- NLM76Grand Maître
Super intéressant !Iphigénie a écrit:As-tu vu cet article?
https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1998_num_86_318_4621
Mais pour les silènes de l'antiquité ?
- RuthvenGuide spirituel
A ma connaissance, il n'y a qu'Alcibiade qui mentionne ces statues gigognes de silène.
Mais dans d'autres aires culturelles : https://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/figurine-gigogne
Mais dans d'autres aires culturelles : https://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/figurine-gigogne
- LeclochardEmpereur
e-Wanderer a écrit:Dans la dernière section, il manque sans doute une conjonction à la 2e ligne : un géant de fantaisie ET de démesure.
Sinon, c'est très clair comme présentation. Tu pourrais peut-être ajouter deux lignes sur la révolution du langage que porte Rabelais car c'est vraiment une dimension fondamentale de son œuvre (500 néologismes rien que dans Gargantua, si j'ai bonne mémoire !). Mireille Huchon fait pratiquement toute l'introduction (passionnante !) de son édition de la Pléiade sur cet aspect langagier (pas seulement parce qu'elle est stylisticienne et historienne de la langue : la réflexion méta-linguistique est omniprésente chez cet auteur, beaucoup plus nettement que chez Marguerite de Navarre par exemple, puisque tu la mentionnes). Ce n'est pas forcément la peine de développer beaucoup dans le cadre d'une première approche, mais il me semble important de signaler cette piste de réflexion.
Il y a une inventivité verbale extraordinaire.
J’ajoute, souvenir de fac, que Rabelais se force à écrire dans une langue avec des traits un peu archaïsants. Déjà à son époque, on n’écrit plus comme il le fait. Es-tu d’accord ?
J’ai adoré ce roman. C’était le premier roman qu’on a étudié à l’université. Un vrai choc. Je n’ose imaginer ce que ce va être pour les lycéens. Certains étaient dérangés par les références au corps, la dimension scatologique ou sexuelle.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- NLM76Grand Maître
Je pense que jamais personne n'a écrit comme Rabelais, ni avant, ni après. Il y a les traits archaïsants, il y a les latinismes et surtout les hellénismes, il y a l'invention verbale.Leclochard a écrit:
Il y a une inventivité verbale extraordinaire.
J’ajoute, souvenir de fac, que Rabelais se force à écrire dans une langue avec des traits un peu archaïsants. Déjà à son époque, on n’écrit plus comme il le fait. Es-tu d’accord ?
C'est vraiment une œuvre incroyable. Je viens de commencer ma première explication, et comme l'année dernière, j'en suis encore tout héberlué (allez, je garde la faute d'orthographe de l'h- initial : elle est bien rabelaisienne), tant je trouve ce bouquin fascinant... Peut-être d'ailleurs en partie à cause du fait que Rabelais appelle, exige l'interprétation, et que le travail interprétatif mené dans un cours de français prend ici pleinement son sens.
Quoi qu'il en soit, une telle épaisseur, avec tant de légèreté, une si moelleuse substance quintessentielle, c'est vraiment faramineusement stupéfiant.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- NLM76Grand Maître
Une affaire me turlupine. C'est l'histoire des "procédés d'écriture". Mes collègues me disent parfois qu'ils reconnaissent mes élèves parce qu'ils ne sont pas obsédés par ces dits procédés d'écriture. Mais jusque-là je m'imaginais que sous "procédés d'écriture", mes collègues ne voyaient pas forcément "figure de style" et autres notions pourvues d'étiquettes dûment répertoriées, qu'ils entendaient, naturellement, tous les moyens qui permettaient de produire des effets en littérature. Or plusieurs remarques de collègues me poussent à penser que certains pensent que sans "procédé" dûment répertorié et nommé, on fait de la paraphrase.
Diriez-vous donc qu'une analyse telle que celle qui suit, à propos de la première phrase du prologue de Gargantua, relève de la paraphrase, puisqu'aucun "procédé d'écriture" n'y est relevé ?
