- Isis39Enchanteur
kiwi a écrit:
Mais à quel public enseignez-vous? Dans quel monde vivez-vous?! A des collégiens qui ne savent même pas lire parfois, on va leur faire faire de l'historio et de l'épistémo!! Et à des lycéens qui ne se rappellent même plus de ce qui s'est passé en 1789... Mais vous êtes sérieux? Bien sûr qu'un cours se passe exactement de la façon que vous qualifiez de "dérive" : les bases, faut bien les apprendre. Oui, on utilise des extraits d'Hérodote, de Thucydide, de Tite-Live, de Joinville. Oui on pose des questions pré-mâchées aux élèves pour qu'ils trouvent la réponse toute faite dans le document. Oui nos programmes sont une succession de thèmes, oui on fait du zapping, oui on ne va pas au fond des choses. Mais ma question est : a quoi sert l'enseignement de l'histoire dans le secondaire? Ou de la littérature d'ailleurs en cours de lettres? Veut-on en faire des apprentis historiens? Clairement pour moi c'est non. Juste des citoyens un peu plus éclairés et qui plus tard, choisiront peut-être de poursuivre des études d'histoire pour lire les Hérodote, les Michelet, les Joinville et cie, et pour mettre en oeuvre des démarches historiques. Peut-être même qu'un jour, ils feront progresser la recherche.
Ce que vous envisagez, c'est une utopie, vis à vis des élèves que l'on a et face à nos objectifs dans le secondaire.
Merci Kiwi pour ces réponses !
Je ne comprends toujours pas la finalité de ce fil....
- NLM76Grand Maître
kiwi a écrit:Point par point également:
1. Pourquoi dis-je que vous n'avez que des certitudes? Malgré toutes vos précautions de langage (et oui oui, j'ai bien lu l'utilisation des "je pense que", "selon-moi", "il me semble que") vous avez-dit ça :
en page 6.Oui, oui...
Mais non.
Vous paraissez tous d'accord avec l'idée que la littérature, c'est l'analyse de la littérature. Pas moi.
Que doit-on comprendre par ce "oui oui cause toujours, ma définition de la littérature c'est ça?".
C'est quand même assez fort de faire ce raisonnement: "Vous n'êtes pas d'accord avec moi; donc, vous êtes un imbécile bardé de certitudes" !
Mais restons pédagogue.
On doit comprendre "Vous avez une définition, respectable; j'en propose une autre, à laquelle je crois que vous n'avez pas pensé. J'essaie de vous en montrer la cohérence. Prouvez-moi, le cas échéant, qu'elle est absurde, imbécile ou inepte." Ou encore : "Ne croyez pas qu'une seule définition est possible; je pense qu'une autre est possible, et même souhaitable; prouvez-moi que la vôtre l'est davantage".
Ce n'est pas "cause toujours, je n'en ai rien à cirer", c'est au contraire "explique-moi, discute avec moi, argumente, ça m'intéresse".
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- NLM76Grand Maître
Ruthven a écrit:nlm76 a écrit:Plein de choses.
Par exemple, je regrette un peu (peut-être à tort), que les élèves n'aient pas (plus ?) l'occasion de lire des livres (ou des morceaux choisis) d'historiens ou de chroniqueurs, parce que les professeurs de lettres tendent à se cantonner aux belles-lettres, et les professeurs d'histoire ne sont guère prescripteurs de lectures de livres.
Il est dommage, me semble-t-il, quand on évoque la nécessité de la lecture au lycée, qu'on se limite aux textes "littéraires" au sens moderne.
Qu'en pensent les professeurs d'histoire ?
Collier de Barbe relate une expérience de lecture d'historiens sur son blog :
http://collier2barbe.blogspot.fr/2012/03/faire-lire-de-lhistoire-au-lycee-allez.html
Très intéressant. Collier de Barbe se confronte là presque exactement aux mêmes problèmes que ceux des professeurs de français en lycée.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- Isis39Enchanteur
nlm76 a écrit:kiwi a écrit:Point par point également:
1. Pourquoi dis-je que vous n'avez que des certitudes? Malgré toutes vos précautions de langage (et oui oui, j'ai bien lu l'utilisation des "je pense que", "selon-moi", "il me semble que") vous avez-dit ça :
en page 6.Oui, oui...
