui fait la même remarque ! Smile

Un enfant de dix ans est donc capable d'un certain niveau d'abstraction et "d'herméneutique" (interprétation du sens, passage du sens littéral au sens figuré), mais je ne me voyais pas aller plus loin et essayer de lui expliquer la différence entre l'opinion (doxa), la science (épistémé) et la contemplation des essences (noésis).

Si Badiou y parvient, tant mieux, mais encore une fois j'ai des doutes. ce qui aurait été possible, en revanche, c'était de partir de la remarque sur la salle de cinéma pour réfléchir sur le rôle de l'image (en particulier de la télévision) dans la civilisation moderne comme éventuelle "obstacle" au savoir (ce n'est pas le cas de toutes les images et tout dépend de l'attitude du spectateur et on pouvait peut-être aller jusqu'à parler des œuvres d'art.)

Des élèves (filles) de seconde me disaient hier en aide aux devoirs qu'elles se faisaient punir parce qu'elles bavardaient en classe. Je leur ai demandé de quoi elles parlaient. Réponse : des émissions qu'elles avaient vues la veille à la télévision (elles étaient conscientes que les images pouvaient exercer sur elles une influence plutôt négative)

Les élèves, même jeunes, sont capables d'adopter un regard critique, mais il ne faut pas brûler les étapes. Socrate ne s'adresse jamais à de jeunes enfants. Théétète, le jeune esclave du dialogue qui porte son nom doit avoir une quinzaine d'années et il lui fait résoudre un problème de géométrie (doublement de l'aire d'un carré sur la diagonale), pas de philosophie et Platon dit bien que les mathématiques sont une propédeutique indispensable, une étape sur le chemin de la pensée philosophique (la devise inscrite au fronton de l'Académie fondée par Platon était "Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre.")... On le voir d'ailleurs bien dans l'allégorie de la caverne : le reflet des objets célestes sur l'eau que le prisonnier délivré doit d'abord considérer avant de pouvoir contempler les essences, ce sont les idées mathématiques.

J'ai vu que Badiou leur expliquait la différence entre "infini actuel" et "infini virtuel" (une problématique qui va d'Aristote à Cantor en passant par Hegel), mais je ne vois pas comment ils peuvent comprendre ça à dix ans, surtout l'infini actuel (les "transfinis" de Dedekind)
Maieu
Maieu
Habitué du forum

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Maieu Mer 14 Nov 2012 - 7:01
[quote="Robin"][quote="Maieu"]
Robin a écrit:
Je pense que si, mais il va se heurter assez vite à des limites difficiles à franchir. Si je reprends l'exemple de Benjamin, il a été capable de comprendre que l'allégorie de la caverne parlait "du savoir et de l'ignorance", que le prisonnier délivré devait "redescendre libérer ses copains" (sic) et que la caverne ressemblait à une "salle de cinéma"... ce qui montre qu'il est au moins aussi intelligent qu'Alain Badiou qui fait la même remarque !

Le débat me semble porter moins sur les capacités des jeunes enfants à comprendre les concepts, que sur la nécessité de la philosophie, en dernière analyse sur ce qu’elle est. N’est-il pas possible de débattre sur le fait que seuls les adolescents qui parviennent en classe terminale reçoivent un enseignement de philosophie, donc de se demander si la démarche philosophique ne doit pas concerner tous les autres et comment ?
La décision d’enseigner les mathématiques n’est pas déterminée par les capacités des élèves mais par la nécessité de les apprendre.
Par exemple, est-il absolument impossible d’imaginer une approche de l’épistémologie avant la classe terminale ?

avatar
Mareuil
Neoprof expérimenté

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Mareuil Mer 14 Nov 2012 - 9:16
Robin a écrit:
Maieu a écrit:
Robin a écrit:
Je reste donc plutôt sceptique et je rejoins le point de vue selon lequel il faut d'abord commencer par donner progressivement aux élèves, dès l'école primaire, des moyens conceptuels (grammaticaux et lexicaux) pour construire ultérieurement un véritable raisonnement philosophique.

Entre les questions du petit enfant qui n’appellent pas forcément toutes des réponses et l’apprentissage des concepts philosophiques par l’adolescent de terminale, le professeur de philosophie n’a-t-il définitivement aucune intervention possible ?

