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Sylvain de Saint-Sylvain
Grand sage

Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par Sylvain de Saint-Sylvain Sam 31 Jan 2015, 13:11
PauvreYorick a écrit:Sur ce point (il est meilleur de subir que de commettre l'injustice : que veut dire meilleur ?), l'un des points centraux du dialogue, il faut regarder d'assez près le texte, il faut serrer le développement de l'argumentation de plus près, y compris dans ce qu'elle paraît avoir de sophistique, pour obtenir satisfaction.

Je compte bien m'y mettre. J'ai terminé ma première lecture, je relis attentivement le début pour aborder le mieux possible ce passage.

Si je comprends bien : la découverte de l'objet (= ce que produit cet art) est obtenu par comparaison avec les autres métiers, et rétrécissement du champ. Au final :
- L'objet, c'est la "production" de persuasion, dans le domaine du juste et de l'injuste ;
- Il s'agit de persuasion d'opinion et non de science, la persuasion de science étant l'objet de la justice --> Elle ne permet pas d'accéder à la vérité, mais produit des apparences de vérité (être / paraître) ;
- L'opinion s'opposant à la science, elle est toujours une contrefaçon de celle-ci, qui est acceptée et valorisée parce qu'elle apporte de l'agrément (agréable / bien) ce qui permet à Socrate de définir ultimement l'éloquence comme une "subdivision de la flatterie", dans le domaine du juste et de l'injuste.

Un point flou : Socrate finit par dresser un tableau d'oppositions science / contrefaçon, dans le domaine moral et le domaine physique (sophistique contrefaçon de la législature, cuisine contrefaçon de la médecine). Selon mon commentateur, il s'agit là d'une intrusion de la sophistique, Socrate ouvre de "fausses fenêtres". Mais heu... que faut-il comprendre ? Socrate est-il ironique ? Ou ne voit-il pas, et il n'y a personne pour le lui faire voir, qu'il raisonne lui-même en sophiste ?...

Je tente aussi, à partir de ça, de mieux cerner cette opposition entre faire ce que l'on veut / faire ce que bon nous semble. Si l'orateur fait ce que bon lui semble, et rien d'autre, c'est parce que sa pratique, par définition, le conduit à évoluer dans le monde des apparences. Il ne peut pas accéder à la vérité. Faire ce que l'on veut se définirait, ici, par opposition, comme faire ce qui va nous permettre d'accéder au bien, que l'on connaît.

Esclave des apparences, l'orateur n'a donc aucun pouvoir.

(Je dis peut-être n'importe quoi, mais je me dis que m'humilier ici en vous révélant mes réflexions me permettra peut-être de progresser. Very Happy)
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User17706
Bon génie

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par User17706 Sam 31 Jan 2015, 13:29
Sylvain, tu es un guide idéal pour la lecture Smile

Attention à la distinction entre science et opinion. On est à peu près certain qu'il y en a une (Socrate dit dans un autre dialogue que s'il ne savait qu'une seule chose, ce serait celle-là), quant à la formuler c'est autre chose, et c'est redoutable (Théétète). Dans le Gorgias nous avons, pour attester de ce genre de différence, un exemple : Gorgias est plus persuasif que son frère médecin auprès des patients eux-mêmes, alors qu'il ignore tout de la médecine.

D'où les analogies que tu rappelles, et par lesquelles Socrate suggère en effet que la rhétorique joue le rôle d'un simulacre ou d'une contrefaçon, c'est-à-dire une ressemblance qui ne se contente pas d'être une ressemblance, une image de la chose, mais se fait passer pour la chose même dont elle n'est qu'une image.

Je formulerais différemment (moins dogmatiquement) le commentaire de l'opposition faire ce que l'on veut / faire ce qui plaît. Mais à regarder à deux fois ce que tu écris, je suis raisonnablement certain que l'essentiel est saisi.

Disons simplement que l'expérience de l'attrait des faux biens conduit à cette idée que, puisqu'on ne saurait vouloir que sub ratione boni (thèse qui a toute son importance et dont on trouve une forme de démonstration dans le Ménon, par exemple), faire ce que l'on veut, autrement dit faire son propre bien, suppose nécessairement d'apprendre à faire la différence entre réalité et apparence (entre biens réels et biens apparents). Cette différence même que la rhétorique a pour principe d'effacer.

