- RobinFidèle du forum
En discutant hier avec un élève intelligent, mais qui a des problèmes à l'écrit et qui entre en Première cette année, j'ai mieux pris la mesure de ce qui gêne les élèves quand ils doivent faire une explication de texte.
Cette gêne peut aller jusqu'à constituer, pour parler comme Gaston Bachelard, un véritable "obstacle épistémologique" : l'idée qu'un poème est un objet ineffable, une œuvre d'art inanalysable, que l'on ne peut que "contempler" et vis-à-vis de laquelle toute explication constitue une trahison, voire une défiguration.
Cette idée, je crois, est fausse. Elle se présente comme originale, voire subversive, mais elle relève de la doxa.
Elle a été popularisée au cinéma par un film culte avec le talentueux Robin Williams dans le rôle principal : Le cercle des poètes disparus dans lequel on voit le professeur demander aux élèves de déchirer leur livre de littérature pour "communier directement aux textes".
Ce préjugé anti-intellectuel est fatal à la littérature et à la poésie. Il est fondé, en dernière analyse sur l'idée, malheureusement partagée par de nombreux intellectuels, qui rejoignent, sur ce point, l'opinion commune, que la littérature et la poésie sont de purs jeux de l'esprit ou bien relèvent de l'immédiateté du vécu et n'ont finalement rien d'intéressant à nous apprendre.
Il n'y pas d'un côté le "vécu" et de l'autre la pensée et la raison. Les émotions, les sentiments, l'imagination et le rêve sont pétris de langage et font intégralement partie de la culture et non de la nature.
Entendons-nous bien : je suis bien d'accord sur le fait que la littérature et la poésie s'enracinent dans le "vécu", mais un poème (Parfum exotique de Baudelaire, par exemple) n'est pas une pure réalité existentielle. Un poème est une oeuvre d'art, au même titre qu'un tableau ou un morceau de musique. En tant qu'œuvre d'art, il est nourri d'émotions, de sentiments et d'images, mais aussi "construit" par une intelligence habile et, comme le disait Mallarmé à son ami Edgar Degas, non avec des sentiments, mais avec des mots.
Opposer le vécu, le "Carpe Diem" à la compréhension est une erreur. Loin de nous barrer l'accès à la "vraie vie", la compréhension éclaire son opacité et la rend plus vivable.
L'idée que la compréhension nuit à la jouissance de l'œuvre est une idée d'esthète paresseux, ce n'est pas une idée "révolutionnaire" comme le pense le professeur Keating, mais une idée platement "bourgeoise", une idée de "consommateur".
Si l'on se place, non plus du point de vue du "consommateur", mais du côté du créateur, on se rend compte qu'elle ne tient pas la route.
Ce sont les créateurs qui ont raison et non les consommateurs. C'est Edgar Poe, expliquant comment il a écrit "Le Corbeau", c'est Paul Valéry évoquant la naissance du poème : : "Les dieux, gracieusement, nous donnent pour rien le premier vers, mais c'est à nous de façonner le second."
Cette gêne peut aller jusqu'à constituer, pour parler comme Gaston Bachelard, un véritable "obstacle épistémologique" : l'idée qu'un poème est un objet ineffable, une œuvre d'art inanalysable, que l'on ne peut que "contempler" et vis-à-vis de laquelle toute explication constitue une trahison, voire une défiguration.
Cette idée, je crois, est fausse. Elle se présente comme originale, voire subversive, mais elle relève de la doxa.
Elle a été popularisée au cinéma par un film culte avec le talentueux Robin Williams dans le rôle principal : Le cercle des poètes disparus dans lequel on voit le professeur demander aux élèves de déchirer leur livre de littérature pour "communier directement aux textes".
Ce préjugé anti-intellectuel est fatal à la littérature et à la poésie. Il est fondé, en dernière analyse sur l'idée, malheureusement partagée par de nombreux intellectuels, qui rejoignent, sur ce point, l'opinion commune, que la littérature et la poésie sont de purs jeux de l'esprit ou bien relèvent de l'immédiateté du vécu et n'ont finalement rien d'intéressant à nous apprendre.
