- Marcel KhrouchtchevEnchanteur
Tu as fait une remarque sexiste, et plutôt que de t'en excuser, tu as ironisé sur le fait que "pour une fois, ça va dans l'autre sens". Je trouve cette attitude tout à fait choquante. Effectivement, ce n'était pas blessant de façon dirigée contre moi.Isis39 a écrit:Je ne vois pas en quoi j'ai été blessante envers toi.Marcel Khrouchtchev a écrit:Oui, tu as raison Artysia, excuse-moi, j'en suis resté à la remarque inutilement blessante d'Isis hier.
Désolé. Ta question est légitime.
- Isis39Enchanteur
Franchement si tu subissais vraiment le sexisme comme on le subit régulièrement quand on est une femme, tu n'en ferais pas tout un fromage. Des remarques à la con, on en encaisse tous les jours. Et je ne parle pas des mesures discriminatoires (assumées ou inconscientes).Marcel Khrouchtchev a écrit:Tu as fait une remarque sexiste, et plutôt que de t'en excuser, tu as ironisé sur le fait que "pour une fois, ça va dans l'autre sens". Je trouve cette attitude tout à fait choquante. Effectivement, ce n'était pas blessant de façon dirigée contre moi.Isis39 a écrit:Je ne vois pas en quoi j'ai été blessante envers toi.Marcel Khrouchtchev a écrit:Oui, tu as raison Artysia, excuse-moi, j'en suis resté à la remarque inutilement blessante d'Isis hier.
Désolé. Ta question est légitime.
Donc non je ne m'excuserai pas pour cette remarque que tu trouves peut-être "sexiste" mais qui recouvre une réalité quotidienne : les hommes se sentent largement moins concernés par l'avortement et la contraception même si ce n'est pas ton cas.
- JulHabitué du forum
Isis, ou le féminisme à la française.Isis39 a écrit:Franchement si tu subissais vraiment le sexisme comme on le subit régulièrement quand on est une femme, tu n'en ferais pas tout un fromage. Des remarques à la con, on en encaisse tous les jours. Et je ne parle pas des mesures discriminatoires (assumées ou inconscientes).Marcel Khrouchtchev a écrit:Tu as fait une remarque sexiste, et plutôt que de t'en excuser, tu as ironisé sur le fait que "pour une fois, ça va dans l'autre sens". Je trouve cette attitude tout à fait choquante. Effectivement, ce n'était pas blessant de façon dirigée contre moi.Isis39 a écrit:Je ne vois pas en quoi j'ai été blessante envers toi.
Donc non je ne m'excuserai pas pour cette remarque que tu trouves peut-être "sexiste" mais qui recouvre une réalité quotidienne : les hommes se sentent largement moins concernés par l'avortement et la contraception même si ce n'est pas ton cas.
En quoi discriminer les hommes ferait-il avancer la cause des femmes? On est loin de l'égalité homme/femme à inculquer dès l'enfance, dans le cadre même de la famille.
- Isis39Enchanteur
Oui, c'est sûr que je discrimine les hommes !! Les pauvres victimes !Jul a écrit:Isis, ou le féminisme à la française.Isis39 a écrit:Franchement si tu subissais vraiment le sexisme comme on le subit régulièrement quand on est une femme, tu n'en ferais pas tout un fromage. Des remarques à la con, on en encaisse tous les jours. Et je ne parle pas des mesures discriminatoires (assumées ou inconscientes).Marcel Khrouchtchev a écrit:Tu as fait une remarque sexiste, et plutôt que de t'en excuser, tu as ironisé sur le fait que "pour une fois, ça va dans l'autre sens". Je trouve cette attitude tout à fait choquante. Effectivement, ce n'était pas blessant de façon dirigée contre moi.
Donc non je ne m'excuserai pas pour cette remarque que tu trouves peut-être "sexiste" mais qui recouvre une réalité quotidienne : les hommes se sentent largement moins concernés par l'avortement et la contraception même si ce n'est pas ton cas.
En quoi discriminer les hommes ferait-il avancer la cause des femmes? On est loin de l'égalité homme/femme à inculquer dès l'enfance, dans le cadre même de la famille.
- TristanaVénérable
Il vaut mieux un féminisme à la française que pas de féminisme du tout.Jul a écrit:Isis, ou le féminisme à la française.
En quoi discriminer les hommes ferait-il avancer la cause des femmes? On est loin de l'égalité homme/femme à inculquer dès l'enfance, dans le cadre même de la famille.
Je ne dis pas qu'il faut discriminer les hommes, mais faire une remarque (peut-être lourde) sur un topic, ce n'est pas de la discrimination. Il faut faire attention aux mots employés, comme tu l'as dit toi-même hier (et c'était fort mal à propos, d'ailleurs, puisque je n'avais jamais employé le mot que tu me prêtais).
- Marcel KhrouchtchevEnchanteur
Moi c'est le principe de ta 2e réponse que je trouve nase: "pour une fois que ça va dans ce sens" Donc si je suis ta logique, si je m'attaque à un groupe humain en tant que tel et qu'il n'est pas souvent attaqué, je peux y aller? Parce que ce sera "pour une fois"?Isis39 a écrit:Franchement si tu subissais vraiment le sexisme comme on le subit régulièrement quand on est une femme, tu n'en ferais pas tout un fromage.Marcel Khrouchtchev a écrit:Tu as fait une remarque sexiste, et plutôt que de t'en excuser, tu as ironisé sur le fait que "pour une fois, ça va dans l'autre sens". Je trouve cette attitude tout à fait choquante. Effectivement, ce n'était pas blessant de façon dirigée contre moi.Isis39 a écrit:Je ne vois pas en quoi j'ai été blessante envers toi.
C'est le principe. Effectivement, je ne subis aucune discrimination, je suis un homme blanc, hétérosexuel et français. Alors vas-y, défoule toi: "pour une fois"...
Si ça me choque, c'est parce que je partage la revendication de l'égalité et de la non discrimination. Et je pensais naïvement que ça donnait à celles et ceux qui poursuivaient ce but des idéaux un peu plus consistants et, en tout cas, des réponses moins bêtes que ce "pour une fois"...
- JulHabitué du forum
C'est curieux, hier tu ne trouvais pas qu'un remboursement partiel était mieux que pas de remboursement du tout...Tristana a écrit:Il vaut mieux un féminisme à la française que pas de féminisme du tout.Jul a écrit:Isis, ou le féminisme à la française.
En quoi discriminer les hommes ferait-il avancer la cause des femmes? On est loin de l'égalité homme/femme à inculquer dès l'enfance, dans le cadre même de la famille.
Je ne dis pas qu'il faut discriminer les hommes, mais faire une remarque (peut-être lourde) sur un topic, ce n'est pas de la discrimination. Il faut faire attention aux mots employés, comme tu l'as dit toi-même hier (et c'était fort mal à propos, d'ailleurs, puisque je n'avais jamais employé le mot que tu me prêtais).
D'autres leçons à donner?
- Palombella RossaNeoprof expérimenté
http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paul-brighelli/education-ces-professeurs-tentes-par-le-front-national-04-10-2013-1739100_1886.php
_________________
http://leblogdelapresidente.over-blog.com/
- User17706Bon génie
Néoprofs devrait demander un pourcentage
- OlympiasProphète
angelxxx, une meilleure éducation à la contraception est souhaitable et urgente.angelxxx a écrit:Hum. A moins que je n'ai pas tout compris, l'idée c'est de dérembourser les IVG multiples, pas la première ?
D'après les études qu'on trouvent sur internet, on peut voir que -localement sur le lieu d'étude-, les IVG multiples représentent presque 15% des IVG. ( Environ 80% la 2ième, 15% la 3ième, 4% la 4ième... et presque 1% pour la sixième).
Et quand on regarde les raisons de ces IVG multiples on peut voir à de nombreuses reprises des raisons telles que :
" Utilisation irrégulière de la contraception " , " Arrêt de la contraception après rupture " , "Pas de contraception" ...
Et souvent la pose d'un implant se fait après le 2ième ou 3ième IVG.
Je suis d'avis qu'il vaudrait mieux mettre le paquet sur la contraception que sur l'IVG, puisque apparemment il y a un réel problème avec la contraception.
Je suis bien évidemment d'accord avec vous que le terme "confort" est honteux et très mal choisi. Mais malgré cette maladresse il y a un vrai problème qu'on ne peut nier. Et la solution est simple : il faut parler de contraception.
Maintenant je me pose une question mal placée : si l'IVG est si horrible que ça à subir, pourquoi certaines femmes en font plusieurs alors qu'elles pourraient utiliser un vrai moyen de contraception plutôt que de faire selon "leurs envies" ? (Ne généralisons pas mes propos : je ne nie pas qu'il existe des cas malheureux de femmes qui se protègent réellement, mais d'après les études, une grande partie des IVG multiples ne vient pas de là..)
Mais on peut prendre la pilule sans l'oublier, se retrouver enceinte à cause d'un médicament qui va diminuer temporairement l'efficacité de la pilule et être quand même contrainte d'avoir recours à une IVG !
L'IVG c'est désagréable, c'est stressant, ça fait mal...et oui, comme l'a écrit Dandelion, il faut montrer son intimité à tout le monde alors que lorsque vous accouchez, c'est très différent....
Oui, et ensuite, il y a toujours des gens qui ne comprennent rien à rien pour vous culpabiliser et porter des jugements de valeur imbéciles ! (je ne dis pas ça pour toi)
Et non, le stérilet n'est pas contre-indiqué chez les femmes qui n'ont pas eu d'enfant et c'est un moyen de contraception plus fiable que la pilule.
Non, le médecin n'a pas à refuser de poser un stérilet à une femme, et il n'a pas à refuser de pratiquer une ligature des trompes si la femme ne veut plus d'enfant ! Le corps de la femme n'appartient qu'à elle et nous ne sommes pas des pondeuses potentielles permanentes.
- TristanaVénérable
Je n'ai jamais dit cela ; et ensuite, MLP n'a jamais parlé de dérembourser partiellement, elle a parlé de déremboursement, tout court. Mais tu vas encore disparaître, j'imagine, comme hier où je t'ai répondu que je n'avais jamais parlé d'interdiction de l'IVG et où moi j'ai pris le temps d'expliquer pourquoi un déremboursement me semblait pouvoir aboutir à la même chose qu'une interdiction.Jul a écrit:C'est curieux, hier tu ne trouvais pas qu'un remboursement partiel était mieux que pas de remboursement du tout...Tristana a écrit:Il vaut mieux un féminisme à la française que pas de féminisme du tout.Jul a écrit:Isis, ou le féminisme à la française.
En quoi discriminer les hommes ferait-il avancer la cause des femmes? On est loin de l'égalité homme/femme à inculquer dès l'enfance, dans le cadre même de la famille.
Je ne dis pas qu'il faut discriminer les hommes, mais faire une remarque (peut-être lourde) sur un topic, ce n'est pas de la discrimination. Il faut faire attention aux mots employés, comme tu l'as dit toi-même hier (et c'était fort mal à propos, d'ailleurs, puisque je n'avais jamais employé le mot que tu me prêtais).
D'autres leçons à donner?
Au passage, je rappelle que les soins dentaires et les lunettes sont remboursés partiellement, et qu'il y a des tas de gens qui, du coup, ne vont pas chez le dentiste et ne changent pas leurs lunettes quand ils en ont besoin.
- MoonchildSage
Artysia a écrit:Les recherches sur une pilule masculine ont commencé il y a plus de 10 ans et rien...
Je crois que physiologiquement, à moins d'opter pour une solution définitive, il est beaucoup plus difficile d'arrêter un processus continu qui produit des millions de spermatozoïdes par jour que de bloquer un cycle qui fabrique un ovule tous les 28 jours.
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/08/16/vers-une-pilule-contraceptive-masculine_1746855_1650684.html
- CelebornEsprit sacré
Merci de vous calmer, là, tous (ou presque).
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- user7337Fidèle du forum
Pour finir sur le hors sujet, je croise régulièrement des femmes qui me disent : "Ah ben les préservatifs, c'est à l'homme d'en avoir, moi, j'en ai pas" ou des femmes qui préfèreraient sans, puisqu'elles prennent la pilule et que ça fait plus de sensations.
Pour autant, je ne me permets pas de généraliser ce que je peux croiser et oser prétendre que les femmes sont "légères" sur la contraception parce que comparées à moi, je n'ai croisé que des femmes moins exigeantes. Faire une généralité aurait été du sexisme.
Enfin, il ne faut pas oublier que la fabrication des gamètes chez les hommes est continue et pas cyclique, contrairement aux femmes, ce qui explique certainement que l'on peut faire des choses non définitives pour les femmes et pas les hommes. Les raisons sont biologiques, mais faut-il que je m'en excuse ?
Et effectivement, je vois ici des preuves que l'on peut mettre le féminisme et le machisme dans le même panier. Une belle volonté d'écraser l'autre sexe.
Pour autant, je ne me permets pas de généraliser ce que je peux croiser et oser prétendre que les femmes sont "légères" sur la contraception parce que comparées à moi, je n'ai croisé que des femmes moins exigeantes. Faire une généralité aurait été du sexisme.
Enfin, il ne faut pas oublier que la fabrication des gamètes chez les hommes est continue et pas cyclique, contrairement aux femmes, ce qui explique certainement que l'on peut faire des choses non définitives pour les femmes et pas les hommes. Les raisons sont biologiques, mais faut-il que je m'en excuse ?
Et effectivement, je vois ici des preuves que l'on peut mettre le féminisme et le machisme dans le même panier. Une belle volonté d'écraser l'autre sexe.
- MarphiseNiveau 6
Pour ceux que le sujet intéresse, il y a le site de Martin Winckler, médecin et très engagé pour une meilleure protection des femmes dans le système médical: http://martinwinckler.com/. Sa dernière publication fait justement le point sur la situation en France aujourd'hui. C'est à le lire qu'on se rend compte qu'il y a chez la plupart des médecins un paternalisme terrifiant quant au contrôle du corps des femmes. Et ça permet de mettre en perspective les propos de Marine Le Pen sur le sujet: parler d'avortement "de confort" est effectivement d'une bêtise énorme...
Ceci dit, pour en revenir au sujet, le problème principal de Marine Le Pen, c'est qu'elle appuie là où ça fait mal. Elle identifie de façon convaincante un certain nombre de problèmes, ce qui la rend séduisante politiquement... et derrière, elle propose des solutions qui n'en sont pas. Mais elle les habille d'une rhétorique assez habile, en prenant la posture d'un certain patriotisme républicain qui était quand j'ai commencé à voter celui de Chevènement. Moyennant quoi, ce type de positionnement commence à être estampillé d'extrême-droite et "non-respectable"... Un cercle vicieux est enclenché. Je trouve ça assez effrayant.
Ceci dit, pour en revenir au sujet, le problème principal de Marine Le Pen, c'est qu'elle appuie là où ça fait mal. Elle identifie de façon convaincante un certain nombre de problèmes, ce qui la rend séduisante politiquement... et derrière, elle propose des solutions qui n'en sont pas. Mais elle les habille d'une rhétorique assez habile, en prenant la posture d'un certain patriotisme républicain qui était quand j'ai commencé à voter celui de Chevènement. Moyennant quoi, ce type de positionnement commence à être estampillé d'extrême-droite et "non-respectable"... Un cercle vicieux est enclenché. Je trouve ça assez effrayant.
- MoonchildSage
D'ailleurs si on voulait couper cours à la polémique, on pourrait opposer à Marine le Pen un argument froidement rationnel : le coût social de la prise en charge médicale d'une gestation (pour autrui ?) dans le cas d'une adoption prénatale est certainement aussi élevé que pour une IVG.Marphise a écrit:Et ça permet de mettre en perspective les propos de Marine Le Pen sur le sujet: parler d'avortement "de confort" est effectivement d'une bêtise énorme...
- user7337Fidèle du forum
+1...Marphise a écrit: parler d'avortement "de confort" est effectivement d'une bêtise énorme...
- User17706Bon génie
On croirait trouver un écho de la discussion initiale chez Mezetulle:
http://www.mezetulle.net/article-dans-la-serie-cadeaux-a-l-extreme-droite-l-ecole-republicaine-120462900.html
http://www.mezetulle.net/article-dans-la-serie-cadeaux-a-l-extreme-droite-l-ecole-republicaine-120462900.html
- JohnMédiateur
F. Philippot vient de vanter "le collectif Racine des enseignants patriotes" dans Mots Croisés.
_________________
En achetant des articles au lien ci-dessous, vous nous aidez, sans frais, à gérer le forum. Merci !
"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- retraitéeDoyen
Sur le site de Catherine Kintzler, un article à ce sujet :
http://www.mezetulle.net/article-dans-la-serie-cadeaux-a-l-extreme-droite-l-ecole-republicaine-120462900.html
http://www.mezetulle.net/article-dans-la-serie-cadeaux-a-l-extreme-droite-l-ecole-republicaine-120462900.html
- JacqGuide spirituel
Hier j'ai vu un bout de "Mots croisés" sur le FN, Florian Philippot se félicitait de l'existence de ce collectif pour dire que les prof (des plutôt) étaient aux côtés du FN.
