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- IphigénieProphète
Oui mais pour revenir à ma première intervention, je crois que que c'est Aristote (j'en suis sûre je suis allée vérifier :lol: ) qui comme par hasard pose dans la Politique la distinction entre les peuples d'Europe "pleins de courage mais qui manquent d'intelligence et d'habileté technique" et les peuples d'Asie "qui ont l'intelligence mais manquent de courage" alors que "la race des Grecs" elle est dans la situation intermédiaire et participe des deux mondes.kero a écrit:Iphigénie a écrit:Sinon le petit article sur le panhellénisme du petit dictionnaire de la civilisation grecque résume à peu près la synthèse de tout ce qu'on a dit: ce n'est pas clair! les séparations passent par bien d'autres choses que la langue et l'ethnie, une fois posée la distinction Grecs/ barbares et la "conscience identitaire" est bien contestée par la fragmentation politique
Ça n'est pas contradictoire si on considère que la conscience d'appartenir à un groupe ayant des caractéristiques communes n'est pas contradictoire avec l'existence de conflits et divisions internes.
Dans l'Europe médiévale, il y a conscience de constituer une koiné chrétienne (catholique), face aux infidèles et autres barbares - élément qui est activé lors des croisades -, ce qui n'empêche pas l'existence de multiples conflits au sein même du monde chrétien.
Mais c'est aussi Aristote qui fixe la frontière entre hommes libres et hommes destinés à être esclaves: la manie du classement date de là, je ne suis pas sûre qu'elle soit établie avant: je crois pour ma part, mais je me trompe peut-être que la vision des Grecs pré-Aristote est celle d'un monde unique mais concentrique : plus on est près plus on est pareil et celles des modernes celle d'une mosaïque avec des frontières et que ces deux visions ne se recoupent pas.
- ElyasEsprit sacré
Le mot panhellénisme peut aussi être compris comme "pour tous les Grecs", et pas (seulement ?) union des Grecs. Il est intimement lié à une géographie religieuse et, donc, politique. Dodone, Didymes, Delphes, Epidaure, Corinthe, Némée ou Olympie sont des sanctuaires où se pratiquent des jeux, des consultations oraculaires et d'autres activités (par exemple, médicales pour Epidaure). Ces sanctuaires créent des temps sacrés (pour Olympie, la trêve sacrée) ou des émissaires sacrés (les théores) ou des assemblées sacrées pour gérer un sanctuaire (les amphictionies).
Or, ces sanctuaires sont très anciens, pre-classiques. Des cités siciliennes envoyaient des sacrifices énormes à Delphes (j'avais un texte à ce sujet). Cette géographie du sacré est appuyée par des mythes "géographiques" comme les voyages de Héraclès autour de la Méditerranée (qui fait oeuvre de mission civilisatrice, mythe parfait pour justifier la dissémination hellénique tout autour des bassins méditerranéen et négropontin). Les Argonautes sont aussi un mythe de cette facture, mais aussi, comme je le disais plus haut, à une échelle plus régionale, le voyage mythique de Thésée depuis Tégée jusqu'à Athènes.
La pratique du sacrifice suivi d'un banquet, donc entre pairs, me semble cruciale. Il suffit de lire les textes parlant de Delphes pour comprendre qu'il y a un jeu entre les cités (vous avez vu le nombre de trésors à Delphes ).
Homère et Hésiode ont une importance cruciale aussi dans l'idée du panhellénisme.
Maintenant, j'ai surtout une analyse historique et mythographique. L'approche d'Iphigénie du point de vue linguistique et sémantique est aussi révélatrice.
Or, ces sanctuaires sont très anciens, pre-classiques. Des cités siciliennes envoyaient des sacrifices énormes à Delphes (j'avais un texte à ce sujet). Cette géographie du sacré est appuyée par des mythes "géographiques" comme les voyages de Héraclès autour de la Méditerranée (qui fait oeuvre de mission civilisatrice, mythe parfait pour justifier la dissémination hellénique tout autour des bassins méditerranéen et négropontin). Les Argonautes sont aussi un mythe de cette facture, mais aussi, comme je le disais plus haut, à une échelle plus régionale, le voyage mythique de Thésée depuis Tégée jusqu'à Athènes.
La pratique du sacrifice suivi d'un banquet, donc entre pairs, me semble cruciale. Il suffit de lire les textes parlant de Delphes pour comprendre qu'il y a un jeu entre les cités (vous avez vu le nombre de trésors à Delphes ).
Homère et Hésiode ont une importance cruciale aussi dans l'idée du panhellénisme.
Maintenant, j'ai surtout une analyse historique et mythographique. L'approche d'Iphigénie du point de vue linguistique et sémantique est aussi révélatrice.
- IphigénieProphète
Audrey tu te fais du mal: tu es notre Socrate et d'ailleurs, pour ma part je me plante peut-être complètement!Audrey a écrit:Une chose est sûre, moi, j'ai l'impression de ne pas faire partie de votre monde... à vous lire, je me rends compte que je ne sais rien, que je suis limite inculte dans ma propre matière... :|
Une vie entière de lecture ne suffirait pas. *sigh*
c'est tout l'intérêt de la discussion: on met toutes les pierres au milieu et après on essaie de trier ...
- ElyasEsprit sacré
Iphigénie a écrit:Audrey tu te fais du mal: tu es notre Socrate et d'ailleurs, pour ma part je me plante peut-être complètement!Audrey a écrit:Une chose est sûre, moi, j'ai l'impression de ne pas faire partie de votre monde... à vous lire, je me rends compte que je ne sais rien, que je suis limite inculte dans ma propre matière... :|
Une vie entière de lecture ne suffirait pas. *sigh*
c'est tout l'intérêt de la discussion: on met toutes les pierres au milieu et après on essaie de trier ...
Honnêtement, c'est captivant de lire les différentes approches selon nos formations
- User17706Bon génie
Tout petit détail :
Il dit qu'il y en a une mais il ne dit pas vraiment par où elle passe (et il insiste sur le fait qu'il n'y a pas nécessairement recouvrement entre esclave par nature et esclave selon la loi) ; sinon, on peut regarder avec intérêt la scène des Nuées où Strepsiade trouve Sparte un peu trop près d'Athènes sur la mappemonde de Socrate (« il faudra voir à l'éloigner ! ») ; et, de Platon, Politique 263 d (le « point de vue de la grue »).Iphigénie a écrit: Mais c'est aussi Aristote qui fixe la frontière entre hommes libres et hommes destinés à être esclaves
- AudreyOracle
Je ne suis pas certaine que la seule question du sacré permette d'affirmer le sentiment de panhellénisme chez les Grecs.
