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- User27372Niveau 7
Les coupes sont mobiles, la césure est fixe et n'existe qu'à partir de l'octosyllabe.
"J'ai disloqué ce grand//niais d'alexandrin" d'où l'audace hugolienne, qui nait de la dissociation syntaxique par rapport à la césure imposée.
"J'ai disloqué ce grand//niais d'alexandrin" d'où l'audace hugolienne, qui nait de la dissociation syntaxique par rapport à la césure imposée.
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
Bah, la coupe n'existe pas. Elle n'a de réalité que syntaxique et rythmique, et non métrique.
La césure, elle, est un élément de la structure métrique, qui est syllabo-accentuelle. Elle sépare deux groupes syllabiques et rythmiques, donc suppose que la syllabe qui la précède est accentuée. Mais la structure métrique n'étant pas la structure syntaxique, elle ne se confond pas avec elle* et dès lors il n'y a aucune raison de déplacer la césure, même dans "Toujours aimer, toujours // souffrir, toujours mourir". (* Ce qui ne signifie pas non plus qu'elle en est totalement indépendante : il faut bien une certaine correspondance dans l'ensemble du texte pour autoriser l'interprète à sentir la césure là où la correspondance disparaît ; il faut un effet d'entraînement).
Après, chercher une quelconque vérité sur le sujet serait bien vain. Ce sont les justifications qui compte, en l’occurrence.
La césure, elle, est un élément de la structure métrique, qui est syllabo-accentuelle. Elle sépare deux groupes syllabiques et rythmiques, donc suppose que la syllabe qui la précède est accentuée. Mais la structure métrique n'étant pas la structure syntaxique, elle ne se confond pas avec elle* et dès lors il n'y a aucune raison de déplacer la césure, même dans "Toujours aimer, toujours // souffrir, toujours mourir". (* Ce qui ne signifie pas non plus qu'elle en est totalement indépendante : il faut bien une certaine correspondance dans l'ensemble du texte pour autoriser l'interprète à sentir la césure là où la correspondance disparaît ; il faut un effet d'entraînement).
Après, chercher une quelconque vérité sur le sujet serait bien vain. Ce sont les justifications qui compte, en l’occurrence.
- sansaraModérateur
Je ne voudrais pas vous contrarier, mais là, vous m'embrouillez plus qu'autre chose, les amis.
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
sansara a écrit:Je ne voudrais pas vous contrarier, mais là, vous m'embrouillez plus qu'autre chose, les amis.
Il y a (en gros*) deux réalités :
- les groupes de mots, qui en prose comme en vers se terminent par une syllabe accentuée : "C'est Vénus tout entière à sa proie attachée", "Robert ! Tu me passes le cubi ?"
Ils se délimitent aussi bien en vers qu'en prose et c'est pour ça que je ne vois pas l'intérêt de parler de coupe.
- la structure métrique, qui est syllabique (nombre de syllabes) et accentuelle. Accentuelle parce qu'elle ajoute aux groupes de mots ses propres groupes, les hémistiches, qui se terminent aussi par une syllabe accentuée.
1 2 3 4 5 6 // 7 8 9 10 11 12 (par exemple)
La structure métrique étant une réalité à part, elle n'a pas de raison de se confondre parfaitement avec les groupes de mots. Comme dans l'exemple donné un peu plus haut. S'il fallait déplacer la césure chaque fois qu'elle ne tombe pas à la fin d'un groupe de mots, il faudrait alors se demander si la césure a jamais existé.
* Après, d'autres accents existent et sont à prendre en compte : accent d'attaque, accent d'insistance, contre-accent (produit par la répétition de consonnes)... L'accentuation, le rythme, tout ça reste intimement lié à l'interprétation physique du texte. Ça marche ou ça marche pas, ça produit quelque chose d'intéressant ou rien. C'est pourquoi je dis qu'il n'y a pas de vérité. Ce sont les justifications qui sont intéressantes, et en particulier, ici, les raisons de refuser telle ou telle pratique.
Je recommande très vivement cette lecture : Prose, prosaïque, prosaïsme
- LefterisEsprit sacré
Pas si naïvement : j'ai sous les yeux Molinié, aux articles "Césure" et "Coupe", et il mentionne que le terme de "coupe" a été employé un temps indifféremment pour "césure". Ensuite, la césure a désigné la séparation fixe du vers, sans que cela corresponde toujours à l'accent ou la syntaxe. Cette appellation , même pour l'alexandrin, a été ensuite contestée par des métriciens (j'ai d'ailleurs, comme dit plus haut, assisté à des controverses acharnées sur ce problème majeur ). J'abrège bien entendu, il y a plusieurs pages... Vas-y directement tu gagneras du temps.Sansara a écrit: Est-ce parce que je confonds naïvement césure et coupe ?
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"La réforme [...] c'est un ensemble de décrets qui s'emboîtent les uns dans les autres, qui ne prennent leur sens que quand on les voit tous ensemble"(F. Robine , expliquant sans fard la stratégie du puzzle)
Gallica Musa mihi est, fateor, quod nupta marito. Pro domina colitur Musa latina mihi.
