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Ananké
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Sentiment de déclassement  Empty Sentiment de déclassement

par Ananké Jeu 8 Juil 2021 - 21:35
Bonjour à toutes et tous,

Après cette année folle j'ai enfin un peu de temps pour moi, pour penser, trainailler sur le net. J'ai alors eu l'occasion de retrouver sur les réseaux sociaux des anciens camarades de classe, notamment du collège. Je trouve super intéressant de voir ce qu'ils sont devenus personnellement (famille, choix de région/pays pour vivre etc) mais aussi leurs carrières professionnelles. Leurs parcours sont très divers : acheteurs en entreprise, juristes, orthophoniste, chef de projet dans des grandes entreprises de BTP (ingénieur en l'occurrence), médecin généraliste. Bref, de belles carrières. Et là, je me suis surprise à avoir un sentiment assez pénible qui est remonté : j'ai l'impression que ma profession d'enseignante, à côté de leurs professions, faisait peine à voir. Et là, j'essaie de faire la part des choses : je sais qu'objectivement enseignant c'est un beau métier, fondamental selon moi mais c'est comme si, à cause de ce qu'on nous demande de faire réellement au quotidien, connaissant la réalité du métier, j'ai honte de faire ce que je fais. Jamais je n'aurais pensé ressentir cela un jour. Je me dis que si on se retrouvait pour un repas je me sentirais tellement mal de dire ce que je fais... Je sais que dans les autres métiers aussi il y a la façade et la réalité, je sais aussi le luxe pas possible que j'ai de pouvoir lire de la philosophie, de choisir les textes que je fais étudier aux élèves, d'apprendre encore et toujours ; mais le niveau des élèves étant ce qu'il est, ce qu'on est amenés à faire concrètement (cette dernière session du bac notamment)et, en plus, il faut le dire, du salaire que j'ai, je me sens en réalité plus à l'aise avec des gens qui font des métiers dits "alimentaires" qu'avec des métiers à "haute responsabilité". Par ailleurs, je déteste ces classifications de métiers comme si faire le ménage était moins utile que diriger je ne sais quoi, mais/et j'ai l'impression de partager le sentiment de relégation des personnes qui font ces métiers mal payés et mal reconnus. A tel point que je commence à me demander si je ne devrais pas revoir ma "carrière".

Avez-vous déjà ressenti cela et comment avez-vous fait pour le gérer ?

Merci
A Tuin
A Tuin
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par A Tuin Jeu 8 Juil 2021 - 21:52
Ne pas avoir besoin de se définir par son métier, ou une carrière....

Tu sais, un orthophoniste ne gagné pas des 100 et des mille non plus...
Tangleding
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Grand Maître

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par Tangleding Jeu 8 Juil 2021 - 22:16
Salut,
Personnellement je ne ressens pas cela, du moins pas en ces termes. Ca fait *ch*** d'être aussi mal payé, clairement (raison pour laquelle je retente l'agreg).

Donc sur le plan de la rémunération, d'autant que j'ai fait mes 15 premières années de carrière à l'ancienneté, si je n'étais pas militant et notamment pour notre revalorisation salariale, je pense que j'aurais quitté le navire d'écoeurement, mais sur ce plan je lutte au sein d'un collectif pour nos rémunérations à toutes, pas la mienne propre, ce qui me rend ma situation individuelle supportable.

Pour le reste intellectuellement, je ne me sens pas du tout relégué, même en enseignant en collège et donc ma discipline (lettres) au niveau collège. La raison en est que nous avons toute liberté pour concevoir nos cours, et il ne tient qu'à nous d'essayer de tirer les élèves vers le haut. Les exigences strictement scolaires à mon sens sont assez basses si on les prend a minima (comme en harmonisation de jury d'examen).

Mais si on sort un peu du strict cadre institutionnel, notre enseignement peut se déployer presque à l'infini. Les élèves font preuve d'une curiosité et d'un appétit intellectuels qui m'enchantent. Je ne passe pas mon temps à les noter, et en fait, si les adultes (parents et enseignants) n'étaient pas obsédés par les notes, ils continueraient d'étudier pour peu que je parvienne à leur donner le goût des textes, le goût de l'analyse.

Quand je croise d'anciens élèves, ils me disent toujours qu'ils appréciaient l'enthousiasme pour la littérature qui baignait mes cours, même quand j'ai eu l'impression de ne pas parvenir à le partager autant que je l'aurais souhaité. Ce qui veut dire que d'une certaine façon cet enthousiasme était davantage partagé que je ne le pensais (car sinon pourquoi m'en créditeraient-ils a posteriori ?)

Il y a toujours un défi intellectuel à essayer de rendre sensible l'intérêt de textes a priori difficiles, initialement à distance des élèves (mais de nous aussi). Ce qui sauve le métier c'est tout ce que l'institution n'évalue pas vraiment, le fait de faire changer le regard des élèves sur la discipline. Recevoir des courriels de parents qui te remercient pour ce que tu apportes à leur enfant (et je ne parle pas de notes). Ou quand une mère d'élève a la gentillesse de te dire qu'elle a eu plaisir à discuter des textes étudiés avec sa fille/son fils. Franchement quel métier donne ça ?

