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- GaranceNeoprof expérimenté
Quels extraits choisissez-vous ?
- nuagesGrand sage
Je suis en train d'y réfléchir . La lettre de Grandgousier à Gargantua (chapitre 29) c'est sûr déjà , et sans doute les extraits classiques: l'éducation par Ponocrates, l'abbaye de Thélème, un portrait de frère Jean. Je suis en train de relire attentivement l'oeuvre complète et je n'ai plus trop envie de la faire en OI en 1ère L. Est-ce que je peux me contenter d'un GT de 4 LA sur Gargantua + un autre groupement de textes variés du XVIème autour de la recherche d'un art de vivre?
- GaranceNeoprof expérimenté
moi aussi, je suis dans la relecture et, j'avoue, je n'aime pas.
- nuagesGrand sage
Garance a écrit:moi aussi, je suis dans la relecture et, j'avoue, je n'aime pas.
sans aller jusqu'à dire que globalement je n'aime pas, je me lasse assez vite et je trouve qu'en OI ça risque d'être indigeste en 1ère L (je le ferai obligatoirement en TL c'est le programme) . Est-ce que tu crois que pour l'humanisme je peux me contenter de deux GT (dont un avec des LA de Gargantua) - ou même un seul gros GT de LA variées autour de la quête d'un art de vivre- si je fais deux OI pour les réécritures? (je n'ai que la partie spécifique de 1ère L) .
- Marie LaetitiaBon génie
dites, quelles éditions de critique et analyse de Gargantue pourriez-vous conseiller à une pauvre historienne égarée en terres de littérature ?
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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- Marie LaetitiaBon génie
personne ??
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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- doctor whoDoyen
Le Rabelais, de Screech
Mikhail Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la Culture Populaire au Moyen-âge et sous la Renaissance
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Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- AudreyOracle
Tout pareil que le doc! Ce sont les références qu'on nous a données à la prépa agreg en tout cas, avec d'autres.. Mais suis au collège là et n'ai pas la biblio avec moi. Je complèterai ce soir si ça vous tente!
- Marie LaetitiaBon génie
doctor who a écrit:Le Rabelais, de Screech
Mikhail Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la Culture Populaire au Moyen-âge et sous la Renaissance
Ah! Merci! Commandé...
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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- AudreyOracle
Du coup tu veux d'autres titres ou pas, ML?
- AbraxasDoyen
J'ai une explic toute faite de la déploration de Gargantua à la naissance de Pantagruel. C'est un texte ultra-canonique. Ça intéresse quelqu'un ?
- IphigénieProphète
ben oui , tout le monde
- AbraxasDoyen
Allez, je mets le texte et l'explication (c'était un modèle pour khôlles de Lettres en HK BL, d'où la rédaction parfois elliptique). Ça vaut ce que ça vaut.
« Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi et perplex ? Ce fut Gargantua son pere. Car, voyant d'un cousté sa femme Badebec morte et de l'aultre son filz Pantagruel né tant beau et tant grand, ne scavoit que dire ny que faire. Et le doubte que troubloit son entendement estoit assavoir s'il devoit plorer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joye de son filz. D'un costé et d'aultre il avoit argumens sophisticques qui le suffocquoyent, car il les faisoit très bien in modo et figura, mais il ne les povoit souldre, et, par ce moyen demouroit empestré comme la souriz empeigée ou un milan prins au lasset.