Je ne comprends pas bien ce que tu dis ne pas comprendre (parce que je ne comprends pas bien ce que veut dire « ton commentateur », Jacques Cazeaux j'imagine). Des détails ? le passage lui-même et le commentaire ?
Sylvain de Saint-Sylvain
Sylvain de Saint-Sylvain
Grand sage

Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par Sylvain de Saint-Sylvain Mar 03 Fév 2015, 21:06
Oh, ben, si je suis un excellent guide, je vais continuer de papoter sur ce que je lis alors ! Smile

J'aimerais approfondir la distinction entre science et opinion. Comprendre plus en détail ce qu'il faut entendre par science dans le Gorgias. La définition que j'en tire est plutôt nébuleuse, en fait : la science de quelque chose, c'est sa connaissance vraie, acquise par l'exercice de la raison et la connaissance des lois logiques (à ce propos, Socrate fait-il la différence entre valide et vrai ?), qui autorisent la démonstration – ce qui permet aussi à la connaissance acquise de science d'être enseignée. L'opinion, c'est une connaissance dont on ne peut pas vérifier la vérité, car elle a été acquise par d'autres voies.
Le Gorgias offre-t-il déjà de quoi éclaircir tout ça (mais je n'ai pas vu où), avant de lire le Théétète ?

Sur la distinction faire ce que l'on veut / faire ce qui plaît, ton explication est je crois beaucoup plus claire que la compréhension que j'en avais, merci ! Si je comprends bien : l'orateur-tyran est donc malheureux, s'il ne fait pas ce qu'il veut, ce qu'il ne peut pas faire maintenant que l'éloquence a été écartée du domaine de la science, mais ce qu'il lui plaît, car il ne peut pas faire son propre bien, incapable de faire la différence entre biens réels et bien apparents.

Quant à ce qui est pire entre commettre l'injustice ou la subir, voilà où j'en suis de ma compréhension : Polos admet d'emblée que commettre l'injustice est plus bas (ce que Calliclès, lui, ne va pas admettre, ce qui va tout casser). Je ne suis pas sûr de bien saisir ce que recouvre ce terme : Socrate dit qu'une chose est belle (le mot grec traduit par « beau » signifiant, selon Cazeaux, « bon » et « beau » à la fois), soit en fonction de son utilité, soit en fonction d'une forme de plaisir, soit en fonction des deux ; il dit ensuite que le bas, c'est le contraire : mal ou douleur ; mal est donc, ici, le contraire d'utile ?...

En tout cas, le raisonnement est ensuite le suivant : Polos et Socrate sont d'accord, commettre l'injustice est plus bas que la subir. Par contre, Polos refuse l'idée que ce soit pire (plus mauvais). Mais commettre l'injustice ne peut pas être plus bas par la douleur, il est évidemment plus douloureux de subir l'injustice. Reste donc le mal : c'est plus bas car plus mauvais, pire.

Puis, si je comprends bien, Socrate tire l'idée que celui qui commet l'injustice est plus malheureux (le malheur étant le fait de vivre dans le mal, et non dans la douleur) que celui qui subit la justice en filant l'analogie entre thérapie du corps et thérapie de l'âme. Le châtiment aurait pour fonction d'ôter le mal de l'âme, comme le médicament ou l'opération chirurgicale ont pour fonction d'ôter le mal du corps. Le condamné voit donc le mal quitter son âme, il ne peut qu'être de plus en plus heureux, tandis que celui qui commet l'injustice laisse le mal intact en son âme (puisque Polos est d'accord pour dire que l'injustice, c'est mal), il est donc plus malheureux que celui qui subit le juste châtiment. Tout repose-t-il sur cette analogie, ou y'a-t-il une autre forme de logique à déceler ?

PauvreYorick a écrit:Je ne comprends pas bien ce que tu dis ne pas comprendre (parce que je ne comprends pas bien ce que veut dire « ton commentateur », Jacques Cazeaux j'imagine). Des détails ? le passage lui-même et le commentaire ?

Cazeaux dit que Socrate s'inspire de la géométrie, étude des rapports, des proportions. Il range ensuite les huit termes de Socrate dans un tableau, puis dit : "Or, seule l'intrusion de la sophistique, que Socrate a introduite sans avoir l'air d'y toucher (463b), permet la régularité du système. Mais par là, Socrate suppose une distinction entre éloquence et éloquence, entre la sophistique, une éloquence perverse sous le vêtement de l'activité du législateur, d'une part, et l'éloquence, d'autre part, qui, prenant le vêtement de l'activité judiciaire, de redressement donc, paraît être confinée au tribunal. Ce coup de force de la logique de Socrate relève lui-même... de la sophistique. Socrate dessine de fausses fenêtres, à l'insu, bien entendu, de ses interlocuteurs, mais en utilisant précisément leur propres erreurs : c'est Gorgias, c'est Polos, qui voient dans leur métier l'outil de triomphes judiciaires." Il dit ensuite que cette fausse fenêtre correspond cependant à la confusion que pointe Socrate un peu plus loin.

