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- AbraxasDoyen
Je dois être bouché, mais je ne saisis pas comment vous expliquez à des gamins qu'un texte littéraire parle du travail. Tout comme il est aberrant de considérer que la poésie "engagée" parle de politique — elle parme de poésie, et surtout de mauvaise poésie, voir ce que Benjamin Péret en dit (fort bien) dans le Déshonneur des poètes. Heureusement que l'on ne m'a pas envoyé corriger le Bac (il a été question il y a un mois de réquisitionner les profs de prépas, je pense qu'ils se sont méfié, finalement), parce qu'un élève qui m'aurait expliqué que la poésie d'Aragon pro-PC est de la poésie se serait fait exploser en vol. Zola ne parle pas de la mine dans Germinal —il s'en sert de toile de fond pour parler d'épopée, de lyrisme, et de Zola. Un peu comme si l'on disait que les Demoiselles d'Avignon représentent des femmes. Ces programmes sont débiles, et je ne vois pas comment des spécialistes de littérature peuvent les respecter. Ça revient à peu près à forcer un prof de maths à enseigner que 2+2 = 5. Et si un IPR u un IG vous fait une réflexion, portez ça devant la presse — ils craignent bien davantage être cités dans le Figaro, l'Express ou Marianne que de passer pour des pignoufs dans un lycée.
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Précision de John : suivant une suggestion avisée de Cripure, ce topic est un Spin off de ce fil précédent, qu'il est conseillé de lire pour comprendre celui-ci : https://www.neoprofs.org/t49252-litterature-et-societe-dites-moi-ce-que-vaut-mon-idee-le-monde-du-travail-depuis-le-19e-siecle
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Précision de John : suivant une suggestion avisée de Cripure, ce topic est un Spin off de ce fil précédent, qu'il est conseillé de lire pour comprendre celui-ci : https://www.neoprofs.org/t49252-litterature-et-societe-dites-moi-ce-que-vaut-mon-idee-le-monde-du-travail-depuis-le-19e-siecle
- JohnMédiateur
Eh bien donc rien n'empêche d'étudier le thème de la mine ou du travail pour montrer ce qu'en fait Zola dans Germinal :aaa: :aad:Zola ne parle pas de la mine dans Germinal —il s'en sert de toile de fond pour parler d'épopée, de lyrisme, et de Zola
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- NLM76Grand Maître
Pour ma part, les gamins peuvent me dire ce qu'ils veulent sur les textes, du moment qu'ils les citent avec précision, que leur interprétation présente un minimum de cohérence ; s'ils me montraient que la description du travail de Maheu et de ses compagnons dans leur veine mal étayée est particulièrement évocatrice et angoissante pour telle et telle raison, j'accepterais volontiers qu'ils me dissent que c'est une belle dénonciation de l'exploitation des mineurs. Je ne juge pas de la validité de leur interprétation, je juge de leur connaissance des œuvres. Ce qui est généralement très facile, puisque la dite connaissance est inexistante.
En plus, la poésie qui parle de la poésie, le roman qui parle du roman, pour ma part, je n'en ai rien à cirer. Mais ça plaît actuellement chez les "spécialistes de la littérature", alors...
En plus, la poésie qui parle de la poésie, le roman qui parle du roman, pour ma part, je n'en ai rien à cirer. Mais ça plaît actuellement chez les "spécialistes de la littérature", alors...
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- http://instruire.fr
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Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- JohnMédiateur
C'est le genre de phrase que je ne comprends pas : le style, le travail de l'écrivain, et l'inscription dans une histoire littéraire plus large, c'est quand même intéressant quand tu étudies un extrait ou une oeuvre... Dire que tu n'en as "rien à cirer", pour moi ça n'a pas de sens.En plus, la poésie qui parle de la poésie, le roman qui parle du roman, pour ma part, je n'en ai rien à cirer. Mais ça plaît actuellement chez les "spécialistes de la littérature", alors...