Mais non.
Vous paraissez tous d'accord avec l'idée que la littérature, c'est l'analyse de la littérature. Pas moi.
Que doit-on comprendre par ce "oui oui cause toujours, ma définition de la littérature c'est ça?".
C'est quand même assez fort de faire ce raisonnement: "Vous n'êtes pas d'accord avec moi; donc, vous êtes un imbécile bardé de certitudes" !
Mais restons pédagogue.
On doit comprendre "Vous avez une définition, respectable; j'en propose une autre, à laquelle je crois que vous n'avez pas pensé. J'essaie de vous en montrer la cohérence. Prouvez-moi, le cas échéant, qu'elle est absurde, imbécile ou inepte." Ou encore : "Ne croyez pas qu'une seule définition est possible; je pense qu'une autre est possible, et même souhaitable; prouvez-moi que la vôtre l'est davantage".
Ce n'est pas "cause toujours, je n'en ai rien à cirer", c'est au contraire "explique-moi, discute avec moi, argumente, ça m'intéresse".
Disons que ça fait 7 pages que vous nous répétez que l'histoire fait partie des lettres, que vous avez raison...
- NLM76Grand Maître
Isis39 a écrit:
Disons que ça fait 7 pages que vous nous répétez que l'histoire fait partie des lettres, que vous avez raison...
Désolé de vous ennuyer. Ah non je ne répète pas que l'histoire fait partie des lettres ; j'ai constaté que depuis plus d'un siècle, elle en est, de fait, assez nettement séparée. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une vérité à établir: il s'agit d'un choix dans la façon d'envisager les domaines d'étude. On peut envisager l'histoire comme radicalement séparée des belles-lettres, que les assembler sous une bannière plus large n'est pas pertinent. On peut aussi penser le contraire : je pense qu'il est pertinent de reconnaître une parenté profonde entre ces deux domaines différents, et que cette parenté était bien exprimée par l'ancienne acception du terme "Lettres". Et je répète depuis le début que ce qui m'intéresse, ce n'est pas de subordonner l'histoire aux Lettres au sens moderne, c'est de rapprocher les deux, de dire "c'est intéressant d'envisager le français et l'histoire comme deux disciplines cousines, qui participent à un même ensemble."
Ah au fait, peut-être cette discussion est-elle désobligeante parce qu'elle rappelle les projets de polyvalence pour les enseignants du secondaire ? Dans ce cas, veuillez m'en excuser ; ce n'est pas du tout mon propos.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- kiwiGuide spirituel
nlm76 a écrit:[ Et je répète depuis le début que ce qui m'intéresse, ce n'est pas de subordonner l'histoire aux Lettres au sens moderne, c'est de rapprocher les deux, de dire "c'est intéressant d'envisager le français et l'histoire comme deux disciplines cousines, qui participent à un même ensemble."
C'est là qu'on n'est pas d'accord : histoire et lettres sont deux choses différentes. Il me semble y avoir répondu à plusieurs reprises, que se soit fondamentalement ou scolairement parlant. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas faire le moindre lien, cela ne veut pas dire non plus qu'à l'école, on ne peut pas mener d'études communes entre le prof d'HG et le prof de français. Mais de là à dire que l'histoire est une forme de littérature comme une autre...
C'est quand même assez fort de faire ce raisonnement: "Vous n'êtes pas d'accord avec moi; donc, vous êtes un imbécile bardé de certitudes" !
Ah non non, pas qu'avec moi. Avec la totalité des intervenants historiens ou enseignants d'histoire sur ce fil (même si certains sont un peu plus mesurés), et avec une très bonne partie des grands historiens de profession. Quelques un citaient Paul Veyne un peu plus haut. Lisez-le. Lisez ce qui à ses yeux diffère entre les lettres et l'histoire.
- Isis39Enchanteur
nlm76 a écrit:Et je répète depuis le début que ce qui m'intéresse, ce n'est pas de subordonner l'histoire aux Lettres au sens moderne, c'est de rapprocher les deux, de dire "c'est intéressant d'envisager le français et l'histoire comme deux disciplines cousines, qui participent à un même ensemble."