Diriez-vous donc qu'une analyse telle que celle qui suit, à propos de la première phrase du prologue de Gargantua, relève de la paraphrase, puisqu'aucun "procédé d'écriture" n'y est relevé ?
NLM76 a écrit: • Ce qui est très frappant d’abord dans cette première phrase, c’est la complexité extrême du propos, dans le bon sens du terme : il est complexe au sens étymologique : délicatement et harmonieusement plié dans une espèce de délicieux mille-feuilles d’érudition. Premier feuilletage : pour parler du livre Gargantua, Rabelais parle d’un autre livre : Le banquet, de Platon, œuvre du IVe siècle avant J.-C.• Deuxième feuilletage : ce livre de Platon fait parler un autre personnage historique, Alcibiade. Troisième feuilletage : Alcibiade parle d’un autre personnage historique, Socrate. Quatrième feuilletage : il ne parle de ce personnage qu’à travers le personnage de Silène, précepteur du dieu grec de l’ivresse, Dionysos. Cinquième feuilletage : Alcibiade ne parle de Silène qu’à travers les silènes, qui sont des petites statuettes, qui cachent, à l’intérieur d’elles-mêmes, sous leur écorce de Silène, la statuette d’un dieu. En somme, dès la première phrase du prologue Rabelais, sous couvert de maître Alcofribas Nasier, se fait, comme il l’avait annoncé dans le titre complet du roman, « abstracteur de quintessence », c'est-à-dire de cinquième essence - ou encore dévoileur des cinq voiles -, en donnant à voir, sous Gargantua, la figure d’un dieu, et en fait, comme on le verra, d’un dieu de sagesse.
- Spoiler:
◦ En réalité, une feuille supplémentaire du feuilletage est cachée entre ces deux feuilles : ce sont les Adages d’Érasme, l’un des principaux maîtres et modèles de Rabelais. Dans l’adage intitulé « Sīlēnī Alcibiadis » (« Les Silènes d’Alcibiade »), celui-ci décrit le silène Socrate de la façon suivante : « Si l’on estimait leur valeur à partir de, comme on dit, leur épiderme, on n’en aurait pas donné un kopeck : un visage rustaud, une silhouette taurine, des narines simiesques, pleines de morve. On aurait dit un bouffon bien lourd et ahuri : mal fagoté, un langage simplet, peuple et même vulgaire, etc. »[En fait, j'ai repris l'extrait proposé par Céard, Defaux et Simonin dans leur édition de Rabelais au Livre de Poche, mais à la lecture d'Érasme, on trouve d'autres passages qui évoquent plus précisément les statuettes, paraphrasant sans doute Platon, par exemple : «On dit en effet que les Silènes étaient des espèces de figurines fendues, et ainsi faites qu’on pouvait les ouvrir et le déplier, et qui, fermées, avaient l’aspect ridicule et monstrueux d’un joueur de flûte ; ouvertes, elles montraient d’un coup une divinité, de façon que la charmante illusion rendît plus plaisant encore l’art du sculpteur.»]
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- sinanNiveau 9
Ce n'est pas du tout de la paraphrase, c'est de l'analyse. Mais ce n'est pas une analyse "standard" : dans les classes on est plutôt habitué à faire observer aux élèves des "procédés", ici apostrophe provocatrice et paradoxale par exemple, comme point de départ du commentaire.
- IphigénieProphète
Le fond, la forme: on n’a jamais été très clairs en lettres sur ce qu’il y a à commenter. On dit : les deux mon général, mais bien souvent on fait l’un ou l’autre (et chez les élèves l’autre n’inclut à peu près jamais l’un)….
