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Firefly
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"Le métier de prof est-il encore possible ?" interview d'une prof qui démissionne - Page 6 Empty Re: "Le métier de prof est-il encore possible ?" interview d'une prof qui démissionne

par Firefly Mer 22 Juil 2020 - 8:26
Pour répondre à la question de comment on évalue un enseignant efficace et qui fait correctement son travail j'espère qu'on en viendra pas à la méthode américaine où les enseignants doivent donner un ordre de progression pour chaque élève du style, Jean-Oeude est au niveau A2- et il sera au niveau A2+ au prochain trimestre, suivi d'une réunion à la fin du trimestre avec le directeur de l'école ou un autre prof responsable qui regarde les tests, les cours et vérifie qu'on a tout fait pour qu'il y arrive. En Allemagne aussi il y a un peu ce genre de pratique avec le coordinateur qui doit vérifier le travail des collègues... :serge: (en mode ironie bien sûr)
Mat'him
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par Mat'him Mer 22 Juil 2020 - 9:25
beaverforever a écrit:Ce qui pose problème, c'est que les outils disponibles restent ceux du système pyramidal où l'on éliminait au fur et à mesure les mauvais élèves. Pour moi, un enseignant efficace utilise des outils qui favorisent l'inclusion de ces élèves difficiles à enseigner. On aurait alors un discours bien plus audible "Je sais comment faire progresser tous les élèves donc laissez-moi m'organiser et faire des modifications à faible coût du système éducatif, cela vous coûtera aussi cher, mais les élèves progresserons deux à quatre fois plus." Les discours qui blâment l'institution, les élèves, la société, les "pédagogistes" ou les collègues traîtres ont peut-être leur part de vérité, mais sont inaudibles, les discours qui mettent en avant l'efficacité professionnelle des enseignants me semblent beaucoup porteurs, difficiles à contrer et capable d'emporter l'adhésion de l'opinion publique.

Je trouve quand même qu'il y a une limite à ce qui est en gras à travers mon expérience personnelle : cette année j'avais en 6e un élève qui a suivi toute sa scolarité en Ulis à l'école primaire et dont les parents ont refusé l'ulis collège et fait suivre une 6e classique.
Et bien cet élève qui ne sait pas bien lire ni écrire n'a pas pu progresser cette année et je pense qu'il a moins progressé que s'il avait été en Ulis. Pour info j’accueille des élèves en inclusion d'Ulis mais en général il ont 14-15 ans, cela fait 2-3 ans qu'ils sont en ulis collège et leur enseignante me les propose en 6e donc je n'ai rien contre l'inclusion en général ni contre des élèves en difficulté.

En 5e j'avais aussi 3 élèves qui relèvent de Segpa (dossiers refusés par les familles en 6e) et un autre qui était en Segpa et dont la commission a dit qu'il dépendait de l'Ulis et dont les parents ont refusé le changement d'où le retour en 5e classique au milieu d'année.
Pour ces élèves dont les acquis sont inférieurs d'au moins à 3 ans ou 4 ans voire plus d'après les tests à ceux de leurs petits camarades je ne sais pas quels outils mettre en place afin de permettre qu'ils progressent et je n'aimerai pas être évalué en fonction des progrès de ces élèves.
Ce sont des situations que je n'avais pas il y encore 10 ans ou quand j'ai commencé (je me souviens de mon premier poste en REP+ où j'avais un seul élève qui dépendait de Segpa en 6e). L'institution en permettant aux parents de ne pas tenir compte de l'avis d'une commission et en permettant qu'ils soient avec des élèves qui ont des différences énormes ne peut pas ensuite se reposer sur les enseignants de ces classes qui sont hyper hétérogènes puissance 10 voire comme tu le proposes juger les enseignants à leurs progrès.
Dans des classes de 30, faire reposer les progrès de ces élèves avec de telles lacunes sur un enseignant cela me parait hasardeux. Ces élèves si les parents suivaient l'avis des commissions pourraient être dans 1 classe de 12 avec 1 enseignant + 1 Avs (Ulis) ou dans une classe de 15 en Segpa ce qui permet une meilleure individualisation voire une individualisation possible.
Elyas
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Esprit sacré

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par Elyas Mer 22 Juil 2020 - 9:32
De toute façon, faire une réforme de l'évaluation des enseignants ne peut passer que si on redonne les moyens pour toutes les missions ajoutées depuis 2005 et qui l'ont été sans moyens. Il faut aussi résoudre la paupérisation du métier. Il faut aussi rénover des tas de bahuts et équiper les professeurs comme des professionnels (téléphone et ordinateur professionnels fournis et renouveler périodiquement, la période étant un délai intelligent et non un délai monstrueux).

Là et seulement là, on pourra commencer à discuter efficacité des professeurs.
Isis39
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par Isis39 Mer 22 Juil 2020 - 9:38
Mat'him a écrit:
beaverforever a écrit:Ce qui pose problème, c'est que les outils disponibles restent ceux du système pyramidal où l'on éliminait au fur et à mesure les mauvais élèves. Pour moi, un enseignant efficace utilise des outils qui favorisent l'inclusion de ces élèves difficiles à enseigner. On aurait alors un discours bien plus audible "Je sais comment faire progresser tous les élèves donc laissez-moi m'organiser et faire des modifications à faible coût du système éducatif, cela vous coûtera aussi cher, mais les élèves progresserons deux à quatre fois plus." Les discours qui blâment l'institution, les élèves, la société, les "pédagogistes" ou les collègues traîtres ont peut-être leur part de vérité, mais sont inaudibles, les discours qui mettent en avant l'efficacité professionnelle des enseignants me semblent beaucoup porteurs, difficiles à contrer et capable d'emporter l'adhésion de l'opinion publique.