Je pense que si, mais il va se heurter assez vite à des limites difficiles à franchir. Si je reprends l'exemple de Benjamin, il a été capable de comprendre que l'allégorie de la caverne parlait "du savoir et de l'ignorance", que le prisonnier délivré devait "redescendre libérer ses copains" (sic) et que la caverne ressemblait à une "salle de cinéma"... ce qui montre qu'il est au moins aussi intelligent qu'Alain Badiou qui fait la même remarque ! Smile

Un enfant de dix ans est donc capable d'un certain niveau d'abstraction et "d'herméneutique" (interprétation du sens, passage du sens littéral au sens figuré), mais je ne me voyais pas aller plus loin et essayer de lui expliquer la différence entre l'opinion (doxa), la science (épistémé) et la contemplation des essences (noésis).

Si Badiou y parvient, tant mieux, mais encore une fois j'ai des doutes. ce qui aurait été possible, en revanche, c'était de partir de la remarque sur la salle de cinéma pour réfléchir sur le rôle de l'image (en particulier de la télévision) dans la civilisation moderne comme éventuelle "obstacle" au savoir (ce n'est pas le cas de toutes les images et tout dépend de l'attitude du spectateur et on pouvait peut-être aller jusqu'à parler des œuvres d'art.)

Des élèves (filles) de seconde me disaient hier en aide aux devoirs qu'elles se faisaient punir parce qu'elles bavardaient en classe. Je leur ai demandé de quoi elles parlaient. Réponse : des émissions qu'elles avaient vues la veille à la télévision (elles étaient conscientes que les images pouvaient exercer sur elles une influence plutôt négative)

Les élèves, même jeunes, sont capables d'adopter un regard critique, mais il ne faut pas brûler les étapes. Socrate ne s'adresse jamais à de jeunes enfants. Théétète, le jeune esclave du dialogue qui porte son nom doit avoir une quinzaine d'années et il lui fait résoudre un problème de géométrie (doublement de l'aire d'un carré sur la diagonale), pas de philosophie et Platon dit bien que les mathématiques sont une propédeutique indispensable, une étape sur le chemin de la pensée philosophique (la devise inscrite au fronton de l'Académie fondée par Platon était "Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre.")... On le voir d'ailleurs bien dans l'allégorie de la caverne : le reflet des objets célestes sur l'eau que le prisonnier délivré doit d'abord considérer avant de pouvoir contempler les essences, ce sont les idées mathématiques.

J'ai vu que Badiou leur expliquait la différence entre "infini actuel" et "infini virtuel" (une problématique qui va d'Aristote à Cantor en passant par Hegel), mais je ne vois pas comment ils peuvent comprendre ça à dix ans, surtout l'infini actuel (les "transfinis" de Dedekind)

En 1970, on a pu penser que les enfants de maternelle étaient capables d'accéder à l'abstraction mathématique la plus pure avant même de savoir compter. On a vu le résultat. Quarante ans après les maths moderne, de bons esprits lancent l'idée d'une "philosophie moderne" enseignable à des gamins en barboteuse. On progresse.
avatar
Mareuil
Neoprof expérimenté

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Mareuil Mer 14 Nov 2012 - 9:16
Mareuil a écrit:
Robin a écrit:
Maieu a écrit:
Robin a écrit:
Je reste donc plutôt sceptique et je rejoins le point de vue selon lequel il faut d'abord commencer par donner progressivement aux élèves, dès l'école primaire, des moyens conceptuels (grammaticaux et lexicaux) pour construire ultérieurement un véritable raisonnement philosophique.

Entre les questions du petit enfant qui n’appellent pas forcément toutes des réponses et l’apprentissage des concepts philosophiques par l’adolescent de terminale, le professeur de philosophie n’a-t-il définitivement aucune intervention possible ?