Il n'y pas d'un côté le "vécu" et de l'autre la pensée et la raison. Les émotions, les sentiments, l'imagination et le rêve sont pétris de langage et font intégralement partie de la culture et non de la nature.
Entendons-nous bien : je suis bien d'accord sur le fait que la littérature et la poésie s'enracinent dans le "vécu", mais un poème (Parfum exotique de Baudelaire, par exemple) n'est pas une pure réalité existentielle. Un poème est une oeuvre d'art, au même titre qu'un tableau ou un morceau de musique. En tant qu'œuvre d'art, il est nourri d'émotions, de sentiments et d'images, mais aussi "construit" par une intelligence habile et, comme le disait Mallarmé à son ami Edgar Degas, non avec des sentiments, mais avec des mots.
Opposer le vécu, le "Carpe Diem" à la compréhension est une erreur. Loin de nous barrer l'accès à la "vraie vie", la compréhension éclaire son opacité et la rend plus vivable.
L'idée que la compréhension nuit à la jouissance de l'œuvre est une idée d'esthète paresseux, ce n'est pas une idée "révolutionnaire" comme le pense le professeur Keating, mais une idée platement "bourgeoise", une idée de "consommateur".
Si l'on se place, non plus du point de vue du "consommateur", mais du côté du créateur, on se rend compte qu'elle ne tient pas la route.
Ce sont les créateurs qui ont raison et non les consommateurs. C'est Edgar Poe, expliquant comment il a écrit "Le Corbeau", c'est Paul Valéry évoquant la naissance du poème : : "Les dieux, gracieusement, nous donnent pour rien le premier vers, mais c'est à nous de façonner le second."
- doctor whoDoyen
Effectivement, c'est un vrai obstacle.
J'aurais tendance à penser que c'est un déficit de connaissances en histoire littéraire, notamment concernant les conditions concrètes de création, de diffusion et de réception des poèmes, qui conduit à cela.
J'aurais tendance à penser que c'est un déficit de connaissances en histoire littéraire, notamment concernant les conditions concrètes de création, de diffusion et de réception des poèmes, qui conduit à cela.
_________________
Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- Luigi_BGrand Maître
Etymologiquement, ex-plicare, c'est déplier. En l'expliquant, on ne quitte donc pas le poème et ce geste n'est au fond que le prolongement de la contemplation.
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LVM Dernier billet : "Une École si distante"
- RobinFidèle du forum
doctor who a écrit:Effectivement, c'est un vrai obstacle.
J'aurais tendance à penser que c'est un déficit de connaissances en histoire littéraire, notamment concernant les conditions concrètes de création, de diffusion et de réception des poèmes, qui conduit à cela.
Oui, c'est vrai aussi, mais en ce qui concerne cet élève, l'obstacle principal est l'incompatibilité entre expliquer et contempler.
- CoppéliaNiveau 1
Robin a écrit:En discutant hier avec un élève intelligent, mais qui a des problèmes à l'écrit et qui entre en Première cette année, j'ai mieux pris la mesure de ce qui gêne les élèves quand ils doivent faire une explication de texte.
Cette gêne peut aller jusqu'à constituer, pour parler comme Gaston Bachelard, un véritable "obstacle épistémologique" : l'idée qu'un poème est un objet ineffable, une œuvre d'art inanalysable, que l'on ne peut que "contempler" et vis-à-vis de laquelle toute explication constitue une trahison, voire une défiguration.
Cette idée, je crois, est fausse. Elle se présente comme originale, voire subversive, mais elle relève de la doxa.
Elle a été popularisée au cinéma par un film culte avec le talentueux Robin Williams dans le rôle principal : Le cercle des poètes disparus dans lequel on voit le professeur demander aux élèves de déchirer leur livre de littérature pour "communier directement aux textes".