" Pleureray je ? disoit il. Ouy, car pourquoy ? Ma tant bonne femme est morte, qui estoit la plus cecy, la plus cela, qui feust au monde. Jamais je ne la verray, jamais je n'en recouvreray une telle ; ce m'est une perte inestimable ! O mon Dieu, que te avoys je faict pour ainsi me punir ? Que ne envoyas tu la mort à moy premier que à elle, car vivre sans elle ne m'est que languir ? Ha, Badebec, ma mignonne, m'amye, mon petit con (toutesfois elle en avait bien troys arpens et deux sexterées), ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma pantofle, jamais je ne te verray ! Ha, pauvre Pantagruel, tu as perdu ta bonne mere, ta doulce nourrisse, ta dame très aymée ! Ha, faulce mort, tant tu me es malivole, tant tu me es oultrageuse, de me tollir celle à laquelle immortalité appartenoit de droict ! "
Et ce disant pleuroit comme une vache. Mais tout soubdain rioit comme un veau quand Pantagruel luy venoit en memoire. " Ho, mon petit filz (disoit il), mon coillon, mon peton, que tu es joly ! et tant je suis tenu à Dieu de ce qu'il m'a donné un si beau filz, tant joyeux, tant riant, tant joly ! Ho, ho, ho, ho, que suis aise ! Beuvons, ho ! laissons toute melancholie ! Apporte du meilleur, rince les verres, boute la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu, allume la chandelle, ferme ceste porte, taille ces souppes, envoye ces pauvres, baille leur ce qu'ilz demandent ! Tiens ma robbe, que je me mette en pourpoint pour mieux festoyer les commeres. » »
Situation
Quand en 1532 Rabelais fait paraître Pantagruel — le fils avant le père —, il utilise la farce populaire, et un personnage emprunté à la mythologie française, pour enrober des audaces qui mirent en joie les humanistes que le moine-médecin de la Devinière fréquentait assidûment, dans sa Touraine natale, devenue en cette Renaissance le terrain de jeu de la cour, aussi bien qu’à Paris.
Pantagruel en naissant a tué sa mère, « tant il était grand et fort ». Deux ans plus tard, Gargantua passera, lui, par l’oreille senestre de sa génitrice, au terme d’un parcours interne qui devait réjouir l’ancien étudiant de la faculté » de Montpellier. Naissances spectaculaires de bébés hors du commun — joie et deuil mêlés.
Lecture.
Intro
En ce début de chapitre, Rabelais joue sur un registre farcesque éprouvé — Jean qui pleure et Jean qui rit. Le texte est d’ailleurs structuré autour de cette opposition de deux discours antithétiques, qui se répondent de point en point.
Mikhaïl Bakhtine (dans l’Œuvre de François Rabelais — indispensable) a justement souligné la part importante, chez Rabelais, de ce que le siècle suivant appellera le vocabulaire bas — en fait, le vocabulaire du bas du corps. Mais ce qui paraît audace encore aujourd’hui, à travers des mots supposés vulgaires, est au fond assez commun dans cette première moitié du XVIème siècle, où les traditions gaillardes du Moyen Age se perpétuent allègrement dans la culture populaire.
S’il est donc un enjeu essentiel, c’est le mélange d’un langage oral et populaire — ce n’est pas un hasard si pour l’essentiel il s’agit là de discours direct — et d’un texte très écrit, qui en arrive par moments à parodier les discours argumentatifs « in modo et figura » enseignés en Sorbonne.
Explication
La première phrase (« Quand Pantagruel fut né ») est une phrase de raccord avec le chapitre précédent, qui exposait les conditions de la « nativité » du très redouté Pantagruel. En même temps, la question au style direct — posée par un narrateur omniscient, mais bien proche du conteur qui s’adresse à son auditoire à la veillée — structure le texte, et ouvre l’ambivalence antithétique des sentiments du nouveau père nouveau veuf, « ébahi et perplexe », entre sidération et incompréhension. Le tableau exposé dans les phrases suivantes, renforcé par le parallélisme de l’expression(« d’un côté… de l’autre », « sa femme Badebec… son fils Pantagruel » « morte / né ») figure exactement le dilemme du père déchiré de sentiments contradictoires, et annonce le plan du texte — déploration de l’épouse (« pleurer pour la mort de sa femme »), célébration du fils (« rire pour la joie de son fils »). De quoi « troubler l’entendement »…
Le parallèle mis en place est repris rigoureusement (« D’un côté et d’autre ») dans une longue phrase volontairement rhétorique, dont le vocabulaire (« arguments sophistiques ») et l’expression latine insérée (« in modo et figura ») parodie l’enseignement scolaire de l’époque, tel qu’il avait pu le recevoir chez les Cordeliers ou les Franciscains chez qui il avait accompli son noviciat — avant de devenir bénédictin, le moins cloîtré des ordres monacaux.