Bien sûr il y a les élèves qui semblent traverser le collège sans rencontrer nos disciplines. J'ai le sentiment comme tout le monde de ne rien leur avoir apporté. Sur le plan des résultats tels que l'institution les évalue, c'est incontestable, un échec total, collectif et à vrai dire non empêché par les politiques (au contraire). Est-ce que ça me désole, m'accable ? Oui.

La question du coup, c'est comment on supporte ça ? Peut-être parce que :
- nous savons bien que nous ne sommes pas responsables de ce désastre que nous essayons de résorber avec une petite cuiller
- nous espérons que d'une façon confuse et mystérieuse quelque chose de ce que nous voulons leur apporter leur parviendra même si ce n'est pas décelable par l'évaluation purement institutionnelle à laquelle nous participons nous aussi.

Quoi qu'il en soit, je n'envie pas spécialement les carrières des camarades de ma génération. En fait si on laisse de côté l'aspect financier et disons l'image du métier dans l'opinion publique, ma carrière est assez proche de celle et ceux avec qui j'aime causer métier quel que soit leur domaine d'exercice, au sens où je travaille dans un domaine qui me passionne. Je pourrais bosser avec autant de plaisir dans d'autres domaines (très différents) qui me passionnent si j'en avais les moyens techniques, mais je ne les ai pas et je me contente de m'y intéresser en "amateur".

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par nauje Jeu 8 Juil 2021 - 22:34
Bonsoir
J'aime beaucoup ta réponse Tangleding !Wink
Tangleding a écrit:Ca fait *ch*** d'être aussi mal payé, clairement (raison pour laquelle je retente l'agreg). .
il y a là -aussi- la raison aussi pour laquelle je repars pour l'agreg en travaillant à temps "plus que plein"...parce que je ne peux pas me permettre financièrement un congé...vu ce que nous sommes payés à 85%!

Mes deux parents ont fait du commerce : boulots prenants, parents absents, bons salaires mais pas de soutien de la direction et au moindre problème : dehors au revoir et merci !
J'ai donc fait le choix de la sécurité de l'emploi et du métier qui a du sens pensant que j'aurais aussi de la liberté : au final on en a peu, nous faisons beaucoup d'heures mais je me dis que la littérature me nourrit et que personne ne me volera ce que je construis intérieurement et ce que je donne à mes enfants qui lisent beaucoup.
Je n'ai pas besoin de partir en vacances autour du monde, un coin de campagne me suffira dès que j'aurais quitté ma grande ville ...alors financièrement ça va.
Je vais au théâtre -souvent gratuitement -au jeu de mon option et de mes relations, les livres sont offerts par la bibliothèque où j'emprunte beaucoup, j'aime cuisiner alors je ne dépense pas mon salaire en plats tout faits ...
Je ne suis pas trop rongée par le stress et je n'ai pas fait explosé ma famille par un divorce -comme mes parents - ou beaucoup de couples d'amis autour de nous...trop pris par leurs boulots ou regardant par dessus l'épaule de l'autre ce qui brille, est plus jeune ou mieux loti...
Il ne faut pas regarder la situation de chacun aujourd'hui : il faudra faire les comptes plus tard à la fin et mesurer le bonheur, la richesse intérieure, l'état physique aussi. C'est super en façade la grande entreprise mais ça vous use un homme Sentiment de déclassement  1482308650
et puis il y a ce que les copains disent, et ce qu'ils vivent vraiment.
bonne soirée
Baldred
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par Baldred Jeu 8 Juil 2021 - 23:20
Bonsoir,
Tout pareil que @tangleding
J'ai eu il y a quelques années le genre de diner dont parle @Ananké, le tour de table est vite devenu déprimant, chacun donnant le nombre de personnes sous sa responsabilité. Quand les regards se sont tournés vers moi, le dernier, j'ai dit : "une bonne centaine"... silence, regards respectueux, moue d'approbation. Triomphe de courte durée vous vous en doutez.
Le titre du fil est révélateur : sentiment de déclassement.
C'est intéressant ce que disent @Tangleding et @nauje sur l'agrégation, et l'aspect financier. Mais je pense que la rémunération symbolique est encore plus importante : être agrégé c'est être un objet social identifié. C'est comme le prince noir : dans un diner personne ne vient faire ch**** un agrégé.
Pour être déclassés, il faudrait avoir été classé. Sur ce fil comme IRL, les profs inscrivent souvent leur trajectoire dans celle de leurs parents, et c'est souvent ceux dont les stratégies familiales sont des conquêtes sociales qui se sentent le plus déclassé, comme spoliés de ce que ce métier aurait dû leur apporter " socialement", et il y a là une immense déception, ce sont souvent aussi ceux qui ont eu " la vocation". Ce n'est évidemment pas une loi sociologique, et d'autres professions éprouvent le même sentiment.
Si philosopher c'est apprendre à être prof, je pensais naïvement que les profs de philo étaient mieux armés pour gérer toutes les tensions et frustrations, mais peut-être y sont-ils aussi les plus exposés ?
Aucune honte. Mes élèves me surprennent encore.
Et changer de carrière n'est pas un échec, ça arrive à plein de gens.
pseudo-intello
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par pseudo-intello Jeu 8 Juil 2021 - 23:21
On EST déclassés, c'est un fait.