On peut avoir la même religion, un respect commun pour ceux qui représentent l'autorité dans le culte et les dogmes qui la définissent, pour le calendrier sacré, les récits des origines et les lieux de culte, sans pour autant se sentir comme faisant partie d'une même communauté, comme des "pairs" à respecter et en lesquels se reconnaître.
C'est sans doute idiot, mais le christianisme partagé ne m'a jamais semblé suffisant pour faire naître à travers l'Europe, un sentiment de "communauté chrétienne" dans la population. On continuait à se taper allègrement sur la figure pour des questions de politique, de puissance et d'économie, non? Mais bon, je ne maîtrise pas le sujet, et mon exemple, ma question ne sont certainement pas pertinents...
On peut avoir la même religion, un respect commun pour ceux qui représentent l'autorité dans le culte et les dogmes qui la définissent, pour le calendrier sacré, les récits des origines et les lieux de culte, sans pour autant se sentir comme faisant partie d'une même communauté, comme des "pairs" à respecter et en lesquels se reconnaître.
C'est sans doute idiot, mais le christianisme partagé ne m'a jamais semblé suffisant pour faire naître à travers l'Europe, un sentiment de "communauté chrétienne" dans la population. On continuait à se taper allègrement sur la figure pour des questions de politique, de puissance et d'économie, non? Mais bon, je ne maîtrise pas le sujet, et mon exemple, ma question ne sont certainement pas pertinents...
- AudreyOracle
En fait, ce que j'ai écrit est idiot... on peut reconnaître en l'autre son égal et se taper dessus quand même...erreur de raisonnement. Pardon.
- keroGrand sage
Audrey a écrit:Je ne suis pas certaine que la seule question du sacré permette d'affirmer le sentiment de panhellénisme chez les Grecs.
On peut avoir la même religion, un respect commun pour ceux qui représentent l'autorité dans le culte et les dogmes qui la définissent, pour le calendrier sacré, et les lieux de culte, sans pour autant se sentir comme faisant partie d'une même communauté, comme des "pairs" à respecter et en lesquels se reconnaître.
En effet, des pratiques communes ne renvoient pas forcément à un sentiment d'appartenance commune. Maintenant, dans ce qu'évoque Elyas, il me semble qu'il y a plus que des pratiques religieuses communes, il y a définition d'un espace du sacré qui, en quelque sorte, définit en même temps l'espace d'une communauté et renvoie à une certaine unité. Mais bon ... Ce n'est certainement pas un argument décisif.
Audrey a écrit:C'est sans doute idiot, mais le christianisme partagé ne m'a jamais semblé suffisant pour faire naître à travers l'Europe, un sentiment de "communauté chrétienne" dans la population. On continuait à se taper allègrement sur la figure pour des questions de politique, de puissance et d'économie, non? Mais bon, je ne maîtrise pas le sujet, et mon exemple, ma question ne sont certainement pas pertinents...
Le sentiment de communauté chrétienne existe bel et bien. À l'époque carolingienne en tout cas, il prend la forme d'un concept qu'on retrouve dans de nombreux textes, celui de "populus christianus". Il ressurgit surtout lorsqu'il est question de combats contre les peuples païens (Avars, Normands ..). Après, quant au fait de savoir s'il est - ou non - partage et diffus dans l'ensemble de la population, je dirais que c'est une question qui, dans tous les cas, ne se pose pas, dès lors qu'il n'existe aucun texte pour abonder dans un sens ou dans l'autre. Pour le Moyen Âge classique, il faudrait que je vérifie, je connais moins bien.
Quant au fait qu'on se tape dessus, une fois encore: le fait qu'on se tape dessus n'interdit en rien qu'il puisse exister un sentiment d'appartenance commune. Les exemples sont multiples.
- User17706Bon génie
D'ailleurs, il arrive aux Néos de se taper gentiment sur l'argument
- AudreyOracle
kero a écrit:Audrey a écrit:Je ne suis pas certaine que la seule question du sacré permette d'affirmer le sentiment de panhellénisme chez les Grecs.
On peut avoir la même religion, un respect commun pour ceux qui représentent l'autorité dans le culte et les dogmes qui la définissent, pour le calendrier sacré, et les lieux de culte, sans pour autant se sentir comme faisant partie d'une même communauté, comme des "pairs" à respecter et en lesquels se reconnaître.
En effet, des pratiques communes ne renvoient pas forcément à un sentiment d'appartenance commune. Maintenant, dans ce qu'évoque Elyas, il me semble qu'il y a plus que des pratiques religieuses communes, il y a définition d'un espace du sacré qui, en quelque sorte, définit en même temps l'espace d'une communauté et renvoie à une certaine unité.Audrey a écrit:C'est sans doute idiot, mais le christianisme partagé ne m'a jamais semblé suffisant pour faire naître à travers l'Europe, un sentiment de "communauté chrétienne" dans la population. On continuait à se taper allègrement sur la figure pour des questions de politique, de puissance et d'économie, non? Mais bon, je ne maîtrise pas le sujet, et mon exemple, ma question ne sont certainement pas pertinents...
Le sentiment de communauté chrétienne existe bel et bien. À l'époque carolingienne en tout cas, il prend la forme d'un concept qu'on retrouve dans de nombreux textes, "populus christianus". Après, quant au fait de savoir s'il est - ou non - partage et diffus dans l'ensemble de la population, je dirais que c'est une question qui, dans tous les cas, ne se pose pas, dès lors qu'il n'existe aucun texte pour abonder dans un sens ou dans l'autre. C'était le sens de mon interrogation...
Quant au fait qu'on se tape dessus, une fois encore: le fait qu'on se tape dessus n'interdit en rien qu'il puisse exister un sentiment d'appartenance commune. Les exemples sont multiples.
Oui, voilà, je m'étais corrigée toute seule avant que tu postes... au moins, j'arrive à réfléchir un peu, même si c'est à contretemps! ;-)
- KagomeHabitué du forum
+1 avec Elyas et kero sur le critère religieux.
En fait, le sentiment de panhellénisme se construit aussi en miroir. Je conseille la lecture du Miroir D'Hérodote de F. Hartog, très intéressant sur cette thématique de construction identitaire / sentiment d'appartenance.