« Souldre » pour « résoudre » : la langue de Rabelais est encore imprégnée de formes médiévales, tout en glissant vers le français moderne : il use de la langue du peuple, tout en glissant, çà et là, le vocabulaire des clercs : en cela Pantagruel, premier volume de la pentalogie des géants, est un livre militant, qui se refuse à n’employer qu’un niveau de langue. Les comparaisons qui closent le paragraphe mélangent de même la référence à la souris prise au piège (« empeigée »), animal du bas terrestre, et le milan « pris au lasset », oiseau du haut céleste.
Le passage au discours direct se fait, comme dans le paragraphe précédent, par une question (« Pleurerai-je ? ») dont la réponse (« et ce disant pleurait comme une vache ») nourrira le début du paragraphe suivant : la construction rhétorique est rigoureuse, et la parodie des discours scolaires affleure nettement dans le « qui était la plus ceci, la plus cela », comme si Gargantua (ou Rabelais) voulait épargner au lecteur — nécessairement savant, cette fois, et d’ailleurs il fallait l’être pour lire, tout simplement — les arguments successifs d’une déploration à l’ancienne. Le modèle latin qui veut faire l’éloge de la disparue se met en place, avec une emphase remarquable, soulignée par les anaphores (« jamais »… « jamais »), l’invocation à Dieu, les questions rhétoriques, le questionnement des intentions divines et le sens du sacrifice (« que ne m’envoyas-tu à la mort… »).
Et patatras, toute cette belle construction achoppe sur un seul mot, qui clôt une énumération éminemment farcesque. « Ma mignonne, m’amye » (avec élision conforme à la langue du XVIème du « mon », de sorte que le mot — m’amye » — hésite entre « mon amie » et « ma mie » — ma moitié) sont subitement dégradés par les substantifs suivants, classés sur une pente de plus en plus clairement sexuée, de « mon petit con » (avec la valeur comique de la parenthèse, qui rappelle au lecteur que nous sommes dans un univers de géants où un vagin peut atteindre trois arpents et quelques — un arpent, c’est autour de 70 mètres…) à « ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma pantoufle » — toutes façons d’enfiler… son pied. Un con, en tout cas, insuffisant pour laisser passer sans dommage un petit Pantagruel : ce n’est pas tout à fait un hasard si c’est cette partie du corps féminin qui est nommée.
Il est remarquable que le Lagarde & Michard, qui a si longtemps sévi sur l’enseignement des Lettres en France, ait cru bon de censurer ce passage, au fil de ses éditions… Ce qui passait au XVIème siècle ne passe donc plus aujourd’hui, où « con » est de moins en moins employé en son sens physiologique, et est en tout cas réputé d’une vulgarité insoutenable : mais censurer Rabelais de son vocabulaire « bas », c’est justement passer à côté d’un texte qui ne serait plus, sans ça, qu’une déploration ordinaire.
Déploration qui reprend, comme si de rien n’était, de l’autre côté de la parenthèse érotique. Le locuteur s’adresse à son fils (« pauvre Pantagruel ») en accumulant, en un rythme ternaire, les qualités de la bonne mère qu’il ne connaîtra pas. Puis en invoquant très lyriquement la « fausse mort » (fausse puisqu’elle triche), qui a cueilli dans sa jeunesse « celle à laquelle immortalité appartenait de droit ».
Bien entendu, les comparaisons qui suivent (« comme une vache », « comme un veau ») anéantissent ce bel effort rhétorique. La deuxième partie de l’antithèse se met en place sur cet éclat de rire, que nous sommes tenus de partager, avec une surenchère dans le langage le plus familier (« couillon », c’est-à-dire petite couille, ou « peton »), qui génère des exclamations mimant au plus près l’oralité (« ho ho ho »), et une incitation à la beuverie — si fréquente chez Rabelais : se rappeler que le premier mot de Gargantua, à sa naissance, sera « à boire », ce qui lui vaudra son nom — « quel grand tu as — le gosier ». Se rappeler aussi que « ‘oracle de la « dive bouteille », au Cinquième livre, est « Trink » — bois, en allemand : le vin n’est pas seulement breuvage, il est aussi l’élixir intellectuel.
