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- Singing in The RainHabitué du forum
Voilà je suis en train de planifier mon chapitre Récits d'enfance et d'adolescence du XX et XXième siècle et je cherche des idées de textes.
Pourrions-nous utiliser ce fil pour copier-coller les textes supports pour ce thème ?
Je commence "Gorge coupée" de Leiris, l'opération des végétations durant l'enfance.
Agé de cinq ou six ans, je fus victime d'une agression. Je veux dire que je subis dans la gorge une opération qui consista à m'enlever des végéta¬tions ; l'intervention eut lieu d'une manière très brutale sans que je fusse anesthésié. Mes parents avaient d'abord commis la faute de m'emmener chez le chirurgien sans me dire où ils me conduisaient. Si mes souvenirs sont justes, je m'imaginais que nous allions au cirque; j'étais donc très loin de prévoir le tour sinistre que me réservaient le vieux médecin de la famille, qui assistait le chirurgien, et ce dernier lui-même. Cela se déroula, point pour point, ainsi qu'un coup monté et j'eus le sentiment qu'on m'avait attiré dans un abominable guet-apens.
Voici comment les choses se passèrent: laissant mes parents dans le salon d'attente, le vieux médecin m'amena jusqu'au chirurgien, qui se tenait dans une autre pièce en grande barbe noire et blouse blanche (telle est, du moins, l'image d'ogre que j'en ai gardée); j'aperçus des instruments tranchants et sans doute eus-je l'air effrayé car, me prenant sur ses genoux, le vieux médecin dit pour me rassurer : « Viens, mon petit coco, on va jouer à faire la cuisine. » A partir de ce moment je ne me souviens de rien, sinon de l'attaque soudaine du chirurgien qui plongea un outil dans ma gorge, de la douleur que je ressentis et du cri de bête qu'on éventre que je poussai. Ma mère, qui m'entendit d'à côté, fut effarée.
Dans le fiacre qui nous ramena je ne dis pas un mot; le choc avait été violent que pendant vingt-quatre heures il fut impossible de m'arracher parole; ma mère, complètement désorientée, se demandait si je n'étais devenu muet. Tout ce que je me rappelle de la période qui suivit immédiatement l'opération, c'est le retour en fiacre, les vaines tentatives de mes parents pour me faire parler puis, à la maison: ma mère me tenant dans ses bras devant la cheminée du salon, les sorbets qu'on me faisait avaler, le sang qu'à diverses reprises je dégurgitai et qui se confondait pour moi avec la couleur fraise des sorbets.
Ce souvenir est, je crois, le plus pénible de mes souvenirs d'enfance non seulement je ne comprenais pas que l'on m'eût fait si mal, mais j'avais la notion d'une duperie, d'un piège, d'une perfidie atroce de la part d’adultes, qui ne m'avaient amadoué que pour se livrer sur ma personne à plus sauvage agression. Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-trapes , n'est qu'une vaste prison ou salle de chirurgie; je ne suis sur terre que pour devenir chair à médecins, chair à canons, chair à cercueil; comme la promesse fallacieuse de m'emmener au cirque ou de jouer à faire la cuisine, tout ce qui peut m'arriver d'agréable attendant n'est qu'un leurre, une façon de me dorer la pilule pour me conduire plus sûrement à l'abattoir où, tôt ou tard, je dois être mené.
Pourrions-nous utiliser ce fil pour copier-coller les textes supports pour ce thème ?
Je commence "Gorge coupée" de Leiris, l'opération des végétations durant l'enfance.
Agé de cinq ou six ans, je fus victime d'une agression. Je veux dire que je subis dans la gorge une opération qui consista à m'enlever des végéta¬tions ; l'intervention eut lieu d'une manière très brutale sans que je fusse anesthésié. Mes parents avaient d'abord commis la faute de m'emmener chez le chirurgien sans me dire où ils me conduisaient. Si mes souvenirs sont justes, je m'imaginais que nous allions au cirque; j'étais donc très loin de prévoir le tour sinistre que me réservaient le vieux médecin de la famille, qui assistait le chirurgien, et ce dernier lui-même. Cela se déroula, point pour point, ainsi qu'un coup monté et j'eus le sentiment qu'on m'avait attiré dans un abominable guet-apens.
Voici comment les choses se passèrent: laissant mes parents dans le salon d'attente, le vieux médecin m'amena jusqu'au chirurgien, qui se tenait dans une autre pièce en grande barbe noire et blouse blanche (telle est, du moins, l'image d'ogre que j'en ai gardée); j'aperçus des instruments tranchants et sans doute eus-je l'air effrayé car, me prenant sur ses genoux, le vieux médecin dit pour me rassurer : « Viens, mon petit coco, on va jouer à faire la cuisine. » A partir de ce moment je ne me souviens de rien, sinon de l'attaque soudaine du chirurgien qui plongea un outil dans ma gorge, de la douleur que je ressentis et du cri de bête qu'on éventre que je poussai. Ma mère, qui m'entendit d'à côté, fut effarée.
Dans le fiacre qui nous ramena je ne dis pas un mot; le choc avait été violent que pendant vingt-quatre heures il fut impossible de m'arracher parole; ma mère, complètement désorientée, se demandait si je n'étais devenu muet. Tout ce que je me rappelle de la période qui suivit immédiatement l'opération, c'est le retour en fiacre, les vaines tentatives de mes parents pour me faire parler puis, à la maison: ma mère me tenant dans ses bras devant la cheminée du salon, les sorbets qu'on me faisait avaler, le sang qu'à diverses reprises je dégurgitai et qui se confondait pour moi avec la couleur fraise des sorbets.
Ce souvenir est, je crois, le plus pénible de mes souvenirs d'enfance non seulement je ne comprenais pas que l'on m'eût fait si mal, mais j'avais la notion d'une duperie, d'un piège, d'une perfidie atroce de la part d’adultes, qui ne m'avaient amadoué que pour se livrer sur ma personne à plus sauvage agression. Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-trapes , n'est qu'une vaste prison ou salle de chirurgie; je ne suis sur terre que pour devenir chair à médecins, chair à canons, chair à cercueil; comme la promesse fallacieuse de m'emmener au cirque ou de jouer à faire la cuisine, tout ce qui peut m'arriver d'agréable attendant n'est qu'un leurre, une façon de me dorer la pilule pour me conduire plus sûrement à l'abattoir où, tôt ou tard, je dois être mené.
- MrBrightsideEmpereur
Je n'ai pas d'extraits, mais si vous acceptez des trucs en traductions je suggère:
-L'Attrape Coeur, JD Salinger
-Sa Majesté des Mouches, W. Golding
-Huck Finn et Tom Sawyer, M. Twain
-Le Bizarre Incident du Chien Pendant la Nuit, de Mark Haddon, raconté par un ado Asperger de 15 ans
-L'Attrape Coeur, JD Salinger
-Sa Majesté des Mouches, W. Golding
-Huck Finn et Tom Sawyer, M. Twain
-Le Bizarre Incident du Chien Pendant la Nuit, de Mark Haddon, raconté par un ado Asperger de 15 ans
- Singing in The RainHabitué du forum
Autre extrait : « J’ai avalé mon chouingom » Dans Baby-foot, Joseph JOFFO se rappelle les épisodes les plus marquants de son enfance.
En 1945, donc, le chewing-gum c’est quelque chose d’extrêmement précieux. Personnellement, mon
premier chewing-gum m’a duré deux semaines. Je le rangeais soigneusement chaque soir dans le tiroir de ma table de nuit pour le retrouver au matin, totalement insipide mais, c’est cela qui importe, toujours élastique.
Cet hiver, la pénurie est si grande que je le partage avec Franck : il mâche les jours pairs, je mâche les jours impairs. Malheureusement au cours d’une récréation, alors que je joue au prisonnier, une bourrade plus violente que les autres me fait avaler la précieuse boulette. Je reste pétrifié au milieu de la cour.
« Qu’est-ce que t’as, Jo ? »
Je n’ose pas répondre. Ils sont tous autour de moi.
« Qu’est-ce que t’as, mec ? Accouche…
- Mon chouingom, dis-je, du coup, perdant mon semblant d’accent yankee.
- Ben quoi ton chouingom ?
- Je l’ai avalé. »
Je sens leurs yeux vaguement apitoyés. Franck me remonte le moral à sa manière. Un sadique3 !
« Ma mère dit que, ça colle les boyaux et qu’on peut en mourir.
- Forcément, dit Cottard, ça colle aux parois et ça fait des fils, alors tout ce que tu bouffes, ça passe plus, ça reste au-dessus. »
Ils tournent autour de moi comme si j’étais une statue de musée.
« C’est con, commente Franck, peut-être va falloir l’ouvrir. »
Je sens déjà mes intestins se révolter.
« Non, mais ça va pas, tu crois pas qu’on va m’opérer parce que j’ai avalé ce petit truc ? »
Je quête une approbation dans leurs yeux, mais ils n’ont pas l’air d’opiner en mon sens. Je
n’ose plus bouger comme si j’avais une bombe à retardement dans le ventre ! Il est vrai qu’il court
de sinistres légendes sur le chewing-gum. Ce sont les mères françaises qui les ont inventées pour
protéger leur progéniture de ce bonbon d’outre-Atlantique aux propriétés inconnues, donc dangereuses. Le chewing-gum développe les muscles des mâchoires jusqu’à vous donner une allure
de Cro-Magnon. Le chewing-gum coupe l’appétit et on devient maigre comme un fil, et enfin, à
force de mâcher, on ne pense plus qu’à ça et on devient fou. Celui qui abuse donc de chewing-gum
a une énorme mâchoire, pèse vingt-cinq kilos et se prend pour Napoléon. Et en plus, s’il vient à
l’avaler, alors c’est le pire de tout. La catastrophe !
Voilà M. Maillard, le maître.
« Qu’est-ce qu’il se passe, Joseph ? »
Il remarqué que cela fait cinq bonnes minutes que je suis immobile au milieu de la cour ; comme ce n’est pas dans mes habitudes, il vient aux nouvelles.
C’est un brave homme, la retraite en poche, sa blouse est aussi grise que sa moustache.
« J’ai avalé mon chouingom. »
Il se gratte le crâne et a envie de dire quelque chose, mais il doit surprendre l’anxiété dans mes yeux, aussi sourit-il en tripotant son sifflet.
« Avec un peu de chance, tu le récupéreras demain matin. »
J’imagine le trajet suivi par le chewing-gum. Me voilà sauvé ! Mais je l’ai échappé belle…
Joseph JOFFO, Baby-foot, 1979
En 1945, donc, le chewing-gum c’est quelque chose d’extrêmement précieux. Personnellement, mon
premier chewing-gum m’a duré deux semaines. Je le rangeais soigneusement chaque soir dans le tiroir de ma table de nuit pour le retrouver au matin, totalement insipide mais, c’est cela qui importe, toujours élastique.