Je pense que si, mais il va se heurter assez vite à des limites difficiles à franchir. Si je reprends l'exemple de Benjamin, il a été capable de comprendre que l'allégorie de la caverne parlait "du savoir et de l'ignorance", que le prisonnier délivré devait "redescendre libérer ses copains" (sic) et que la caverne ressemblait à une "salle de cinéma"... ce qui montre qu'il est au moins aussi intelligent qu'Alain Badiou qui fait la même remarque ! Smile

Un enfant de dix ans est donc capable d'un certain niveau d'abstraction et "d'herméneutique" (interprétation du sens, passage du sens littéral au sens figuré), mais je ne me voyais pas aller plus loin et essayer de lui expliquer la différence entre l'opinion (doxa), la science (épistémé) et la contemplation des essences (noésis).

Si Badiou y parvient, tant mieux, mais encore une fois j'ai des doutes. ce qui aurait été possible, en revanche, c'était de partir de la remarque sur la salle de cinéma pour réfléchir sur le rôle de l'image (en particulier de la télévision) dans la civilisation moderne comme éventuelle "obstacle" au savoir (ce n'est pas le cas de toutes les images et tout dépend de l'attitude du spectateur et on pouvait peut-être aller jusqu'à parler des œuvres d'art.)

Des élèves (filles) de seconde me disaient hier en aide aux devoirs qu'elles se faisaient punir parce qu'elles bavardaient en classe. Je leur ai demandé de quoi elles parlaient. Réponse : des émissions qu'elles avaient vues la veille à la télévision (elles étaient conscientes que les images pouvaient exercer sur elles une influence plutôt négative)

Les élèves, même jeunes, sont capables d'adopter un regard critique, mais il ne faut pas brûler les étapes. Socrate ne s'adresse jamais à de jeunes enfants. Théétète, le jeune esclave du dialogue qui porte son nom doit avoir une quinzaine d'années et il lui fait résoudre un problème de géométrie (doublement de l'aire d'un carré sur la diagonale), pas de philosophie et Platon dit bien que les mathématiques sont une propédeutique indispensable, une étape sur le chemin de la pensée philosophique (la devise inscrite au fronton de l'Académie fondée par Platon était "Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre.")... On le voir d'ailleurs bien dans l'allégorie de la caverne : le reflet des objets célestes sur l'eau que le prisonnier délivré doit d'abord considérer avant de pouvoir contempler les essences, ce sont les idées mathématiques.

J'ai vu que Badiou leur expliquait la différence entre "infini actuel" et "infini virtuel" (une problématique qui va d'Aristote à Cantor en passant par Hegel), mais je ne vois pas comment ils peuvent comprendre ça à dix ans, surtout l'infini actuel (les "transfinis" de Dedekind)

En 1970, on a pu penser que les enfants de maternelle étaient capables d'accéder à l'abstraction mathématique la plus pure avant même de savoir compter. On a vu le résultat. Quarante ans après les maths modernes, de bons esprits lancent l'idée d'une "philosophie moderne" enseignable à des gamins en barboteuse. On progresse.
avatar
Mareuil
Neoprof expérimenté

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Mareuil Mer 14 Nov 2012 - 9:17
Mareuil a écrit:
Robin a écrit:
Maieu a écrit:
Robin a écrit:
Je reste donc plutôt sceptique et je rejoins le point de vue selon lequel il faut d'abord commencer par donner progressivement aux élèves, dès l'école primaire, des moyens conceptuels (grammaticaux et lexicaux) pour construire ultérieurement un véritable raisonnement philosophique.

Entre les questions du petit enfant qui n’appellent pas forcément toutes des réponses et l’apprentissage des concepts philosophiques par l’adolescent de terminale, le professeur de philosophie n’a-t-il définitivement aucune intervention possible ?

Je pense que si, mais il va se heurter assez vite à des limites difficiles à franchir. Si je reprends l'exemple de Benjamin, il a été capable de comprendre que l'allégorie de la caverne parlait "du savoir et de l'ignorance", que le prisonnier délivré devait "redescendre libérer ses copains" (sic) et que la caverne ressemblait à une "salle de cinéma"... ce qui montre qu'il est au moins aussi intelligent qu'Alain Badiou qui fait la même remarque ! Smile

Un enfant de dix ans est donc capable d'un certain niveau d'abstraction et "d'herméneutique" (interprétation du sens, passage du sens littéral au sens figuré), mais je ne me voyais pas aller plus loin et essayer de lui expliquer la différence entre l'opinion (doxa), la science (épistémé) et la contemplation des essences (noésis).