Alors, je me demande :
- En quoi est-ce sophistique ? (Je commence à fatiguer, je m'autorise à ne pas vous proposer un début de réflexion...)
- Si c'est sophistique, qu'est-ce que ça vient faire dans la bouche de Socrate ? Est-ce une erreur de sa part, ou en est-il conscient et a-t-il une autre visée (montrer à son interlocuteur où aboutissent certaines des idées qu'ils ont sur leur art ?).
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User5899
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par User5899 Mer 04 Fév 2015, 01:41
PauvreYorick a écrit:Attention à la distinction entre science et opinion. On est à peu près certain qu'il y en a une (Socrate dit dans un autre dialogue que s'il ne savait qu'une seule chose, ce serait celle-là)
Mais bon, y sait jamais rien çuilà Suspect
Carnyx
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par Carnyx Mer 04 Fév 2015, 09:31
PauvreYorick a écrit:

Attention à la distinction entre science et opinion.
Comme y disaient à l'IUFM, « la science c'est l'opinion des scientifiques. » Very Happy
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User17706
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par User17706 Mer 04 Fév 2015, 14:13
Sylvain de Saint-Sylvain a écrit: J'aimerais approfondir la distinction entre science et opinion. Comprendre plus en détail ce qu'il faut entendre par science dans le Gorgias. La définition que j'en tire est plutôt nébuleuse, en fait : la science de quelque chose, c'est sa connaissance vraie, acquise par l'exercice de la raison et la connaissance des lois logiques (à ce propos, Socrate fait-il la différence entre valide et vrai ?), qui autorisent la démonstration – ce qui permet aussi à la connaissance acquise de science d'être enseignée. L'opinion, c'est une connaissance dont on ne peut pas vérifier la vérité, car elle a été acquise par d'autres voies.
Le Gorgias offre-t-il déjà de quoi éclaircir tout ça (mais je n'ai pas vu où), avant de lire le Théétète ?
Il n'est pas étonnant que tu n'aies pas, avec le Gorgias, les moyens d'exposer clairement la distinction entre science et opinion (même vraie ou « droite »). Le Théétète se casse en apparence les dents tout au long sur cette question. Le Ménon l'évoque longuement, mais on peut dire que c'est par exemples et images qu'il la traite. Je me souviens de Dixsaut disant que c'était peut-être la seule chose qui lui résistait encore dans Platon.

Il n'y a pas de concept de « logique » et moins encore de « lois logiques » avant Aristote (et encore !). Donc, pas de distinction technique entre validité et vérité, quoique, bien entendu, on se rende compte qu'une conséquence valide n'aboutit pas forcément à une conclusion vraie, si elle part de prémisses qui ne le sont pas. Le vocabulaire technique pour exprimer tout cela fait défaut.

Il faut se souvenir que le dialogue (la « dialectique ») teste davantage la cohérence que la vérité.
Sylvain de Saint-Sylvain a écrit: Sur la distinction faire ce que l'on veut / faire ce qui plaît [...] l'orateur-tyran est donc malheureux, s'il ne fait pas ce qu'il veut, ce qu'il ne peut pas faire maintenant que l'éloquence a été écartée du domaine de la science, mais ce qu'il lui plaît, car il ne peut pas faire son propre bien, incapable de faire la différence entre biens réels et bien apparents.
La position de tyran aggrave les choses : pour quiconque est en proie à la flatterie, il devient surhumain de faire la distinction entre son bien et sa simple apparence. Cette distinction même que les enfants apprennent difficultueusement à faire (cf. l'exemple du médicament, que je veux prendre sans pour autant désirer le prendre).
Sylvain de Saint-Sylvain a écrit: Quant à ce qui est pire entre commettre l'injustice ou la subir, voilà où j'en suis de ma compréhension : Polos admet d'emblée que commettre l'injustice est plus bas (ce que Calliclès, lui, ne va pas admettre, ce qui va tout casser). Je ne suis pas sûr de bien saisir ce que recouvre ce terme : Socrate dit qu'une chose est belle (le mot grec traduit par « beau » signifiant, selon Cazeaux, « bon » et « beau » à la fois), soit en fonction de son utilité, soit en fonction d'une forme de plaisir, soit en fonction des deux ; il dit ensuite que le bas, c'est le contraire : mal ou douleur ; mal est donc, ici, le contraire d'utile ?...
Αἴσχιον, « plus laid » (474 c), et donc « pire », κάκιον. Les termes de « beau » (καλόν) et de « laid » (αἰσχρόν) ont normalement, j'entends dans leur usage ordinaire, une portée morale (Cazeaux le rappelle à raison). C'est de tout ce passage-là qu'on a le droit, à la première lecture du moins, de craindre qu'il ne soit sophistique. La question est de savoir si Polos peut sans contradiction maintenir à la fois qu'il est meilleur et plus laid de commettre l'injustice que de la subir : que veut dire alors « plus laid » ?
Sylvain de Saint-Sylvain a écrit: En tout cas, le raisonnement est ensuite le suivant : Polos et Socrate sont d'accord, commettre l'injustice est plus bas que la subir. Par contre, Polos refuse l'idée que ce soit pire (plus mauvais). Mais commettre l'injustice ne peut pas être plus bas par la douleur, il est évidemment plus douloureux de subir l'injustice. Reste donc le mal : c'est plus bas car plus mauvais, pire.
C'est ce à quoi Polos est conduit pour donner un sens à ses propres paroles.
Sylvain de Saint-Sylvain a écrit: Puis, si je comprends bien, Socrate tire l'idée que celui qui commet l'injustice est plus malheureux (le malheur étant le fait de vivre dans le mal, et non dans la douleur) que celui qui subit la justice en filant l'analogie entre thérapie du corps et thérapie de l'âme. Le châtiment aurait pour fonction d'ôter le mal de l'âme, comme le médicament ou l'opération chirurgicale ont pour fonction d'ôter le mal du corps. Le condamné voit donc le mal quitter son âme, il ne peut qu'être de plus en plus heureux, tandis que celui qui commet l'injustice laisse le mal intact en son âme (puisque Polos est d'accord pour dire que l'injustice, c'est mal), il est donc plus malheureux que celui qui subit le juste châtiment. Tout repose-t-il sur cette analogie, ou y'a-t-il une autre forme de logique à déceler ?
On assiste dans ces pages à la construction ou à la mise en évidence du concept d'un mal qui n'est pas un dommage ou une douleur. En ce sens, effectivement, il y a élimination : si l'on n'est pas prêt à dire carrément qu'il est meilleur en tout sens de commettre que de subir l'injustice (ce que Calliclès tentera en distinguant la loi et la nature), qu'il soit « plus laid » de la commettre ne peut pas signifier que ce soit plus douloureux (ce serait plutôt l'inverse), et donc doit signifier autre chose ou rien du tout ─ cette autre chose étant ce que Socrate tâche de mettre en évidence.

