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Sylvain de Saint-Sylvain
Grand sage

Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Sylvain de Saint-Sylvain Mar 20 Aoû 2019 - 21:34
Elyas a écrit:Vous leur apprendriez quelles pratiques discursives si vous abandonnez ces deux-là ?

Je ne vois pas où peut mener cette discussion si on ne répond pas à cette question. J'ai le sentiment qu'on va avoir, d'un côté, des gens qui avancent prudemment des doutes mais sans se mouiller, et de l'autre des apologies, dont il sera d'autant plus facile de douter.
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Ishkar
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Ishkar Dim 29 Déc 2019 - 21:35
Et je relance la discussion car elle m'intéresse. Enfin, celle de base, et je mets de côté la moitié des réponses, parfaitement caricaturales.

Sans forcément dire "Il faudrait faire ça", je suis un peu choqué de voir à quel point certains se bloquent complètement, devenant presque agressifs si l'on émet le moindre doute, si l'on questionne un minimum le sens de ce que l'on fait.
Pourtant, on peut faire très simple : qui a aimé "le français" ou "la littérature" en faisant des commentaires littéraires ? Qui a aimé le français ou la littérature en faisant des dissertations ? Il est reproché ici de vouloir faire de l'utilitariste qui mettrait de côté la littérature patrimoniale, mais ça fait des années qu'on fait de l'utilitariste pour apprendre la méthode des épreuves de bac, qu'on est, dès la seconde, dans une réflexion liée à "Ils ont bientôt le bac, finalement", et qu'en première, on court après le temps pour les avoir correctement préparés. Je précise, tout de suite, que j'entends bien qu'on puisse me reprocher qu'on est obligé de le faire et que sinon l'on pourrait faire différemment, mais ce qui était suggéré dans la discussion initiale était justement, je pense, de commencer par réfléchir à "faire différemment" plutôt que de ne réfléchir plus qu'en "littéraire" à outrance.

Les BTS sont également évoqués. Comment vous les faites travailler, vous ? De mon côté, je n'ai jamais réussi à les captiver par une entrée véritablement littéraire. Mais c'est systématiquement en passant par un questionnement de la vie de tous les jours que je "remonte", et quand je remonte, je ne le fais pas par un commentaire littéraire ou un tableau relevant la "forme" de l'écrit.

Sans du tout dire qu'il faut tout revoir, certaines réflexions ici me font un peu penser à des collègues de maths qui, quand je leur explique qu'au lycée j'avais totalement abandonné, contrairement à la physique, car ça ne faisait plus sens, me répondent "Oui mais c'est pour la beauté du raisonnement logique". Il faut quand même réussir à comprendre qu'on peut être passionné et ne pas passionner. Ma prof de lycée dont je vais reparler plus tard était passionné et à mes yeux passionnante mais une bonne partie de la classe n'accrochait pas pour autant.

Il faut, évidemment, ne pas abandonner l'enseignement de la littérature. Mais cette littérature fait sens quand on peut s'y projeter, quand elle nous questionne, nous trouble, "sonne", nous perturbe, souvent, quand on peut rêver, se projeter, avoir envie d'inventer. Je sais que de mon côté, la littérature, je m'y suis vraiment ouvert en seconde, avec ma prof (collègue quelques années plus tard) qui lit sublimement l'incipit de L'étranger, avant qu'on ait à le lire chez nous et qu'on l'attaque un peu plus tard en cours. Mais on ne le faisait pas par un commentaire. Et quand je le faisais moi-même en cours, je ne le faisais pas par un commentaire. Traditionnellement, je fais assez vite dans ma séquence un questionnement autour des titres : L'étranger, La pudeur, Un homme libre, Un homme heureux. Est-ce que cette séance, qui souvent captive les élèves, me permet de donner la parole à certains discrets habituellement qui sont gênés par cette écriture et ce personnage, ce n'est pas ça, la littérature ? Est-ce que la littérature, quand on s'y est confronté, ce qui nous a passionné, ce n'était pas ça ? Alors on ne peut pas faire qu'un cours de débat, mais c'est quand même souvent dans des activités autres que certains se révèlent.

