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dita
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Neoprof expérimenté

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par dita Lun 19 Oct - 19:25
Bonjour,
dans le cadre de l'argumentation en seconde, avec d'assez bons élèves, je voudrais faire une séquence sur les moralistes de XVIIè siècle.
Je leur montrerai des reproductions picturales de Vanités et j'aimerais leur montrer comment les moralistes essayent de détourner les hommes des vanités.
j'ai un texte de Pascal sur l'imagination, c'est le fragment sur l'imagination, "maîtresse d'erreurs et de fausseté". Je vais le bosser afin de le faire étudier aux élèves; Mais que verriez-vous comme textes pour l'accompagner ? Je voudrais travailler un extrait de La Bruyère, de La Rochefoucauld et de Bossuet. Mais quoi ?
Merci d'avance !
P.S : je n'ai pas encore vraiment de problématique, elle viendra avec mon étude des textes, mais si quelqu'un a une idée, je suis preneur.
ysabel
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Devin

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par ysabel Lun 19 Oct - 20:21
Cette année, je travaille sur La Bruyère. En plus c'est drôle.
Et je ne centre que sur un seul auteur pour éviter que les gamins ne mélangent tout.

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« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante

« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
dita
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par dita Lun 19 Oct - 22:14
Les années précédentes, j'ai également travaillé sur La Bruyère uniquement. Mais là, je voudrais changer.
Gilbertine
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Neoprof expérimenté

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par Gilbertine Mar 20 Oct - 8:29
Tu peux prendre le texte de Pascal sur la vanité de la peinture. Tu peux montrer que le propos moraliste est une lame de fond qui dépasse les genres littéraires et les arts. Chez Molière, tu trouves des réflexions sur la vanité (tirade d'Acaste dans Le Misanthrope); chez La Fontaine, chez La Bruyère, Madame de Sévigné ou Bossuet.

Bon courage

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"votre mystère étant resté là où est mort mon silence"
Ruthven
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Guide spirituel

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par Ruthven Mar 20 Oct - 8:50
Bossuet Sermon sur la mort

Vous serez peut-être étonnés que je vous adresse à la mort pour être instruits de ce que vous êtes; et vous croirez que ce n’est pas bien représenter l’homme, que de le montrer où il n’est plus. Mais, si vous prenez soin de vouloir entendre ce qui se présente à nous dans le tombeau, vous accorderez aisément qu’il n’est point de plus véritable interprète ni de plus fidèle miroir des choses humaines.
La nature d’un composé ne se remarque jamais plus distinctement que dans la dissolution de ses parties. Comme elles s’altèrent mutuellement par le mélange, il faut les séparer pour les bien connaître. En effet, la société de l’âme et du corps fait que le corps nous paraît quelque chose de plus qu’il n’est, et l’âme, quelque chose de moins; mais lorsque, venant à se séparer, le corps retourne à la terre, et que l’âme aussi est mise en état de retourner au ciel, d’où elle est tirée, nous voyons l’un et l’autre dans sa pureté. Ainsi nous n’avons qu’à considérer ce que la mort nous ravit, et ce qu’elle laisse en son entier; quelle partie de notre être tombe sous ses coups, et quelle autre se conserve dans cette ruine; alors, nous aurons compris ce que c’est que l’homme: de sorte que je ne crains point d’assurer que c’est du sein de la mort et de ses ombres épaisses que sort une lumière immortelle pour éclairer nos esprits touchant l’état de notre nature. Accourez donc, ô mortels, et voyez dans le tombeau du Lazare ce que c’est que l’humanité: venez voir dans un même objet la fin de vos desseins et le commencement de vos espérances; venez voir tout ensemble la dissolution et le renouvellement de votre être; venez voir le triomphe de la vie dans la victoire de la mort: Veni et vide.
O mort, nous te rendons grâces des lumières que tu répands sur notre ignorance: toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous fais connaître notre dignité: si l’homme s’estime trop, tu sais déprimer son orgueil; si l’homme se méprise trop, tu sais relever son courage; et, pour réduire toutes ses pensées à un juste tempérament, tu lui apprends ces deux vérités, qui lui ouvrent les yeux pour se bien connaître: qu’il est méprisable en tant qu’il passe, et infiniment estimable en tant qu’il aboutit à l’éternité.
Iphigénie
Iphigénie
Prophète

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par Iphigénie Mar 20 Oct - 9:14
C'est un très beau texte, mais en seconde..
Un extrait du sermon sur la mort d'Henriette d'Angleterre serait peut-être plus parlant.("Madame se meurt, Madame est morte.." oeuf corse.)
Gilbertine
Gilbertine
Neoprof expérimenté