Après, effectivement, on n'a pas des horaires de cadres, on reste plus ou moins libres de travailler à la hauteur du montant de notre traitement, on passe pus de temps avec nos familles, et c'est précisément pour cela que je n'ai pas, jusque là, quitté le navire.

Si à l'avenir, les avantages qui nous restent continuent à être rabotés (ils le sont graduellement depuis que j'exerce ce métier), au revoir l'Educ Nat.

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par Tangleding Jeu 8 Juil 2021 - 23:36
@nauje : alatienne

@baldred : oui c'est vrai pour l'agrégation, à ceci près que c'est plutôt quelque chose que j'ai à me prouver personnellement, mais vraiment sur un plan strictement scolaire. Et puis j'ai vu des collègues au comportement minable l'obtenir (certes pas dans ma discipline), des collègues que je tiens en piètre estime, donc ça m'ennuierait d'être incapable d'obtenir ce bout de papier pour ma part. Et puis sans doute que ça me tente bien de donner une forme "institutionnelle" à mon sentiment de supériorité inavoué ah ah... Ou alors j'estime l'avoir ratée suffisamment de fois pour pouvoir l'obtenir sans que ça remette en cause mon statut de raté, ah ah. Ou les deux.

Pour le reste, je suis fils de profs, je n'ai jamais considéré ce métier donc comme une revanche sociale, effectivement j'ai peu de risque de me sentir floué comme tu le dis bien.

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par Baldred Ven 9 Juil 2021 - 0:01
Tangleding a écrit:

@baldred : oui c'est vrai pour l'agrégation, à ceci près que c'est plutôt quelque chose que j'ai à me prouver personnellement, mais vraiment sur un plan strictement scolaire. Et puis j'ai vu des collègues au comportement minable l'obtenir (certes pas dans ma discipline), des collègues que je tiens en piètre estime, donc ça m'ennuierait d'être incapable d'obtenir ce bout de papier pour ma part. Et puis sans doute que ça me tente bien de donner une forme "institutionnelle" à mon sentiment de supériorité inavoué ah ah... Ou alors j'estime l'avoir ratée suffisamment de fois pour pouvoir l'obtenir sans que ça remette en cause mon statut de raté, ah ah. Ou les deux.

Ainsi soit-il @tangleding, les deux raisons sont excellentes et devraient t'ouvrir les portes de l'agrégation. aai
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par angelxxx Ven 9 Juil 2021 - 0:05
Baldred a écrit:.
C'est intéressant ce que disent @Tangleding et @nauje sur l'agrégation, et l'aspect financier. Mais je pense que la rémunération symbolique est encore plus importante : être agrégé c'est être un objet social identifié. C'est comme le prince noir : dans un diner personne ne vient faire ch**** un agrégé.

Personnellement, c'est uniquement pour l'argent et le challenge. D'ailleurs dans mon entourage, personne ne sait ce qu'est l'agrégation....

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"La lumière pense voyager plus vite que quoi que ce soit d'autre, mais c'est faux. Peu importe à quelle vitesse voyage la lumière, l'obscurité arrive toujours la première, et elle l'attend. Terry Pratchett."
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par Baldred Ven 9 Juil 2021 - 0:27
angelxxx a écrit:
Baldred a écrit:.
C'est intéressant ce que disent @Tangleding et @nauje sur l'agrégation, et l'aspect financier. Mais je pense que la rémunération symbolique est encore plus importante : être agrégé c'est être un objet social identifié. C'est comme le prince noir : dans un diner personne ne vient faire ch**** un agrégé.

Personnellement, c'est uniquement pour l'argent et le challenge. D'ailleurs dans mon entourage, personne ne sait ce qu'est l'agrégation....

Bonsoir @angelxxx, je comprends.  Tu découvriras néanmoins sa dimension symbolique quand tu auras gagné ton challenge et fait tes calculs. D'abord à tes propres yeux.
Prezbo
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par Prezbo Ven 9 Juil 2021 - 0:37
Ananké a écrit:Bonjour à toutes et tous,

Après cette année folle j'ai enfin un peu de temps pour moi, pour penser, trainailler sur le net. J'ai alors eu l'occasion de retrouver sur les réseaux sociaux des anciens camarades de classe, notamment du collège. Je trouve super intéressant de voir ce qu'ils sont devenus personnellement (famille, choix de région/pays pour vivre etc) mais aussi leurs carrières professionnelles. Leurs parcours sont très divers : acheteurs en entreprise, juristes, orthophoniste, chef de projet dans des grandes entreprises de BTP (ingénieur en l'occurrence), médecin généraliste. Bref, de belles carrières.

Le déclassement des enseignants est réel, mais on peut tout de même relativiser en faisant remarquer que l'échantillon décrit ici est probablement sociologiquement très biaisé, non ?
Baldred
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par Baldred Ven 9 Juil 2021 - 0:57
Prezbo a écrit:
Le déclassement des enseignants est réel, mais on peut tout de même relativiser en faisant remarquer que l'échantillon décrit ici est probablement sociologiquement très biaisé, non ?