Faire une dissertation, un commentaire, bon, pourquoi pas. Mais quand ça devient l'objectif, quand on ne doit aborder ça que par les notes, par l'épreuve, je trouve ça triste. Et surtout, si l'objectif réel, c'est de partager ce patrimoine, ouvrir les élèves à d'autres choses que ce qu'ils connaissent, ce n'est pas avec ces types d'exercices trop répétés qu'on les passionne. De mon côté, j'avais adoré mon année de seconde, avec L'étranger, donc, une séquence sur l'utopie, Bel-Ami en cursive, Les fleurs du mal... mais arrivé en première, avec tout qui est pensé comme "bac de français" plutôt que "se passionner pour la littérature", c'était bien plus compliqué.

Dernière chose : certes, le niveau des élèves baisse, etc. Mais partir d'un texte, le rendre appréciable, faire que les élèves se questionnent, normalement, on pourrait le faire avec tous. Je suis dans un lycée avec un niveau extrêmement faible (les collèges de la ville sont tous REP+), mais quand je fais Racine en seconde, que je prends mon temps et que j'oublie le commentaire et autres épreuves bac, beaucoup entrent dans le truc. Et malheureusement, quand on est trop bloqué sur ce qu'il faut produire pour telle ou telle épreuve, ces élèves, on les perd. Après, on peut toujours garder la posture de l'enseignant élitiste qui ne comprend pas que les élèves puissent ne pas aimer. Ou alors se rappeler qu'on était aussi à moitié des élèves parfois un peu réticents dans certaines matières, que, suivant le prof, la séquence ou la manière d'enseigner, on pouvait trouver un regain de motivation.
NLM76
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par NLM76 Dim 29 Déc 2019 - 22:14
On s'écharpe à rien. Le français "au lycée", ça n'existe plus. Nous avons des élèves qui n'ont pas les acquis de Cours élémentaire. Et nous essayons de nous débrouiller avec eux comme nous pouvons, pour leur transmettre quelque chose de pas trop stupide. Les uns lâchent sur ci, les autres lâchent sur ça. Et les furieux qui ont mis en place ce cirque rigolent bien. Le levier de croissance majeur pour la prochaine décennie va pouvoir bientôt être actionné.

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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
Gatoby
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Gatoby Dim 29 Déc 2019 - 23:55
Je ne suis pas prof de français, mais j'ai néanmoins étudié en CPGE Lettres et à l'université dans un cursus littéraire avant d'en venir à une discipline "utilitaire" (qui ne l'est pas tant par ailleurs quand on s'intéresse aux écrits théoriques qui la fondent).

Mon sentiment d'ancien élève, toujours attentif aujourd'hui à la littérature et observateur des nouveaux programmes, est que le problème est souvent posé en des termes qui empêchent de l'appréhender justement.

À la question de la nécessité de l'étude des textes classiques (qu'on ne peut remettre en cause sans être assassin à mon sens), on cherche à répondre par toujours plus de cadrage par les programmes. Résultat : la réforme propose des œuvres sur programme, pour s'assurer de la connaissance d'un certain nombre de classiques. À celle d'une baisse du niveau en grammaire, on répond par la mise en place d'une progression en matière de connaissance des fondamentaux de la langue qui s'étend toujours plus longtemps. Résultat : la réforme va proposer l'étude grammaticale d'une phrase lors des oraux du bac. Or, il est trop tard pour acquérir des réflexes en la matière à 16 ou 17 ans je crois ...

Derrière ces débats, je vois une vision toujours plus basse de ce que doit être l'enseignement : la connaissance d'une somme de programmes, qu'on évalue de façon mécanique sans se poser la question de l'opportunité de l'évaluer à 12 ou 16 ans (car ce n'est pas du tout la même chose, même si le résultat en termes de compétences au final est le même).

La force des études littéraires, du français en premier, c'est de proposer aux élèves d'avoir une lecture personnelle (de textes classiques certes, mais plus généralement de textes et d'oeuvres de tous horizons). Tant que la bataille se situera sur le plan des compétences et des connaissances incontournables, je crois qu'on n'aura jamais fini de toucher le fond. Je pense qu'il serait préférable que le tronc commun, puisque non spécialiste, propose du hors programme uniquement, quitte à viser moins haut dans la connaissance des classiques et des méthodes (si tant est qu'on vise encore haut aujourd'hui ?). Et de réserver l'étude approfondie de textes spécifiques de l'histoire littéraire à une classe de spécialité éventuellement. Je crains qu'à vouloir "tout faire au mieux" en cadrant par des programmes ambitieux mais finalement simplement gloutons, on ne forme que des perroquets bons à mimer le "génie littéraire". Et non d'honnêtes citoyens capable d'avoir une lecture des textes, peut-être plus modeste, mais au moins personnelle ...