Je trouve quand même qu'il y a une limite à ce qui est en gras à travers mon expérience personnelle : cette année j'avais en 6e un élève qui a suivi toute sa scolarité en Ulis à l'école primaire et dont les parents ont refusé l'ulis collège et fait suivre une 6e classique.
Et bien cet élève qui ne sait pas bien lire ni écrire n'a pas pu progresser cette année et je pense qu'il a moins progressé que s'il avait été en Ulis. Pour info j’accueille des élèves en inclusion d'Ulis mais en général il ont 14-15 ans, cela fait 2-3 ans qu'ils sont en ulis collège et leur enseignante me les propose en 6e donc je n'ai rien contre l'inclusion en général ni contre des élèves en difficulté.

En 5e j'avais aussi 3 élèves qui relèvent de Segpa (dossiers refusés par les familles en 6e) et un autre qui était en Segpa et dont la commission a dit qu'il dépendait de l'Ulis et dont les parents ont refusé le changement d'où le retour en 5e classique au milieu d'année.
Pour ces élèves dont les acquis sont inférieurs d'au moins à 3 ans ou 4 ans voire plus d'après les tests à ceux de leurs petits camarades je ne sais pas quels outils mettre en place afin de permettre qu'ils progressent et je n'aimerai pas être évalué en fonction des progrès de ces élèves.
Ce sont des situations que je n'avais pas il y encore 10 ans ou quand j'ai commencé (je me souviens de mon premier poste en REP+ où j'avais un seul élève qui dépendait de Segpa en 6e). L'institution en permettant aux parents de ne pas tenir compte de l'avis d'une commission et en permettant qu'ils soient avec des élèves qui ont des différences énormes ne peut pas ensuite se reposer sur les enseignants de ces classes qui sont hyper hétérogènes puissance 10 voire comme tu le proposes juger les enseignants à leurs progrès.
Dans des classes de 30, faire reposer les progrès de ces élèves avec de telles lacunes sur un enseignant cela me parait hasardeux. Ces élèves si les parents suivaient l'avis des commissions pourraient être dans 1 classe de 12 avec 1 enseignant + 1 Avs (Ulis) ou dans une classe de 15 en Segpa ce qui permet une meilleure individualisation voire une individualisation possible.

Je partage totalement ton avis.
J'ai aussi des élèves refusés en SEGPA car ils relèvent de l'ULIS mais les parents refusent l'ULIS. Et des élèves relevant de SEGPA mais avec refus des parents.
Cela devient mission quasi-impossible tant les écarts deviennent trop importants.
Fires of Pompeii
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par Fires of Pompeii Mer 22 Juil 2020 - 9:45
Et puis pardon mais arrêtons deux secondes, quand je lis que le professeur doit "faire progresser" un élève, déjà c'est idiot : on donne les clefs, les méthodes, les contenus, on aide à assimiler, mais on ne fait pas progresser un élève. C'est lui qui progresse, en se saisissant des clefs, méthodes, contenus que nous lui donnons et que nous rendons "assimilables" en les organisant de la manière qui nous paraît adéquate. Mon boulot, c'est ça. Mais à un moment si l'élève ne se saisit pas de tout ça mon pouvoir finit par s'arrêter. Et puis "l'inclusion des élèves difficiles à enseigner (sic - mes yeux saignent), c'est pareil : sans moyens, avec des classes surchargées, des horaires réduits, c'est parfaitement utopique.

Et je ne parle même pas des élèves qui n'ont pas leur place dans une classe classique (car oui, il y en a, à qui on ne rend pas service en les laissant parmi les autres, parce qu'ils ont des besoins particuliers ou qu'ils sont violents ou que sais-je), on en revient aux  moyens et aux dispositifs spécialisés qui manquent.

Même dans des classes "classiques", on a des écarts énormes, et ce n'est pas un problème d'outils. On a trop d'élèves, et trop différents. Tu rajoutes un ordi et un blog, tu as toujours trop d'élèves trop différents les uns des autres en termes de niveau.

Alors ça suffit. Si on veut juger l'efficacité d'un pilote d'avion, on lui donne un Airbus qui fonctionne. On ne lui donne pas une mobylette en lui disant "vas-y, fais-la voler hein, si t'es un bon pilote ça marchera". Nous sommes les pilotes, et notre système scolaire est une mobylette. Au milieu on a les passagers, les élèves, qui doivent faire l'effort de monter sur la mobylette mais mince alors il n'y a pas de place. Et puis certains ne veulent pas/ne peuvent pas monter. Et on va râler contre le pilote.

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Je ne dirai qu'une chose : stulo plyme.
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Agrippina furiosa
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par Agrippina furiosa Mer 22 Juil 2020 - 9:47
D'accord avec vous. La lourdeur des effectifs fait aussi que si on veut faire avancer le groupe, on n'a ni le temps ni les moyens de prendre en charge ces élèves correctement, à moins de le faire bénévolement (je l'ai fait plus jeune, quand j'avais la foi, l'énergie et le temps, mais c'est terminé ). Et on nous le reproche en nous culpabilisant sur notre immobilisme, notre élitisme, notre absence d'empathie et j'en oublie. Marre. Je suis assez d'accord avec Elaina : faire notre part du travail, c'est normal, on est payé pour ça, mais exiger que l'on pallie les déficiences des élèves, des familles ou de notre institution, là, ce n'est plus normal.
ylm
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par ylm Mer 22 Juil 2020 - 9:50
Elyas a écrit:De toute façon, faire une réforme de l'évaluation des enseignants ne peut passer que si on redonne les moyens pour toutes les missions ajoutées depuis 2005 et qui l'ont été sans moyens. Il faut aussi résoudre la paupérisation du métier. Il faut aussi rénover des tas de bahuts et équiper les professeurs comme des professionnels (téléphone et ordinateur professionnels fournis et renouveler périodiquement, la période étant un délai intelligent et non un délai monstrueux).