Ce préjugé anti-intellectuel est fatal à la littérature et à la poésie. Il est fondé, en dernière analyse sur l'idée, malheureusement partagée par de nombreux intellectuels, qui rejoignent, sur ce point, l'opinion commune, que la littérature et la poésie sont de purs jeux de l'esprit ou bien relèvent de l'immédiateté du vécu et n'ont finalement rien d'intéressant à nous apprendre.
Il n'y pas d'un côté le "vécu" et de l'autre la pensée et la raison. Les émotions, les sentiments, l'imagination et le rêve sont pétris de langage et font intégralement partie de la culture et non de la nature.
Entendons-nous bien : je suis bien d'accord sur le fait que la littérature et la poésie s'enracinent dans le "vécu", mais un poème (Parfum exotique de Baudelaire, par exemple) n'est pas une pure réalité existentielle. Un poème est une oeuvre d'art, au même titre qu'un tableau ou un morceau de musique. En tant qu'œuvre d'art, il est nourri d'émotions, de sentiments et d'images, mais aussi "construit" par une intelligence habile et, comme le disait Mallarmé à son ami Edgar Degas, non avec des sentiments, mais avec des mots.
Opposer le vécu, le "Carpe Diem" à la compréhension est une erreur. Loin de nous barrer l'accès à la "vraie vie", la compréhension éclaire son opacité et la rend plus vivable.
L'idée que la compréhension nuit à la jouissance de l'œuvre est une idée d'esthète paresseux, ce n'est pas une idée "révolutionnaire" comme le pense le professeur Keating, mais une idée platement "bourgeoise", une idée de "consommateur".
Si l'on se place, non plus du point de vue du "consommateur", mais du côté du créateur, on se rend compte qu'elle ne tient pas la route.
Ce sont les créateurs qui ont raison et non les consommateurs. C'est Edgar Poe, expliquant comment il a écrit "Le Corbeau", c'est Paul Valéry évoquant la naissance du poème : : "Les dieux, gracieusement, nous donnent pour rien le premier vers, mais c'est à nous de façonner le second."
ça me rappelle mon sujet de dissert au capes, que j 'avais trouvé très intéressant, voilà ce que j'avais répondu :
« Il l'emparouille te l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.»
Une insignifiance… Le texte, au sens propre, ne signifie rien, il ne renvoie à rien de connu, quand pourtant, dans l’être-là poétique, le sens se meut. Prigent écrivait : « Parce qu'elle embrasse passionnément le présent, la poésie affronte une in-signifiance: Le sens du présent est dans cette insignifiance, dans ce cadrage impossible des perspectives, dans ce flottement des savoirs, dans cette fuite des significations devant nos discours et nos croyances ». L’in-signifiance poétique est-elle alors insignifiance, absence de signification ? L’expression choque, étonne : une poétique hors de la signification est-elle seulement possible ?
Le poème ne signifie rien : il ne s’agit pas de dire qu’il est absence de signification mais bien plutôt qu’il ne signifie pas de manière référentielle, en dehors de lui-même. Devons-nous comprendre alors que la poésie ne signifie qu’à travers son langage et sa matière, autrement-dit à travers son contenu et sa forme, sans référence extérieure, oubliant l’opposition entre un signifiant et un signifié ? N’est-ce pas en ce sens qu’il nous faut entendre ce présent de la poésie, un présent non pas temporel mais un être-là du texte, (une idée du dedans, idée que nous ne devons pas chercher le sens en dehors de lui-même, idée, en somme, d’une signification pure ? )
Autrement-dit, la poésie ne renvoie-t-elle qu’à elle-même ?