Pour ce qui est de ton analyse d’accord avec sinan: tu relèves un procédé, celui de « l’os à moelle » mais je ne sais pas s’il est répertorié- il faudrait l’ajouter aux listes
Pour ce qui est de ton analyse d’accord avec sinan: tu relèves un procédé, celui de « l’os à moelle » mais je ne sais pas s’il est répertorié- il faudrait l’ajouter aux listes
- NLM76Grand Maître
Nous sommes d'accord; mais ce que je pensais dans ma candeur, c'est que ce feuilletage, cette démultiplication de la parole et des figures était véritablement un "procédé", une façon d'écrire. Or je crains que certains refusent d'accorder à cette analyse un statut littéraire, dès lors que le "procédé" n'est pas listé dans un canon préétabli. Et quand tu dis qu'on relève d'abord des "procédés", je pense qu'on touche là à l'un des fourvoiements essentiels de notre méthode depuis la fin des années 1980. Commencer par le relevé des procédés conduit trop souvent — et je dirais même assez inéluctablement — à négliger d'une part le fond, et d'autre part les vraies particularités stylistiques du texte qu'on a sous les yeux.sinan a écrit:Ce n'est pas du tout de la paraphrase, c'est de l'analyse. Mais ce n'est pas une analyse "standard" : dans les classes on est plutôt habitué à faire observer aux élèves des "procédés", ici apostrophe provocatrice et paradoxale par exemple, comme point de départ du commentaire.
En outre, ce que je crains — à tort ? —, c'est que certains considèrent qu'une telle analyse est «de la paraphrase» puisqu'elle ne relève pas de «procédés» au sens étroit du terme.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- sinanNiveau 9
Personnellement, si un élève le jour de l'oral fournit une analyse telle, je suis très contente, car c'est intelligent et juste.
Cependant, ce n'est pas ainsi que je procède en classe : je pars d'éléments "descriptifs" du texte. Je trouve que c'est une méthode assez claire pour les élèves : c'est assez rassurant (pour les élèves sérieux et volontaires) de partir d'une observation. Toutefois, tu as tout à fait raison, cette première étape doit être absolument approfondie, elle n'est vraiment qu'initiale. Si les élèves s'en contentent, cela donne des commentaires sans intérêt.
Par ailleurs je n'ai pas trop d'idées sur l'histoire de la didactique du français en France. Moi je suis issue d'un autre enseignement (en Belgique) où tout cela n'existe pas : lorsque le professeur commentait un texte, il accumulait des remarques diverses, que l'on apprenait.
Cependant, ce n'est pas ainsi que je procède en classe : je pars d'éléments "descriptifs" du texte. Je trouve que c'est une méthode assez claire pour les élèves : c'est assez rassurant (pour les élèves sérieux et volontaires) de partir d'une observation. Toutefois, tu as tout à fait raison, cette première étape doit être absolument approfondie, elle n'est vraiment qu'initiale. Si les élèves s'en contentent, cela donne des commentaires sans intérêt.
Par ailleurs je n'ai pas trop d'idées sur l'histoire de la didactique du français en France. Moi je suis issue d'un autre enseignement (en Belgique) où tout cela n'existe pas : lorsque le professeur commentait un texte, il accumulait des remarques diverses, que l'on apprenait.