Si Badiou y parvient, tant mieux, mais encore une fois j'ai des doutes. ce qui aurait été possible, en revanche, c'était de partir de la remarque sur la salle de cinéma pour réfléchir sur le rôle de l'image (en particulier de la télévision) dans la civilisation moderne comme éventuelle "obstacle" au savoir (ce n'est pas le cas de toutes les images et tout dépend de l'attitude du spectateur et on pouvait peut-être aller jusqu'à parler des œuvres d'art.)

Des élèves (filles) de seconde me disaient hier en aide aux devoirs qu'elles se faisaient punir parce qu'elles bavardaient en classe. Je leur ai demandé de quoi elles parlaient. Réponse : des émissions qu'elles avaient vues la veille à la télévision (elles étaient conscientes que les images pouvaient exercer sur elles une influence plutôt négative)

Les élèves, même jeunes, sont capables d'adopter un regard critique, mais il ne faut pas brûler les étapes. Socrate ne s'adresse jamais à de jeunes enfants. Théétète, le jeune esclave du dialogue qui porte son nom doit avoir une quinzaine d'années et il lui fait résoudre un problème de géométrie (doublement de l'aire d'un carré sur la diagonale), pas de philosophie et Platon dit bien que les mathématiques sont une propédeutique indispensable, une étape sur le chemin de la pensée philosophique (la devise inscrite au fronton de l'Académie fondée par Platon était "Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre.")... On le voir d'ailleurs bien dans l'allégorie de la caverne : le reflet des objets célestes sur l'eau que le prisonnier délivré doit d'abord considérer avant de pouvoir contempler les essences, ce sont les idées mathématiques.

J'ai vu que Badiou leur expliquait la différence entre "infini actuel" et "infini virtuel" (une problématique qui va d'Aristote à Cantor en passant par Hegel), mais je ne vois pas comment ils peuvent comprendre ça à dix ans, surtout l'infini actuel (les "transfinis" de Dedekind)

En 1970, on a pu penser que les enfants de maternelle étaient capables d'accéder à l'abstraction mathématique la plus pure avant même de savoir compter. On a vu le résultat. Quarante ans après les maths modernes, de bons esprits lancent l'idée d'une "philosophie moderne" enseignable à des gamins en barboteuse. On progresse.
Robin
Robin
Fidèle du forum

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Robin Mer 14 Nov 2012 - 10:05
[quote="Maieu"][quote="Robin"]
Maieu a écrit:
Robin a écrit:
Je pense que si, mais il va se heurter assez vite à des limites difficiles à franchir. Si je reprends l'exemple de Benjamin, il a été capable de comprendre que l'allégorie de la caverne parlait "du savoir et de l'ignorance", que le prisonnier délivré devait "redescendre libérer ses copains" (sic) et que la caverne ressemblait à une "salle de cinéma"... ce qui montre qu'il est au moins aussi intelligent qu'Alain Badiou qui fait la même remarque !

Le débat me semble porter moins sur les capacités des jeunes enfants à comprendre les concepts, que sur la nécessité de la philosophie, en dernière analyse sur ce qu’elle est. N’est-il pas possible de débattre sur le fait que seuls les adolescents qui parviennent en classe terminale reçoivent un enseignement de philosophie, donc de se demander si la démarche philosophique ne doit pas concerner tous les autres et comment ?
La décision d’enseigner les mathématiques n’est pas déterminée par les capacités des élèves mais par la nécessité de les apprendre.
Par exemple, est-il absolument impossible d’imaginer une approche de l’épistémologie avant la classe terminale ?


C'est un autre problème et là, je suis d'accord, à condition que le MEN n'en profite pas en mettant des heures de Philo en seconde et en première pour rendre la matière (je dis bien la "matière") optionnelle en terminale (je ne suis pas paranoïaque, mais je me méfie). La "solution" serait de partir d’œuvres littéraires (Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier, Le Meilleur des mondes de Huxley, Le Livre de sable de Borgès, les animaux dénaturés de Vercors...), pour arriver aux concepts purs en terminale.