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- AbraxasDoyen
John a écrit:C'est le genre de phrase que je ne comprends pas : le style, le travail de l'écrivain, et l'inscription dans une histoire littéraire plus large, c'est quand même intéressant quand tu étudies un extrait ou une oeuvre... Dire que tu n'en as "rien à cirer", pour moi ça n'a pas de sens.En plus, la poésie qui parle de la poésie, le roman qui parle du roman, pour ma part, je n'en ai rien à cirer. Mais ça plaît actuellement chez les "spécialistes de la littérature", alors...
C'est une question de familiarité avec la littérature, John. Quand on écrit, on ne se dit pas : "Je vais faire un livre sur la mine ou les classes sociales" — on se pose des problèmes littéraires, et rien d'autre (si, des problèmes de nombril, parfois). On cherche l'effet. Et le succès, si possible. Imaginons un thème sur la prostitution — il en était question plus haut. Que connaissait Zola aux courtisanes de luxe ? Il n'allait pas même au bordel. Mais dans Nana, il a disposé, à intervalles réguliers, de quoi faire bander le bourgeois (y compris l'inévitable scène de lesbianisme que les pornographes d'aujourd'hui insèrent systématiquement dans leurs productions hétéros : les procédés ne varient pas — c'est le style qui change. Pas les sujets). Pur motif pour effarer le bourgeois. Maupassant, qui en connaissait beaucoup plus long que lui sur le sujet, ne l'évoque que rarement dans les grands romans — un peu dans les nouvelles, et encore, il ne les montre pas au travail, il les magnifie — parce qu'il les connaît et qu'il refuse de voir en elles des putes (voir Boule-de-suif). C'est lui au fond le vrai écrivain — Zola est un faiseur. C'est le EE. Schmidt du XIXème siècle — avec un peu plus de rhétorique.
- Reine MargotDemi-dieu
consolez-vous Abraxas, le prochain thème en prépa est "le plaisir"...
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Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
- AbraxasDoyen
Ou "la Parole" — chez les scientifiques.
Ça, c'est de la littérature. Mais comment vont l'appréhender les malheureux formés à la littérature "sociale" convoyeuse de "messages" ?
Ça, c'est de la littérature. Mais comment vont l'appréhender les malheureux formés à la littérature "sociale" convoyeuse de "messages" ?
- eponine21Niveau 8
Moi, j'arrive après la bataille... et pour aller dans un sens contraire...
L'année dernière, en lien avec le prof d'HG, j'ai traité (ou plutôt essayé de traiter le thème du travail en litt et soc.
J'avais choisi le théâtre contemporain avec des extraits de Loin d'hagondange, de L'Atelier volant, d'Usinage par exemple. J'avais couplé ça avec un spectacle Ministre qui mettait en scène un ministre du travail qui réfléchit sur la conception du travail aujourd'hui. J'avais terminé avec les Conti (un article de Télérama et un doc télévisé) ; moi, je trouve cette épopée assez émouvante et j'avais cru assez parlante pour des élèves : dans mon lycée avec 40 pour cent de classes sociales défavorisées, ça pourrait être leurs parents.
Eh bien, je ne recommencerai jamais ; ils n'ont jamais accroché et j'avais fini sur les Conti avec une remarque : "de toute façon, moi, à leur place, je n'essaierais pas de m'en sortir, je préférerais être au chômage qu'aller travailler". Nous ne sommes jamais sortis de l'option café du commerce (voilà qui de toute façon apporte de l'eau au moulin de Cripure avec qui je suis tout à fait d'accord mais le problème, c'est que je en sais pas comment aller à contre-courant des positions actuelles).
Alors, moi, je trouve ton thème super bien, tes choix intéressants mais honnêtement, j'espère que ça marchera pour toi et que tu auras des élèves plus réceptifs que les miens. Moi, mon expérience m'a appris à mon grand dam qu'un élève de début de seconde n'est pas forcément réceptif à ce genre de problématiques et que c'était beaucoup trop ambitieux de les faire réfléchir sur le travail.