Cet hiver, la pénurie est si grande que je le partage avec Franck : il mâche les jours pairs, je mâche les jours impairs. Malheureusement au cours d’une récréation, alors que je joue au prisonnier, une bourrade plus violente que les autres me fait avaler la précieuse boulette. Je reste pétrifié au milieu de la cour.
« Qu’est-ce que t’as, Jo ? »
Je n’ose pas répondre. Ils sont tous autour de moi.
« Qu’est-ce que t’as, mec ? Accouche…
- Mon chouingom, dis-je, du coup, perdant mon semblant d’accent yankee.
- Ben quoi ton chouingom ?
- Je l’ai avalé. »
Je sens leurs yeux vaguement apitoyés. Franck me remonte le moral à sa manière. Un sadique3 !
« Ma mère dit que, ça colle les boyaux et qu’on peut en mourir.
- Forcément, dit Cottard, ça colle aux parois et ça fait des fils, alors tout ce que tu bouffes, ça passe plus, ça reste au-dessus. »
Ils tournent autour de moi comme si j’étais une statue de musée.
« C’est con, commente Franck, peut-être va falloir l’ouvrir. »
Je sens déjà mes intestins se révolter.
« Non, mais ça va pas, tu crois pas qu’on va m’opérer parce que j’ai avalé ce petit truc ? »
Je quête une approbation dans leurs yeux, mais ils n’ont pas l’air d’opiner en mon sens. Je
n’ose plus bouger comme si j’avais une bombe à retardement dans le ventre ! Il est vrai qu’il court
de sinistres légendes sur le chewing-gum. Ce sont les mères françaises qui les ont inventées pour
protéger leur progéniture de ce bonbon d’outre-Atlantique aux propriétés inconnues, donc dangereuses. Le chewing-gum développe les muscles des mâchoires jusqu’à vous donner une allure
de Cro-Magnon. Le chewing-gum coupe l’appétit et on devient maigre comme un fil, et enfin, à
force de mâcher, on ne pense plus qu’à ça et on devient fou. Celui qui abuse donc de chewing-gum
a une énorme mâchoire, pèse vingt-cinq kilos et se prend pour Napoléon. Et en plus, s’il vient à
l’avaler, alors c’est le pire de tout. La catastrophe !
Voilà M. Maillard, le maître.
« Qu’est-ce qu’il se passe, Joseph ? »
Il remarqué que cela fait cinq bonnes minutes que je suis immobile au milieu de la cour ; comme ce n’est pas dans mes habitudes, il vient aux nouvelles.
C’est un brave homme, la retraite en poche, sa blouse est aussi grise que sa moustache.
« J’ai avalé mon chouingom. »
Il se gratte le crâne et a envie de dire quelque chose, mais il doit surprendre l’anxiété dans mes yeux, aussi sourit-il en tripotant son sifflet.
« Avec un peu de chance, tu le récupéreras demain matin. »
J’imagine le trajet suivi par le chewing-gum. Me voilà sauvé ! Mais je l’ai échappé belle…
Joseph JOFFO, Baby-foot, 1979
- Singing in The RainHabitué du forum
La Poupée de Sarraute (Thème : les Jouets dans l'Enfance)
NB : mes élèves avaient été un peu immatures et avaient ricané en lisant le texte....
« La poupée » extrait d’Enfance de Nathalie Sarraute 1983
On défait de son emballage de papier brun une grande boîte de carton, on enlève le couvercle, les papiers de soie, et on découvre couchée, les yeux fermés, une énorme poupée... elle a des boucles brunes, ses paupières sont bordées de cils longs et épais... c'est elle, je la reconnais, c'est celle que j'avais vue à Paris dans une grande vitrine illumi¬née, je l'avais tant regardée... Elle était assise dans un fauteuil et à ses pieds était posé un carton où il était écrit : « Je sais parler »... On la sort avec précaution... quand on la soulève, ses yeux s'ou-vrent... quand elle tourne la tête d'un côté et de ,l'autre, ça fait en elle un bruit... « Tu entends? Elle parle, elle dit papa maman... - Oui, on dirait que c'est ce qu'elle dit... mais qu'est-ce qu'elle sait dire d'autre? - Elle est trop petite, c'est déjà bien qu'elle sache dire ça... N'aie donc pas peur, prends-la dans tes bras. »
Je la prends avec précaution et je la pose sur le divan pour mieux la voir... Il n'y a pas à dire, elle est très belle... elle a une robe de tulle blanc, une ceinture de satin bleu, des souliers et des chaussettes bleus et un grand nœud bleu dans les cheveux... « On peut la déshabiller?.. - Bien sûr... et même on peut lui faire d'autres vêtements... comme ça, tu pourras la changer, tu l'habilleras comme tu voudras... - Oui, je suis contente... j'embrasse très fort papa... - Alors, c'est celle-là que tu voulais? ¬ Oui, c'est bien elle... »
On nous laisse toutes les deux pour que nous fassions mieux connaissance. Je reste à côté d'elle, je la couche, je la lève, je lui fais tourner la tête et dire papa maman. Mais je me sens pas très à l'aise avec elle. Et avec le temps ça ne s'arrange pas. Je n'ai jamais envie d'y jouer... elle est toute dure, trop lisse, elle fait toujours les mêmes mouvements, on ne peut la faire bouger qu'en soulevant et en abaissant de la même façon ses jambes et ses bras légèrement repliés, articulés à son corps raide. Je lui préfère encore les vieilles poupées de son que j'ai depuis longtemps, ce n'est pas que je les aime tellement, mais on peut traiter comme on veut leurs corps un peu flasques, désarticulés, les serrer, les tripoter, les lancer... Il n'y a que lui qui me soit vraiment proche, Michka, mon ours en peluche, soyeux, tiède, doux, mou, tout imprégné de familiarité tendre. Il dort toujours avec moi, sa tête au pelage doré, aux oreilles droites, est posée à côté de moi sur l'oreiller, son bon nez rond avec sa truffe noire comme ses petits yeux brillants dépasse du drap... je ne pourrais pas m'endormir si je ne le sentais pas là près de moi, je ne pars jamais sans lui, il m’accompagne toujours dans mes voyages.
NB : mes élèves avaient été un peu immatures et avaient ricané en lisant le texte....
« La poupée » extrait d’Enfance de Nathalie Sarraute 1983
On défait de son emballage de papier brun une grande boîte de carton, on enlève le couvercle, les papiers de soie, et on découvre couchée, les yeux fermés, une énorme poupée... elle a des boucles brunes, ses paupières sont bordées de cils longs et épais... c'est elle, je la reconnais, c'est celle que j'avais vue à Paris dans une grande vitrine illumi¬née, je l'avais tant regardée... Elle était assise dans un fauteuil et à ses pieds était posé un carton où il était écrit : « Je sais parler »... On la sort avec précaution... quand on la soulève, ses yeux s'ou-vrent... quand elle tourne la tête d'un côté et de ,l'autre, ça fait en elle un bruit... « Tu entends? Elle parle, elle dit papa maman... - Oui, on dirait que c'est ce qu'elle dit... mais qu'est-ce qu'elle sait dire d'autre? - Elle est trop petite, c'est déjà bien qu'elle sache dire ça... N'aie donc pas peur, prends-la dans tes bras. »
Je la prends avec précaution et je la pose sur le divan pour mieux la voir... Il n'y a pas à dire, elle est très belle... elle a une robe de tulle blanc, une ceinture de satin bleu, des souliers et des chaussettes bleus et un grand nœud bleu dans les cheveux... « On peut la déshabiller?.. - Bien sûr... et même on peut lui faire d'autres vêtements... comme ça, tu pourras la changer, tu l'habilleras comme tu voudras... - Oui, je suis contente... j'embrasse très fort papa... - Alors, c'est celle-là que tu voulais? ¬ Oui, c'est bien elle... »
On nous laisse toutes les deux pour que nous fassions mieux connaissance. Je reste à côté d'elle, je la couche, je la lève, je lui fais tourner la tête et dire papa maman. Mais je me sens pas très à l'aise avec elle. Et avec le temps ça ne s'arrange pas. Je n'ai jamais envie d'y jouer... elle est toute dure, trop lisse, elle fait toujours les mêmes mouvements, on ne peut la faire bouger qu'en soulevant et en abaissant de la même façon ses jambes et ses bras légèrement repliés, articulés à son corps raide. Je lui préfère encore les vieilles poupées de son que j'ai depuis longtemps, ce n'est pas que je les aime tellement, mais on peut traiter comme on veut leurs corps un peu flasques, désarticulés, les serrer, les tripoter, les lancer... Il n'y a que lui qui me soit vraiment proche, Michka, mon ours en peluche, soyeux, tiède, doux, mou, tout imprégné de familiarité tendre. Il dort toujours avec moi, sa tête au pelage doré, aux oreilles droites, est posée à côté de moi sur l'oreiller, son bon nez rond avec sa truffe noire comme ses petits yeux brillants dépasse du drap... je ne pourrais pas m'endormir si je ne le sentais pas là près de moi, je ne pars jamais sans lui, il m’accompagne toujours dans mes voyages.
- PluiedetoilesExpert
Le récit d’une enfance particulière
Dans la vie, je ressentais toujours un décalage par rapport aux scènes qui se déroulaient devant mes yeux. L’impression que je n’étais pas dans le même film que les autres. Ce qui provoquait parfois chez moi des réactions inattendues.
Je revois une fête à la maison; tout le monde parle, il n’y a que des entendants, je suis isolée, comme toujours dans ces cas-là. Le mystère de la communication possible entre ces gens me laisse perplexe. Comment font-ils pour parler tous en même temps, le dos tourné, le corps dans n’importe quel sens? A quoi ressemblent leurs voix? Je n’ai jamais entendu la voix de ma mère, de mon père, de mes amis. Leurs lèvres bougent, leurs bouches sourient, s’ouvrent et se ferment avec une folle rapidité. J’observe de toutes mes forces, puis me lasse. L’ennui, profond, me reprend, le désert de l’exclusion. Soudain, un ami chanteur, Maurice Fanon, que mon oncle a invité pour la soirée, vient vers moi et m’offre une fleur. Je prends la fleur et je fonds en larmes. Tout le monde me regarde. Ma mère se demande ce qui m’arrive.
Au fond, qu’est-ce qui m’arrive? Je ne sais pas. Une émotion forte. Trop forte dans mon isolement? Je ne peux pas l’exprimer autrement qu’en pleurant? Le décalage entre eux et moi est tel, les situations, ce que font les personnages, sont si incompréhensibles? C’est possible.
Je me demande encore pourquoi j’ai pleuré devant cette fleur avec tant de force. J’aimerais le savoir, mais c’est indéfinissable.
J’ai fait beaucoup de cauchemars, c’est certain, entre zéro et sept ans. Tout ce que je ne comprenais pas dans la journée devait se bousculer dans ma tête. Les associations d’idées se faisaient en désordre.