- Marcel KhrouchtchevEnchanteur
Il faut le faire passer plus souvent dans les médias celui-là, ça va faire baisser le vote FN.
- MaieuHabitué du forum
Je vois dans les infos du Monde que le Front National vient de créer le collectif "Racine" pour chercher à attirer à lui les enseignants.
Ci-joint, une réflexion - un peu longue, mais comment faire court sur de tels sujets ?.
"Lettre à mes collègues tentés de voter pour le Front National
« Nous ne sommes humains et nous ne tenons les uns aux autres que par la parole. » (Montaigne – Essais – I, 9 Des menteurs)
La parole politique, par exemple.
Nous répondons à celle des dirigeants des partis et des candidats aux élections par nos bulletins de vote.
Mis sur la balance, tous les bulletins pèsent le même poids physique, signe de l’égalité politique des citoyens. Une voix vaut une voix, parce que nous sommes dans une démocratie républicaine.
Mais, comme les mots prononcés par les hommes politiques dans leurs discours, les noms des partis inscrits sur les bulletins n’ont pas le même poids parce qu’ils sont diversement chargés d’histoire.
Finalement, c’est nous qui décidons de l’importance des uns et des autres au moment où nous glissons dans l’enveloppe le bulletin que nous avons choisi.
***
Ses chefs disent du Front National qu’il n’est pas une formation politique comme les autres, et le consensus est général pour lui reconnaître une singularité.
Pour l’identifier, je partirai du constat suivant : le président-fondateur du parti et sa fille auquel elle a succédé cherchent constamment à susciter des réactions passionnelles sur des sujets sensibles. Comme nous sommes tous soumis, plus ou moins, à des émotions fortes que nous ne contrôlons pas toujours, ils y réussissent généralement très bien, de sorte que nous sommes soit violemment attirés soit violemment repoussés, jamais indifférents.
Je propose donc d’examiner la nature de ce rapport émotionnel et de repérer ce que ce discours volontairement provocant vise en chacun de nous.
Car nous sommes tous sans exception des électeurs virtuels du Front National.
1° Des faits et une question
a- des faits
Aux élections présidentielles de 1974, deux ans après la création du Front National qu’il a dirigé jusqu’en 2011, Jean-Marie Le Pen réunissait sur son nom 190 921 voix, soit 0,75% des suffrages exprimés.
Qui aurait alors imaginé qu’il parviendrait un jour à se qualifier pour le second tour de cette élection majeure ?
Ce jour arriva vingt-huit ans plus tard : le 21 avril 2002, près de cinq millions d’électeurs (16,86% des suffrages exprimés) lui permirent de devancer le candidat socialiste.
Après le reflux relatif de 2007 (moins de quatre millions de voix et 10,5% des exprimés) dont certains dirent qu’il annonçait le déclin du FN, le 22 avril 2012, Marine Le Pen, qui avait succédé à son père à la tête du parti, réunit près de six millions et demi de voix (environ 18% des suffrages exprimés).
En février 2013, selon un sondage publié par Le Monde, si 63% des Français étaient hostiles aux idées défendues par le Front National, 47% estimaient qu’il ne représentait pas un danger pour la démocratie – ils étaient plus de 70% à penser le contraire dans les années 90.
Dans le même temps, les résultats électoraux du parti communiste pour cette élection évoluaient en sens inverse : le 1er juin 1969, Jacques Duclos manquait de peu la qualification pour le second tour des présidentielles avec 4 808 285 voix (21,27% des suffrages exprimés), le 22 avril 2007, Marie-George Buffet ne réunissait plus que 707 268 voix (1,93%).
b- la question
Si, entre 1974 et 2013, le fond du discours du Front National est resté le même – le père se reconnaît dans sa fille qui se reconnaît dans son père – c’est donc chez nous – individus et société – que quelque chose a changé.
D’où vient que ce discours, inaudible en 1974, soit devenu aussi retentissant en 2013 ? En-deçà de la crise et de son effet d’amplification, qu’est-ce qui peut expliquer cette pérennité et cette capacité d’audience ?
2° Les raisons invoquées
Les principales raisons invoquées par le chef-fondateur puis par sa fille pour expliquer l’élargissement de l’auditoire de leur parti sont connues : l’impuissance de tous les partis (gauche, droite et centre confondus), les compromissions et la corruption des mêmes hommes politiques qui se succèdent au pouvoir depuis des décennies, l’Europe et la mondialisation, les étrangers et l’immigration qui menacent notre identité nationale.
Les solutions sont également bien connues. Entre autres : rejeter la droite et la gauche, doter la France d’un vrai Chef doué d’autorité, rompre avec l’union européenne et les technocrates de Bruxelles, abandonner l’euro et rétablir le franc, décréter la préférence nationale, renvoyer une grande partie des étrangers, remettre de l’ordre et restaurer les valeurs patriotiques.
Nous entendons résonner en nous ces raisons et ces solutions exprimées avec des effets oratoires dans des harangues enflammées, et nous les écoutons d’une oreille exaspérée ou enthousiaste.
Mais, s’il adapte à l’actualité ces raisons censées justifier ces solutions radicales, le Front National ne les a pas inventées. De tout temps et partout ont été dénoncées l’incapacité et la corruption des hommes politiques, la perte des valeurs nationales, le danger que constituent l’étranger et les étrangers, de tout temps et partout ont été réclamés des vrais chefs autoritaires pour prendre des mesures définitives supposées régler les problèmes une bonne fois pour toutes – ce type d’argumentation a également été utilisé par Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen qui se prétendaient l’un et l’autre le vrai chef du parti quand ils se sont violemment opposés pour la direction du parti, en 1998.
Ce ne sont donc pas ces raisons qui peuvent expliquer le succès d’audience du Front National. Elles ont été invoquées dans le passé par d’autres formations politiques semblables et le seront par d’autres dans le futur.
Ce discours permanent que tentent de réactiver, en France, le Front National, en Europe, les partis qui défendent les mêmes thèses, nous l’avons en nous, il est commun à tous les hommes, et c’est lui que cherchent à contacter les formations d’extrême-droite.
Les raisons invoquées, complétées par les solutions radicales, ont pour objectif de provoquer des émotions et des réactions passionnelles, elles ne s’adressent pas à notre raison.
3° La raison, dans ses deux sens
a- la raison-cause
Tous, nous avons en effet en nous un même discours commun permanent, plus ou moins explicite, plus ou moins sonore selon les périodes et les circonstances de notre vie.
Nous sommes pareillement fabriqués, composés des mêmes structures biologiques, des mêmes strates historiques et sociologiques empilées les unes sur les autres, qui n’ont pas toutes la même épaisseur, et dont l’agencement varie selon les individus et les sociétés. Mais, au-delà des diversités de tempérament, de caractère, de sensibilité, au-delà de nos différences physiques visibles et de nos histoires singulières, chacun de nous sans exception se raconte et se répète avec ses mots à lui le scénario qui lui a été imposé : « Je suis né le jour indiqué sur le registre d’état-civil, je vivrai des années dont j’ignore le nombre, et je mourrai le jour laissé en blanc sur le même registre. »
Depuis qu’ils existent, les hommes ont cette conscience qui leur est propre et qui les accompagne toute leur vie. Aucun animal, aucune plante, aucun minéral n’a ce savoir. Seul, l’homme en dispose, et c’est ce savoir particulier qui le caractérise en le distinguant radicalement de tout ce qui est vivant.
« Le but de notre carrière c’est la mort, écrit Montaigne dans ses Essais. (…) Elle est inévitable, et si elle nous fait peur, c’est un sujet continuel de tourment, et qui ne se peut aucunement soulager. » (I, 20 – Que philosopher c’est apprendre à mourir)
Nous seuls sommes capables de nous regarder dans une glace pour nous demander qui nous sommes, ce que nous faisons sur cette terre et quel est le sens de notre vie, avec la possibilité de répondre qu’elle ne vaut pas la peine d’être vécue.
C’est la conscience de ce scénario imposé qui constitue le fond de ce discours commun permanent, c’est elle qui est la source profonde et cachée de nos peurs, de nos angoisses et des émotions fortes que nous ne contrôlons pas, autrement dit, nos passions.
Et même si nous protestons que ce n’est pas vrai, que cette conscience ne nous effleure pas, même si nous affirmons que notre mort ne constitue pas un problème et qu’elle ne nous préoccupe pas, nous savons en même temps que c’est faux, que nous mentons.
« Comment est-il possible qu’on puisse se défaire de la pensée de la mort, et qu’à chaque instant il ne nous semble qu’elle nous tient au collet ? » (Montaigne – id)
Cette conscience obstinée et têtue survient très tôt, vers l’âge de trois ou quatre ans, et elle ne nous lâchera pas jusqu’à la fin.
Mais, en même temps, elle nous donne un pouvoir dont ne dispose non plus aucune autre espèce vivante : le pouvoir de nous détacher de nos peurs et de nos angoisses, de les considérer comme n’importe quel objet, le pouvoir d’être libres.
« La méditation de la mort est méditation de la liberté. » (Montaigne – id).
A première vue, le champ de cette liberté peut paraître étroit : nous n’avons choisi ni de naître ni de mourir, ni notre père, ni notre mère, ni notre sexe, ni notre sexualité, ni le corps avec lequel nous devrons vivre, ni le pays, ni l’époque, ni la société où nous sommes nés.
Nous n’avons donc pas plus de libre-arbitre que l’avion qui prétendrait voler parce qu’il l’a décidé.
Pour autant, – et c’est ce qui nous différencie de l’avion – malgré ou grâce à ces contraintes et à ces déterminismes, nous pouvons faire des choix, prendre des décisions, parce que nous disposons de l’outil qui nous permet d’accéder à la liberté.
b- la raison-pensée
C’est elle, l’outil, la clef.
Elle n’est pas facile à utiliser parce qu’elle ne nous est pas donnée ni toute faite ni une bonne fois pour toute. Il nous faut la construire en permanence pour l’adapter aux problèmes existentiels que nous avons à résoudre, et ces problèmes sont sans fin parce qu’ils sont reliés au discours permanent que nous tient la conscience de notre mort, un discours qui évolue au fils du temps et des circonstances de notre vie.
« Car, semblables aux enfants qui tremblent et s’effrayent de tout dans les ténèbres aveugles, nous-mêmes en pleine lumière parfois nous craignons des périls aussi peu terribles que ceux que leur imagination redoute et croit voir s’approcher. Ces terreurs, ces ténèbres de l’esprit il faut donc que les dissipent, non les rayons du soleil ni les traits lumineux du jour, mais l’examen de la nature et son explication. » (Lucrèce – 1er siècle avant notre ère – De la nature des choses – Livre II – 55-61)
Cet effort nécessaire et contraignant de construction est par lui-même le signe de cette liberté, il est constitutif de notre humanité.
Un exemple banal : vous êtes sous l’orage, les éclairs sont à la fois magnifiques et effrayants, mais ce qui vous terrifie le plus, c’est le tonnerre avec ses craquements épouvantables que vous attendez avec appréhension parce que vous vous imaginez qu’il constitue un danger mortel. Le jour où vous apprenez qu’il est la forme sonore, donc plus lente, de l’éclair qui, lui, constitue le danger réel, vous obtenez le moyen de ne plus avoir peur. Ce savoir théorique n’est que le début d’un processus d’apprivoisement, d’appropriation. Vous devez encore prendre la décision de ne plus tressaillir de peur quand le tonnerre se manifestera, décider de l’attendre paisiblement.
Nous savons aussi qu’il n’existe pas de vie individuelle concevable sans fin, mais, comme pour le tonnerre, ce savoir théorique ne suffit pas. Là encore, nous avons à prendre une décision d’appropriation.
Et si vous dites que vous n’avez pas la possibilité de le décider, que c’est hors de votre portée, ce sera encore parce que vous l’aurez décidé ainsi. Telle est l’essence de cet effort de liberté propre à l’homme dont les seuls à être privés sont les malades mentaux qui ont besoin d’être internés.
« Chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et de comprendre ses affects (ce qui spontanément provoque en nous de l’attirance ou de la répulsion) d’une façon claire et distincte, sinon totalement du moins en partie, et il a par conséquent le pouvoir de faire en sorte qu’il ait moins à les subir. » (Spinoza – 17ème siècle – Ethique – V, 4)
Tous, nous disposons en effet du pouvoir de penser le tonnerre inhérent à l’éclair, de penser la mort inhérente à la vie individuelle, et d’avancer sur le chemin de la liberté en nous distanciant de nos passions par la pensée.
« Un affect qui est une passion cesse d’être une passion dès que nous en formons une idée claire et distincte. » (Spinoza, id.)
Décider de penser ce qui suscite nos peurs et nos angoisses, revient en effet à mettre de la distance entre elles et nous, de les considérer comme des objets, c’est-à-dire autres que les sujets que nous sommes.
Nous pouvons aussi choisir de refuser cette mise à distance par la pensée, de « coller » à nos émotions et décider de nous laisser dominer par nos passions et nos peurs.
C’est sans doute ce qui explique que nous sommes tous, à des degrés divers, tentés en permanence par les « solutions » toutes simples et radicales venues d’ailleurs et censées régler tout pour toujours, même si sous savons qu’elles n’existent pas.
Là est notre point commun de faiblesse et c’est lui que cherche à exploiter les organisations du type du Front National.
4° Les stratégies de fuite
a- croire
Cette tentation permanente du remède-miracle est une manière de bâillonner la conscience que nous avons de notre scénario de vie, et même si nous savons que nous n’échapperons pas au discours qu’elle nous tient en permanence, nous avons quand même envie de faire comme si c’était possible.
Parmi les stratégies de fuite que nous nous ingénions à échafauder, la plus remarquable est l’invention du verbe croire.
Par définition, croire échappe à tout savoir : ce que je crois ne peut pas être démontré parce que ce qui peut l’être est du domaine du savoir.
Donc, nous croyons.
Nous avons cru, nous croyons que la terre est plate, qu’elle est immobile, que c’est le soleil qui bouge, qu’un kilo de plomb pèse plus lourd qu’un kilo de coton, qu’un bâton droit se plie quand on le plonge dans l’eau, que les martiens se déplacent en soucoupes volantes, que la fin du monde est programmée pour le 21 décembre 2012, que le nombre 13 porte chance ou malheur, que certains ont la « bosse des maths », qu’on naît intelligent ou stupide, que la vitesse tue… et qu’il est absolument impossible de ne pas croire à quelque chose ou à quelqu’un parce que le verbe croire serait nécessaire comme l’oxygène que l’on respire.
La croyance la plus ancienne – sans doute à l’origine du verbe – et la plus ancrée dans nos mémoires est que la mort n’est qu’une apparence, que nous sommes immortels.
Rien n’est là pour nous prouver que c’est vrai – sinon nous ne dirions pas « je crois » mais « je sais » – mais nous avons envie de le croire parce que c’est rassurant. Du moins, nous nous imaginons que c’est rassurant, parce que nous vérifions tous les jours que ceux qui croient ne vivent ni ne meurent pas mieux que ceux qui ne croient pas. « Il n’y a rien de mal dans la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas un mal. » (Montaigne – id)
Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire humaine, on trouve des institutions créées pour organiser la croyance et lui donner l’apparence du savoir ; ce sont les diverses « églises » (ecclésia, d’où vient église, veut dire assemblée) qui relient (sens de religion) les croyants entre eux et à la divinité à laquelle ils croient. Par leurs dimensions et leur aspect monumental, les constructions matérielles – temples, églises, cathédrales, mosquées, synagogues… – renforcent cette illusion de vérité et d’immortalité.
Illusion mise en évidence par la diversité théoriquement absurde de ces religions « officielles » (païennes, catholique, protestante, orthodoxe, juive, musulmane …) – sans parler de la multitude des églises dissidentes et des sectes – et par leurs comportements apparemment incohérents : venant à la suite des religions polythéistes, elles disent toutes qu’ils n’existe qu’un seul dieu, elles prônent l’amour du prochain, la spiritualité, le dédain des biens matériels, et elles n’ont cessé de se faire la guerre, d’appeler au massacre de ceux qui ont des formes de croyances différentes, elles ont acquis des richesses financières et immobilières considérables, elles ont emprisonné, torturé et tué les contestataires quand elles détenaient le pouvoir politique ou y étaient associées, elles continuent à le faire dans les pays encore théocratiques, et elles sont constamment ébranlées par des scandales.
Diversité théoriquement absurde et comportements apparemment incohérents, puisque les églises ne sont que des institutions humaines comme les autres, créées et gérées ni par (ni pour) un dieu mais par (et pour) des hommes ni pires ni meilleurs que les autres. Il n’est donc pas surprenant que ceux qui les dirigent – quels que soient leur « bible », leur « coran », leurs habits liturgiques et le décor où ils officient dans des cérémonials codifiés – aient des comportements banalement humains même s’ils veulent persuader du contraire ceux qui ont besoin de l’être. Ce qui devrait vraiment être étonnant, c’est de s’en étonner.
Le jour où les hommes auront compris que l’immortalité qui est au cœur de l’Espérance religieuse est un leurre et auront accepté leur mort pour ce qu’elle est (la fin définitive de leur vie consciente), les lieux de culte deviendront ce que nombre d’églises désaffectées sont déjà devenues, comme les temples grecs : des témoignages artistiques plus ou moins appréciés d’un autre temps.