- e-WandererGrand sage
Ce n'est pas de la paraphrase, dès lors que tu apportes un supplément d'information en intercalant la référence érudite à Érasme et que tu proposes une direction d'analyse solide avec cette idée de "feuilletage" : il y a un véritable geste critique, puisque tu déplies et déploies ce qui est complexe. Je ne suis pas certain néanmoins que ce soit de la stylistique (mais la stylistique n'est pas l'alpha et l'oméga de l'analyse littéraire, c'est juste un biais : on peut, selon les textes ou son tempérament de lecteur, préférer d'autres approches comme l'histoire littéraire, les théories de l'imaginaire et la mythocritique, l'approche psychologisante, etc. Toutes ces méthodes ont leurs mérites et leur efficacité, ce serait dommage de s'imposer une méthode plutôt qu'une autre).NLM76 a écrit:Nous sommes d'accord; mais ce que je pensais dans ma candeur, c'est que ce feuilletage, cette démultiplication de la parole et des figures était véritablement un "procédé", une façon d'écrire. Or je crains que certains refusent d'accorder à cette analyse un statut littéraire, dès lors que le "procédé" n'est pas listé dans un canon préétabli. Et quand tu dis qu'on relève d'abord des "procédés", je pense qu'on touche là à l'un des fourvoiements essentiels de notre méthode depuis la fin des années 1980. Commencer par le relevé des procédés conduit trop souvent — et je dirais même assez inéluctablement — à négliger d'une part le fond, et d'autre part les vraies particularités stylistiques du texte qu'on a sous les yeux.sinan a écrit:Ce n'est pas du tout de la paraphrase, c'est de l'analyse. Mais ce n'est pas une analyse "standard" : dans les classes on est plutôt habitué à faire observer aux élèves des "procédés", ici apostrophe provocatrice et paradoxale par exemple, comme point de départ du commentaire.
En outre, ce que je crains — à tort ? —, c'est que certains considèrent qu'une telle analyse est «de la paraphrase» puisqu'elle ne relève pas de «procédés» au sens étroit du terme.
Dit autrement : selon son tempérament et le biais méthodologique envisagé, on peut organiser différemment les éléments d'analyse :
On peut partir, comme tu le fais, de l'histoire littéraire et de la philologie (avec Érasme qui t'oriente vers cette idée directrice de "feuilletage", puis ta propre approche étymologique du terme de complexité, qui ne figure pas dans la lettre du texte mais en synthétise parfaitement l'idée directrice) – et compléter par quelques micro-analyses de procédés qui augmentent la portée de ce que tu dis. Analyser par exemple l'apostrophe, comme mode d'implication du lecteur dans cette dynamique du feuilleté (vers l'amont, si je puis dire), ou vers l'aval, commenter les effets de liste (comme marque de la cornucopia érudite, avec la possibilité d'une démultiplication à l'infini de l'empilement de références).
Inversement, on peut partir de ces énumérations cornucopiennes, comme procédé de surface, et remonter vers le plus haut sens. En somme, dans le cas présent, tu préfères donner d'emblée l'idée directrice, on peut aussi la présenter comme point d'aboutissement de l'analyse. Ce qui me semble clair, c'est que la bonne stylistique doit rester interprétative, ce n'est pas une description sèche de procédés. Du reste, quand j'élabore un cours de stylistique sur un auteur que je ne connais pas, je lis non seulement les études techniques existantes (sur le genre, l'auteur, l'œuvre en question), mais aussi les grandes études d'histoire littéraire ou d'histoire des idées, histoire d'avoir un garde-fou et de ne pas m'aventurer dans des interprétations trop délirantes. Comme technicien et historien de la langue, je suis beaucoup moins érudit dans le domaine purement littéraire que mes collègues dont c'est le métier, donc je n'ai aucune honte à les lire pour avoir un semblant d'horizon interprétatif (quitte à le remettre en cause si, à la fin de mon enquête, je trouve des points qui méritent discussion).
D'autre part, c'est étonnant de réduire la stylistique à la description de cette "rhétorique restreinte" des figures. Beaucoup de phénomènes énonciatifs, de patrons syntaxiques, de traits d'histoire de la langue, de points de versification etc. peuvent fournir matière à une belle réflexions stylistique sans qu'il soit jamais question de figures !
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« Profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande muflerie du Nouveau Monde » (Huysmans)
- NLM76Grand Maître
Oui. Nous sommes bien d'accord sur à peu près tout.
Maintenant, je reviendrai un peu sur ce que tu disais, @sinan, sur la question "pédagogique". J'avais sans doute, il y a une quinzaine d'années, exactement la même position que toi : en gros, partir d'une micro-analyse de surface, même si cette micro-analyse peut être simplement l'interprétation du sens d'un mot, loin de toute recherche de "figure". C'était l'époque où j'ai essayé de faire les clf.