Grâce soit rendue à mon père, qui m’a ouvert le monde à Vincennes et à Washington, à lui qui m’a dit:
«Viens, on va apprendre la langue des signes ensemble!»
Emmanuelle Laborit, Le Cri de la mouette, 1993.
Dans la vie, je ressentais toujours un décalage par rapport aux scènes qui se déroulaient devant mes yeux. L’impression que je n’étais pas dans le même film que les autres. Ce qui provoquait parfois chez moi des réactions inattendues.
Je revois une fête à la maison; tout le monde parle, il n’y a que des entendants, je suis isolée, comme toujours dans ces cas-là. Le mystère de la communication possible entre ces gens me laisse perplexe. Comment font-ils pour parler tous en même temps, le dos tourné, le corps dans n’importe quel sens? A quoi ressemblent leurs voix? Je n’ai jamais entendu la voix de ma mère, de mon père, de mes amis. Leurs lèvres bougent, leurs bouches sourient, s’ouvrent et se ferment avec une folle rapidité. J’observe de toutes mes forces, puis me lasse. L’ennui, profond, me reprend, le désert de l’exclusion. Soudain, un ami chanteur, Maurice Fanon, que mon oncle a invité pour la soirée, vient vers moi et m’offre une fleur. Je prends la fleur et je fonds en larmes. Tout le monde me regarde. Ma mère se demande ce qui m’arrive.
Au fond, qu’est-ce qui m’arrive? Je ne sais pas. Une émotion forte. Trop forte dans mon isolement? Je ne peux pas l’exprimer autrement qu’en pleurant? Le décalage entre eux et moi est tel, les situations, ce que font les personnages, sont si incompréhensibles? C’est possible.
Je me demande encore pourquoi j’ai pleuré devant cette fleur avec tant de force. J’aimerais le savoir, mais c’est indéfinissable.
J’ai fait beaucoup de cauchemars, c’est certain, entre zéro et sept ans. Tout ce que je ne comprenais pas dans la journée devait se bousculer dans ma tête. Les associations d’idées se faisaient en désordre.
Grâce soit rendue à mon père, qui m’a ouvert le monde à Vincennes et à Washington, à lui qui m’a dit:
«Viens, on va apprendre la langue des signes ensemble!»
Emmanuelle Laborit, Le Cri de la mouette, 1993.
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Mon blog :https://lalegeretedeslettres.wixsite.com/website
- TangledingGrand Maître
Plusieurs extraits que je projette de faire étudier en GT :
- Extrait 1 La Gerbe d'Or, d'Henri BERAUD - N'entrons pas à la légère dans les chambres du souvenir :
- Je pense à ces choses avec tendresse. Seulement, je les voudrais moins enchaînées, d'un trait moins net, illisibles aux indifférents. Il y a là, malgré moi, trop d'ordre dans mon bric-à-brac. Nos reliques ne nous sont-elles point plus chères, quand notre esprit s'y égare, quand elles ressemblent aux visions du demi-sommeil, faites de lueurs et de nuées éparses ? Les lieux que l'on ne saurait point retrouver ; les lieux que l'on a vus réellement et qui nous demeurent imaginaires ; les porches du souvenir baignés d'ombre et les perspectives étendues comme des plaines dans le couchant ; les événements absurdes, sans suite, comme les figures trouvées et reperdues parmi l'arabesque d'une tapisserie, un soir de fièvre, tandis que dans l'autre chambre des voix monotones parlent, parlent pour ne rien dire. Les autres souvenirs, ceux que l'on voit trop bien, sentent la mort, comme des statues sur des tombes.
Je voudrais raconter à autrui, comme je me les raconte, ces jours sans durée, vides comme l'air, où pourtant des personnages et des événements se forment, s'enchevêtrent, se recouvrent, se dissolvent ainsi que dans les rêves. Mille couleurs, un bruit lointain... Et soudain, des êtres vivent, parlent, un tableau précis se reconstitue, une scène s'accomplit dans ses détails, comme sur un écran. Pourquoi celle-ci, et non telle autre ? Il y a des savants pour expliquer cela et des oisifs pour les écouter. La sagesse n'est-elle point d'entre-bâiller, sans les rouvrir tout à fait, les portes que le temps a refermées sans bruit sur nos illusions ?
N'entrons pas à la légère dans les chambres du souvenir.
Henri BERAUD, La Gerbe d'or, fin du chapitre III
(les éditions de France, pp. 79, 80)
- Extrait 2a & 2b La Gerbe d'Or, d'Henri BERAUD - L'abandon des études :
- Je voulais abandonner mes études, ni plus ni moins. Cela me prit, vers la fin de l'été de 1901, comme un mal de mer, et cela s'aggrava de jour en jour, sans me laisser ni relâche, ni sens commun. Vainement j'essayais de me raisonner. Qu'allais-je devenir ?… Cela m'était égal. Je n'en voulais plus, voilà tout. J'étais comme un détenu qui voit une porte ouverte. Je pensais que, bien sûr, il y aurait une terrible scène à la maison. Peut-être mon père allait-il me chasser. Eh bien ! S'il le fallait, je partirais, je serais l'enfant prodigue, j'irais gagner mon pain, mendier, courir les routes et les aventures, je me ferais mousse, ou bien j'irais faire le prospecteur au Cap, en me cachant dans la cale d'un navire, et je reviendrais un jour, très riche, pour acheter le château de Satolas !… J'avais seize ans. Je rêvais tout éveillé. Cela ne valait-il pas mieux que d'aspirer, comme tant d'autres, à devenir diplomate, conseiller d’État ou médecin militaire ?
Il est vrai, pour tout dire que ce beau mouvement d'indépendance n'était peut-être pas si spontané… J'avais, pour lâcher pied, une raison pas très flatteuse, ni même très avouable, que voici : les examens de fin d'année approchaient, et ils m'annonçaient une rude journée, celle de la composition de mathématiques. Depuis un an, je n'avais pas pris un seul cours d'algèbre, ni de géométrie. Ces sornettes nous étaient enseignées par un géomètre-algébriste du modèle le plus usuel, c'est-à-dire l'un de ces veaux lunaires capables de chercher sous les meubles le riflard qu'ils tiennent grand ouvert à la main au milieu d'un salon.
Soufflant de ses bulles et tout à sa chimère polyédrique, ce rêveur ne songeait pas à nous demander nos cahiers. Il ne lui venait certainement pas à l'esprit que l'on pût se moquer du cosinus autant que de l'an quarante. Sa confiante négligence me perdit. Depuis un an, je n'avais rien suivi, ce qui s'appelle rien, de ce qu'il enseignait. Si, tandis qu'il extravaguait devant son tableau noir, il m'arrivait de l'écouter, j'entendais autant dire du chinois. Comment regagner ce terrain ? Impossible. Quant à « redoubler », cela non ! Revoir, entendre, toute une année, les mêmes choses aux mêmes jours, en compagnie de cadets qui m'eussent méprisé ! Mieux valait renoncer. Je renonçai.
Pour parler, j'attendis l'approche des vacances et je ne m'y résignai qu'aux derniers jours, tant j'appréhendais la colère de mon père. Mais j'étais décidé.
Henri BÉRAUD, La gerbe d'or
(Les éditions de France, pp. 235 à 237)
Cela se passa dans le fournil, où, chaque après-midi, le boulanger restait seul un moment à lire son journal avant de se mettre au lit. Il m'écouta jusqu'au bout, en me regardant bien dans les yeux.
– As-tu réfléchi ? Demanda-t-il.
Il ne fit aucune allusion aux espoirs que je venais de détruire. Il avait trop de vraie fierté pour laisser échapper les plaintes de l’orgueil. C'est plus tard, beaucoup plus tard, quand j'eus l'âge d'être père, que je compris ce qu'il dut souffrir ce jour-là. Il n'en laissa rien paraître, ni sur ses traits, ni dans le son de sa voix :
– Tu as seize ans, tu te crois un homme fait ! Eh bien ! Tu es libre. J'aurais voulu faire quelque chose de toi, et, pour te donner tout ce qu'il était en mon pouvoir, je n'ai regardé ni à la patience, ni à la dépense. Mais il faut croire que l'instruction est comme la bonne chère, et que l'on ne l'a jamais lorsqu'on la désire… Plus tard, mon petit, quand tu seras vraiment d'âge à te conduire, tu regretteras de n'avoir pas obéi aux conseils d'un père. Mais il ne sera pas dit que je t'aurais fait violence. Encore une fois, tu es libre. Quels sont tes projets ?
C'était, dis-je, vers le four. Nous étions seuls. Mon père se tenait accoudé à la table familiale. La lampe se trouvait entre nous. Au lieu de cet éclat que j'avais tant redouté, un lourd silence pesait.
– Je veux travailler, dis-je.
– A quoi ?
– N'importe, travailler.
– C'est dit ?
– Oui, père.
– Alors, c'est bien. Et maintenant, laisse-moi.
Comme j'arrivais à la porte, il dit avec effort :
– Henri !…
Je m'arrêtai, le cœur battant.
– Rien… Du moins, si… Écoute : on te trouvera du travail. Mais tu prendras quand même tes vacances.
Il était toute bonté.
Je vis sa main dans le cône lumineux de la lampe. Sa main posait une pipe et prenait le journal. Elle tremblait.
Henri BÉRAUD, La gerbe d'or
(Les éditions de France, pp. 237 à 239)
- Extrait 3 (recto-verso) La Gerbe d'or, d'Henri BERAUD - Tombeau père & mère :
- Repose, doucement, père, puisque tu es allé dormir. Dors sans tourments et sans regrets. Tu ne dois rien à ton enfant. Tu lui as tout donné, et bien plus que des parchemins : la fierté d'être ton fils, et la plus belle fortune, celle du souvenir. Si, par-dessus mon épaule, tu regardes courir ma plume sur le papier, tu sais bien comment je vais finir mon livre, et que bientôt je le porterai là-bas à la mère, qui l'attend, assise sur sa chaise, près de la fenêtre d'où l'on voit la rue Ferrandière.
Elle le regardera longtemps, ce livre, sans oser l'ouvrir, parce que ses vieux yeux n'ont plus beaucoup de larmes. Elle en a tant versé aux fontaines de la douleur ! Ce livre, c'est pour elle que je l'ai fait. En le prenant dans ses mains que le travail a tant usées, elle dira : « Pourquoi remuer toutes ces choses, mon petit ? Le temps passé ne peut pas revenir dans les livres, et il ne faut pas toucher aux chagrins qui dorment. »
Elle dira : « mon petit », car elle ne voit pas mes tempes grises. Ne lui suffit-il pas de fermer les yeux pour me retrouver, haut comme un pain de trois livres, jouant avec les tailles et les pesons, sur le carreau en damier de la Gerbe d'or ? Elle n'a qu'à se soulever un peu, et, les mains dans les poches de son tablier, se pencher à sa fenêtre. Elle verra sur les pavés la trace de mes pas d'enfant :
– C'est ici qu'on a failli l'écraser, mon garçon ; c'est là qu'il jouait aux billes ; c'est au bord de ce trottoir qu'il s'est fendu la tête ; voici le tournant de rue par où il revenait en courant de ses escapades, et la brasserie où les filles riaient si fort en ce lointain dimanche, et la libraire du père Delorme, et tout, et tout…
Elle pense à ces vieilles choses et, le matin, quand elle revient à petits pas du marché, si elle rencontre quelque petit bonhomme au front boudeur, sous un béret à pompon, sortant de quelque boutique pour aller en classe, elle s'imagine que c'est encore son garçon, courant sur les bordures des trottoirs, avec une miche chaude dans sa poche, pour son quatre heures chez les frères. L'homme, elle ne le voit pas. Comment le verrait-elle ? Elle sait qu'elle a un enfant, un enfant, vous entendez, pas un monsieur, un enfant. C'est bien facile à comprendre. Est-ce que les années y peuvent quelque chose ?