Bonsoir,
En effet, mais @Ananké pourrait dire qu'il y a peut-être eu une époque ou un prof pouvait prétendre y figurer sans complexe.
Il me semble que 2 choses se mélangent : le déclassement financier quantifiable et vérifiable , et le sentiment de déclassement qui est vécu très différemment selon les individus. Elle parle d'un sentiment de honte, elle n'est pas la seule, mais d'autres profs, pas moins scandalisés de leur salaire, ne l'éprouvent pas. C'est ce point que je trouve intéressant.
Matteo
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par Matteo Ven 9 Juil 2021 - 6:51
Sur le plan financier c'est bien sûr différent mais au niveau du "prestige" et du "classement", je considère que les emplois cités c'est quand même moins bien que prof de philo. C'est encore pire si on vient en effet sur la question de l'agrégation, un agrégé de philo c'est quelque chose quand même.
Ananké
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par Ananké Ven 9 Juil 2021 - 7:12
Merci pour vos retours.

La "carrière" n'est pas une fin en soi, j'en suis bien consciente. D'ailleurs le terme même est assez problématique. Il n'empêche que le travail-passion a bon dos et que même si comme beaucoup d'entre nous je fais ce métier pour les grâces intellectuelles que l'on peut vivre avec les élèves, pour cette relation d'apprentissage qui est vraiment belle, il se trouve que cela ne peut pas nous être redit à chaque fois que l'on souhaite avoir de meilleures conditions de travail/de rémunération/de reconnaissance. Il me semble d'ailleurs que plus on est déclassés moins il est possible de créer ces moments réels d'apprentissage et c'est cela qui me pèse : en étant professeure en terminale, classe à examen, j'ai l'impression parfois d'entériner des échecs scolaires plutôt que pouvoir vraiment donner le goût du questionnement à mes élèves. Et cela est dû au fait que j'ai des élèves avec un niveau CM1, sans rire, qui ne lisent pas un texte mais le déchiffrent, ne comprennent pas des mots basiques etc. Il n'y a rien de mal en soi à rappeler la distinction sa/ça, mais quand même en terminale ... Et c'est en cela que ça me pèse : ce dont parle Tangledin (beau message, merci), je ne peux le faire qu'à la marge. Je pense d'ailleurs que tout le monde en est plus moins conscient, collègues et personnes extérieures, car c'est sur ce point précis que prend corps ce déclassement : si on faisait un travail de qualité alors on pourrait prétendre à de meilleurs salaires, or le fait est qu'avec 35 élèves par classe et 5 classes de service, ce que je fais ressemble à de l'abattage industriel (car il faut des notes, des notes, toujours des notes) plutôt qu'un réel enseignement. Et c'est d'ailleurs cela qui me fait ressentir ce sentiment de honte : j'ai l'impression que les discussions que mes anciens camarades peuvent avoir, très éloignées des questions salariales, très axées sur des questions finalement intellectuelles (question de qualité de la terre pour une réutilisation par l'ingénieure par exemple) ne sont possibles que parce que précisément ils ne sont pas pris dans les questions "bassement matérielles" qui sont les nôtres.

Je me suis pas mal engagée ces 3 dernières années et c'est vrai que collectivement c'est plus facile à supporter car on est dans un mouvement positif. Il se trouve quand même que cela m'a épuisée et que le seul truc que j'ai trouvé pour essayer de "survivre" moralement ça a été le déni, la mise à distance de toute cette absurdité en me plongeant dans la préparation des cours et de l'agrégation d'ailleurs, pour les mêmes raisons invoquées ici. Je sais que ce n'est pas une solution mais quand en plus le conjoint n'est pas de la maison (heureusement) n'en peut plus lui-même plus des discours que je tiens à la maison, du fait que je travaille tout le temps, que même mes samedi passent à organiser mobilisations et manifs, ça devient carrément difficile de prendre cette voie là. Et c'est là que je comprends d'où vient la faiblesse du corps enseignant : du fait que pour se préserver il n'y a pas une infinité d'options, soit on se radicalise, soit on laisse tout glisser sur nous, même ce qui devrait nous révolter. Je suis passée d'un extrême à l'autre en l'espace d'un an.

Pour ce qui est de la comparaison biaisée car l'échantillon ne prend en compte "que" des métiers CSP+, je trouve justement que c'est cela qui est intéressant : ce sont les métiers de camarades avec qui j'étais en 4e, dans le même collège public de banlieue parisienne. Et en faisant la comparaison il y a qqch de profondément gênant de voir que c'est comme si j'avais fait le choix le moins légitime, le moins judicieux. Je ne nie pas que dans ces métiers il doit y avoir des impératifs absurdes et des rythmes de travail abusifs (pour ce qui est de notre quantité de travail il faudrait quand même faire le point : avoir la liberté de corriger jsuqu'à 22h ou très tôt le matin avant de partir donner cours c'est quand même très délétère pour la vie personnelle aussi). Ce que je constate simplement c'est effectivement ce sentiment de honte et d'illégitimité que j'ai ressenti très fort. Et qu'on nous demande de nous replacer dans une échelle plus globale de la société, soit, mais on ne demande pas à un juriste, un ingénieur ou un médecin de relativiser sa situation. On le demande aux professeurs ...

