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lene75
Prophète

Aux frontières du réel : le collège Stanislas - Page 30 Empty Re: Aux frontières du réel : le collège Stanislas

par lene75 Sam 19 Oct - 13:40
epekeina.tes.ousias a écrit:l'idée qu'il faut “en baver” pour apprendre quelque chose, mais qu'ensuite on serait “reconnaissance” est, à mon avis, une forme de crétinerie indigne.

Le problème, c'est qu'arrivé à un certain niveau, les choses sont forcément difficiles. On en bave forcément pour comprendre un texte de Kant, et on en bave d'autant plus qu'on n'est pas socialement armé pour en avoir une compréhension plus aisée. On peut réécrire le texte pour le simplifier. Je le fais parfois (rarement). Mais on en perd alors l'essentiel. Il n'y a donc que deux options : simplifier et accepter que ceux qui n'ont pas reçu chez eux les moyens d'aller plus loin n'y aient jamais accès, ou ne pas simplifier, faire suer les élèves dans tous les sens du terme, et faire le pari fou qu'ils vont finir par y arriver, ou qu'en tout cas ils s'en seront rapprochés autant que possible.

Ce qui est amusant, c'est que c'est très largement admis dans le domaine du sport. Toute la société est d'accord pour dire qu'en sport on n'arrive à rien sans effort, de façon même très largement exagérée, comme si tout le monde avait vocation à devenir champion olympique dans le moindre club de quartier, mais pour ce qui est des disciplines intellectuelles, le moindre effort est décrié. Apprendre sans effort, ça fonctionne bien pour des gens qui ont des dispositions particulières, ou qui "sont tombés dans la marmite quand ils étaient petits", comme me l'avait dit un autre prof de prépa, mais pour ceux qui sont plus en difficulté ou socialement moins dotés, apprendre sans effort me paraît illusoire. Et le niveau à partir duquel il faut fournir un gros effort, et donc en baver, est très variable suivant les personnes. Certains ne découvrent ça qu'en prépa parce que leurs facilités leur ont permis d'arriver jusque-là sans effort, et pour eux ça peut faire un sacré choc, mais il y a des enfants pour qui apprendre à marcher et à parler est déjà un parcours du combattant, et qui ont donc l'habitude de devoir se battre pour tout.

Après on n'est pas obligé d'ajouter de la difficulté à la difficulté en se montrant odieux et humiliant, mais ceux qui le sont restent des personnages assez rares. En prépa à Henri IV je n'en ai eu qu'un seul en deux ans. Suffisamment marquant pour qu'on ne parle que de lui et pas des autres quand on évoque ses souvenirs de prépa, mais ça cache que tous les autres, qui se contentent d'être exigeants, ne sont pas comme ça, combien sont-ils en 2 ans de prépa ? Une quinzaine, une vingtaine ? Même les plus déjantés d'entre eux, comme ce prof avec qui nous avions des conversations surréalistes et qui, un jour que je n'avais pas envie de retourner en cours après une pause et lui pas envie d'aller à son conseil de classe, m'a offert un chocolat pour que nous nous soutenions mutuellement. Complètement décalé mais tellement humain.
epekeina.tes.ousias
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par epekeina.tes.ousias Sam 19 Oct - 13:54
lene75 a écrit:Le problème, c'est qu'arrivé à un certain niveau, les choses sont forcément difficiles. On en bave forcément pour comprendre un texte de Kant

Ou de Spinoza, ou de Proclus, etc., oui.

Mais je ne me souviens pas d'avoir jamais été traité d'arriéré par Kant, Spinoza, Proclus, Hegel ou Heidegger.
Peut-être sont-ils trop bien élevés… abi

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lene75
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par lene75 Sam 19 Oct - 14:04
Nan mais j'aimerais savoir combien de profs de prépa ou combien de profs de Stan traitent leurs élèves d'arriérés. Même le prof odieux dont je parlais n'a jamais fait ça.

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Une classe, c'est comme une boîte de chocolats, on sait jamais sur quoi on va tomber...
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par epekeina.tes.ousias Sam 19 Oct - 14:13
Celui-là était un cas spécial, il est vrai (l'autre aussi). J'en ai aussi connu un, en fac, qui a osé dire à une amie que son niveau la rendait indigne d'enseigner (on était jeunes profs, depuis 2 ou 3 ans) : on était tous sorti de son cours par mesure de rétorsion.