Mais je voyais bien qu'un reproche adressé à moi par un inspecteur était en bonne partie légitime : il me manquait une approche globale du texte et de sa signification, me disait-il. Or il me semble maintenant qu'on peut vraiment mener une partie de l'analyse en dehors de l'analyse purement stylistique, en gros basée sur le choix des mots effectués par l'auteur. D'une part, il faut absolument s'attarder sur la question de la dispositio, l'ordre dans lequel les idées sont présentées, ce que nous négligeons beaucoup trop, et peut se faire très méthodiquement, de façon très pédagogique.
D'autre part, et c'est mon propos ici, il faut s'attarder sur les idées exprimées, en quelque sorte sur l'inventio, alors que nous (surtout moi !) attachés à l'analyse de l'elocutio. Or commenter l'inventio, commenter les idées exprimées se fait, comme je le disais, méthodiquement :
Ensuite seulement je m'attaque à l'elocutio, en me demandant quel est l'intérêt d'exprimer cette idée non pas comme je l'ai paraphrasée, mais comme l'auteur l'a exprimé, avec les mots qu'il a choisis. [Et dans l'ordre qu'il a choisi, ce qui relève davantage de la dispositio].
Maintenant, je reviendrai un peu sur ce que tu disais, @sinan, sur la question "pédagogique". J'avais sans doute, il y a une quinzaine d'années, exactement la même position que toi : en gros, partir d'une micro-analyse de surface, même si cette micro-analyse peut être simplement l'interprétation du sens d'un mot, loin de toute recherche de "figure". C'était l'époque où j'ai essayé de faire les clf.
Mais je voyais bien qu'un reproche adressé à moi par un inspecteur était en bonne partie légitime : il me manquait une approche globale du texte et de sa signification, me disait-il. Or il me semble maintenant qu'on peut vraiment mener une partie de l'analyse en dehors de l'analyse purement stylistique, en gros basée sur le choix des mots effectués par l'auteur. D'une part, il faut absolument s'attarder sur la question de la dispositio, l'ordre dans lequel les idées sont présentées, ce que nous négligeons beaucoup trop, et peut se faire très méthodiquement, de façon très pédagogique.
D'autre part, et c'est mon propos ici, il faut s'attarder sur les idées exprimées, en quelque sorte sur l'inventio, alors que nous (surtout moi !) attachés à l'analyse de l'elocutio. Or commenter l'inventio, commenter les idées exprimées se fait, comme je le disais, méthodiquement :
- Je paraphrase le bout de texte dont il est question (ici la première phrase de notre extrait; mais cela peut être quelque chose de plus court ou de beaucoup plus long) aussi simplement que possible.
- Je commente l'intérêt de l'idée (ainsi simplifiée).
Ensuite seulement je m'attaque à l'elocutio, en me demandant quel est l'intérêt d'exprimer cette idée non pas comme je l'ai paraphrasée, mais comme l'auteur l'a exprimé, avec les mots qu'il a choisis. [Et dans l'ordre qu'il a choisi, ce qui relève davantage de la dispositio].
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- IphigénieProphète
Peut-être qu’au lieu de poser la question des méthodes, comme si nous étions en fac devant un public déjà formé de techniciens experts de la langue et de gens cultivés ( oui, je sais j’idéalise mais bref) nous devrions poser la question scolaire de la finalité, en nous demandant: qu’est-ce qu’un élève doit comprendre, admirer, retenir de ce texte, en quoi ce texte doit-il l’intéresser, le toucher, le faire réfléchir .on verrait là que ce n’est sans doute pas par le champ lexical ou la métaphore mais bien par ses idées, dont les figures ne sont que les outils: on admire le tableau même si on ne descend pas jusqu’à la marque du pinceau utilisé pour le peindre, même si ça peut être intéressant pour l’expert.