Cela a été évoqué ici mais brièvement, en effet il y a une construction en miroir avec d'un côté les hellènes (langue commune en dépit des variantes, religion commune, culture commune) et de l'autre les barbares. L'étude de la diaspora grecque (qui était au programme du CAPES ) montre aussi le rôle de cette dernière dans la construction identitaire.
Je reproduis ci-dessous un plan d'un exam qui pourra donner des pistes de réflexion :
Comment l’hellénisme qui caractérise le IIIe siècle méditerranéen jusqu’à l’Indus s’est-il mis en place et négocié alors qu’il venait d’ailleurs ?
La question posée par l’historiographie contemporaine n’est pas celle de savoir si l’identité grecque a existé puis a du être défendue ou s’est mélangée et éventuellement perdue ou diffusée dans le phénomène de l’essaimage caractéristique de cette période, mais de discuter l’existence même d’une identité grecque préalable aux implantations hors de Grèce, compte tenu de cette donnée historique incontestable : l’hellénisme domine l’espace méditerranéen jusqu’à l’Indus au IIIe s. Cf Irad Malkin : l’hellénisme s’est forgé dans les diasporas, dans l’expérience des Grecs hors de Grèce. L’histoire de la diffusion de l’hellénisme pourrait lui donner raison : on trouve des temples grecs en Bactriane à la fin du IIIe siècle : l’hellénisme hors de Grèce est l’identité grecque, il est marqué par l’éclectisme qui caractérise son contexte de développement.
Plan :
1. Etre grec : une identité importée
2. Etre grec : une identité négociée
3. Etre grec : une identité de circonstance
I. Etre grec : une identité importée
1. Les premières implantations :
-venir avec ses dieux : Naucratis
-Importation culturelle : les récits transmis par oral ou par l’écrit : coupe de Nestor et Iliade ;
2. L’expérience de la colonisation : apoikiai
-les nomima des métropoles/colonies
-l’architecture domestique, urbaine, religieuse…
3. Les dénominations grecques de l’époque hellénistique
-les noms des fondations royales
-les importations des magistratures
-les garnisons : des formes d’implantation plus « ghettoïsées »
II. Etre grec : une identité négociée
1. La mixité ethnique : intermariages.
-un pb historique pour l’époque archaïque
-les mariages imposés à l’époque d’Alexandre
(-l’onomastique ? Psammetikos fils de Theoklès sur les graffiti d’Abou Simbel, par exemple ou les parents d’Hérodote qui portent des noms cariens)
2. La perte de l’hellénisme : un contexte de défaite ou de minorité ?
-Lucaniens et Poseidoniates vers 400 ; Boudines au Ve.
-s’explique parfois par les refus des populations locales : cf Hdt sur les Scythes (Anacharsis et Skylès). Explique les difficultés à rester dans région non grecque : Berezan, exemple de prise d’otage.
-Nuance : On ne connait que les Grecs hors de Grèce qui ont réussi : soit personne dans le milieu d’accueil, soit guerres, soit minorités, soit domination politique (exemple : les installations de garnison en contexte royal, texte 5)
3. Hybridations culturelles et syncrétisme
-Tombe du Plongeur : pratiques funéraires peu grecques ( !!!, cf en Lycie ou en Thrace, oui) mais représentations très grecques : symposion.
-Emporion de Pyrgi : plaques de terre cuite portant représentation des 7 contre Thèbes + feuilles d’or portant inscriptions en étrusque et phénicien et dédiées à déesse phénicienne Astarté : population mélangée et multilingue ( ?)
-le syncrétisme religieux : le culte de Serapis (Osiris/Zeus) à Alexandrie et Zeus-Amon à Cyrène.
III. Etre grec : une identité qui se développe dans les diasporas
1. Extension des réseaux de parenté dans les diasporas
-Chartes de fondation qui inscrivent leur cité dans l’histoire commune des Grecs : Héraclès passé par là, ou les Argonautes : cf Cyrène, Battos et les Argonautes ou Héraclès et les Héraclée.
-Magnésie du Méandre et fondation en Bactriane, Aï Khanoum
2. Développement des rencontres communes : les jeux panhelléniques (exemple les Grecs de Grande Grèce à Olympie)
3. Elaboration d’une identité multiculturelle : éclectisme de l’hellénisme. Exemple de Colaios et de son offrande monumentale à la décoration insolite : griffons.
Temple oraculaire de Siwa, ni grec ni égyptien.
Buste funéraire aniconique à Cyrène.
4. Diffusion de l’hellénisme hors de Grèce : les gymnases de l’époque hellénistique.
Enfin, de mémoire, le panhellénisme s'est aussi développé au IV/IIIe s. comme discours politique, cf les Philippiques de Démosthène et les discours d'Isocrate
En fait, le sentiment de panhellénisme se construit aussi en miroir. Je conseille la lecture du Miroir D'Hérodote de F. Hartog, très intéressant sur cette thématique de construction identitaire / sentiment d'appartenance.
Cela a été évoqué ici mais brièvement, en effet il y a une construction en miroir avec d'un côté les hellènes (langue commune en dépit des variantes, religion commune, culture commune) et de l'autre les barbares. L'étude de la diaspora grecque (qui était au programme du CAPES ) montre aussi le rôle de cette dernière dans la construction identitaire.
Je reproduis ci-dessous un plan d'un exam qui pourra donner des pistes de réflexion :
Comment l’hellénisme qui caractérise le IIIe siècle méditerranéen jusqu’à l’Indus s’est-il mis en place et négocié alors qu’il venait d’ailleurs ?
La question posée par l’historiographie contemporaine n’est pas celle de savoir si l’identité grecque a existé puis a du être défendue ou s’est mélangée et éventuellement perdue ou diffusée dans le phénomène de l’essaimage caractéristique de cette période, mais de discuter l’existence même d’une identité grecque préalable aux implantations hors de Grèce, compte tenu de cette donnée historique incontestable : l’hellénisme domine l’espace méditerranéen jusqu’à l’Indus au IIIe s. Cf Irad Malkin : l’hellénisme s’est forgé dans les diasporas, dans l’expérience des Grecs hors de Grèce. L’histoire de la diffusion de l’hellénisme pourrait lui donner raison : on trouve des temples grecs en Bactriane à la fin du IIIe siècle : l’hellénisme hors de Grèce est l’identité grecque, il est marqué par l’éclectisme qui caractérise son contexte de développement.