Ah au fait, peut-être cette discussion est-elle désobligeante parce qu'elle rappelle les projets de polyvalence pour les enseignants du secondaire ? Dans ce cas, veuillez m'en excuser ; ce n'est pas du tout mon propos.
Et bien au bout de 7 pages, je ne suis toujours pas d'accord. Pour moi, les lettres et l'histoire ne participent pas à un même ensemble. D'ailleurs, quand il s'agit des élèves et de leurs difficultés, on se retrouve souvent avec les collègues de sciences (problèmes de réflexion, de logique, de démarche) et pas tellement avec les profs de lettres.
- CondorcetOracle
Nlm76, ton interrogation sur la possibilité de rapprocher les interrogations littéraires et historiques soulèvent de délicates questions épistémologiques : la question de la valeur, centrale en littérature, revêt une acception autre en histoire culturelle par exemple. Depuis la disparition progressive des maîtres à penser issus des Annales dans le champ intellectuel (étalée des années 90 à nos jours), de nombreux chercheurs littéraires ont investi avec fécondité des domaines plus familiers à l'historien, tels l'histoire des médias : là où les sociologues ont été pionniers, les littéraires permettent d'approfondir des pistes de recherche et d'enrichir le regard de l'historien.
Force est de constater que ces avancées heuristiques n'ont pas véritablement eu l'écho que tu espères dans l'enseignement secondaire mais un décalage chronologique d'une ou deux décennies s'observe souvent entre la percée intellectuelle et leur traduction pédagogique. L'étude des médias à l'école, par exemple, reste encore d'un impressionnisme très étonnant si l'on considère la porosité entre les journalistes et les écrivains au XIXe siècle ou le fait que les pionniers de la radio-télévision furent souvent des hommes de lettres (Jean Tardieu, Wladimir Porché, Robert Mallet, Max-Pol Fouchet, Claude Santelli...). Enfin, la densité des programmes en histoire dans le secondaire et l'évocation spiralée des événements sollicitent de la part des élèves une attention soutenue et quelques réflexes qu'ils sont loin de posséder : plus ouvert aux différents types de supports, ils les appréhendent, me semble-t-il, très inégalement. Soumis à des injonctions parfois contradictoires et à une suspicion sociale et médiatique a priori, l'enseignant d'histoire ose moins sortir des sentes balisées par Eduscol et lui abandonne une part de son magistère et de son indépendance professionnelle. Plus encore que la cohérence des programmes d'enseignement entre lettres et histoire, il s'agit là, à mon sens, d'une question centrale : à 18 heures de cours par semaine plus les trajets domicile-travail, les réunions dans l'établissement, quel temps reste-t-il à la lecture d'ouvrages issus de la jeune production scientifique (au sens le plus large du terme), de quel retour réflexif, l'enseignant a-t-il le loisir ? L'otium a aussi une vertu sociale et des frontières académiques qui paraissent bien trempées sous un éclairage le seraient sans doute moins, à la faveur d'un rythme de vie et de pensée moins attentif à l'efficacité du moment qu'à la longévité des problématiques enseignées.
Force est de constater que ces avancées heuristiques n'ont pas véritablement eu l'écho que tu espères dans l'enseignement secondaire mais un décalage chronologique d'une ou deux décennies s'observe souvent entre la percée intellectuelle et leur traduction pédagogique. L'étude des médias à l'école, par exemple, reste encore d'un impressionnisme très étonnant si l'on considère la porosité entre les journalistes et les écrivains au XIXe siècle ou le fait que les pionniers de la radio-télévision furent souvent des hommes de lettres (Jean Tardieu, Wladimir Porché, Robert Mallet, Max-Pol Fouchet, Claude Santelli...). Enfin, la densité des programmes en histoire dans le secondaire et l'évocation spiralée des événements sollicitent de la part des élèves une attention soutenue et quelques réflexes qu'ils sont loin de posséder : plus ouvert aux différents types de supports, ils les appréhendent, me semble-t-il, très inégalement. Soumis à des injonctions parfois contradictoires et à une suspicion sociale et médiatique a priori, l'enseignant d'histoire ose moins sortir des sentes balisées par Eduscol et lui abandonne une part de son magistère et de son indépendance professionnelle. Plus encore que la cohérence des programmes d'enseignement entre lettres et histoire, il s'agit là, à mon sens, d'une question centrale : à 18 heures de cours par semaine plus les trajets domicile-travail, les réunions dans l'établissement, quel temps reste-t-il à la lecture d'ouvrages issus de la jeune production scientifique (au sens le plus large du terme), de quel retour réflexif, l'enseignant a-t-il le loisir ? L'otium a aussi une vertu sociale et des frontières académiques qui paraissent bien trempées sous un éclairage le seraient sans doute moins, à la faveur d'un rythme de vie et de pensée moins attentif à l'efficacité du moment qu'à la longévité des problématiques enseignées.