Le discours archaïque repris et réactualisé par les formations comme Front National est précisément une stratégie de fuite appuyée sur le verbe croire.
b- croire le Front National
Quand ils affirment que tous les autres sont corrompus sauf eux (« Nous sommes le seul parti à avancer tête haute et mains propres. » Martine Le Pen, 22.02.2011), les chefs du FN – le père créateur, puis sa fille – laissent entendre qu’ils sont d’une essence différente.
Deux cent mille personnes les croyaient en 1974, six millions et demi en 2012.
Qu’est-ce qui a changé pendant ces 38 années ?
En 1974, existait encore l’utopie d’un changement radical, révolutionnaire, l’utopie du communisme qui devait remplacer le système capitaliste. Les dérives meurtrières dans les pays de l’est, en URSS et en Chine notamment, ne suffisaient pas à tuer ce rêve d’une société où les hommes seraient égaux et libres parce que la mise en commun des moyens de production et d’échange mettrait fin à « l’exploitation de l’homme par l’homme ».
A cette époque, personne ou presque n’avait besoin d’entendre le vieux discours qu’entreprenait d’actualiser le Front National.
Dans le même temps, commençait une crise financière, économique et sociale qui a pris les proportions que nous connaissons, avec la différence majeure qu’il n’y a plus aujourd’hui cette utopie communiste et qu’aucune autre n’a vu le jour.
La crise des années 30 (elle aussi financière, économique et sociale) avait provoqué en Europe l’émergence et le triomphe d’idéologies viscéralement anticommunistes, fondées sur le racisme, la xénophobie, la dénonciation des prétendus responsables (les Juifs) des difficultés que connaissaient les sociétés européennes.
Elle fut résolue par une guerre mondiale et plus de cinquante millions de morts.
L’utopie communiste s’est effondrée dans les années 90 avec l’implosion de l’URSS et des « démocraties populaires ». Le bilan globalement catastrophique (social, économique, humain) a montré que l’utopie, telle qu’elle avait été présentée et expérimentée, était en réalité un mythe.
c – l’utopie et le mythe
Utopie est le nom que l’écrivain l’humaniste anglais Thomas More a donné au 16ème siècle à une île imaginaire où les hommes vivraient en harmonie.
Une utopie est la représentation d’un idéal dont on sait qu’il n’est pas atteignable mais dont la fonction est d’éclairer la route du progrès humain.
Au contraire, un mythe est une fable, un récit présenté comme de l’ordre du merveilleux, hors de portée des hommes. La mythologie raconte les histoires des dieux de l’antiquité gréco-romaine auxquels plus personne ne croit aujourd’hui.
L’utopie permet aux hommes d’imaginer des conditions d’une vie meilleure possible, un mode de fonctionnement politique et socio-économique plus juste que celui qu’ils connaissent. Elle est de l’ordre de l’immanence.
Le mythe leur permet de croire qu’ils peuvent échapper à leur condition de mortels, il fait appel à des forces surhumaines (par exemple, des dieux, un dieu unique…), il est de l’ordre de la transcendance.
L’immanence établit un rapport d’horizontalité entre les hommes, entre les hommes et l’univers. Les réponses qu’ils cherchent sont donc de leur seul ressort, ce sont eux qui doivent les inventer.
La transcendance, au contraire, établit un rapport de verticalité avec les questions ; les réponses (en particulier la réponse à la question majeure de la mort) sont censées être déjà écrites quelque part et connues d’un certain nombre d’initiés – prêtres, pasteurs, imans, rabbins… – chargés de les décrypter pour le commun des mortels en expliquant par exemple les textes dits sacrés.
Selon qu’on se place dans l’immanence ou la transcendance, la définition de l’homme et de sa liberté est différente : s’il choisit l’immanence, l’homme est le propre artisan de ses choix, de ses valeurs ; s’il choisit la transcendance, il est « aliéné » dans le sens où les réponses aux questions de son existence lui préexistent et dépendent plus ou moins d’autres (sens du mot latin alienus).
5° Le fond archaïque du discours du Front National
Montesquieu, un écrivain français de la première moitié du 18ème siècle, imagine dans une des ses œuvres (Les lettres persanes) que deux aristocrates Persans (les Iraniens d’aujourd’hui) voyagent en France et racontent à leurs amis restés en Perse comment vivent les Français qu’ils rencontrent, en particulier les Parisiens de la « haute société » de l’époque.
Rica, l’un des deux Persans, explique dans une de ses lettres l’extraordinaire engouement avec lequel il est regardé, comment il est invité partout et en permanence chez les gens importants. Il en est flatté sinon heureux, jusqu’au moment où il en vient à se demander ce qui peut expliquer un tel intérêt. Il décide alors de quitter son habit persan pour voir quelle est la valeur réelle de l’attention qu’on lui témoigne. Il constate alors qu’on l’ignore, comme s’il n’existait plus, et quand ceux avec lesquels il se trouve apprennent qu’il est persan, il les entend s’étonner : « C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être persan ? »
Question apparemment absurde.
Tant que le Persan est habillé en persan, il n’est pas inquiétant. Il est une espèce d’extraterrestre inoffensif qui ne remet pas en cause le statut de ceux qui l’observent comme un animal exotique dans sa cage. Ce statut est alors celui des aristocrates Parisiens du 18ème siècle, blancs, catholiques, du royaume de France, persuadés qu’ils sont le modèle exclusif de l’humanité. En perdant une étrangeté (son habit) qui permettait de l’exclure du champ humain (comme les Noirs ou les Amérindiens pour des motifs de couleurs de peau), le Persan habillé comme tout le monde devient alors un humain, un humain d’apparence identique à ceux qui l’observaient, mais avec des différences physiques et culturelles telles (il n’est ni blanc ni catholique, ni du royaume de France, mais doté d’intelligence et d’esprit critique – pour lui le roi et le pape sont des magiciens capables de faire croire à leurs sujets ce qu’ils veulent) qu’elles remettent en cause le caractère humain dont les observateurs se croyaient les dépositaires exclusifs : comment est-il possible qu’un être si différent de moi, si différent de nous tous qui sommes si semblablement blancs, catholiques et du royaume de France, soit un être humain ? Et quel scandale qu’il puisse prétendre en être un, comme nous !
Le caractère absolu (signe de pérennité, d’immortalité) qu’ils croyaient attaché à leurs particularités d’aristocrates, blancs et catholiques, se révèle être relatif (signe de variabilité, de mortalité) et fait surgir un malaise qui peut conduire celui qui l’éprouve à rejeter, voire à supprimer l’autre, l’étranger.
Ce « Comment peut-on être persan ? », nous l’avons tous en nous, plus ou moins, sous des formes différentes, selon les époques et les pays : « Comment peut-on être femme, gaucher, roux, noir, jaune, arabe, maghrébin, polonais, italien, roumain, juif, protestant, catholique, musulman, homosexuel etc. ? »
C’est cette insidieuse question vieille comme l’humanité que tente d’actualiser le Front National.
C’est cette question qui constitue le fond permanent de notre discours commun et que le Front National tente d’exploiter.
Il veut convaincre ceux qui l’écoutent qu’il existe une référence absolue, celle de la « pureté des origines », autre signe du fantasme de l’immortalité. La pureté est incarnée par Le Chef du parti (jusqu’à sa veste que Marine Le Pen dit « immaculée ») et les origines renvoient à leur tour au mythe de la « race pure », évidemment blanche, française en l’occurrence, même signe du même fantasme.
Il s’agit en effet de mythes – nous savons qu’il n’existe ni « races » humaines, ni France originelle, ni origine pure – et aucun dirigeant politique ne peut plus prononcer aujourd’hui ces mots sous peine de discrédit. Le Front National les suggère donc « en creux » en dénonçant ceux qui ne seraient pas purs (les hommes politiques tous pareils et tous corrompus), ceux qui ne seraient pas d’ « origine pure » (les étrangers, présentés comme les responsables de la perte d’une prétendue identité nationale gravée dans le marbre) et l’étranger (l’Europe, la mondialisation, accusées de saper notre souveraineté).
Donc une Nation et un Peuple menacés de souillure et de déliquescence, mais qui peuvent encore être sauvés par le Chef, puis par sa fille désormais auréolée d’une pureté accréditée par une figure historique mi-religieuse, mi-profane.
Cette figure historique emblématique est une jeune femme vierge, pure, courageuse, simple, terrienne, issue du cœur (martyrisé) de la France (la malheureuse et fière Lorraine, annexée par l’Allemagne en 1870 et reconquise en 1918), une jeune femme inspirée, luttant contre l’étranger (l’Anglais) qu’elle veut « bouter hors de France », une femme « sauveur », comme la Présidente-Chef du Front National
Sainte Jeanne d’Arc est une héroïne facilement récupérable : bien qu’elle ait été canonisée par l’église, c’est un prélat catholique qui est à l’origine de son procès et de sa condamnation au bûcher, et il est difficile de faire la part du réel et du mythe dans son histoire.
Elle est donc une figure idéale pour le message émotionnel et subliminal du Front National.
Un message absolument irrationnel, pratiquement inaudible en 1974, toujours aussi absolument irrationnel en 2013, mais devenu peu à peu audible au fil des années de crise, comme en témoigne cet extrait d’une harangue qui semble dater des siècles derniers et qui fut prononcée le 1er mai 2013 par Marine Le Pen devant la statue de Jeanne d’Arc :
« Regardez et écoutez, marchez auprès de vous, cette longue cohorte de Français morts pour la Patrie, entendez leurs pas glorieux, qui battent avec vous ce pavé de Paris dans cette longue épopée des amoureux de la patrie, cette chaîne ininterrompue qui nous lie à notre histoire depuis plus de 2000 ans déjà dans ce miracle toujours renouvelé de la survie de la France.
Cette survie qu’incarna un jour, une petite paysanne Lorraine qui fera reculer l’Anglais et fera du petit dauphin de Bourges un roi de France !
Voilà cet exemple, qui nous dit au cœur, à l’âme, depuis des années, que nous célébrons le premier mai cette fête de Jeanne d’Arc, que notre espérance n’est pas vaine et que, parce qu’il est des Français comme vous, parce qu’il est dans le peuple de France, un amour de la patrie, une énergie et une volonté de survivre, cet exemple nous dit que rien n’est impossible.
Notre pays se redressera avec nous, par nous.
Alors tenez bon, suivons la petite bergère devenue Sainte et guerrière sur le chemin de l’honneur et de la liberté. »
Ce discours est du type de ceux qu’on adresse à des enfants qui ont besoin d’être rassurés.
Il contient, à peine en filigrane, un message destiné à toucher l’inconscient archaïque, un message qui pourrait être : « Nous, dirigeants du Front National, nous sommes la vraie France originelle et pure. Nous sommes la nouvelle Jeanne d’Arc. Nous levons l’étendard de la vraie foi, celle qui vient remplacer la foi stérile des églises et le boniment des partis politiques, la foi dans le Peuple et la Patrie que nous allons sauver en boutant nous aussi hors de France l’« étranger » qui la souille et la corrompt. Comme elle, nous sommes d’une essence différente, une essence sacrée, celle des Chefs. En nous rejoignant et en votant pour nous, vous assurez non seulement le salut et l’immortalité de la vraie France, la France pure, la France éternelle, mais vous assurez votre salut et votre immortalité. »
En période « normale », le discours prononcé ce 1er mai 2013 par Marine Le Pen serait inaudible, et ceux qu’il a séduits se demanderont sans doute un jour comment ils ont pu être sensibles à un tel artifice politico-religieux. Mais dans une période de crise grave – équivalente pour la collectivité à ce qu’est la dépression d’un individu qui perd le sens de sa vie –, il vient combler le vide creusé par l’affaiblissement de la croyance religieuse, et il relance les dés du jeu dangereux de la transcendance.
6° L’affaiblissement de la croyance religieuse
De moins en moins nombreux, surtout en Europe occidentale, sont ceux qui croient que le monde et les êtres vivants ont été créés par Dieu, que l’homme est constitué d’un corps mortel qui ressuscitera lors du jugement dernier et d’une âme immortelle qui monte au ciel lors du décès – parfois via le purgatoire –, si elle n’est pas damnée et vouée à l’enfer où règne Satan/Lucifer.
Le credo toujours récité à la messe et clef de voûte de l’assemblée des croyants est le vestige d’une croyance qui se perd – selon un sondage de la SOFRES réalisé en mai 2013, un Français sur dix et 13% des catholiques croient à la résurrection. (« S’il n’y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité, et si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine et vaine est votre foi. » – Paul – 1ère épitre aux Corinthiens)
Les différents scandales (touchant aux mœurs et à l’argent) qui affectent les églises (catholique, anglicane, entre autres…) contribuent à dépouiller ses dirigeants du caractère sacré dont ils étaient investis dans le passé et l’institution religieuse apparaît de plus en plus clairement pour ce qu’elle est : une entreprise humaine chargée d’exorciser la peur de la mort et dont les capacités de persuasion sont de plus en plus faibles.
Cette déliquescence associée à la mort de l’utopie communiste, permet de comprendre le développement et la radicalisation des divers intégrismes.
L’intégrisme est le cri de la transcendance absolue où se réfugient ceux dont l’angoisse du désespoir ferme l’accès à la pensée.
Ainsi, la loi – immanente – ouvrant le droit au mariage pour les homosexuel(le)s est aux yeux des intégristes catholiques français un véritable sacrilège parce qu’en reconnaissant le réel – et bien qu’elle ne restreigne en aucune façon leur droit de croire – elle reconnaît en même temps que la transcendance est une question de choix et non un absolu qui s’impose à tous.
Cette reconnaissance du réel (la sexualité n’est pas de l’ordre du choix, l’homosexualité existe au même titre que l’hétérosexualité, la féminité et la masculinité ne sont pas réductibles au sexe, le mariage peut ne pas être fondé sur la reproduction) est donc pour eux de l’ordre du blasphème (comme en son temps l’hypothèse que la terre n’était pas le centre de l’univers et qu’elle tournait autour du soleil), et, en protestant dans des défilés aux côtés du Front National et de l’UMP, ils rejoignent sur ce point l’intégrisme musulman (qui condamne à mort les homosexuels et persécute les artistes non croyants) au nom d’une transcendance qu’ils voudraient imposer à tous, une transcendance totalitaire qui conduit certains intégristes catholiques à vouloir détruire des œuvres exposées dans des musées et empêcher des projections ou des représentations dans des salles de cinéma ou de théâtre.
La loi, de même nature immanente, qui reconnaîtra un jour à l’homme le droit de disposer de sa vie et de mourir dans les bonnes conditions qu’il aura choisies – l’euthanasie –, cette loi les mobilisera à nouveau pour le même combat désespéré, parce qu’elle signifiera que la vie n’appartient à Dieu que pour ceux qui décident de le croire.
Ces intégristes (latin integer = entier, d’une seule pièce) sont rejoints dans la protestation contre l’élargissement du droit au mariage aux homosexuels par ceux qui sont persuadés que la seule filiation heureuse et épanouie est celle des liens du sang qui garantit l’épanouissement de l’enfant. Le père + la mère + l’enfant = réussite familiale, est pour eux la seule équation salutaire, même si les faits enregistrés par la DASS, les juges et les tribunaux pour enfants (sans parler de tous les dysfonctionnements ordinaires dont nous connaissons tous des exemples chez nous ou autour de nous) montrent que la réalité de la famille biologique est loin d’être la garantie absolue de l’amour et de l’épanouissement des enfants. Il y a probablement parmi ces protestataires, des divorcé(e)s, des parents célibataires, dont les propres parents ont protesté avec la même violence en 1999 contre le PACS et, jadis, les grands-parents contre les « filles-mères » et le droit au divorce.
« Vous êtes en train d’assassiner des enfants ! » s’est écrié dans l’hémicycle un député de l’UMP lors de la deuxième discussion de la loi, en avril 2013. L’absurdité outrancière de cette accusation lancée contre les députés favorables à la loi est révélatrice de la dimension hystérique des peurs de ces protestataires. Elle est la même que celle des réquisitoires des inquisiteurs et des procureurs des systèmes totalitaires, religieux ou politiques.
Ces peurs et ces angoisses réactivées par la dépression économique et sociale qui fragilise les individus et la collectivité ouvrent donc un large espace à l’expression de l’irrationalité.
C’est cet espace que cherche à occuper Le Front National en venant prononcer dans la sphère politique le discours d’immortalité fantasmatique qui n’est plus écouté dans les églises que par une petite minorité de croyants et qui et trouve donc des oreilles disponibles.
Il appelle donc à faire « front » contre une prétendue mise en danger de l’ « identité nationale », un avatar du sacré, déjà fortement mis à mal par le divorce, l’avortement, la procréation médicalement assistée et l’inclusion de l’homosexualité dans le naturel.
Au passage, il n’est pas inutile de rappeler que si Jeanne d’Arc fut condamnée à être brûlée vive, c’est, en tant que « relapse », pour avoir remis ses habits d’homme – signe d’ambiguïté sexuelle alors blasphématoire. Aujourd’hui, Jeanne d’Arc serait donc à nouveau condamnée par les régimes où règne l’intégrisme et par les extrémistes religieux qui, à côté des partis de droite et d’extrême-droite (UMP et FN notamment), manifestent chez nous contre le projet de loi accordant aux homosexuel(le)s les mêmes droits qu’aux hétérosexuels.