Là et seulement là, on pourra commencer à discuter efficacité des professeurs.
La seule réforme de l'évaluation des enseignants qui serait valable, selon moi, serait de la supprimer purement et simplement. Ça ne sert à rien.

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The life of man, solitary, poor, nasty, brutish and short.
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Elyas
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par Elyas Mer 22 Juil 2020 - 9:50
Pourtant, les gamins handicapés ne sont pas responsables de la situation et, comme on est trop bons (donc trop bip), on ne les abandonne pas... et on culpabilise.
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par Elyas Mer 22 Juil 2020 - 9:52
ylm a écrit:
Elyas a écrit:De toute façon, faire une réforme de l'évaluation des enseignants ne peut passer que si on redonne les moyens pour toutes les missions ajoutées depuis 2005 et qui l'ont été sans moyens. Il faut aussi résoudre la paupérisation du métier. Il faut aussi rénover des tas de bahuts et équiper les professeurs comme des professionnels (téléphone et ordinateur professionnels fournis et renouveler périodiquement, la période étant un délai intelligent et non un délai monstrueux).

Là et seulement là, on pourra commencer à discuter efficacité des professeurs.
La seule réforme de l'évaluation des enseignants qui serait valable, selon moi, serait de la supprimer purement et simplement. Ça ne sert à rien.

Je pense comme toi. Pour moi, il faut juste donner les moyens d'un accompagnement et de la formation ainsi que des moments de débat professionnel entre pairs (comme au Japon si je ne m'égare pas). Il y a tout de même nécessité démocratique d'un contrôle de ce qui se fait en classe de temps en temps.
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Agrippina furiosa
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par Agrippina furiosa Mer 22 Juil 2020 - 9:55
Elyas, je ne dis pas qu'ils sont responsables, je considère juste que si leurs parents s'acharnent à refuser des dispositifs plus adaptés,  je ne vois pas trop en quoi c'est à nous de porter la responsabilité de l'échec  (ou l'absence de progression ) de l'élève. Je trouve que c'est un peu trop facile.


Dernière édition par Agrippina furiosa le Mer 22 Juil 2020 - 9:56, édité 1 fois
Rendash
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par Rendash Mer 22 Juil 2020 - 9:56
Elyas a écrit:Il y a tout de même nécessité démocratique d'un contrôle de ce qui se fait en classe de temps en temps.

Si les inspecteurs inspectaient et vérifiaient que l'on se conforme aux programmes, plutôt qu'à un dogme en vigueur, ça serait leur rôle.

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"Ce serait un bien bel homme s’il n’était pas laid ; il est grand, bâti en Hercule, mais a un teint africain ; des yeux vifs, pleins d’esprit à la vérité, mais qui annoncent toujours la susceptibilité, l’inquiétude ou la rancune, lui donnent un peu l’air féroce, plus facile à être mis en colère qu’en gaieté. Il rit peu, mais il fait rire. [...] Il est sensible et reconnaissant ; mais pour peu qu’on lui déplaise, il est méchant, hargneux et détestable."
Shajar
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par Shajar Mer 22 Juil 2020 - 9:59
Ha@_x a écrit:
Pour en revenir au sujet, est-il bien pertinent d'avoir cette discussion ?
On fait tous un métier que l'on aime bien, voire beaucoup, énormément, à la folie... Sinon, beaucoup auraient arrêté. On est mal payés, tout le monde est d'accord. Pas considérés, tout le monde le sait (ou savait même avant d'entrer dans le métier Very Happy ). Et c'est pas près de s'améliorer.
Par contre, la collation des grades, entre collègues, ne fait pas partie de nos missions.... :sourit: , nos élèves, normalement, suffisent...
Non. Je déteste mon métier. Je cherche à le fuir par tous les moyens possibles, mais avec un doctorat en histoire de l'art, trouver du boulot, c'est mission impossible. Un salaire d'agrégé n'a rien de négligeable, il est meilleur que celui d'autres cadres A dans la culture, et il donne à manger tous les jours et une sécurité de l'emploi. Donc je reste et j'écris des lettres de motiv et des CV qui seront refusés partout.