Henri BÉRAUD, La gerbe d'or
(Les éditions de France, pp. 239 à 242, suite et fin au verso)
Hélas ! Maman, les années te l'ont pris, ton fils, pour l'emmener bien loin, et c'est en revenant sur ses pas tout au long de la route en lacets, qu'il a pu mesurer le chemin parcouru. Des lambeaux de tout ce qu'il aima, la chair même de ses espérances était accrochée aux ronces. Il y avait, aux carrefours, des figures en voiles de deuil qui tendaient les bras – et d'autres, qui semblaient dormir, assises sur les bornes.
Des êtres, par rang d'âge, venait en file à sa rencontre. C'étaient ceux qu'il avait été : l'homme, l'époux, l'amant, le soldat, l'ouvrier, l'apprenti, l'adolescent, et, tout au bout, il a retrouvé celui dont il a d'abord conté l'histoire, l'enfant de la Gerbe d'or, le gamin qui t'appartenait tout entier.
Alors il comprit que, dans ton cœur simple, bonne vieille, tu as raison contre nos pauvres vérités. Le petit garçon que tu gardes pour toi toute seule, contre ta jupe, dans ta petite chambre, près de la Gerbe d'or, il est peut-être bien mort pour tout le monde, mais il n'a pas vieilli.
L'enfant ne peut pas vieillir. Que lui importent les mois, les ans ? Ils coulent, et l'enfant s'épanouit sur la berge du temps. Un jour, la fleur tombera, et ce sera fini, fini pour toujours… On est petit, puis on ne l'est plus. Il n'y a pas deux âges dans le jeune âge. Cinq ans, six ans, dix ans, est-ce que cela compte, est-ce que l'on sait compter ? Il faut attendre l'âge de raison. Et alors, on n'est plus un enfant. On commence à entendre parler d'argent, de situation, de rang social. On est un homme. Les bêtises commencent.
FIN
DE LA GERBE
D'OR
Henri BÉRAUD, La gerbe d'or
(Les éditions de France, pp. 242-243, fin du roman)
- Extrait 4 Qu'as-tu fait de ta jeunesse, d'Henri BERAUD - Abandon des études (bis!) :
- Si je disais qu'en pénétrant dans ce lieu, j'avais l'impression d'arriver au paradis terrestre, on ne voudrait pas le croire. J'étais surtout fort penaud. Car si je me trouvais là c'était bien de ma faute. L'avais-je assez voulu, réclamé, exigé ? A mon père, qui se privait de tout pour me faire instruire, n'avais-je pas assez dit ma volonté de renoncer aux études, de me mettre au travail ?
Pourrais-je sans rougir me rappeler ma sottise et son chagrin ? Ces soirées d'automne dans notre boulangerie, je les revois encore. Ma mère, ayant mis le gaz en veilleuse, croisait avec lassitude ses mains sur son tablier. Des passants longeaient la devanture et semblaient danser dans la nuit pluvieuse. Je parlais. Je donnais mes raisons. Le maître de la Gerbe d'Or écoutait en hochant la tête. A quoi songeait-il ? Je le sais bien maintenant : il songeait à son enfance de petit berger, à ses années de labeur et de soucis, à tout ce que la vie lui avait refusé, et qu'il eût voulu donner à son fils.
– C'est bien vu ? Tu ne veux pas retourner au lycée ?
– Je veux être un homme.
– Un homme ?
– Oui, gagner mon pain, entrer dans la mêlée sociale…
Le boulanger haussait les épaules.
– A ton aise, mon garçon. Tu vas savoir ce que c'est !...
Henri BERAUD, Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?,
(éditions Horvath Roanne, pp. 15, 16)
- Extrait 5 Les fruits du Congo, d'Alexandre VIALATTE - mais la nuit était pleine de points d'or et de signaux confus :
- Les fruits du Congo, c'est une affiche qui orne la façade d'un café d'une petite ville d'Auvergne à la fin des années 20. Elle représente une magnifique africaine aux seins nus qui porte des citrons d'or. Pour le jeune Frédéric Lamourette et ses camarades, cette affiche symbolise l'aventure et le rêve (et plus prosaïquement, l'engagement dans les troupes coloniales)...
Dans l'extrait qui suit, Frédéric vient d'apprendre que la jeune femme qu'il surnomme Dora est mourante suite à un accident de passage à niveau auquel il a assisté la nuit précédente. Sans rien expliquer à son oncle, il monte se coucher dans sa chambre du premier étage, délaissant pour la première fois « l'antre du génie », sa petite chambre de jeunesse perdue au grenier. Mariette, la vieille servante de son oncle prépare le couchage du jeune homme silencieux.
Mariette s'activait avec satisfaction à lui (1) garnir un lit vraiment bourgeois qui avait l'air d'une forteresse.
Il réintégrait sa prison.
Elle le regardait de biais tout en s'affairant. Il devait avoir l'air bizarre.
– Mon petit, commença-t-elle doucement, en mettant les mains sur ses hanches…
Il se retourna hargneusement, il vit ses joues ridées, d'une drôle de matière, ses yeux de faïence.
– Fiche-moi la paix, lui dit-il méchamment.
Il alluma une cigarette, et regarda du côté des Tanneries (2). De cette fenêtre du premier on ne voyait pas bien les Îles (3), mais la nuit était pleine de points d'or et de signaux confus, sous le fourmillement des étoiles. Il vit encore la négresse (4) de l'affiche qui se détachait du fond du monde, portant des fruits. Ses joues riaient, ses seins durs et pointus ressemblaient à des citrons noirs. Elle avançait à grands pas. Et ces pas faisaient craquer l'espace.
Il frissonna. C'était tout simplement le pas de Mariette qui s'en allait, contrite, mais lui laissant le lit préparé. Il fut fâché de l'avoir peinée.
– Mariette ? appela-t-il.
Mais nul bruit ne répondit. C'était trop tard ? Tant mieux. Retirant ses souliers pour qu'on ne l'entendît pas, il remonta dans la caverne du génie.
S'effondrant d'un seul coup, il prit la barre d'appui de la fenêtre, à pleine poignée, comme une barre fixe, et, à genoux, tant que ça pouvait, il sanglota ; avec de grands mouvements de tout le corps, pareil à une femme qui enfante.
Ses épaules noires, sur la nuit lumineuse, sautaient comme le profil d'un sac dans lequel on a enfermé une poule ; il cherchait avec des hoquets à expulser cette bête convulsive. Et, à grands coups, tel un ivrogne, il vomit toute son enfance, dans le secret de la nuit indulgente aux honteux, en retenant ses hurlements et en raidissant tous ses muscles, comme une bonne qui accouche en mordant son mouchoir dans le grenier d'une maison bien tenue.
Alexandre VIALATTE, Les fruits du Congo (1951).
Éditions L'imaginaire Gallimard, pp. 286-287 (3e Partie: Les tours de M. Panado)
Notes :
1 Lui : le pronom désigne ici le héros, le jeune Frédéric Lamourette. Orphelin, il vit chez son oncle, le docteur Peyrolles,
célibataire sans enfant. Mariette est la vieille servante de la maison.
2 Les Tanneries : nom d'un quartier de la ville.
3 Les Îles : surnom donné par Frédéric et ses amis aux ilôts perdus au milieu du fleuve environnant la ville. C'est là que
Fred fit la connaissance de Dora.
4 La négresse : à l'époque où le roman est écrit, le terme "négresse" ou le masculin "nègre" n'ont aucune connotation
raciste : le mot désigne seulement un(e) africain(e) noir.
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"Never complain, just fight."
- Plutôt que de se battre pour des miettes et des contraintes:
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- henrietteMédiateur
- Souvenir traumatisant : Jules Vallès, L’Enfant:
C’est au coin d’un feu de fagots, sous le manteau d’une vieille cheminée ; ma mère tricote dans un coin ; une cousine à moi, qui sert de bonne dans la maison pauvre, range, sur des planches rongées, quelques assiettes de grosse faïence avec des coqs à crête rouge, et à queue bleue.
Mon père a un couteau à la main et taille un morceau de sapin ; les copeaux tombent jaunes et soyeux comme de brins de rubans. Il me fait un chariot avec des languettes de bois frais. Les roues sont déjà taillées ; ce sont des ronds de pommes de terre avec leur cercle de peau brune qui imite le fer… Le chariot va être fini ; j’attends tout ému et les yeux grands ouverts, quand mon père pousse un cri et lève sa main pleine de sang. Il s’est enfoncé le couteau dans le doigt. Je deviens tout pâle et m’avance vers lui ; un coup violent m’arrête ; c’est ma mère qui me l’a donné, l’écume aux lèvres, les poings crispés.
« C’est ta faute si ton père s’est fait mal ! »
Et elle me chasse sous l’escalier noir, en me cognant encore le front contre la porte.
Je crie, je demande grâce, et j’appelle mon père : je vois, avec ma terreur d’enfant, sa main qui pend toute hachée ; c’est moi qui en suis la cause ! Pourquoi ne me laisse-t-on pas entrer pour savoir ? On me battra après si l’on veut. Je crie, on ne me répond pas. J’entends qu’on remue des carafes, qu’on ouvre un tiroir ; on met des compresses.
« Ce n’est rien », vient me dire ma cousine, en pliant une bande de linge tachée de rouge.
Je sanglote, j’étouffe ; ma mère reparaît et me pousse dans le cabinet où je couche, où j’ai peur tous les soirs.
Je puis avoir cinq ans et me crois un parricide.
Ce n’est pas ma faute, pourtant !
Est-ce que j’ai forcé mon père à faire ce chariot ? Est-ce que je n’aurais pas mieux saigné, moi, et qu’il n’eût point mal ?
Oui — et je m’égratigne les mains pour avoir mal aussi.
C’est que maman aime tant mon père ! Voilà pourquoi elle s’est emportée.
On me fait apprendre à lire dans un livre où il y a écrit, en grosses lettres, qu’il faut obéir à ses père et mère ; ma mère a bien fait de me battre.