Le discours du FN cherche à toucher ceux que la mise en cause de la transcendance absolue emplit de panique et qui voient sous leurs yeux les pages à écrire du livre de leur liberté qu’ils prennent pour celles d’un abîme s’ouvrant sous leurs pieds.
7° Le jeu dangereux de la transcendance
a- le communisme
En y ajoutant une dimension historique, Marx reprend la philosophie matérialiste antique – au 4ème siècle avant notre ère, Epicure (après la théorie des atomes de Démocrite) explique que la matière se suffit à elle-même et qu’il n’y a pas besoin de dieux pour expliquer le monde – et précise que la religion (« opium du peuple ») disparaîtra dans la nouvelle société sans classes sociales où la « consolation de l’être affligé » n’aura plus de raison d’être.
Cette conception de l’univers et de l’homme constructeur de son histoire est donc de nature immanente et elle rejette la croyance en l’immortalité.
La combinaison de cette philosophie avec un projet politique libérateur fondé sur un savoir présenté comme scientifique, explique les passions déclenchées par la création du parti communiste, avant-garde militante d’une révolution annoncée comme inéluctable parce qu’inscrite dans l’Histoire.
Or, si nous examinons les expériences communistes menées dans les pays dirigés par ce parti, nous constatons que l’application pratique, politique, de cette théorie a été un dévoiement de l’immanence qui la fonde : le fantasme d’immortalité, constituant principal de « l’opium du peuple », officiellement rejeté (la pratique religieuse est interdite, on ferme les églises), a été transféré de l’individu dans la collectivité et incarné par Le Parti qui se substitue à la divinité du monde religieux.
En d’autres termes, si l’enveloppe du communisme expérimenté en URSS et ailleurs a l’apparence de l’immanence qui constitue la philosophie dont il est issu, son contenu est de nature transcendante.
Le Parti est la figure de cette transcendance cachée dans l’enveloppe d’immanence qu’est la révolution prolétarienne, comme la statue du dieu antique était cachée dans le naos du temple grec et le Dieu chrétien dans le tabernacle. Si ses chefs, malgré le culte de la personnalité, peuvent être renversés de leur piédestal, Le Parti, lui, demeure l’entité sacrée intouchable et infaillible, comme le Dieu qu’il a remplacé.
Le contestataire dangereux qu’il faut éliminer est donc celui qui veut ouvrir le tabernacle pour dévoiler et révéler ce que personne ne doit voir sous peine de sacrilège.
Le refus de prendre en considération le lot commun que sont les peurs et les angoisses individuelles a conduit le communisme à maintenir vivace le fantasme d’immortalité en le transférant dans Le Parti (la force comprimée de la croyance explique pour une part importante l’implosion soudaine du système en même temps que la résurgence religieuse) au prix de répressions à la fois délirantes et sanglantes : les exécutions arbitraires et les procès fabriqués de toutes pièces dans lesquels les accusés sont sommés de s’accuser pour le bien du Parti de crimes qu’ils n’ont pas commis, témoignent du caractère irrationnel d’un exorcisme analogue à celui des procès en sorcellerie intentés par l’Inquisition catholique en son temps.
Avec la propriété des moyens de production et d’échange, ce que les communistes voulaient, peut-être sans s’en rendre compte, transférer en même temps du privé dans le collectif, c’est une forme de propriété qui ne peut être que celle de l’individu ; une propriété (redoutable) qui n’entre pas dans le champ de la collectivité parce qu’elle est le rapport que l’individu vivant construit avec sa mort et qui ne peut être, en dernier ressort, qu’une affaire irréductiblement privée.
Après que la collectivité aura un jour décidé que la mort doit être un objet d’enseignement et de savoir au même titre les autres composants de la vie (« Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et de toute contrainte (…) Il n’y a rien de mal dans la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas un mal. » Montaigne – id.), il restera encore et toujours aux individus à s’approprier ce savoir, problématique en ce sens que la moitié du livre d’apprentissage est écrit par leur propre corps où la mort est à l’œuvre depuis la naissance et qui leur « parle » nécessairement.
Les systèmes politiques ou religieux fondés sur la transcendance (affichée ou dissimulée) qui ont voulu ou veulent régenter ce problème ne peuvent être que totalitaires, parce que prétendre détenir la réponse collective à cette ultime question éminemment singulière posée à l’individu (on ne peut mourir que dans la solitude de sa conscience), présuppose qu’on a déjà les réponses à toutes les autres questions et qu’elles sont obligatoires. Si sa croyance fait se heurter l’individu à la réalité de son savoir dans un conflit personnel plus ou moins douloureux, la croyance collective obligatoire, que le destinataire soit Dieu ou le Parti, ne peut être que dévastatrice pour la société et pour ses membres.
Le jeu de la transcendance a conduit par exemple le parti communiste soviétique à des décisions aberrantes (censure, définition d’une littérature, d’un art, d’une science « révolutionnaires ») et meurtrières (suspicion généralisée, paranoïa politique, obsession des « ennemis de classe », déportations massives dans des camps). Ce jeu constitue sans doute la passerelle qui permet de passer de l’extrême gauche à l’extrême droite – la résurgence de groupes néonazis dans l’ancienne Allemagne de l’est après la réunification en est un exemple.
Pour autant, le caractère immanent de la révolution prolétarienne fait que les individus (ayant par définition la même importance) sont égaux entre eux – ils sont des « camarades » qui se tutoient quelle que soit leur place dans le système. Ce que je suis est donc reconnu comme une contingence de même valeur que ce que l’autre est.
Il n’y a donc pas de place pour le « Comment peut-on être persan ? »
Là est la différence avec le nazisme.
b- le nazisme
Expression extrême du fascisme européen (Italie, Espagne, Portugal… ), le nazisme allemand (où le Führer – le Chef – crée le parti, à l’opposé du communisme où le Parti crée le chef, comme l’Eglise catholique crée le Pape) est une transcendance clairement affichée, vidée de la divinité habituelle (le Dieu chrétien impuissant à résoudre le malheur du peuple allemand) à laquelle il substitue la sienne propre identifiée à son Führer-créateur : la race pure supérieure – aryenne, à l’image du Chef, comme l’homme est à l’image de Dieu – dont la fonction est d’incarner l’immortalité de la nation – un Reich (empire) de mille ans promettait Hitler – et, de manière subliminale, celle des « purs aryens » qui la constituent.
S’il existe une race supérieure, il est nécessaire qu’existe une race inférieure qu’il faut donc éliminer puisqu’elle est un danger mortel pour la race supérieure et la Nation. Elle est composée de ceux dont l’aspect, les idées ou les mœurs sont présentés comme des preuves de sous-humanité ou de non-humanité (Juifs, Slaves, Noirs, Tziganes, communistes, homosexuels…), qui sont les signes intolérables du caractère relatif, contingent, fortuit, mortel, de ce que moi je suis. Le « Comment peut-on être persan ? » trouve ici un emploi permanent.
Le nazisme est donc une agression mortifère évolutive qui ne peut que conduire à l’élimination de ce qui n’est pas moi, donc à la suppression de l’autre. Je tue pour me convaincre que je ne mourrai pas, même si je sais que ce n’est qu’un fantasme : la mort devient fascination (« Viva la muerte ! » – vive la mort – était un cri de ralliement des fascistes espagnols), le comportement des nazis en est une tragique illustration.
Seulement, la race pure supérieure ne pouvant être qu’une société fantasmatique et chimérique de clones irréels, il faudra sans cesse trouver un nouvel autre bien réel à faire disparaître pour se donner l’illusion d’immortalité. Il s’agit donc d’une persécution meurtrière sans fin, si incroyable que les victimes ont souvent du mal à se convaincre qu’ils sont sur la liste de ceux qui doivent être éliminés au motif qu’ils sont ce qu’il ne faut pas être.
En cela, le nazisme est pour la collectivité l’équivalent de ce qu’est le pire des cancers imaginables pour l’individu. Et le cancer (possible pour les autres) est toujours considéré d’abord comme un impossible pour soi.
Si le nazisme et le communisme (soviétique, chinois…) ont provoqué chacun la mort de millions d’êtres humains, le communisme s’est autodétruit en URSS, dans les pays de l’est, et se défait de son habit révolutionnaire en Chine où la préoccupation majeure – au-delà de l’acquisition des revenus minimaux pour assurer la nourriture, l’éducation et la santé – est l’enrichissement – exactement comme dans le système capitaliste – alors qu’il a fallu une guerre mondiale pour vaincre, et difficilement, le nazisme.
8° Avoir et être
a) le commun et le privé
Le commun des hommes – ce qui appartient à tous les hommes, d’où vient communisme – a été de tout temps au cœur des préoccupations des individus et des sociétés – il en est déjà question dans La République de Platon (4ème siècle avant notre ère) : « Rappelons les points dont nous sommes tombés d’accord pour qu’un Etat soit éminemment bien gouverné : communauté des femmes, communauté des enfants et de l’éducation tout entière ; semblablement occupations communes dans la guerre comme dans la paix. » (Livre 8, prologue)
Les hommes chercheraient-ils en permanence à améliorer le commun économique, social, culturel (cf. les programmes des partis politiques) parce qu’ils seraient poussés à faire le bien par souci de l’autre, par altruisme ? Serait-ce une hantise d’ordre moral ?
Il suffit d’observer comment fonctionnent les sociétés et les individus depuis des millénaires pour être convaincu qu’il faut chercher ailleurs l’explication.
Les sociétés humaines passent l’essentiel de leur temps à rivaliser les unes avec les autres, à se faire la guerre – militaire ou économique – et les conflits meurtriers sont permanents sur toute la surface de la planète.
A l’intérieur des sociétés, le niveau des salaires, les conditions de travail, les droits d’expression politique et syndicale ont provoqué et provoquent toujours des luttes incessantes et violentes.
Les individus se comportent comme les sociétés : la compétition pour « avoir plus » que l’autre, pour (s’imaginer) « être » plus, est généralement présentée comme un moteur naturel et bénéfique, et elle motive la plupart des hommes dans leur vie professionnelle et privée.
Où cette obsession du commun propre à l’humanité trouve-t-elle son origine, sinon dans l’opposition entre le commun du scénario et l’originalité nécessaire de chaque réponse individuelle, l’irréductible privé ?
Ce qui différencie les partis de gauche, du centre et de droite, ce qui détermine la frontière entre libéralisme et social-démocratie est, pour l’essentiel, le rapport qu’ils construisent entre le commun et le privé.
L’erreur du communisme est de croire que le commun ne concerne que ce qui est de l’ordre de l’avoir dont la juste répartition dans un monde d’où sera exclu l’exploitation du travail suffira à libérer les hommes de leurs aliénations pour leur permettre d’être – au sens plein.
Autrement dit, le communisme refuse d’intégrer dans le commun les peurs et les angoisses, soit parce qu’il pense qu’elles trouvent leur origine dans les inégalités sociales – et il croit qu’en supprimant les unes, il supprimera les autres – ou qu’elles ont à voir avec l a psychologie individuelle qui ne l’intéresse pas, soit plutôt parce que c’est une question qui n’entre pas dans sa problématique philosophique et politique, donc une question qui n’existe pas.
Le système communiste soviétique supprime donc le Dieu de la religion traditionnelle, lui substitue le Parti, et prend la forme d’une religion athée : pour être, dit-il, il suffit que l’avoir soit commun et de croire au Parti. Ce qui a pour effet de laisser vivaces les peurs et les angoisses communes.
Le système perdure jusqu’au moment où un nombre suffisant prend conscience que la mise en commun de l’avoir ne permet pas d’être ; l’échec économique et social permet alors d’entendre la voix de ceux qui dénonçaient au risque de leur liberté et de leur vie la transcendance factice dont se masquait le Parti pour justifier le faible niveau de vie et les atteintes aux libertés. A quoi bon tous les sacrifices pour un Parti qui se révèle être un faux dieu favorisant une caste de privilégiés, surtout quand on voit comment vivent les hommes dans les pays non communistes ?
D’où l’implosion du système et l’irruption brutale du capitalisme (modèle indépassable de l’équation avoir (privé) = être) et de la religion qui l’accompagne pour faire admettre l’équation en assurant aux pauvres d’ici-bas que les riches n’entreront pas dans le royaume des cieux et qu’eux seront les « riches » dans l’au-delà. L’église traditionnelle est donc de nouveau appelée à gérer les peurs et les angoisses, et elle est soutenue par les nouveaux dirigeants issus de l’ancienne nomenklatura communiste qui rouvrent les lieux de cultes et participent aux cérémonies religieuses.
b- le commun et le national
A la différence des autres partis le Front National ignore la relation entre être et avoir (privé ou commun) parce que son objectif n’est pas de proposer un nouveau rapport entre les deux, mais de persuader que la solution à tous les maux du Peuple dépend du choix d’un Chef capable d’incarner le Peuple et la Nation.
Il évacue donc de son message les équations capitaliste (avoir privé = être) et communiste (avoir commun = être) – le communisme est son pire ennemi et commun, est un mot tabou.
Aux immanents avoir privé et avoir commun, il substitue le transcendant être national.
La Nation sera donc à la fois l’être commun des vrais Français et cet être national est menacé de mort pour les raisons invoquées rappelées plus haut. D’où la constitution d’un front, métaphore du combat et de la détermination, conforme à l’image habilement mise en scène de son créateur-président. Associé à National, Front créée l’image du Peuple uni derrière son Chef luttant contre ses ennemis (capitalisme et communisme) pour son salut.
Comme le communisme, mais pour des raisons opposées, le Front National ne veut pas savoir que les peurs et les angoisses font partie de l’être commun de l’humanité : pas question de laisser penser que l’histoire des hommes est de nature immanente – d’où la récupération de Sainte Jeanne d’Arc.
La Nation sera donc une entité quasi mystique drapée de pureté originelle incarnée par le Chef brandissant l’étendard de la France éternelle et immortelle.
Ceux qui votent pour le Front National devront donc être persuadés que La Nation, comme la « vraie France », est ce qu’elle est de toute éternité, que les dirigeants du parti, purs et non corrompus, comme elle, luttent, comme Jeanne d’Arc, pour la maintenir comme elle est depuis toujours, contre ceux (étrangers, politiciens corrompus de tous les partis) qui la spolient, la souillent et veulent sa mort.
Pour être, dit le Chef du FN, il faut être le Peuple/Nation, et la Nation/Peuple c’est moi, votre Chef, aux mains propres et à la tête haute. Si vous voulez être, vous devez vous identifier au Peuple/Nation, donc à moi.
Le message subliminal envoyé se résume donc à : Etre = s’identifier au Chef, Jean-Marie Le Pen, le père-créateur et sa fille Marine.
Message qui n’a aucune chance d’être entendu s’il touche la raison de ceux à qui il s’adresse : tout le monde sait que la France est un pays constitué au fil des siècles par le mélange de peuples venus du nord, de l’est et du sud, qu’il n’existe pas de pureté des origines, ni du peuple, ni de la langue, que le Chef du Front National et sa fille sont banalement comme tout le monde. Chacun sait aussi que l’existence au prix de l’identification au Chef (aliénation) est la négation de l’existence, et qu’un Peuple qui s’identifie à un Chef devient une machine infernale.
L’entreprise du Front National trouve pour le moment sa limite dans le fait que la culture générale s’est développée, que le niveau de la conscience politique a évolué, et que la majorité des Français ne pense pas ou ne croit pas (difficile de dire lequel domine, de l’opinion ou de la pensée) que le FN soit capable de gouverner.
La part du rationnel est encore assez forte pour faire barrage à l’irrationalité du message.
Mais jusqu’où et jusqu’à quand peut tenir le barrage ? Comment se constitue la force capable de le faire céder ?
9° La question de l’engrenage
Un engrenage est un mécanisme de roues dentées en contact les unes avec les autres qui mettent en mouvement une ou plusieurs machines qui finissent par constituer une machinerie.
Nous en sommes des exemples particuliers.
a- la machinerie individuelle
Nous nous surprenons parfois à faire ou à dire des choses qui nous étonnent nous-mêmes, dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas. « Non, ce n’est pas moi, ça ne me ressemble pas, je n’ai pas pu dire (ou faire) ça ! »
Une manière de constater que se sont enclenchés malgré nous des engrenages qui ont mis en route une machinerie productrice de gestes et de paroles qui a échappé à notre contrôle.
La neurobiologie nous apprend que notre cerveau est une machine alimentée par le système sanguin et fonctionnant par des connexions électriques et chimiques qu’un rien (un petit caillot de sang) suffit à mettre en panne avec les conséquences invalidantes plus ou moins graves et irréversibles.
Nous initions par notre manière de vivre un fonctionnement particulier de nos machineries qui produisent un jour ou l’autre des « objets » (paroles ou gestes, pathologies) que nous ne reconnaissons pas comme nôtres et qui sont les signes de perturbations que nous sommes tentés de mettre sur le compte de la malchance ou du hasard.