Je déteste mon métier non pas en raison de sa nature : enseigner et transmettre, c'est un plaisir, je l'ai fait dans des cadres divers avec beaucoup de bonheur. Je le déteste simplement car je ne suis pas en mesure de l'exercer correctement dans le cadre que l'on me fournit. Je le déteste car je suis incapable de faire progresser les élèves que j'ai en face de moi. Parce que ces mêmes élèves sont contraints et forcés d'être là et n'ont qu'une envie : s'enfuir après la sonnerie. Parce que chaque heure de cours est un combat et une tension pour qu'ils se taisent, se mettent au travail, écoutent, écrivent, ne s'insultent pas, ne se battent pas. Parce que la dernière fois que j'ai exclu des élèves en retard, on me les a remontés et on m'a dit en sus que la vie scolaire en avait 750 à gérer à ce moment-là, hein, pas 36. Parce qu'arrivant en seconde sans savoir lire des chiffres romains, placer les océans ou comprendre ce qu'est un siècle, et surtout sans être capable de comprendre un texte simple, une inversion du sujet ou une négation, sans savoir écrire une phrase grammaticalement correcte, il ne sont pas en mesure de s'approprier le contenu que je dois leur faire passer. Parce que les programmes me demandent d'analyser le concept de guerre d'après Clausewitz quand mes terminales sont incapables de me situer chronologiquement Napoléon ou la Première Guerre Mondiale, et encore plus de m'en faire un résumé. Parce qu'il faut faire les programmes, coûte que coûte, à cause du bac à la fin, et au milieu, et l'année d'avant. Parce que je suis démunie quand il s'agit de les noter, de leur enseigner, je n'ai pas les techniques, je n'ai pas suffisamment d'expérience, je patauge, je n'ai jamais appris à enseigner. Parce que la région a trouvé intelligent de me doter de manuels numériques que je ne peux pas utiliser en classe. Parce que le conseil supérieur des programmes a trouvé spirituel d'ajouter deux thèmes en 1re techno mais pas d'heures en plus. Parce que de toute manière, on remontera leurs notes pour qu'ils aient le bac, on les fera passer dans la classe supérieure, parce qu'on n'est pas là pour leur apprendre, mais pour gérer des flux de jeunes gens qui chaque année prennent un an de plus, et qu'il faut laisser de la place aux nouveaux. Parce que ce métier n'a pas de sens. Parce que l'institution se fout totalement de savoir que mes élèves sortent sans savoir lire, il faut qu'ils sortent, avec un joli diplôme, et baste s'ils se cassent la gueule par la suite.

Cette haine de mon métier, elle ne se voit pas au quotidien. Je fais partie des profs besogneux et méprisables qui passent dix heures devant un écran pour préparer leurs cours car ils ne savent pas s'organiser, de ceux qui passent leurs vacances à bosser 6 jours par semaine pour tenter de comprendre quelque chose à la gestion de la forêt française depuis Colbert, parce que les connaissances sur la grande ordonnance de 1669 ne leur arrivent pas en marchant. Bref, des profs qui tentent de prendre leur métier au sérieux parce qu'ils ne peuvent pas "se détacher" quand ils sont face à des élèves qui leur en demandent beaucoup, et qui sont en droit de le faire.
Ce métier me fait souffrir et je ne rêve que d'une chose, le quitter le plus vite possible. On ne peut pas aimer un métier qui vous fait du mal.
Mais quand je lis vos témoignages, vos appels à en faire le moins possible pour le salaire, à utiliser le manuel et basta, vos "25h par semaine 36 semaines dans l'année", ce sont autant de coups de poignard.


Dernière édition par Shajar le Mer 22 Juil 2020 - 10:24, édité 1 fois
ylm
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par ylm Mer 22 Juil 2020 - 10:00
Shajar a écrit:Mais quand je lis vos témoignages, vos appels à en faire le moins possible pour le salaire, à utiliser le manuel et basta, vos "25h par semaine 36 semaines dans l'année", ce sont autant de coups de poignard.
Il n'y en a pas beaucoup qui disent ça ici.

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par Elyas Mer 22 Juil 2020 - 10:01
Agrippina furiosa a écrit:Elyas, je ne dis pas qu'ils sont responsables, je considère juste que si leurs parents s'acharnent à refuser des dispositifs plus adaptés,  je ne vois pas trop en quoi c'est à nous de porter la responsabilité de l'échec  (ou l'absence de progression ) de l'élève. Je trouve que c'est un peu trop facile.

Ah mais je suis d'accord. Le souci est que nous, souvent, culpabilisons parce que nous sommes en première ligne alors que la faute n'est pas nôtre.


Si les inspecteurs inspectaient et vérifiaient que l'on se conforme aux programmes, plutôt qu'à un dogme en vigueur, ça serait leur rôle.

Tous les inspecteurs ou certains ? Il faudrait peut-être arrêter la généralisation, non ? Sinon, le contrôle du respecte des programmes et des missions est effectivement ce que j'entendais en écrivant.
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Cath
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par Cath Mer 22 Juil 2020 - 10:02
@Shajar
Oh. C'est très touchant ce que tu écris. C'est ce que je pense dans mes mauvais jours (sauf que je ne suis pas agrégée et que j'ai 53 ans). Courage à toi.
(Faire des vacations dans le supérieur, pour t’aérer l'esprit ?)
Isis39
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par Isis39 Mer 22 Juil 2020 - 10:10
Elyas a écrit:
Agrippina furiosa a écrit:Elyas, je ne dis pas qu'ils sont responsables, je considère juste que si leurs parents s'acharnent à refuser des dispositifs plus adaptés,  je ne vois pas trop en quoi c'est à nous de porter la responsabilité de l'échec  (ou l'absence de progression ) de l'élève. Je trouve que c'est un peu trop facile.

Ah mais je suis d'accord. Le souci est que nous, souvent, culpabilisons parce que nous sommes en première ligne alors que la faute n'est pas nôtre.

C'est pour cela que je suis très en colère contre l'institution. On "vend" au public l'inclusion des enfants handicapés et de l'autre côté on ne nous donne aucun moyen, voire on nous en enlève d'année en année.
Et qui se retrouve avec les parents de ces enfants ? Qui se retrouve en situation de culpabilisation car il ne peut pas s'occuper de ces enfants comme ils le mériteraient ? Qui se voit critiquer dans les média quand on ose critiquer et dénoncer la situation ?
Et j'en veux aussi aux commissions qui refusent en SEGPA les enfants qui relèvent de l'ULIS et qui les laisse donc en classe "classique" avec une grande souffrance.
nc33
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par nc33 Mer 22 Juil 2020 - 10:17
Mat'him a écrit:Tu as raison mais cela rejoint aussi la réalité, à savoir que beaucoup d'enseignants font des HSA (la grande majorité) que ce soit voulu ou non d'ailleurs car on peut nous en imposer.
J'ai été surpris du fait que gloabement 24 % n'en font pas (voir pourcentages visibles sur l'image de cet article ) et que ce pourcentage a même tendance à diminuer.
Quand l'établissement n'en propose pas, il faut bien s'en passer.