Plan :
1. Etre grec : une identité importée
2. Etre grec : une identité négociée
3. Etre grec : une identité de circonstance
I. Etre grec : une identité importée
1. Les premières implantations :
-venir avec ses dieux : Naucratis
-Importation culturelle : les récits transmis par oral ou par l’écrit : coupe de Nestor et Iliade ;
2. L’expérience de la colonisation : apoikiai
-les nomima des métropoles/colonies
-l’architecture domestique, urbaine, religieuse…
3. Les dénominations grecques de l’époque hellénistique
-les noms des fondations royales
-les importations des magistratures
-les garnisons : des formes d’implantation plus « ghettoïsées »
II. Etre grec : une identité négociée
1. La mixité ethnique : intermariages.
-un pb historique pour l’époque archaïque
-les mariages imposés à l’époque d’Alexandre
(-l’onomastique ? Psammetikos fils de Theoklès sur les graffiti d’Abou Simbel, par exemple ou les parents d’Hérodote qui portent des noms cariens)
2. La perte de l’hellénisme : un contexte de défaite ou de minorité ?
-Lucaniens et Poseidoniates vers 400 ; Boudines au Ve.
-s’explique parfois par les refus des populations locales : cf Hdt sur les Scythes (Anacharsis et Skylès). Explique les difficultés à rester dans région non grecque : Berezan, exemple de prise d’otage.
-Nuance : On ne connait que les Grecs hors de Grèce qui ont réussi : soit personne dans le milieu d’accueil, soit guerres, soit minorités, soit domination politique (exemple : les installations de garnison en contexte royal, texte 5)
3. Hybridations culturelles et syncrétisme
-Tombe du Plongeur : pratiques funéraires peu grecques ( !!!, cf en Lycie ou en Thrace, oui) mais représentations très grecques : symposion.
-Emporion de Pyrgi : plaques de terre cuite portant représentation des 7 contre Thèbes + feuilles d’or portant inscriptions en étrusque et phénicien et dédiées à déesse phénicienne Astarté : population mélangée et multilingue ( ?)
-le syncrétisme religieux : le culte de Serapis (Osiris/Zeus) à Alexandrie et Zeus-Amon à Cyrène.
III. Etre grec : une identité qui se développe dans les diasporas
1. Extension des réseaux de parenté dans les diasporas
-Chartes de fondation qui inscrivent leur cité dans l’histoire commune des Grecs : Héraclès passé par là, ou les Argonautes : cf Cyrène, Battos et les Argonautes ou Héraclès et les Héraclée.
-Magnésie du Méandre et fondation en Bactriane, Aï Khanoum
2. Développement des rencontres communes : les jeux panhelléniques (exemple les Grecs de Grande Grèce à Olympie)
3. Elaboration d’une identité multiculturelle : éclectisme de l’hellénisme. Exemple de Colaios et de son offrande monumentale à la décoration insolite : griffons.
Temple oraculaire de Siwa, ni grec ni égyptien.
Buste funéraire aniconique à Cyrène.
4. Diffusion de l’hellénisme hors de Grèce : les gymnases de l’époque hellénistique.
Enfin, de mémoire, le panhellénisme s'est aussi développé au IV/IIIe s. comme discours politique, cf les Philippiques de Démosthène et les discours d'Isocrate
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Makenaï Zettaï
- AudreyOracle
Oui, mais avec Démosthène et Isocrate, on n'est plus à la période préclassique évoquée dans sa question par Ruthven... où est Ruthven, d'ailleurs? ;-)
- KagomeHabitué du forum
ha oups, je n'avais pas vu la période pour mon dernier ajout. Bon, tout le reste reste valide anyway, le plan donné est une étude du VIIIe BC au IIIe BC.
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Makenaï Zettaï
- ElyasEsprit sacré
Kero, quand on définit une géographie du sacré commune, on a quand même fait un pas de géant vers le concept d'unité culturelle à défaut de politique.
Je repense à plusieurs anecdotes, toutes liées aux Spartiates :
- le retard pour venir secourir les Athéniens à Marathon à cause d'une fête sacrée. Les Athéniens ne remettent absolument pas en cause ce problème du calendrier sacré.
- les sacrifices préalables au combat qui faisaient reculer une bataille chez les Spartiates.
Il y a plus qu'un espace sacré, il y a aussi un calendrier du sacré liant les Grecs.
Mais, je m'égare peut-être.
Pour reprendre l'analogie avec le christianisme médiéval, il y avait aussi une géographie du sacré (les routes de pélerinage et les lieux saints) et un calendrier du sacré. Détail amusant, la conversion des Saxons au christianisme a été faite par des prêtres acquis au calendrier grégorien, justifiant la conquête des terres celtes à l'argument que le christianisme celtique, pourtant très ancien, était hérétique (ils avaient un christianisme avec une primauté abbatiale et non épiscopale, le calendrier julien (youpi pour les disputes sur le calcul de Pâques) et pas la bonne tonsure monacale). Cela donnait lieu à des malédictions prononcées par des moines cymriques contre les chrétiens saxons et le prêtre envoyé par Rome disant au roi saxon qu'il pouvait tous les tuer.
Je repense à plusieurs anecdotes, toutes liées aux Spartiates :
- le retard pour venir secourir les Athéniens à Marathon à cause d'une fête sacrée. Les Athéniens ne remettent absolument pas en cause ce problème du calendrier sacré.
- les sacrifices préalables au combat qui faisaient reculer une bataille chez les Spartiates.
Il y a plus qu'un espace sacré, il y a aussi un calendrier du sacré liant les Grecs.
Mais, je m'égare peut-être.
Pour reprendre l'analogie avec le christianisme médiéval, il y avait aussi une géographie du sacré (les routes de pélerinage et les lieux saints) et un calendrier du sacré. Détail amusant, la conversion des Saxons au christianisme a été faite par des prêtres acquis au calendrier grégorien, justifiant la conquête des terres celtes à l'argument que le christianisme celtique, pourtant très ancien, était hérétique (ils avaient un christianisme avec une primauté abbatiale et non épiscopale, le calendrier julien (youpi pour les disputes sur le calcul de Pâques) et pas la bonne tonsure monacale). Cela donnait lieu à des malédictions prononcées par des moines cymriques contre les chrétiens saxons et le prêtre envoyé par Rome disant au roi saxon qu'il pouvait tous les tuer.
- RuthvenGuide spirituel
Merci pour les riches remarques, cela me donne de nouvelles idées.