L'année dernière, en lien avec le prof d'HG, j'ai traité (ou plutôt essayé de traiter le thème du travail en litt et soc.
J'avais choisi le théâtre contemporain avec des extraits de Loin d'hagondange, de L'Atelier volant, d'Usinage par exemple. J'avais couplé ça avec un spectacle Ministre qui mettait en scène un ministre du travail qui réfléchit sur la conception du travail aujourd'hui. J'avais terminé avec les Conti (un article de Télérama et un doc télévisé) ; moi, je trouve cette épopée assez émouvante et j'avais cru assez parlante pour des élèves : dans mon lycée avec 40 pour cent de classes sociales défavorisées, ça pourrait être leurs parents.
Eh bien, je ne recommencerai jamais ; ils n'ont jamais accroché et j'avais fini sur les Conti avec une remarque : "de toute façon, moi, à leur place, je n'essaierais pas de m'en sortir, je préférerais être au chômage qu'aller travailler". Nous ne sommes jamais sortis de l'option café du commerce (voilà qui de toute façon apporte de l'eau au moulin de Cripure avec qui je suis tout à fait d'accord mais le problème, c'est que je en sais pas comment aller à contre-courant des positions actuelles).
Alors, moi, je trouve ton thème super bien, tes choix intéressants mais honnêtement, j'espère que ça marchera pour toi et que tu auras des élèves plus réceptifs que les miens. Moi, mon expérience m'a appris à mon grand dam qu'un élève de début de seconde n'est pas forcément réceptif à ce genre de problématiques et que c'était beaucoup trop ambitieux de les faire réfléchir sur le travail.
- AbraxasDoyen
J'abonde…
En fait, d'expérience, ils préfèrent encore qu'on les fasse bosser sur Mallarmé — ça les dépayse…
En fait, d'expérience, ils préfèrent encore qu'on les fasse bosser sur Mallarmé — ça les dépayse…
- IphigénieProphète
Il est toujours très délicat de faire travailler les élèves sur quelque chose qui les concerne de trop près: idem les textes qui parlent de l'école.
Je me souviens avoir dû interroger une jeune Comorienne fraîchement débarquée en France qui n'avait qu'un seul thème sur sa liste de français, dédié à l'exotisme : elle ne comprenait même pas de quoi on parlait. Même Baudelaire, ça ne marche pas à tous les coups...Il faut trouver la juste distance.
Je me souviens avoir dû interroger une jeune Comorienne fraîchement débarquée en France qui n'avait qu'un seul thème sur sa liste de français, dédié à l'exotisme : elle ne comprenait même pas de quoi on parlait. Même Baudelaire, ça ne marche pas à tous les coups...Il faut trouver la juste distance.
- HannibalHabitué du forum
Toute la Recherche sert quand même à justifier l'adieu final du je au monde, au profit de l'écriture.
Et il fallait bien que le monde soit ce monde-là - avec ses snobs, ses esthètes ratés, ses impasses amoureuses et ses épiphanies artistiques- pour que s'impose et prenne sens la conclusion que la seule vie vraiment vécue c'est la littérature. D'ailleurs, la fameuse oeuvre, ce sera quoi ? Rien d'autre que la traversée de ce monde-là, avec ses signes et ses insignifiances.
Donc oui, même le retrait du monde dit encore quelque chose sur le monde. Et non, l'oeuvre n'est pas souverainement indépendante et indifférente au monde. Elle représente le monde même dont elle procède et qui la justifie. Zola a besoin de prostituées, de mineurs, d'ouvriers etc. pour dire ce qu'il a à dire sur le monde, sur l'homme, sur l'histoire, sur la société du 2nd Empire et sur ses dessous - pas seulement pour faire des phrases.
Faudrait quand même se méfier un peu de l'idée que la littérature n'a rien à dire sur rien à part sur elle-même.