Si on reprend l'exemple des deux infinis (actuel et potentiel), c'est beaucoup plus compréhensible si on est passé par une métaphore littéraire (le Livre de sable) que si on accède directement à Cantor parce que les deux infinis, vous comprenez, c'est toute une histoire et ça remonte à Aristote et aux Grecs qui ne voulaient pas entendre parler de l'apeiron et pour qui la perfection n'est pas dans l'infini (leurs dieux ne sont pas infinis), mais dans le fini... Bon, comme je dis aux élèves et ça les fait bien rire, ça n'est pas très gentil de dire de quelqu'un "qu'il n'est pas bien fini". Mais ça change avec Cantor parce qu'il y a eu le passage de l'univers fini à l'univers infini avec Galilée, Giordano Bruno, Newton (cf. Alexandre Koyré, Du monde clos à l'univers infini) et l'éclatement du modèle de Ptolémée (et d'Aristote), alors ça pose moins de problèmes et on se met, au début du XXème siècle envisager l'inenvisageable : un infini actuel avec Cantor et les mathématiques des ensembles.
Robin
Robin
Fidèle du forum

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Robin Mer 14 Nov 2012 - 12:16
Mareuil a écrit :

"En 1970, on a pu penser que les enfants de maternelle étaient capables d'accéder à l'abstraction mathématique la plus pure avant même de savoir compter. On a vu le résultat. Quarante ans après les maths moderne, de bons esprits lancent l'idée d'une "philosophie moderne" enseignable à des gamins en barboteuse. On progresse."

Oui, il ne faudrait pas recommencer avec la philosophie la bourde des maths modernes des années 70. L'enseignement des mathématiques s'en est relevé, à défaut des élèves, mais l'enseignement de la philo. n'y survivrait pas. Il faut bien distinguer, à mon avis, la dimension méthodologique (la progression) et les savoirs proprement dits.

On sait bien, par exemple, que l'emploi du présent d'énonciation ou du du passé simple dépend de la situation d'énonciation, selon que l'énoncé est ancré ou non ancré (cf. les travaux de Weinrich), mais ce n'est pas une raison pour l'enseigner à l'école primaire parce que c'est au-dessus de la capacité de compréhension des élèves (même en 4ème, ils disent que "ça leur prend la tête" !) et, en ce qui me concerne, je ne parlais plus que de la situation d'énonciation.

Ce qui est indispensable, en revanche, c'est que les élèves sachent conjuguer un verbe au présent de l'indicatif et sachent distinguer les différents emplois du présent (la valeur d'aspect).

J'ai l'air d'enfoncer des portes ouvertes, mais c'est important.
avatar
Mareuil
Neoprof expérimenté

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Mareuil Mer 14 Nov 2012 - 12:26
Robin a écrit:Mareuil a écrit :

"En 1970, on a pu penser que les enfants de maternelle étaient capables d'accéder à l'abstraction mathématique la plus pure avant même de savoir compter. On a vu le résultat. Quarante ans après les maths moderne, de bons esprits lancent l'idée d'une "philosophie moderne" enseignable à des gamins en barboteuse. On progresse."

Oui, il ne faudrait pas recommencer avec la philosophie la bourde des maths modernes des années 70. L'enseignement des mathématiques s'en est relevé, à défaut des élèves, mais l'enseignement de la philo. n'y survivrait pas. Il faut bien distinguer, à mon avis, la dimension méthodologique (la progression) et les savoirs proprement dits.

On sait bien, par exemple, que l'emploi du présent d'énonciation ou du du passé simple dépend de la situation d'énonciation, selon que l'énoncé est ancré ou non ancré (cf. les travaux de Weinrich), mais ce n'est pas une raison pour l'enseigner à l'école primaire parce que c'est au-dessus de la capacité de compréhension des élèves (même en 4ème, ils disent que "ça leur prend la tête" !) et, en ce qui me concerne, je ne parlais plus que de la situation d'énonciation.

Ce qui est indispensable, en revanche, c'est que les élèves sachent conjuguer un verbe au présent de l'indicatif et sachent distinguer les différents emplois du présent (la valeur d'aspect).

J'ai l'air d'enfoncer des portes ouvertes, mais c'est important.