Le médecin refait surface : le vin chasse la mélancolie, cette bile noire qu’il fallait évacuer pour rétablir l’équilibre des humeurs, à en croire Hippocrate et ses disciples. La succession des impératifs (« apporte, rince, boute, chasse, etc ».) ramène le discours statique de déploration dans la vie active, celle où l’on célèbre la naissance de l’héritier par force boisson et générosité (« donne aux pauvres ce qu’ils demandent »). Et où l’on entrevoit déjà le retour de la galanterie, puisque Gargantua ôte sa robe (de chambre) et enfile son pourpoint, revenant à la vie civile et au monde.
Conclusion
Alcofribas Nasier — l’anagramme dont Rabelais signe son premier livre — connaît un vrai succès avec ce premier livre — non dans le peuple, qui lisait peu, et mal, mais parmi les siens, ceux qui, comme lui, se voulaient disciples d’Erasme : les humanistes. Loin d’être des « intellectuels » — pardon pour l’anachronisme — desséchés, les clercs du XVIème siècle sont de joyeux vivants, qui font justement de la joie et de la gaudriole le socle d’une vie qui sait être chrétienne sans être puritaine. Et s’il garde, pour son second livre, le même pseudonyme, c’est aussi pour des raisons de sécurité : la Sorbonne condamnera tous ses écrits, tant le mélange farcesque du sacré et du profane, de l’intellect et du corps innommable, lui paraît insupportable.
« Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi et perplex ? Ce fut Gargantua son pere. Car, voyant d'un cousté sa femme Badebec morte et de l'aultre son filz Pantagruel né tant beau et tant grand, ne scavoit que dire ny que faire. Et le doubte que troubloit son entendement estoit assavoir s'il devoit plorer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joye de son filz. D'un costé et d'aultre il avoit argumens sophisticques qui le suffocquoyent, car il les faisoit très bien in modo et figura, mais il ne les povoit souldre, et, par ce moyen demouroit empestré comme la souriz empeigée ou un milan prins au lasset.
" Pleureray je ? disoit il. Ouy, car pourquoy ? Ma tant bonne femme est morte, qui estoit la plus cecy, la plus cela, qui feust au monde. Jamais je ne la verray, jamais je n'en recouvreray une telle ; ce m'est une perte inestimable ! O mon Dieu, que te avoys je faict pour ainsi me punir ? Que ne envoyas tu la mort à moy premier que à elle, car vivre sans elle ne m'est que languir ? Ha, Badebec, ma mignonne, m'amye, mon petit con (toutesfois elle en avait bien troys arpens et deux sexterées), ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma pantofle, jamais je ne te verray ! Ha, pauvre Pantagruel, tu as perdu ta bonne mere, ta doulce nourrisse, ta dame très aymée ! Ha, faulce mort, tant tu me es malivole, tant tu me es oultrageuse, de me tollir celle à laquelle immortalité appartenoit de droict ! "
Et ce disant pleuroit comme une vache. Mais tout soubdain rioit comme un veau quand Pantagruel luy venoit en memoire. " Ho, mon petit filz (disoit il), mon coillon, mon peton, que tu es joly ! et tant je suis tenu à Dieu de ce qu'il m'a donné un si beau filz, tant joyeux, tant riant, tant joly ! Ho, ho, ho, ho, que suis aise ! Beuvons, ho ! laissons toute melancholie ! Apporte du meilleur, rince les verres, boute la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu, allume la chandelle, ferme ceste porte, taille ces souppes, envoye ces pauvres, baille leur ce qu'ilz demandent ! Tiens ma robbe, que je me mette en pourpoint pour mieux festoyer les commeres. » »
Situation
Quand en 1532 Rabelais fait paraître Pantagruel — le fils avant le père —, il utilise la farce populaire, et un personnage emprunté à la mythologie française, pour enrober des audaces qui mirent en joie les humanistes que le moine-médecin de la Devinière fréquentait assidûment, dans sa Touraine natale, devenue en cette Renaissance le terrain de jeu de la cour, aussi bien qu’à Paris.