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par Gilbertine Mar 20 Oct - 20:11
J'avais fait celui-ci avec des secondes pas extraordinaires sur la figure du roi :

Les rois, non plus que le soleil, n’ont pas reçu en vain l’éclat qui les environne ; il est nécessaire au genre humain, et ils doivent, pour le repos autant que pour la décoration de l’univers, soutenir une majesté qui n’est qu’un rayon de celle de Dieu. Il était aisé à la reine de faire sentir une grandeur qui lui était naturelle. Elle était née dans une cour où la majesté se plaît à paraître avec tout son appareil , et d’un père qui sut conserver avec une grâce, comme avec une jalousie particulière, ce qu’on appelle en Espagne les coutumes de qualité et les bienséances du palais. Mais elle aimait mieux tempérer la majesté, et l’anéantir devant Dieu, que de la faire éclater devant les hommes. Ainsi nous la voyions courir aux autels , pour y goûter avec David un humble repos, et s’enfoncer dans son oratoire , où, malgré le tumulte de la cour, elle trouvait le carmel d’Elie, le désert de Jean , et la montagne si souvent témoin des gémissements de Jésus. J’ai appris de saint Augustin que l’âme attentive se fait elle-même une solitude […] Chrétiens, laissez-vous fléchir, faites pénitence, apaisez Dieu par vos larmes. Écoutez la pieuse reine, qui parle plus haut que tous les prédicateurs. Écoutez-la, princes ; écoutez-la, peuples ; écoutez-la, monseigneur, plus que tous les autres. Elle vous dit par ma bouche, et par une voix qui vous est connue, que la grandeur est un songe, la joie une erreur, la jeunesse une fleur qui tombe, et la santé un nom trompeur. Amassez donc les biens qu’on ne peut perdre. Prêtez l’oreille aux graves discours que saint Grégoire De Nazianze adressait aux princes et à la maison régnante. Respectez, leur disait-il, votre pourpre , respectez votre puissance qui vient de Dieu, et ne l’employez que pour le bien. Connaissez ce qui vous a été confié, et le grand mystère que Dieu accomplit en vous. Il se réserve à lui seul les choses d’en haut ; il partage avec vous celles d’en bas : montrez-vous dieux aux peuples soumis, en imitant la bonté et la munificence divine. C’est, de tous les peuples, ces perpétuels applaudissements et tous ces regards qui vous suivent. Demandez à Dieu avec Salomon la sagesse qui vous rendra digne de l’amour des peuples et du trône de vos ancêtres ; et quand vous songerez à vos devoirs, ne manquez pas de considérer à quoi vous obligent les immortelles actions de Louis Le Grand et l’incomparable piété de Marie-Thérèse.
Bossuet, Oraison de Marie-Thérèse d’Autriche

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User5899
Demi-dieu

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par User5899 Mar 20 Oct - 20:52
Le texte court, un chef-d'oeuvre du classicisme ?

Pascal (l'imagination, le divertissement, le droit relatif au lieu)
La Rochefoucauld (maximes sur la vertu, par exemple)
La Fontaine (embarras du choix)
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Invité El
Expert spécialisé

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par Invité El Mar 20 Oct - 21:31
Un peu long peut-être:

LA BRUYERE (1645-1696)
Extrait de « Des Jugements » (Les Caractères XII – 1688)