Et c'est vrai qu'il s'agit d'un sentiment de déclassement plutôt que d'un déclassement réel dans mon cas puisque je viens effectivement d'un famille de classe moyenne inférieure et que si je compare mon niveau de vie à mon âge à celui de mes parents au même âge, il y a eu une mini ascension sociale. Mais ce que vous dîtes est très vrai : je ne m'attendais à rien en entrant dans le métier car c'est par pur amour de la philo que j'ai été conduite par les aléas des études à passer les concours mais c'est en y réfléchissant ces dernières années, en me renseignant que je comprends qu'il y a 20, 30 ans je n'aurais jamais commencé à 1,2x le smic et que j'ai l'impression qu'on m'a retiré qqch de ma vie professionnelle. Et même s'il ne s'agit pour l'instant que d'un sentiment qui émerge que dans des situations très particulières où il y a comparaison sociale consacrée (retrouvaille d'anciens camarades) cela m'interroge pour le futur : autant actuellement je n'ai aucun souci financier mais parce que nous sommes en couple donc 2 salaires et que nous n'avons pas d'enfant ce qui fait que je peux faire pas mal d'heures sup et d'à-côté. Mais si on se séparait ? Si on a des enfants ? Là ce ne serait plus seulement un sentiment mais une précarité réelle : en banlieue parisienne avec 1800 euros par mois on peut à peine vivre dans un studio !

Bref, merci pour vos retours. Et non les professeurs de philosophie ne sont pas moins exposés à ces sentiments qui sont, je trouve, provoqués par des phénomènes complexes. En mettant des mots sur tout cela il est possible de mieux comprendre, ce que j'essaie de faire ici où l'anonymat permet vraiment de se mettre un peu plus à nu et essayer de vraiment comprendre.
A Tuin
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par A Tuin Ven 9 Juil 2021 - 9:11
Matteo a écrit:Sur le plan financier c'est bien sûr différent mais au niveau du "prestige" et du "classement", je considère que les emplois cités c'est quand même moins bien que prof de philo. C'est encore pire si on vient en effet sur la question de l'agrégation, un agrégé de philo c'est quelque chose quand même.

Sentiment de déclassement  437980826 Sentiment de déclassement  437980826 Comme quoi c'est bien subjectif. Pof de philo. J'imagine un rat de bibliothèque qui ne voit jamais la lumière:P
Cela ne me met pas des paillettes dans les yeux (les autres métiers non plus du reste, vous me direz).

Cette notion de prestige ne me parle pas !
Je trouve cela un peu abscons. Il faut avoir à l'esprit que cela passe au-dessus de beaucoup de monde en fait, peut-être qu'il convient d'élargir le point de vue, si on souffre de cette impression de manque de prestige.

Je pense que par l'éducation que nous recevons, on est peut-être plus sensibles à cet élément quand on construit sa vie et qu'on est jeune, parce qu'on se place davantage dans l'idée de réussite sociale et qu'on a des choses à se prouver.

Mais franchement passé 40 ans ce qu'on regarde surtout c'est si la personne en face est intéressante pour discuter et passer du temps avec, et si soi, avec son propre métier, on gagne assez par rapport aux besoins financiers qu'on a, ou le type de salaire qu'on espérait à ce genre d'âge.
Matteo
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par Matteo Ven 9 Juil 2021 - 9:49
Étant moi même un rat de bibliothèque qui ne voit jamais la lumière, me voilà prédisposé à reconnaître les miens : )

Je suis d'accord que dans l'absolu ça n'a pas de valeur mais bon, c'est un divertissement comme un autre. Sinon on fait un vrai calcul d'utilité et le plus rentable pour le ratio effort/plaisir c'est RSA en Ardèche, je ne pense pas être assez courageux pour ça.
A Tuin
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par A Tuin Ven 9 Juil 2021 - 10:00
Ananké a écrit: Mais ce que vous dîtes est très vrai : je ne m'attendais à rien en entrant dans le métier car c'est par pur amour de la philo que j'ai été conduite par les aléas des études à passer les concours mais c'est en y réfléchissant ces dernières années, en me renseignant que je comprends qu'il y a 20, 30 ans je n'aurais jamais commencé à 1,2x le smic et que j'ai l'impression qu'on m'a retiré qqch de ma vie professionnelle. Et même s'il ne s'agit pour l'instant que d'un sentiment qui émerge que dans des situations très particulières où il y a comparaison sociale consacrée (retrouvaille d'anciens camarades) cela m'interroge pour le futur : autant actuellement je n'ai aucun souci financier mais parce que nous sommes en couple donc 2 salaires et que nous n'avons pas d'enfant ce qui fait que je peux faire pas mal d'heures sup et d'à-côté. Mais si on se séparait ? Si on a des enfants ? Là ce ne serait plus seulement un sentiment mais une précarité réelle : en banlieue parisienne avec 1800 euros par mois on peut à peine vivre dans un studio !