Δεν ελπίζω τίποτα, δεν φοβούμαι τίποτα, είμαι λεύτερος (Kazantzakis).
- NLM76Grand Maître
Ce serait dommage qu'on s'arrête à des questions de terminologie... Comme le fait d'ailleurs Jean-Michel Gouvard dans sa Versification... ce qui fait qu'on ne peut être entièrement convaincu, malgré la précision de sa démonstration.
Le décasyllabe et l'alexandrin sont des vers composés. Ils ne font sentir leur rythme que parce qu'ils sont structurés : l'oreille humaine ne percevrait pas l'égalité du rythme de vers de plus de huit syllabes si leurs sous-ensembles n'étaient pas organisés régulièrement. Ainsi, les hémistiches sont-ils la véritable unité rythmique des vers longs. Un poème écrit en alexandrins, c'est exactement la même chose qu'un poème écrit en hexasyllabes, où un vers sur deux ne trouverait pas de rime. Ce qui n'empêche pas du tout des enjambements à la césure, comme à la frontière de deux vers.
Reste à savoir ce que cela signifie concrètement, dans la voix, dans le souffle du lecteur. C'est que la césure n'est une pause que par un abus — légitime — de langage. Elle marque certes quelque chose comme une pause. Mais cette "pause" peut en fait être réalisée de différentes façons, comme l'accent de groupe de mots en français ; la composante sonore la plus importante de cette réalisation est sans doute au moins autant la longueur que le silence : on allonge généralement assez sensiblement la dernière voyelle accentuable de l'hémistiche. S'y ajoute une modulation mélodique liée au sens et à la syntaxe — quand il y a enjambement en particulier, la voix monte pour marquer la suspension. Et si pause il y a, la durée de la pause est modulée en fonction de tout cela.
On verra bien le fait que l'alexandrin est un double hexasyllabe ci-dessous :
Je ne vois pas pourquoi
je ne vous dirais point
Ce qu'à d'autres j'ai dit
Sans leur montrer le poing.
Eh bien, démasquons-nous!
C'est vrai, notre âme est noire ;
Sortons du domino
Nommé forme oratoire.
On nous a vus, poussant
vers un autre horizon
La langue, avec la rime
entraînant la raison,
Lancer au pas de charge,
en batailles rangées,
Sur Laharpe éperdu,
toutes ces insurgées.
Nous avons au vieux style
attaché ce brûlot:
Liberté ! Nous avons,
dans le même complot,
Mis l'esprit, pauvre diable,
et le mot, pauvre hère ;
Nous avons déchiré
le capuchon, la haire,
Le froc, dont on couvrait
l'Idée aux yeux divins.
Tous on fait rage en foule.
Orateurs, écrivains,
Poëtes, nous avons,
du doigt avançant l'heure,
Dit à la rhétorique :
-- Allons, fille majeure,
Lève les yeux ! -- et j'ai,
chantant, luttant, bravant,
Tordu plus d'une grille
au parloir du couvent ;
J'ai, torche en main, ouvert
les deux battants du drame ;
Pirates, nous avons,
à la voile, à la rame,
De la triple unité
pris l'aride archipel ;
Sur l'Hélicon tremblant
j'ai battu le rappel.
Tout est perdu! le vers
vague sans muselière !
A Racine effaré
nous préférons Molière ;
O pédants ! à Ducis
nous préférons Rotrou.
Lucrèce Borgia
sort brusquement d'un trou,
Et mêle des poisons
hideux à vos guimauves ;
Le drame échevelé
fait peur à vos fronts chauves ;
C'est horrible ! oui, brigand,
jacobin, malandrin,
J'ai disloqué ce grand
niais d'alexandrin ;
Les mots de qualité,
les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond
de leurs grottes exquises,
Faisaient la bouche en coeur
et ne parlant qu'entre eux,
J'ai dit aux mots d'en bas :
Manchots, boiteux, goîtreux,
Redressez-vous! planez,
et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense
et farouche des aigles!
J'ai déjà confessé
ce tas de crimes-là ;
Oui, je suis Papavoine,
Érostrate, Attila :
Après ?
Ensuite, Verlaine s'est amusé à enjamber après un article au milieu d'un mot — ce qui ne fonctionnait que parce que le reste du poème donnait la mesure:
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.
Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
« Quel fut ton plus beau jour ! » fit sa voix d’or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
— Ah ! les premières fleurs qu’elles sont parfumées !
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !
Au 11e vers, on a une pause artificielle, un enjambement à la césure, qui oblige à allonger la diction de "main", et donc, démesurément, celle de "main blanche" — main sur laquelle les lèvres du poète s'arrête dévotement. Au 13e, l'arrêt sur l'article indéfini — et non après celui-ci — prépare la délicatesse amoureuse avec laquelle le murmure est remémoré.