Elyas a écrit:Nous sommes une profession soumise au devoir d'obéissance, ne jamais oublier cela. Nous sommes des gens en mission. L'accomplissement de la mission est vitale. Après, certains collègues pensent vivre leur profession comme une profession libérale, sans doute parce qu'ils ont une image des professions libérales fausse et qu'ils oublient le devoir d'obéissance.
Cela semble te chagriner.
Sur un forum où le salaire préoccupe beaucoup de monde, je trouverais normal de lire des appels à moins d'implication/projets dans l'établissement, mais aussi à limiter autant que possible l'influence de la hiérarchie et de l'institution sur nos pratiques.

Pour les collègues investis d'une Mission, tant qu'ils mutent en REP(+), cela me va.
Elyas
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Esprit sacré

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par Elyas Mer 22 Juil 2020 - 10:20
nc33 a écrit:

Elyas a écrit:Nous sommes une profession soumise au devoir d'obéissance, ne jamais oublier cela. Nous sommes des gens en mission. L'accomplissement de la mission est vitale. Après, certains collègues pensent vivre leur profession comme une profession libérale, sans doute parce qu'ils ont une image des professions libérales fausse et qu'ils oublient le devoir d'obéissance.
Cela semble te chagriner.
Sur un forum où le salaire préoccupe beaucoup de monde, je trouverais normal de lire des appels à moins d'implication/projets dans l'établissement, mais aussi à limiter autant que possible l'influence de la hiérarchie et de l'institution sur nos pratiques.

Pour les collègues investis d'une Mission, tant qu'ils mutent en REP(+), cela me va.

Euh... être ponctuel, respecter les programmes, faire nos heures inscrites dans nos VS et aller aux réunions statutaires, c'est ça nos missions. Les projets ne sont pas dans nos missions. Tu interprètes mes propos, pour le coup.
nc33
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par nc33 Mer 22 Juil 2020 - 10:36
Elyas a écrit:
nc33 a écrit:

Elyas a écrit:Nous sommes une profession soumise au devoir d'obéissance, ne jamais oublier cela. Nous sommes des gens en mission. L'accomplissement de la mission est vitale. Après, certains collègues pensent vivre leur profession comme une profession libérale, sans doute parce qu'ils ont une image des professions libérales fausse et qu'ils oublient le devoir d'obéissance.
Cela semble te chagriner.
Sur un forum où le salaire préoccupe beaucoup de monde, je trouverais normal de lire des appels à moins d'implication/projets dans l'établissement, mais aussi à limiter autant que possible l'influence de la hiérarchie et de l'institution sur nos pratiques.

Pour les collègues investis d'une Mission, tant qu'ils mutent en REP(+), cela me va.

Euh... être ponctuel, respecter les programmes, faire nos heures inscrites dans nos VS et aller aux réunions statutaires, c'est ça nos missions. Les projets ne sont pas dans nos missions. Tu interprètes mes propos, pour le coup.
Tant mieux si j'ai mal compris. Je n'ai néanmoins rien contre le fait que les élèves voient des choses qui n'auraient pas du disparaître des programmes à cause des réformes récentes. Pour les réunions qui ne sont pas sur des heures de cours, même en cas de convocation, je pense pouvoir me passer de tout ce qui n'est pas : pré-rentrée, conseils de classe, JPO, réunion parents/profs, un conseil d'enseignement de fin d'année, trucs liés aux exams.
Rendash
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Bon génie

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par Rendash Mer 22 Juil 2020 - 10:44
Shajar a écrit:Je fais partie des profs besogneux et méprisables qui passent dix heures devant un écran pour préparer leurs cours car ils ne savent pas s'organiser, de ceux qui passent leurs vacances à bosser 6 jours par semaine pour tenter de comprendre quelque chose à la gestion de la forêt française depuis Colbert, parce que les connaissances sur la grande ordonnance de 1669 ne leur arrivent pas en marchant. Bref, des profs qui tentent de prendre leur métier au sérieux parce qu'ils ne peuvent pas "se détacher" quand ils sont face à des élèves qui leur en demandent beaucoup, et qui sont en droit de le faire.


"Le métier de prof est-il encore possible ?" interview d'une prof qui démissionne - Page 6 2252222100


Elyas a écrit:
Tous les inspecteurs ou certains ? Il faudrait peut-être arrêter la généralisation, non ? Sinon, le contrôle du respecte des programmes et des missions est effectivement ce que j'entendais en écrivant.

Les inspecteurs au sens large, pas individuellement. C'est un fait qu'ils inspectent de moins en moins, et envoient de plus en plus des chargés de mission le faire à leur place (tu es bien placé pour le savoir, je crois) ; et on a un ou deux témoignages qui montrent que la conformité aux programmes ne suffit pas. La grille d'évaluation des enseignants est suffisamment parlante, et suffisamment désastreuse, sur ce point. Je parle du concept même d'inspecteur, pas de cas particuliers. J'admets très volontiers qu'il y a de très bons IPR, je dis simplement que ce qu'on leur demande n'est pas (plus) vraiment compatible avec ce que toi et moi en attendons.

Pour cesser la généralisation, il faut un exemple plus précis ; je vais donc donner mon cas particulier (en spoiler vu que ça n'intéressera pas tout le monde) :

Spoiler:

Donc, en reprenant la généralisation : si les IPR inspectaient (régulièrement, pas une fois tous les dix ans ou en envoyant des chargés de mission) pour vérifier la conformité aux programmes et les connaissances disciplinaires, alors ce contrôle serait exercé correctement. Pour le professionnalisme (présence, ponctualité, capacité à remplir ses missions quotidiennes), le CDE est là.
Mais entre les courroies de transmission que sont devenus les premiers, et les « premiers pédagogues de l'établissement » que se croient parfois être les seconds, on n'en suit pas le chemin.