- Souvenir du bonheur : Albert Cohen, Le livre de ma mère:
Ô mon passé, ma petite enfance, ô chambrette, coussins brodés de petits chats rassurants, vertueuses chromos, conforts et confitures, tisanes, pâtes pectorales, arnica, papillon du gaz dans la cuisine, sirop d’orgeat, antique dentelles, odeurs, naphtaline, veilleuses de porcelaine, petits baisers du soir, baisers de Maman qui me disait, après avoir bordé mon lit, que maintenant j’allais faire un petit voyage dans la lune avec mon ami un écureuil. Ô mon enfance, gelées de coings, bougies roses, journaux illustrés du jeudi, ours en peluche, convalescences chéries, anniversaires, lettres du Nouvel An sur du papier à dentelures, dindes de Noël, fables de La Fontaine idiotement récitées debout sur la table, bonbons à fleurettes, attentes des vacances, cerceaux, diabolos, petites mains sales, genoux écorchés et j’arrachais la croûte toujours trop tôt, balançoires des foires, cirque Alexandre où elle me menait une fois par an et auquel je pensais des mois à l’avance, cahiers neufs de la rentrée, sac d’école en faux léopard, plumiers japonais, plumiers à plusieurs étages, plumes sergent-major, plumes baïonnette de Blanzy Poure, goûters de pain et de chocolat, noyaux d’abricots thésaurisés, boîte à herboriser, billes d’agate, chansons de Maman, leçon qu’elle me faisait repasser le matin, heures passées à la regarder cuisiner avec importance, enfance, petites paix, petits bonheurs, gâteaux de Maman, sourires de Maman, ô tout ce que je n’aurai plus, ô charmes, ô sons morts du passé, fumées enfuies et dissoutes saisons. Les rives s’éloignent. Ma mort approche.
- De la difficulté de partager un souvenir : Colette, La Maison de Claudine:
Grande maison grave, revêche avec sa porte à clochette d’orphelinat, son entrée cochère à gros verrou de geôle ancienne, maison qui ne souriait que d’un côté. Son revers, invisible au passant, doré par le soleil, portait manteau de glycine et de bignonier mêlés, lourd à l’armature de fer fatiguée, creusée en son milieu comme un hamac, qui ombrageait une petite terrasse dallée et le seuil du salon… Le reste vaut-il que je le peigne, à l’aide de pauvres mots ? Je n’aiderai personne à contempler ce qui s’attache de splendeur, dans mon souvenir, aux cordons rouges d’une vigne d’automne que ruinait son propre poids, cramponnée, au cours de sa chute, à quelque bras de pin. Ces lilas massifs dont la fleur compacte, bleue dans l’ombre, pourpre au soleil, pourrissait tôt, étouffée par sa propre exubérance, ces lilas morts depuis longtemps ne remonteront pas grâce à moi vers la lumière, ni le terrifiant clair de lune, — argent, plomb gris, mercure, facettes d’améthystes coupantes, blessants saphirs aigus, — qui dépendait de certaine vitre bleue, dans le kiosque au fond du jardin.
Maison et jardin vivent encore, je le sais, mais qu’importe si la magie les a quittés, si le secret est perdu qui ouvrait, — lumière, odeurs, harmonie d’arbres et d’oiseaux, murmures de voix humaines qu’a déjà suspendu la mort, — un monde dont j’ai cessé d’être digne ?...
- Égarements de la mémoire, les faux souvenirs : André Gide, Si le grain ne meurt:
J’écrirai mes souvenirs comme ils viennent, sans chercher à les ordonner. Tout au plus les puis-je grouper autour des lieux et des êtres ; ma mémoire ne se trompe pas souvent de place ; mais elle brouille les dates ; je suis perdu si je ne m’astreins pas à la chronologie. A reparcourir le passé, je suis comme quelqu’un dont le regard n’apprécierait pas bien les distances et parfois reculerait extrêmement ce que l’examen reconnaîtra beaucoup plus proche. C’est ainsi que je suis resté longtemps convaincu d’avoir gardé le souvenir de l’entrée des Prussiens à Rouen :
C’est la nuit. On entend la fanfare militaire, et du balcon de la rue Crosne où elle passe, on voit les torches résineuses fouetter d’inégales lueurs les murs étonnés des maisons…
Ma mère à qui, plus tard, j’en reparlai, me persuada que d’abord, en ce temps, j’étais beaucoup trop jeune pour en avoir gardé quelque souvenir que ce soit, qu’au surplus jamais un Rouennais, ou en tout cas aucun de ma famille, ne se serait mis au balcon pour voir passer fût-ce Bismarck ou le roi de Prusse lui-même, et que si les Allemands avaient organisé ces cortèges, ceux-ci eussent défilé devant des volets clos. Certainement mon souvenir devait être des « retraites aux flambeaux » qui, tous les samedis soirs, remontaient ou descendaient la rue de Crosne après que les Allemands avaient depuis longtemps quitté la ville.
« C’était là ce que nous te faisions admirer du balcon, en te chantant, te souviens-tu :
Zim laï la ! Zim laï la
Les beaux militaires ! »
Et soudain je reconnaissais aussi la chanson. Tout se remettait à sa place et reprenait sa proportion. Mais je me sentais un peu volé ; il me semblait que j’étais plus près de la vérité d’abord, et que méritait bien d’être un événement historique ce qui, devant mes sens tout neufs, se douait d’une telle importance. De là ce besoin inconscient de le reculer à l’excès afin que le magnifiât la distance.
Il en est de même de ce bal, rue de Crosne, que ma mémoire s’est longtemps obstinée à placer du temps de ma grand-mère – qui mourut en 73, alors que je n’avais que quatre ans. Il s’agit évidemment d’une soirée que mon oncle et ma tante Henri donnèrent trois ans plus tard, à la majorité de leur fille.
- De la difficulté de rendre compte de son passé : Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance:
Extrait 1 :
Je n’ai pas de souvenirs d’enfance. Jusqu’à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j’ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j’ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son mari m’adoptèrent.
Cette absence d’histoire m’a longtemps rassuré : sa sécheresse objective, son évidence apparence, son innocence, me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles, sinon précisément de mon histoire, de mon histoire vécue, de mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le supposer, n’était ni sèche, ni objective, ni apparemment évidente, ni évidemment innocente ?
« Je n’ai pas de souvenirs d’enfance » : je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L’on n’avait pas à m’interroger sur cette question. Elle n’était pas inscrite à mon programme. J’en était dispensé : une autre histoire, la Grande, l’Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps.
A treize ans, j’inventai, racontai et dessinai une histoire. Plus tard, je l’oubliai. Il y a sept ans, un soir, à Venise, je me souvins tout à coup que cette histoire s’appelait « W » et qu’elle était, d’une certaine façon, sinon l’histoire, du moins une histoire de mon enfance.
En dehors du titre brusquement restitué, je n’avais pratiquement aucun souvenir de W. Tout ce que j’en savais tient en moins de deux lignes : la vie d’une société exclusivement préoccupée de sport, sur un îlot de la Terre de Feu.
Une fois de plus, les pièges de l’écriture se mirent en place. Une fois de plus, je fus comme un enfant qui joue à cache-cache et qui ne sait pas ce qu’il craint ou désire le plus : resté caché, être découvert.
Je retrouvai plus tard quelques uns des dessins que j’avais faits vers treize ans. Grâce à eux, je réinventai W et l’écrivis, le publiant au fur et à mesure, en feuilleton, dans La Quinzaine littéraire, entre septembre 1969 et août 1970.
Aujourd’hui, quatre ans plus tard, j’entreprends de mettre un terme – je veux tout autant dire par là « tracer des limites » que « donner un nom » – à ce lent déchiffrement. W ne ressemble pas plus à mon fantasme olympique que ce fantasme olympique ne ressemblait à mon enfance. Mais dans le réseau qu’ils tissent comme dans la lecture que j’en fais, je sais que se trouve inscrit et décrit le chemin que j’ai parcouru, le cheminement de mon histoire et l’histoire de mon cheminement.
Extrait 2 :
Je ne sais où se sont brisés les fils qui me rattachent à mon enfance. Comme tout le monde, ou presque, j’ai eu un père et une mère, un pot, un lit-cage, un hochet, et plus tard une bicyclette que, paraît-il, je n’enfourchais jamais sans pousser des hurlements de terreur à la seule idée qu’on allait vouloir relever ou même enlever les deux petites roues adjacentes qui m’assuraient ma stabilité. Comme tout le monde, j’ai tout oublié de mes premières années d’existence.
Mon enfance fait partie de ces choses dont je sais que je ne sais pas grand-chose. Elle est derrière moi, pourtant, elle est le sol sur lequel j’ai grandi, elle m’a appartenu, quelle que soit ma ténacité à affirmer qu’elle ne m’appartient plus. J’ai longtemps cherché à détourner ou à masquer ces évidences, m’enfermant dans le statu inoffensif de l’orphelin, de l’inengendré, du fils de personne. Mais l’enfance n’est ni nostalgie, ni terreur, ni paradis perdu, ni Toison d’Or, mais peut-être horizon, point de départ, coordonnées à partir des quelles les axes de ma vie pourront trouver leur sens. Même si je n’ai pour étayer mes souvenirs improbables que le secours de photos jaunies, de témoignages rares et de documents dérisoires, je n’ai pas d’autre choix que d’évoquer ce que trop longtemps j’ai nommé l’irrévocable ; ce qui fut, ce qui s’arrêta, ce qui fut clôturé : ce qui fut, sans doute, pour aujourd’hui ne plus être, mais ce qui fus aussi pour que je sois encore.
Extrait 3 :
Désormais, les souvenirs existent, fugaces ou tenaces, futiles ou pesant, mais rien ne les rassemble. Il sont comme cette écriture non liée, faite de lettres isolées incapables de se souder entre elles pour former un mot, qui fut la mienne jusqu’à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, ou comme ces dessins dissociés, disloqués, dont les éléments épars ne parvenaient presque jamais à se relier les uns aux autres, et dont, à l’époque de W, entre, disons, ma onzième et ma quinzième année, je couvris des cahiers entiers ; personnages que rien ne rattachaient au sol qui était censé les supporter, navires dont les voilures ne tenaient pas aux mâts, ni les mâts à la coque, machines de guerre, engins de mort, aéroplanes et véhicules aux mécanismes improbables, avec leur tuyères déconnectées, leurs filins interrompus, leurs roues tournant dans le vide ; les ailes des avions se détachaient du fuselage, les jambes des athlètes étaient séparées de tronc, les bras séparés des torses, les mains n’assuraient aucune prise.