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par nicole 86 Sam 19 Oct - 14:18
lene75 a écrit:Nan mais j'aimerais savoir combien de profs de prépa ou combien de profs de Stan traitent leurs élèves d'arriérés. Même le prof odieux dont je parlais n'a jamais fait ça.

Début des années 1970, lycée public de province, cours de mathématiques en terminale : "Mademoiselle ***, passez au tableau faire voir à ces messieurs dames comme vous êtes bêtes".
Les trois stagiaires au fond de la salle, malgré leur profonde indignation, n'étaient pas en mesure de s'insurger.
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par Aperçu par hasard Sam 19 Oct - 14:22
lene75 a écrit:On en bave forcément pour comprendre un texte de Kant, et on en bave d'autant plus qu'on n'est pas socialement armé pour en avoir une compréhension plus aisée. On peut réécrire le texte pour le simplifier. Je le fais parfois (rarement). Mais on en perd alors l'essentiel. Il n'y a donc que deux options : simplifier et accepter que ceux qui n'ont pas reçu chez eux les moyens d'aller plus loin n'y aient jamais accès, ou ne pas simplifier, faire suer les élèves dans tous les sens du terme, et faire le pari fou qu'ils vont finir par y arriver, ou qu'en tout cas ils s'en seront rapprochés autant que possible.

Mais est-il possible de comprendre Kant (ou un autre philosophe) à 20 ans, et ce, même pour les mieux armés, et même, dirais-je, bien plus tard? Je crois que la compréhension des œuvres est un phénomène d’accommodation progressif et infini, dans lequel la netteté n'est jamais complètement atteinte. Pour les élèves, elle est forcément assez (voire très) floue, et ceux d'entre eux qui croient percevoir nettement ce dont on parle se rendront probablement compte plus tard qu'ils présument de leurs forces. Je dis souvent à mes élèves que moi-même, je n'ai qu'une compréhension limitée des objets que nous étudions. L'essentiel est à mon sens de s'engager dans ce processus d'accommodation, d'en comprendre l'intérêt et la nécessité, tout en sachant (ce qui, à tout prendre, est rassurant autant que stimulant) qu'aucune compréhension n'apparaîtra jamais tout à fait suffisante.

En tout cas, pour ce qui concerne la philo en terminale, c'est la matière qui m'a dessillé. J'ai le sentiment qu'avant, j'étais pratiquement aveugle. Et pourtant j'avais un professeur (extraordinaire) qui philosophait en comptant les carreaux de linoléum avec ses chaussures dans un silence de mort.

Pour les odieux, il me semble qu'il y en a de différentes sortes: l'odieux pervers, l'odieux élitiste intransigeant, l'odieux par laisser-aller cynique, etc. Les variétés peuvent être plus ou moins amères, et peuvent même à l'occasion paraître nourrissantes, à condition de se trouver du côté des vainqueurs.
Baldred
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par Baldred Sam 19 Oct - 14:28
epekeina.tes.ousias a écrit:
Baldred a écrit:Merci @Lene75, croire en ses élèves plus qu'ils ne croient eux-mêmes en eux est une belle définition du prof.
Ma question est peut-être sans intérêt après tout, comme semble le dire @ETO je me suis autant construit par opposition que par adhésion, l'essentiel est de ne pas s'y perdre.

Ah, non, je ne dis rien sur toi, je ne me permettrais pas et je te demande pardon si je t'ai donné cette impression. Seulement que j'en ai croisé quelques-uns, mais que, comme à cette époque j'étais assez agressif, que je faisais du rugby et de la boxe, ça ne m'a pas spécialement impressionné. Mais j'ai bien vu tout de même que certains de mes amis de l'époque ne réagissaient pas du tout (mais alors pas du tout) de la même manière — cela motivait d'ailleurs certaines de mes “répliques”.