Sur la question du châtiment, c'est compliqué. Il faudrait que je rouvre le bouquin. On en recausera sûrement.
Sylvain de Saint-Sylvain a écrit:
PauvreYorick a écrit:Je ne comprends pas bien ce que tu dis ne pas comprendre (parce que je ne comprends pas bien ce que veut dire « ton commentateur », Jacques Cazeaux j'imagine). Des détails ? le passage lui-même et le commentaire ?
Cazeaux dit que Socrate s'inspire de la géométrie, étude des rapports, des proportions. Il range ensuite les huit termes de Socrate dans un tableau, puis dit : "Or, seule l'intrusion de la sophistique, que Socrate a introduite sans avoir l'air d'y toucher (463b), permet la régularité du système. Mais par là, Socrate suppose une distinction entre éloquence et éloquence, entre la sophistique, une éloquence perverse sous le vêtement de l'activité du législateur, d'une part, et l'éloquence, d'autre part, qui, prenant le vêtement de l'activité judiciaire, de redressement donc, paraît être confinée au tribunal. Ce coup de force de la logique de Socrate relève lui-même... de la sophistique. Socrate dessine de fausses fenêtres, à l'insu, bien entendu, de ses interlocuteurs, mais en utilisant précisément leur propres erreurs : c'est Gorgias, c'est Polos, qui voient dans leur métier l'outil de triomphes judiciaires." Il dit ensuite que cette fausse fenêtre correspond cependant à la confusion que pointe Socrate un peu plus loin.

Alors, je me demande :
- En quoi est-ce sophistique ? (Je commence à fatiguer, je m'autorise à ne pas vous proposer un début de réflexion...)
- Si c'est sophistique, qu'est-ce que ça vient faire dans la bouche de Socrate ? Est-ce une erreur de sa part, ou en est-il conscient et a-t-il une autre visée (montrer à son interlocuteur où aboutissent certaines des idées qu'ils ont sur leur art ?).
Bon, en fait, je ne vois pas ce que Cazeaux veut dire exactement avec son tableau, donc je vais m'abstenir, pour l'instant, de faire des hypothèses Smile
JPhMM
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Demi-dieu

Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par JPhMM Mer 04 Fév 2015, 14:17
Carnyx a écrit:
PauvreYorick a écrit:

Attention à la distinction entre science et opinion.
Comme y disaient à l'IUFM, « la science c'est l'opinion des scientifiques. » Very Happy
:lol: :lol: :lol:

Ou comment ouvrir grand la porte aux Créationnistes.