Ce qui caractérisait cette époque c’est avant tout son absence de repères ; les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide. Nulle amarre. Rien ne les ancre, rien ne les fixe. Presque rien ne les entérine. Nulle chronologie sinon celle que j’ai, au fil du temps, arbitrairement reconstituée ; du temps passait. Il y avait des saisons. On faisait du ski ou les foins. Il n’y avait ni commencement ni fin. Il n’y avait plus de passé, et pendant très longtemps il n’y eut pas non plus d’avenir ; simplement ça durait. On était là. Ça se passait dans un lieu qui était loin, mais personne n’aurait pu dire loin d’où c’était, peut-être simplement loin de Villard-de-Lans. De temps en temps, on changeait de lieu, on allait dans une autre pension ou dans une autre famille. Les choses et les lieux n’avaient pas de nom ou en avaient plusieurs ; les gens n’avaient pas de visage. Une fois, c’était une tante, et la fois d’après c’était une autre tante. Ou bien une grand-mère. Un jour on rencontrait sa cousine et l’on avait presque oublié que l’on avait une cousine. Ensuite on ne rencontrait plus personne ; on ne savait pas si c’était normal ou pas normal, si ça allait durer tout le temps comme ça, ou si c’était seulement provisoire. Peut-être y avait-il des époques à tantes et des époques sans tantes ? On ne demandait rien, on ne savait pas très bien ce qu’il aurait fallu demander, on devait avoir un peu peur de la réponse que l’on aurait obtenue si l’on s’était avisé de demander quelque chose. On ne posait aucune question.
Extrait 4 :
Il faut les voir, ces Athlètes qui, avec leurs tenues rayées, ressemblent à des caricatures de sportifs 1900, s’élancer coudes au corps, pour un sprint grotesque. Il faut voir ces lanceurs dont les poids sont des boulets, ces sauteurs aux chevilles entravées, ces sauteurs en longueur qui retombent lourdement dans une fosse emplie de purin. il faut voir ces lutteurs enduits de goudron et de plume, il faut voir ces coureurs de marathon, éclopés, transis, trottinant entre deux haies serrées de Juges de touche armés de verges et de gourdins, il faut les voir, ces Athlètes squelettiques, au visage terreux, à l’échine toujours courbée, ces crânes chauves et luisants, ces yeux pleins de panique, ces plaies purulentes, toutes ces marques indélébiles d’une humiliation sans fin, d’une terreur sans fond, toutes ces preuves administrées chaque heure, chaque jour, chaque seconde, d’un écrasement conscient, organisé, hiérarchisé, il faut voir fonctionner cette machine énorme dont chaque rouage participe, avec une efficacité implacable, à l’anéantissement systématique des hommes, pour ne plus trouver surprenante la médiocrité des performances enregistrées : le 100 mètres se court en 23’’4, le 200 mètres en 51’’ ; le meilleur sauteur n’a jamais dépassé 1,30 m.
*
Celui qui pénétrera un jour dans la Forteresse n’y trouvera d’abord qu’une succession de pièces vides, longues et grises. Le bruit de ses pas résonnant sous les hautes voûtes bétonnées lui fera peur, mais il faudra qu’il poursuive longtemps son chemin avant de découvrir, enfouis dans les profondeurs du sol, les vestiges souterrains d’un monde qu’il croira avoir oublié : des tas de dents d’or, d’alliances, de lunettes, des milliers et des milliers de vêtements en tas, des fichiers poussiéreux, des stocks de savon de mauvaise qualité…
Extrait 5 :
Pendant des années, j’ai dessiné des sportifs aux corps rigides, aux faciès inhumains ; j’ai décrit avec minutie leurs incessants combats ; j’ai énuméré avec obstination leurs palmarès sans fin.
Des années et des années plus tard, dans L’Univers concentrationnaire, de David Rousset, j’ai lu ceci :
« La structure des camps de répression est commandée par deux orientations fondamentales : pas du travail, du « sport », une dérision de nourriture. La majorité des détenus ne travaille pas, et cela veut dire que le travail, même dur, est considéré comme une planque. La moindre tâche doit être accomplie au pas de course. Les coups, qui sont l’ordinaire des camps ‘’ normaux’’, deviennent ici la bagatelle quotidienne qui commande toutes les heures de la journée et parfois de la nuit. Un des jeux consiste à faire habiller et dévêtir les détenus plusieurs fois par jour très vite et à la matraque ; aussi à les faire sortir et entrer dans le Block en courant, tandis que, à la porte, deux S.S. assomment les Haeftlinge à coups de Gummi. Dans la petite cour rectangulaire et bétonnée, le sport consiste en tout : faire tourner très vite les hommes pendant des heures sans arrêt, avec le fouet ; organiser la marche du crapaud, et les plus lents seront jetés dans le bassin d’eau sous le rire homérique des S.S. ; répéter sans fin le mouvement qui consiste à se plier très vite sur les talons, les mains perpendiculaires : très vite (toujours vite, vite, Schnell, los Mensch), à plat ventre dans la boue et se relever, cent fois de rang, courir ensuite s’inonder d’eau pour se laver et garder ensuite vingt-quatre heures des vêtements mouillés. »
*
J’ai oublié les raisons qui, à douze ans, m’ont fait choisir la Terre de Feu pour y installer W ; les fascistes de Pinochet se sont chargés de donner à mon fantasme une ultime résonance : plusieurs îlots de la Terre de Feu sont aujourd’hui des camps de déportation.
Paris-Carros-Blévy
1970-1974
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"Il n'y a que ceux qui veulent tromper les peuples et gouverner à leur profit qui peuvent vouloir retenir les hommes dans l'ignorance."
- AmaliahEmpereur
Je ne connaissais pas La Gerbe d'or. Merci!
- TangledingGrand Maître
C'est un beau témoignage. La suite "Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?" est intéressante également (je la trouve moins émouvante malgré tout).
Un passage de ce second volume, justement, dans lequel Béraud évoque son ami Paul Lintier, auteur de 2 superbes témoignages sur 14-18 ("Ma Pièce, souvenirs d'un canonnier 1914" & "Le tube 1233, souvenirs d'un chef de pièce") :
Henri Béraud a été par ailleurs pétainiste notoire et antisémite convaincu (et virulant dans "Gringoire", notamment). Il n'a par contre pas collaboré, contrairement à ce qui a d'abord été prétendu à la Libération lors de son procès.
Un passage de ce second volume, justement, dans lequel Béraud évoque son ami Paul Lintier, auteur de 2 superbes témoignages sur 14-18 ("Ma Pièce, souvenirs d'un canonnier 1914" & "Le tube 1233, souvenirs d'un chef de pièce") :
- Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?, d'Henri BERAUD (Paul Lintier) :
- Si les mots ont un sens, Paul Lintier fut mon frère cadet. Par l'âme et par le jugement, il était de loin mon aîné. Il fut tué le 15 mars 1916 sur l'Hartmanswillerkopf, en laissant deux livres (1) pétris de la terre des morts et du sang des soldats. Sur la manche gauche de sa vareuse, il avait fait tailler une poche et, dans cette poche, il y avait un carnet de notes où ses compagnons de pièce lurent à travers leurs larmes : « Je vais mourir. Sur les perspectives de l'avenir qui toujours sont remplies de soleil, un grand rideau tombe. Cela n'aura pas été long. J'ai vingt ans. (2) »
Il aimait les courses à travers champs. Nous partions au matin, remplis de notre jeune ardeur et de l'insouciance d'une époque où l'on savait être libre. Une curiosité puissante éclairait ses yeux noirs. Il voyait tout, buvait la nature du regard, ressentait au suprême degré l'éphémère beauté de l'heure. Un sentiment du réel qui, dans son cœur de paysan élégiaque, aiguisait les plus tendres impressions, lui faisait percevoir des rapports surprenants. Il pénétrait la sève du paysage. (...)
Une anse de l'Azergue, égarée sous les bois, lui plaisait à ce point que toutes nos courses finissaient là. Puis-je penser à Lintier sans que ce fouillis de haies et de buissons ne vienne encadrer le fantôme de mon ami ? (…)
Nous demeurions là des heures, allongés dans les prés, au bord même de l'eau, qui clapotait sur la terre molle. On entendait au loin siffler le train de Trévoux, qui fuyait sous sa fumée. C'était l'heure. Nous repartions. (…) Au jour tombant, nous arrivions dans le fond du val, entre deux pentes, où se trouvait une auberge isolée, que tenait une bonne femme, grise et ridée comme une pomme, avec des yeux d'enfant. C'était la mère Cladière. Sur une table vermoulue de son cabaret, elle nous servait un repas de jambon, d'omelette et de fromages. On voyait s'endormir la Saône, par une croisée où le crépuscule tendait un rideau couleur de toile d'araignée. On s'accoudait pour boire le gros marc des coteaux.
C'était l'heure des projets d'avenir. J'écoutais rêver Paul Lintier. Sa voix tranquille et son accent traînant, je les entends encore. Il me semble le voir, là, bien vivant, dans sa force, avec son génie clair et son cœur simple. Il faut maintenant baisser la tête et fermer les yeux : Ceux qui verront le grand geste uniforme que tracent sur la terre les croix, à l'heure où le soleil roulant dans le ciel fait bouger les ombres, s'arrêtent et comprennent la grandeur du sacrifice. C'est cela que veulent nos morts, c'est cela que nous voulons, nous qui demain serons peut-être des morts. (3)
Henri BERAUD, Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?
(éditions Horvath Roanne, pp. 206-210)
Notes :
(1) Ces deux livres sont : Ma pièce, souvenirs d'un canonnier 1914 & Le Tube 1233, souvenirs d'un chef de pièce (voir notes 2 et 3).
(2) La citation exacte de Lintier est sensiblement différente : « Sur les perspectives de l'avenir, qui toujours sont pleines de soleil, un grand rideau tombe. C'est fini ! Ce n'aura pas été long ; je n'ai que vingt et un ans. » (P. Lintier, Ma Pièce, souvenirs d'un canonnier 1914, édition Plon, p. 76). Par ailleurs Béraud romance un peu les faits puisque le carnet retrouvé dans la poche de Lintier à sa mort contenait plutôt la citation qui clôture l'extrait (voir note 2). C'est le manuscrit du Tube 1233 que l'on a trouvé dans le carnet caché dans la poche de Lintier, non celui, antérieur, de Ma pièce (que l'auteur avait transmis à un éditeur suite à sa première blessure à la main.)
(3) Contrairement à ce qu'indique Béraud, cette citation n'est pas extraite de Ma pièce, mais du second témoignage de Paul Lintier : Le Tube 1233, souvenirs d'un chef de pièce. Voici la citation exacte : « Ceux qui viendront ici, et qui verront le grand geste uniforme que tracent sur la terre les croix, lorsque le soleil roulant dans le ciel fait bouger les ombres, s’arrêtent et comprennent la grandeur du sacrifice. C’est cela que veulent nos morts. C’est cela que nous voulons, nous qui demain, serons peut-être des morts. » Béraud avait d'ailleurs remplacé "ombre" par "croix", occasionnant une répétition disgrâcieuse que nous nous sommes permis de corriger (en retirant l'italique).
Henri Béraud a été par ailleurs pétainiste notoire et antisémite convaincu (et virulant dans "Gringoire", notamment). Il n'a par contre pas collaboré, contrairement à ce qui a d'abord été prétendu à la Libération lors de son procès.