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"Ce serait un bien bel homme s’il n’était pas laid ; il est grand, bâti en Hercule, mais a un teint africain ; des yeux vifs, pleins d’esprit à la vérité, mais qui annoncent toujours la susceptibilité, l’inquiétude ou la rancune, lui donnent un peu l’air féroce, plus facile à être mis en colère qu’en gaieté. Il rit peu, mais il fait rire. [...] Il est sensible et reconnaissant ; mais pour peu qu’on lui déplaise, il est méchant, hargneux et détestable."
Rendash
Rendash
Bon génie

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par Rendash Mer 22 Juil 2020 - 10:47
Elyas a écrit:
nc33 a écrit:

Elyas a écrit:Nous sommes une profession soumise au devoir d'obéissance, ne jamais oublier cela. Nous sommes des gens en mission. L'accomplissement de la mission est vitale. Après, certains collègues pensent vivre leur profession comme une profession libérale, sans doute parce qu'ils ont une image des professions libérales fausse et qu'ils oublient le devoir d'obéissance.
Cela semble te chagriner.
Sur un forum où le salaire préoccupe beaucoup de monde, je trouverais normal de lire des appels à moins d'implication/projets dans l'établissement, mais aussi à limiter autant que possible l'influence de la hiérarchie et de l'institution sur nos pratiques.

Pour les collègues investis d'une Mission, tant qu'ils mutent en REP(+), cela me va.

Euh... être ponctuel, respecter les programmes, faire nos heures inscrites dans nos VS et aller aux réunions statutaires, c'est ça nos missions. Les projets ne sont pas dans nos missions. Tu interprètes mes propos, pour le coup.

Là, on tombe d'accord, derechef.
Et ce devrait être l'unique contrôle exercé par les IPR & CDE. L'unique.

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"Ce serait un bien bel homme s’il n’était pas laid ; il est grand, bâti en Hercule, mais a un teint africain ; des yeux vifs, pleins d’esprit à la vérité, mais qui annoncent toujours la susceptibilité, l’inquiétude ou la rancune, lui donnent un peu l’air féroce, plus facile à être mis en colère qu’en gaieté. Il rit peu, mais il fait rire. [...] Il est sensible et reconnaissant ; mais pour peu qu’on lui déplaise, il est méchant, hargneux et détestable."
beaverforever
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Neoprof expérimenté

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par beaverforever Mer 22 Juil 2020 - 11:03
Mat'him a écrit:Je trouve quand même qu'il y a une limite à ce qui est en gras à travers mon expérience personnelle : cette année j'avais en 6e un élève qui a suivi toute sa scolarité en Ulis à l'école primaire et dont les parents ont refusé l'ulis collège et fait suivre une 6e classique.
Je ne précise pas systématiquement, mais quand j'écris "L'enseignant doit faire progresser les élèves.", je sous-entend "en moyenne" et "pour la plus grande majorité des élèves". Je sais bien qu'il y a des cas extrêmes où il est très difficile de faire progresser certains élèves.

Ce que je veux dire, c'est qu'on pourrait déjà améliorer les conditions de travail et la progression de beaucoup d'élèves par des changements simples et peu coûteux.
Bien sûr que ces changements impliquent une transformation du système éducatif, que l'amélioration ne peut venir uniquement des enseignants. Je dis juste qu'un discours du type "Les enseignants ne seront efficaces qu'après la réforme du système" a moins de chance d'être entendu qu'un discours du type "C'est parce que les enseignants sont très efficaces qu'il faut réformer le système en prenant en compte leurs demandes". Aujourd'hui, les réformes se font contre les enseignants parce que beaucoup pensent que les enseignants sont inefficaces, ne veulent pas s'améliorer, s'opposent à tout changement, ne veulent pas travailler...

J'ai quand même l'impression que les enseignants et les décideurs de l'école tournent en rond dans une porte tambour et que chacun dit à l'autre "Arrête de pousser" ou "Mais c'est toi qui pousse". Alors qu'il faudrait enlever la porte.
Leclochard
Leclochard
Empereur

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par Leclochard Mer 22 Juil 2020 - 13:49
Fires of Pompeii a écrit:Et puis pardon mais arrêtons deux secondes, quand je lis que le professeur doit "faire progresser" un élève, déjà c'est idiot : on donne les clefs, les méthodes, les contenus, on aide à assimiler, mais on ne fait pas progresser un élève. C'est lui qui progresse, en se saisissant des clefs, méthodes, contenus que nous lui donnons et que nous rendons "assimilables" en les organisant de la manière qui nous paraît adéquate. Mon boulot, c'est ça. Mais à un moment si l'élève ne se saisit pas de tout ça mon pouvoir finit par s'arrêter. Et puis "l'inclusion des élèves difficiles à enseigner (sic - mes yeux saignent), c'est pareil : sans moyens, avec des classes surchargées, des horaires réduits, c'est parfaitement utopique.

Et je ne parle même pas des élèves qui n'ont pas leur place dans une classe classique (car oui, il y en a, à qui on ne rend pas service en les laissant parmi les autres, parce qu'ils ont des besoins particuliers ou qu'ils sont violents ou que sais-je), on en revient aux  moyens et aux dispositifs spécialisés qui manquent.