À part cela, on est tous plus ou moins différents, c'est possible, mais ça ne justifie pas ce type de comportement, au contraire. Et je trouve ta question au contraire très pertinente : l'idée qu'il faut “en baver” pour apprendre quelque chose, mais qu'ensuite on serait “reconnaissance” est, à mon avis, une forme de crétinerie indigne. C'est l'équivalent du machin bien réac : “les jeunes, il leur faudrait une bonne guerre”. Et encore, je reste poli.

Non non je ne le ne le prends pas du tout pour moi. Je réflechis juste à ce que vous dites, qui m'intéresse et me conduit à réevaluer ce que je dis, et je vous en remercie. Les abus d'autorité, d'intelligence, de culture qu'on trouve chez certains profs, y compris les plus brillants me paraissent une faiblesse et relèvent bien de la crétinerie. Mon instinct de conservation est également assez développé, et a pu constituer par oppostion une motivation à me dépasser.
La limite est sans doute là où @Lene75 @uneodyssée et toi la placez, il faut avoir de l'exigence, une forme de respect pour l'intelligence de l'autre. La position de pouvoir ne le favorise pas toujours, sans parler des abus.
epekeina.tes.ousias
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par epekeina.tes.ousias Sam 19 Oct - 14:57
Aperçu par hasard a écrit:Mais est-il possible de comprendre Kant (ou un autre philosophe) à 20 ans

Disons qu'on comprend toujours un quelque chose si tant est qu'on en fasse l'effort — mais que, quelle que soit la taille de ce quelque chose — tout est toujours à refaire en permanence.

Baldred a écrit:Non non je ne le ne le prends pas du tout pour moi. Je réflechis juste à ce que vous dites, qui m'intéresse et me conduit à réevaluer ce que je dis, et je vous en remercie. Les abus d'autorité, d'intelligence, de culture qu'on trouve chez certains profs, y compris les plus brillants me paraissent une faiblesse et relèvent bien de la crétinerie. Mon instinct de conservation est également assez développé, et a pu constituer par oppostion une motivation à me dépasser.
La limite est sans doute là où @Lene75 @uneodyssée et toi la placez, il faut avoir de l'exigence, une forme de respect pour l'intelligence de l'autre. La position de pouvoir ne le favorise pas toujours, sans parler des abus.

C'est l'une des questions les plus difficiles qui soient — en tout cas pour moi. Pour l'instant, j'en suis à me dire qu'il y a deux paramètres radicalement différents et quasiment indépendants l'un de l'autre. Telle ou telle personne peut être un véritable génie (dans sa partie, quelle qu'elle soit) et, sur le plan humain, le pire des êtres, ou le moins éveillé des esprits et un être délicieux, ou un véritable génie en même temps que le plus délicieux des êtres, ou un esprit gourd en même temps que parfaitement odieux. Et si cela se trouve, il y a d'autres cas, par ex. ceux qui sont des génies dans leur partie, mais dans rien d'autres (comme le Cottard de Proust, qui est un génie dans l'art du diagnostic, et un parfait imbécile dans tout le reste, en particulier la vie sociale). Qui plus est, je crois bien que les deux paramètres peuvent varier en chacun avec le temps, peut-être même d'une minute à l'autre. Pour ma part, pour le génie, il y a très longtemps que j'y ai renoncé, dès ma naissance, je pense. J'essaie seulement de ne pas être trop odieux trop souvent.

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par Aperçu par hasard Sam 19 Oct - 15:02
epekeina.tes.ousias a écrit:
Aperçu par hasard a écrit:Mais est-il possible de comprendre Kant (ou un autre philosophe) à 20 ans

Disons qu'on comprend toujours un quelque chose si tant est qu'on en fasse l'effort — mais que, quelle que soit la taille de ce quelque chose — tout est toujours à refaire en permanence.

Oui. Je crois que c'est ce que j'ai essayé de dire.
Baldred
Baldred
Sage

Aux frontières du réel : le collège Stanislas - Page 30 Empty Re: Aux frontières du réel : le collège Stanislas

par Baldred Sam 19 Oct - 15:12
epekeina.tes.ousias a écrit:
Aperçu par hasard a écrit:Mais est-il possible de comprendre Kant (ou un autre philosophe) à 20 ans

Disons qu'on comprend toujours un quelque chose si tant est qu'on en fasse l'effort — mais que, quelle que soit la taille de ce quelque chose — tout est toujours à refaire en permanence.