Et il fallait bien que le monde soit ce monde-là - avec ses snobs, ses esthètes ratés, ses impasses amoureuses et ses épiphanies artistiques- pour que s'impose et prenne sens la conclusion que la seule vie vraiment vécue c'est la littérature. D'ailleurs, la fameuse oeuvre, ce sera quoi ? Rien d'autre que la traversée de ce monde-là, avec ses signes et ses insignifiances.
Donc oui, même le retrait du monde dit encore quelque chose sur le monde. Et non, l'oeuvre n'est pas souverainement indépendante et indifférente au monde. Elle représente le monde même dont elle procède et qui la justifie. Zola a besoin de prostituées, de mineurs, d'ouvriers etc. pour dire ce qu'il a à dire sur le monde, sur l'homme, sur l'histoire, sur la société du 2nd Empire et sur ses dessous - pas seulement pour faire des phrases.
Faudrait quand même se méfier un peu de l'idée que la littérature n'a rien à dire sur rien à part sur elle-même.
- yphrogEsprit éclairé
Si tu es obligé de faire plusieurs thèmes pourquoi pas "équilibrer" avec le monde de loisirs / consommation? (Bunuel, Godard (extraits de Weekend ), Mme B, Au Bonheur des Dames...)
ou bien "les visions de l'individu dans la société" (Emerson, Fourier, Brazil/Kafka, Carnets du sous-sol, Spleen, Tolstoi, Jane Eyre)
Je ne connais strictement rien de vos programmes, mais si tu dois vendre le programme, "le monde de travail" ne va-t-il pas paraitre un peu compétenciel sur le radar des élèves?
ou bien "les visions de l'individu dans la société" (Emerson, Fourier, Brazil/Kafka, Carnets du sous-sol, Spleen, Tolstoi, Jane Eyre)
Je ne connais strictement rien de vos programmes, mais si tu dois vendre le programme, "le monde de travail" ne va-t-il pas paraitre un peu compétenciel sur le radar des élèves?
- eponine21Niveau 8
"un peu compétenciel" : je ne comprends pas bien, xphrog, désolée
- Reine MargotDemi-dieu
et en plus c'est "compétenciel sur le radar des élèves"!
désolée Xphrog ça m'a fait sourire...
désolée Xphrog ça m'a fait sourire...
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La famille Bélier
- yphrogEsprit éclairé
Peut-être c'est uniquement au collège qu'on est censé leur informer sur les différents métiers (particulièrement au 3e, mais aussi bien avant). Ils ne vont pas en général voir le vrai monde du travail pour des années encore.
pas grave, c'était fait pour... mais pardon pour l'excès de zèle maladroit...Reine Margot a écrit:désolée Xphrog ça m'a fait sourire...
- NLM76Grand Maître
Le style, le travail de l'écrivain, c'est intéressant à étudier. Mais ce n'est pas parce qu'un écrivain a du style qu'il parle de l'écriture !John a écrit:C'est le genre de phrase que je ne comprends pas : le style, le travail de l'écrivain, et l'inscription dans une histoire littéraire plus large, c'est quand même intéressant quand tu étudies un extrait ou une oeuvre... Dire que tu n'en as "rien à cirer", pour moi ça n'a pas de sens.En plus, la poésie qui parle de la poésie, le roman qui parle du roman, pour ma part, je n'en ai rien à cirer. Mais ça plaît actuellement chez les "spécialistes de la littérature", alors...
