- JohnMédiateur
L'édition scolaire, une matière complexe
Malgré les fréquentes réformes, la rentabilité n'est pas garantie. Pour les collectivités, la facture achats de livres est lourde.
http://www.challenges.fr/magazine/encouverture/0222.031819/?xtmc=editis&xtcr=5
Pas de vacances pour les maisons d'édition scolaire, engagées dans une belle course contre la montre. « Nous avons recruté des contrats à durée déterminée pour doubler ou tripler le nombre de nos éditeurs, de nos auteurs, de nos maquettistes ou de nos iconographes, assurait en juillet Sylvie Marcé, PDG de Belin. Les équipes ont travaillé de façon très intense. Elles n'ont pas pris de week-ends depuis trois mois. » Responsable de ce rythme de forçat ? La réforme des programmes, notamment ceux des classes de seconde, couvée par Xavier Darcos et accouchée en mai par son successeur à l'Education nationale, Luc Chatel (lire page 50).
Alors que les éditeurs scolaires peaufinent généralement leurs ouvrages durant une année, ils n'ont eu pour cette rentrée que quelques mois. Résultat : les 500 000 élèves de seconde ne devraient avoir leurs livres que fin octobre-début novembre. Au total, Hachette Education sort 150 ouvrages, nouveaux ou refondus en profondeur. Belin, lui, en mettra 25 cette année sur les étals, contre une quinzaine seulement l'an dernier. C'est le rush, mais le jeu en vaut la chandelle. Selon l'hebdomadaire spécialisé Livres Hebdo, les régions auraient budgété 100 millions d'euros cette année pour l'achat de livres scolaires : soit l'équivalent d'un tiers du chiffre d'affaires du secteur l'année dernière. Insuffisant, selon les associations de parents d'élèves.
Le créneau, apparemment, est en or : les 58 millions de livres scolaires vendus dans l'année représentent 12 % du chiffre d'affaires de l'édition en France, selon le Syndicat national de l'édition (SNE). L'Etat réforme les programmes, ce qui nécessite la fabrication de nouveaux livres. Le même Etat finance ensuite l'achat des livres. Que rêver de mieux pour les éditeurs ?
Pourtant, derrière cette façade idyllique, le livre scolaire n'échappe ni à la morosité générale ni à la complexité administrative française. Le fort dynamisme du secteur n'est plus qu'un souvenir. Les ventes se sont érodées de 2,3 % en valeur en 2009, à 330 millions d'euros. « Une rente de situation ? Je vous invite à venir voir comment on fait un livre scolaire ! » se scandalise Catherine Lucet, la directrice générale du pôle éducation et référence d'Editis.
Investissements lourds
C'est qu'une réforme en profondeur des programmes comme celle de la classe de seconde impose des investissements lourds : entre 80 000 et 150 000 euros par livre avant même l'impression, pour régler les auteurs qui travaillent en équipe, parfois à sept ou huit, l'iconographie et la mise en pages.
Ce n'est pas tout. Les professeurs doivent pouvoir juger sur pièce. Bons princes, les éditeurs scolaires leur adressent chaque année gracieusement de 30 000 à 40 000 exemplaires de chaque nouveau livre. Soit l'équivalent d'un best-seller en édition littéraire... Mais non rémunéré ! « Ce sont nos coûts de promotion. C'est très lourd... », se résigne Isabelle Jeuge-Maynart, la directrice de Hachette Education. A ce stade, l'éditeur ne sait pas encore si l'ouvrage sera un succès ou un échec. « Si, sur dix livres, deux ou trois font plus de 20 % du marché, vous commencez alors à générer de la marge, mais ce n'est jamais gagné d'avance », explique Sylvie Marcé, qui préside le groupe édition scolaire au SNE.