Si nous pouvions remonter le courant, rembobiner le film, nous découvririons que tel ou tel choix opéré à tel ou tel moment permet de comprendre comment a pu se produire ce qui nous surprend ou nous afflige.
« Chacun dirige toutes choses selon son affectivité et ceux qui sont tourmentés par des affects contraires ne savent ce qu’ils veulent, tandis que ceux que ne trouble aucun affect sont poussés de-ci de-là par les motifs les plus futiles. » (Spinoza - Ethique – III – Des affects, 2)
b- la machinerie collective
Il en va de même pour la collectivité. Chaque individu qui la compose est un rouage qui est en soi une machinerie complexe et chacune de ses décisions a des conséquences pour lui-même et pour la collectivité.
En 1972, lors d’une conférence, le météorologue Edward Lorenz posait la question suivante: « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ».
La question – ainsi posée pour frapper l’auditoire – est celle de l’initiation d’un processus complexe aux conséquences à la fois inattendues et imprévisibles.
Le bulletin de vote a le poids d’un papillon. Et si l’on peut discuter de la validité de la question du météorologue, la réalité des effets produits par bulletin que nous choisissons de glisser dans l’enveloppe est indiscutable, même si nous sommes tentés de croire, comme certains de ceux qui ne se déplacent pas pour voter, qu’il n’a pas grande importance.
Il est un élément de l’engrenage, une minuscule petite roue dentée qui va se contacter avec autre, et cet embryon de machine va se contacter à son tour avec d’autres jusqu’à produire une énorme machinerie : un système politique constituée d’institutions, d’élus, de lois, de valeurs… pour le meilleur ou pour le pire.
10- L’emballement des engrenages de mort
a- dans le groupe
Il est un seuil à partir duquel une machinerie particulière peut s’emballer et échapper à tout contrôle.
Le groupe n’est pas la somme des individus qui le composent mais constitue par lui-même une entité qui fonctionne avec ses propres lois qui échappent aux individus pris isolément. Certains de ceux qui participent à des débordements de foule se demandent après-coup comment ils ont bien pu se laisser aller à des actions où ils ne se reconnaissent pas et qu’ils ne comprennent pas.
Un moment vient où se réalise dans le groupe la « prise », comme dans la fabrication d’un ciment ou d’une pâte. Avant ce moment, les éléments sont encore distincts, ils existent encore séparément.
Dès que la prise est faite – et personne ne sait très bien ce qui permet cette agrégation des divers éléments –, il n’est pas possible de revenir en arrière, les éléments se sont fondus dans un ensemble qui les dépasse.
Pris séparément, les individus diront après coup qu’ils n’ont pas été conscients de l’événement. Si on leur demande s’ils étaient d’accord avec ce qui s’est passé, ils protesteront que non. Pour autant, ils seront tenus pour responsables et auront des comptes à rendre à la justice.
b- dans l’individu
C’est vrai aussi pour l’individu. Se manifestent parfois des impulsions qu’on ne peut maîtriser.
Impossible de savoir à l’avance ce qui va déclencher l’impulsion qui va enclencher l’acte. Parfois, c’est un geste dit « manqué » – une torsion inadéquate du corps, le refus de prendre l’outil qui permettrait de ne pas mettre les doigts… – et nous nous blessons, parfois gravement.
Cependant, le plus souvent, nous savons que nous nous y prenons mal, qu’un « accident » va se produire, mais nous laissons filer jusqu’au moment où il est devenu impossible de revenir en arrière. Le mal est plus ou moins réparable quand il n’est pas irrémédiable.
Ces impulsions peuvent prendre un tour plus grave quand elles concernent la machinerie chimique de notre organisme, quand l’engrenage cellulaire se met à tourner de manière folle, et que les cellules se multiplient de manière anarchique en perdant leur différenciation. Elles donnent l’apparence d’une grande vitalité, mais elles font courir un risque mortel à la structure qu’elles envahissent.
C’est ce qu’on appelle un cancer.
Ce qui pousse les cellules à ce développement anarchique est une pulsion de mort qui peut ne pas être irréversible. On peut guérir d’un cancer ou vivre avec.
On peut aussi en mourir.
c- dans la société
Même si sa nature est différente, le cancer existe aussi dans la société où les pulsions de mort sont permanentes. Les unes des médias en fournissent des exemples quotidiens.
On a identifié les terreaux qui rendent possibles ces pulsions et qui les alimentent : ceux de la peur. Et ils sont nombreux.
La combinaison de la crise financière et sociale produit le chômage et son cortège de difficultés. Les menaces sur la planète laissent imaginer la fin de la vie humaine sur la terre. L’absence d’utopie pour sortir de ce système conduit au désespoir.
Tous ces facteurs messagers de mort sont évidemment créateurs de peurs et d’angoisse.
Ce qui, chez nous, en France, conduit à des comportements suicidaires (alcool, drogues, violences…) est de même nature que ce qui conduit d’autres, ailleurs, là où l’horizon est encore plus sombre, à accepter de s’entourer d’une ceinture d’explosifs et à se faire exploser en tuant le plus de monde possible.
d- le désespoir et le Front National
Ses dirigeants ne s’adressent jamais explicitement aux individus. Ils s’adressent au Peuple présenté en situation de danger mortel.
Mais le Peuple ce n’est personne. Ce n’est qu’un mot.
Le Front National ne peut pas promettre aux individus qu’il va les sauver parce c’est l’affaire de la religion et de son espérance de résurrection.
Ce que sa Chef essaie de faire croire, il faut le répéter, c’est qu’elle va sauver le Peuple et qu’en le sauvant c’est vous qui serez sauvé. Elle se présente comme un christ à l’envers. Et, pour persuader qu’elle peut être le sauveur du Peuple, elle brandit l’étendard de la pureté qui lui garantit un pouvoir quasi mystique. Sainte Jeanne d’Arc. Relisez à froid le discours du 1er mai.
C’est à ce moment précis, que peut commencer l’engrenage de mort.
Vous vivez mal la situation de crise – et il y a vraiment de quoi être mal – avec le sentiment que « tout fout le camp », qu’il n’y a pas d’issue, et c’est ainsi que se met à tourner la petite roue dentée du malheur, de la détresse, de la dépression.
Vous écoutez la Chef du Front National, vous avez l’impression d’écouter un discours externe, mais c’est en réalité votre propre discours interne que vous entendez, le discours enfoui, souterrain, de vos peurs.
« Le ventre encore fécond d’où a surgi la bête immonde » (Brecht) est le vôtre, le nôtre.
La Chef du Front National n’en est que l’accoucheur potentiel.
Vous êtes alors à un carrefour :
- ou bien vous vous bouchez les yeux et les oreilles pour mieux entendre jusqu’à l’hystérie votre lamentation angoissée, amplifiée sur une estrade avec de grands effets de rhétorique ; vous l’applaudissez, vous l’encouragerez par votre vote, et l’engrenage que vous avez mis en route se reliera alors à d’autres engrenages identiques qui vont peu à peu activer des machines puis une immense machinerie dont vous savez pertinemment qu’elle conduit tôt ou tard à une catastrophe parce qu’elle est alimentée par la peur et que qui est alimenté par la peur finit inévitablement par échapper à tout contrôle. On se jette dans le vide par peur d’y tomber. Aujourd’hui, ce sont les immigrés qui sont porteurs de tous les maux. Qui, demain ?
- ou bien vous ouvrez grand vos yeux et vos oreilles pour écouter le discours de votre raison-pensée qui vous dit que votre dignité est dans le savoir, que vous n’êtes pas comme un petit enfant crédule qui se laisse abuser par les contes destinés à flatter ses peurs, que vous savez parfaitement qu’il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre parce que la vie n’est ni un roman ni un film, et qu’il est naïf de croire en l’existence d’un ou d’une Chef tout puissant capable d’abolir les difficultés.
Si vous choisissez la première hypothèse, vous choisissez le désespoir.
Le désespoir ne vient pas d’une situation difficile à vivre, ma
Ci-joint, une réflexion - un peu longue, mais comment faire court sur de tels sujets ?.
"Lettre à mes collègues tentés de voter pour le Front National
« Nous ne sommes humains et nous ne tenons les uns aux autres que par la parole. » (Montaigne – Essais – I, 9 Des menteurs)
La parole politique, par exemple.
Nous répondons à celle des dirigeants des partis et des candidats aux élections par nos bulletins de vote.
Mis sur la balance, tous les bulletins pèsent le même poids physique, signe de l’égalité politique des citoyens. Une voix vaut une voix, parce que nous sommes dans une démocratie républicaine.
Mais, comme les mots prononcés par les hommes politiques dans leurs discours, les noms des partis inscrits sur les bulletins n’ont pas le même poids parce qu’ils sont diversement chargés d’histoire.
Finalement, c’est nous qui décidons de l’importance des uns et des autres au moment où nous glissons dans l’enveloppe le bulletin que nous avons choisi.
***
Ses chefs disent du Front National qu’il n’est pas une formation politique comme les autres, et le consensus est général pour lui reconnaître une singularité.
Pour l’identifier, je partirai du constat suivant : le président-fondateur du parti et sa fille auquel elle a succédé cherchent constamment à susciter des réactions passionnelles sur des sujets sensibles. Comme nous sommes tous soumis, plus ou moins, à des émotions fortes que nous ne contrôlons pas toujours, ils y réussissent généralement très bien, de sorte que nous sommes soit violemment attirés soit violemment repoussés, jamais indifférents.
Je propose donc d’examiner la nature de ce rapport émotionnel et de repérer ce que ce discours volontairement provocant vise en chacun de nous.
Car nous sommes tous sans exception des électeurs virtuels du Front National.
1° Des faits et une question
a- des faits
Aux élections présidentielles de 1974, deux ans après la création du Front National qu’il a dirigé jusqu’en 2011, Jean-Marie Le Pen réunissait sur son nom 190 921 voix, soit 0,75% des suffrages exprimés.
Qui aurait alors imaginé qu’il parviendrait un jour à se qualifier pour le second tour de cette élection majeure ?
Ce jour arriva vingt-huit ans plus tard : le 21 avril 2002, près de cinq millions d’électeurs (16,86% des suffrages exprimés) lui permirent de devancer le candidat socialiste.
Après le reflux relatif de 2007 (moins de quatre millions de voix et 10,5% des exprimés) dont certains dirent qu’il annonçait le déclin du FN, le 22 avril 2012, Marine Le Pen, qui avait succédé à son père à la tête du parti, réunit près de six millions et demi de voix (environ 18% des suffrages exprimés).
En février 2013, selon un sondage publié par Le Monde, si 63% des Français étaient hostiles aux idées défendues par le Front National, 47% estimaient qu’il ne représentait pas un danger pour la démocratie – ils étaient plus de 70% à penser le contraire dans les années 90.
Dans le même temps, les résultats électoraux du parti communiste pour cette élection évoluaient en sens inverse : le 1er juin 1969, Jacques Duclos manquait de peu la qualification pour le second tour des présidentielles avec 4 808 285 voix (21,27% des suffrages exprimés), le 22 avril 2007, Marie-George Buffet ne réunissait plus que 707 268 voix (1,93%).
b- la question
Si, entre 1974 et 2013, le fond du discours du Front National est resté le même – le père se reconnaît dans sa fille qui se reconnaît dans son père – c’est donc chez nous – individus et société – que quelque chose a changé.
D’où vient que ce discours, inaudible en 1974, soit devenu aussi retentissant en 2013 ? En-deçà de la crise et de son effet d’amplification, qu’est-ce qui peut expliquer cette pérennité et cette capacité d’audience ?
2° Les raisons invoquées
Les principales raisons invoquées par le chef-fondateur puis par sa fille pour expliquer l’élargissement de l’auditoire de leur parti sont connues : l’impuissance de tous les partis (gauche, droite et centre confondus), les compromissions et la corruption des mêmes hommes politiques qui se succèdent au pouvoir depuis des décennies, l’Europe et la mondialisation, les étrangers et l’immigration qui menacent notre identité nationale.
Les solutions sont également bien connues. Entre autres : rejeter la droite et la gauche, doter la France d’un vrai Chef doué d’autorité, rompre avec l’union européenne et les technocrates de Bruxelles, abandonner l’euro et rétablir le franc, décréter la préférence nationale, renvoyer une grande partie des étrangers, remettre de l’ordre et restaurer les valeurs patriotiques.
Nous entendons résonner en nous ces raisons et ces solutions exprimées avec des effets oratoires dans des harangues enflammées, et nous les écoutons d’une oreille exaspérée ou enthousiaste.
Mais, s’il adapte à l’actualité ces raisons censées justifier ces solutions radicales, le Front National ne les a pas inventées. De tout temps et partout ont été dénoncées l’incapacité et la corruption des hommes politiques, la perte des valeurs nationales, le danger que constituent l’étranger et les étrangers, de tout temps et partout ont été réclamés des vrais chefs autoritaires pour prendre des mesures définitives supposées régler les problèmes une bonne fois pour toutes – ce type d’argumentation a également été utilisé par Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen qui se prétendaient l’un et l’autre le vrai chef du parti quand ils se sont violemment opposés pour la direction du parti, en 1998.
Ce ne sont donc pas ces raisons qui peuvent expliquer le succès d’audience du Front National. Elles ont été invoquées dans le passé par d’autres formations politiques semblables et le seront par d’autres dans le futur.
Ce discours permanent que tentent de réactiver, en France, le Front National, en Europe, les partis qui défendent les mêmes thèses, nous l’avons en nous, il est commun à tous les hommes, et c’est lui que cherchent à contacter les formations d’extrême-droite.
Les raisons invoquées, complétées par les solutions radicales, ont pour objectif de provoquer des émotions et des réactions passionnelles, elles ne s’adressent pas à notre raison.
3° La raison, dans ses deux sens
a- la raison-cause
Tous, nous avons en effet en nous un même discours commun permanent, plus ou moins explicite, plus ou moins sonore selon les périodes et les circonstances de notre vie.
Nous sommes pareillement fabriqués, composés des mêmes structures biologiques, des mêmes strates historiques et sociologiques empilées les unes sur les autres, qui n’ont pas toutes la même épaisseur, et dont l’agencement varie selon les individus et les sociétés. Mais, au-delà des diversités de tempérament, de caractère, de sensibilité, au-delà de nos différences physiques visibles et de nos histoires singulières, chacun de nous sans exception se raconte et se répète avec ses mots à lui le scénario qui lui a été imposé : « Je suis né le jour indiqué sur le registre d’état-civil, je vivrai des années dont j’ignore le nombre, et je mourrai le jour laissé en blanc sur le même registre. »
Depuis qu’ils existent, les hommes ont cette conscience qui leur est propre et qui les accompagne toute leur vie. Aucun animal, aucune plante, aucun minéral n’a ce savoir. Seul, l’homme en dispose, et c’est ce savoir particulier qui le caractérise en le distinguant radicalement de tout ce qui est vivant.
« Le but de notre carrière c’est la mort, écrit Montaigne dans ses Essais. (…) Elle est inévitable, et si elle nous fait peur, c’est un sujet continuel de tourment, et qui ne se peut aucunement soulager. » (I, 20 – Que philosopher c’est apprendre à mourir)
Nous seuls sommes capables de nous regarder dans une glace pour nous demander qui nous sommes, ce que nous faisons sur cette terre et quel est le sens de notre vie, avec la possibilité de répondre qu’elle ne vaut pas la peine d’être vécue.
C’est la conscience de ce scénario imposé qui constitue le fond de ce discours commun permanent, c’est elle qui est la source profonde et cachée de nos peurs, de nos angoisses et des émotions fortes que nous ne contrôlons pas, autrement dit, nos passions.
Et même si nous protestons que ce n’est pas vrai, que cette conscience ne nous effleure pas, même si nous affirmons que notre mort ne constitue pas un problème et qu’elle ne nous préoccupe pas, nous savons en même temps que c’est faux, que nous mentons.
« Comment est-il possible qu’on puisse se défaire de la pensée de la mort, et qu’à chaque instant il ne nous semble qu’elle nous tient au collet ? » (Montaigne – id)
Cette conscience obstinée et têtue survient très tôt, vers l’âge de trois ou quatre ans, et elle ne nous lâchera pas jusqu’à la fin.
Mais, en même temps, elle nous donne un pouvoir dont ne dispose non plus aucune autre espèce vivante : le pouvoir de nous détacher de nos peurs et de nos angoisses, de les considérer comme n’importe quel objet, le pouvoir d’être libres.
« La méditation de la mort est méditation de la liberté. » (Montaigne – id).
A première vue, le champ de cette liberté peut paraître étroit : nous n’avons choisi ni de naître ni de mourir, ni notre père, ni notre mère, ni notre sexe, ni notre sexualité, ni le corps avec lequel nous devrons vivre, ni le pays, ni l’époque, ni la société où nous sommes nés.
Nous n’avons donc pas plus de libre-arbitre que l’avion qui prétendrait voler parce qu’il l’a décidé.
Pour autant, – et c’est ce qui nous différencie de l’avion – malgré ou grâce à ces contraintes et à ces déterminismes, nous pouvons faire des choix, prendre des décisions, parce que nous disposons de l’outil qui nous permet d’accéder à la liberté.
b- la raison-pensée
C’est elle, l’outil, la clef.