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"Never complain, just fight."
- Plutôt que de se battre pour des miettes et des contraintes:
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- TangledingGrand Maître
Un dernier texte de Béraud, décrivant l'état d'esprit à l'approche de la GM.I (désolé pour les troncatures un peu sauvages) :
- Qu'as-tu fait de ta jeunesse ? , d'Henri Béraud (la montée des périls) :
- Quelques jours plus tard, un étudiant monté sur une borne tira deux coups de feu. Cela se passait le dimanche 28 juin, dans une bourgade inconnue, un peu avant trois heures de l'après-midi.
Le soir même les journaux donnaient le récit de cette affaire. Les balles ont atteint deux personnes. L'auto qui porte les victimes s'élance en mugissant dans la foule. Une émeute éclate. On chasse l'homme. On s'assomme aux carrefours. Parmi les chevaux cabrés, sous les sabres brandis, dans un tumulte de cris rauques, quelques soldats entraînent un adolescent déguenillé, qui se débat, menace, implore, hurle et s'évanouit. C'est lui, c'est le meurtrier. Posté à l'angle de deux rues, devant la boutique d'un coiffeur, il a tiré sans hâte, en ajustant bien son tir. Il s'appelle Princip, et les cadavres sont ceux d'un archiduc et de sa femme.
On replie les journaux. Beaucoup, dont je fus, ne virent là qu'un fait-divers. L'opinion publique avait des soucis bien plus graves. Il y avait le match Carpentier-Smith, le voyage de M. Poincaré en Russie, les bandits en auto, le procès de Mme Caillaux (1), les loopings de l'aviateur Pégoud, la victoire de Sardanapale à Longchamp, la mystérieuse affaire Cadiou, la saison des ballets Diaghilew à l'Opéra. (...)
Un prince autrichien mort en Bosnie ? La terre pouvait tourner. Nul n'imaginait qu'elle allait tourner à l'envers. Les promeneurs de ce beau dimanche étaient bien loin de se douter que les deux balles de Sarajevo allaient tuer dix millions d'hommes.
* * *
Durant un mois, nous eûmes ce que les beaux parleurs appelaient la tension. Il me semble inutile de raconter une histoire que l'on peut trouver dans tous les livres d'école. Au reste, ce qui s'est passé depuis ôte beaucoup d'intérêt aux affaires de ce temps-là.
Ce qui reste à rappeler, c'est la couleur de ces jours, où pour la terre et les hommes une autre vie commença.
Pour se faire une idée de ces jours, il faut les avoir vus de ses yeux.
– Croyez-vous qu'on aura la guerre ? demandaient encore, en se grattant sur la nuque, des citoyens difficiles à convaincre.
Leur perplexité se dissipa bientôt. (…)
Quant à nous, jeunesse trop heureuse, nous commencions à comprendre que nos âmes et nos corps seraient le terreau de l'avenir. Peut-être avions-nous eu raison de vivre pour vivre. Quelques-uns luttaient encore. Ils ne voulaient pas voir ce qui approchait, ils ne voulaient pas l'entendre. Les yeux clos, les mains aux oreilles, ils ciraient : « Jamais, non jamais ! » Au seuil de l'abattoir, ils croyaient toujours, ces rêveurs, que tous les hommes sont frères, parce que le sang de leurs veines est également rouge. Ils pleuraient, et leur painte dérisoire était comme un bruit de source dans la tempête, un sanglot de grands enfants, qu'emportait le grand rire de la mort.
Henri BERAUD, Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?,
(éditions Horvath Roanne, pp. 223 à 228)
Notes:
(1) Mme Caillaud, femme du ministre des finances, tua le directeur du Figaro, journal qui dénigrait son mari. Le procès s'achève le 28 juillet 1914 : l'accusée est acquittée (en fait le procès est largement truqué). Le même jour, la Première Guerre mondiale commence.
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"Never complain, just fight."
- Plutôt que de se battre pour des miettes et des contraintes:
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- carodanslemétroNiveau 1
Préparant également une séquence sur ce thème, j'en fait appel à vos lumières! Je cherche un extrait de roman ou d'autobiographie dans lequel on voit l'influence d'un groupe sur l'adolescent, le fait qu'un groupe influence parfois l'individu, jusqu'à le changer voire le pousser à être méchant (phénomène bouc émissaire). Auriez-vous cela dans vos tablettes?
Merci!!
Merci!!
- zinzinuleNiveau 8
Eliott, de Gardner (mais c'est de la litté jeunesse et c'est une traduction de l'anglais)
Une sonate pour Rudy (litté jeunesse) à la fin du roman
Une sonate pour Rudy (litté jeunesse) à la fin du roman
- hypolite 2Niveau 1
Tu as Sa majesté des mouches de Golding, mais tu dois déjà connaître...La guerre des boutons, un peu vieillot toutefois...
_________________
:aaa:
- hypolite 2Niveau 1
sinon romans sur l'enfance tu as Pierre Loti Le roman d'un enfant et Jules Vallès L'enfant...
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:aaa:
- dorémyExpert spécialisé
Je ne sais pas si ça peut vous interésser mais en HDA dans cette séquence, je pense les faire travailler sur un groupement de photographies de Doisneau sur l'enfance Thématique « Arts, espace, temps » / * L’œuvre d’art et l’évocation du temps et de l’espace.
C'est l'artiste lui même qui a fait ce classement thématique (enfants) dans ses archives :
http://www.robert-doisneau.com/fr/portfolios/474,enfants.htm
C'est l'artiste lui même qui a fait ce classement thématique (enfants) dans ses archives :
http://www.robert-doisneau.com/fr/portfolios/474,enfants.htm
- carodanslemétroNiveau 1
Merci pour vos références!!
J'ai également pensé à [i]La cicatrice[i] de Lowery (certes très simple, mais ce texte ne serait qu'un texto-écho dans une séance pour montrer la méchanceté du groupe face à la différence), il faut que je retrouve mon livre pour trouver un extrait!
J'ai également pensé à [i]La cicatrice[i] de Lowery (certes très simple, mais ce texte ne serait qu'un texto-écho dans une séance pour montrer la méchanceté du groupe face à la différence), il faut que je retrouve mon livre pour trouver un extrait!
- dorémyExpert spécialisé
J'ai pensé aussi à deux chanson de Barcella
C'est l'époque des pansements et du mercurochrome.
L'époque des mamans, j'ai peur des fantômes.
Le temps de jeux de mains et des bâtons de glaces.
Des oreilles de lapins sur les photos de classes.
L'époque des mocassins qu'on t'oblige à porter.
Lorsque tous tes copains ont des baskets au pied.
Le temps des trousses de billes et des boules de chewing-gums.
Les petits playmobiles deviendront des bonhommes.
Pourtant, pourtant, les tranches de pain d'épices.
Me manque, maintenant que, les années me trahissent.
Avec nos grands cartables de soldats de plombs.
Nous récitions nos fables sans y mettre le ton.
La confiserie du coin était la terre promise.
Nos caries valaient bien ces quelques friandises.
On collectionnait tous les vignettes Panini.
On se soufflait en douce les rimes des poésies.
Dans le dos des copains quelques poissons d'avril.
On marquait nos destins à l'encre indélébile.
Pourtant, pourtant, les bâtons de réglisse.
Me manque, maintenant que, les années me trahissent.
C'est des cordes à sauter, de l'encre pleins les doigts.
Des pyjamas rayés, de la barde à papa.
Des vélos sans roulette et des cabanes en bois.
Des vendeuses d'allumettes, des il était une fois.
C'est des fautes d'orthographe, des histoires de tintin.
Des boulettes et des gaffes, des balades en patin.
Des toboggans rouillés et des luges en cartons.
Des ballons prisonniers, des nuages en coton.
C'est des marchands de sables, des châteaux de fortunes.
C'est des capitaines Flam, et des Pierrot la lune.
Des bottes de chats bottés, des cahiers de vacances.
C'est des meringues au goûter, et des crêpes du dimanche.
Des clowns du cirque Gruss, des masques de Zorro.
Des cumulonimbus, et des chapi chapo.
C'est des maisons hantées, des champs de tournesols.
C'est nos prénoms gravés, sur les bancs..... de l'école.
Depuis qu'je suis gosse, on me raconte des drôles de choses,
Un tas d'histoires louches, des trucs qui me semblent suspects.
C'est certainement parce leurs vies doivent être moroses
Que les grands inventent des histoires bêtes comme leurs pieds.
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
Mon oeil voit bien dans vos bêtises.
C'est pas qu'j'veux pas croire au Père Noël dans la ch'minée,
Mais permettez-moi juste d'exprimer mon point de vue :
Dans toutes les BD ou même les dessins animés,
Tout l'monde l'a capté, le Père Noël a un gros cul !
Il ne passera pas !
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
Mon oeil voit bien dans vos bêtises.
Tous les ans à Pâques, les cloches amènent les chocolats.
Elles les planquent un peu partout autour de la maison.
Il faut croire que je n'me trouve jamais au bon endroit,
Ces satanés cloches commencent à m'casser les bonbons !
Je n'les entends pas !
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
Bah faut pas prendre le cul d'pèpère pour une tasse à café.
Saperlipopettes, messieurs, arrêtez vos bêtises :
Tous les gosses connaissent la vérité.
Et si ce n'est pas encore le cas, peut-être vaudrait-il mieux préserver les plus jeunes d'entre nous des paroles qui vont suivre. Olé !
Les carottes ne rendent pas aimable et la soupe ne fait pas grandir !
J'suis sage, j'ai pas d'image, et j'dois l'accepter sans rien dire !
Vingt ans qu'on s'moque de moi, qu'on m'fait passer pour un cul-cul !
Tu sais où tu t'la mets, mon pote, ta chasse au dahu !
En mai, fais c'qu'il te plaît. J'dois rester chez moi, j'suis puni.
Et quand j'perds mes dents d'lait, j'dois dormir avec une souris.
Le poisson n'rend pas intelligent. Mesdames, messieurs,
Pour faire dodo maintenant, faut qu'j'compte les moutons deux par deux.
C'est une voiture de ville, elle peut pas traverser la France !
Vérifie l'niveau d'huile ou tu vas croiser la dame Blanche !
La branlette, ça rend sourd ! Comment j'vais faire ma puberté ?
T'approche pas trop du four ou il va imploser !
Tu t'es cassé la jambe ? Bah souffle dessus, t'auras moins mal.
Ca t'f'ra une jolie langue si on t'arrache les amygdales.
Tiens-toi bien au resto ou j'appelle le Père Fouettard !
Tu veux devenir costaud, garçon ? Termine tes épinards !
La coupe au bol, c'est chouette ! Ecoute un peu c'que dis ta mère.
Reste sur ta serviette, y a des requins au lac du Der. Qu'est-ce qu'il faut pas entendre?