Ne pourrait-on pas imaginer dans cette perspective se défaire des canons de la dissertation et du commentaire pour avoir un exercice moins formel ? Par exemple, un question de corpus comme cela se faisait, plus développée cependant ? L'idée étant d'amener des élèves à s'approprier de façon intelligente et personnelle des textes hors programme, toujours littéraires, sans pour autant viser la maîtrise de méthodologies et de connaissances qui pourraient effectivement faire l'objet d'un enseignement de spécialité.

Je n'enseigne pas le français et passe sans doute à côté de certaines problématiques. Si je suis à côté de la plaque, je saurais sortir sans vagues !
trompettemarine
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par trompettemarine Lun 30 Déc 2019 - 0:25
Je vais me faire lyncher, mais voici mon expérience : j'ai aimé la littérature parce qu'on ma expliqué les textes. Seule, je lisais essentiellement du Jules Verne, incapable de passer à autre chose. 
Ce que j'aimais du français, c'était la grammaire : j'adorais en fait. Puis, j'ai dévouvert le grec, uniquement la langue.
Au lycée, ce sont les explications par mes professeurs qui m'ont rendu les textes lumineux. Je n'ai jamais ressenti ce besoin de dialogue que l'on demande aujourd' hui (depuis les années 90) comme préalable à la lecture.
Cette demande des impressions de lecture que l'on veut être de la pragmatique n'est parfois, voire souvent, que le paravent de l'incompréhension du sens premier du texte. 
J'ai lu ensuite les classiques, j'ai toujours l'impression d'avoir commencé à lire vraiment avec énormément de retard.
Chaque livre est comme un objet sacré, toujours lu comme à expliquer (même si je ne procède pas à une explication). Quelquefois, ce sont des lectures inoubliables.

On lit ou pas. Le rapport personnel aux œuvres est quasiment de l'ordre du privé. Il peut arriver jeune. Pour moi, il vient après la lecture. Il est même venu après le bachotage, le psittacisme. Apprendre les explications de mon professeur m'a appris à lire. Qu'on me pardonne ce rapport scolaire à l'œuvre, mais je ne supporte plus les discours de formateurs ou d'ipr selon lesquels les professeurs abîment le rapport à l'œuvre. Moi, ils me l'ont révélée. 

Le problème d'un grand nombre de nos élèves du secondaire, comme NLM l'a dit, c'est qu'on ne leur a pas donné les moyens de lire, à force d'avoir abandonné la grammaire, le lexique et surtout de leur avoir volé ce temps long, lent, exigeant de la lecture.
Combien de livres lus en collège avec quatre heures de français par semaine, même pas une heure de français par jour ?


Dernière édition par trompettemarine le Lun 30 Déc 2019 - 12:04, édité 6 fois
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User12958
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par User12958 Lun 30 Déc 2019 - 0:30
Je considère qu’offrir la possibilité d’étudier des « classiques » est important, parce qu’ils ont été ou sont influents, parce que ce sont parfois des références, parce qu’ils présentent une langue intéressante à observer, parce que beaucoup d’élèves n’iront pas d’eux-mêmes vers certaines œuvres et que le prof peut les faire découvrir. Je ne pense pas que le Français au lycée soit trop littéraire. Il l’est par essence. Mais je comprends les interrogations à ce sujet. (édit : sans doute ai-je une conception archaïque de mon ancienne matière...).
Ascagne
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Grand sage

Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Ascagne Lun 30 Déc 2019 - 1:16
Gatoby a écrit:Ne pourrait-on pas imaginer dans cette perspective se défaire des canons de la dissertation et du commentaire pour avoir un exercice moins formel ? Par exemple, un question de corpus comme cela se faisait, plus développée cependant ? L'idée étant d'amener des élèves à s'approprier de façon intelligente et personnelle des textes hors programme, toujours littéraires, sans pour autant viser la maîtrise de méthodologies et de connaissances qui pourraient effectivement faire l'objet d'un enseignement de spécialité.
Je crois me souvenir que l'inspectrice de mon secteur disait l'an dernier quelque chose allant dans le sens de la première phrase. Cependant, enseignant à la fac cette année, je ne suis pas trop au courant des évolutions du discours sur la réforme.
Je ne comprends pas trop ta notion de hors-programme, ici.