Allez, j'arrête... de peur de pleurer de plaisir à l'évocation des géniaux enjambements à la césure de «Après trois ans»...
Puis Rimbaud, dans ses derniers poèmes, s'est amusé à faire n'importe quoi, dans un gai nihilisme d'où la poésie n'est pas revenue.
Le décasyllabe et l'alexandrin sont des vers composés. Ils ne font sentir leur rythme que parce qu'ils sont structurés : l'oreille humaine ne percevrait pas l'égalité du rythme de vers de plus de huit syllabes si leurs sous-ensembles n'étaient pas organisés régulièrement. Ainsi, les hémistiches sont-ils la véritable unité rythmique des vers longs. Un poème écrit en alexandrins, c'est exactement la même chose qu'un poème écrit en hexasyllabes, où un vers sur deux ne trouverait pas de rime. Ce qui n'empêche pas du tout des enjambements à la césure, comme à la frontière de deux vers.
Reste à savoir ce que cela signifie concrètement, dans la voix, dans le souffle du lecteur. C'est que la césure n'est une pause que par un abus — légitime — de langage. Elle marque certes quelque chose comme une pause. Mais cette "pause" peut en fait être réalisée de différentes façons, comme l'accent de groupe de mots en français ; la composante sonore la plus importante de cette réalisation est sans doute au moins autant la longueur que le silence : on allonge généralement assez sensiblement la dernière voyelle accentuable de l'hémistiche. S'y ajoute une modulation mélodique liée au sens et à la syntaxe — quand il y a enjambement en particulier, la voix monte pour marquer la suspension. Et si pause il y a, la durée de la pause est modulée en fonction de tout cela.
On verra bien le fait que l'alexandrin est un double hexasyllabe ci-dessous :
Je ne vois pas pourquoi
je ne vous dirais point
Ce qu'à d'autres j'ai dit
Sans leur montrer le poing.
Eh bien, démasquons-nous!
C'est vrai, notre âme est noire ;
Sortons du domino
Nommé forme oratoire.
On nous a vus, poussant
vers un autre horizon
La langue, avec la rime
entraînant la raison,
Lancer au pas de charge,
en batailles rangées,
Sur Laharpe éperdu,
toutes ces insurgées.
Nous avons au vieux style
attaché ce brûlot:
Liberté ! Nous avons,
dans le même complot,
Mis l'esprit, pauvre diable,
et le mot, pauvre hère ;
Nous avons déchiré
le capuchon, la haire,
Le froc, dont on couvrait
l'Idée aux yeux divins.
Tous on fait rage en foule.
Orateurs, écrivains,
Poëtes, nous avons,
du doigt avançant l'heure,
Dit à la rhétorique :
-- Allons, fille majeure,
Lève les yeux ! -- et j'ai,
chantant, luttant, bravant,
Tordu plus d'une grille
au parloir du couvent ;
J'ai, torche en main, ouvert
les deux battants du drame ;
Pirates, nous avons,
à la voile, à la rame,
De la triple unité
pris l'aride archipel ;
Sur l'Hélicon tremblant
j'ai battu le rappel.
Tout est perdu! le vers
vague sans muselière !
A Racine effaré
nous préférons Molière ;
O pédants ! à Ducis
nous préférons Rotrou.
Lucrèce Borgia
sort brusquement d'un trou,
Et mêle des poisons
hideux à vos guimauves ;
Le drame échevelé
fait peur à vos fronts chauves ;
C'est horrible ! oui, brigand,
jacobin, malandrin,
J'ai disloqué ce grand
niais d'alexandrin ;
Les mots de qualité,
les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond
de leurs grottes exquises,
Faisaient la bouche en coeur
et ne parlant qu'entre eux,
J'ai dit aux mots d'en bas :
Manchots, boiteux, goîtreux,
Redressez-vous! planez,
et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense
et farouche des aigles!
J'ai déjà confessé
ce tas de crimes-là ;
Oui, je suis Papavoine,
Érostrate, Attila :
Après ?
Ensuite, Verlaine s'est amusé à enjamber après un article au milieu d'un mot — ce qui ne fonctionnait que parce que le reste du poème donnait la mesure:
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.
Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
« Quel fut ton plus beau jour ! » fit sa voix d’or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
— Ah ! les premières fleurs qu’elles sont parfumées !
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !
Au 11e vers, on a une pause artificielle, un enjambement à la césure, qui oblige à allonger la diction de "main", et donc, démesurément, celle de "main blanche" — main sur laquelle les lèvres du poète s'arrête dévotement. Au 13e, l'arrêt sur l'article indéfini — et non après celui-ci — prépare la délicatesse amoureuse avec laquelle le murmure est remémoré.
Allez, j'arrête... de peur de pleurer de plaisir à l'évocation des géniaux enjambements à la césure de «Après trois ans»...
Puis Rimbaud, dans ses derniers poèmes, s'est amusé à faire n'importe quoi, dans un gai nihilisme d'où la poésie n'est pas revenue.
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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