La moyenne des ventes par ouvrage dépasse à peine la barre des... 6 000 exemplaires. Pour les maisons les moins bien placées sur une classe ou une matière, la refonte des programmes est une aubaine. Pour les mieux placées, la prise de risque est totale. « Une réforme remet les compteurs à zéro, note Isabelle Jeuge-Maynart. Cela peut être ennuyeux. » Car la concurrence est féroce dans ce secteur passé de trente maisons voilà trente ans à moins de dix aujourd'hui. Seule solution : « Jouer le nombre, la gamme, poursuit Isabelle Jeuge-Maynart. Avoir plusieurs livres répartis dans plusieurs disciplines pour couvrir les frais. C'est une activité à risque. »
Financements allégés
Confrontés à de lourds investissements, les professionnels doivent aussi se débattre dans les méandres de l'administration. Car, dans le public, les livres scolaires sont désormais financés par les collectivités locales : les mairies offrent les livres du primaire, les départements ceux du collège et les régions ont pris en charge ceux du lycée depuis cinq ans. Mais les collectivités ont tendance à serrer la vis. Les achats de livres pour le lycée par les régions ont chuté de 25 % il y a deux ans, de 45 % l'an dernier. Avec l'arrivée des nouveaux ouvrages, personne ne se bat pour payer. Dans un communiqué du 18 juin, le socialiste François Bonneau, qui préside la région Centre et la commission éducation de l'Association des régions de France, a demandé « un échelonnement de l'achat de manuels sur deux années » pour que la gratuité « puisse continuer à prévaloir ». Réponse du ministre Luc Chatel : « Les régions ne sont aucunement tenues par la loi de financer les manuels scolaires. »
Les éditeurs, eux, déchantent. « Ces situations de blocage, c'est ce qu'il y a de pire, se lamente Sylvie Marcé, inquiète de la désorganisation de la rentrée. Nous n'entrons pas dans ce débat. On espère juste qu'on n'en fera pas les frais. » « Les achats par élève sont plus florissants quand les parents financent, comme aux Pays-Bas », ajoute Catherine Lucet. Les éditeurs attendent tout de même un appel d'air. Editis prévoit une croissance comprise entre 20 et 70 %, si le bras de fer politique se termine bien. Heureusement, pour les élèves de seconde, l'économie complexe de l'édition scolaire ne figure pas au programme.
Malgré les fréquentes réformes, la rentabilité n'est pas garantie. Pour les collectivités, la facture achats de livres est lourde.
http://www.challenges.fr/magazine/encouverture/0222.031819/?xtmc=editis&xtcr=5
Pas de vacances pour les maisons d'édition scolaire, engagées dans une belle course contre la montre. « Nous avons recruté des contrats à durée déterminée pour doubler ou tripler le nombre de nos éditeurs, de nos auteurs, de nos maquettistes ou de nos iconographes, assurait en juillet Sylvie Marcé, PDG de Belin. Les équipes ont travaillé de façon très intense. Elles n'ont pas pris de week-ends depuis trois mois. » Responsable de ce rythme de forçat ? La réforme des programmes, notamment ceux des classes de seconde, couvée par Xavier Darcos et accouchée en mai par son successeur à l'Education nationale, Luc Chatel (lire page 50).
Alors que les éditeurs scolaires peaufinent généralement leurs ouvrages durant une année, ils n'ont eu pour cette rentrée que quelques mois. Résultat : les 500 000 élèves de seconde ne devraient avoir leurs livres que fin octobre-début novembre. Au total, Hachette Education sort 150 ouvrages, nouveaux ou refondus en profondeur. Belin, lui, en mettra 25 cette année sur les étals, contre une quinzaine seulement l'an dernier. C'est le rush, mais le jeu en vaut la chandelle. Selon l'hebdomadaire spécialisé Livres Hebdo, les régions auraient budgété 100 millions d'euros cette année pour l'achat de livres scolaires : soit l'équivalent d'un tiers du chiffre d'affaires du secteur l'année dernière. Insuffisant, selon les associations de parents d'élèves.
Le créneau, apparemment, est en or : les 58 millions de livres scolaires vendus dans l'année représentent 12 % du chiffre d'affaires de l'édition en France, selon le Syndicat national de l'édition (SNE). L'Etat réforme les programmes, ce qui nécessite la fabrication de nouveaux livres. Le même Etat finance ensuite l'achat des livres. Que rêver de mieux pour les éditeurs ?