Concernant la grammaire : il faut évidemment s'assurer que les réflexes soient acquis le plus tôt possible et éviter la perpétuation du problème actuel en traitant la question du temps d'étude du français par un nombre d'heures suffisant avant le lycée.
Je ne vois rien de très négatif dans le fait d'inclure une petite part de grammaire dans l'épreuve, ce qui permet d'éviter que la grammaire soit complètement laissée de côté au lycée. C'est actuellement une sorte de correctif un peu improvisé auquel va devoir se confronter une génération qui souffre de défaillances en maîtrise du français (pour des raisons systémiques), ce qui pose sans doute des problèmes aux collègues chargés de préparer ça, mais le principe n'est pas mauvais à mon sens.
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Mathador Lun 30 Déc 2019 - 3:32
Ishkar a écrit:Pourtant, on peut faire très simple : qui a aimé "le français" ou "la littérature" en faisant des commentaires littéraires ? Qui a aimé le français ou la littérature en faisant des dissertations ? Il est reproché ici de vouloir faire de l'utilitariste qui mettrait de côté la littérature patrimoniale, mais ça fait des années qu'on fait de l'utilitariste pour apprendre la méthode des épreuves de bac, qu'on est, dès la seconde, dans une réflexion liée à "Ils ont bientôt le bac, finalement", et qu'en première, on court après le temps pour les avoir correctement préparés.
Si on court après le temps en première, n'est-ce pas surtout à cause des quotas excessifs de LA ? Lorsque j'étais élève (il y a désormais deux réformes), la grande majorité du temps de cours était passée à enchaîner ces LA pour lesquelles j'étais déjà bien content si j'arrivais à en constater l'exactitude technique.

Ishkar a écrit:Sans du tout dire qu'il faut tout revoir, certaines réflexions ici me font un peu penser à des collègues de maths qui, quand je leur explique qu'au lycée j'avais totalement abandonné, contrairement à la physique, car ça ne faisait plus sens, me répondent "Oui mais c'est pour la beauté du raisonnement logique".
Des disciples de Jacobi sans doute Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 437980826
Jacobi a écrit:M.Fourier avait l'opinion que le but principal des mathématiques était l'utilité publique et l'explication des phénomènes naturels. Mais un philosophe comme lui aurait dû saisir que le but unique de la science, c'est l'honneur de l'esprit humain, et que, sous ce titre, une question de nombres vaut autant qu'une question de système du monde.
(dont je fais partie, ce qui ne m'empêche pas de beaucoup m'intéresser à certains domaines des sciences expérimentales).