Si nous nous intéressons un temps à l’étymologie, on remarque que la poesis s’oppose à la mimesis en tant que la seconde, imitation, est référentielle, elle prend le monde pour modèle. Le grec poiesis révèle alors l’idée de fabrication, de création. L’étymologie semble alors donner raison à l’idée que le travail poétique est un travail de fabrication ex-nihilo, en ce sens la matière poétique ne peut signifier rien d’autre qu’elle-même et l’image du présent vient peut-être ici éclairer cet hermétisme des significations dans un champ paradoxalement ouvert. Car la poésie éprouve une impossibilité à contenir des significations déjà existantes et ouvre ainsi le champ des interprétations. Prigent insiste sur la mouvance poétique. S’agit-il alors d’une mouvance du sens ? Le présent image ici la contingence, la fuite et la vacuité. Le flottement du sens renvoie à cet épuisement des significations toujours-déjà en fuite. La poésie est-elle alors ce travail du sens, cette quête du sens à jamais épuisé par un lecteur qui le rendrait présent?
La poésie ne signifie pas alors, à la manière de la science positive, d’une manière causale. Le langage poétique semble ainsi se situer en deçà de toute logique causale et référentielle pour laisser le champ libre à une logique du sens pur.
i) La poésie et le langage du sens. In-signifiance et référence.
-sens propre et sens figuré / Le rapport signifiant-signifié dans une parole dénotative et référentielle.
-poésie et allégorie : « aube » de Rimbaud. La poésie et la quête du sens. Allégorie et sens figuré.
- la poésie et l’affrontement : « Le grand combat » de Michaux. La poésie comme quête et actualisation des significations dans un affrontement (poésie hermétique, insignifiante en temps que son langage n’est pas dénotatif)
ii) La poésie comme expression du sens. (l’idée d’expression pose la réalité d’un sens extérieur au texte).
- Le poème et la description. Tableau poétique. "quai de la seine" Verlaine
- La poésie autobiographique. « prologue » à une saison en enfer, Rimbaud. « Demain dès l’aube », Hugo.
- L’exemple du romantisme français. La poésie et l’expression du moi.
iii) La poésie comme actualisation du sens.
-Schelling et la poésie romantique allemande. La poésie comme actualisation du réel par le langage.
- Ponge. Actualisation de la signifiance dans la réduction de l’opposition signifiant/signifié. « Le Cageot ».
- Poésie et tautégorie : le sens de la poésie n’est pas dénotatif ni allégorique mais tautégorique. Le texte est ce qu’il signifie et signifie ce qu’il est : Impossibilité de penser le sens de la poésie en dehors d’elle-même, hermétisme, discours impossible, le savoir (et donc la croyance) est impossible. La poésie ne requiert pas d’explication, mais une compréhension (Dilthey). Presque une conversion du regard au sens Platonicien.
J'étais partie de l’idée que la poésie possède un caractère opaque en ce sens qu’elle rejette le langage ordinaire, fonctionnel, en somme dénotatif et référentiel pour un langage du sens pur. On peut penser à Frege : « Dans toutes les structures verbales littéraires, l’orientation définitive de la signification est interne, en littérature, les exigences de la signification externe sont secondaires, car les œuvres littéraires ne prétendent pas décrire ou affirmer, et donc ne sont ni vraies, ni fausses. En littérature, les questions de réalité ou de vérité sont subordonnées à un objectif littéraire essentiel, qui est de produire une structure verbale trouvant sa justification en elle-même.» Si on étend la réflexion à la poésie, elle est in-signifiante car son langage ne dénote rien en particulier ; en revanche elle actualise le sens, dans un présent des significations, qui ne lui sont plus extérieures ; c’est en ce sens que la poésie n’est pas in-signifiance mais qu’elle affronte une insignifiance pour faire sens nouveau. Pour le reste de la citation, si le sens poétique ne renvoie qu’à lui-même, il se déploie dans les structures mêmes du langage poétique, dans le texte même, ainsi il reste impossible d’en cadrer les significations, de les expliquer, de construire un savoir positif et extérieur au texte qui en dénaturerait le sens, le rattachant à un autre que le texte.
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