Comme le notait Audrey, ma question ne portait pas tant sur des pratiques communes que sur la conscience de la communauté dans ces pratiques ; je voulais savoir s'il y avait une conscience de l'identité (de culture/de valeurs ...) avant la confrontation avec l'altérité. Que le sentiment panhellénique puisse se développer à partir des guerres médiques, cela ne me paraît pas contestable (par ex. Eschyle dans les Perses dit des Grecs, et non des Athéniens, qu'ils n'ont pas de maître et ne sont pas des sujets), en revanche, j'avais un doute sur la situation avant les guerres médiques (ce que j'ai appelé maladroitement la Grèce préclassique). Comme Iphigénie, j'avais tendance à penser que le sentiment était relativement tardif (mais pas si tardif qu'Aristote) même si la question cultuelle et en particulier les Jeux me semblaient un argument sérieux contre cette idée. En revanche, chez Homère, cela ne me semble pas si évident.
Pour la matière mythique, on peut aussi penser aux mythes d'autochtonie qui n'iraient pas vraiment dans le sens de la conscience d'une identité.
Je vais lire le livre de G. Pericles (sans rire) pendant les vacances, Barbarian Asia and the Greek experience. From the Archaic period to the Age of Xenophon pour voir s'il donne des éléments plus détaillés (s'il y a d'autres curieux, il est téléchargeable sur Lib ... Gen ... (même si c'est mal)).
Comme le notait Audrey, ma question ne portait pas tant sur des pratiques communes que sur la conscience de la communauté dans ces pratiques ; je voulais savoir s'il y avait une conscience de l'identité (de culture/de valeurs ...) avant la confrontation avec l'altérité. Que le sentiment panhellénique puisse se développer à partir des guerres médiques, cela ne me paraît pas contestable (par ex. Eschyle dans les Perses dit des Grecs, et non des Athéniens, qu'ils n'ont pas de maître et ne sont pas des sujets), en revanche, j'avais un doute sur la situation avant les guerres médiques (ce que j'ai appelé maladroitement la Grèce préclassique). Comme Iphigénie, j'avais tendance à penser que le sentiment était relativement tardif (mais pas si tardif qu'Aristote) même si la question cultuelle et en particulier les Jeux me semblaient un argument sérieux contre cette idée. En revanche, chez Homère, cela ne me semble pas si évident.
Pour la matière mythique, on peut aussi penser aux mythes d'autochtonie qui n'iraient pas vraiment dans le sens de la conscience d'une identité.
Je vais lire le livre de G. Pericles (sans rire) pendant les vacances, Barbarian Asia and the Greek experience. From the Archaic period to the Age of Xenophon pour voir s'il donne des éléments plus détaillés (s'il y a d'autres curieux, il est téléchargeable sur Lib ... Gen ... (même si c'est mal)).
- IphigénieProphète
:lol: Il nous plante là après nous avoir posé une colle :lol:Audrey a écrit:Oui, mais avec Démosthène et Isocrate, on n'est plus à la période préclassique évoquée dans sa question par Ruthven... où est Ruthven, d'ailleurs? ;-)
Sinon d'accord avec le fait qu'il faudrait déjà circonscrire de quoi nous parlons: avec Alexandre, ça devient franchement autre chose.
Cela me fait penser qu'il y a un concept très ancré dans l'esprit grec qui est un topos rhétorique: celui de l'autochtonie. Je ne suis pas sûre qu'il ait un sens ethnique au sens contemporain: l'autochtone c'est celui qui s'oppose au migrant, au déraciné, au métèque (et le métèque peut très bien être un grec, au moins avant Aristote, tout comme l'esclave d'ailleurs) sachant que l'individu grec n'est rien s'il n'est pas ancré dans un génos: le prire châtiment pour OEdipe c'est de partir sur les routes (les routes grecques: sans référence à leur état actuel ). Il y a aussi le concept de l'ombilic du monde: l'omphalos, le centre de l'univers grec est à Delphes.
Bon et le temps que je réfléchisse en tapant, Ruthven vint
- KagomeHabitué du forum
Je pense que la conscience de l'identité commune vient de la confrontation avec l'altérité mais peut-être suis je trop empreinte des travaux d'Hartog et Irad Malkin.Ruthven a écrit:sur la conscience de la communauté dans ces pratiques ; je voulais savoir s'il y avait une conscience de l'identité (de culture/de valeurs ...) avant la confrontation avec l'altérité. .
C'est aussi un vaste sujet très difficile à trancher car pour répondre, nous n'avons que très peu de sources pour la période archaïque (ce n'est pas tellement mieux pour la période classique bien qu'Aristoxène de Tarente soit utile), si ce n'est aucune. Comment évaluer un sentiment, en particulier l'hellénicité ? Archiloque de Paros peut t'éclairer mais ça reste encore basé sur la confrontation avec l'autre...
Un rappel utile qui prouve que la recherche est aussi limitée sur ce sujet : http://identites.univrouen.free.fr/20061031R%E9sum%E9BaroinWorms.pdf
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Makenaï Zettaï
- keroGrand sage
Kagome a écrit:Je pense que la conscience de l'identité commune vient de la confrontation avec l'altérité mais peut-être suis je trop empreinte des travaux d'Hartog et Irad Malkin.Ruthven a écrit:sur la conscience de la communauté dans ces pratiques ; je voulais savoir s'il y avait une conscience de l'identité (de culture/de valeurs ...) avant la confrontation avec l'altérité. .
C'est aussi un vaste sujet très difficile à trancher car pour répondre, nous n'avons que très peu de sources pour la période archaïque (ce n'est pas tellement mieux pour la période classique bien qu'Aristoxène de Tarente soit utile), si ce n'est aucune. Comment évaluer un sentiment, en particulier l'hellénicité ? Archiloque de Paros peut t'éclairer mais ça reste encore basé sur la confrontation avec l'autre...
Bah en même temps, de fait la confrontation avec l'autre me semble être, de fait, au cœur de la construction identitaire (quelque soit la nature de l'identité considérée, d'ailleurs: ethnique, nationale, religieuse ...). Il ne peut y avoir conscience d'une identité propre, indépendante d'une conscience de l'altérité. C'est une représentation qui repose forcément sur une logique dialectique.
- egometDoyen
Audrey a écrit:Je ne suis pas certaine que la seule question du sacré permette d'affirmer le sentiment de panhellénisme chez les Grecs.
On peut avoir la même religion, un respect commun pour ceux qui représentent l'autorité dans le culte et les dogmes qui la définissent, pour le calendrier sacré, les récits des origines et les lieux de culte, sans pour autant se sentir comme faisant partie d'une même communauté, comme des "pairs" à respecter et en lesquels se reconnaître.