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Quam pulchrae sunt mammae tuae, soror mea sponsa! pulchriora sunt ubera tua vino, et odor unguentorum tuorum super omnia aromata. » (Canticum Canticorum 4:9-10)
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Poupoutch Lun 30 Déc 2019 - 7:46
Comme le montre Mathador, la question peut être élargie à toutes les matières : les mathématiques sont-elles trop mathématiques ? L'histoire trop historique ?
Le réel problème, c'est que l'on est arrivé à une situation où l'école est avant tout conçue comme un lieu où apprendre des compétences utiles (et non pas comme un lieu où l'on acquiert des savoir). Or, pour beaucoup d'entre nous, notre rôle est de transmettre des savoirs, des choses, donc, n'ayant pas d'application immédiate (dans un travail, par exemple) mais permettant à l'esprit de se nourrir et de se former.
Concernant la littérature, je ne crois pas que la souffrance de certains élèves vient de ce que le programme est trop chargé, trop classique ou trop techniciste. Je crois que le problème est bien celui pointé par NLM : nos élèves n'ont plus, faute de temps et aussi à cause des programmes, les outils pour appréhender les textes que nous proposons. J'ai par exemple choisi Le Rouge et le Noir, mais sais d'avance que la lecture du roman posera problème à la majorité des élèves.
Cependant, j'ai toujours remarqué que simplifier les choses à l'extrême (en termes d'exercices ou de programme) n'est pas nécessairement une bonne idée. J'ai eu pas mal de 1ères technologiques, j'ai actuellement des premières générales assez faibles, mais tous ces élèves sont toujours assez motivés par la difficulté. Ils se dévalorisent énormément, alors plutôt que de leur dire "je ne fais pas ça car c'est trop dur" ou "je fais ça parce que c'est facile", je leur amène des choses complexes en leur disant que j'ai confiance en eux pour faire l'effort de les comprendre. (et c'est ainsi que, pour l'instant, ma meilleure EL est celle du Sonnet en X...)
Enfin, faire aimer la littérature, comme l'explique Tompettemarine, c'est faire réfléchir. Je crois que, plutôt que de fustiger les exercices, il serait bon d'y retrouver un sens et ce sens vient, je pense, par l'apprentissage de la "problematisation", c'est à dire par le fait d'apprendre à se poser des questions, de vraies questions, qui peuvent découler d'un ressenti comme d'une lecture éclairée. (pour le sonnet en X, par exemple, le fait de dire "j'ai rien compris" permet déjà d'entrer dans l'analyse si l'on ne se contente pas de rien comprendre).
Bref, je conçois mon métier comme un métier intellectuel, ma "mission" (avec un tout petit "m") est de former les esprits à se questionner. Évidemment, faire le lien à l'actualité, interroger les émotions, cela aide à faire aimer la littérature, mais j'aimerais plutôt les inciter à aimer se compliquer la vie intellectuellement parlant. Je pense que leur apprendre à réfléchir est tout de même plus important que d'être le VRP de Victor Hugo.

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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par NLM76 Lun 30 Déc 2019 - 8:25
Poupoutch a écrit:nos élèves n'ont plus, faute de temps et aussi à cause des programmes, les outils pour appréhender les textes que nous proposons.

C'est à cause des programmes ! Il faudrait qu'ils fassent correctement de la grammaire (au sens large : orthographe, analyse, vocabulaire, conjugaison, apprentissage progressif de la rédaction) et essentiellement de la grammaire jusqu'à la 5e. Et avec une grammaire qui tienne la route, et sans la pédagogie de l'échec à tout-va ("Allez-y, écrivez n'importe comment, on corrigera plus tard ; allez-y, dites-moi ce que ce texte écrit en tokharien signifie pour vous: on construira un commentaire à partir de vos impressions et des assemblages de lettres que vous retrouvez ici et là. Vous apprendrez le tokharien plus tard.") Après on pourra discuter.

Poupoutch a écrit:
Enfin, faire aimer la littérature, comme l'explique Tompettemarine, c'est faire réfléchir. Je crois que, plutôt que de fustiger les exercices, il serait bon d'y retrouver un sens et ce sens vient, je pense, par l'apprentissage de la "problematisation", c'est à dire par le fait d'apprendre à se poser des questions, de vraies questions, qui peuvent découler d'un ressenti comme d'une lecture éclairée. (pour le sonnet en X, par exemple, le fait de dire "j'ai rien compris" permet déjà d'entrer dans l'analyse si l'on ne se contente pas de rien comprendre).
Bref, je conçois mon métier comme un métier intellectuel, ma "mission" (avec un tout petit "m") est de former les esprits à se questionner. Évidemment, faire le lien à l'actualité, interroger les émotions, cela aide à faire aimer la littérature, mais j'aimerais plutôt les inciter à aimer se compliquer la vie intellectuellement parlant. Je pense que leur apprendre à réfléchir est tout de même plus important que d'être le VRP de Victor Hugo.
Pour ce qui est de réfléchir, je pense qu'il est bon que la source de réflexion ne soit pas essentiellement la "méthode" proposée par le professeur de français, mais le texte lui-même. Je ne leur apprends à réfléchir que dans la mesure où je leur montre comment se laisser questionner par Hugo.
Bon; ce n'est pas tout à fait vrai : comme nous analysons le texte, comment les effets sont produits, mon travail spécifique est aussi de démonter les processus qui suscitent les émotions et les convictions; il s'agit aussi de ne pas se laisser complètement avoir par Hugo — et en même temps de savoir jouer à se laisser avoir.