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- User5899Demi-dieu
Abraxas a écrit:Je dois être bouché, mais je ne saisis pas comment vous expliquez à des gamins qu'un texte littéraire parle du travail. Tout comme il est aberrant de considérer que la poésie "engagée" parle de politique — elle parme de poésie, et surtout de mauvaise poésie, voir ce que Benjamin Péret en dit (fort bien) dans le Déshonneur des poètes. Heureusement que l'on ne m'a pas envoyé corriger le Bac (il a été question il y a un mois de réquisitionner les profs de prépas, je pense qu'ils se sont méfié, finalement), parce qu'un élève qui m'aurait expliqué que la poésie d'Aragon pro-PC est de la poésie se serait fait exploser en vol. Zola ne parle pas de la mine dans Germinal —il s'en sert de toile de fond pour parler d'épopée, de lyrisme, et de Zola. Un peu comme si l'on disait que les Demoiselles d'Avignon représentent des femmes. Ces programmes sont débiles, et je ne vois pas comment des spécialistes de littérature peuvent les respecter. Ça revient à peu près à forcer un prof de maths à enseigner que 2+2 = 5. Et si un IPR u un IG vous fait une réflexion, portez ça devant la presse — ils craignent bien davantage être cités dans le Figaro, l'Express ou Marianne que de passer pour des pignoufs dans un lycée.
- Spoiler:
- Euh, Abraxas, la réponse à vos questions est dans votre texte...
- User5899Demi-dieu
"Je n'ai pas voulu dire, mais voulu faire ; et c'est ma volonté de faire qui a voulu ce que j'ai dit" : j'aime beaucoup cette formule de ValéryAbraxas a écrit:Quand on écrit, on ne se dit pas : "Je vais faire un livre sur la mine ou les classes sociales" — on se pose des problèmes littéraires, et rien d'autre (si, des problèmes de nombril, parfois).
Deux remarques, eponine21.eponine21 a écrit:Moi, j'arrive après la bataille... et pour aller dans un sens contraire...
L'année dernière, en lien avec le prof d'HG, j'ai traité (ou plutôt essayé de traiter le thème du travail en litt et soc.
J'avais choisi le théâtre contemporain avec des extraits de Loin d'hagondange, de L'Atelier volant, d'Usinage par exemple. J'avais couplé ça avec un spectacle Ministre qui mettait en scène un ministre du travail qui réfléchit sur la conception du travail aujourd'hui. J'avais terminé avec les Conti (un article de Télérama et un doc télévisé) ; moi, je trouve cette épopée assez émouvante et j'avais cru assez parlante pour des élèves : dans mon lycée avec 40 pour cent de classes sociales défavorisées, ça pourrait être leurs parents.
Eh bien, je ne recommencerai jamais ; ils n'ont jamais accroché et j'avais fini sur les Conti avec une remarque : "de toute façon, moi, à leur place, je n'essaierais pas de m'en sortir, je préférerais être au chômage qu'aller travailler". Nous ne sommes jamais sortis de l'option café du commerce (voilà qui de toute façon apporte de l'eau au moulin de Cripure avec qui je suis tout à fait d'accord mais le problème, c'est que je en sais pas comment aller à contre-courant des positions actuelles).
1) Pour ma part, le concept d'une oeuvre qui se définit par son thème est essentiellement bâtard, médiatique si vous voulez. Ecrire, filmer, peindre, c'est toujours inventer une forme. Les thèmes sont toujours les mêmes depuis L'Iliade. Mais l'écrivain dit moins sur le travail que le sociologue, le syndicaliste, l'historien, l'ouvrier, discours sans doute passionnants, mais qui ne relèvent pas du cours de lettres. En ce sens, je suis d'accord avec Abraxas : vive l'aboli bibelot !