Le hamster n'est pas mort, s'il n'bouge plus, c'est qu'il s'embête.
Et si tu mens encore, ton nez va prendre en centimètres.
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
J'suis sûr que c'est même pas vrai tout ce que racontent les grands.
Je vous le dis net, la vérité à pour devise
De sortir de la bouche des enfants.
C'est l'époque des pansements et du mercurochrome.
L'époque des mamans, j'ai peur des fantômes.
Le temps de jeux de mains et des bâtons de glaces.
Des oreilles de lapins sur les photos de classes.
L'époque des mocassins qu'on t'oblige à porter.
Lorsque tous tes copains ont des baskets au pied.
Le temps des trousses de billes et des boules de chewing-gums.
Les petits playmobiles deviendront des bonhommes.
Pourtant, pourtant, les tranches de pain d'épices.
Me manque, maintenant que, les années me trahissent.
Avec nos grands cartables de soldats de plombs.
Nous récitions nos fables sans y mettre le ton.
La confiserie du coin était la terre promise.
Nos caries valaient bien ces quelques friandises.
On collectionnait tous les vignettes Panini.
On se soufflait en douce les rimes des poésies.
Dans le dos des copains quelques poissons d'avril.
On marquait nos destins à l'encre indélébile.
Pourtant, pourtant, les bâtons de réglisse.
Me manque, maintenant que, les années me trahissent.
C'est des cordes à sauter, de l'encre pleins les doigts.
Des pyjamas rayés, de la barde à papa.
Des vélos sans roulette et des cabanes en bois.
Des vendeuses d'allumettes, des il était une fois.
C'est des fautes d'orthographe, des histoires de tintin.
Des boulettes et des gaffes, des balades en patin.
Des toboggans rouillés et des luges en cartons.
Des ballons prisonniers, des nuages en coton.
C'est des marchands de sables, des châteaux de fortunes.
C'est des capitaines Flam, et des Pierrot la lune.
Des bottes de chats bottés, des cahiers de vacances.
C'est des meringues au goûter, et des crêpes du dimanche.
Des clowns du cirque Gruss, des masques de Zorro.
Des cumulonimbus, et des chapi chapo.
C'est des maisons hantées, des champs de tournesols.
C'est nos prénoms gravés, sur les bancs..... de l'école.
Depuis qu'je suis gosse, on me raconte des drôles de choses,
Un tas d'histoires louches, des trucs qui me semblent suspects.
C'est certainement parce leurs vies doivent être moroses
Que les grands inventent des histoires bêtes comme leurs pieds.
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
Mon oeil voit bien dans vos bêtises.
C'est pas qu'j'veux pas croire au Père Noël dans la ch'minée,
Mais permettez-moi juste d'exprimer mon point de vue :
Dans toutes les BD ou même les dessins animés,
Tout l'monde l'a capté, le Père Noël a un gros cul !
Il ne passera pas !
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
Mon oeil voit bien dans vos bêtises.
Tous les ans à Pâques, les cloches amènent les chocolats.
Elles les planquent un peu partout autour de la maison.
Il faut croire que je n'me trouve jamais au bon endroit,
Ces satanés cloches commencent à m'casser les bonbons !
Je n'les entends pas !
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
Bah faut pas prendre le cul d'pèpère pour une tasse à café.
Saperlipopettes, messieurs, arrêtez vos bêtises :
Tous les gosses connaissent la vérité.
Et si ce n'est pas encore le cas, peut-être vaudrait-il mieux préserver les plus jeunes d'entre nous des paroles qui vont suivre. Olé !
Les carottes ne rendent pas aimable et la soupe ne fait pas grandir !
J'suis sage, j'ai pas d'image, et j'dois l'accepter sans rien dire !
Vingt ans qu'on s'moque de moi, qu'on m'fait passer pour un cul-cul !
Tu sais où tu t'la mets, mon pote, ta chasse au dahu !
En mai, fais c'qu'il te plaît. J'dois rester chez moi, j'suis puni.
Et quand j'perds mes dents d'lait, j'dois dormir avec une souris.
Le poisson n'rend pas intelligent. Mesdames, messieurs,
Pour faire dodo maintenant, faut qu'j'compte les moutons deux par deux.
C'est une voiture de ville, elle peut pas traverser la France !
Vérifie l'niveau d'huile ou tu vas croiser la dame Blanche !
La branlette, ça rend sourd ! Comment j'vais faire ma puberté ?
T'approche pas trop du four ou il va imploser !
Tu t'es cassé la jambe ? Bah souffle dessus, t'auras moins mal.
Ca t'f'ra une jolie langue si on t'arrache les amygdales.
Tiens-toi bien au resto ou j'appelle le Père Fouettard !
Tu veux devenir costaud, garçon ? Termine tes épinards !
La coupe au bol, c'est chouette ! Ecoute un peu c'que dis ta mère.
Reste sur ta serviette, y a des requins au lac du Der. Qu'est-ce qu'il faut pas entendre?
Le hamster n'est pas mort, s'il n'bouge plus, c'est qu'il s'embête.
Et si tu mens encore, ton nez va prendre en centimètres.
Sornettes, inepsies, balivernes, sottises,
J'suis sûr que c'est même pas vrai tout ce que racontent les grands.
Je vous le dis net, la vérité à pour devise
De sortir de la bouche des enfants.
- yranohHabitué du forum
J'ai lu en classe le premier chapitre de La Vie est ailleurs, de Kundera, et étudié dans ce chapitre le passage où il fait des rimes. Très bien reçu.
J'ai trouvé qu'étudier un extrait d'Enfance (celui du TDL, "raconter un souvenir d'enfance") plaisait bcp aux élèves, mais il est très important qu'on prenne en charge la lecture.
Sur l'influence subie, je pense au Grand cahier, mais évidemment, et malheureusement, ça n'est pas faisable en classe.
En dehors du XXe, je trouve merveilleux le passage sur "la journée du guichet" dans le Port-Royal de Sainte-Beuve. Mais il est difficile d'en faire un extrait, il faut plutôt en lire une petite dizaine de pages en classe (et en faisant des coupes). Jamais fait encore. thème : rupture avec les parents, disons.
J'ai trouvé qu'étudier un extrait d'Enfance (celui du TDL, "raconter un souvenir d'enfance") plaisait bcp aux élèves, mais il est très important qu'on prenne en charge la lecture.
Sur l'influence subie, je pense au Grand cahier, mais évidemment, et malheureusement, ça n'est pas faisable en classe.
En dehors du XXe, je trouve merveilleux le passage sur "la journée du guichet" dans le Port-Royal de Sainte-Beuve. Mais il est difficile d'en faire un extrait, il faut plutôt en lire une petite dizaine de pages en classe (et en faisant des coupes). Jamais fait encore. thème : rupture avec les parents, disons.
- doudounetteNiveau 1
Je suis remplaçante sans poste à cette heure ! et ce choix de textes me semble très intéressant ... à étudier de plus près et merci pour ce partage !!!
- carodanslemétroNiveau 1
Super! Merci pour toutes ces idées!!
- Marie888Niveau 1
Pour les récits d'enfance et d'adolescence, je vois bien l'étude de La Classe de neige d'Emmanuel Carrère en OI ou bien Enfances, Adolescences 5 nouvelles inédites chez Librio. Qu'en pensez-vous ?
- AmaliahEmpereur
Je n'ai pas encore lu le Librio, mais La Classe de neige, j'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point je trouve ce livre glauque, l'idée d'imposer cette lecture à des 3e me dérange vraiment puisque j'ai moi-même été très marquée par cette lecture alors que j'étais adulte. On en a un peu parlé sur le topic "Quels romans contemporains?" pour les 3e.
- IlseÉrudit
Je partage ton sentiment. Je ne donnerai pas ce livre à mes élèves.Amaliah a écrit:Je n'ai pas encore lu le Librio, mais La Classe de neige, j'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point je trouve ce livre glauque, l'idée d'imposer cette lecture à des 3e me dérange vraiment puisque j'ai moi-même été très marquée par cette lecture alors que j'étais adulte. On en a un peu parlé sur le topic "Quels romans contemporains?" pour les 3e.
- SeiGrand Maître
J'ai reçu La classe de neige en spécimen, je l'ai commencé hier. Je ne fais pas ça d'habitude, mais là, il y a quelque chose qui me dérange, et… je veux savoir si cela se termine "bien" ou pas. Une bonne âme pour le donner la réponse en spoiler ?
Je ne supporte plus d'être manipulée par le suspens dans ce genre d'histoire.
Je ne supporte plus d'être manipulée par le suspens dans ce genre d'histoire.
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"Humanité, humanité, engeance de crocodile."
- SeiGrand Maître
Patti Smith, Glaneurs de rêves
- Spoiler:
- Un vœu
J'ai toujours imaginé que j'écrirais un livre, ne serait-ce qu'un petit livre, qui emmènerait le lecteur dans un royaume qui ne pouvait être mesuré ni même évoqué par le souvenir.
J'imaginais beaucoup de choses. Que je resplendirais. Que je serais bonne. Tête nue je m'installerais sur un sommet pour tourner une roue qui ferait tourner la terre et, invisible parmi les nuages, j'aurais une influence ; une utilité.
Des aspirations singulières venaient donner à l'atmosphère des ailes, allégeant les membres d'une enfant sombre aux jambes chétives, tout juste capable d'empêcher ses chevilles de disparaître dans ses grosses godasses.
Toutes mes chaussettes étaient déformées. Peut-être parce que je les remplissais souvent de billes. Je les chargeais d'agates et de billes d'acier, puis je sortais. Les billes étaient la seule activité dans laquelle j'excellais, et je pouvais battre n'importe qui.
Le soir, je déversais mon butin sur mon lit et je les lustrais avec une peau de chamois. Je les rangeais par couleur, par ordre de mérite, et elles se réarrangeaient d'elles-mêmes - petites planètes luisantes, avec chacune son histoire, sa soif d'or propre.
Je n'avais jamais l'impression que la capacité de vaincre venait de moi. Il me semblait toujours qu'elle se trouvait dans l'objet lui-même. Un éclat de magie animé par mon toucher. De cette façon, je trouvais de la magie en toute choses, comme si toutes choses, tous les fragments de la nature, portaient l'empreinte d'un djinn.
Il fallait se montrer prudent, il fallait se montrer malin. Car par le discernement, on pouvait attraper une chose lointaine et l'attirer à soi.
Et le vent agitait les bords du tissu qui recouvrait ma fenêtre. Là je montais la garde, attentive à l'infime, qui devenait sans peine, à travers mon œil ouvert, monstrueux et splendide.
Je contemplais, j'évaluais, et sans davantage de procès, je disparaissais - tel un avion instable, voletant de terre en terre, sans plus me soucier de mes bras malhabiles ou de mes chaussettes de travers.
J'étais partie, et nul n'en avait conscience. Car aux yeux de tous, j'étais toujours parmi eux, sur mon petit lit, absorbée par mon jeu d'enfant.
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