_________________
Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke

Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
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Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par Gryphe Jeu 19 Fév 2015, 01:16
J'ai lu la première partie aujourd'hui, celle qui oppose Socrate et Gorgias.
Au rythme où je vais, j'en ai encore pour deux ans... Razz

Je dois dire que j'ai trouvé Socrate incroyablement agressif à l'égard de Gorgias, derrière des airs emplis de tact. Et Gorgias tombe dans le panneau à tous les coups, se rendant totalement ridicule alors qu'on voit depuis le début que Socrate le mène par le bout du nez, sous-entendant, puis mettant à jour progressivement, que l'art de son interlocuteur ne sert à rien et pire, peut être mensonger, alors que le médecin, lui, il a un vrai métier, dont il maîtrise la science avec rigueur.
Mise en scène de Platon pour se moquer de Gorgias ?

J'ai noté pas mal de passages dans lesquels Socrate (fait mine de ?) prendre soin de son interlocuteur, alors qu'il le repousse en fait de plus en plus loin dans ses retranchements (et ses contradictions) :
- "Vois-tu, ce n'est pas toi qui es visé, c'est notre discussion" (p. 138 GF éd. 2007)
(Déjà à l'époque, donc, on conseillait de ne pas s'en prendre aux personnes...),
- "Si je pose des questions, c'est pour que notre discussion puisse se développer d'une façon cohérente, pas du tout pour te mettre en cause" (p. 141) (mon œil ?  Very Happy ),
- "J'ai peur de te réfuter, j'ai peur que tu ne penses que l'ardeur qui m'anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer" (p. 148)
(Toute cette page 148 est énorme : Socrate dit à son interlocuteur 'Stop ou encore ?', alors que celui-ci a déjà la tête sous l'eau, mais il formule cela de telle manière que Gorgias est forcé de poursuivre - 'De quoi vais-je avoir l'air maintenant si je refuse de continuer à causer ?' 🔤 ),
- "Quelque chose m'étonne dans ce que tu dis. D'ailleurs, il est probable que tu as raison, et que je n'ai pas bien saisi" (p. 149) ('Oui, redis voir ton énormité qu'on la voie de plus près.'  Twisted Evil )
... Jusqu'à aboutir de proche en proche à montrer que Gorgias s'est emmêlé les pinceaux et s'est contredit en 5 mn d’entretien, devant une foule de gens qui n'ont pu que contempler le massacre (p. 155).

J'aime bien le passage (p. 144) où Socrate explique que, quand même, quand vraiment on a besoin de recruter des gens compétents, on fait appel à des pros, on ne demande pas à des rhéteurs qui n'y connaissent rien, avant d'asséner franco (p. 151) que "l'orateur, qui n'y connaît rien, convaincra mieux que le connaisseur", et que "la rhétorique n'a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle". A part ça, non, il n'accuse pas du tout son interlocuteur d'exercer un métier où l'on est potentiellement ignorant, malhonnête et trompeur. Razz

On sait donc depuis 2400 ans au moins qu'il y a une différence entre savoir vraiment et flatter la foule. Dont acte.
Et qu'il vaudrait souvent mieux donner la parole aux vrais spécialistes plutôt qu'à ceux qui promettent monts et merveilles et impressionnent par une phraséologie ronflante.
Dont acte.

Et aujourd'hui ? Écoute-t-on toujours ceux qui savent ? S'attache-t-on toujours à la véracité des propos publics tenus plutôt qu'à leur ensorcelante stylistique ?

Z'aviez raison. C'est vital de lire le Gorgias.  sorciere2
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User5899
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par User5899 Jeu 19 Fév 2015, 01:33
Gryphe a écrit:J'ai lu la première partie aujourd'hui, celle qui oppose Socrate et Gorgias.
Au rythme où je vais, j'en ai encore pour deux ans... Razz

Je dois dire que j'ai trouvé Socrate incroyablement agressif à l'égard de Gorgias, derrière des airs emplis de tact. Et Gorgias tombe dans le panneau à tous les coups, se rendant totalement ridicule alors qu'on voit depuis le début que Socrate le mène par le bout du nez, sous-entendant, puis mettant à jour progressivement, que l'art de son interlocuteur ne sert à rien et pire, peut être mensonger, alors que le médecin, lui, il a un vrai métier, dont il maîtrise la science avec rigueur.
Mise en scène de Platon pour se moquer de Gorgias ?