Petits hommes, hauts de six pieds, tout au plus de sept, qui vous enfermez aux foires comme géants ; et comme des pièces rares dont il faut acheter la vue, dès que vous allez jusques à huit pieds ; qui vous donnez sans pudeur de la hautesse et de l'éminence, qui est tout ce que l'on pourrait accorder à ces montagnes voisines du ciel, et qui voient les nuages se former au-dessous d'elles ; espèce d'animaux glorieux et superbes, qui méprisez toute autre espèce, qui ne faites pas même comparaison avec l'éléphant et la baleine ; approchez, hommes, répondez un peu à Démocrite. Ne dites-vous pas en commun proverbe : des loups ravissants, des lions furieux, malicieux comme un singe ? Et vous autres ; qui êtes-vous ? J'entends corner sans cesse à mes oreilles : L 'homme est un animal raisonnable ; qui vous a passé cette définition ? sont-ce les loups, les singes et les lions, ou si vous vous l'êtes accordée à vous-mêmes ? C'est déjà une chose plaisante que vous donniez aux animaux, vos confrères, ce qu'il y a de pire, pour prendre pour vous ce qu'il y a de meilleur, laissez-les un peu se définir eux-mêmes, et vous verrez comme ils s'oublieront, et comme vous serez traités. Je ne parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos folies et de vos caprices qui vous mettent au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement leur petit train, et qui suivent, sans varier, l'instinct de la nature ; mais écoutez-moi un moment. Vous dites d'un tiercelet de faucon qui est fort léger, et qui fait une belle descente sur la perdrix : «Voilà un bon oiseau» ; et d'un lévrier qui prend un lièvre corps à corps : «C'est un bon lévrier». Je consens aussi que vous disiez d'un homme qui court le sanglier, qui le met aux abois, qui l'atteint et qui le perce : «Voilà un brave homme.» Mais si vous voyez deux chiens qui s'aboient, qui s'affrontent, qui se mordent et se déchirent, vous dites «Voilà de sots animaux», et vous prenez un bâton pour les séparer. Que si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur soûl, ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe ; que de cette mêlée il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur, ne diriez-vous pas : "Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais ouï parler ?» Et si les loups en faisaient de même : « Quels hurlements, quelle boucherie ! » Et si les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours qu'ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous à détruire ainsi, et à anéantir leur propre espèce ; ou près l'avoir conclu ne ririez-vous pas de tout votre coeur de l'ingénuité de ces pauvres bêtes ? Vous avez déjà, en animaux raisonnables, et pour vous distinguer de ceux qui ne se servent que de leurs dents et de leurs ongles ; imaginé les lances ; les piques, les dards, les sabres et les cimeterres, et à mon gré fort judicieusement ; car avec vos seules mains que pouviez-vous vous faire les uns aux autres, que vous arracher les cheveux, vous égratigner au visage, ou tout au plus vous arracher les yeux de la tête ? au lieu que vous voilà munis d'instruments commodes, qui vous servent à vous faire réciproquement de larges plaies, d'où peut couler votre sang jusqu'à la dernière goutte, sans que vous puissiez craindre d'en échapper. Mais, comme vous devenez d'année à autre plus raisonnables, vous avez bien enchéri sur cette vieille manière de vous exterminer : vous avez de petits globes qui vous tuent tout d'un coup, s'ils peuvent seulement vous atteindre à la tête ou à la poitrine ; vous en avez d’autres plus pesants et plus massifs, qui vous coupent en deux parts ou qui vous éventrent, sans compter ceux qui, tombant sur vos toits, enfoncent les planchers, vont du grenier à la cave, en enlevant les voûtes, et font sauter en l'air, avec vos femmes, l'enfant et la nourrice ; et c'est là encore où gît la gloire ; elle aime le remue-ménage, et elle est personne d'un grand fracas.[ ... ]
dita
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Neoprof expérimenté

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par dita Mer 21 Oct - 14:01
Merci, vous m'inspirez ...
charlygp
charlygp
Niveau 9

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par charlygp Dim 25 Oct - 8:38
Pour un GT sur les moralistes (mais pas sur le thème que tu proposes), la NRP proposait une séquence très intéressante. J'avais commencé l'année avec l'étude des formes brèves : j'avais adoré !
trompettemarine
trompettemarine
Monarque

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par trompettemarine Dim 25 Oct - 10:53
Sur le portrait et les vanités, j'avais fait ce groupement de textes (de grands classiques) (outre l'étude de tableaux de Vanités voir : JAUBERT, L'Art pris au mot) :
BOSSUET, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, 1670
François de La ROCHEFOUCAULD, Mémoires, 1662
La Bruyère, Caractères, « Du mérite personnel », 1688-1694
Dino BUZZATI , « Le Chef » dans Les Nuits difficiles, traduction Michel Sager, 1972.
Blaise PASCAL, Pensées, liasse vanité (deux extraits des fragments 14 et 33), 1669 (publication posthume)
Jean de LA FONTAINE, Le rat et l’éléphant.

Voici les textes :