Même dans des classes "classiques", on a des écarts énormes, et ce n'est pas un problème d'outils. On a trop d'élèves, et trop différents. Tu rajoutes un ordi et un blog, tu as toujours trop d'élèves trop différents les uns des autres en termes de niveau.

Alors ça suffit. Si on veut juger l'efficacité d'un pilote d'avion, on lui donne un Airbus qui fonctionne. On ne lui donne pas une mobylette en lui disant "vas-y, fais-la voler hein, si t'es un bon pilote ça marchera". Nous sommes les pilotes, et notre système scolaire est une mobylette. Au milieu on a les passagers, les élèves, qui doivent faire l'effort de monter sur la mobylette mais mince alors il n'y a pas de place. Et puis certains ne veulent pas/ne peuvent pas monter. Et on va râler contre le pilote.

J'aurais plutôt fait une comparaison avec la médecine. J'essaye de soigner l'ignorance de mes élèves. Le souci principal, c'est tous ne suivent pas mes prescriptions. Imaginez que les malades ne respectent pas les soins qu'on leur propose, que les remèdes ne soient pas les meilleurs mais que l'institution les impose aux docteurs et qu'on vienne ensuite leur reprocher les échecs...

Sinon, je trouve intéressants vos échanges concernant le travail du professeur d'histoire. Je n'ai pas les compétences pour juger le degré de préparation nécessaire. Lorsque j'ai débuté, j'ai croisé un collègue très cultivé et passionné qui me disait qu'on devait continuer à s'informer, que les connaissances évoluaient et qu'on ne pouvait pas faire le même cours vingt ans de suite sur Napoléon ou la Première Guerre mondiale. Il faisait une lecture très critique des manuels. J'ai tendance à lui faire confiance.

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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
Elyas
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par Elyas Mer 22 Juil 2020 - 13:50
Ton collègue a totalement raison. Là, dernièrement, c'est tout le champs de la Préhistoire, de la Proto-Histoire et du début de l'Histoire qu'on a dû remettre à jour quasi tous les ans si on voulait suivre le rythme des découvertes et synthèses scientifiques consensuelles.
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par Invité Mer 22 Juil 2020 - 13:53
Bonjour,
Cette rentrée devrait être la dernière avec des classes en charge, puis ce sera la retraite.
Je comprends le découragement des uns, mais me réjouis de l’optimisme des autres. J’ai commencé une carrière en entreprise, puis me suis dirigé vers l’ Education Nationale, en collège.
Sans faire un CV de trente pages, je peux dire en pèle mêle :
- C’est un beau métier avec d’énormes responsabilités sur le devenir des jeunes,
- En tant que professeur, J’ai aussi eu le bonheur de pouvoir suivre mes propres enfants,
- Ce n’est pas le salaire qui pose le problème essentiel, mais le travail inutile qu’on nous demande, le manque de courage de l’institution pour maintenir une rigueur et de l’ordre dans les établissements, la malhonnêteté dans la com. , l’incapacité de gérer une cohésion dans le management, le carriérisme des uns et des autres …,
- On n’est pas obligé de travailler 60 heures par semaine en s’organisant et en organisant mieux ; un jour j’ai dit à une CDE que je ne comprenais pas comment des enseignants pouvaient accumuler tant d’ HS sans que ça ne nuise à la qualité et à la relation avec les élèves, elle m’a répondu « j’ai vu des enseignants qui le font très bien », depuis « je m’organise différemment »,
- Ceux qui m’auront déçu auront été les adultes (pas tous évidemment), mais pas les jeunes en devenir, bien que très durs parfois,
- J’ai du être rigoureux sur mon hygiène de vie afin d’être en forme et tenir bon, face aux élèves, face aux adultes, (pas de bringue en semaine, un peu de sport, du chant …),
- Les moments inoubliables sont surtout des moments liés à des projets avec les élèves, interdisciplinaire quand c’était possible,
- La hiérarchie, CDE et IPR, devrait conserver une classe en charge comme c’est le cas dans d’autres pays, ils seraient ainsi moins déconnectés et ne postuleraient plus pour fuir les élèves (c’est hélas le cas de certains),

Je comprends les collègues qui s’interrogent car pour peu que vous ayez de l’empathie, pour peu que le mot « bienveillance » ait encore une signification pour vous, il y a ou y’ aura des moments de grande solitude.

Mes inquiétudes vont au devenir du système qui a déjà bien commencé sa transformation, en résumé :
- De plus en plus de contractuels mal payés,
- Une inclusion totale avec moins de moyens,
- Une hiérarchisation entièrement verticale puisque difficultés de cohésion par l’institution,
- Un discours de communication malhonnête à l’encontre de tout le monde,
- …

Je pense avoir traversé ma carrière avec une certaine droiture (une parfaite droiture n’est possible que par la médiatrice d’un segment ), j’ai pris des positions en défendant des droits, des élèves, des adultes, des principes. Ca m’a valu, là aussi, des moments de grande solitude.
J’ai aussi eu de la chance, ma vie personnelle et ma santé m’ont soutenu, permettant ainsi d’affronter l’institution quand il le fallait.

Dans un an j’aurai le temps de développer.
Elaïna
Elaïna
Devin

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par Elaïna Mer 22 Juil 2020 - 14:35
Shajar, ça me serre le coeur de te lire. Mais vraiment.
Après je pense qu'il y a plusieurs choses à bien distinguer :
- le contenu qu'on veut/peut faire passer
- nos goûts/notre capacité de travail/notre organisation personnelle.
- les goûts et capacités de nos élèves
- les programmes.