J'ai noté pas mal de passages dans lesquels Socrate (fait mine de ?) prendre soin de son interlocuteur, alors qu'il le repousse en fait de plus en plus loin dans ses retranchements (et ses contradictions) :
- "Vois-tu, ce n'est pas toi qui es visé, c'est notre discussion" (p. 138 GF éd. 2007)
(Déjà à l'époque, donc, on conseillait de ne pas s'en prendre aux personnes...),
- "Si je pose des questions, c'est pour que notre discussion puisse se développer d'une façon cohérente, pas du tout pour te mettre en cause" (p. 141) (mon œil ?  Very Happy ),
- "J'ai peur de te réfuter, j'ai peur que tu ne penses que l'ardeur qui m'anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer" (p. 148)
(Toute cette page 148 est énorme : Socrate dit à son interlocuteur 'Stop ou encore ?', alors que celui-ci a déjà la tête sous l'eau, mais il formule cela de telle manière que Gorgias est forcé de poursuivre - 'De quoi vais-je avoir l'air maintenant si je refuse de continuer à causer ?' 🔤 ),
- "Quelque chose m'étonne dans ce que tu dis. D'ailleurs, il est probable que tu as raison, et que je n'ai pas bien saisi" (p. 149) ('Oui, redis voir ton énormité qu'on la voie de plus près.'  Twisted Evil )
... Jusqu'à aboutir de proche en proche à montrer que Gorgias s'est emmêlé les pinceaux et s'est contredit en 5 mn d’entretien, devant une foule de gens qui n'ont pu que contempler le massacre (p. 155).

J'aime bien le passage (p. 144) où Socrate explique que, quand même, quand vraiment on a besoin de recruter des gens compétents, on fait appel à des pros, on ne demande pas à des rhéteurs qui n'y connaissent rien, avant d'asséner franco (p. 151) que "l'orateur, qui n'y connaît rien, convaincra mieux que le connaisseur", et que "la rhétorique n'a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle". A part ça, non, il n'accuse pas du tout son interlocuteur d'exercer un métier où l'on est potentiellement ignorant, malhonnête et trompeur.   Razz

On sait donc depuis 2400 ans au moins qu'il y a une différence entre savoir vraiment et flatter la foule. Dont acte.
Et qu'il vaudrait souvent mieux donner la parole aux vrais spécialistes plutôt qu'à ceux qui promettent monts et merveilles et impressionnent par une phraséologie ronflante.
Dont acte.

Et aujourd'hui ? Écoute-t-on toujours ceux qui savent ? S'attache-t-on toujours à la véracité des propos publics tenus plutôt qu'à leur ensorcelante stylistique ?

Z'aviez raison. C'est vital de lire le Gorgias.  sorciere2
Ce serait plus pratique de citer Platon en utilisant la pagination universelle que reprennent toutes les éditions (enfin, je crois) : le nombre suivi de la lettre. Comme ça, quelle que soit l'édition qu'on possède, on peut aller voir ce qui nous intrigue Smile
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par Nom d'utilisateur Jeu 19 Fév 2015, 03:04
Ah oui, ça : ce "il est probable que tu as raison, et que je n'ai pas bien saisi" paraît destiné à faire rire un public (fichtrement averti !) aux dépends de Gorgias. On travaille le public. La page allemande "Platonischer Dialog" de Wikipedia cite des auteurs - Usener, Hershbell - suggérant que ces dialogues étaient lus en petits cercles privés ; pas de représentations théâtrales, donc ? Pourtant, Socrate cabotine plus souvent qu'à son tour, au point d'en devenir parfois irritant, tête à claque... Ou bien une illustration, à l'intention de ses élèves, des manières de s'en sortir contre les sophistes dans les débats publics ?

Dans la pagination de Stephanus, c'est mieux, d'accord avec Cripure : les deux éditions successives de Canto-Sperber en GF n'ont elles-mêmes, bien sûr, pas la même pagination (et, puisque je les ai sous la main, les références à l'édition en ligne perseus, trad. angl. de Lamb, et grec à droite (LOAD / SHOW):

"Vois-tu, ce n'est pas toi qui es visé, c'est notre discussion" (p. 138 GF éd. 2007 = 453c)
http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0178%3Atext%3DGorg.%3Asection%3D453c


"[Vois-tu, je le répète, s]i je pose des questions, c'est pour que notre discussion puisse se développer d'une façon cohérente, pas du tout pour te mettre en cause" (p. 141 = 454c)
http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Plat.+Gorg.+454c&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0178

"J'ai peur de te réfuter, j'ai peur que tu ne penses que l'ardeur qui m'anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer" (p. 148 = 457e)
http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Plat.+Gorg.+457e&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0178

"Quelque chose m'étonne dans ce que tu dis. D'ailleurs, il est probable que tu as raison, et que je n'ai pas bien saisi" (p. 149 = 458e)
http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Plat.+Gorg.+458e&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0178

"Quand on réunit les citoyens pour sélectionner des médecins, des constructeurs de navires, ou toute autre profession, a-t-on jamais prié l’orateur de donner son avis ? Non, car il est évident qu’il faut, dans chaque cas, choisir le meilleur spécialiste." (p. 144 = 455b)
http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Plat.+Gorg.+455b&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0178

"l'orateur, qui n'y connaît rien, convaincra mieux que le connaisseur" (151 = 459b)
http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Plat.+Gorg.+459b&fromdoc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0178
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User17706
Bon génie

Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par User17706 Jeu 19 Fév 2015, 07:20
Gryphe a écrit: Je dois dire que j'ai trouvé Socrate incroyablement agressif à l'égard de Gorgias, derrière des airs emplis de tact. Et Gorgias tombe dans le panneau à tous les coups, se rendant totalement ridicule alors qu'on voit depuis le début que Socrate le mène par le bout du nez
Là (et dans les passages cités), je dirais volontiers qu'il faut se méfier, ou, au moins, qu'il y a plusieurs niveaux de lecture.