Peu importe ensuite la méthodologie suivie si on remplit ses intentions de départ. On passe bcp de temps avec les méthodologies et finalement très peu sur ce que les textes nous apportent.
Peu importe ensuite la méthodologie suivie si on remplit ses intentions de départ. On passe bcp de temps avec les méthodologies et finalement très peu sur ce que les textes nous apportent.
- sinanNiveau 9
Je plussoie totalement à cette remarque, Iphigénie. Je m'efforce d'en faire continuellement mon horizon pédagogique.
- NLM76Grand Maître
Oui c'est assez vrai. Mais quand même, il faut échapper à "Ce texte, il est 'achment bien, parce que Voltaire, il dit que la guerre c'est pas bien".
Autrement dit, ce qu'apporte un texte littéraire c'est toujours aussi le fait que l'idée y est présentée d'une manière particulière, et bien souvent, c'est la forme qui est le fond.
Autrement dit, ce qu'apporte un texte littéraire c'est toujours aussi le fait que l'idée y est présentée d'une manière particulière, et bien souvent, c'est la forme qui est le fond.
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- IphigénieProphète
Il est évident que les deux fonctionnent ensemble oui, mais à tout prendre scolairement parlant je crois que je privilégie la compréhension de l’idée sur le décryptage de la forme: les deux c’est mieux bien sûr, mais voir l’idée sans bien comprendre la forme me paraît moins grave que décrire la forme sans rien voir de l’idée, ce qui est finalement ce qui m’a le plus désespérée dans les copies les dernières années: on avait réussi à faire tenir un discours organisé aux élèves mais complètement creux.m, sans admiration ni plaisir ni utilité finalement.NLM76 a écrit:Oui c'est assez vrai. Mais quand même, il faut échapper à "Ce texte, il est 'achment bien, parce que Voltaire, il dit que la guerre c'est pas bien".
Autrement dit, ce qu'apporte un texte littéraire c'est toujours aussi le fait que l'idée y est présentée d'une manière particulière, et bien souvent, c'est la forme qui est le fond.
- NLM76Grand Maître
Encore une fois, j'essaie de rédiger les élucubrations que je raconte à mes élèves sur un texte. Cela me permet de la soumettre à votre douce mais intransigeante vigilance, de sorte que je puisse rebrousser chemin si je suis allé trop avant...
Si ce n'est pas délirant, je pense en revanche que cela peut en aider beaucoup : il faut pas mal de temps pour vraiment commencer à entendre ce que dit Rabelais, et je n'eusse pas été capable de produire une telle explication à trente ans, ni même encore l'année dernière : il a fallu que le texte mûrisse en moi.
Si ce n'est pas délirant, je pense en revanche que cela peut en aider beaucoup : il faut pas mal de temps pour vraiment commencer à entendre ce que dit Rabelais, et je n'eusse pas été capable de produire une telle explication à trente ans, ni même encore l'année dernière : il a fallu que le texte mûrisse en moi.
- https://www.lettresclassiques.fr/2023/03/07/buveurs-tres-illustres/
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- NLM76Grand Maître
J'ai déposé aussi une explication quasi rédigée de "L'abbaye de Thélème". Mon approche est sans doute plus "philosophique" que stylistique. Peut-être verrez-vous à travers ces notes pourquoi mes élèves interrogés sur Rabelais se voient souvent reprocher de faire de la paraphrase ?
- https://www.lettresclassiques.fr/2023/04/02/labbaye-de-theleme/
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- IllianeExpert
Bonjour à toutes et à tous,
Petite question (très) précise sur un passage du chapitre XL dans lequel toute la compagnie échange des propos plaisants autour de la taille du nez de frère Jean. Ce dernier finit le dialogue (après une allusion guère déguisée au sexe) sur ces paroles :
J'ai lu dans l'édition de la Pléiade que les rôties sont des tranches de pain grillé qu'on trempe dans du vin. Est-ce pour cette raison que frère Jean dit ne pas manger de confiture (en tant que bon "pantagruéliste", il tremperait tout le temps son pain dans le vin, donc pas de confiture dessus) ou y a-t-il un autre sens du mot/un autre sous-entendu qui m'échapperait ?