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par Iphigénie Lun 30 Déc 2019 - 8:26
Gatoby a écrit:Je ne suis pas prof de français, mais j'ai néanmoins étudié en CPGE Lettres et à l'université dans un cursus littéraire avant d'en venir à une discipline "utilitaire" (qui ne l'est pas tant par ailleurs quand on s'intéresse aux écrits théoriques qui la fondent).

Mon sentiment d'ancien élève, toujours attentif aujourd'hui à la littérature et observateur des nouveaux programmes, est que le problème est souvent posé en des termes qui empêchent de l'appréhender justement.

À la question de la nécessité de l'étude des textes classiques (qu'on ne peut remettre en cause sans être assassin à mon sens), on cherche à répondre par toujours plus de cadrage par les programmes. Résultat : la réforme propose des œuvres sur programme, pour s'assurer de la connaissance d'un certain nombre de classiques. À celle d'une baisse du niveau en grammaire, on répond par la mise en place d'une progression en matière de connaissance des fondamentaux de la langue qui s'étend toujours plus longtemps. Résultat : la réforme va proposer l'étude grammaticale d'une phrase lors des oraux du bac. Or, il est trop tard pour acquérir des réflexes en la matière à 16 ou 17 ans je crois ...

Derrière ces débats, je vois une vision toujours plus basse de ce que doit être l'enseignement : la connaissance d'une somme de programmes, qu'on évalue de façon mécanique sans se poser la question de l'opportunité de l'évaluer à 12 ou 16 ans (car ce n'est pas du tout la même chose, même si le résultat en termes de compétences au final est le même).

La force des études littéraires, du français en premier, c'est de proposer aux élèves d'avoir une lecture personnelle (de textes classiques certes, mais plus généralement de textes et d'oeuvres de tous horizons). Tant que la bataille se situera sur le plan des compétences et des connaissances incontournables, je crois qu'on n'aura jamais fini de toucher le fond. Je pense qu'il serait préférable que le tronc commun, puisque non spécialiste, propose du hors programme uniquement, quitte à viser moins haut dans la connaissance des classiques et des méthodes (si tant est qu'on vise encore haut aujourd'hui ?). Et de réserver l'étude approfondie de textes spécifiques de l'histoire littéraire à une classe de spécialité éventuellement. Je crains qu'à vouloir "tout faire au mieux" en cadrant par des programmes ambitieux mais finalement simplement gloutons, on ne forme que des perroquets bons à mimer le "génie littéraire". Et non d'honnêtes citoyens capable d'avoir une lecture des textes, peut-être plus modeste, mais au moins personnelle ...

Ne pourrait-on pas imaginer dans cette perspective se défaire des canons de la dissertation et du commentaire pour avoir un exercice moins formel ? Par exemple, un question de corpus comme cela se faisait, plus développée cependant ? L'idée étant d'amener des élèves à s'approprier de façon intelligente et personnelle des textes hors programme, toujours littéraires, sans pour autant viser la maîtrise de méthodologies et de connaissances qui pourraient effectivement faire l'objet d'un enseignement de spécialité.

Je n'enseigne pas le français et passe sans doute à côté de certaines problématiques. Si je suis à côté de la plaque, je saurais sortir sans vagues !
Tout ça, c’est le cœur des programmes des années 2000....et donc on sait que ça ne marche pas...
En fait je crois même que c’est l’inverse: on n’a pas assez cadré les connaissances à acquérir en primaire et au collège. : l’idée étant qu’on avait le temps pour acquérir des connaissances et que l’éveil de l’intelligence suffisait : sauf que sans connaissances l’intelligence tourne à vide...

Et bien d’accord avec Trompettemarine: on n’a jamais vu quelqu’un devenir forgeron sur son seul ressenti aléatoire de la forge.
L’intelligence, d’ailleurs, on ne la crée pas : les élèves la portent en eux, ou pas. Ce sont bien souvent les connaissances,justement, qui la réveillent comme le dit Trompettemarine: à trop se croire démiurge, les pédagogues  en viennent à chercher la prestidigitation pour faire croire qu’on peut encore faire quelque chose avec rien: comme les questions sur corpus: l’exercice le plus inutile qui soit puisqu’il invite en comparant des textes à en dire l’inessentiel , ce en quoi ils peuvent se comparer. ( ou alors exercice d’une extrême difficulté si on veut bien le faire)...