Ah ben oui, surement. Comme beaucoup de monde !
Les gens se séparent en croyant ensuite se ménager du temps pour eux, profiter, faire des sorties, etc.
Or, à la place il faut se serrer la ceinture pour se loger, s'ennuyer quand il y a des vices ou des problèmes dans la maison, raquer si on a des enfants, et à la fin constater qu'on a pas un rond pour aller se promener. Et ajouter aussi un choc, une blessure de vie, un truc pénible à réparer et à surmonter.
C'est une question de choix après ! C'est pour cela que je dis qu'au lieu de se focaliser quand on est jeune sur une pseudo réussite sociale ou un pseudo prestige, il vaut mieux se poser la question de ce qu'on veut vraiment, ou aimerait avoir.
Si on ne se sent pas heureux à vivre indépendamment, il vaut mieux trouver quelqu'un avec qui passer du temps pour construire des souvenirs communs à se rappeler. Si on se sent indépendant, c'est moins pénible et on peut trouver à profiter très agréablement du quotidien malgré tout.
En fait tous ces questionnements je me les suis posés en arrivant à 40 ans, parce que je pense qu'à ces âges là on cherche du sens et à faire un peu le bilan. J'en suis arrivée à ces observations en guise de résultat.

Au final comme disait quelqu'un précédemment, c'est à la fin ou disons avec assez d'années de recul, qu'on peut faire le point réel. Qu'en est-il de tes copains juristes, médecins, etc ? Ils sont tous en couples avec une vie parfaite ? Qu'en est-il de leur quotidien ? C'est tellement relatif tu sais.

Ils passent leur journée dans la ville et les transports, ou dans le travail ? Ont-ils ne temps de profiter et d'être tranquilles ?
Le tout n'est pas d'aller faire 3 semaines de vacances à Pétaouchnok pour faire genre regardez mes belles vacances, l'argent est si peu. Il n'y a pas forcément besoin de tant de dépenses pour décompresser. Il y en a qui décompressent aussi bien à aller 5 jours changer d'air, ou à gratter leur jardin, ou à s'asseoir dans la chaise longue sous leur arbre pour flâner au gré des lectures. Encore faut-il pour cela avoir du Temps.

Si on part par là, mon mari a un métier que tu classerais dans les machins prestigieux que tu évoques. Pour autant il se fait suer tous les jours avec des activités de son travail qui me paraitraient complètement vides de sens, et rentre à pas d'heure, et ne profite de rien. J'ai beau lui dire qu'il ferait mieux d'avoir la paix et se passer du temps avec sa famille, qu'à la fin il finira au même endroit que tout le monde, il ne comprend pas et se fâche en me disant que je suis bête. Je n'en voudrais pas de son métier ! Parfois je lui dis de passer le concours de prof, qu'il se ferait moins suer. Et accessoirement on aurait moins d'impôts à payer. C'est son choix après tout, on verra bien...En attendant voilà, je vis un peu pour moi finalement, pense avoir un quotidien plus cool et cela me va très bien somme toute. On peut être très bien au quotidien à être tranquille, il n'y a pas forcément besoin de s'imposer de lutter, forcer, faire du challenge. Parfois cela peut être un besoin ou un plaisir selon les cas, mais si ce n'est pas le cas autant s'éviter cela si on peut.


Pourquoi crois-tu qu'il y a autant de gens qui se reconvertissent dans l'enseignement.
Et si on a disons une certaine force de travail dans l'enseignement, on arrive à tirer des élèves vers le haut et ressortir un peu du lot, c'est agréable. Or aspects financiers bien sûr.


Dernière édition par A Tuin le Ven 9 Juil 2021 - 10:08, édité 3 fois
Dadoo33
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par Dadoo33 Ven 9 Juil 2021 - 10:03
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Sentiment de déclassement  Empty Re: Sentiment de déclassement

par HORA Ven 9 Juil 2021 - 10:17
Le déclassement salarial et social des enseignants existe, ce n'est pas qu'un ressenti, et c'est une pièce d'un ensemble plus large, celui de la destruction du service public d'instruction et d'éducation. Blanquer est brutal mais ce n'est que le dernier représentant d'une détermination politique à discréditer les services publics pour en filer la partie rentable au privé. La crise sanitaire a prouvé par a+b que l'institution Ecole est avant tout une garderie, le bac est devenu une blague, le niveau des élèves chute sans cesse, les chiffres sont dignes de l'ex-URSS, et forcément, nécessairement, les traitements réservés aux agents reflètent cette situation. Mais ce qui est encore plus triste, c'est que nos anciennes pudeurs à revendiquer de l'argent pour les profs auront très grandement facilité la tâche de nos dirigeants.
Baldred
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par Baldred Ven 9 Juil 2021 - 10:42
Matteo a écrit: Sinon on fait un vrai calcul d'utilité et le plus rentable pour le ratio effort/plaisir c'est RSA en Ardèche, je ne pense pas être assez courageux pour ça.

