- JohnMédiateur
A l'occasion de la sortie de Claustria par Régis Jauffret, Libération (07/08 janvier 2012) revient sur les liens entre fait divers et littérature.
http://www.liberation.fr/societe/01012381906-trouble
http://www.liberation.fr/livres/01012381907-le-crime-sur-le-fil-de-l-inspiration
Le dossier comprend en outre :
"Les faits divers ont fait un retour en force par le biais de la télé" de Laurent Mucchielli.
"Livres : la fiction dépasse la réalité" de Philippe Lançon.
Il y a aussi des repères sur le thème :
- Claustria de Régis Jauffret
- Stendhal et l'affaire Berthet pour Le Rouge et le Noir
- Dostoïevski et Netchaïev pour Les Démons
- Jean Genêt et les soeurs Papin pour les Bonnes
- Duras pour les Viaducs de Seine-et-Oise et pour l'Amante anglaise, romans liés au meurtre du mari d'Amélie Rabilloud par sa femme
- Truman Capote et le meurtre d'une famille par deux garçons dont Perry Smith, pour De sang froid
- Emmanuel Carrère et le cas Jean-Claude Romand pour l'Adversaire.
http://www.liberation.fr/societe/01012381906-trouble
Trouble, par Nicolas Demorand.
A quoi servent les faits divers ? Souvent à faire de la mauvaise littérature, autrefois à 2 sous, naguère à 10 balles, aujourd’hui à 20 euros. Moins fréquemment à en faire de la très bonne : Capote, Ellroy, Jauffret, pour ne citer que trois auteurs qui en font des usages très différents. En règle générale, à faire du très mauvais journalisme, caressant le lecteur dans ses pulsions malsaines quitte à pulvériser les lignes jaunes du métier : des «fait-diversiers» à l’ancienne aux voyous de l’empire Murdoch, les mœurs n’ont pas changé, seules les technologies évoluent. Parfois aussi de l’excellent, quand ce genre est retourné contre lui-même et utilisé pour regarder des femmes, des hommes, des manières de vivre, des intimités, des parcours, des pans entiers de l’espace social interdits de visibilité, de représentation car jugés indignes de la presse comme il faut. Mais une chose demeure certaine : le fait divers produit toujours le pire de la politique. Le gouvernement par l’émotion. La loi pour l’exception. Avec pour conséquence d’entretenir un climat empoisonné, un trouble d’autant plus profond que les crimes les plus médiatiques mettent en scène des violences qui, fréquemment, régressent sur le plan statistique. Ou sont à ce point exceptionnelles qu’il n’est ni politiquement ni humainement possible de les réduire. Même pour ces consommateurs frénétiques de faits divers que sont les démagogues et les populistes.
http://www.liberation.fr/livres/01012381907-le-crime-sur-le-fil-de-l-inspiration
Les noces plus ou moins fertiles ou barbares de la littérature et du fait divers prennent forme au XIXe siècle, quand la presse naissante devient le grand metteur en scène du second. L’une des premières est celle qui unit Stendhal à l’affaire Berthet : le Rouge et le Noir, en 1830, prend source dans cette histoire datant de 1827. Berthet était un séminariste arrogant et meurtrier. Stendhal avait sans doute entendu parler de son procès à Grenoble. Il fait de Julien Sorel tout autre chose. En 1871, un crime politique dans le milieu révolutionnaire russe inspire et irrigue presque en direct les Démons, de Dostoïevski. C’est l’âge d’or du roman : quelques lignes de «réalité» servent de prétexte à l’œuvre. Cette «réalité» demeure soit dans l’ombre, soit dans la presse populaire. La séparation des ordres va durer jusqu’au milieu du siècle suivant.