Pantagruel en naissant a tué sa mère, « tant il était grand et fort ». Deux ans plus tard, Gargantua passera, lui, par l’oreille senestre de sa génitrice, au terme d’un parcours interne qui devait réjouir l’ancien étudiant de la faculté » de Montpellier. Naissances spectaculaires de bébés hors du commun — joie et deuil mêlés.
Lecture.
Intro
En ce début de chapitre, Rabelais joue sur un registre farcesque éprouvé — Jean qui pleure et Jean qui rit. Le texte est d’ailleurs structuré autour de cette opposition de deux discours antithétiques, qui se répondent de point en point.
Mikhaïl Bakhtine (dans l’Œuvre de François Rabelais — indispensable) a justement souligné la part importante, chez Rabelais, de ce que le siècle suivant appellera le vocabulaire bas — en fait, le vocabulaire du bas du corps. Mais ce qui paraît audace encore aujourd’hui, à travers des mots supposés vulgaires, est au fond assez commun dans cette première moitié du XVIème siècle, où les traditions gaillardes du Moyen Age se perpétuent allègrement dans la culture populaire.
S’il est donc un enjeu essentiel, c’est le mélange d’un langage oral et populaire — ce n’est pas un hasard si pour l’essentiel il s’agit là de discours direct — et d’un texte très écrit, qui en arrive par moments à parodier les discours argumentatifs « in modo et figura » enseignés en Sorbonne.
Explication
La première phrase (« Quand Pantagruel fut né ») est une phrase de raccord avec le chapitre précédent, qui exposait les conditions de la « nativité » du très redouté Pantagruel. En même temps, la question au style direct — posée par un narrateur omniscient, mais bien proche du conteur qui s’adresse à son auditoire à la veillée — structure le texte, et ouvre l’ambivalence antithétique des sentiments du nouveau père nouveau veuf, « ébahi et perplexe », entre sidération et incompréhension. Le tableau exposé dans les phrases suivantes, renforcé par le parallélisme de l’expression(« d’un côté… de l’autre », « sa femme Badebec… son fils Pantagruel » « morte / né ») figure exactement le dilemme du père déchiré de sentiments contradictoires, et annonce le plan du texte — déploration de l’épouse (« pleurer pour la mort de sa femme »), célébration du fils (« rire pour la joie de son fils »). De quoi « troubler l’entendement »…
Le parallèle mis en place est repris rigoureusement (« D’un côté et d’autre ») dans une longue phrase volontairement rhétorique, dont le vocabulaire (« arguments sophistiques ») et l’expression latine insérée (« in modo et figura ») parodie l’enseignement scolaire de l’époque, tel qu’il avait pu le recevoir chez les Cordeliers ou les Franciscains chez qui il avait accompli son noviciat — avant de devenir bénédictin, le moins cloîtré des ordres monacaux.
« Souldre » pour « résoudre » : la langue de Rabelais est encore imprégnée de formes médiévales, tout en glissant vers le français moderne : il use de la langue du peuple, tout en glissant, çà et là, le vocabulaire des clercs : en cela Pantagruel, premier volume de la pentalogie des géants, est un livre militant, qui se refuse à n’employer qu’un niveau de langue. Les comparaisons qui closent le paragraphe mélangent de même la référence à la souris prise au piège (« empeigée »), animal du bas terrestre, et le milan « pris au lasset », oiseau du haut céleste.
Le passage au discours direct se fait, comme dans le paragraphe précédent, par une question (« Pleurerai-je ? ») dont la réponse (« et ce disant pleurait comme une vache ») nourrira le début du paragraphe suivant : la construction rhétorique est rigoureuse, et la parodie des discours scolaires affleure nettement dans le « qui était la plus ceci, la plus cela », comme si Gargantua (ou Rabelais) voulait épargner au lecteur — nécessairement savant, cette fois, et d’ailleurs il fallait l’être pour lire, tout simplement — les arguments successifs d’une déploration à l’ancienne. Le modèle latin qui veut faire l’éloge de la disparue se met en place, avec une emphase remarquable, soulignée par les anaphores (« jamais »… « jamais »), l’invocation à Dieu, les questions rhétoriques, le questionnement des intentions divines et le sens du sacrifice (« que ne m’envoyas-tu à la mort… »).