Baldred a écrit:Non non je ne le ne le prends pas du tout pour moi. Je réflechis juste à ce que vous dites, qui m'intéresse et me conduit à réevaluer ce que je dis, et je vous en remercie. Les abus d'autorité, d'intelligence, de culture qu'on trouve chez certains profs, y compris les plus brillants me paraissent une faiblesse et relèvent bien de la crétinerie. Mon instinct de conservation est également assez développé, et a pu constituer par oppostion une motivation à me dépasser.
La limite est sans doute là où @Lene75 @uneodyssée et toi la placez, il faut avoir de l'exigence, une forme de respect pour l'intelligence de l'autre. La position de pouvoir ne le favorise pas toujours, sans parler des abus.

C'est l'une des questions les plus difficiles qui soient — en tout cas pour moi. Pour l'instant, j'en suis à me dire qu'il y a deux paramètres radicalement différents et quasiment indépendants l'un de l'autre. Telle ou telle personne peut être un véritable génie (dans sa partie, quelle qu'elle soit) et, sur le plan humain, le pire des êtres, ou le moins éveillé des esprits et un être délicieux, ou un véritable génie en même temps que le plus délicieux des êtres, ou un esprit gourd en même temps que parfaitement odieux. Et si cela se trouve, il y a d'autres cas, par ex. ceux qui sont des génies dans leur partie, mais dans rien d'autres (comme le Cottard de Proust, qui est un génie dans l'art du diagnostic, et un parfait imbécile dans tout le reste, en particulier la vie sociale). Qui plus est, je crois bien que les deux paramètres peuvent varier en chacun avec le temps, peut-être même d'une minute à l'autre. Pour ma part, pour le génie, il y a très longtemps que j'y ai renoncé, dès ma naissance, je pense. J'essaie seulement de ne pas être trop odieux trop souvent.

Oui, j'imagine cela comme un phare (de la pensée) : il peut vous éclairer ou vous guider, peut également vous éblouir, voire vous aveugler, mais également vous plonger dans le noir.
Prezbo
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Grand Maître

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par Prezbo Sam 19 Oct - 15:30
Baldred a écrit:En ce qui concerne les profs, du primaire à  la 3e, j'ai eu la proportion habituelle je pense de tocards et de bons profs et même de très bons, ce qui était d'autant plus admirable que l'idée générale était que l'enfant était un truc pas fini, humainement incomplet, qu'il fallait usiner.
Je suis ensuite un produit de la fac, je ne sais pas si les prestigieuses prépas de Stan sont plus ou moins dures, si cela tient au vivier d'élèves "maison" ( on a vu comment ils contournent parcoursup avec le fils d'AOC), à  la qualité des profs, ou au "marche ou crève " des prépas en général.
Ma filleule a fait sa scolarité et sa prépa à H4. Pour le concours d'entrée à l"ENS elle n'avait qu un espoir, qu'un objectif : ne pas être la dernière, sinon : Terreur.
Ma question (sincère) est la suivante : vous qui sortez de Prépa. Quelle est la part de la pédagogie des profs dans votre réussite ?

Bonne question.

J'ai passé en 90 un bac C qui était nettement plus costaud qu'une spé maths actuelle, avec un programme qui n'avait pas perdu toute trace de l'influence bourbakiste, et un prof passionné qui m'a donné envie de faire des maths -il a d'ailleurs été nommé en prépa l'année suivante-. Ensuite, j'ai été refusé au lycée de Parc, j'ai donc intégré le lycée qui se trouvait juste en dessous dans la hiérarchie invariable des prépas scientifiques publiques de l'académie de Lyon.  A l'époque, on tapait directement dans le dur : une petite intro de logique formelle, puis l'intégralité de l'algèbre abstraite, dans l'ordre groupes anneaux et corps, avec un petit côté il faut avoir les bonnes base, avant de revenir à des choses plus concrètes. Certains élèves jusqu'ici bon scolairement en était brusquement perturbé, pour ma part cela a été une révélation du type mais c'est si simple, pourquoi ne m'a-t-on pas dit ça plus tôt. En revanche, c'était l'époque où régnait encore l'idée chez les profs de prépas -plutôt les masculins dans mon souvenir, pas chez la seule prof de manière scientifique femme que j'aie eu n'était pas trop dans ce registre-s qu'il fallait un peu enfoncer en engueuler les élèves pour qu'ils progressent.

Chez la plupart, cela ne dépassait pas un peu de folklore, matinée d'un minimum de sens psychologique qui les faisait parfois sentir quand il fallait ne pas aller trop loin et relâcher le pression sur une classe ou un individu -mais pas toujours assez de sens psychologique toutefois, j'ai vu des filles pleurer suite à des remarques qui étaient plus maladroites et mal dégrossies qu'intentionnellement blessantes, mais qui avait été douloureuses-. J'ai eu un prof de SPC en spé qui jouait à être odieux, défonçait à l'écrit et à l'oral les élèves pour un oui ou pour un non (un résultat non encadré, une copie mal numérotée) et se montrait d'un formalisme pointilleux en assumant explicitement qu'il s'agissait d'une manière de faire rentrer les exigences pour les concours. (Le discours, je caricature à peine, quand vous vous serez pris deux fois zéro parce que votre copie était mal numérotée, vous penserez à relire la numérotation). Comme j'étais assez tête de bois ça s'est très mal passé pendant environ un semestre avant que les choses se tassent, et qu'il mette de l'eau dans son vin après une RDV individuel. J'ai d'ailleurs fait le choix de redoubler en sachant que je l'aurai l'année suivant. J'ai pleinement conscience qu'il jouait à être odieux plus qu'il ne l'était réellement, mais je reste persuadé qu'on pouvait être exigeant sans en passer par là. Il était aussi vénéré par certains élèves qui jugeait que ce traitement les aidait pour les concours, mais le risque du syndrome de Stockholm n'est jamais loin.

Par contre, honnêtement, je ne pense pas avoir eu de profs pervers ou de gourou en herbe. Je vais peut-être être polémique, mais je me demande si les lettres et sciences humaines ne sont pas plus favorables à ce genre de profils, et s'ils ne sont justement pas nombreux chez les universitaires.

Par contre, pour revenir à ta question sur ce que m'a apporté la pédagogie des profs de prépa, ma première réponse serait rien parce qu'il n'y avait pas de pédagogie, en fait. Il y avait un système fait de programmes ambitieux et cohérents, de cours disciplinairement denses, de profs biens formés et investis, de rythme de travail démentiel et d'évaluations constante, notamment via les fameuses colles, mâtiné pour les plus sympas des profs par un minimum vital d'empathie et de psychologie un peu rugueuse. C'est très efficace sous certaines conditions que les profs de prépas sous-estimaient peut-être : des élèves sélectionnés et acceptant le système, arrivant avec des bases implicites, capables de se consacrer entièrement pendant deux ou trois ans aux études.

Aujourd'hui, j'interviens pour quelques heures dans une "petite" prépa de proximité, et ce système est bousculé parce que les prérequis ne sont plus là, c'est-à-dire qu'il n'y a plus la garantie qu'un élève de terminale même bien noté soit capable d'enchaîner sans tâtonner quelques lignes de calcul, ou de faire une phrase syntaxiquement correcte qui dépasse sujet-verbe-complément (il y a une lien profond entre grammaire et logique formelle). Cela dit, aucune méthode pédagogique miracle n'est non plus une solution contre cela, ce n'est pas la question. D'ailleurs le problème se pose déjà avant, par exemple lors de l'entrée en seconde.

Je garde de bon souvenir de la prépa pour le contenu des cours et ce que j'y ai appris en terme purement scientifique comme en terme de méthode, et à titre plus personnel parce que c'est une époque où je n'étais pas mécontent de prendre un peu de distance avec une situation familiale quelque peu lourde et chaotique pour aller vivre quelques années en internat. Pour le système, je ne le jette pas au orties sans nier ses limites, disons que j'en voyais déjà à l'époque les contraintes plus comme une nuisance nécessaire que comme un objet de vénération en soi.


dandelion a écrit:J’ai relu les Illusions perdues et Le père Goriot en arrivant à Paris et trouvé que, finalement, la technologie avait changé, sans que le reste ne change.
Ce qui était intéressant dans le reportage c’était qu’ils parlaient de la docilité comme d’une qualité. Or, apprendre c’est s’affranchir. Si nos élites sont à l’image des élèves de Stan, cela explique une partie de nos problèmes: pas de ‘thinking out of the box’ pour nous, mais la répétition shadokienne de choses qui ne marchent pas, mais qui sont traditionnelles. Puisque c’est comme ça, c’est que c’est bien, et en cas de doute, retournons donc vers le passé pour y trouver des solutions encore pires.

Je ne pense pas que le manque de capacité à innover ou se projeter vers l'avenir soit réellement le problème des anciens de Stanislas, cette opposition avec l'attachement au maintient d'une tradition me semble naïf. J'imagine que parmi les anciens de l'établissement, on trouvera sans difficulté quelques grands artistes, écrivains ou scientifiques, comme pour tout établissement dont on sort avec une bonne culture générale et de bonne bases de travail. Ainsi que quelques hommes politiques n'ayant que le terme réforme à la bouche.

(Bon, je viens de vérifier, parmi les anciens de Stan, il y a par exemple Patrick Eudeline, mais j'hésite un peu à le classer parmi les grands artistes et écrivains. Je sais, faut le connaître.)
Vieux_Mongol
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par Vieux_Mongol Sam 19 Oct - 16:15
Baldred a écrit:
La limite est sans doute là où @Lene75 @uneodyssée et toi la placez, il faut avoir de l'exigence, une forme de respect pour l'intelligence de l'autre. La position de pouvoir ne le favorise pas toujours, sans parler des abus.

Sans doute de respect simplement pour l'autre. Le problème c'est que parfois on croit parler de pédagogie alors que le coeur de la question réside dans le pouvoir et la domination.
Baldred
Baldred
Sage

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par Baldred Sam 19 Oct - 18:23
Vieux_Mongol a écrit:
Baldred a écrit:
La limite est sans doute là où @Lene75 @uneodyssée et toi la placez, il faut avoir de l'exigence, une forme de respect pour l'intelligence de l'autre. La position de pouvoir ne le favorise pas toujours, sans parler des abus.

Sans doute de respect simplement pour l'autre. Le problème c'est que parfois on croit parler de pédagogie alors que le coeur de la question réside dans le pouvoir et la domination.

veneration
C'est tellement vrai que ça mériterait un fil.

edit : et paf, je tombe là dessus :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/18/reinventer-l-autorite-a-l-ecole-une-rengaine-en-panne-de-modernite_6355328_3232.html
Un compte rendu dès que ce n'est plus samedi soir.


Dernière édition par Baldred le Sam 19 Oct - 18:45, édité 1 fois
Baldred
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Sage

Aux frontières du réel : le collège Stanislas - Page 30 Empty Re: Aux frontières du réel : le collège Stanislas

par Baldred Sam 19 Oct - 18:42
Prezbo a écrit:
Baldred a écrit:En ce qui concerne les profs, du primaire à  la 3e, j'ai eu la proportion habituelle je pense de tocards et de bons profs et même de très bons, ce qui était d'autant plus admirable que l'idée générale était que l'enfant était un truc pas fini, humainement incomplet, qu'il fallait usiner.
Je suis ensuite un produit de la fac, je ne sais pas si les prestigieuses prépas de Stan sont plus ou moins dures, si cela tient au vivier d'élèves "maison" ( on a vu comment ils contournent parcoursup avec le fils d'AOC), à  la qualité des profs, ou au "marche ou crève " des prépas en général.
Ma filleule a fait sa scolarité et sa prépa à H4. Pour le concours d'entrée à l"ENS elle n'avait qu un espoir, qu'un objectif : ne pas être la dernière, sinon : Terreur.
Ma question (sincère) est la suivante : vous qui sortez de Prépa. Quelle est la part de la pédagogie des profs dans votre réussite ?

Bonne question.

