Bnf : restriction des conditions d'accès aux ressources documentaires

Ce mois d'avril a vu éclore à la Bnf un mécontentement croissant des lecteurs chercheurs la fréquentant. Ce mouvement qui pourrait paraître très parisien ne l'est pas : par statut et vocation, la Bibliothèque nationale de France a un rayonnement international ; dépositaire du dépôt légal et à vocation patrimoniale, elle abrite des ressources rares voire introuvables ailleurs. Quelle est cette pomme de discorde ? Il y a certes l'augmentation de l'abonnement recherche qui passe en plein tarif de 50 à 55 euros par an. Mais le coeur du problème est la fin de la communication directe des documents jusqu'à 13 h qui gêne considérablement le travail des chercheurs et notamment ceux qui viennent de province. Je n'aurais jamais pu entreprendre de travaux de recherche si de telles conditions de consultation avaient constitué la règle. C'est donc avec beaucoup d'inquiétude que je vous fais ici part de cette inflexion que l'on doit aussi relier au délitement du service public, à l'anémie du recrutement de titulaires dans les bibliothèques d'Etat et à l'ordo-libéralisme qui couronne le tout.

https://actualitte.com/article/105505/politique-publique/usagers-et-lecteurs-face-a-une-bnf-a-la-politique-d-austerite

Usagers et lecteurs face à une BnF à la “politique d'austérité”
« Nous sommes aux prises à une direction qui tente d’imposer une régression importante vis-à-vis des services proposés aux lecteurs et usagers de la BNF », déclare l’intersyndicale CGT, FSU et Sud. À quelques jours des élections désormais, les organisations interpellent l’opinion publique et leur tutelle, alertant d’une rationalisation des ressources humaines.

Ce qu'a répondu la direction de la Bnf
https://actualitte.com/article/105560/bibliotheque/faire-des-choix-en-tenant-compte-des-usages-la-bnf-repond-aux-chercheurs

“Faire des choix, en tenant compte des usages” : la BnF répond aux chercheurs
Chercheurs et chercheuses, mais aussi des membres du personnel, notamment par l'intermédiaire du syndicat CGT, expriment leurs inquiétudes vis-à-vis de plusieurs modifications opérées dans les services et conditions d'accès aux collections de la Bibliothèque nationale de France, dans des pétitions diffusées depuis plusieurs jours. La direction de l'établissement est revenue sur ces choix, en réponse à nos questions.

Ce qu'en ont pensé l'association des lecteurs de la Bnf
https://actualitte.com/article/105633/tribunes/des-lecteurs-de-la-bnf-pointent-une-degradation-definitive-du-service-public?fbclid=IwAR0wWl3evBJgOhtDtqTexBZQEqkKZ11hpFfRbLhm8IyH_GcpyAQaWaj_Pms

Des lecteurs de la BnF pointent une “dégradation définitive du service public”
Lecteurs, lectrices et personnel de la Bibliothèque nationale de France se sont accordés pour dénoncer de nouvelles conditions d'accueil du public, qui changent notamment les modalités de communication des documents. La direction a avancé des arguments dans nos colonnes, mais l'opposition persiste et signe. Elle déplore une « fin de non-recevoir » adressée par la direction à l'Association des lecteurs et usagers de la Bibliothèque nationale de France (ALUBnF), en refusant de recevoir l'organisation lors d'un comité technique, ce 14 avril.

Bonsoir,
Merci pour cette information. C'est tout à fait déplorable en effet.

https://www.archimag.com/bibliotheque-edition/2022/05/03/bnf-modifie-acces-documents-fache-usagers

Depuis le 2 mai 2022, les usagers de la Bibliothèque nationale de France sont tenus de changer leurs habitudes. Ils doivent désormais réserver leurs documents jusqu'à 20 heures la veille de leur venue pour en disposer le lendemain ou bien commander d'autres documents sur place l'après-midi seulement. Cette mesure vise les salles de recherche du site François Mitterrand.

A peine mis en place, ces changements ont provoqué la colère d'une partie des lecteurs de la BnF, notamment les usagers qui accèdent aux salles de recherche. "Ces mesures visent à limiter la communication directe de documents à l’après-midi uniquement, sur des créneaux réduits, pour des raisons purement budgétaires" déplore l'Association des lecteurs et usagers de la Bibliothèque nationale de France qui indique avoir recueilli 13 000 signatures d'usagers en colère. L'association demande "le retrait définitif de toute mesure limitant la consultation directe à certains horaires dans la journée".

La polémique s'est également invitée au Sénat où Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine, a interpellé la ministre de la Culture sur "la dégradation continue des conditions de lecture". A ce jour, le ministère de la Culture n'a pas apporté de réponse à la question écrite du sénateur.

S'il n'y avait pas les manuscrits, je ne reprendrais pas de carte.