Et patatras, toute cette belle construction achoppe sur un seul mot, qui clôt une énumération éminemment farcesque. « Ma mignonne, m’amye » (avec élision conforme à la langue du XVIème du « mon », de sorte que le mot — m’amye » — hésite entre « mon amie » et « ma mie » — ma moitié) sont subitement dégradés par les substantifs suivants, classés sur une pente de plus en plus clairement sexuée, de « mon petit con » (avec la valeur comique de la parenthèse, qui rappelle au lecteur que nous sommes dans un univers de géants où un vagin peut atteindre trois arpents et quelques — un arpent, c’est autour de 70 mètres…) à « ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma pantoufle » — toutes façons d’enfiler… son pied. Un con, en tout cas, insuffisant pour laisser passer sans dommage un petit Pantagruel : ce n’est pas tout à fait un hasard si c’est cette partie du corps féminin qui est nommée.
Il est remarquable que le Lagarde & Michard, qui a si longtemps sévi sur l’enseignement des Lettres en France, ait cru bon de censurer ce passage, au fil de ses éditions… Ce qui passait au XVIème siècle ne passe donc plus aujourd’hui, où « con » est de moins en moins employé en son sens physiologique, et est en tout cas réputé d’une vulgarité insoutenable : mais censurer Rabelais de son vocabulaire « bas », c’est justement passer à côté d’un texte qui ne serait plus, sans ça, qu’une déploration ordinaire.
Déploration qui reprend, comme si de rien n’était, de l’autre côté de la parenthèse érotique. Le locuteur s’adresse à son fils (« pauvre Pantagruel ») en accumulant, en un rythme ternaire, les qualités de la bonne mère qu’il ne connaîtra pas. Puis en invoquant très lyriquement la « fausse mort » (fausse puisqu’elle triche), qui a cueilli dans sa jeunesse « celle à laquelle immortalité appartenait de droit ».
Bien entendu, les comparaisons qui suivent (« comme une vache », « comme un veau ») anéantissent ce bel effort rhétorique. La deuxième partie de l’antithèse se met en place sur cet éclat de rire, que nous sommes tenus de partager, avec une surenchère dans le langage le plus familier (« couillon », c’est-à-dire petite couille, ou « peton »), qui génère des exclamations mimant au plus près l’oralité (« ho ho ho »), et une incitation à la beuverie — si fréquente chez Rabelais : se rappeler que le premier mot de Gargantua, à sa naissance, sera « à boire », ce qui lui vaudra son nom — « quel grand tu as — le gosier ». Se rappeler aussi que « ‘oracle de la « dive bouteille », au Cinquième livre, est « Trink » — bois, en allemand : le vin n’est pas seulement breuvage, il est aussi l’élixir intellectuel.
Le médecin refait surface : le vin chasse la mélancolie, cette bile noire qu’il fallait évacuer pour rétablir l’équilibre des humeurs, à en croire Hippocrate et ses disciples. La succession des impératifs (« apporte, rince, boute, chasse, etc ».) ramène le discours statique de déploration dans la vie active, celle où l’on célèbre la naissance de l’héritier par force boisson et générosité (« donne aux pauvres ce qu’ils demandent »). Et où l’on entrevoit déjà le retour de la galanterie, puisque Gargantua ôte sa robe (de chambre) et enfile son pourpoint, revenant à la vie civile et au monde.