Elle n’est pas facile à utiliser parce qu’elle ne nous est pas donnée ni toute faite ni une bonne fois pour toute. Il nous faut la construire en permanence pour l’adapter aux problèmes existentiels que nous avons à résoudre, et ces problèmes sont sans fin parce qu’ils sont reliés au discours permanent que nous tient la conscience de notre mort, un discours qui évolue au fils du temps et des circonstances de notre vie.
« Car, semblables aux enfants qui tremblent et s’effrayent de tout dans les ténèbres aveugles, nous-mêmes en pleine lumière parfois nous craignons des périls aussi peu terribles que ceux que leur imagination redoute et croit voir s’approcher. Ces terreurs, ces ténèbres de l’esprit il faut donc que les dissipent, non les rayons du soleil ni les traits lumineux du jour, mais l’examen de la nature et son explication. » (Lucrèce – 1er siècle avant notre ère – De la nature des choses – Livre II – 55-61)
Cet effort nécessaire et contraignant de construction est par lui-même le signe de cette liberté, il est constitutif de notre humanité.
Un exemple banal : vous êtes sous l’orage, les éclairs sont à la fois magnifiques et effrayants, mais ce qui vous terrifie le plus, c’est le tonnerre avec ses craquements épouvantables que vous attendez avec appréhension parce que vous vous imaginez qu’il constitue un danger mortel. Le jour où vous apprenez qu’il est la forme sonore, donc plus lente, de l’éclair qui, lui, constitue le danger réel, vous obtenez le moyen de ne plus avoir peur. Ce savoir théorique n’est que le début d’un processus d’apprivoisement, d’appropriation. Vous devez encore prendre la décision de ne plus tressaillir de peur quand le tonnerre se manifestera, décider de l’attendre paisiblement.
Nous savons aussi qu’il n’existe pas de vie individuelle concevable sans fin, mais, comme pour le tonnerre, ce savoir théorique ne suffit pas. Là encore, nous avons à prendre une décision d’appropriation.
Et si vous dites que vous n’avez pas la possibilité de le décider, que c’est hors de votre portée, ce sera encore parce que vous l’aurez décidé ainsi. Telle est l’essence de cet effort de liberté propre à l’homme dont les seuls à être privés sont les malades mentaux qui ont besoin d’être internés.
« Chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et de comprendre ses affects (ce qui spontanément provoque en nous de l’attirance ou de la répulsion) d’une façon claire et distincte, sinon totalement du moins en partie, et il a par conséquent le pouvoir de faire en sorte qu’il ait moins à les subir. » (Spinoza – 17ème siècle – Ethique – V, 4)
Tous, nous disposons en effet du pouvoir de penser le tonnerre inhérent à l’éclair, de penser la mort inhérente à la vie individuelle, et d’avancer sur le chemin de la liberté en nous distanciant de nos passions par la pensée.
« Un affect qui est une passion cesse d’être une passion dès que nous en formons une idée claire et distincte. » (Spinoza, id.)
Décider de penser ce qui suscite nos peurs et nos angoisses, revient en effet à mettre de la distance entre elles et nous, de les considérer comme des objets, c’est-à-dire autres que les sujets que nous sommes.
Nous pouvons aussi choisir de refuser cette mise à distance par la pensée, de « coller » à nos émotions et décider de nous laisser dominer par nos passions et nos peurs.
C’est sans doute ce qui explique que nous sommes tous, à des degrés divers, tentés en permanence par les « solutions » toutes simples et radicales venues d’ailleurs et censées régler tout pour toujours, même si sous savons qu’elles n’existent pas.
Là est notre point commun de faiblesse et c’est lui que cherche à exploiter les organisations du type du Front National.
4° Les stratégies de fuite
a- croire
Cette tentation permanente du remède-miracle est une manière de bâillonner la conscience que nous avons de notre scénario de vie, et même si nous savons que nous n’échapperons pas au discours qu’elle nous tient en permanence, nous avons quand même envie de faire comme si c’était possible.
Parmi les stratégies de fuite que nous nous ingénions à échafauder, la plus remarquable est l’invention du verbe croire.
Par définition, croire échappe à tout savoir : ce que je crois ne peut pas être démontré parce que ce qui peut l’être est du domaine du savoir.
Donc, nous croyons.
Nous avons cru, nous croyons que la terre est plate, qu’elle est immobile, que c’est le soleil qui bouge, qu’un kilo de plomb pèse plus lourd qu’un kilo de coton, qu’un bâton droit se plie quand on le plonge dans l’eau, que les martiens se déplacent en soucoupes volantes, que la fin du monde est programmée pour le 21 décembre 2012, que le nombre 13 porte chance ou malheur, que certains ont la « bosse des maths », qu’on naît intelligent ou stupide, que la vitesse tue… et qu’il est absolument impossible de ne pas croire à quelque chose ou à quelqu’un parce que le verbe croire serait nécessaire comme l’oxygène que l’on respire.
La croyance la plus ancienne – sans doute à l’origine du verbe – et la plus ancrée dans nos mémoires est que la mort n’est qu’une apparence, que nous sommes immortels.
Rien n’est là pour nous prouver que c’est vrai – sinon nous ne dirions pas « je crois » mais « je sais » – mais nous avons envie de le croire parce que c’est rassurant. Du moins, nous nous imaginons que c’est rassurant, parce que nous vérifions tous les jours que ceux qui croient ne vivent ni ne meurent pas mieux que ceux qui ne croient pas. « Il n’y a rien de mal dans la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas un mal. » (Montaigne – id)
Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire humaine, on trouve des institutions créées pour organiser la croyance et lui donner l’apparence du savoir ; ce sont les diverses « églises » (ecclésia, d’où vient église, veut dire assemblée) qui relient (sens de religion) les croyants entre eux et à la divinité à laquelle ils croient. Par leurs dimensions et leur aspect monumental, les constructions matérielles – temples, églises, cathédrales, mosquées, synagogues… – renforcent cette illusion de vérité et d’immortalité.
Illusion mise en évidence par la diversité théoriquement absurde de ces religions « officielles » (païennes, catholique, protestante, orthodoxe, juive, musulmane …) – sans parler de la multitude des églises dissidentes et des sectes – et par leurs comportements apparemment incohérents : venant à la suite des religions polythéistes, elles disent toutes qu’ils n’existe qu’un seul dieu, elles prônent l’amour du prochain, la spiritualité, le dédain des biens matériels, et elles n’ont cessé de se faire la guerre, d’appeler au massacre de ceux qui ont des formes de croyances différentes, elles ont acquis des richesses financières et immobilières considérables, elles ont emprisonné, torturé et tué les contestataires quand elles détenaient le pouvoir politique ou y étaient associées, elles continuent à le faire dans les pays encore théocratiques, et elles sont constamment ébranlées par des scandales.
Diversité théoriquement absurde et comportements apparemment incohérents, puisque les églises ne sont que des institutions humaines comme les autres, créées et gérées ni par (ni pour) un dieu mais par (et pour) des hommes ni pires ni meilleurs que les autres. Il n’est donc pas surprenant que ceux qui les dirigent – quels que soient leur « bible », leur « coran », leurs habits liturgiques et le décor où ils officient dans des cérémonials codifiés – aient des comportements banalement humains même s’ils veulent persuader du contraire ceux qui ont besoin de l’être. Ce qui devrait vraiment être étonnant, c’est de s’en étonner.
Le jour où les hommes auront compris que l’immortalité qui est au cœur de l’Espérance religieuse est un leurre et auront accepté leur mort pour ce qu’elle est (la fin définitive de leur vie consciente), les lieux de culte deviendront ce que nombre d’églises désaffectées sont déjà devenues, comme les temples grecs : des témoignages artistiques plus ou moins appréciés d’un autre temps.
Le discours archaïque repris et réactualisé par les formations comme Front National est précisément une stratégie de fuite appuyée sur le verbe croire.
b- croire le Front National
Quand ils affirment que tous les autres sont corrompus sauf eux (« Nous sommes le seul parti à avancer tête haute et mains propres. » Martine Le Pen, 22.02.2011), les chefs du FN – le père créateur, puis sa fille – laissent entendre qu’ils sont d’une essence différente.
Deux cent mille personnes les croyaient en 1974, six millions et demi en 2012.
Qu’est-ce qui a changé pendant ces 38 années ?
En 1974, existait encore l’utopie d’un changement radical, révolutionnaire, l’utopie du communisme qui devait remplacer le système capitaliste. Les dérives meurtrières dans les pays de l’est, en URSS et en Chine notamment, ne suffisaient pas à tuer ce rêve d’une société où les hommes seraient égaux et libres parce que la mise en commun des moyens de production et d’échange mettrait fin à « l’exploitation de l’homme par l’homme ».
A cette époque, personne ou presque n’avait besoin d’entendre le vieux discours qu’entreprenait d’actualiser le Front National.
Dans le même temps, commençait une crise financière, économique et sociale qui a pris les proportions que nous connaissons, avec la différence majeure qu’il n’y a plus aujourd’hui cette utopie communiste et qu’aucune autre n’a vu le jour.
La crise des années 30 (elle aussi financière, économique et sociale) avait provoqué en Europe l’émergence et le triomphe d’idéologies viscéralement anticommunistes, fondées sur le racisme, la xénophobie, la dénonciation des prétendus responsables (les Juifs) des difficultés que connaissaient les sociétés européennes.
Elle fut résolue par une guerre mondiale et plus de cinquante millions de morts.
L’utopie communiste s’est effondrée dans les années 90 avec l’implosion de l’URSS et des « démocraties populaires ». Le bilan globalement catastrophique (social, économique, humain) a montré que l’utopie, telle qu’elle avait été présentée et expérimentée, était en réalité un mythe.
c – l’utopie et le mythe
Utopie est le nom que l’écrivain l’humaniste anglais Thomas More a donné au 16ème siècle à une île imaginaire où les hommes vivraient en harmonie.
Une utopie est la représentation d’un idéal dont on sait qu’il n’est pas atteignable mais dont la fonction est d’éclairer la route du progrès humain.
Au contraire, un mythe est une fable, un récit présenté comme de l’ordre du merveilleux, hors de portée des hommes. La mythologie raconte les histoires des dieux de l’antiquité gréco-romaine auxquels plus personne ne croit aujourd’hui.
L’utopie permet aux hommes d’imaginer des conditions d’une vie meilleure possible, un mode de fonctionnement politique et socio-économique plus juste que celui qu’ils connaissent. Elle est de l’ordre de l’immanence.
Le mythe leur permet de croire qu’ils peuvent échapper à leur condition de mortels, il fait appel à des forces surhumaines (par exemple, des dieux, un dieu unique…), il est de l’ordre de la transcendance.
L’immanence établit un rapport d’horizontalité entre les hommes, entre les hommes et l’univers. Les réponses qu’ils cherchent sont donc de leur seul ressort, ce sont eux qui doivent les inventer.
La transcendance, au contraire, établit un rapport de verticalité avec les questions ; les réponses (en particulier la réponse à la question majeure de la mort) sont censées être déjà écrites quelque part et connues d’un certain nombre d’initiés – prêtres, pasteurs, imans, rabbins… – chargés de les décrypter pour le commun des mortels en expliquant par exemple les textes dits sacrés.
Selon qu’on se place dans l’immanence ou la transcendance, la définition de l’homme et de sa liberté est différente : s’il choisit l’immanence, l’homme est le propre artisan de ses choix, de ses valeurs ; s’il choisit la transcendance, il est « aliéné » dans le sens où les réponses aux questions de son existence lui préexistent et dépendent plus ou moins d’autres (sens du mot latin alienus).
5° Le fond archaïque du discours du Front National
Montesquieu, un écrivain français de la première moitié du 18ème siècle, imagine dans une des ses œuvres (Les lettres persanes) que deux aristocrates Persans (les Iraniens d’aujourd’hui) voyagent en France et racontent à leurs amis restés en Perse comment vivent les Français qu’ils rencontrent, en particulier les Parisiens de la « haute société » de l’époque.
Rica, l’un des deux Persans, explique dans une de ses lettres l’extraordinaire engouement avec lequel il est regardé, comment il est invité partout et en permanence chez les gens importants. Il en est flatté sinon heureux, jusqu’au moment où il en vient à se demander ce qui peut expliquer un tel intérêt. Il décide alors de quitter son habit persan pour voir quelle est la valeur réelle de l’attention qu’on lui témoigne. Il constate alors qu’on l’ignore, comme s’il n’existait plus, et quand ceux avec lesquels il se trouve apprennent qu’il est persan, il les entend s’étonner : « C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être persan ? »
Question apparemment absurde.
Tant que le Persan est habillé en persan, il n’est pas inquiétant. Il est une espèce d’extraterrestre inoffensif qui ne remet pas en cause le statut de ceux qui l’observent comme un animal exotique dans sa cage. Ce statut est alors celui des aristocrates Parisiens du 18ème siècle, blancs, catholiques, du royaume de France, persuadés qu’ils sont le modèle exclusif de l’humanité. En perdant une étrangeté (son habit) qui permettait de l’exclure du champ humain (comme les Noirs ou les Amérindiens pour des motifs de couleurs de peau), le Persan habillé comme tout le monde devient alors un humain, un humain d’apparence identique à ceux qui l’observaient, mais avec des différences physiques et culturelles telles (il n’est ni blanc ni catholique, ni du royaume de France, mais doté d’intelligence et d’esprit critique – pour lui le roi et le pape sont des magiciens capables de faire croire à leurs sujets ce qu’ils veulent) qu’elles remettent en cause le caractère humain dont les observateurs se croyaient les dépositaires exclusifs : comment est-il possible qu’un être si différent de moi, si différent de nous tous qui sommes si semblablement blancs, catholiques et du royaume de France, soit un être humain ? Et quel scandale qu’il puisse prétendre en être un, comme nous !
Le caractère absolu (signe de pérennité, d’immortalité) qu’ils croyaient attaché à leurs particularités d’aristocrates, blancs et catholiques, se révèle être relatif (signe de variabilité, de mortalité) et fait surgir un malaise qui peut conduire celui qui l’éprouve à rejeter, voire à supprimer l’autre, l’étranger.
Ce « Comment peut-on être persan ? », nous l’avons tous en nous, plus ou moins, sous des formes différentes, selon les époques et les pays : « Comment peut-on être femme, gaucher, roux, noir, jaune, arabe, maghrébin, polonais, italien, roumain, juif, protestant, catholique, musulman, homosexuel etc. ? »
C’est cette insidieuse question vieille comme l’humanité que tente d’actualiser le Front National.
C’est cette question qui constitue le fond permanent de notre discours commun et que le Front National tente d’exploiter.
Il veut convaincre ceux qui l’écoutent qu’il existe une référence absolue, celle de la « pureté des origines », autre signe du fantasme de l’immortalité. La pureté est incarnée par Le Chef du parti (jusqu’à sa veste que Marine Le Pen dit « immaculée ») et les origines renvoient à leur tour au mythe de la « race pure », évidemment blanche, française en l’occurrence, même signe du même fantasme.
Il s’agit en effet de mythes – nous savons qu’il n’existe ni « races » humaines, ni France originelle, ni origine pure – et aucun dirigeant politique ne peut plus prononcer aujourd’hui ces mots sous peine de discrédit. Le Front National les suggère donc « en creux » en dénonçant ceux qui ne seraient pas purs (les hommes politiques tous pareils et tous corrompus), ceux qui ne seraient pas d’ « origine pure » (les étrangers, présentés comme les responsables de la perte d’une prétendue identité nationale gravée dans le marbre) et l’étranger (l’Europe, la mondialisation, accusées de saper notre souveraineté).
Donc une Nation et un Peuple menacés de souillure et de déliquescence, mais qui peuvent encore être sauvés par le Chef, puis par sa fille désormais auréolée d’une pureté accréditée par une figure historique mi-religieuse, mi-profane.
Cette figure historique emblématique est une jeune femme vierge, pure, courageuse, simple, terrienne, issue du cœur (martyrisé) de la France (la malheureuse et fière Lorraine, annexée par l’Allemagne en 1870 et reconquise en 1918), une jeune femme inspirée, luttant contre l’étranger (l’Anglais) qu’elle veut « bouter hors de France », une femme « sauveur », comme la Présidente-Chef du Front National
Sainte Jeanne d’Arc est une héroïne facilement récupérable : bien qu’elle ait été canonisée par l’église, c’est un prélat catholique qui est à l’origine de son procès et de sa condamnation au bûcher, et il est difficile de faire la part du réel et du mythe dans son histoire.
Elle est donc une figure idéale pour le message émotionnel et subliminal du Front National.
Un message absolument irrationnel, pratiquement inaudible en 1974, toujours aussi absolument irrationnel en 2013, mais devenu peu à peu audible au fil des années de crise, comme en témoigne cet extrait d’une harangue qui semble dater des siècles derniers et qui fut prononcée le 1er mai 2013 par Marine Le Pen devant la statue de Jeanne d’Arc :
« Regardez et écoutez, marchez auprès de vous, cette longue cohorte de Français morts pour la Patrie, entendez leurs pas glorieux, qui battent avec vous ce pavé de Paris dans cette longue épopée des amoureux de la patrie, cette chaîne ininterrompue qui nous lie à notre histoire depuis plus de 2000 ans déjà dans ce miracle toujours renouvelé de la survie de la France.
Cette survie qu’incarna un jour, une petite paysanne Lorraine qui fera reculer l’Anglais et fera du petit dauphin de Bourges un roi de France !
Voilà cet exemple, qui nous dit au cœur, à l’âme, depuis des années, que nous célébrons le premier mai cette fête de Jeanne d’Arc, que notre espérance n’est pas vaine et que, parce qu’il est des Français comme vous, parce qu’il est dans le peuple de France, un amour de la patrie, une énergie et une volonté de survivre, cet exemple nous dit que rien n’est impossible.
Notre pays se redressera avec nous, par nous.
Alors tenez bon, suivons la petite bergère devenue Sainte et guerrière sur le chemin de l’honneur et de la liberté. »
Ce discours est du type de ceux qu’on adresse à des enfants qui ont besoin d’être rassurés.
Il contient, à peine en filigrane, un message destiné à toucher l’inconscient archaïque, un message qui pourrait être : « Nous, dirigeants du Front National, nous sommes la vraie France originelle et pure. Nous sommes la nouvelle Jeanne d’Arc. Nous levons l’étendard de la vraie foi, celle qui vient remplacer la foi stérile des églises et le boniment des partis politiques, la foi dans le Peuple et la Patrie que nous allons sauver en boutant nous aussi hors de France l’« étranger » qui la souille et la corrompt. Comme elle, nous sommes d’une essence différente, une essence sacrée, celle des Chefs. En nous rejoignant et en votant pour nous, vous assurez non seulement le salut et l’immortalité de la vraie France, la France pure, la France éternelle, mais vous assurez votre salut et votre immortalité. »
En période « normale », le discours prononcé ce 1er mai 2013 par Marine Le Pen serait inaudible, et ceux qu’il a séduits se demanderont sans doute un jour comment ils ont pu être sensibles à un tel artifice politico-religieux. Mais dans une période de crise grave – équivalente pour la collectivité à ce qu’est la dépression d’un individu qui perd le sens de sa vie –, il vient combler le vide creusé par l’affaiblissement de la croyance religieuse, et il relance les dés du jeu dangereux de la transcendance.
6° L’affaiblissement de la croyance religieuse
De moins en moins nombreux, surtout en Europe occidentale, sont ceux qui croient que le monde et les êtres vivants ont été créés par Dieu, que l’homme est constitué d’un corps mortel qui ressuscitera lors du jugement dernier et d’une âme immortelle qui monte au ciel lors du décès – parfois via le purgatoire –, si elle n’est pas damnée et vouée à l’enfer où règne Satan/Lucifer.
Le credo toujours récité à la messe et clef de voûte de l’assemblée des croyants est le vestige d’une croyance qui se perd – selon un sondage de la SOFRES réalisé en mai 2013, un Français sur dix et 13% des catholiques croient à la résurrection. (« S’il n’y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité, et si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine et vaine est votre foi. » – Paul – 1ère épitre aux Corinthiens)
Les différents scandales (touchant aux mœurs et à l’argent) qui affectent les églises (catholique, anglicane, entre autres…) contribuent à dépouiller ses dirigeants du caractère sacré dont ils étaient investis dans le passé et l’institution religieuse apparaît de plus en plus clairement pour ce qu’elle est : une entreprise humaine chargée d’exorciser la peur de la mort et dont les capacités de persuasion sont de plus en plus faibles.
Cette déliquescence associée à la mort de l’utopie communiste, permet de comprendre le développement et la radicalisation des divers intégrismes.
L’intégrisme est le cri de la transcendance absolue où se réfugient ceux dont l’angoisse du désespoir ferme l’accès à la pensée.
Ainsi, la loi – immanente – ouvrant le droit au mariage pour les homosexuel(le)s est aux yeux des intégristes catholiques français un véritable sacrilège parce qu’en reconnaissant le réel – et bien qu’elle ne restreigne en aucune façon leur droit de croire – elle reconnaît en même temps que la transcendance est une question de choix et non un absolu qui s’impose à tous.
Cette reconnaissance du réel (la sexualité n’est pas de l’ordre du choix, l’homosexualité existe au même titre que l’hétérosexualité, la féminité et la masculinité ne sont pas réductibles au sexe, le mariage peut ne pas être fondé sur la reproduction) est donc pour eux de l’ordre du blasphème (comme en son temps l’hypothèse que la terre n’était pas le centre de l’univers et qu’elle tournait autour du soleil), et, en protestant dans des défilés aux côtés du Front National et de l’UMP, ils rejoignent sur ce point l’intégrisme musulman (qui condamne à mort les homosexuels et persécute les artistes non croyants) au nom d’une transcendance qu’ils voudraient imposer à tous, une transcendance totalitaire qui conduit certains intégristes catholiques à vouloir détruire des œuvres exposées dans des musées et empêcher des projections ou des représentations dans des salles de cinéma ou de théâtre.
La loi, de même nature immanente, qui reconnaîtra un jour à l’homme le droit de disposer de sa vie et de mourir dans les bonnes conditions qu’il aura choisies – l’euthanasie –, cette loi les mobilisera à nouveau pour le même combat désespéré, parce qu’elle signifiera que la vie n’appartient à Dieu que pour ceux qui décident de le croire.
Ces intégristes (latin integer = entier, d’une seule pièce) sont rejoints dans la protestation contre l’élargissement du droit au mariage aux homosexuels par ceux qui sont persuadés que la seule filiation heureuse et épanouie est celle des liens du sang qui garantit l’épanouissement de l’enfant. Le père + la mère + l’enfant = réussite familiale, est pour eux la seule équation salutaire, même si les faits enregistrés par la DASS, les juges et les tribunaux pour enfants (sans parler de tous les dysfonctionnements ordinaires dont nous connaissons tous des exemples chez nous ou autour de nous) montrent que la réalité de la famille biologique est loin d’être la garantie absolue de l’amour et de l’épanouissement des enfants. Il y a probablement parmi ces protestataires, des divorcé(e)s, des parents célibataires, dont les propres parents ont protesté avec la même violence en 1999 contre le PACS et, jadis, les grands-parents contre les « filles-mères » et le droit au divorce.
« Vous êtes en train d’assassiner des enfants ! » s’est écrié dans l’hémicycle un député de l’UMP lors de la deuxième discussion de la loi, en avril 2013. L’absurdité outrancière de cette accusation lancée contre les députés favorables à la loi est révélatrice de la dimension hystérique des peurs de ces protestataires. Elle est la même que celle des réquisitoires des inquisiteurs et des procureurs des systèmes totalitaires, religieux ou politiques.
Ces peurs et ces angoisses réactivées par la dépression économique et sociale qui fragilise les individus et la collectivité ouvrent donc un large espace à l’expression de l’irrationalité.
C’est cet espace que cherche à occuper Le Front National en venant prononcer dans la sphère politique le discours d’immortalité fantasmatique qui n’est plus écouté dans les églises que par une petite minorité de croyants et qui et trouve donc des oreilles disponibles.
Il appelle donc à faire « front » contre une prétendue mise en danger de l’ « identité nationale », un avatar du sacré, déjà fortement mis à mal par le divorce, l’avortement, la procréation médicalement assistée et l’inclusion de l’homosexualité dans le naturel.
Au passage, il n’est pas inutile de rappeler que si Jeanne d’Arc fut condamnée à être brûlée vive, c’est, en tant que « relapse », pour avoir remis ses habits d’homme – signe d’ambiguïté sexuelle alors blasphématoire. Aujourd’hui, Jeanne d’Arc serait donc à nouveau condamnée par les régimes où règne l’intégrisme et par les extrémistes religieux qui, à côté des partis de droite et d’extrême-droite (UMP et FN notamment), manifestent chez nous contre le projet de loi accordant aux homosexuel(le)s les mêmes droits qu’aux hétérosexuels.
Le discours du FN cherche à toucher ceux que la mise en cause de la transcendance absolue emplit de panique et qui voient sous leurs yeux les pages à écrire du livre de leur liberté qu’ils prennent pour celles d’un abîme s’ouvrant sous leurs pieds.
7° Le jeu dangereux de la transcendance
a- le communisme
En y ajoutant une dimension historique, Marx reprend la philosophie matérialiste antique – au 4ème siècle avant notre ère, Epicure (après la théorie des atomes de Démocrite) explique que la matière se suffit à elle-même et qu’il n’y a pas besoin de dieux pour expliquer le monde – et précise que la religion (« opium du peuple ») disparaîtra dans la nouvelle société sans classes sociales où la « consolation de l’être affligé » n’aura plus de raison d’être.
Cette conception de l’univers et de l’homme constructeur de son histoire est donc de nature immanente et elle rejette la croyance en l’immortalité.
La combinaison de cette philosophie avec un projet politique libérateur fondé sur un savoir présenté comme scientifique, explique les passions déclenchées par la création du parti communiste, avant-garde militante d’une révolution annoncée comme inéluctable parce qu’inscrite dans l’Histoire.
Or, si nous examinons les expériences communistes menées dans les pays dirigés par ce parti, nous constatons que l’application pratique, politique, de cette théorie a été un dévoiement de l’immanence qui la fonde : le fantasme d’immortalité, constituant principal de « l’opium du peuple », officiellement rejeté (la pratique religieuse est interdite, on ferme les églises), a été transféré de l’individu dans la collectivité et incarné par Le Parti qui se substitue à la divinité du monde religieux.
En d’autres termes, si l’enveloppe du communisme expérimenté en URSS et ailleurs a l’apparence de l’immanence qui constitue la philosophie dont il est issu, son contenu est de nature transcendante.
Le Parti est la figure de cette transcendance cachée dans l’enveloppe d’immanence qu’est la révolution prolétarienne, comme la statue du dieu antique était cachée dans le naos du temple grec et le Dieu chrétien dans le tabernacle. Si ses chefs, malgré le culte de la personnalité, peuvent être renversés de leur piédestal, Le Parti, lui, demeure l’entité sacrée intouchable et infaillible, comme le Dieu qu’il a remplacé.
Le contestataire dangereux qu’il faut éliminer est donc celui qui veut ouvrir le tabernacle pour dévoiler et révéler ce que personne ne doit voir sous peine de sacrilège.
Le refus de prendre en considération le lot commun que sont les peurs et les angoisses individuelles a conduit le communisme à maintenir vivace le fantasme d’immortalité en le transférant dans Le Parti (la force comprimée de la croyance explique pour une part importante l’implosion soudaine du système en même temps que la résurgence religieuse) au prix de répressions à la fois délirantes et sanglantes : les exécutions arbitraires et les procès fabriqués de toutes pièces dans lesquels les accusés sont sommés de s’accuser pour le bien du Parti de crimes qu’ils n’ont pas commis, témoignent du caractère irrationnel d’un exorcisme analogue à celui des procès en sorcellerie intentés par l’Inquisition catholique en son temps.
Avec la propriété des moyens de production et d’échange, ce que les communistes voulaient, peut-être sans s’en rendre compte, transférer en même temps du privé dans le collectif, c’est une forme de propriété qui ne peut être que celle de l’individu ; une propriété (redoutable) qui n’entre pas dans le champ de la collectivité parce qu’elle est le rapport que l’individu vivant construit avec sa mort et qui ne peut être, en dernier ressort, qu’une affaire irréductiblement privée.
Après que la collectivité aura un jour décidé que la mort doit être un objet d’enseignement et de savoir au même titre les autres composants de la vie (« Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et de toute contrainte (…) Il n’y a rien de mal dans la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas un mal. » Montaigne – id.), il restera encore et toujours aux individus à s’approprier ce savoir, problématique en ce sens que la moitié du livre d’apprentissage est écrit par leur propre corps où la mort est à l’œuvre depuis la naissance et qui leur « parle » nécessairement.
Les systèmes politiques ou religieux fondés sur la transcendance (affichée ou dissimulée) qui ont voulu ou veulent régenter ce problème ne peuvent être que totalitaires, parce que prétendre détenir la réponse collective à cette ultime question éminemment singulière posée à l’individu (on ne peut mourir que dans la solitude de sa conscience), présuppose qu’on a déjà les réponses à toutes les autres questions et qu’elles sont obligatoires. Si sa croyance fait se heurter l’individu à la réalité de son savoir dans un conflit personnel plus ou moins douloureux, la croyance collective obligatoire, que le destinataire soit Dieu ou le Parti, ne peut être que dévastatrice pour la société et pour ses membres.
Le jeu de la transcendance a conduit par exemple le parti communiste soviétique à des décisions aberrantes (censure, définition d’une littérature, d’un art, d’une science « révolutionnaires ») et meurtrières (suspicion généralisée, paranoïa politique, obsession des « ennemis de classe », déportations massives dans des camps). Ce jeu constitue sans doute la passerelle qui permet de passer de l’extrême gauche à l’extrême droite – la résurgence de groupes néonazis dans l’ancienne Allemagne de l’est après la réunification en est un exemple.
Pour autant, le caractère immanent de la révolution prolétarienne fait que les individus (ayant par définition la même importance) sont égaux entre eux – ils sont des « camarades » qui se tutoient quelle que soit leur place dans le système. Ce que je suis est donc reconnu comme une contingence de même valeur que ce que l’autre est.
Il n’y a donc pas de place pour le « Comment peut-on être persan ? »
Là est la différence avec le nazisme.
b- le nazisme
Expression extrême du fascisme européen (Italie, Espagne, Portugal… ), le nazisme allemand (où le Führer – le Chef – crée le parti, à l’opposé du communisme où le Parti crée le chef, comme l’Eglise catholique crée le Pape) est une transcendance clairement affichée, vidée de la divinité habituelle (le Dieu chrétien impuissant à résoudre le malheur du peuple allemand) à laquelle il substitue la sienne propre identifiée à son Führer-créateur : la race pure supérieure – aryenne, à l’image du Chef, comme l’homme est à l’image de Dieu – dont la fonction est d’incarner l’immortalité de la nation – un Reich (empire) de mille ans promettait Hitler – et, de manière subliminale, celle des « purs aryens » qui la constituent.
S’il existe une race supérieure, il est nécessaire qu’existe une race inférieure qu’il faut donc éliminer puisqu’elle est un danger mortel pour la race supérieure et la Nation. Elle est composée de ceux dont l’aspect, les idées ou les mœurs sont présentés comme des preuves de sous-humanité ou de non-humanité (Juifs, Slaves, Noirs, Tziganes, communistes, homosexuels…), qui sont les signes intolérables du caractère relatif, contingent, fortuit, mortel, de ce que moi je suis. Le « Comment peut-on être persan ? » trouve ici un emploi permanent.
Le nazisme est donc une agression mortifère évolutive qui ne peut que conduire à l’élimination de ce qui n’est pas moi, donc à la suppression de l’autre. Je tue pour me convaincre que je ne mourrai pas, même si je sais que ce n’est qu’un fantasme : la mort devient fascination (« Viva la muerte ! » – vive la mort – était un cri de ralliement des fascistes espagnols), le comportement des nazis en est une tragique illustration.
Seulement, la race pure supérieure ne pouvant être qu’une société fantasmatique et chimérique de clones irréels, il faudra sans cesse trouver un nouvel autre bien réel à faire disparaître pour se donner l’illusion d’immortalité. Il s’agit donc d’une persécution meurtrière sans fin, si incroyable que les victimes ont souvent du mal à se convaincre qu’ils sont sur la liste de ceux qui doivent être éliminés au motif qu’ils sont ce qu’il ne faut pas être.
En cela, le nazisme est pour la collectivité l’équivalent de ce qu’est le pire des cancers imaginables pour l’individu. Et le cancer (possible pour les autres) est toujours considéré d’abord comme un impossible pour soi.
Si le nazisme et le communisme (soviétique, chinois…) ont provoqué chacun la mort de millions d’êtres humains, le communisme s’est autodétruit en URSS, dans les pays de l’est, et se défait de son habit révolutionnaire en Chine où la préoccupation majeure – au-delà de l’acquisition des revenus minimaux pour assurer la nourriture, l’éducation et la santé – est l’enrichissement – exactement comme dans le système capitaliste – alors qu’il a fallu une guerre mondiale pour vaincre, et difficilement, le nazisme.
8° Avoir et être
a) le commun et le privé
Le commun des hommes – ce qui appartient à tous les hommes, d’où vient communisme – a été de tout temps au cœur des préoccupations des individus et des sociétés – il en est déjà question dans La République de Platon (4ème siècle avant notre ère) : « Rappelons les points dont nous sommes tombés d’accord pour qu’un Etat soit éminemment bien gouverné : communauté des femmes, communauté des enfants et de l’éducation tout entière ; semblablement occupations communes dans la guerre comme dans la paix. » (Livre 8, prologue)
Les hommes chercheraient-ils en permanence à améliorer le commun économique, social, culturel (cf. les programmes des partis politiques) parce qu’ils seraient poussés à faire le bien par souci de l’autre, par altruisme ? Serait-ce une hantise d’ordre moral ?
Il suffit d’observer comment fonctionnent les sociétés et les individus depuis des millénaires pour être convaincu qu’il faut chercher ailleurs l’explication.