Ces restrictions, qui ont profité du Covid pour s'installer, sont scandaleuses et témoignent d'une incompréhension totale du travail d'un chercheur.
Quant à l'absence de réaction de la ministre de la culture, rien de surprenant hélas. On moquait le précédent, Riester, qui était (à raison) totalement transparent. Mais Bachelot, qui a pourtant une importante couverture médiatique, a aussi été totalement transparente. Et je ne parle pas de Vidal (même si la BNF est régie par le ministère de la culture), ça se saurait si elle défendait les enseignants-chercheurs.

Dans les conditions actuelles, être provincial et travailler sur les fonds et le catalogue de la Bnf en rez-de-jardin deviendra fort compliqué. En outre, les personnels assurant le vestiaire ont été remplacés par des consignes automatiques.

https://www.liberation.fr/economie/social/a-la-bnf-des-grevistes-prets-a-livrer-bataille-contre-une-reorganisation-suicidaire-20220524_VZNHUPHO2REK3NY2Q6OBUI47SY/

La réorganisation des services de la Bibliothèque nationale de France annoncée par sa direction suscite l’opposition de ses salariés. En grève depuis le 10 mai, l’intersyndicale CGT-FSU-SUD réclame plus de moyens et de meilleures conditions de travail.

Depuis hier, la grève est reconductible (elle a votée jusqu'à lundi non inclus). Vendredi prochain, une opération "bibliothèque morte" (boycott de la bibliothèque par les lecteurs) est prévue.

La directrice de la Bnf, Laurence Engel a publié le 18 mai dernier une tribune dans Libération :
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/ouverte-sept-jours-sur-sept-la-bnf-ne-renonce-a-rien-20220518_QDXQRZWOKZBAVGG6YWKOCWUDFI/

Depuis quelques semaines, la Bibliothèque nationale de France est l’objet d’une campagne de dénigrement aussi outrancière qu’infondée : «dégradation sans précédent du service public», «austérité», «remise en cause des missions essentielles», préférence pour ce qui «scintille», «miettes» laissées aux chercheurs, «déclassement de la France»… Rien de moins !

Devant une telle rhétorique grandiloquente et accusatrice, j’aurais pu me contenter de souscrire à la maxime selon laquelle «Tout ce qui est excessif est insignifiant». Mais je tiens à répondre, au nom de l’institution que je préside et de tous ceux qui la servent, pour rappeler les faits et rétablir certaines vérités. Car de quoi s’agit-il ?

A ce passage

Deuxième fausseté : les moyens de la BNF auraient été amputés ces dernières années. C’est inexact. Les effectifs sont importants (2 300 agents), notre dotation la plus élevée parmi les bibliothèques nationales en Europe (212,3 millions d’euros), et elle a augmenté de 12 millions d’euros depuis 2017. Ce qui est vrai, c’est que les effectifs ont baissé de plus de 10% entre 2009 et 2016. Ma première action a précisément été d’enrayer cette baisse, avec le soutien du ministère de la Culture.

une réponse factuelle peut être apportée :
En consultant le rapport d'activité 2020 de la Bnf (je n'en ai pas trouvé de plus récent), on constate depuis 2016 un effritement des effectifs (2288 agents au 31/12/2020 contre 2340 agents au 31/12/2016, 2147 équivalents temps plein annuel travaillé au 31/12/2020 contre 2186 équivalents temps plein annuel travaillé au 31/12/2016). On constate notamment une baisse des fonctionnaires affectés à la Bnf (1473 au 31/12/2020 contre 1489 au 31/12/2016), laquelle est due à un effondrement des effectifs en catégorie C (586 au 31/12/2020 contre 639 au 31/12/2016). On relève également une hausse du recours aux personnels non-titulaires (643 au 31/12/2020 contre 626 au 31/12/2016) mais une baisse des personnels non-titulaires à temps incomplet (172 au 31/12/2020 contre 225 au 31/12/2016). La lecture du rapport d'activité 2021 de la Bnf permettra d'infirmer ou de confirmer ces comparaisons. Sources :
https://multimedia-ext.bnf.fr/pdf/rapport_2020_bnf_chiffres_ressources.pdf#page=1
https://multimedia-ext.bnf.fr/pdf/rapport_2016.pdf (p.177)
Pour le dire autrement, le manque de magasiniers (catégorie C) contribue à expliquer la réduction des services aux chercheurs.

https://actualitte.com/article/106170/bibliotheque/apres-une-entrevue-avec-la-presidente-de-la-bnf-la-greve-est-reconduite

Le jeudi 19 mai, les représentants syndicaux et des usagers mobilisés ont pu présenter la motion votée en Assemblée générale (AG) à la présidente de la Bibliothèque nationale de France (BnF), Laurence Engel. L’intersyndicale avait exigé notamment le retrait immédiat de la réforme, dont la réduction des délais de communication des documents sur le site Tolbiac, l’organisation rapide d’un recrutement direct conséquent pour permettre d’assurer les missions essentielles au public, ou encore l’abandon immédiat du recrutement des contractuels précaires à temps incomplet sur besoins permanents.