- NLM76Grand Maître
kiwi a écrit:
C'est quand même assez fort de faire ce raisonnement: "Vous n'êtes pas d'accord avec moi; donc, vous êtes un imbécile bardé de certitudes" !
Ah non non, pas qu'avec moi. Avec la totalité des intervenants historiens ou enseignants d'histoire sur ce fil (même si certains sont un peu plus mesurés), et avec une très bonne partie des grands historiens de profession. Quelques un citaient Paul Veyne un peu plus haut. Lisez-le. Lisez ce qui à ses yeux diffère entre les lettres et l'histoire.
Ok : "Vous n'êtes pas d'accord avec NOUS; donc, vous êtes un imbécile bardé de certitudes."
Cela dit, merci à tous d'avoir bien voulu discuter avec moi ; cela m'a permis d'avancer un tout petit peu dans ma réflexion, et m'a donné envie de me remettre à l'histoire de façon plus approfondie.
Maintenant, comme je suis pressé par d'autres travaux urgents, je mets un terme à la participation à ce fil.
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Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- NadejdaGrand sage
Je fais remonter le sujet pour vous informer de la tenue d'un colloque, "Littérature et histoire en débats", qui traitera précisément de ces questions en janvier :
http://www.fabula.org/actualites/litterature-et-histoire-en-debats_54456.php
Si ça en intéresse certains...
http://www.fabula.org/actualites/litterature-et-histoire-en-debats_54456.php
Si ça en intéresse certains...
- User5899Demi-dieu
L'Histoire fait évidemment partie des lettres à partir du moment où elle est une mise en récit de faits qu'on tente d'établir. Que la logique adminsitrative en fasse cei ou cela, bof. Tacite, Thucydide, Hérodote, Tite Live, Quinte Curce écrivent des oeuvres littéraires (ce qui n'équivaut pas à fictions). Bon, pour Virgile ou *Homère, la discussion sera plus serrée... Mais Taine, Michelet, Chateaubriand, Flaubert, Jaurès... Va-t-on hésiter longtemps ?
Je comprends bien l'intérêt moderne qui consiste à ranger l'Histoire dans les sciences. Sauf que personne n'y croit.
Je comprends bien l'intérêt moderne qui consiste à ranger l'Histoire dans les sciences. Sauf que personne n'y croit.
« Monsieur de Rollebon était fort laid. La reine Marie-Antoinette l’appelait volontiers « sa chère guenon ». Il avait pourtant toutes les femmes de la cour, non pas en bouffonnant comme Voisenon, le macaque : par un magnétisme qui portait ses belles conquêtes aux pires excès de la passion. Il intrigue, joue un rôle assez louche dans l’affaire du Collier et disparaît en 1790, après avoir entretenu un commerce suivi avec Mirabeau-Tonneau et Nerciat. On le retrouve en Russie, où il assassine un peu Paul 1er et, de là, il voyage aux pays les plus lointains, aux Indes, en chine, au Turkestan. Il trafique, cabale espionne. En 1813, il revient à Paris. En 1816, il est parvenu à la toute-puissance : il est l’unique confident de la duchesse d’Angoulême. Cette vieille femme capricieuse et butée sur d’horribles souvenirs d’enfance s’apaise et sourit quand elle le voit. Par elle, il fait à la cour la pluie et le beau temps. En mars 1820, il épouse Mlle de Roquelaure, fort belle et qui a dix-huit ans. M. de Rollebon en a soixante-dix. Il est au faîte des honneurs, à l’apogée de sa vie. Sept mois plus tard, accusé de trahison, il est saisi, jeté dans un cachot où il meurt après cinq mois de captivité, sans qu’on ait instruit son procès. »
J’ai relu avec mélancolie cette note de Germain Berger. C‘est par ces quelques lignes que j’ai connu d’abord M. de Rollebon. Comme il m’a paru séduisant et comme, tout de suite, sur ce peu de mots, je l’ai aimé ! C’est pour lui, pour ce petit bonhomme, que je suis ici ( ). Quand je suis revenu de voyage, j’aurais pu tout aussi bien me fixer à Paris ou à Marseille. Mais la plupart des documents qui concernent les longs séjours en France du Marquis sont à la bibliothèque municipale de Bouville. Rollebon était châtelain de Marommes. Avant la guerre, on trouvait encore dans cette bourgade un de ses descendants, un architecte qui s’appelait Rollebon-Campouyré, et qui fit, à sa mort, en 1912, un legs très important à la bibliothèque de Bouville : des lettres du Marquis, un fragment de journal, des papiers de toute sorte. Je n’ai pas encore tout dépouillé.