Les sociétés humaines passent l’essentiel de leur temps à rivaliser les unes avec les autres, à se faire la guerre – militaire ou économique – et les conflits meurtriers sont permanents sur toute la surface de la planète.
A l’intérieur des sociétés, le niveau des salaires, les conditions de travail, les droits d’expression politique et syndicale ont provoqué et provoquent toujours des luttes incessantes et violentes.
Les individus se comportent comme les sociétés : la compétition pour « avoir plus » que l’autre, pour (s’imaginer) « être » plus, est généralement présentée comme un moteur naturel et bénéfique, et elle motive la plupart des hommes dans leur vie professionnelle et privée.
Où cette obsession du commun propre à l’humanité trouve-t-elle son origine, sinon dans l’opposition entre le commun du scénario et l’originalité nécessaire de chaque réponse individuelle, l’irréductible privé ?
Ce qui différencie les partis de gauche, du centre et de droite, ce qui détermine la frontière entre libéralisme et social-démocratie est, pour l’essentiel, le rapport qu’ils construisent entre le commun et le privé.
L’erreur du communisme est de croire que le commun ne concerne que ce qui est de l’ordre de l’avoir dont la juste répartition dans un monde d’où sera exclu l’exploitation du travail suffira à libérer les hommes de leurs aliénations pour leur permettre d’être – au sens plein.
Autrement dit, le communisme refuse d’intégrer dans le commun les peurs et les angoisses, soit parce qu’il pense qu’elles trouvent leur origine dans les inégalités sociales – et il croit qu’en supprimant les unes, il supprimera les autres – ou qu’elles ont à voir avec l a psychologie individuelle qui ne l’intéresse pas, soit plutôt parce que c’est une question qui n’entre pas dans sa problématique philosophique et politique, donc une question qui n’existe pas.
Le système communiste soviétique supprime donc le Dieu de la religion traditionnelle, lui substitue le Parti, et prend la forme d’une religion athée : pour être, dit-il, il suffit que l’avoir soit commun et de croire au Parti. Ce qui a pour effet de laisser vivaces les peurs et les angoisses communes.
Le système perdure jusqu’au moment où un nombre suffisant prend conscience que la mise en commun de l’avoir ne permet pas d’être ; l’échec économique et social permet alors d’entendre la voix de ceux qui dénonçaient au risque de leur liberté et de leur vie la transcendance factice dont se masquait le Parti pour justifier le faible niveau de vie et les atteintes aux libertés. A quoi bon tous les sacrifices pour un Parti qui se révèle être un faux dieu favorisant une caste de privilégiés, surtout quand on voit comment vivent les hommes dans les pays non communistes ?
D’où l’implosion du système et l’irruption brutale du capitalisme (modèle indépassable de l’équation avoir (privé) = être) et de la religion qui l’accompagne pour faire admettre l’équation en assurant aux pauvres d’ici-bas que les riches n’entreront pas dans le royaume des cieux et qu’eux seront les « riches » dans l’au-delà. L’église traditionnelle est donc de nouveau appelée à gérer les peurs et les angoisses, et elle est soutenue par les nouveaux dirigeants issus de l’ancienne nomenklatura communiste qui rouvrent les lieux de cultes et participent aux cérémonies religieuses.
b- le commun et le national
A la différence des autres partis le Front National ignore la relation entre être et avoir (privé ou commun) parce que son objectif n’est pas de proposer un nouveau rapport entre les deux, mais de persuader que la solution à tous les maux du Peuple dépend du choix d’un Chef capable d’incarner le Peuple et la Nation.
Il évacue donc de son message les équations capitaliste (avoir privé = être) et communiste (avoir commun = être) – le communisme est son pire ennemi et commun, est un mot tabou.
Aux immanents avoir privé et avoir commun, il substitue le transcendant être national.
La Nation sera donc à la fois l’être commun des vrais Français et cet être national est menacé de mort pour les raisons invoquées rappelées plus haut. D’où la constitution d’un front, métaphore du combat et de la détermination, conforme à l’image habilement mise en scène de son créateur-président. Associé à National, Front créée l’image du Peuple uni derrière son Chef luttant contre ses ennemis (capitalisme et communisme) pour son salut.
Comme le communisme, mais pour des raisons opposées, le Front National ne veut pas savoir que les peurs et les angoisses font partie de l’être commun de l’humanité : pas question de laisser penser que l’histoire des hommes est de nature immanente – d’où la récupération de Sainte Jeanne d’Arc.
La Nation sera donc une entité quasi mystique drapée de pureté originelle incarnée par le Chef brandissant l’étendard de la France éternelle et immortelle.
Ceux qui votent pour le Front National devront donc être persuadés que La Nation, comme la « vraie France », est ce qu’elle est de toute éternité, que les dirigeants du parti, purs et non corrompus, comme elle, luttent, comme Jeanne d’Arc, pour la maintenir comme elle est depuis toujours, contre ceux (étrangers, politiciens corrompus de tous les partis) qui la spolient, la souillent et veulent sa mort.
Pour être, dit le Chef du FN, il faut être le Peuple/Nation, et la Nation/Peuple c’est moi, votre Chef, aux mains propres et à la tête haute. Si vous voulez être, vous devez vous identifier au Peuple/Nation, donc à moi.
Le message subliminal envoyé se résume donc à : Etre = s’identifier au Chef, Jean-Marie Le Pen, le père-créateur et sa fille Marine.
Message qui n’a aucune chance d’être entendu s’il touche la raison de ceux à qui il s’adresse : tout le monde sait que la France est un pays constitué au fil des siècles par le mélange de peuples venus du nord, de l’est et du sud, qu’il n’existe pas de pureté des origines, ni du peuple, ni de la langue, que le Chef du Front National et sa fille sont banalement comme tout le monde. Chacun sait aussi que l’existence au prix de l’identification au Chef (aliénation) est la négation de l’existence, et qu’un Peuple qui s’identifie à un Chef devient une machine infernale.
L’entreprise du Front National trouve pour le moment sa limite dans le fait que la culture générale s’est développée, que le niveau de la conscience politique a évolué, et que la majorité des Français ne pense pas ou ne croit pas (difficile de dire lequel domine, de l’opinion ou de la pensée) que le FN soit capable de gouverner.
La part du rationnel est encore assez forte pour faire barrage à l’irrationalité du message.
Mais jusqu’où et jusqu’à quand peut tenir le barrage ? Comment se constitue la force capable de le faire céder ?
9° La question de l’engrenage
Un engrenage est un mécanisme de roues dentées en contact les unes avec les autres qui mettent en mouvement une ou plusieurs machines qui finissent par constituer une machinerie.
Nous en sommes des exemples particuliers.
a- la machinerie individuelle
Nous nous surprenons parfois à faire ou à dire des choses qui nous étonnent nous-mêmes, dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas. « Non, ce n’est pas moi, ça ne me ressemble pas, je n’ai pas pu dire (ou faire) ça ! »
Une manière de constater que se sont enclenchés malgré nous des engrenages qui ont mis en route une machinerie productrice de gestes et de paroles qui a échappé à notre contrôle.
La neurobiologie nous apprend que notre cerveau est une machine alimentée par le système sanguin et fonctionnant par des connexions électriques et chimiques qu’un rien (un petit caillot de sang) suffit à mettre en panne avec les conséquences invalidantes plus ou moins graves et irréversibles.
Nous initions par notre manière de vivre un fonctionnement particulier de nos machineries qui produisent un jour ou l’autre des « objets » (paroles ou gestes, pathologies) que nous ne reconnaissons pas comme nôtres et qui sont les signes de perturbations que nous sommes tentés de mettre sur le compte de la malchance ou du hasard.
Si nous pouvions remonter le courant, rembobiner le film, nous découvririons que tel ou tel choix opéré à tel ou tel moment permet de comprendre comment a pu se produire ce qui nous surprend ou nous afflige.
« Chacun dirige toutes choses selon son affectivité et ceux qui sont tourmentés par des affects contraires ne savent ce qu’ils veulent, tandis que ceux que ne trouble aucun affect sont poussés de-ci de-là par les motifs les plus futiles. » (Spinoza - Ethique – III – Des affects, 2)
b- la machinerie collective
Il en va de même pour la collectivité. Chaque individu qui la compose est un rouage qui est en soi une machinerie complexe et chacune de ses décisions a des conséquences pour lui-même et pour la collectivité.
En 1972, lors d’une conférence, le météorologue Edward Lorenz posait la question suivante: « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ».
La question – ainsi posée pour frapper l’auditoire – est celle de l’initiation d’un processus complexe aux conséquences à la fois inattendues et imprévisibles.
Le bulletin de vote a le poids d’un papillon. Et si l’on peut discuter de la validité de la question du météorologue, la réalité des effets produits par bulletin que nous choisissons de glisser dans l’enveloppe est indiscutable, même si nous sommes tentés de croire, comme certains de ceux qui ne se déplacent pas pour voter, qu’il n’a pas grande importance.
Il est un élément de l’engrenage, une minuscule petite roue dentée qui va se contacter avec autre, et cet embryon de machine va se contacter à son tour avec d’autres jusqu’à produire une énorme machinerie : un système politique constituée d’institutions, d’élus, de lois, de valeurs… pour le meilleur ou pour le pire.
10- L’emballement des engrenages de mort
a- dans le groupe
Il est un seuil à partir duquel une machinerie particulière peut s’emballer et échapper à tout contrôle.
Le groupe n’est pas la somme des individus qui le composent mais constitue par lui-même une entité qui fonctionne avec ses propres lois qui échappent aux individus pris isolément. Certains de ceux qui participent à des débordements de foule se demandent après-coup comment ils ont bien pu se laisser aller à des actions où ils ne se reconnaissent pas et qu’ils ne comprennent pas.
Un moment vient où se réalise dans le groupe la « prise », comme dans la fabrication d’un ciment ou d’une pâte. Avant ce moment, les éléments sont encore distincts, ils existent encore séparément.
Dès que la prise est faite – et personne ne sait très bien ce qui permet cette agrégation des divers éléments –, il n’est pas possible de revenir en arrière, les éléments se sont fondus dans un ensemble qui les dépasse.
Pris séparément, les individus diront après coup qu’ils n’ont pas été conscients de l’événement. Si on leur demande s’ils étaient d’accord avec ce qui s’est passé, ils protesteront que non. Pour autant, ils seront tenus pour responsables et auront des comptes à rendre à la justice.
b- dans l’individu
C’est vrai aussi pour l’individu. Se manifestent parfois des impulsions qu’on ne peut maîtriser.
Impossible de savoir à l’avance ce qui va déclencher l’impulsion qui va enclencher l’acte. Parfois, c’est un geste dit « manqué » – une torsion inadéquate du corps, le refus de prendre l’outil qui permettrait de ne pas mettre les doigts… – et nous nous blessons, parfois gravement.
Cependant, le plus souvent, nous savons que nous nous y prenons mal, qu’un « accident » va se produire, mais nous laissons filer jusqu’au moment où il est devenu impossible de revenir en arrière. Le mal est plus ou moins réparable quand il n’est pas irrémédiable.
Ces impulsions peuvent prendre un tour plus grave quand elles concernent la machinerie chimique de notre organisme, quand l’engrenage cellulaire se met à tourner de manière folle, et que les cellules se multiplient de manière anarchique en perdant leur différenciation. Elles donnent l’apparence d’une grande vitalité, mais elles font courir un risque mortel à la structure qu’elles envahissent.
C’est ce qu’on appelle un cancer.
Ce qui pousse les cellules à ce développement anarchique est une pulsion de mort qui peut ne pas être irréversible. On peut guérir d’un cancer ou vivre avec.
On peut aussi en mourir.
c- dans la société
Même si sa nature est différente, le cancer existe aussi dans la société où les pulsions de mort sont permanentes. Les unes des médias en fournissent des exemples quotidiens.
On a identifié les terreaux qui rendent possibles ces pulsions et qui les alimentent : ceux de la peur. Et ils sont nombreux.
La combinaison de la crise financière et sociale produit le chômage et son cortège de difficultés. Les menaces sur la planète laissent imaginer la fin de la vie humaine sur la terre. L’absence d’utopie pour sortir de ce système conduit au désespoir.
Tous ces facteurs messagers de mort sont évidemment créateurs de peurs et d’angoisse.
Ce qui, chez nous, en France, conduit à des comportements suicidaires (alcool, drogues, violences…) est de même nature que ce qui conduit d’autres, ailleurs, là où l’horizon est encore plus sombre, à accepter de s’entourer d’une ceinture d’explosifs et à se faire exploser en tuant le plus de monde possible.
d- le désespoir et le Front National
Ses dirigeants ne s’adressent jamais explicitement aux individus. Ils s’adressent au Peuple présenté en situation de danger mortel.
Mais le Peuple ce n’est personne. Ce n’est qu’un mot.
Le Front National ne peut pas promettre aux individus qu’il va les sauver parce c’est l’affaire de la religion et de son espérance de résurrection.
Ce que sa Chef essaie de faire croire, il faut le répéter, c’est qu’elle va sauver le Peuple et qu’en le sauvant c’est vous qui serez sauvé. Elle se présente comme un christ à l’envers. Et, pour persuader qu’elle peut être le sauveur du Peuple, elle brandit l’étendard de la pureté qui lui garantit un pouvoir quasi mystique. Sainte Jeanne d’Arc. Relisez à froid le discours du 1er mai.
C’est à ce moment précis, que peut commencer l’engrenage de mort.
Vous vivez mal la situation de crise – et il y a vraiment de quoi être mal – avec le sentiment que « tout fout le camp », qu’il n’y a pas d’issue, et c’est ainsi que se met à tourner la petite roue dentée du malheur, de la détresse, de la dépression.
Vous écoutez la Chef du Front National, vous avez l’impression d’écouter un discours externe, mais c’est en réalité votre propre discours interne que vous entendez, le discours enfoui, souterrain, de vos peurs.
« Le ventre encore fécond d’où a surgi la bête immonde » (Brecht) est le vôtre, le nôtre.
La Chef du Front National n’en est que l’accoucheur potentiel.
Vous êtes alors à un carrefour :
- ou bien vous vous bouchez les yeux et les oreilles pour mieux entendre jusqu’à l’hystérie votre lamentation angoissée, amplifiée sur une estrade avec de grands effets de rhétorique ; vous l’applaudissez, vous l’encouragerez par votre vote, et l’engrenage que vous avez mis en route se reliera alors à d’autres engrenages identiques qui vont peu à peu activer des machines puis une immense machinerie dont vous savez pertinemment qu’elle conduit tôt ou tard à une catastrophe parce qu’elle est alimentée par la peur et que qui est alimenté par la peur finit inévitablement par échapper à tout contrôle. On se jette dans le vide par peur d’y tomber. Aujourd’hui, ce sont les immigrés qui sont porteurs de tous les maux. Qui, demain ?
- ou bien vous ouvrez grand vos yeux et vos oreilles pour écouter le discours de votre raison-pensée qui vous dit que votre dignité est dans le savoir, que vous n’êtes pas comme un petit enfant crédule qui se laisse abuser par les contes destinés à flatter ses peurs, que vous savez parfaitement qu’il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre parce que la vie n’est ni un roman ni un film, et qu’il est naïf de croire en l’existence d’un ou d’une Chef tout puissant capable d’abolir les difficultés.
Si vous choisissez la première hypothèse, vous choisissez le désespoir.
Le désespoir ne vient pas d’une situation difficile à vivre, ma
- SpartacusNiveau 8
Et sinon, les écrits mystiques de notre actuel ministre, en matière de totalitarisme, ils vous évoquent quoi?
« C’est à elle [l’école] qu’il revient de briser ce cercle [les déterminismes], de produire cette auto-institution, d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle, l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Eglise, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi.»
La Révolution n’est pas terminée, publié au Seuil en 2008.
Alors? Demain, tous grands prêtres?
Et si le totalitarisme, c'était déjà aujourd'hui?
Et si nous, enseignants, faisions déjà partie de ces générations for(ma)tées (IUFM, pédagogisme...) pour accueillir et propager une bonne parole de type sectaire?
Merci de vos avis.
Spartacus
« C’est à elle [l’école] qu’il revient de briser ce cercle [les déterminismes], de produire cette auto-institution, d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle, l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Eglise, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi.»
La Révolution n’est pas terminée, publié au Seuil en 2008.
Alors? Demain, tous grands prêtres?
Et si le totalitarisme, c'était déjà aujourd'hui?
Et si nous, enseignants, faisions déjà partie de ces générations for(ma)tées (IUFM, pédagogisme...) pour accueillir et propager une bonne parole de type sectaire?
Merci de vos avis.
Spartacus
- ysabelDevin
C'est une peillonnerie ?
Mais ça fout les boules !!
Mais ça fout les boules !!
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« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- CeladonDemi-dieu
Ce n'est pas St Vincent, mais St Just !!!
- Portrait d'Alain Avello, cofondateur du collectif Racine (Rassemblement Bleu Marine)
- Le collectif Racine a été lancé ce lundi dans la Loire
- Le Front National lance le "Collectif Racine - Lycées".
- le collectif Racine et l'enseignement de la géographie...
- Actions de protestation contre le collectif Racine.
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