Pas du tout, vous tentez d'enfoncer les portes les plus épaisses qui soient, celles de la sottise extravagante et sûre d'elle-même. Une précision : vous écrivez, à propos de maths modernes "L'enseignement des mathématiques s'en est relevé" ; eh bien non ! L'épisode des maths modernes a été fatal car la contre-réforme qui a suivi a achevé l'enseignement des maths. Voir là-dessus les réflexions de Bkouche.
lene75
lene75
Prophète

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par lene75 Mer 14 Nov 2012 - 12:35
Mareuil a écrit:Pas du tout, vous tentez d'enfoncer les portes les plus épaisses qui soient, celles de la sottise extravagante et sûre d'elle-même.

+1
Hier encore en conseil pédagogique, la solution suggérée face aux grandes difficultés de nos élèves en français était de consacrer toujours moins d'heures au français pur et toujours plus d'heures à des activités interdisciplinaires de ceci ou de cela.

_________________
Une classe, c'est comme une boîte de chocolats, on sait jamais sur quoi on va tomber...
avatar
Marcassin
Habitué du forum

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par Marcassin Jeu 22 Nov 2012 - 16:49
Une vidéo sur VousNousIls aujourd'hui sur la méthode Tozzi de "Discussion à Visée Démocratique et Philosophique" :



Source : http://www.vousnousils.fr/2012/11/22/philosopher-ecole-primaire-methode-michel-tozzi-537802?utm_source

Il n'y a pas de bonne réponse, il n'y a pas de mauvaise réponse

_________________
"Je regarde la grammaire comme la première partie de l'art de penser." (Condillac)
avatar
InvitéPas
Niveau 9

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par InvitéPas Jeu 22 Nov 2012 - 17:47
Robin a écrit:
On sait bien, par exemple, que l'emploi du présent d'énonciation ou du du passé simple dépend de la situation d'énonciation, selon que l'énoncé est ancré ou non ancré (cf. les travaux de Weinrich), mais ce n'est pas une raison pour l'enseigner à l'école primaire parce que c'est au-dessus de la capacité de compréhension des élèves (même en 4ème, ils disent que "ça leur prend la tête" !) et, en ce qui me concerne, je ne parlais plus que de la situation d'énonciation.

Ce qui est indispensable, en revanche, c'est que les élèves sachent conjuguer un verbe au présent de l'indicatif et sachent distinguer les différents emplois du présent (la valeur d'aspect).


Je te comprends (il me semble).
Je voudrais ajouter une précision : il est tout aussi vain d'enseigner la différence entre énoncé coupé et énoncé ancré (et autres notions de cette portée) en maternelle qu'à des adolescents qui :
-n'ont pas eu de lectures étant petits,
-n'ont eu que des lectures déplorables (par exemple, uniquement des récits écrits au présent de narration),
-n'ont pas beaucoup lu,
-lisent peu. S'ils n'ont pas emmagasiné un corpus suffisant, la théorie sera hors de leur portée.


Les Albums du Père Castor emploient subjonctif imparfait et plus-que-parfait . cheers Mais j'ai l'impression qu'ils sont un peu seuls...
Dans le manuel de mes secondes, on n'explique que les emplois du subjonctif présent... furieux Bref, s'il y a un conseil que je peux donner à des parents c'est de lire à leurs enfants beaucoup d'histoires bien écrites.

lene75
lene75
Prophète

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par lene75 Jeu 22 Nov 2012 - 18:00
Passacaille a écrit:Les Albums du Père Castor emploient subjonctif imparfait et plus-que-parfait . cheers

Ce n'est pas le cas de beaucoup de nouveaux : je fais super attention à la date de parution quand j'en achète, la qualité s'est considérablement dégradée.

_________________
Une classe, c'est comme une boîte de chocolats, on sait jamais sur quoi on va tomber...
avatar
InvitéPas
Niveau 9

Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge  - Page 4 Empty Re: Les philosophes défendent la philosophie dès le plus jeune âge

par InvitéPas Jeu 22 Nov 2012 - 19:49
Ah ! crotte de biquette ! c'est vraiment nul. Pff. Fichues lois du commerce.
Voir le sujet précédentRevenir en hautVoir le sujet suivant
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum