- roxanneOracle
Si peu..Solovieï a écrit:NLM76 a écrit:Je peine toujours à comprendre. Quel "cours" peut-on bien réciter ? Par exemple sur "émancipations créatrices" ? En fait ce que je crains, c'est que ce cours lui-même ne soit qu'un tissu de lieux communs et de sottises. Autrement dit, et plus positivement, je n'ai pas encore fait de cours sur "émancipations créatrices" — et d'abord parce que je ne connaissais pas encore suffisamment le recueil pour véritablement faire cours honnêtement sur l'ensemble, ensuite parce que ce concept me paraît a priori extrêmement loin de ce que je parviens à lire chez Rimbaud.
Alors, bien sûr, je vais parvenir à construire quelque chose, d'ici quelques semaines ; mais vraiment, pour apprendre à des élèves à réciter un cours dans une dissertation, je suis totalement incompétent. Je ne sais faire que tout le contraire — et encore, médiocrement.
Peu ou prou, c'est de cela dont il s'agit : on dicte ou déclame aux élèves une vague synthèse de lieux communs, faite de bric et de broc, glané à droite à gauche (dans les manuels, sur internet, ou dans des "annabac" et autres "analyses" sponsorisées ; dans l'appareil critique pour les plus érudits). Ces affirmations, sans être fondamentalement fausses (c'est parfois le cas), sont décorrélées des textes et de l'œuvre. D'ailleurs et bien souvent, ce "cours" agit comme une caution, dispensant de lire les textes. Les généralités et les simplismes y côtoient les formules grandiloquentes, des bancs de sophismes où barbotent paisiblement les étiquettes et les poncifs attendus...
Tout le monde est rassuré : il y a une "trace écrite" à apprendre par cœur et à réciter, on peut parier que, dans les grandes lignes (le diable n'est pas dans les détails, il est dans les grandes lignes), cela recoupera à peu près tout sujet de dissertation possible à l'examen.
J'entends bien que je puisse paraître méprisant et hautain en écrivant ainsi. J'ai probablement moi-même déclamé ce genre de cours ou de contenu, pour des raisons louables sur le moment : rassurer les élèves, les familles... et moi-même ! J'en ai toujours été gêné, conscient de l'inanité du geste. Parfois, je me demande si, comme le préconisent (préconisaient ?) certains vieux briscards, il ne faut pas plutôt revenir aux textes. Les laisser parler, infuser. S'y plonger, avec nos incompréhensions, avec leurs obstacles. Faire de la lecture un exercice, littéralement. De là, peut-être, une véritable réflexion personnelle peut s'amorcer. Tout cela sent l'utopie, je sais bien.
C'est l'indignation qui vocifère, ne prêtez pas trop attention à mes râleries. Je rêve d'une littérature et d'un enseignement de la littérature comme pratique, et non plus comme dissection ou cartographie.
Je renvoie à ton message, @NLM76, du 20 octobre 2022, que je trouve excellent :
https://www.neoprofs.org/t138508-methodologie-du-commentaire-litteraire-et-de-la-dissertation (milieu de page)
C'est surtout qu'on fait semblant de faire faire des exercices difficiles qu'on continue de nommer dissertation et commentaire littéraire et qui en sont de moins en moins.
Avec le temps qu'on a et le niveau des élèves actuels, l'équation est impossible. Alors, oui, on se raccroche aux branches pour rassurer les sérieux et ceux qui essaient. Mais, il vaudrait mieux arrêter l'hypocrisie. Appelons ça exercice de synthèse sur œuvre, (j'avais un truc comme ça à l'oral quand j'ai passé le bac) avec deux ou trois questions à développer et pareil pour le commentaire. Et je suis sure que débarrassés du carcan formaliste et méthodologique , les élèves pourraient éventuellement rédiger des choses intéressantes.
- AmaliahEmpereur
Solovieï a écrit:Concernant les œuvres appartenant au même siècle ou non, les textes (BO) sont très clairs, sans aucune interprétation possible : l'œuvre "cursive" choisie par le professeur doit être d'un siècle différent de l'œuvre "officielle" inscrite au programme. C'est écrit noir sur blanc, par conséquent, non, le professeur ne fait pas ce qu'il veut. On peut débattre longtemps de la pertinence de cette contrainte, là n'est pas la question. D'autant que la littérature est bien assez vaste pour ne pas se sentir limité par un tel caprice du programme.
@MARYNICO23 : L'argument de l'enfant lecteur ("mon fils, ma fille lit des tonnes de livres, mais n'aime pas les livres du cours de français !") est bien connu des enseignants. L'école n'a pas vocation à faire lire aux élèves "ce qu'ils aiment" ou ce que leurs parents estiment être "bons", mais à faire découvrir de nouvelles choses, de nouveaux usages, de nouvelles visions du monde et de nouvelles expériences humaines, car après tout lire, c'est bien se plonger dans l'esprit de quelqu'un d'autre. Par ailleurs, c'est précisément pour cela que j'estime que la littérature et son enseignement ont à voir avec la tolérance, l'ouverture d'esprit et le combat contre le nombrilisme et l'égotisme.
Cela ne veut pas dire que le professeur doit donner à lire des œuvres sans discernement, et surtout sans accompagnement. Encore une fois, la littérature est assez vaste pour qu'on puisse trouver des œuvres et auteurs adaptés à nos classes, de qualité littéraire sans pour autant apparaitre inaccessibles ou hermétiques aux élèves de bonne volonté qui voudront honnêtement les lire. C'est toute la difficulté du choix des œuvres et c'est toute l'utilité de ce forum, qui permet d'échanger à ce sujet, d'avoir les retours des collègues, etc.
Je sais pertinemment que la LC doit être d'un autre siècle que l'OI. Mais certains collègues ne respectent pas cette consigne comme le professeur de mon grand il y a trois ans, professeur formateur par ailleurs.
Pour les oeuvres, tu exprimes parfaitement bien l'enjeu de l'enseignement de la littérature. Je viens de donner Le Premier Homme de Camus à mes 3e, ce sera notre première OI. Aucun élève de 3e ne peut lire Camus d'une traite et revenir enchanté, même mes grands lecteurs qui ne lisent en fait que de la littérature jeunesse. Mais on va le lire ensemble petit à petit, on va entrer dans l’œuvre, pour la rentrée ils ont 15 pages à lire puis on va reprendre ensemble d'abord la particularité de cette oeuvre inachevée, le projet de Camus à partir des notes qu'il a écrites puis le récit de la naissance. cette étude en classe éclairera en partie l’œuvre et à la fin de l'étude, il leur en restera peut-être le souvenir d'une oeuvre ardue, qu'ils n'auraient pas lue seuls, mais, j'espère, la satisfaction et la fierté d'avoir lu cette oeuvre et quelques "faisceaux".
NLM76 a écrit: @Amaliah : je ne serais pas si enthousiaste que toi sur le fait qu'il n'y ait que 22 poèmes. Parmi les 22, il y en a peu qui ne soient horriblement difficiles. Après dix mois de travail, j'ai le sentiment de commencer à en maîtriser à peu près 16 sur les 22. Alors je n'attendrai pas des lycéens qu'ils soient à l'aise sur les 22, loin de là.
Bien sûr qu'ils ne peuvent pas être à l'aise sur les 22 poèmes, mais en tout cas ils peuvent les lire et les relire pour qu'ils leur soient familiers. Ils devraient les connaître mieux qu'ils ne connaîtraient Les Fleurs du Mal, recueil beaucoup plus long, par exemple.
Solovieï a écrit:Peu ou prou, c'est de cela dont il s'agit : on dicte ou déclame aux élèves une vague synthèse de lieux communs, faite de bric et de broc, glané à droite à gauche (dans les manuels, sur internet, ou dans des "annabac" et autres "analyses" sponsorisées ; dans l'appareil critique pour les plus érudits). Ces affirmations, sans être fondamentalement fausses (c'est parfois le cas), sont décorrélées des textes et de l'œuvre. D'ailleurs et bien souvent, ce "cours" agit comme une caution, dispensant de lire les textes. Les généralités et les simplismes y côtoient les formules grandiloquentes, des bancs de sophismes où barbotent paisiblement les étiquettes et les poncifs attendus...
Quand j'étais en Première L en 1994-1995, j'ai présenté 35 textes (nous avions eu le droit de barrer une séquence entière, nous étions en fait à 42 textes...) et 20 synthèses. Si mon professeur (à qui je voue une reconnaissance éternelle car mes savoirs fondamentaux viennent de cette année de Première) nous parlait des textes (et nous, nous grattions pendant des heures), puis nous distribuait des polycopiés avec le,commentaire sous forme de notes à apprendre, nous devions en revanche faire nos synthèses nous-mêmes. Je nous revois encore avec les textes sur la table en train de travailler, de bâtir des plans et de nous approprier véritablement les textes à ce moment-là.
MARYNICO23 a écrit:En classe primaire justement, cela fait déjà un bon moment que l on a compris ça: les élèves vont davantage progresser en parcourant et partageant en classe avec l enseignant tout un tas d œuvres variées durant l année , plutôt que de faire lire des livres suivies des très classiques « questions de compréhension » qui sont une perte de temps et n ont que bien peu d intérêt pédagogique
Disons que les enjeux au primaire ne sont pas les mêmes qu'au collège et au lycée et que les pratiques évoluent d'année en année.
roxanne a écrit:C'est surtout qu'on fait semblant de faire faire des exercices difficiles qu'on continue de nommer dissertation et commentaire littéraire et qui en sont de moins en moins.
Avec le temps qu'on a et le niveau des élèves actuels, l'équation est impossible. Alors, oui, on se raccroche aux branches pour rassurer les sérieux et ceux qui essaient. Mais, il vaudrait mieux arrêter l'hypocrisie. Appelons ça exercice de synthèse sur œuvre, (j'avais un truc comme ça à l'oral quand j'ai passé le bac) avec deux ou trois questions à développer et pareil pour le commentaire. Et je suis sure que débarrassés du carcan formaliste et méthodologique , les élèves pourraient éventuellement rédiger des choses intéressantes.
En Lettres, en Terminale, on avait deux questions de synthèses sur oeuvre et c'était effectivement un bon moyen de vérifier la lecture des textes.
En Première, c'était résumé voc discussion en sujet 1, puis commentaire, et enfin dissertation sur un sujet général, infaisable pour l'immense majorité des élèves, moi la première.
- SolovieïNiveau 10
@Amaliah : j'ai les mêmes souvenirs du français au lycée que toi, peut-être avec moins de textes (j'étais en S). Je me rappelle notamment cette démarche active et nécessaire de synthèse et de construction du sens. Cela ne nous choquait pas, et le français n'était clairement pas une matière prioritaire pour nous. De toute façon, nous n'avions pas vraiment cette vision de matières prioritaires et de matières mineures ou inférieures. Nous voulions être bons partout, et les matières où nous étions à notre avantage nous servaient, au mieux, à compenser les matières où nous étions en difficulté.
Quoi qu'il en soit, le passé est révolu. Aujourd'hui, nous sommes aux prises avec ce qui est bien une vaste fumisterie, une hypocrisie dans les termes, comme le soulignent @roxanne et @NLM76.
Si je décris en termes virulents des pratiques d'enseignement qui me semblent aujourd'hui absurdes, ce n'est pas pour condamner mes collègues. Mon travail quotidien, nourris de rencontres permanentes, me montre bien que chacun fait comme il peut pour atteindre un résultat qui satisfera tout le monde. Je n'échappe pas non plus à cela. D'ailleurs, j'ai souvent le sentiment de ne pas être un bon professeur, ce n'est pas de la fausse modestie : je me sens toujours démuni pour accomplir cette fonction d'intermédiaire entre les textes et la conscience ou la sensibilité des élèves. Je ne fais qu'essayer, alors que j'ai un public plutôt privilégié. Je n'ose imaginer pour les collègues dans d'autres contextes...
Quoi qu'il en soit, le passé est révolu. Aujourd'hui, nous sommes aux prises avec ce qui est bien une vaste fumisterie, une hypocrisie dans les termes, comme le soulignent @roxanne et @NLM76.
Si je décris en termes virulents des pratiques d'enseignement qui me semblent aujourd'hui absurdes, ce n'est pas pour condamner mes collègues. Mon travail quotidien, nourris de rencontres permanentes, me montre bien que chacun fait comme il peut pour atteindre un résultat qui satisfera tout le monde. Je n'échappe pas non plus à cela. D'ailleurs, j'ai souvent le sentiment de ne pas être un bon professeur, ce n'est pas de la fausse modestie : je me sens toujours démuni pour accomplir cette fonction d'intermédiaire entre les textes et la conscience ou la sensibilité des élèves. Je ne fais qu'essayer, alors que j'ai un public plutôt privilégié. Je n'ose imaginer pour les collègues dans d'autres contextes...
- NLM76Grand Maître
J'ai une question sur "Les effarés". Avant-dernier tercet (ou dernier sizain). Dans "Repliés vers cette lumière / Du ciel rouvert." Comment comprenez-vous "Du ciel rouvert" ? Pour moi, les enfants sont repliés vers le soupirail de la boulangerie qui dégage de la lumière, et le "ciel rouvert" se trouve vers le bas. Ou alors s'agit-il du repliement des culs, qui prépare le dernier tercet, pour en faire comme un blasphème ? Dans ce cas que signifie "rouvert" ? Dans le premier cas, je comprends que le ciel était fermé aux enfants miséreux, et qu'il semble se rouvrir à travers l'odeur du pain; dans le second cas, je ne vois pas trop pourquoi le ciel serait rouvert.
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- e-WandererGrand sage
Ta première hypothèse me semble la plus juste : le four à pain a été décrit comme source de vie ("quand ce trou chaud souffle la vie") au moment où sortent les pains et c'est aussi le moment où, concrètement, l'ouverture de sa porte fait voir de nouveau la lumière ("Repliés vers cette lumière / Du ciel rouvert"). Avec plusieurs lectures métaphoriques possibles :
– lecture chrétienne (voir Jean 8:12 : "De nouveau, Jésus parle à la foule. Il dit : « La lumière du monde, c’est moi. Si quelqu’un me suit, il ne marchera pas dans la nuit, mais il aura la lumière qui donne la vie. »", + l'Eucharistie avec le pain comme corps du Christ + les paroles ou le chant des enfants, "comme une prière"). Et tout ce qu'on peut en déduire : les pauvres enfants, figures tout à la fois de l'innocence, de la misère et de la foi, seront sauvés.
– Lecture prosaïque : le ciel, c'est aussi l'espoir des enfants d'accéder au bon repas qu'ils convoitent : l'ouverture du four ravive cet espoir, d'où le ciel rouvert. (avec du coup une belle superposition métaphorique : Le four > le ciel > l'espoir du repas). Peut-être aussi cette image du ciel est-elle aussi motivée par la forme en voûte du four à pain : Francis Ponge exploite aussi cette image. Dans cette lecture prosaïque, la prière peut simplement correspondre à l'expression de la convoitise des petits ventres affamés.
– pour prolonger cette interprétation prosaïque du réseau d'images : le "trou chaud qui donne la vie" évoque forcément aussi la matrice féminine, mais pas forcément dans une intention blasphématoire. Plutôt pour souligner aussi auprès des enfants l'absence de la présence maternelle qui puisse les réconforter et les réchauffer. C'est aussi comme ça que je lirais les "culs en rond" ou les "petits museaux roses", dans le sens d'un comique qui ne cherche pas tant à dégrader qu'à émouvoir et à rebondir vers la tendresse ou la pitié.
Je me demande aussi, si l'on suit la piste chrétienne, dans quelle mesure on n'aurait pas là un décalque inversé de l'hymne des trois enfants dans la fournaise, sauvés par leur foi. Tableau pitoyable des trois enfants jetés au feu, tableau pitoyable des cinq marmots jetés dans le froid. On chantait cet hymne le 17 décembre. Mais c'est sans doute aller un peu loin.
– lecture chrétienne (voir Jean 8:12 : "De nouveau, Jésus parle à la foule. Il dit : « La lumière du monde, c’est moi. Si quelqu’un me suit, il ne marchera pas dans la nuit, mais il aura la lumière qui donne la vie. »", + l'Eucharistie avec le pain comme corps du Christ + les paroles ou le chant des enfants, "comme une prière"). Et tout ce qu'on peut en déduire : les pauvres enfants, figures tout à la fois de l'innocence, de la misère et de la foi, seront sauvés.
– Lecture prosaïque : le ciel, c'est aussi l'espoir des enfants d'accéder au bon repas qu'ils convoitent : l'ouverture du four ravive cet espoir, d'où le ciel rouvert. (avec du coup une belle superposition métaphorique : Le four > le ciel > l'espoir du repas). Peut-être aussi cette image du ciel est-elle aussi motivée par la forme en voûte du four à pain : Francis Ponge exploite aussi cette image. Dans cette lecture prosaïque, la prière peut simplement correspondre à l'expression de la convoitise des petits ventres affamés.
– pour prolonger cette interprétation prosaïque du réseau d'images : le "trou chaud qui donne la vie" évoque forcément aussi la matrice féminine, mais pas forcément dans une intention blasphématoire. Plutôt pour souligner aussi auprès des enfants l'absence de la présence maternelle qui puisse les réconforter et les réchauffer. C'est aussi comme ça que je lirais les "culs en rond" ou les "petits museaux roses", dans le sens d'un comique qui ne cherche pas tant à dégrader qu'à émouvoir et à rebondir vers la tendresse ou la pitié.
Je me demande aussi, si l'on suit la piste chrétienne, dans quelle mesure on n'aurait pas là un décalque inversé de l'hymne des trois enfants dans la fournaise, sauvés par leur foi. Tableau pitoyable des trois enfants jetés au feu, tableau pitoyable des cinq marmots jetés dans le froid. On chantait cet hymne le 17 décembre. Mais c'est sans doute aller un peu loin.
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« Profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande muflerie du Nouveau Monde » (Huysmans)
- NLM76Grand Maître
Oui, tout à fait. Mais ce qui me semble essentiel ici, c'est que ce ciel-là se trouve en bas, et en plus lié à la fournaise. C'est un ciel très chthonien. Le renversement de la verticalité me paraît tout à fait saisissant. C'est à mettre en parallèle, me semble-t-il avec "Mais l'amour infini me montera dans l'âme" de "Sensation", où l'on a vu que l'amour "monte", en venant des pieds qui "[foulaient] l'herbe menue", c'est-à-dire de la terre. Le ciel et la terre (et même les profondeurs de la terre) ici se fondent par le renversement opéré.
D'autre part, il faut articuler cela avec le dernier tercet. Le repli "si fort" "vers cette lumière" d'en-bas donne à voir leurs "culottes [crevées]", et donc leur lange blanc. L'image finale donne à voir les culs quasi nus pointant vers le ciel d'en-haut — qui, lui, d'une certaine façon, est fermé.
Enfin, il est quand même essentiel de voir que ce ciel rouvert n'est qu'une tromperie : ils ne pourront pas manger de ce pain, comme les neveux de Jean Valjean, jusqu'à ce qu'il en volât. D'ailleurs, il me semble tout à fait inévitable de lire cette vignette comme une espèce d'extrait, voire de pastiche, tiré des Misérables (beaucoup plus que des "Pauvres gens").
D'autre part, il faut articuler cela avec le dernier tercet. Le repli "si fort" "vers cette lumière" d'en-bas donne à voir leurs "culottes [crevées]", et donc leur lange blanc. L'image finale donne à voir les culs quasi nus pointant vers le ciel d'en-haut — qui, lui, d'une certaine façon, est fermé.
Enfin, il est quand même essentiel de voir que ce ciel rouvert n'est qu'une tromperie : ils ne pourront pas manger de ce pain, comme les neveux de Jean Valjean, jusqu'à ce qu'il en volât. D'ailleurs, il me semble tout à fait inévitable de lire cette vignette comme une espèce d'extrait, voire de pastiche, tiré des Misérables (beaucoup plus que des "Pauvres gens").
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- e-WandererGrand sage
Oui, je suis d'accord avec tout ça.
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- NLM76Grand Maître
Bon ; j'ai le sentiment d'à peu près bien comprendre "Les effarés". Maintenant, "Bal des Pendus". Il me semble que l'une des clés du poème réside dans l'interprétation du nom de "Saladin", au pluriel, qui clôt le quatrain encadrant le poème. C'est la question qui se pose à la première lecture du poème : pourquoi les pendus seraient-ils des "Saladins" ? [J'ajouterais aussi que je suis étonné par l'absence d'article défini : j'attendrais, plutôt que "Les squelettes de Saladins", "Les squelettes des Saladins".]
Dès lors, je serais bien tenté par la lecture murphyenne, qui en fait, d'après ce que je comprends, encore une fois, une satire politique, à relier à "Rages de Césars" et à "Le mal". Vous voyez une autre possibilité ?
Dès lors, je serais bien tenté par la lecture murphyenne, qui en fait, d'après ce que je comprends, encore une fois, une satire politique, à relier à "Rages de Césars" et à "Le mal". Vous voyez une autre possibilité ?
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- NLM76Grand Maître
Bon. J'ai parcouru une édition scolaire des Cahiers de Douai, et, effectivement, sous "Emancipations créatrices", je n'ai trouvé que des fadaises. Sous le corrigé de dissertation, je n'ai trouvé que des façons de ne pas lire les poèmes...
Allez, foin de mauvaise foi : ce que j'ai lu m'aide à construire quelque chose d'intéressant, je crois, à problématiser en allant un peu au-delà du sempiternel "il brise les codes, mais pour pouvoir briser des codes, il faut bien qu'il y ait des codes" et du "oh là là, t'as vu comment il a surdisloqué l'alexandrin !".
Il me semble que dans "émancipations créatrices", il y a deux problèmes fondamentaux : tout d'abord, il s'agit de savoir qui s'émancipe et surtout de quoi - de l'enfance, de la famille, de la société, de soi, de la réalité, de la littérature ? - ; ensuite il s'agit de comprendre comment l'émancipation, c'est-à-dire la libération, le renversement de l'ordre peut être "créatrice", c'est-à-dire création d'un autre "ordre" : comment la destruction peut être construction - autrement dit, comme dirait le Camus de L'homme révolté, quel est le "oui" sur lequel s'appuie le "non". S'il y a création, c'est qu'il s'agit de construire. Mais pour appliquer cela aux Cahiers de Douai, il faudrait articuler cela au fait qu'il s'agit de poésie, c'est-à-dire, au sens étymologique, de fabrication, d'invention, que cette construction est fondamentalement construction poétique. Il faudrait en outre l'articuler aux trois thèmes fondamentaux du recueil : l'amour et le désir, la politique et la guerre, et quelque chose comme la théologie : le rapport à la transcendance, à l'idéal, au cosmique.
Allez, foin de mauvaise foi : ce que j'ai lu m'aide à construire quelque chose d'intéressant, je crois, à problématiser en allant un peu au-delà du sempiternel "il brise les codes, mais pour pouvoir briser des codes, il faut bien qu'il y ait des codes" et du "oh là là, t'as vu comment il a surdisloqué l'alexandrin !".
Il me semble que dans "émancipations créatrices", il y a deux problèmes fondamentaux : tout d'abord, il s'agit de savoir qui s'émancipe et surtout de quoi - de l'enfance, de la famille, de la société, de soi, de la réalité, de la littérature ? - ; ensuite il s'agit de comprendre comment l'émancipation, c'est-à-dire la libération, le renversement de l'ordre peut être "créatrice", c'est-à-dire création d'un autre "ordre" : comment la destruction peut être construction - autrement dit, comme dirait le Camus de L'homme révolté, quel est le "oui" sur lequel s'appuie le "non". S'il y a création, c'est qu'il s'agit de construire. Mais pour appliquer cela aux Cahiers de Douai, il faudrait articuler cela au fait qu'il s'agit de poésie, c'est-à-dire, au sens étymologique, de fabrication, d'invention, que cette construction est fondamentalement construction poétique. Il faudrait en outre l'articuler aux trois thèmes fondamentaux du recueil : l'amour et le désir, la politique et la guerre, et quelque chose comme la théologie : le rapport à la transcendance, à l'idéal, au cosmique.
- Spoiler:
- Mais revenons à nos moutons. Que pensez-vous des "Saladins" ? Et du fait que le gibet est "aimable" ?
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- SolovieïNiveau 10
Je lis ces "Saladins" comme un terme générique évoquant les chefs de guerre, les seigneurs ou les conquérants, ceux qui ont fait profession de la mort (ce qui rejoindrait Rages de Césars, oui). "Saladins" (qui est bien au pluriel) trouve d'ailleurs son pendant chrétien dans la même strophe avec les "paladins", issus de la chevalerie.
Il n'est pas exclu que Rimbaud ait simplement trouvé amusant de renvoyer dos-à-dos par la rime riche (quasiment une homophonie) un guerrier musulman (substantivé par l'emploi du pluriel) et un guerrier chrétien. Il y a chez Rimbaud un goût pour cette satire des idoles.
Dans le même ordre, on trouve plus tard dans le poème "ces capitans funèbres", association encore d'un grade ou d'une charge guerrière avec la mort, cette fois d'inspiration espagnole. On peut songer au Capitan de la Commedia, mais il n'y a pas de majuscule dans mon édition et je n'ai jamais croisé de note en ce sens.
Le poème semble en première lecture une variation de la ballade des pendus de Villon. D'ailleurs, le motif de la danse macabre pourrait constituer une entrée pédagogique pour l'exploitation en classe. En sus, on peut y lire une satire féroce des apparats et des prétentions militaires, et de tous les officiers ayant fait de la mort le fondement de leur prestige. C'est ainsi qu'on peut relever, outre les titres et grades : "Hop ! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse !" ; "Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées" ; "Des preux, raides, heurtant armures de carton". Tout cela est évidemment tourné en ridicule, sur un mode grotesque.
Le décor apocalyptique et coloré rappelle d'ailleurs les représentations esthétiques et cauchemardesques du champ de bataille : "Les loups vont répondant des forêts violettes : / À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...", sans oublier les orgues, qui reviennent deux fois : "Comme des orgues noirs" (pour les troncs creux des cadavres) et "Le gibet noir mugit comme un orgue de fer", l'orgue, par sa forme tubulaire et le son mystique qu'il produit, étant une métaphore du canon assez commune (qu'on songe aux "orgues de Staline"). Il ne serait pas surprenant de trouver chez Hugo mention des mêmes "orgues" fatals. D'ailleurs, je pense au poème 16 du livre IV des Contemplations, intitulé "Mors", et qui est la variation hugolienne de l'allégorie ancienne du squelette armé d'une faux. On y retrouve les vainqueurs mis à bas : "Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux / Tombaient ; elle changeait en désert Babylone / Le trône en l'échafaud et l'échafaud en trône".
Si les guerriers — ceux qui font économie de la mort — ne sont pas toujours présents (et même rarement, à ma connaissance) dans les représentations de danses macabres et autres totentanz médiévales (ou de la Renaissance), Rimbaud et Hugo semblent les avoir mobilisés pour donner à ce motif traditionnel une portée plus politique, ou disons engagée, à lire bien entendu à la lumière des événements fondateurs pour chacun des deux poètes : toute l'esthétique martiale chez Hugo se nourrit des guerres napoléoniennes, c'est dans leur sillage qu'il écrit, même tardivement (et c'est par ce mètre-étalon qu'il mesure et juge "Napoléon le petit"), tandis que pour Rimbaud, c'est évidemment 1870 et ses ronds-de-cuir empanachés qu'il a peut-être croisés sur les routes du nord, durant ses errances.
Il n'est pas exclu que Rimbaud ait simplement trouvé amusant de renvoyer dos-à-dos par la rime riche (quasiment une homophonie) un guerrier musulman (substantivé par l'emploi du pluriel) et un guerrier chrétien. Il y a chez Rimbaud un goût pour cette satire des idoles.
Dans le même ordre, on trouve plus tard dans le poème "ces capitans funèbres", association encore d'un grade ou d'une charge guerrière avec la mort, cette fois d'inspiration espagnole. On peut songer au Capitan de la Commedia, mais il n'y a pas de majuscule dans mon édition et je n'ai jamais croisé de note en ce sens.
Le poème semble en première lecture une variation de la ballade des pendus de Villon. D'ailleurs, le motif de la danse macabre pourrait constituer une entrée pédagogique pour l'exploitation en classe. En sus, on peut y lire une satire féroce des apparats et des prétentions militaires, et de tous les officiers ayant fait de la mort le fondement de leur prestige. C'est ainsi qu'on peut relever, outre les titres et grades : "Hop ! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse !" ; "Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées" ; "Des preux, raides, heurtant armures de carton". Tout cela est évidemment tourné en ridicule, sur un mode grotesque.
Le décor apocalyptique et coloré rappelle d'ailleurs les représentations esthétiques et cauchemardesques du champ de bataille : "Les loups vont répondant des forêts violettes : / À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...", sans oublier les orgues, qui reviennent deux fois : "Comme des orgues noirs" (pour les troncs creux des cadavres) et "Le gibet noir mugit comme un orgue de fer", l'orgue, par sa forme tubulaire et le son mystique qu'il produit, étant une métaphore du canon assez commune (qu'on songe aux "orgues de Staline"). Il ne serait pas surprenant de trouver chez Hugo mention des mêmes "orgues" fatals. D'ailleurs, je pense au poème 16 du livre IV des Contemplations, intitulé "Mors", et qui est la variation hugolienne de l'allégorie ancienne du squelette armé d'une faux. On y retrouve les vainqueurs mis à bas : "Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux / Tombaient ; elle changeait en désert Babylone / Le trône en l'échafaud et l'échafaud en trône".
Si les guerriers — ceux qui font économie de la mort — ne sont pas toujours présents (et même rarement, à ma connaissance) dans les représentations de danses macabres et autres totentanz médiévales (ou de la Renaissance), Rimbaud et Hugo semblent les avoir mobilisés pour donner à ce motif traditionnel une portée plus politique, ou disons engagée, à lire bien entendu à la lumière des événements fondateurs pour chacun des deux poètes : toute l'esthétique martiale chez Hugo se nourrit des guerres napoléoniennes, c'est dans leur sillage qu'il écrit, même tardivement (et c'est par ce mètre-étalon qu'il mesure et juge "Napoléon le petit"), tandis que pour Rimbaud, c'est évidemment 1870 et ses ronds-de-cuir empanachés qu'il a peut-être croisés sur les routes du nord, durant ses errances.
- NokhNiveau 4
"capitans" existe sous cette forme chez Hugo dans les Châtiments.
Moustier peut lier à Perceval, le paladin qui y trouve finalement refuge après avoir pris de son gros doigt la bague d'une vierge (irrécupérable).
La ballade des pendus, oui, mais également la ballade des seigneurs du temps jadis, qui ont disparus avec les neiges d'antan - la neige les ressucite ici sous la forme de pantins de théâtre. Je ne sais pas si il faut rapprocher Belzébuth de baal signifiant la parole pour faire de Bélzébuth le conteur, mais baal a bien donné une forme *bel- pour constituer le fameux belbeylen.
Quand aux Saladins, ce sont des têtes de maures (le jeu de mot affleure) qui répondent au cliché du capitan funèbre, leur danse pourrait être une allusions aux escarmouches que se firent Renaud de Châtillon et Saladin, à la fois funèbres et ridicules, sous couvert de religion mais pour l'argent et les territoires.
Bon le côté sexuel est évident, je développe pas - on peut encore y trouver une allusion à Villon si l'on veut avec le motif de la belle Heaulmière (qui vieillit et flétrit sur deux ballades), inversé puisque la maigre poitrine devient celle des hommes.
Moustier peut lier à Perceval, le paladin qui y trouve finalement refuge après avoir pris de son gros doigt la bague d'une vierge (irrécupérable).
La ballade des pendus, oui, mais également la ballade des seigneurs du temps jadis, qui ont disparus avec les neiges d'antan - la neige les ressucite ici sous la forme de pantins de théâtre. Je ne sais pas si il faut rapprocher Belzébuth de baal signifiant la parole pour faire de Bélzébuth le conteur, mais baal a bien donné une forme *bel- pour constituer le fameux belbeylen.
Quand aux Saladins, ce sont des têtes de maures (le jeu de mot affleure) qui répondent au cliché du capitan funèbre, leur danse pourrait être une allusions aux escarmouches que se firent Renaud de Châtillon et Saladin, à la fois funèbres et ridicules, sous couvert de religion mais pour l'argent et les territoires.
Bon le côté sexuel est évident, je développe pas - on peut encore y trouver une allusion à Villon si l'on veut avec le motif de la belle Heaulmière (qui vieillit et flétrit sur deux ballades), inversé puisque la maigre poitrine devient celle des hommes.
- NLM76Grand Maître
Autrement dit, les Saladins pourraient bien être des Napoléons ?
C'est-à-dire que dans l'épitaphe Villon, il y a un appel à la pitié pour les pendus, et des sarcasmes à l'égard des vivants bien-pensants ; alors que chez Rimbaud, il n'y a pas d'appel à la pitié, mais seulement des sarcasmes à l'égard de ces morts-là, que sont les paladins, les Saladins et les capitans ?
@Nokh : l'aspect sexuel est évident ? Il faut que je relise.
C'est-à-dire que dans l'épitaphe Villon, il y a un appel à la pitié pour les pendus, et des sarcasmes à l'égard des vivants bien-pensants ; alors que chez Rimbaud, il n'y a pas d'appel à la pitié, mais seulement des sarcasmes à l'égard de ces morts-là, que sont les paladins, les Saladins et les capitans ?
@Nokh : l'aspect sexuel est évident ? Il faut que je relise.
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- SolovieïNiveau 10
NLM76 a écrit:Autrement dit, les Saladins pourraient bien être des Napoléons ?
C'est-à-dire que dans l'épitaphe Villon, il y a un appel à la pitié pour les pendus, et des sarcasmes à l'égard des vivants bien-pensants ; alors que chez Rimbaud, il n'y a pas d'appel à la pitié, mais seulement des sarcasmes à l'égard de ces morts-là, que sont les paladins, les Saladins et les capitans ?
@Nokh : l'aspect sexuel est évident ? Il faut que je relise.
Oui, c'est ma lecture et là que je perçois une divergence, voire une opposition, à l'épitaphe Villon.
Pour l'aspect sexuel, je ne le nie pas, mais il ne m'a pas sauté aux yeux non plus et je ne saurais, en l'état, le justifier. On a bien ceci :
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
mais on trouve ensuite :
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Il n'y a plus rien à voir !
- NLM76Grand Maître
Donc, tu lirais aussi cela comme une diatribe contre les rois et empereurs tels Napoléon III, considérés comme des paladins du diable ? Le poète prendrait plaisir à les fantasmer morts et jouets du diables, à les représenter comme des sinistres pantins de la mort, ou plus précisément, du diable.
Saladin y serait un repoussoir : ceux qui se présentent comme des souverains chrétiens, des paladins, seraient l'envers de ce qu'ils prétendent.
Maintenant, j'ai des questions sur l'image de Saladin au XIXe siècle. Si, au Moyen Âge, il représente sans doute l'ennemi sanguinaire, au XIXe, ne lui accorde-t-on pas davantage les qualités que lui attribue le camp arabo-musulman : un grand homme d'État, un grand général, et un homme de guerre moins sanguinaire que ses adversaires croisés ?
Saladin y serait un repoussoir : ceux qui se présentent comme des souverains chrétiens, des paladins, seraient l'envers de ce qu'ils prétendent.
Maintenant, j'ai des questions sur l'image de Saladin au XIXe siècle. Si, au Moyen Âge, il représente sans doute l'ennemi sanguinaire, au XIXe, ne lui accorde-t-on pas davantage les qualités que lui attribue le camp arabo-musulman : un grand homme d'État, un grand général, et un homme de guerre moins sanguinaire que ses adversaires croisés ?
- SolovieïNiveau 10
Je ne vais peut-être pas jusqu'à cette inversion satanique des valeurs. Simplement renvoyer les faiseurs de guerre à leur état d'apprenti-cadavres, pour citer mon grand-père qui, militaire lui-même, s'exclamait ainsi devant les défilés. Autrement dit, les va-t'en-guerre se retrouvent ici cadavres grotesques et obscènes.
Saladin semble avoir bénéficié d'une renommée plutôt positive dès le XIIe s., probablement due au respect que lui témoigne son dernier adversaire, Richard Cœur-de-lion. On oppose souvent à Saladin la vilenie et les trahisons de Renaud de Châtillon. La postérité se confirme aux siècles suivants. Je vois bien Saladin en figure historique et romantique en vogue au XIXe, une sorte de précurseur de l'émir Abdelkader, dont Hugo s'était entiché, l'opposant à Napoléon III dans le poème "Orientale" des Châtiments. Napoléon III y est d'ailleurs nommé "César bandit".
Cela étant dit, je ne suis pas certain qu'il faille chercher du côté du "vrai" Saladin pour éclairer le poème de Rimbaud. J'ai lu le terme comme générique, mobilisé pour son homophonie peut-être avec paladin. Il aurait pu écrire, l'harmonie phonétique en moins : des charlemagnes, des guillaumes, des ney, des murats,... ou des césars !
À ceci près que la symétrie saladins/paladins lui permet de renvoyer dos-à-dos (ou face-à-face !) l'Orient et l'Occident, unis dans la commune barbarie de la guerre.
Ce n'est que mon humble lecture, à la lumière de ce que je crois capter de la sensibilité du poète et en essayant de ne pas trop surinterpréter.
Saladin semble avoir bénéficié d'une renommée plutôt positive dès le XIIe s., probablement due au respect que lui témoigne son dernier adversaire, Richard Cœur-de-lion. On oppose souvent à Saladin la vilenie et les trahisons de Renaud de Châtillon. La postérité se confirme aux siècles suivants. Je vois bien Saladin en figure historique et romantique en vogue au XIXe, une sorte de précurseur de l'émir Abdelkader, dont Hugo s'était entiché, l'opposant à Napoléon III dans le poème "Orientale" des Châtiments. Napoléon III y est d'ailleurs nommé "César bandit".
Cela étant dit, je ne suis pas certain qu'il faille chercher du côté du "vrai" Saladin pour éclairer le poème de Rimbaud. J'ai lu le terme comme générique, mobilisé pour son homophonie peut-être avec paladin. Il aurait pu écrire, l'harmonie phonétique en moins : des charlemagnes, des guillaumes, des ney, des murats,... ou des césars !
À ceci près que la symétrie saladins/paladins lui permet de renvoyer dos-à-dos (ou face-à-face !) l'Orient et l'Occident, unis dans la commune barbarie de la guerre.
Ce n'est que mon humble lecture, à la lumière de ce que je crois capter de la sensibilité du poète et en essayant de ne pas trop surinterpréter.
- NokhNiveau 4
A mon avis la phrase que tu cites, Soloviei, est à comprendre à la fois comme antiphrase (dénonciation de la guerre comme scandale) et comme satire (la forme que prend la sexualité étriquée bourgeoise est ridicule tout au long du Cahier de Douai). Le passage du gros doigt, du chapelet qui s'enfile sur la vertèbre, je vois pas comment ça peut être autre chose.
- SolovieïNiveau 10
Je suis d'accord pour la satire doublée d'une dénonciation. C'est ma lecture du poème entier depuis le début.
Pour le côté sexuel, cela m'est moins évident, mais j'y prêterai attention.
Pour le côté sexuel, cela m'est moins évident, mais j'y prêterai attention.
- NLM76Grand Maître
C'est bien la meilleure qualité d'une lecture d'être humble... et d'éviter les mésinterpréations. Tes précisions sur Saladin sont très importantes pour les éviter.Solovieï a écrit:Je ne vais peut-être pas jusqu'à cette inversion satanique des valeurs. Simplement renvoyer les faiseurs de guerre à leur état d'apprenti-cadavres, pour citer mon grand-père qui, militaire lui-même, s'exclamait ainsi devant les défilés. Autrement dit, les va-t'en-guerre se retrouvent ici cadavres grotesques et obscènes.
Saladin semble avoir bénéficié d'une renommée plutôt positive dès le XIIe s., probablement due au respect que lui témoigne son dernier adversaire, Richard Cœur-de-lion. On oppose souvent à Saladin la vilenie et les trahisons de Renaud de Châtillon. La postérité se confirme aux siècles suivants. Je vois bien Saladin en figure historique et romantique en vogue au XIXe, une sorte de précurseur de l'émir Abdelkader, dont Hugo s'était entiché, l'opposant à Napoléon III dans le poème "Orientale" des Châtiments. Napoléon III y est d'ailleurs nommé "César bandit".
Cela étant dit, je ne suis pas certain qu'il faille chercher du côté du "vrai" Saladin pour éclairer le poème de Rimbaud. J'ai lu le terme comme générique, mobilisé pour son homophonie peut-être avec paladin. Il aurait pu écrire, l'harmonie phonétique en moins : des charlemagnes, des guillaumes, des ney, des murats,... ou des césars !
À ceci près que la symétrie saladins/paladins lui permet de renvoyer dos-à-dos (ou face-à-face !) l'Orient et l'Occident, unis dans la commune barbarie de la guerre.
Ce n'est que mon humble lecture, à la lumière de ce que je crois capter de la sensibilité du poète et en essayant de ne pas trop surinterpréter.
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Une piste de réflexion : dans le quatrain concerné, il y a une ambiguïté sur le terme "Piqué" : il peut aussi bien s'appliquer au "tout petit chiffon" qu'à "On" (c'est à dire le poète).NLM76 a écrit:Ce foulard, ou cette semblance de foulard, est, ou semble piqué d'or...
Rimbaud a écrit:– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…
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Un peu tiré par les cheveux, mais pas inintéressant.The Paper a écrit:Une piste de réflexion : dans le quatrain concerné, il y a une ambiguïté sur le terme "Piqué" : il peut aussi bien s'appliquer au "tout petit chiffon" qu'à "On" (c'est à dire le poète).NLM76 a écrit:Ce foulard, ou cette semblance de foulard, est, ou semble piqué d'or...Rimbaud a écrit:– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
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- NLM76Grand Maître
Au fait; je vois ici et là considérer des poèmes de Cahiers de Douai comme "lyriques". J'en suis tout ébahi. Est-ce encore une fois l'effet "goulot d'étranglement" ? Je réduis une notion à une définition étroite, j'en extrais un ou deux mots, je vois qu'ils pourraient s'appliquer, et je dis "ben oui, j'ai des arguments" en faveur de mon énoncé délirant. En effet, je ne vois pas de poèmes lyriques ici ; bien sûr nombre de poèmes ont une tonalité érotique, mais ce n'est pas parce que ça parle d'amour que c'est "lyrique".
Ou me trompé-je ? Il y aurait des poèmes lyriques dans les Cahiers de Douai ?
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Les Reparties de Nina (avec le jeu sur la chute prosaïque, évidemment).
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- NLM76Grand Maître
Bah justement : du coup, ce n'est pas du tout lyrique, si ?
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- The PaperHabitué du forum
NLM76 a écrit:Bah justement : du coup, ce n'est pas du tout lyrique, si ?
Si on dit seulement qu'il est lyrique, c'est effectivement un problème. Mais on peut dire que c'est un texte ironique qui passe par l'utilisation du lyrisme.
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- AsterNiveau 6
Bonjour,
Je suis en train de préparer une lecture de "Première soirée", et je me demande quel sens donner, positif ou négatif, à deux expressions : "couleur de cire" et "sa tête mièvre",
Si quelqu'un.e veut dialoguer, c'est volontiers,
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Bonjour à tous
Littré m'a aidée pour l'adjectif "mièvre", quant à "couleur de cire" je l'ai passé sous silence,
Voici mon travail, j'espère ne pas avoir proposé d'énormité.s,
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