Merci par avance pour vos réponses !
Petite question (très) précise sur un passage du chapitre XL dans lequel toute la compagnie échange des propos plaisants autour de la taille du nez de frère Jean. Ce dernier finit le dialogue (après une allusion guère déguisée au sexe) sur ces paroles :
Frère Jean a écrit:Je ne mange jamais de confitures. Page, à la humerie (= beuverie). Item rôties.
J'ai lu dans l'édition de la Pléiade que les rôties sont des tranches de pain grillé qu'on trempe dans du vin. Est-ce pour cette raison que frère Jean dit ne pas manger de confiture (en tant que bon "pantagruéliste", il tremperait tout le temps son pain dans le vin, donc pas de confiture dessus) ou y a-t-il un autre sens du mot/un autre sous-entendu qui m'échapperait ?
Merci par avance pour vos réponses !
- SisypheHabitué du forum
Bonjour,
J'ai choisi de travailler sur le chapitre XII, les chevaux factices. Et je bute sur un passage. "Nous avons le moine' disent le maître d'hôtel et l'intendant fourrier quand ils voient que Gargantua leur présente des chevaux de bois. Je comprends bien que cette expression signifie : "nous avons été attrapés". Mais c'est la réponse de Gargantua qui me pose problème. Il répond : "Je ne vous crois pas, fit-il, il y a trois jours qu'il ne fut pas dans la maison". Gargantua prend l'expression figurée au sens propre. Mais pourquoi "trois jours" ? Le lien avec la mort et la résurrection du Christ me semble clair mais je ne vois pas le rapport avec l'épisode des chevaux factices. Quelqu'un peut-il m'éclairer ?
J'ai choisi de travailler sur le chapitre XII, les chevaux factices. Et je bute sur un passage. "Nous avons le moine' disent le maître d'hôtel et l'intendant fourrier quand ils voient que Gargantua leur présente des chevaux de bois. Je comprends bien que cette expression signifie : "nous avons été attrapés". Mais c'est la réponse de Gargantua qui me pose problème. Il répond : "Je ne vous crois pas, fit-il, il y a trois jours qu'il ne fut pas dans la maison". Gargantua prend l'expression figurée au sens propre. Mais pourquoi "trois jours" ? Le lien avec la mort et la résurrection du Christ me semble clair mais je ne vois pas le rapport avec l'épisode des chevaux factices. Quelqu'un peut-il m'éclairer ?
- NLM76Grand Maître
J'ai une nouvelle fois enregistré une explication "modèle" faite devant les élèves : il s'agit du massacre des Picrocholins par Frère Jean des Entomures. Encore une fois, j'ai été trop long. Mais certains de mes élèves ont l'air de trouver cela quand même utile. Je me demande quels conseils leur donner quant à la méthode : que peuvent-ils faire d'un tel enregistrement ? Je n'ai jamais étudié de cette façon, en utilisant un enregistrement "à imiter".
@Illiane, @Sisyphe : avez-vous trouvé des réponses à vos difficiles questions ?
- https://www.lettresclassiques.fr/2024/03/27/es-uns-escarbouillait-la-cervelle/
@Illiane, @Sisyphe : avez-vous trouvé des réponses à vos difficiles questions ?
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- HannibalHabitué du forum
Le moine c'est la toupie, et par analogie, une mauvaise farce consiste à "donner le moine" à qqn.
https://www.cnrtl.fr/definition/Moine
Le moine est ainsi mentionné dans la liste des jeux de Gargantua (chaop.22). - Mais apparemment il a égaré sa toupie.