C'est sans doute idiot, mais le christianisme partagé ne m'a jamais semblé suffisant pour faire naître à travers l'Europe, un sentiment de "communauté chrétienne" dans la population. On continuait à se taper allègrement sur la figure pour des questions de politique, de puissance et d'économie, non? Mais bon, je ne maîtrise pas le sujet, et mon exemple, ma question ne sont certainement pas pertinents...
Il me semble que le christianisme au MA, tout comme la langue grecque dans l'Antiquité, suffisait à définir le civilisé par rapport au barbare. C'est une distinction qu'on a un peu perdue, parce que nous nous sommes habitués à relativiser les systèmes de valeurs, et que nous avons un peu peur des relents racistes qui pourraient se cacher derrière, mais je crois qu'elle reste éclairante.
Parmi les étrangers, il y a ceux avec lesquels on entretient des relations diplomatiques régulières et que l'on se sent capables de comprendre. On partage un même horizon culturel et les échanges commerciaux et autres sont assez fréquents pour que rien d'important n'échappe aux autres membres de ce cercle diplomatique. Si une idée ou une invention importante apparaît dans une cité, les autres en auront connaissance. Si une révolution survient à Athènes, les Spartiates se sentiront concernés. Ils feront sans doute des choix politiques différents, mais ils seront en mesure de comprendre les débats de l'autre cité, et y réagiront. Sur le plan institutionnel, on constate beaucoup de parentés entre les cités, bien que certaines soient monarchiques, d'autres aristocratiques ou démocratiques, il y a un fond commun: ecclesia, boule etc. Les différents régimes se distinguent surtout par le poids accordé à chacune de ces institutions. On voit aussi de fortes convergences dans les bouleversements politiques. Les révoltes populaires de l'époque archaïque concernent toute la Grèce, même si les résultats sont variables. A la même époque, le mouvement de colonisation est aussi une tendance hellénique.
En revanche, si on sort du monde grec, le fonctionnement n'est plus du tout le même. Ce que pense un Perse ou un Égyptien est radicalement hors de la compréhension de la plupart des Grecs. Et si le peuple appartenant à une autre culture est faible, c'est à peine si on envisage de négocier quoi que ce soit avec lui. Alors qu'avec d'autres civilisés, même en cas de conflit, on se rappelle qu'on aura à se mettre un jour ou l'autre à la table des négociations. On ne traite pas l'ennemi civilisé de la même façon que le barbare. On a plus de chances de rentrer en conflit avec un autre civilisé (i.e. un autre membre de son système diplomatique), mais on n'adoptera pas les mêmes formes de violence qu'avec un barbare, que l'on peut mépriser à peu près totalement.
Aujourd'hui, nous nous sommes habitués à penser que tous les peuples ont leur civilisation, et il n'y a plus que quelques tribus en voie de disparition qui échappent au système diplomatique conçu par les Européens. Et heureusement nous considérons d'abord l'humain dans l'étranger, même si ce n'est pas forcément réciproque.
Mais il n'en demeure pas moins que certains pays échappent encore à la compréhension de nos diplomates, je ne parle même pas de l'homme de la rue. Un Américain sait ce qu'est un Français ou un Allemand, il commence à savoir ce qu'est un Japonais. Il a déjà beaucoup plus de mal à comprendre la mentalité d'un Chinois, alors un Africain ou un Arabe! Mac Namara a avoué que les USA avaient commis une erreur en allant au Viêtnam, parce qu'ils n'avaient pas réussi à comprendre les objectifs de leurs adversaires et les avaient pensés comme de simples marionnettes des Chinois!
Il n'y a pas si longtemps, le traitement réservé à un ennemi africain ou indien n'était pas du tout le même que celui réservé à un prisonnier de guerre européen. Il a fallu attendre la fin de la seconde guerre mondiale et la décolonisation pour qu'on commence à envisager un traitement égal. Et je ne suis pas sûr que ce soit acquis.
D'ailleurs, quand on voyage en Afrique ou en Asie, on se rend vite compte que l'idée d'une civilisation supranationale n'est pas du tout fantaisiste et qu'on a beaucoup plus d'affinités avec les Américains ou les autres Européens qu'avec d'autres peuples, même francophones. L'idée d'une civilisation occidentale correspond bel et bien à une réalité.
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- IphigénieProphète
Je ne suis pas du tout sûre de ce que tu dis là: j'ai presque l'impression de l'inverse, en ce sens que ce sont les modernes qui cherchent à tout prix à définir des catégories : "racisme", "civilisé" en fonction de nos habitudes de penser et de nos intentions démonstratives ou de nos actes de contrition d'Européens contemporains portant tout le poids de la colonisation sur leurs épaules. En tout cas si on lit le début des histoires d'Hérodote, ce découpage "hiérarchique" du monde n'est pas flagrant dans un monde Méditerranéen antique fortement mêlé par des vagues successives de migrations (plus que d'"immigration" d'ailleurs dans les usages du vocabulaire):l me semble que le christianisme au MA, tout comme la langue grecque dans l'Antiquité, suffisait à définir le civilisé par rapport au barbare. C'est une distinction qu'on a un peu perdue, parce que nous nous sommes habitués à relativiser les systèmes de valeurs, et que nous avons un peu peur des relents racistes qui pourraient se cacher derrière, mais je crois qu'elle reste éclairante.
- Spoiler:
En présentant au public ces recherches, Hérodote d'Halicarnasse se propose de préserver de l'oubli les actions des hommes, de célébrer les grandes et merveilleuses actions des Grecs et des Barbares, et, indépendamment de toutes ces choses, de développer les motifs qui les portèrent à se faire la guerre.
I. Les Perses les plus savants dans l'histoire de leur pays attribuent, aux Phéniciens la cause de cette inimitié. Ils disent que ceux-ci étant venus des bords de la mer Érythrée (02) sur les côtes de la nôtre, ils entreprirent de longs voyages sur mer, aussitôt après s'être établis dans le pays qu'ils habitent encore aujourd'hui, et qu'ils transportèrent des marchandises d'Égypte et d'Assyrie en diverses contrées, entre autres à Argos. Cette ville surpassait alors toutes celles du pays connu actuellement sous le nom de Grèce. Ils ajoutent que les Phéniciens y étant abordés se mirent à vendre leurs marchandises ; que cinq ou six jours après leur arrivée la vente étant presque finie, un grand nombre de femmes se rendit sur le rivage, et parmi elles la fille du roi ; que cette princesse, fille d'Inachus, s'appelait Io, nom que lui donnent aussi les Grecs. Tandis que ces femmes, continuent les mêmes historiens, achetaient près de la poupe ce qui était le plus de leur goût, les Phéniciens, s'animant les uns les autres, se jetèrent sur elles. La plupart prirent la fuite ; mais Io fut enlevée, et d'autres femmes avec elle. Les Phéniciens, les ayant fait embarquer, mirent à la voile, et firent route vers l'Égypte.