2) Que des élèves de 15 ans n'accrochent pas et se montrent provocateurs n'est pas très grave. On n'est toujours pas sérieux quand on a dix-sept ans, alors à quinze... Le problème n'est pas là : il est dans la volonté destructrice de l'institution à l'égard de notre discipline. Et vas-y que je te fiche la poésie engagée en 3e, et vas-y que 3 années sur 4, on a un sujet de dissert qui demande si la fiction est un bon moyen de provoquer une réaction dans la société (bon sang ! Mais ils n'en ont pas marre, les "collègues", avec ces idioties sempiternelles ? Mais enfin, ils lisent des trucs, parfois, dont les auteurs ne passent pas à la télé ? Non ! Les Français n'ont pas renversé Napoléon III parce que Hugo avait écrit Châtiments ! Non, les Français ne sont pas entrés en résistance suite à la circulation clandestine du Silence de la mer ! Non, les Français n'ont pas massivement déserté en se plaçant sous le patronage de saint Boris ! Et on envoie les petits Français à l'école pour leur apprendre à se forger le jugement, pas pour les catéchiser à coups de dernier jour d'un condamné!), et vas-y que littérature, mais a serait-elle pas liée avec la société ? Hmm ? On aurait pu prendre "littérature et vin rouge", "littérature et génie mécanique" ; mais avec "& société", ça fait le gars "techno" du ministère qui s'est dit : Avec ça, ça va faire enfin l'impression que la littérature, c'est utile. Et paf ! il la tue
- JohnMédiateur
On peut tenir une année sur chacun de ces deux sujets..."littérature et vin rouge", "littérature et génie mécanique"
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"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- AbraxasDoyen
John a écrit:On peut tenir une année sur chacun de ces deux sujets..."littérature et vin rouge", "littérature et génie mécanique"
Et sans peine — parce qu'on se posera des questions littéraires, qui sont infinies.
Si en revanche on décidait de s'en tenir à "littérature et promotion des AOC", là, ce serait plus limité.
Ou "littérature et crise de la viticulture", qui ferait sens au gré du ministère, comme l'a si bien explicité Cripure…
- HannibalHabitué du forum
Abraxas a raison de railler cette vulgate selon laquelle la littérature ne servirait qu'à "faire passer des messages", et se réduirait à des slogans ou à des catéchismes.
Mais opter par réaction pour l'idée d'une littérature autotélique, close sur elle-même et coupée du monde, me paraît également réducteur.
Mais opter par réaction pour l'idée d'une littérature autotélique, close sur elle-même et coupée du monde, me paraît également réducteur.
Le travail, comme thème, ce n'est pas complètement anhistorique... Et les écrivains qui s'emparent de ce sujet n'en disent pas moins que les autres : ils disent autre chose, autrement : si la littérature doit servir à quelque chose, c'est peut-être à ça.Cripure a écrit:Mais l'écrivain dit moins sur le travail que le sociologue, le syndicaliste, l'historien, l'ouvrier, discours sans doute passionnants, mais qui ne relèvent pas du cours de lettres.
- NLM76Grand Maître
John a écrit:C'est le genre de phrase que je ne comprends pas : le style, le travail de l'écrivain, et l'inscription dans une histoire littéraire plus large, c'est quand même intéressant quand tu étudies un extrait ou une oeuvre... Dire que tu n'en as "rien à cirer", pour moi ça n'a pas de sens.En plus, la poésie qui parle de la poésie, le roman qui parle du roman, pour ma part, je n'en ai rien à cirer. Mais ça plaît actuellement chez les "spécialistes de la littérature", alors...
Le style, le travail de l'écrivain, c'est intéressant. Là-dessus, nous sommes évidemment d'accord. Mais le fait qu'un écrivain ait du style ne fait pas qu'il s'agisse d'un "roman qui parle du roman".
S'il parle de la vie qui ne vaut que parce qu'elle peut être remémorée, revécue, redite, racontée, romancée, oui c'est intéressant; il parle de l'essence de la vie, qui est l'essence de la littérature.
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- doctor whoDoyen
Pas du tout d'accord avec Abraxas.
Le problème des élèves d'aujourd'hui, plongés dans leur inculture et limités par leurs moyens de réflexion et d'expression, c'est qu'ils ne voient pas la part de réalité qui gît derrière chaque oeuvre, chaque texte, chaque phrase, chaque mot.
Le "message" ou le "réel" dont ils parlent à longueur de copie, c'est de l'idéologie. Jamais ils ne se confrontent aux référents précis désignés par le texte, ni aux mots en tant qu'ils sont des choses.