Je suis content d’avoir retrouvé ces notes. Voilà dix ans que je ne les avais pas relues. Mon écriture a changé, il me semble : j’écrivais plus serré. Comme j’aimais M. de Rollebon cette année-là ! Je me souviens d’un soir – un mardi soir : j’avais travaillé tout le jour à la Mazarine ( ) ; je venais de deviner, d’après sa correspondance de 1789-1790, la façon magistrale dont il avait roulé Nerciat. Il faisait nuit, je descendais l’avenue du Maine et, au coin de la rue de la Gaîté, j’ai acheté des marrons. Étais-je heureux ! Je riais tout seul en pensant à la tête qu’avait dû faire Nerciat, lorsqu’il est revenu d’Allemagne. La figure du Marquis est comme cette encre : elle a bien pâli, depuis que je m’en occupe.
D’abord, à partir de 1801, je ne comprends plus rien à sa conduite. Ce ne sont pas les documents qui font défaut : lettres, fragments de mémoires, rapports secrets, archives de police. J’en ai presque trop, au contraire. Ce qui manque, dans tous ces témoignages, c’est la fermeté, la consistance. Ils ne se contredisent pas, non, mais ils ne s’accordent pas non plus. Ils n’ont pas l’air de concerner la même personne. Et pourtant les autres historiens travaillent sur des documents de la même espèce. Comment font-ils ? Est-ce que je suis plus scrupuleux, ou moins intelligent ? Ainsi posée, d’ailleurs, la question me laisse entièrement froid. Au fond, qu’est-ce que je cherche ? Je n’en sais rien. Longtemps, l’homme, Rollebon, m’a intéressé plus que le livre à écrire. Mais, maintenant, l’homme… l’homme commence à m’ennuyer. C’est au livre que je m’attache, je sens un besoin de plus en plus fort de l’écrire – à mesure que je vieillis, dirait-on.
Évidemment, on peut admettre que Rollebon a pris une part active à l’assassinat de Paul 1er. Qu’il a accepté ensuite une mission de haut espionnage en Orient pour le compte du Tsar, et constamment trahi Alexandre au profit de Napoléon. Il a pu en même temps assumer une correspondance active avec le comte d’Artois et lui faire tenir des renseignements de peu d’importance pour le convaincre de sa fidélité : rien de tout cela n’est invraisemblable. Fouché, à la même époque, jouait une comédie autrement complexe et dangereuse. Peut-être aussi le Marquis faisait-il pour son compte le commerce des fusils avec les principautés asiatiques.
Eh bien oui : il a pu faire tout ça, mais ce n’est pas prouvé : je commence à croire qu’on ne peut jamais rien prouver. Ce sont des hypothèses honnêtes et qui rendent compte des faits ; mais je sens si bien qu’elles viennent de moi, qu’elles sont tout simplement une manière d’unifier mes connaissances ! Pas une lueur ne vient du côté de Rollebon. Lents, paresseux, maussades, les faits s’accommodent, à la rigueur, de l’ordre que je veux leur donner ; mais il leur reste extérieur. J’ai l’impression de faire un travail de pure imagination. Encore suis-je bien sûr que des personnages de roman auraient l’air plus vrais, seraient, en tout cas, plus plaisants.
Jean-Paul SARTRE, La Nausée (1938)
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