Mission. Il faut que le roman commence à douter de lui-même pour que le fait divers lui dise: «Mais, au fait, de quel droit me traites-tu comme ça ? J’ai droit à ma réalité !» Peu à peu, le romancier prend conscience - et met en scène - l’autonomie opaque de cette «réalité». Après le Jean Genet des Bonnes, Marguerite Duras l’exprime en 1960 avec une pièce, les Viaducs de Seine-et-Oise, puis un roman qui deviendra une pièce, l’Amante anglaise. tous inspirés du même crime. Duras écrit alors des reportages, des chroniques. Elle suit des procès. L’un d’eux, en 1957, lui fait écrire : «Je crois qu’il faut admettre la vérité des "ténèbres". Je crois qu’il faut tuer (puisqu’on tue) les criminels de Choisy, mais qu’une fois pour toutes on renonce à interprèter ces ténèbres d’où qu’ils sortent puisqu’on ne peut pas les connaître à partir du jour.» Le «jour» est celui de la presse, des institutions, des braves gens, ce sera bientôt celui de la télé. En quelques mots, Duras a défini une mission littéraire : non pas expliquer, interprèter, faire de la psychologie, mais plonger dans les «ténèbres» et les conter depuis elles-mêmes.
Noblesse.C’est ce que va faire, d’une autre façon, Truman Capote. De Sang-froid, publié en 1966, demeure un tournant dans l’histoire contemporaine des rapports entre littérature et fait divers. Capote enquête comme le meilleur des journalistes, puis restitue, au plus près, l’existence des meurtriers qu’il a connus : «C’est une ascension épuisante où l’air se raréfie peu à peu. Jamais plus je ne m’essaierai au "reportage". Si celui-ci est réussi, j’aurai prouvé ce que je voulais prouver à travers cette technique d’écriture. Car l’intérêt que je lui porte est essentiellement d’ordre technique. A mon avis, on ne lui accorde pas, on ne lui a jamais accordé l’attention artistique qu’elle mérite.»Jusque-là, le roman donnait leurs lettres de noblesse au journalisme et au fait divers. Avec Capote, c’est le journalisme et le fait divers qui donnent des lettres de noblesse au roman. Il a senti leur importance, leur puissance nouvelle dans la conscience collective. Ce n’est pas un hasard s’il est un styliste hors-pair.
Le fait divers entre peu à peu dans les journaux de qualité, révélant les parts d’ombre d’un homme ou d’un monde. La leçon de Duras et de Capote a porté. Elle est relayée par Michel Foucault, en 1977, dans la Vie des hommes infâmes : il faut entendre, lire, sentir l’existence «des souffrances, des méchancetés, des jalousies, des vociférations». Par le fait divers, les marges définissent le cœur d’une société.
Aujourd’hui, abusifs ou non, les héritiers de Capote sont innombrables. Le plus notable, en France, est Emmanuel Carrère : l’Adversaire, son meilleur livre, mélange l’expérience de De sang-froid et un égotisme pointilleux. Cet automne, Morgan Sportés s’est réinstallé dans le cortège avec Tout, tout de suite. Le fait divers au long cours a déserté la presse, mais il occupe la télévision et l’édition de la même façon, comme un symbole abusif et un excitant gri-gri. Il semble dire à cette méchante reine doloriste qu’est devenu le téléspectateur/lecteur : «Oui, tu es bien la plus laide !»
Le dossier comprend en outre :
"Les faits divers ont fait un retour en force par le biais de la télé" de Laurent Mucchielli.
"Livres : la fiction dépasse la réalité" de Philippe Lançon.
Il y a aussi des repères sur le thème :
- Claustria de Régis Jauffret
- Stendhal et l'affaire Berthet pour Le Rouge et le Noir
- Dostoïevski et Netchaïev pour Les Démons
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- Duras pour les Viaducs de Seine-et-Oise et pour l'Amante anglaise, romans liés au meurtre du mari d'Amélie Rabilloud par sa femme
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- variaHabitué du forum
Merci John !
J'ai parcouru les liens, ça a l'air en effet très intéressant... Malheureusement, je ne me vois pas trop faire ça avec mes élèves de Lit Soc., dont beaucoup sont encore de très jeunes filles toutes mignonnes toutes naïves.... Dommage, on se serait amusé....! :diable:
Edit: (j'ai un doute sur "toutes"... accord ? pas accord ? pff... oubli, quand tu nous tiens...)
J'ai parcouru les liens, ça a l'air en effet très intéressant... Malheureusement, je ne me vois pas trop faire ça avec mes élèves de Lit Soc., dont beaucoup sont encore de très jeunes filles toutes mignonnes toutes naïves.... Dommage, on se serait amusé....! :diable:
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