Il n'y a qu'à voir ce que cela donne avec les sujets du Bac S : "Verlaine utilise le champ lexical de l'enterrement pour nous donner l'impression qu'il s'agit d'un enterrement. " Il serait tout de même plus simple d'expliquer précisément ce qu'est une "trille", "svelte" qui plus est.
La meilleure remarque que j'ai eue pour l'instant disait qu'il était étrange qu'une cloche produise ce genre de son et qu'on aurait plutôt attendu un "glas funèbre". Pour dire cela, il faut avoir le son de la cloche dans l'oreille, lié de manière indissociable à l'expression "glas funèbre", ainsi qu'une connaissance de scènes d'enterrement lugubres. Réalité et littérature ne sont pas séparables.
Je reste donc fondamentalement proche d'une option positiviste : enseigner d'abord à percevoir les choses qui sont derrière les mots. Mâtinée d'une grosse dose de Servais Etienne, disciple de Valéry et fondateur de l'école liégeoise d'analyse textuelle :
http://books.google.fr/books?id=byyhvZyKHOwC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Le problème des élèves d'aujourd'hui, plongés dans leur inculture et limités par leurs moyens de réflexion et d'expression, c'est qu'ils ne voient pas la part de réalité qui gît derrière chaque oeuvre, chaque texte, chaque phrase, chaque mot.
Le "message" ou le "réel" dont ils parlent à longueur de copie, c'est de l'idéologie. Jamais ils ne se confrontent aux référents précis désignés par le texte, ni aux mots en tant qu'ils sont des choses.
Il n'y a qu'à voir ce que cela donne avec les sujets du Bac S : "Verlaine utilise le champ lexical de l'enterrement pour nous donner l'impression qu'il s'agit d'un enterrement. " Il serait tout de même plus simple d'expliquer précisément ce qu'est une "trille", "svelte" qui plus est.
La meilleure remarque que j'ai eue pour l'instant disait qu'il était étrange qu'une cloche produise ce genre de son et qu'on aurait plutôt attendu un "glas funèbre". Pour dire cela, il faut avoir le son de la cloche dans l'oreille, lié de manière indissociable à l'expression "glas funèbre", ainsi qu'une connaissance de scènes d'enterrement lugubres. Réalité et littérature ne sont pas séparables.
Je reste donc fondamentalement proche d'une option positiviste : enseigner d'abord à percevoir les choses qui sont derrière les mots. Mâtinée d'une grosse dose de Servais Etienne, disciple de Valéry et fondateur de l'école liégeoise d'analyse textuelle :
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Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- CondorcetOracle
Hannibal a écrit:Abraxas a raison de railler cette vulgate selon laquelle la littérature ne servirait qu'à "faire passer des messages", et se réduirait à des slogans ou à des catéchismes.
Mais opter par réaction pour l'idée d'une littérature autotélique, close sur elle-même et coupée du monde, me paraît également réducteur.Le travail, comme thème, ce n'est pas complètement anhistorique... Et les écrivains qui s'emparent de ce sujet n'en disent pas moins que les autres : ils disent autre chose, autrement : si la littérature doit servir à quelque chose, c'est peut-être à ça.Cripure a écrit:Mais l'écrivain dit moins sur le travail que le sociologue, le syndicaliste, l'historien, l'ouvrier, discours sans doute passionnants, mais qui ne relèvent pas du cours de lettres.
L'historien et l'écrivain ont ceci en commun qu'ils ne font parfois qu'un et se nourrissent de tous les autres discours pour construire le leur.
Il est tout aussi agaçant de lire "le message de l'auteur" que "l'histoire prouve que" alors que le cours des événements comme son étude suggèrent tout au plus quelques réflexions que le narrateur s'efforce d'ordonner, jusqu'aux confins de la fiction (cf Paul Veyne, Alain Corbin, Carlo Ginzburg).
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