Jacques-Bénigne BOSSUET, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, 1670
Considérez, MESSIEURS, ces grandes puissances que nous regardons de si bas. Pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir. Leur élévation en est la cause; et il les épargne si peu qu'il ne craint pas de les sacrifier à l'instruction du reste des hommes. CHRÉTIENS, ne murmurez pas si MADAME a été choisie pour nous donner une telle instruction. Il n'y a rien ici de rude pour elle, puisque, comme vous le verrez dans la suite, Dieu la sauve par le même coup qui nous instruit. Nous devrions être assez convaincus de notre néant ; mais s'il faut des coups de surprise à nos cœurs enchantés de l'amour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. Ô nuit désastreuse! ô nuit effroyable, où retentit tout à  coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle: MADAME se meurt, MADAME est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d'un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts; on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. Partout on entend des cris, partout on voit la douleur et le désespoir, et l'image de la mort. Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré. (…)
Mais et les princes et les peuples gémissaient en vain. En vain Monsieur, en vain le roi même tenait MADAME serrée par de si étroits embrassements. Alors ils pouvaient dire l'un et l'autre, avec saint-Ambroise: Stringebam brachia, sed jam amiseram quam tenebam ; je serrais les bras, mais j'avais déjà perdu ce que je tenais. La princesse leur échappait parmi des embrassements si tendres, et la mort plus puissante nous l'enlevait entre ces royales mains. Quoi donc, elle devait périr si tôt! Dans la plupart des hommes, les changements se font peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. MADAME cependant a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs.
Vanité des vanités, et tout est vanité . C'est la seule parole qui me reste; c'est la seule réflexion que me permet, dans une accident si étrange, une si juste et si sensible douleur. Aussi n'ai-je point parcouru les livres sacrés pour y trouver quelque texte que je pusse appliquer à cette princesse. J'ai pris sans étude et sans choix les premières paroles que me présente l'Ecclésiaste, où quoique la vanité ait été si souvent nommée, elle ne l'est pas encore assez à mon gré pour le dessein que je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes .es grandeurs humaines.

François de La ROCHEFOUCAULD, Mémoires, 1662
              Paul de Gondi, cardinal de Retz, a beaucoup d’élévation, d’étendue d’esprit, et plus d’ostentation que de vraie grandeur de courage. Il a une mémoire extraordinaire : plus de force que de politesse dans ses paroles ; l’humeur facile, de la docilité et de la faiblesse à souffrir les plaintes et les reproches de ses amis ; peu de piété, quelques apparences de religion. Il paraît ambitieux sans l’être ; la vanité, et ceux qui l’ont conduit lui ont fait entreprendre de grandes choses, presque toutes opposées à sa profession ; il a suscité les plus grands désordres de l’Etat, sans avoir un dessein formé de s’en prévaloir, et bien loin de se déclarer ennemi du cardinal Mazarin pour occuper sa place il n’a pensé qu’à lui paraître redoutable, et à se flatter de la fausse vanité de lui être opposé. Il a su néanmoins profiter avec habileté des malheurs publics pour se faire cardinal ; il a souffert la prison avec fermeté, et n’a dû sa liberté qu’à sa hardiesse. La paresse l’a soutenu avec gloire, durant plusieurs années, dans l’obscurité d’une vie errante et cachée. (…) Sa pente naturelle est l’oisiveté ; il travaille néanmoins avec activité dans les affaires qui le pressent, et il se repose avec nonchalance quand elles sont finies. Il a une grande présence d’esprit, et il sait tellement tourner à son avantage les occasions que la fortune lui offre, qu’il semble qu’il les ait prévues et désirées. Il aime à raconter ; il veut éblouir indifféremment tous ceux qui l’écoutent par des aventures extraordinaires, et souvent son imagination lui fournit plus que sa mémoire. Il est faux dans la plupart de ses qualités, et ce qui a le plus contribué à sa réputation est de savoir donner un beau jour à ses défauts. Il est insensible à la haine et à l’amitié, quelques soins qu’il ait pris de paraître occupé de l’une ou de l’autre ; il est incapable d’envie ni d’avarice, soit par vertu soit par inapplication. Il a plus emprunté de ses amis qu’un particulier ne devait espérer de leur pouvoir rendre ; il a senti de la vanité à trouver tant de crédit, et à entreprendre de s’acquitter. Il n’a point de goût ni de délicatesse ; il s’amuse à tout et ne se plaît à rien ; il évite avec adresse de laisser pénétrer qu’il n’a qu’une légère connaissance de toutes choses. La retraite qu’il vient de faire est la plus éclatante et la plus fausse action de sa vie; c’est un sacrifice qu’il fait à son orgueil, sous prétexte de dévotion : il quitte la cour, où il ne peut s’attacher, et il s’éloigne du monde, qui s’éloigne de lui