La bataille de la communication

L’entretien fut « tellement infructueux que l'assemblée a décidé de faire une grève reconductible toute la semaine », explique à ActuaLitté, Ioannis Michalopoulos de la CGT BnF, sur place depuis 8h30 ce matin. Pour Francisco Roa Bastos, co fondateur de l’Association des Lecteurs et Usagers de la BnF (ALUBnf) en 2013, et représentant des lecteurs de la structure entre 2013 et 2016, « la direction reconnaît au moins désormais que sa réforme n’a qu’une justification budgétaire, alors qu’auparavant, elle évoquait des changements qui devaient répondre aux nouvelles pratiques des chercheurs, ce qui n’a jamais tenu la route. »

Outre la reconduction de la grève, l'intersyndicale a lancé, pour cette journée du 24 mai, une opération de blocage de caisse pour rendre l’accès à la Bnf gratuite. Afin de soutenir les grévistes, une cagnotte de solidarité à également été partagée en ligne, avec 500 € récoltés pour le moment.

Malgré le silence assourdissant des médias nationaux, le conflit se poursuit à la Bnf entre une direction obtuse qui oppose une fin de non-recevoir et les agents en grève, soutenus par les lecteurs qui ont mené cette semaine plusieurs actions en soutien à ce mouvement de lutte contre une dégradation du service public en bibliothèque, emblème du délitement du secteur public dans son ensemble. Une caisse de grève a été mise en place pour soutenir ce qui s'annonce comme un mouvement de longue haleine : https://www.lepotcommun.fr/pot/7qpwgjpn?fbclid=IwAR1WPZWGrgtHNt6bsnXvX1BgQMcdCksxB3ZeIGFX5mtKTMarDW5g1IN17HU

La semaine a également été le théâtre d'une grève du corps diplomatique et la semaine prochaine connaîtra une grève des fonctionnaires stagiaires de l'INSP ex-ENA.

Quand je pense à ce que c'était, il y a plus de 25 ans certes, quand j'y allais… Tout cela est purement et simplement lamentable, au sens le plus fort du terme.

La grève perlée des personnels de la Bnf et l'action de l'association des lecteurs de la Bnf se poursuivent. Elles ont aujourd'hui le soutien de l'historienne Arlette Farge et ont été évoquées dans le journal de 18 h sur France Culture (time code à 16.51)
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/journal-de-18h/journal-de-18h00-aurelie-kieffer-du-mercredi-15-juin-2022-9242890

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/01/la-bibliotheque-nationale-de-france-est-plus-le-revelateur-d-un-probleme-que-le-probleme_6132813_3232.html

On se demande comment une des bibliothèques les plus prestigieuses du monde avec celles de Londres et de Washington, dotée comme aucune autre, affichant deux bâtiments parisiens imposants (à Richelieu depuis le XVIIIe siècle et à Tolbiac depuis 1996), n’est pas fichue de fournir de 9 heures à 18 heures les livres qu’on lui demande – comme si un boulanger vendait du pain à mi-temps.

Réponse simple : par manque d’argent. Cela peut surprendre, mais la présidente de la bibliothèque, Laurence Engel, n’est pas la seule à le dire. Dès l’automne 2021, le Sénat constate que la situation budgétaire de la BNF est si tendue qu’elle devra peut-être réduire ses horaires. Surtout, dans une note du 28 juin, le conseil scientifique de la BNF, présidé par l’historien Pascal Ory, ne conteste pas le nouveau système de réservation. Il souhaite juste l’assouplir, par exemple qu’un chercheur qui n’a pas réservé puisse obtenir un document dès midi et non 13 heures. Il ajoute surtout que si l’Etat n’augmente pas sa subvention, ce sera impossible. L’Etat a répondu oui, le 30 juin, en promettant 20 postes supplémentaires à la BNF.

La Bnf vient de publier sur son site son rapport d'activité de l'année 2021 :
https://www.bnf.fr/fr/actualites/publication-du-rapport-dactivite-2021-de-la-bnf

On consultera avec intérêt l'évolution des effectifs de la Bnf entre 2018 et 2021 :
https://multimedia-ext.bnf.fr/pdf/rapport_2021_bnf_chiffres_ressources.pdf#page=2

D'après mes informations, la BNF aurait obtenu la nomination de 20 agents de catégorie C, mais ça ne compense pas la perte d'un tiers des effectifs de magasiniers ces dernières années. Le massacre du service public est décidément partout…

C'est très inquiétant effectivement.
Il y a des coupes budgétaires que l'on sent dans notre chair, et d'autres qui se font dans l'ombre.
Jusqu'au jour où l'on s'apercevra que des ressources qui nous appartiennent à tous ne sont plus accessibles.