Conclusion
Alcofribas Nasier — l’anagramme dont Rabelais signe son premier livre — connaît un vrai succès avec ce premier livre — non dans le peuple, qui lisait peu, et mal, mais parmi les siens, ceux qui, comme lui, se voulaient disciples d’Erasme : les humanistes. Loin d’être des « intellectuels » — pardon pour l’anachronisme — desséchés, les clercs du XVIème siècle sont de joyeux vivants, qui font justement de la joie et de la gaudriole le socle d’une vie qui sait être chrétienne sans être puritaine. Et s’il garde, pour son second livre, le même pseudonyme, c’est aussi pour des raisons de sécurité : la Sorbonne condamnera tous ses écrits, tant le mélange farcesque du sacré et du profane, de l’intellect et du corps innommable, lui paraît insupportable.
- IphigénieProphète
Eh ben voilà,merci pour tous
Il me semble que l'on retrouve chez Marguerite de Navarre (mais où? je ne me souviens pas) cette interrogation sur le deuil, qui à vrai dire est contradictoire avec la foi chrétienne bien comprise : si bien que ce texte est plus pénétré de foi qu'il n'y paraît (y compris contre la Sorbonne). Il me semble que ce n'est pas seulement l'aspect profane qui est condamné qu'une autre lecture de la foi.
Dans le Miroir de l'âme pécheresse p-ê?
Il me semble que l'on retrouve chez Marguerite de Navarre (mais où? je ne me souviens pas) cette interrogation sur le deuil, qui à vrai dire est contradictoire avec la foi chrétienne bien comprise : si bien que ce texte est plus pénétré de foi qu'il n'y paraît (y compris contre la Sorbonne). Il me semble que ce n'est pas seulement l'aspect profane qui est condamné qu'une autre lecture de la foi.
Dans le Miroir de l'âme pécheresse p-ê?
- Marie LaetitiaBon génie
Audrey a écrit:Du coup tu veux d'autres titres ou pas, ML?
non merci, j'avais (j'ai) juste besoin de vérifier un truc sur la notion de gigantisme, le lien (possible ?) entre Gargantua et la cour, fin, bref, je cogite sur ces trucs... sans approfondir vu que je n'ai aps les compétences
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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
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- doctor whoDoyen
Sinon, la bio de Mireille Huchon.
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- NLM76Grand Maître
Je comprends.Garance a écrit:moi aussi, je suis dans la relecture et, j'avoue, je n'aime pas.
Essayez la lecture à haute voix.
- AudreyOracle
Oui, Rabelais, ça se lit à haute voix!
Et moi, j'aime...et j'aime encore plus depuis que je suis les cours d'agreg sur le Quart Livre avec des profs tiptop!
Et moi, j'aime...et j'aime encore plus depuis que je suis les cours d'agreg sur le Quart Livre avec des profs tiptop!
- JohnMédiateur
C'est qui les profs tip top sur Rabelais ? Pour une fois qu'on dit du bien, ce serait bête de se priver
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- doctor whoDoyen
Et puis, le Quart livre, c'est bien connu que c'est le meilleur...
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- JohnMédiateur
+1 !Eh ben voilà,merci pour tous
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- AudreyOracle
John a écrit:C'est qui les profs tip top sur Rabelais ? Pour une fois qu'on dit du bien, ce serait bête de se priver
Isabelle Garnier-Mathez pour le cours sur l'oeuvre, et Guillaume Delias pour la séance de didactique des LC... vraiment un bonheur..
Et le prof sur Maupassant, génial aussi: François Kerlouégan, qui a écrit l'Atlande à paraître.
Voilà!
- JohnMédiateur
Ah, Kerlouégan, il a toujours fait très bonne impression !
Je ne connais pas les deux autres, mais je te crois sur parole.
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- AudreyOracle
Y a pas que l'impression qui est bonne... le contenu tient très sérieusement la route...j'ai écouté mon enregistrement du cours, c'est toujours aussi éclairant et riche, même une fois l'enthousiasme du moment passé!
Paraît que le prof qu'on aura demain sur La Fontaine est génial aussi...
Y a pas à dire: à Lyon, on a de la chance!
Paraît que le prof qu'on aura demain sur La Fontaine est génial aussi...
Y a pas à dire: à Lyon, on a de la chance!
- AudreyOracle
La prof sur Rabelais, Garnier-Mathez, a été étudiante de Huchon. Elle est dynamique, passionnée et passionnante.
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