Quant aux confitures, on les déguste à ce qu'il semble en fin de repas (au chap. 23 Gargantua et Ponocrate "parachèvent leur repas par quelque confection de cotoniat"). Frère Jean s'en passe peut-être en buveur qui ne veut pas corrompre le goût du vin.
Ou alors, si sa remarque est à relier à ce qui précède, il évoque sa mâle endurance. Voir le Littré : Homme à confitures, homme qui a besoin de reprendre des forces, de se réconforter. "Nous avons le cœur bon, et, dans nos aventures, Nous ne fûmes jamais hommes à confitures" (Corneille, suite du Menteur.)
Même la citation de Bernanos sur les "museaux à confiture" dans le Journal d'un curé de campagne irait dans le sens d'un manque de virilité ou de maturité de certains prêtres : « Au premier essai, sous prétexte que l’expérience du ministère dément leur petite jugeote, ils lâchent tout. Ce sont des museaux à confitures. Pas plus qu’un homme, une chrétienté ne se nourrit de confitures. Le bon Dieu n’a pas écrit que nous étions le miel de la terre, mon garçon, mais le sel »
En tout cas Frère Jean préfère selon toute vraisemblance les mots et les mets plutôt salés.
https://www.cnrtl.fr/definition/Moine
Le moine est ainsi mentionné dans la liste des jeux de Gargantua (chaop.22). - Mais apparemment il a égaré sa toupie.
Quant aux confitures, on les déguste à ce qu'il semble en fin de repas (au chap. 23 Gargantua et Ponocrate "parachèvent leur repas par quelque confection de cotoniat"). Frère Jean s'en passe peut-être en buveur qui ne veut pas corrompre le goût du vin.
Ou alors, si sa remarque est à relier à ce qui précède, il évoque sa mâle endurance. Voir le Littré : Homme à confitures, homme qui a besoin de reprendre des forces, de se réconforter. "Nous avons le cœur bon, et, dans nos aventures, Nous ne fûmes jamais hommes à confitures" (Corneille, suite du Menteur.)
Même la citation de Bernanos sur les "museaux à confiture" dans le Journal d'un curé de campagne irait dans le sens d'un manque de virilité ou de maturité de certains prêtres : « Au premier essai, sous prétexte que l’expérience du ministère dément leur petite jugeote, ils lâchent tout. Ce sont des museaux à confitures. Pas plus qu’un homme, une chrétienté ne se nourrit de confitures. Le bon Dieu n’a pas écrit que nous étions le miel de la terre, mon garçon, mais le sel »
En tout cas Frère Jean préfère selon toute vraisemblance les mots et les mets plutôt salés.
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"Quand la pierre tombe sur l'oeuf, malheur à l'oeuf.
Quand l'oeuf tombe sur la pierre, malheur à l'oeuf." (proverbe)
- NLM76Grand Maître
Merci @Hannibal ! C'est très intéressant.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- IllianeExpert
Oui, effectivement, merci @Hannibal ! Je m'étais effectivement fait la réflexion pour le goût du vin mais je ne connaissais pas l'expression sur l'homme à confitures, cela est tout à fait dans l'esprit de l'extrait !
- NLM76Grand Maître
Je repense, encore, à la question des procédés, au moment où nous étudions "Fais ce que voudras". J'ai fait une fiche de mon explication, et quand je la relis, je trouve vraiment peu de procédés". Peut-être une antithèse, et un parallélisme (que je ne note pas en tant que tel). Or je me souviens qu'un collègue avait reproché à l'un de mes élèves de n'avoir pas relevé de ces dits "procédés" dans son analyse. Aujourd'hui encore je suis dubitatif. Quels "procédés" analyseriez-vous dans ce texte ?
- Spoiler:
- En fait, il s'agit d'ajouter une pièce au dossier contre l'obligation de repérer des "procédés", qui semble faire l'unanimité chez les professeurs de lettres, et me semble être une des sources de nos malheurs.
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