C'est vrai, d'une part, que le Gorgias est un dialogue violent (de loin le plus violent). Mais d'une part le jeu de la joute dialectique est un jeu codifié, avec des rôles clairement distribués (l'un pose les questions, l'autre répond, idéalement par « oui » ou « non »), et l'issue qu'est la « réfutation » est son issue normale, comme le mat aux échecs ; d'autre part, tous les avertissements de Socrate sur le fait que ce n'est pas la personne de Gorgias qui est en jeu mais bien son art sont autant d'avertissements de Platon au lecteur. Autrement dit il y a un niveau auquel il faut, je crois, les prendre très au sérieux.

Qu'il y ait une certaine force comique dans l'écriture, on ne peut pas le nier ; tout porte en outre à croire, il y a des études là-dessus, que Platon, dans ce dialogue comme dans le Protagoras, s'adonne au pastiche et imite les styles respectifs de Polos (on a souligné l'abondance de polyptotes dans sa première réplique), de Prodicos (discours bourré de fines distinctions entre des termes de sens proche), et, pour viser un cran au-dessus, de Gorgias et de Protagoras. Je ne suis pas assez helléniste pour goûter ça vraiment, mais on m'assure que c'est savoureux.
Aspasie
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Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par Aspasie Jeu 19 Fév 2015, 10:22
Bravo pour ta lecture Gryphe cheers

Alors sur ce que tu soulignes et qui va dans le sens de ceci :
Platon a écrit:"Vois-tu, ce n'est pas toi qui es visé, c'est notre discussion"
il y a quelque chose qui me semble important. Ce n'est pas seulement un refus des arguments ad hominem. C'est plus profond (au sens de interne à la pensée de Platon) que cela encore. Là, il écrit (merci pour le lien vers perseus Wink ) : οὐ σοῦ ἕνεκα ἀλλὰ τοῦ λόγου. Le logos donc, avec sa polysémie. Socrate ne s'intéresse pas à Gorgias qui utilise le logos mais au logos tout court, au logos qui travaille les discours et les discussions. Et là, on est au coeur de Platon : le logos dit l'articulation réelle du monde. Etudier un discours, ce n'est donc pas participer à une joute verbale face à un adversaire. Qu'importe d'affronter Gorgias. Platon vise bien plus haut qu'un quelconque Gorgias (oui... ce n'est pas la modestie qui étouffe Platon...). C'est le logos qui est en jeu : sommes-nous, oui, ou non, en train de donner, par les mots, les bonnes articulations des choses ou pas ?
Evidemment, ce faisant, l'opposition aux thèses de Gorgias est radicale...
Sylvain de Saint-Sylvain
Sylvain de Saint-Sylvain
Grand sage

Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par Sylvain de Saint-Sylvain Jeu 19 Fév 2015, 11:51
Gryphe ! cheers

Nom d'utilisateur a écrit: On travaille le public. La page allemande "Platonischer Dialog" de Wikipedia cite des auteurs - Usener, Hershbell - suggérant que ces dialogues étaient lus en petits cercles privés ; pas de représentations théâtrales, donc ?

J'ai cru lire que les dialogues de Platon étaient régulièrement mis en scène par les lettrés romains - plus tard, donc.

Gryphe a écrit:Et aujourd'hui ? Écoute-t-on toujours ceux qui savent ? S'attache-t-on toujours à la véracité des propos publics tenus plutôt qu'à leur ensorcelante stylistique ?

Tout le monde peut-il écouter ceux qui savent, c'est-à-dire : en comprendre le raisonnement et ne s'attacher qu'à lui ? Dans le Théétète, Socrate se réjouit de la nature de Théétète, propice à l'acquisition de la sagesse, quelque chose comme ça ; mais c'est dire en même temps que tout le monde ne peut pas devenir sage. Il me semble que, si tout le monde n'est pas capable de profiter de la dialectique et de bien raisonner, tout le monde n'est pas non plus capable de suivre un raisonnement et de bien juger des discours. Et dans la République, Socrate proposera de faire le tri parmi les citoyens, et autorisera les gouvernants à mentir, à l'occasion, si c'est pour défendre le bien.