Sentiment de déclassement  3284587592

Connaitre ses limites c'est le vrai courage !
Crise de la quarantaine, crise de sens, crise de foi, crise sociale, crise de l'EN, crise du logement, crise sanitaire, crise politique....
Je pars en Ardèche la semaine prochaine, je te dirai si l'herbe y est plus verte...
Maintenant, vous ne le saviez pas en passant le Capes que le bateau coulait ? Qu'être profs en REP était un boulot d'éboueur de héros ? Que ça eut payé mais que ça paye plus ? Quels élèves étiez-vous pour ne pas voir que l'école fonctionnait sur le gâchis maximum des élèves ? Que le regard social est sans pitié ? Que la sélection sélectionne (et pas toujours les "meilleurs")? Que l'apparence des choses suffit ?
pseudo-intello
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par pseudo-intello Ven 9 Juil 2021 - 10:54
A Tuin a écrit:Ils passent leur journée dans la ville et les transports, ou dans le travail ? Ont-ils ne temps de profiter et d'être tranquilles ?
Le tout n'est pas d'aller faire 3 semaines de vacances à Pétaouchnok pour faire genre regardez mes belles vacances, l'argent est si peu. Il n'y a pas forcément besoin de tant de dépenses pour décompresser. Il y en a qui décompressent aussi bien à aller 5 jours changer d'air, ou à gratter leur jardin, ou à s'asseoir dans la chaise longue sous leur arbre pour flâner au gré des lectures. Encore faut-il pour cela avoir du Temps.

Si on part par là, mon mari a un métier que tu classerais dans les machins prestigieux que tu évoques. Pour autant il se fait suer tous les jours avec des activités de son travail qui me paraitraient complètement vides de sens, et rentre à pas d'heure, et ne profite de rien. J'ai beau lui dire qu'il ferait mieux d'avoir la paix et se passer du temps avec sa famille, qu'à la fin il finira au même endroit que tout le monde, il ne comprend pas et se fâche en me disant que je suis bête. Je n'en voudrais pas de son métier ! Parfois je lui dis de passer le concours de prof, qu'il se ferait moins suer. Et accessoirement on aurait moins d'impôts à payer. C'est son choix après tout, on verra bien...En attendant voilà, je vis un peu pour moi finalement, pense avoir un quotidien plus cool et cela me va très bien somme toute. On peut être très bien au quotidien à être tranquille, il n'y a pas forcément besoin de s'imposer de lutter, forcer, faire du challenge. Parfois cela peut être un besoin ou un plaisir selon les cas, mais si ce n'est pas le cas autant s'éviter cela si on peut.
C'est vrai, bien sûr, mais ce temps, encore faut-il l'avoir.
Moi, je ne me plains pas trop, en collège, mais mon ancien tuteur de stage, toujours dans son lycée (et agrégé, donc à 15h plus rentables que nos 18 de certifié), me raconte que plusieurs collègues de lettres de son lycée se sont mises à temps partiel, parce que la charge de travail était telle qu'elles ne s'en sortaient plus.
Un temps partiel, c'est possible dans certains cas (en fonction de la composition familiale, du coût de la vie de notre région, etc), et beaucopu moins dans d'autres.
Ne pas partir en vacances et bouquiner au pied de son arbre, en effet, pourquoi pas (si ça ne dure pas toute la vie, quand même), mais encore faut-il avoir un arbre, et si on ne part pas, un logement assez agréable pour nous plaire. Mais tout le monde n'a pas de jardin, et on se loge beaucoup moins facilement - et beaucoup moins bien - dans certains régions que dans d'autres.

HORA a écrit:Le déclassement salarial et social des enseignants existe, ce n'est pas qu'un ressenti, et c'est une pièce d'un ensemble plus large, celui de la destruction du service public d'instruction et d'éducation. Blanquer est brutal mais ce n'est que le dernier représentant d'une détermination politique à discréditer les services publics pour en filer la partie rentable au privé. La crise sanitaire a prouvé par a+b que l'institution Ecole est avant tout une garderie, le bac est devenu une blague, le niveau des élèves chute sans cesse, les chiffres sont dignes de l'ex-URSS, et forcément, nécessairement, les traitements réservés aux agents reflètent cette situation. Mais ce qui est encore plus triste, c'est que nos anciennes pudeurs à revendiquer de l'argent pour les profs auront très grandement facilité la tâche de nos dirigeants.

Voilà.

On ne peut pas ne pas parler de déclassement quand les entrants à l'époque de ma naissance touchaient 2 ou 2.5 smics et que je ne les touche toujours pas (les deux smics) au bout de 15 ans de boîte.

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par lene75 Ven 9 Juil 2021 - 10:57
Prezbo a écrit:
Ananké a écrit:Bonjour à toutes et tous,

Après cette année folle j'ai enfin un peu de temps pour moi, pour penser, trainailler sur le net. J'ai alors eu l'occasion de retrouver sur les réseaux sociaux des anciens camarades de classe, notamment du collège. Je trouve super intéressant de voir ce qu'ils sont devenus personnellement (famille, choix de région/pays pour vivre etc) mais aussi leurs carrières professionnelles. Leurs parcours sont très divers : acheteurs en entreprise, juristes, orthophoniste, chef de projet dans des grandes entreprises de BTP (ingénieur en l'occurrence), médecin généraliste. Bref, de belles carrières.

Le déclassement des enseignants est réel, mais on peut tout de même relativiser en faisant remarquer que l'échantillon décrit ici est probablement sociologiquement très biaisé, non ?

Il l'est forcément quand on considère le niveau de recrutement. Avec un recrutement à bac+5 et un concours qui reste très sélectif à l'issue, on a toutes les chances d'avoir fait ses études avec des gens qui ont par la suite de beaux parcours professionnels, y compris ceux qui préparaient les concours avec nous et ont échoué.
C'est ce qui risque de changer avec la désaffection pour ce métier. Ça a déjà commencé, d'ailleurs. Il faudra se résoudre à recruter à plus bas niveau, et ce sera la dernière étape du déclassement, puisque la baisse du niveau de recrutement rendra légitime le déclassement.