Jean de LA BRUYERE, Caractères, « Du mérite personnel », 1688-1694
L'or éclate, dites-vous sur les habits de Philémon. Il éclate de même chez les marchands. ― Il est habillé des plus belles étoffes. ― Le sont-elles moins toutes déployées dans les boutiques et à la pièce ? ― Mais la broderie et les ornements y ajoutent encore la magnificence. ― Je loue donc le travail de l'ouvrier. ― Si on lui demande quelle heure il est, il tire une montre qui est un chef-d'œuvre ; la garde de son épée est un onyx  ; il a au doigt un gros diamant qu'il fait briller aux yeux, et qui est parfait ; il ne lui manque aucune de ces curieuses bagatelles que l'on porte sur soi autant pour la vanité que pour l'usage, et il ne se plaint  non plus toute sorte de parure qu'un jeune homme qui a épousé une riche vieille. ― Vous m'inspirez enfin de la curiosité il faut voir du moins des choses si précieuses : envoyez-moi cet habit et ces bijoux de Philémon ; je vous quitte  de la personne.
Tu te trompes, Philémon, si avec ce carrosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bêtes qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage : l'on écarte tout cet attirail qui t'est étranger, pour pénétrer jusques à toi, qui n'es qu'un fat .
Ce n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celui qui, avec un grand cortège, un habit riche et un magnifique équipage, s'en croit plus de naissance et plus d'esprit : il lit cela dans la contenance et dans les yeux de ceux qui lui parlent.

Dino BUZZATI , « Le Chef » dans Les Nuits difficiles, traduction Michel Sager, Laffont, 1972.
Il est directeur d'une grande industrie, il a passé la soixantaine, tous les matins, il se lève' à six heures, été comme hiver, à sept heures, il est déjà à l'usine où il reste jusqu'à huit heures du soir et au-delà. Même le dimanche il va travailler, même si les ateliers et les bureaux sont déserts ; mais une heure plus tard, ce qu'il considère comme un vice. Il est l'homme sérieux par excellence, il sourit rarement, il ne rit jamais. L'été il se permet, mais pas toujours, une semaine de vacances dans sa villa sur le lac. Il n'a aucune faiblesse, il ne fume pas, ne boit ni café ni alcool, il ne lit pas de romans. Il ne tolère aucune faiblesse chez les autres. Il se croit important. Il est important. Il est très important. Il dit des choses importantes. Il a des amis importants. Il ne donne que des coups de téléphone importants. Même ses blagues en famille sont très importantes. Il se croit indispensable. Il est indispensable. Les obsèques auront lieu demain à quatorze heures trente, le cortège se réunira au domicile du défunt.

Blaise PASCAL, Pensées, liasse vanité (deux extraits des fragments 14 et 33), 1669 (publication posthume
fr 14. Vanité. Qu’une chose aussi visible qu’est la vanité du monde soit si peu connue, que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c’est une sottise de chercher les grandeurs. Cela est admirable.
fr 33. Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir. Mais ôtez leur divertissement vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti.

Jean de LA FONTAINE, Le Rat et l’éléphant
LE RAT ET L'ELEPHANT
Se croire un personnage est fort commun en France.
       On y fait l’homme d’importance,
       Et l’on n’est souvent qu’un bourgeois  :
       C’est proprement le mal français .
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière.
       Leur orgueil me semble en un mot
       Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
       Donnons quelque image du nôtre,
       Qui sans doute  en vaut bien un autre.
Un Rat des plus petits voyait un Eléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
       De la bête de haut parage ,
       Qui marchait à gros équipage .
       Sur l’animal à triple étage
       Une Sultane de renom,
       Son Chien, son Chat, et sa Guenon,
Son Perroquet, sa vieille , et toute sa maison,
       S’en allait en pèlerinage.
       Le Rat s’étonnait que les gens
Fussent touchés  de voir cette pesante masse :
Comme si d’occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants.
Mais qu’admirez-vous tant en lui vous autres hommes?
Serait-ce ce grand corps, qui fait peur aux enfants ?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
       D’un grain  moins que les Eléphants.
       Il en aurait dit davantage ;
       Mais le Chat sortant de sa cage
       Lui fit voir en moins d’un instant
       Qu’un Rat n’est pas un Eléphant.
Ruthven
Ruthven
Guide spirituel

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par Ruthven Dim 25 Oct - 14:15
Pour l'étude des tableaux, il est aussi possible de croiser portrait et vanités, en montrant comment les deux genres sont parachevés dans la célèbre vanité de Philippe de Champaigne où le tableau détruit toute possibilité de la séduction sensible qui peut être implicitement à l'oeuvre dans les vanités et de désir de vaine gloire du portrait en présentant l'individu dans sa réalité (un crâne).



Dernière édition par Ruthven le Dim 25 Oct - 19:43, édité 1 fois
Marguerite V
Marguerite V
Niveau 6

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par Marguerite V Dim 25 Oct - 14:28
Merci Ruthven pour ces documents très intéressants. Je me suis lancée dans l'étude de La Bruyère cette année et toutes les pistes sont bonnes à étudier pour rendre ce texte abordable aux élèves...
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