J'ai passé en 90 un bac C qui était nettement plus costaud qu'une spé maths actuelle, avec un programme qui n'avait pas perdu toute trace de l'influence bourbakiste, et un prof passionné qui m'a donné envie de faire des maths -il a d'ailleurs été nommé en prépa l'année suivante-. Ensuite, j'ai été refusé au lycée de Parc, j'ai donc intégré le lycée qui se trouvait juste en dessous dans la hiérarchie invariable des prépas scientifiques publiques de l'académie de Lyon.  A l'époque, on tapait directement dans le dur : une petite intro de logique formelle, puis l'intégralité de l'algèbre abstraite, dans l'ordre groupes anneaux et corps, avec un petit côté il faut avoir les bonnes base, avant de revenir à des choses plus concrètes. Certains élèves jusqu'ici bon scolairement en était brusquement perturbé, pour ma part cela a été une révélation du type mais c'est si simple, pourquoi ne m'a-t-on pas dit ça plus tôt. En revanche, c'était l'époque où régnait encore l'idée chez les profs de prépas -plutôt les masculins dans mon souvenir, pas chez la seule prof de manière scientifique femme que j'aie eu n'était pas trop dans ce registre-s qu'il fallait un peu enfoncer en engueuler les élèves pour qu'ils progressent.

Chez la plupart, cela ne dépassait pas un peu de folklore, matinée d'un minimum de sens psychologique qui les faisait parfois sentir quand il fallait ne pas aller trop loin et relâcher le pression sur une classe ou un individu -mais pas toujours assez de sens psychologique toutefois, j'ai vu des filles pleurer suite à des remarques qui étaient plus maladroites et mal dégrossies qu'intentionnellement blessantes, mais qui avait été douloureuses-. J'ai eu un prof de SPC en spé qui jouait à être odieux, défonçait à l'écrit et à l'oral les élèves pour un oui ou pour un non (un résultat non encadré, une copie mal numérotée) et se montrait d'un formalisme pointilleux en assumant explicitement qu'il s'agissait d'une manière de faire rentrer les exigences pour les concours. (Le discours, je caricature à peine, quand vous vous serez pris deux fois zéro parce que votre copie était mal numérotée, vous penserez à relire la numérotation). Comme j'étais assez tête de bois ça s'est très mal passé pendant environ un semestre avant que les choses se tassent, et qu'il mette de l'eau dans son vin après une RDV individuel. J'ai d'ailleurs fait le choix de redoubler en sachant que je l'aurai l'année suivant. J'ai pleinement conscience qu'il jouait à être odieux plus qu'il ne l'était réellement, mais je reste persuadé qu'on pouvait être exigeant sans en passer par là. Il était aussi vénéré par certains élèves qui jugeait que ce traitement les aidait pour les concours, mais le risque du syndrome de Stockholm n'est jamais loin.

Par contre, honnêtement, je ne pense pas avoir eu de profs pervers ou de gourou en herbe. Je vais peut-être être polémique, mais je me demande si les lettres et sciences humaines ne sont pas plus favorables à ce genre de profils, et s'ils ne sont justement pas nombreux chez les universitaires.

Par contre, pour revenir à ta question sur ce que m'a apporté la pédagogie des profs de prépa, ma première réponse serait rien parce qu'il n'y avait pas de pédagogie, en fait. Il y avait un système fait de programmes ambitieux et cohérents, de cours disciplinairement denses, de profs biens formés et investis, de rythme de travail démentiel et d'évaluations constante, notamment via les fameuses colles, mâtiné pour les plus sympas des profs par un minimum vital d'empathie et de psychologie un peu rugueuse. C'est très efficace sous certaines conditions que les profs de prépas sous-estimaient peut-être : des élèves sélectionnés et acceptant le système, arrivant avec des bases implicites, capables de se consacrer entièrement pendant deux ou trois ans aux études.

Aujourd'hui, j'interviens pour quelques heures dans une "petite" prépa de proximité, et ce système est bousculé parce que les prérequis ne sont plus là, c'est-à-dire qu'il n'y a plus la garantie qu'un élève de terminale même bien noté soit capable d'enchaîner sans tâtonner quelques lignes de calcul, ou de faire une phrase syntaxiquement correcte qui dépasse sujet-verbe-complément (il y a une lien profond entre grammaire et logique formelle). Cela dit, aucune méthode pédagogique miracle n'est non plus une solution contre cela, ce n'est pas la question. D'ailleurs le problème se pose déjà avant, par exemple lors de l'entrée en seconde.