Le vrai déclassement, c'est justement quand on a des parents profs qu'on le ressent. Les syndicats ont chiffré. C'est je crois quelque chose comme 25% de perte de pouvoir d'achat par rapport à 1980. En étant agrégée, prépa prestigieuse, bac+5 validé + préparation au concours, j'ai des conditions de travail plus difficiles et peu ou prou le même niveau de vie pour un temps de travail effectif bien supérieur, que ma mère PEGC qui a pour tout diplôme du supérieur un bac et à qui ses études n'ont pas coûté un rond puisqu'elle a fait l'École normale d'institutrices. Et j'aurai une retraite bien moins bonne : bien que j'aie également 3 enfants, il ne sera pas question pour moi de partir à 54 ans comme elle, et même si j'arrive à tenir jusqu'à 67 ans, j'aurai encore une bien moins bonne retraite.

Comme pseudo-intello, ce qui fait que je n'envisage pas de partir, c'est d'avoir du temps pour ma famille (la contrepartie étant de travailler le soir quand tout le monde dort). C'est un aspect du métier auquel il vaudrait mieux ne pas trop toucher pour pouvoir avoir encore un peu de monde, or, comme le note pseudo-intello, en lycée, la charge de travail a explosé ces dernières années avec les réformes successives et la transformation du métier.

Edit : je plussoie pseudo-intello, plusieurs arrêts pour burn-out dans mon lycée cette année, en Lettres notamment, mais pas seulement. Dans les discussions de profs de philo que je suis sur les réseaux, la question de demander un temps partiel pour alléger la charge de travail est de plus en plus souvent posée. Et clairement, en IDF avec un salaire de prof, il vaut mieux compter sur le salaire du conjoint pour pouvoir se loger décemment.


Dernière édition par lene75 le Ven 9 Juil 2021 - 11:10, édité 1 fois

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par Invité Ven 9 Juil 2021 - 11:09
Bonjour,
je ressens la même chose que toi @Ananké. Célibataire, en région parisienne, je n'ai pas pu faire d'heure sup cette année et je me suis sentie très précaire. Enfin, les autres années c'est toujours la "course au heures sup", très stressant. Je me sens effectivement plus proche des gens qui ont des emplois "alimentaires" que des cadres.
Dans ma famille on a toujours insisté sur le fait que si on travaillait bien à l'école, on pourrait choisir un bon métier qui me permettrait de bien gagner sa vie plus tard (c'est assez paradoxal quand on y pense..). Du coup j'ai vraiment l'impression d'avoir échouée, de m'être trompée, d'avoir gâchée ma vie.
Ce sentiment de gâchis je le ressens aussi dans ma vie sociale/personnelle oui c'est pas la joie non plus et je me dis qu'au moins si ça allait au travail je n'aurais pas tout raté.
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par Pourquoi 3,14159 Ven 9 Juil 2021 - 13:15
Je ne parlerais pas de sentiment de déclassement mais de déclassement tout court. Que cela soit pécuniairement ou socialement. Dans n'importe quelle société le fait de passer de 50/60 à 95% de ses objectifs serait source d'augmentation de salaire sous forme d'une prime objectifs ou d'intéressement. Et pourtant c'est exactement ce que l'on vit, mais sans pognon. Alors expliquez moi pourquoi beaucoup de collègues participent à cette dégradation... (résigné, j'en fais partie en attendant le retraite qui s'éloigne).

Il y plus de trente ans j'étais plus à l'aise en fin de mois.


Dernière édition par Pourquoi 3,14159 le Ven 9 Juil 2021 - 13:18, édité 1 fois

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par A Tuin Ven 9 Juil 2021 - 13:18
Baldred a écrit:
Matteo a écrit: Sinon on fait un vrai calcul d'utilité et le plus rentable pour le ratio effort/plaisir c'est RSA en Ardèche, je ne pense pas être assez courageux pour ça.

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Connaitre ses limites c'est le vrai courage !
Crise de la quarantaine, crise de sens, crise de foi, crise sociale, crise de l'EN, crise du logement, crise sanitaire, crise politique....
Je pars en Ardèche la semaine prochaine, je te dirai si l'herbe y est plus verte...
Maintenant, vous ne le saviez pas en passant le Capes que le bateau coulait ? Qu'être profs en REP était un boulot d'éboueur de héros ? Que ça eut payé mais que ça paye plus ? Quels élèves étiez-vous pour ne pas voir que l'école fonctionnait sur le gâchis maximum des élèves ? Que le regard social est sans pitié ? Que la sélection sélectionne (et pas toujours les "meilleurs")?  Que l'apparence des choses suffit ?

En fait ça s'est juste dégradé d'une façon absolue, en l'espace de 25 ans. Il y a 25 ans, j'étais alors au collège, dans une petite ville de campagne globalement certes, mais à l'époque le professeur était considéré comme un notable de la ville, au même titre que le médecin truc, le notaire machin et le vétérinaire chose.
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