II. Voilà, selon les Perses, en cela peu d'accord avec les Phéniciens, comment Io passa en Égypte : voilà le principe des injustices réciproques qui éclatèrent entre eux et les Grecs. Ils ajoutent qu'ensuite quelques Grecs (ils ne peuvent les nommer, c'étaient peut-être des Crétois) abordés à Tyr en Phénicie enlevèrent Europe, fille du roi : c'était sans doute user du droit de représailles ; mais la seconde injustice ne doit, selon les mêmes historiens, être imputée qu'aux Grecs. Ils disent que ceux-ci se rendirent sur un vaisseau long (03) à Aea, en Colchide, sur le Phase, et qu'après avoir terminé les affaires qui leur avaient fait entreprendre ce voyage, ils enlevèrent Médée, fille du roi ; que ce prince ayant envoyé un ambassadeur en Grèce pour redemander sa fille et exiger réparation de cette injure, les Grecs lui répondirent que puisque les Colchidiens n'avaient donné aucune satisfaction de l'enlèvement d'Io, ils ne lui en feraient point de celui de Médée.
III. Les mêmes historiens disent aussi que, la seconde génération après ce rapt, Alexandre (Pâris), fils de Priam, qui en avait entendu parler, voulut par ce même moyen se procurer une femme grecque, bien persuadé que les autres n'ayant point été punis, il ne le serait pas non plus. Il enleva donc Hélène ; mais les Grecs, continuent-ils, s'étant assemblés, furent d'avis d'envoyer d'abord des ambassadeurs pour demander cette princesse, et une réparation de cette insulte. A cette proposition les Troyens opposèrent aux Grecs l'enlèvement de Médée, leur reprochèrent d'exiger une satisfaction, quoiqu'ils n'en eussent fait aucune, et qu'ils n'eussent point rendu cette princesse après en avoir été sommés.
IV. Jusque-là, disent les Perses, il n'y avait eu de part et d'autre que des enlèvements ; mais depuis cette époque les Grecs se mirent tout à fait dans leur tort, en portant la guerre en Asie avant que les Asiatiques l'eussent déclarée à l'Europe. Or, s'il y a de l'injustice, ajoutent-ils, à enlever des femmes, il y a de la folie à se venger d'un rapt, et de la sagesse à ne s'en pas mettre en peine, puisqu'il est évident que, sans leur consentement, on ne les eût pas enlevées. Les Perses assurent que, quoiqu'ils soient Asiatiques, ils n'ont tenu aucun compte des femmes enlevées dans cette partie du monde ; tandis que les Grecs, pour une femme de Lacédémone, équipèrent une flotte nombreuse, passèrent en Asie, et renversèrent le royaume de Priam. Depuis cette époque, les Perses ont toujours regardé les Grecs comme leurs ennemis ; car ils s'arrogent (04) l'empire sur l'Asie et sur les nations barbares qui l'habitent, et considèrent l'Europe et la Grèce comme un continent à part.
V. Telle est la manière dont les Perses rapportent ces événements, et c'est à la prise d'Ilion qu'ils attribuent la cause de la haine qu'ils portent aux Grecs. A l'égard d'Io, les Phéniciens ne sont pas d'accord avec les Perses. Ils disent que ce ne fut pas par un enlèvement qu'ils la menèrent en Égypte : qu'ayant eu commerce à Argos avec le capitaine du navire, quand elle se vit grosse, la crainte de ses parents la détermina à s'embarquer avec les Phéniciens, pour cacher son déshonneur. Tels sont les récits des Perses et des Phéniciens. Pour moi, je ne prétends point décider si les choses se sont passées de cette manière ou d'une autre ; mais, après avoir indiqué celui que je connais pour le premier auteur des injures faites aux Grecs, je poursuivrai mon récit, qui embrassera les petits États comme les grands : car ceux qui florissaient autrefois sont la plupart réduits à rien, et ceux qui fleurissent de nos jours étaient jadis peu de chose. Persuadé de l'instabilité du bonheur des hommes, je me suis déterminé à parler également des uns et des autres.
- Spoiler:
- LVIII. Quant à la nation hellénique, depuis son origine elle a toujours parlé la même langue ; du moins cela me parait ainsi. Faible, séparée des Pélasges, et tout à fait petite dans son commencement, elle est devenue aussi considérable que plusieurs autres nations, principalement depuis qu'un grand nombre de peuples barbares se sont incorporés avec elle ; et c'est, indépendamment des autres raisons, ce qui, à mon avis, a empêché l'agrandissement des Pélasges, qui étaient barbares.
- keroGrand sage
Iphigénie, s'il est vrai que la catégorie civilisé/barbare ne semble pas tellement structurante du discours d'Hérodote que tu rapportes, il est tout de même frappant, je trouve, que dans ce texte la catégorie des Grecs dans leur ensemble soit si présente en tant que telle. On y trouve même une claire conscience d'une certaine unité culturelle du monde grec (là où il parle de langue commune).
Il est vrai qu'Hérodite écrit à l'époque classique, et qu'on ne devrait pas (trop) en préjuger sur l'univers mental de l'époque archaïque, mais tout de même: une vision si structurée ne me semble pas pouvoir s'être constituée qu'à la suite des guerres médiques. Mais ici on est dans la supposition...
Il est vrai qu'Hérodite écrit à l'époque classique, et qu'on ne devrait pas (trop) en préjuger sur l'univers mental de l'époque archaïque, mais tout de même: une vision si structurée ne me semble pas pouvoir s'être constituée qu'à la suite des guerres médiques. Mais ici on est dans la supposition...
- ElyasEsprit sacré
Il y a aussi la légende des Héraclides qui montre que les Grecs pensaient avoir eu à un moment des rois du même sang (de Héraclès et donc de Zeus, en l'occurrence). C'est un vieux mythe. D'ailleurs, si on prend toute la matière mythographique entourant Héraclès, on y voit un axe central d'une vision panhellénique (les voyages de Héraclès tout autour de la Méditerranée, les travaux qui pacifient la terre de Grèce elle-même, ses fils qui reprennent le pouvoir dans les Etats grecs...), axe qui est utilisé pour justifier la naissance des Jeux olympiques et celle des Jeux néméens, au passage.