Les charmes de l'éloquence et le spectacle de leurs effets sur les autres nous agacent quand il s'agit de défendre des idées dont nous nous sentons capables de démontrer la fausseté et les mauvaises conséquences, mais pourrions-nous nous mêmes nous en passer ? Est-il possible de conduire chacun à n'apprécier jamais que la pertinence des raisonnements proposés ?

Aussi : une société où chacun n'admettrait de savoir que raisonné est-elle souhaitable ?
Levincent
Levincent
Niveau 9

Mes lectures d'oeuvres intégrales  : Le Gorgias - Page 16 Empty Re: Mes lectures d'oeuvres intégrales : Le Gorgias

par Levincent Jeu 19 Fév 2015, 16:06
Sylvain de Saint-Sylvain a écrit:Est-il possible de conduire chacun à n'apprécier jamais que la pertinence des raisonnements proposés ?

Il me semble que le Gorgias répond "non" à cette question. Socrate ne sort pas forcément vainqueur de ce dialogue, même si le lecteur reconnaît qu'il a la raison pour lui. S'il parvient à faire revenir Gorgias et Polos sur leurs points de vue, ce n'est pas le cas avec Calliclès. Calliclès est en quelque sorte le représentant du logiciel de Gorgias poussé jusqu'à son dernier degré de cohérence. Gorgias et Polos se rendent à la raison de Socrate car une "honte" (le mot est de Calliclès) les retient de soutenir leur position jusqu'au bout. Ils manifestent un dernier sursaut de bon sens et de décence qui les empêche de nier l'évidence lorsqu'elle a été dite. Mais Calliclès ne ressent aucune gêne, au point de ne même pas donner raison à Socrate lorsque celui-ci l'a acculé par une réfutation rigoureuse. Il raille, répond à demi-mots, crie à l'entourloupe. Le bouquet arrive au [505c] : "Je me soucie bien de tous tes discours ! Je ne t’ai répondu que par complaisance pour Gorgias." Autrement dit : Socrate peut bien avoir raison, au fond il s'en fiche. Par la suite, il laisse Socrate conclure seul, ne lui répondant, dit-il, que pour mettre fin au plus vit à la discussion(cf.[510a]). On termine donc la lecture de Gorgias avec le sentiment que Socrate prêche dans le vide, face à un interlocuteur qui l'approuve des lèvres, "par complaisance", mais qui ne se laisse pas pénétrer par ses paroles ([513b] : " il me paraît que tu as raison : mais avec tout cela je suis dans le même cas que la plupart de ceux qui t’écoutent ; je ne te crois pas entièrement.").
Le début du dialogue avec Calliclès porte sur l'amour que chacun des protagonistes éprouve. Socrate pour Alcibiade et la philosophie; Calliclès pour le peuple d'Athènes et le fils de Pyrilampe. On ne peut, par ses paroles, aller à l'encontre de son amour, et c'est pourquoi Socrate ne reste fidèle qu'à la philosophie, qui tient toujours le même langage. Calliclès, qui aime le peuple et veut se faire aimer de lui, n'attache pas d'importance au contenu de son discours, car tant qu'il parvient à le charmer il est content. Pour conclure en réponse à la question : mettre en évidence la pertinence d'un point de vue ne suffit pas à le faire adopter, puisque ce qui est déterminant ce sont les inclinations intimes de la personne, sur lesquelles on ne peut pas influer.
Gryphe
Gryphe
Médiateur

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par Gryphe Jeu 19 Fév 2015, 16:28
PY a écrit:Platon, dans ce dialogue comme dans le Protagoras, s'adonne au pastiche et imite les styles respectifs de Polos (on a souligné l'abondance de polyptotes dans sa première réplique)
Je peux te dire que la première réplique de Polos m'a donné immédiatement envie de lui mettre une claque virtuelle. Razz

Sylvain a écrit:Aussi : une société où chacun n'admettrait de savoir que raisonné est-elle souhaitable ?
Oui, vu comme ça, tu as raison.

Levincent a écrit:Le début du dialogue avec Calliclès porte sur l'amour que chacun des protagonistes éprouve. Socrate pour Alcibiade et la philosophie; Calliclès pour le peuple d'Athènes et le fils de Pyrilampe. On ne peut, par ses paroles, aller à l'encontre de son amour, et c'est pourquoi Socrate ne reste fidèle qu'à la philosophie, qui tient toujours le même langage. Calliclès, qui aime le peuple et veut se faire aimer de lui, n'attache pas d'importance au contenu de son discours, car tant qu'il parvient à le charmer il est content.
Ah oui, c'est très clair comme cela.

Merci à tous pour vos précieuses réflexions. veneration
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