Pourtant, derrière cette façade idyllique, le livre scolaire n'échappe ni à la morosité générale ni à la complexité administrative française. Le fort dynamisme du secteur n'est plus qu'un souvenir. Les ventes se sont érodées de 2,3 % en valeur en 2009, à 330 millions d'euros. « Une rente de situation ? Je vous invite à venir voir comment on fait un livre scolaire ! » se scandalise Catherine Lucet, la directrice générale du pôle éducation et référence d'Editis.
Investissements lourds
C'est qu'une réforme en profondeur des programmes comme celle de la classe de seconde impose des investissements lourds : entre 80 000 et 150 000 euros par livre avant même l'impression, pour régler les auteurs qui travaillent en équipe, parfois à sept ou huit, l'iconographie et la mise en pages.
Ce n'est pas tout. Les professeurs doivent pouvoir juger sur pièce. Bons princes, les éditeurs scolaires leur adressent chaque année gracieusement de 30 000 à 40 000 exemplaires de chaque nouveau livre. Soit l'équivalent d'un best-seller en édition littéraire... Mais non rémunéré ! « Ce sont nos coûts de promotion. C'est très lourd... », se résigne Isabelle Jeuge-Maynart, la directrice de Hachette Education. A ce stade, l'éditeur ne sait pas encore si l'ouvrage sera un succès ou un échec. « Si, sur dix livres, deux ou trois font plus de 20 % du marché, vous commencez alors à générer de la marge, mais ce n'est jamais gagné d'avance », explique Sylvie Marcé, qui préside le groupe édition scolaire au SNE.
La moyenne des ventes par ouvrage dépasse à peine la barre des... 6 000 exemplaires. Pour les maisons les moins bien placées sur une classe ou une matière, la refonte des programmes est une aubaine. Pour les mieux placées, la prise de risque est totale. « Une réforme remet les compteurs à zéro, note Isabelle Jeuge-Maynart. Cela peut être ennuyeux. » Car la concurrence est féroce dans ce secteur passé de trente maisons voilà trente ans à moins de dix aujourd'hui. Seule solution : « Jouer le nombre, la gamme, poursuit Isabelle Jeuge-Maynart. Avoir plusieurs livres répartis dans plusieurs disciplines pour couvrir les frais. C'est une activité à risque. »
Financements allégés
Confrontés à de lourds investissements, les professionnels doivent aussi se débattre dans les méandres de l'administration. Car, dans le public, les livres scolaires sont désormais financés par les collectivités locales : les mairies offrent les livres du primaire, les départements ceux du collège et les régions ont pris en charge ceux du lycée depuis cinq ans. Mais les collectivités ont tendance à serrer la vis. Les achats de livres pour le lycée par les régions ont chuté de 25 % il y a deux ans, de 45 % l'an dernier. Avec l'arrivée des nouveaux ouvrages, personne ne se bat pour payer. Dans un communiqué du 18 juin, le socialiste François Bonneau, qui préside la région Centre et la commission éducation de l'Association des régions de France, a demandé « un échelonnement de l'achat de manuels sur deux années » pour que la gratuité « puisse continuer à prévaloir ». Réponse du ministre Luc Chatel : « Les régions ne sont aucunement tenues par la loi de financer les manuels scolaires. »
Les éditeurs, eux, déchantent. « Ces situations de blocage, c'est ce qu'il y a de pire, se lamente Sylvie Marcé, inquiète de la désorganisation de la rentrée. Nous n'entrons pas dans ce débat. On espère juste qu'on n'en fera pas les frais. » « Les achats par élève sont plus florissants quand les parents financent, comme aux Pays-Bas », ajoute Catherine Lucet. Les éditeurs attendent tout de même un appel d'air. Editis prévoit une croissance comprise entre 20 et 70 %, si le bras de fer politique se termine bien. Heureusement, pour les élèves de seconde, l'économie complexe de l'édition scolaire ne figure pas au programme.
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