Dernière édition par Iphigénie le Lun 30 Déc 2019 - 9:10, édité 1 fois
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Cath
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Cath Lun 30 Déc 2019 - 9:10
Gatoby a écrit:
Ne pourrait-on pas imaginer dans cette perspective se défaire des canons de la dissertation et du commentaire pour avoir un exercice moins formel ? Par exemple, un question de corpus comme cela se faisait, plus développée cependant ? L'idée étant d'amener des élèves à s'approprier de façon intelligente et personnelle des textes hors programme, toujours littéraires, sans pour autant viser la maîtrise de méthodologies et de connaissances qui pourraient effectivement faire l'objet d'un enseignement de spécialité.

Je n'enseigne pas le français et passe sans doute à côté de certaines problématiques. Si je suis à côté de la plaque, je saurais sortir sans vagues !

C'est une question qu'il va bien falloir poser : nous sommes le seul pays qui impose la dissertation.
Je veux croire qu'ailleurs on aime aussi la littérature ! Quels sont les types d'écrit qu'on y pratique ?
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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par The Paper Lun 30 Déc 2019 - 9:18
Au fil de la discussion, on aborde en fait deux aspects distincts :
- Faut-il privilégier les œuvres patrimoniales (voire n'étudier qu'elles) ?
- Faut-il conserver commentaire de texte et dissertation ?
Ces questions se posent à la fois en rapport avec le niveau des élèves et avec leur intérêt pour la matière. Les poser, c'est supposer que les œuvres patrimoniales et que ces deux activités sont trop difficiles et ennuyeuses, deux notions subjectives et qui changent avec notre public : il y a longtemps, dans la liste de recommandations pour la classe de Cinquième, on trouvait Le baron perché, et une douzaine d'années plus tard il fut sorti de cette liste pour intégrer celle des recommandations pour... la Seconde !
Grâce à l'expérience qu'il se forge avec les années, chaque professeur sait à peu près quoi proposer pour chaque niveau ; il y a, dans le patrimoine littéraire, de Marcel Aymé à Marcel Proust, de quoi satisfaire tous les âges. Le professeur découvre progressivement s'il peut donner une oeuvre en lecture cursive ou ne l'aborder que par un extrait. C'est d'ailleurs l'un des aspects de la réforme du lycée qui m'insupporte : qu'on ne puisse plus choisir nos œuvres nous-mêmes (ça me gênerait moins si les œuvres imposées cette année n'étaient pas trop difficiles pour l'une de mes classes).
Pour la question des activités, commentaire et dissertation, elles me semblent indispensables pour la formation de l'esprit, je les vois comme le meilleur moyen de présenter de façon à la fois plaisante et claire une argumentation. Les contraintes de ces exercices sont légitimes et je n'ai pas d'élèves qui leur reproche leur formalisme : ce qu'ils leur reprochent, c'est ce sur quoi ils portent. Beaucoup d'élèves ne trouvent pas d'intérêt à s'interroger sur un texte, un genre ou un mouvement littéraire. Il leur semble plus utile de débattre sur l'intérêt des éoliennes que sur l'intérêt de la Préciosité dans notre culture ; à moi de leur prouver l'inverse Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 437980826

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Le français au lycée est-il trop littéraire ? - Page 3 Empty Re: Le français au lycée est-il trop littéraire ?

par Iphigénie Lun 30 Déc 2019 - 11:41
Je crois que tant qu'on ne trouve pas la formule efficace en amont, on pourra discuter à l'infini: ce qui ùmanque au lycée, comme le dit NLM ce sont les bases nécessaires à tout.... Tu parles de progressivité: c'est bien un problème absolument essentiel; et s'il y a bien quelque chose qui n'est plus assuré dans les contenus et la concordance des méthodes, c'est bien cela....quand je compare avec les programmes (très rigides peut-être? plus applicables au niveau des élèves?) des années 60-70 et des années 90- aujourd'hui, grammaire comme littérature,  c'est assez flagrant: charrue avant les bœufs, redites incessantes de la 6e à la terminale, "thématique" et "problématiques" rebattues qui donnent à l'élève la détestable impression qu'il a "tout/ déjà / fait" alors que, ... bon... etc...
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