Je garde de bon souvenir de la prépa pour le contenu des cours et ce que j'y ai appris en terme purement scientifique comme en terme de méthode, et à titre plus personnel parce que c'est une époque où je n'étais pas mécontent de prendre un peu de distance avec une situation familiale quelque peu lourde et chaotique pour aller vivre quelques années en internat. Pour le système, je ne le jette pas au orties sans nier ses limites, disons que j'en voyais déjà à l'époque les contraintes plus comme une nuisance nécessaire que comme un objet de vénération en soi.


dandelion a écrit:J’ai relu les Illusions perdues et Le père Goriot en arrivant à Paris et trouvé que, finalement, la technologie avait changé, sans que le reste ne change.
Ce qui était intéressant dans le reportage c’était qu’ils parlaient de la docilité comme d’une qualité. Or, apprendre c’est s’affranchir. Si nos élites sont à l’image des élèves de Stan, cela explique une partie de nos problèmes: pas de ‘thinking out of the box’ pour nous, mais la répétition shadokienne de choses qui ne marchent pas, mais qui sont traditionnelles. Puisque c’est comme ça, c’est que c’est bien, et en cas de doute, retournons donc vers le passé pour y trouver des solutions encore pires.

Je ne pense pas que le manque de capacité à innover ou se projeter vers l'avenir soit réellement le problème des anciens de Stanislas, cette opposition avec l'attachement au maintient d'une tradition me semble naïf. J'imagine que parmi les anciens de l'établissement, on trouvera sans difficulté quelques grands artistes, écrivains ou scientifiques, comme pour tout établissement dont on sort avec une bonne culture générale et de bonne bases de travail. Ainsi que quelques hommes politiques n'ayant que le terme réforme à la bouche.

(Bon, je viens de vérifier, parmi les anciens de Stan, il y a par exemple Patrick Eudeline, mais j'hésite un peu à le classer parmi les grands artistes et écrivains. Je sais, faut le connaître.)

Pour la différence entre Lettres/Sciences Humaines  et Sciences dites "dures", il me semble qu'en effet la tentation du gourou guette davantage les premiers. Les thèmes abordés en Lettres par exemple ne demandent pas uniquement une virtuosité technique, une agilité intellectuelle et une culture solide mais également une  "sensibilité" mot que je choisis volontairement vague tant il peut engager la personnalité dans ses émotions et ses affects. Maintenant, je pense que les abus de pouvoir sont transdiciplinaires.

Concernant le destin des anciens de Stan, il n'est pas, pour ce que j'en sais, particulièrement éblouissant pour un établissement qui recrute si bien. La liste est sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Catégorie:Élève_du_collège_Stanislas_de_Paris.
L'itinéraire De Patrick Eudeline reste assez atypique ainsi que celui des frères Bauer, le seul écrivain remarquable est Edouard Levé, mais il a fait d'abord l'ESSEC, l'honneur est donc sauf.
La puissance des anciens de Stan est sans doute ailleurs : empire immobilier, ou industriels, dirigeants et hauts cadres, banquiers, juristes, politiques, militaires, profs....
Aperçu par hasard
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par Aperçu par hasard Sam 19 Oct - 18:50
Il y a quand même Claude Simon, non?

Bon. Peut-être que vous considérez que ça ne compte pas parce qu'il n'y a fait que ses années de collège...
dandelion
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Aux frontières du réel : le collège Stanislas - Page 30 Empty Re: Aux frontières du réel : le collège Stanislas

par dandelion Sam 19 Oct - 19:38
Il y a tout de même De Gaulle, qui n’est certes pas un artiste, mais est connu au départ pour sa désobéissance. Bon, après, mai 68 tout ça tout ça.
epekeina.tes.ousias
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par epekeina.tes.ousias Sam 19 Oct - 19:48
Ce n'était pas plutôt au Collège de l'Immaculée-Conception — dont une partie des locaux a laissé la place au lycée autogéré de Paris, et l'autre à Assas ? Il me semblait qu'il n'avait fait qu'une année de prépa Saint-Cyr à Stanislas (mais cela fait un bail que je n'ai pas relu sa bio).

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Si tu vales valeo. Wink
dandelion
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par dandelion Sam 19 Oct - 23:16
Le reportage le désignait comme ancien élève, mais il n’y a en effet effectué qu’une année.
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