Personnellement, j'adhère assez peu au discours "faut pas faire confiance aux manuels, y'a plein de trucs faux dedans". Oui bon. J'ai jamais vu de manuel qui disait que la première guerre mondiale commençait en 1913. Dans les comités qui font les manuels, il y a quand même des gens sérieux qui travaillent.
En outre, il y a les programmes et les capacités de nos élèves. Moi franchement j'ai arrêté de croire que je pouvais les mettre tous à la pointe de l'évolution historiographique. Cette année, je me suis moitié engueulée avec un collègue qui me reprochait de parler encore de camps de concentration/extermination aux élèves et que gnagnagna on dit plus ça, il a passé l'été à lire des ouvrages là-dessus. Franchement, ça m'agace (et, in petto, j'irais même jusqu'à dire que ça me fait un peu pitié, parce que je suis pisse-vinaigre). Honnêtement, qu'est-ce qui m'importe dans mon boulot au quotidien ? Moi, c'est que les élèves sachent ce qu'est Auschwitz/Treblinka/Mauthausen, ce qui s'y est passé vraiment.
La nomenclature, ça me faisait déjà suer quand je faisais ma thèse, ça me fait tout autant suer maintenant. Les mecs qui chicanent sur un mot au lieu de décrire une réalité, non, définitivement, c'est pas mon truc (et je me suis déjà engueulée en colloque avec une fille qui m'a alpaguée parce que j'avais parlé de "frange sociale" au lieu de je ne sais plus quel terme - si je me souviens bien, elle voulait que je me positionne entre catégorie sociale et catégorie socio professionnelle, elle n'a RIEN écouté de mon exposé mais a fait suer dix minutes sur UN terme et a estimé que TOUT mon travail était merdique à cause de ce terme). Ben là, le collègue qui me saoule sur "nan mais aujourd'hui il faut dire ça comme ça", objectivement, je m'en cogne. Je veux dire, c'est cool pour lui s'il a passé trois semaines sur des bouquins sur le sujet (qu'à titre personnel je fuis comme la peste), mais en termes de rentabilité pour le boulot, je pense qu'il a perdu son temps (j'ai bien dit je pense, mais je ne le dis pas, c'est son problème et je ne vais pas faire la maligne sur ce point).
Mes élèves se contrefoutent, objectivement, de la pointe de la science historique. Evidemment, je ne dis pas qu'il ne faut pas se mettre à jour régulièrement (sans blague). Et ça prend du temps. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue nos objectifs. Typiquement, dans le cas de la spé histoire géo, je pense par exemple au chapitre sur l'empire ottoman : moi, dans mon prétendu "lycée d'élite", si à la fin de l'année les élèves ont retenu qu'il ya eu un empire ottoman, où c'était et les dates en gros, bah je serais contente. L'historiographie de l'empire ottoman, c'est passionnant mais je ne vais pas rentrer là-dedans avec eux. Si je le travaille, ça sera pour moi (et pour l'élève qui aura la question intello pendant le cours), et je ne vais pas me prendre la tête dix heures pour faire rentrer un carré dans un cercle, et un point d'historiographie dans un cours pour des premières qui ont déjà du mal avec les dates et les lieux de la première guerre mondiale.

Je me rappelle il y a peu, Shajar, que tu étais découragée par ce que tu voyais comme injonctions sur les sites académiques sur la spé HG en terminale. Je te comprends. Et je me rappelle t'avoir exhortée à te faire confiance et à ne surtout pas te laisser bouffer par les injonctions des types qui n'ont pas vu une classe depuis vingt ans et qui la jouent "han les manuels ne suffisent pas", c'est hyper culpabilisant pour les profs, et ça sous-entend qu'il va falloir abattre un boulot comme si on avait un cours en fac à faire sur le sujet. On parle de lycéens, et de profs qui ont plus d'heures à assurer et d'élèves à évaluer que des profs de fac, zut quoi !

Enfin, il y a nos goûts et notre formation. Ben là, c'est personnel. Si préparer un cours sur l'absolutisme me prend vingt minutes chrono (au hasard parce que ça fait partie de ma spécialité), me mettre à jour sur l'empire ottoman ou Clausewitz (berk) voire Benjamin Constant (beuh), c'est pas la même chanson. Et on n'est pas tous égaux face à la capacité à ingérer des infos (je suis bien loin d'être un modèle d'organisation, alors je compatis avec tous ceux qui pataugent dans la préparation de cours de spé et tous les nouveaux trucs foireux de la spé HG par exemple).

Ce qui me révolte aujourd'hui, ce n'est pas mon métier, ce sont en effet ces injonctions à bosser comme des tarés (gnagna les manuels ne suffisent pas, gnagna mettez vous à jour sur tous les sujets foireux qu'on a nouvellement fumés mais on ne fera pas de formation hein démerdez-vous, on préfère faire des formations sur évaluer par l'escape game) alors qu'on a quand même des objectifs à appréhender avec une certaine humilité : on n'est pas là pour faire des cours de fac, on est là pour donner une culture et une ouverture à des élèves qui ont au plus 18 ans, pas forcément des capacités d'abstraction délirante et des repères (sociaux, chronologiques, langagiers, spatiaux) généralement partis aux fraises depuis longtemps si tant est qu'ils aient été présents un jour.

Bon bref, je suis de mauvaise humeur, voilà.

(et je retourne à mon bouquin sur l'empire ottoman, parce que moi aussi je culpabilise d'avoir une culture sur le sujet qui se limite essentiellement à avoir binge-watché Magnificent Century sur Youtube).

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It took me forty years to realize this. But for guys like us... our lives aren't really our own. There's always someone new to help. Someone we need to protect. These past few years, I fought that fate with all I had. But I'm done fighting. It's time I accept the hand I was dealt. Too many people depend on us. Their dreams depend on us.

Kiryu Kazuma inYakuza 4 Remastered

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