- egometDoyen
kero a écrit:Iphigénie, s'il est vrai que la catégorie civilisé/barbare ne semble pas tellement structurante du discours d'Hérodote que tu rapportes, il est tout de même frappant, je trouve, que dans ce texte la catégorie des Grecs dans leur ensemble soit si présente en tant que telle. On y trouve même une claire conscience d'une certaine unité culturelle du monde grec (là où il parle de langue commune).
Il est vrai qu'Hérodite écrit à l'époque classique, et qu'on ne devrait pas (trop) en préjuger sur l'univers mental de l'époque archaïque, mais tout de même: une vision si structurée ne me semble pas pouvoir s'être constituée qu'à la suite des guerres médiques. Mais ici on est dans la supposition...
Bien plus, dans ce texte, Herodote fait du conflit entre Grecs et barbares le phénomène majeur et structurant de l'histoire, qu'il s'agirait d'expliquer. Il présente ainsi les guerres médiques comme le dernier avatar d'un conflit beaucoup plus large remontant à la plus haute antiquité, fait d'offenses et de représailles.
La catégorie barbare est d'ailleurs fort confuse, puisqu'elle mêle allègrement les Perses, les Phéniciens, les Égyptiens et même les Troyens, ou la Colchide, peuples dont on peut raisonnablement dire qu'il n'ont rien à voir entre eux, sinon d'avoir été assez tardivement unis sous une même couronne. Pourtant, Herodote présente bien la guerre contre tous ces peuples comme un seul et même conflit.
Si, dans l'extrait que tu donnes, il souligne la diversité des barbares, c'est surtout dans un but apologétique: si les barbares ne sont pas d'accord entre eux, l'interprétation grecque sur le déclenchement de la guerre et les responsabilités prend plus de poids.
Alors je ne nie pas que le travail d'enquête mené par l'historien l'amène par ailleurs à nuancer sa vision du barbare. On va se rendre compte que, parmi les barbares, il y a des peuples dont la culture est brillante. Néanmoins, ce ne sont pas des Grecs.
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- IphigénieProphète
On peut inverser le raisonnement: la Grèce est petite géographiquement divisée et s'est peuplée par vagues d'invasions successives: le panhellénisme n'est pas premier il est une élaboration cultu(r)elle face aux menaces extérieures: les Perses, Philippe et Alexandre ensuite l'ont façonnée. Et quand on lit Homère on n'a pas l'impression d'un monde structuré en blocs : les frontières sont plus complexes et moins claires que des frontières ethniques . Il raisonne plus sur l'humain/non humain que sur grec et non grec: c'est plus flou plus large, plus moral qu'ethnique, me semble-t-il: chez Homère les esclaves sont juste des hommes souvent de noble origine mais qui n' ont pas eu de bol: tout le monde sait qu'il peut tomber dans l'esclavage: au IVe ce ne sera plus pareil: il y a des peuples destinés à fournir les esclaves aux Grecs . Heracles est devenu panhellénique avec Alexandre qui revendique son ascendance mais c'est un dieu pour autant particulièrement cosmopolite justement. Et d'ailleurs les usages d'assimilation des dieux étrangers montrent bien que le rapprochement avec l'esprit de domination de l'Europe chrétienne est très artificiel .Enfin là je ne suis pas capable d'aller plus loin dans l'analyse historique je suis sur des impressions de lecture mais l'idée d'une grande instabilité des peuples me paraît aussi présente dans la pensée grecque que celle de la race élue face aux barbares: je crois qu'on projette ainsi une perception contemporaine sur une pensée antique beaucoup moins formalisée
- egometDoyen
Et même dans le passage qui évoque un métissage, les catégories de Grecs et de Barbares sont très prégnantes.
Si vous me permettez une analogie, la France de la 3e République avait bien conscience d'être formée du croisement de diverses cultures. Elle avait même tendance à exagérer certains apports ( Gaulois, Francs) qui l'ancraient sur son territoire, au détriment de l'apport hébraïque par exemple. Ça ne l'empêchait pas de classer les peuples en diverses catégories: les grandes nations civilisées européennes, les civilisations lointaines brillantes mais étranges ( Chine, Japon), et les primitifs.
Je crois que la distinction de plusieurs cercles de culture est en fait une constante anthropologique. Cette distinction est plus profonde que les systèmes d'alliances et ne se recoupe pas du tout avec eux. On peut s'allier ponctuellement à un barbare, pour des raisons tactiques, tout en gardant le sentiment que cette alliance est incongrue. Voyez ce que valent nos alliances au Moyen-Orient.
Si vous me permettez une analogie, la France de la 3e République avait bien conscience d'être formée du croisement de diverses cultures. Elle avait même tendance à exagérer certains apports ( Gaulois, Francs) qui l'ancraient sur son territoire, au détriment de l'apport hébraïque par exemple. Ça ne l'empêchait pas de classer les peuples en diverses catégories: les grandes nations civilisées européennes, les civilisations lointaines brillantes mais étranges ( Chine, Japon), et les primitifs.
Je crois que la distinction de plusieurs cercles de culture est en fait une constante anthropologique. Cette distinction est plus profonde que les systèmes d'alliances et ne se recoupe pas du tout avec eux. On peut s'allier ponctuellement à un barbare, pour des raisons tactiques, tout en gardant le sentiment que cette alliance est incongrue. Voyez ce que valent nos alliances au Moyen-Orient.
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- IphigénieProphète
Vos préoccupations sont très contemporaines. Qui est le plus"Grec": Achille ou Hector ?
Il faudrait aussi pouvoir coupler la réflexion avec la représentation géographique du monde qu'ont en tête les gens, aux différentes époques dont nous parlons, parce que là encore, on serait très loin de notre vision contemporaine de la géographie et ça change considérablement la donne, me semble-t-il:mais là cela devient beaucoup trop savant pour moi.
Il faudrait aussi pouvoir coupler la réflexion avec la représentation géographique du monde qu'ont en tête les gens, aux différentes époques dont nous parlons, parce que là encore, on serait très loin de notre vision contemporaine de la géographie et ça change considérablement la donne, me semble-t-il:mais là cela devient beaucoup trop savant pour moi.
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