- Raoul VolfoniGrand sage
Les élèves s'ennuient au collège. Cette information, très nouvelle (de mon temps, on ne s'ennuyait pas à l'école, jamais. Plutôt mourir) – cette information, disais-je, justifie qu'on réforme à la truelle ledit collège, pour que les élèves ne s'y ennuient plus, qu'ils apprennent dans la joie et la bonne humeur, qu'ils donnent du sens à leurs apprentissages... Imaginez le bonheur : plus jamais la question "madame, à quoi ça sert d'apprendre ça ?" : il suffira de renvoyer l'élève à la compétence "donner du sens à ses apprentissages" (de quoi ? répondra-t-il, l'oeil torve et la mâchoire pendante) et on n'aura plus à essayer de justifier l'utilité d'une discipline aussi incongrue que l'histoire , par exemple.
Or donc, les élèves s'ennuient au collège, c'est la ministre qui l'a dit. Enfin : 71% des élèves de quartiers populaires sondés en 2010 disaient s'ennuyer à l'école (dans le primaire et le secondaire). Ce chiffre inclut ceux qui s'ennuient "quelquefois", parce qu'on sait bien que ces pauvres petits ont juste essayé de couvrir leurs enseignants miteux en minimisant leur ennui. Parce qu'ils ont bon fond.
En même temps, se dit l'observateur un brin lucide, sur une journée de – mettons – six heures de cours, il est difficile d'être au taquet du début à la fin, sans passer par cinq minutes où on se demande ce qu'il y a à la cantine au lieu de de se passionner pour tout ce qui se raconte. On y est tous passés, et même aujourd'hui, dans nos vies épanouissantes d'adultes, il nous arrive de nous faire tartir puissance mille. Pendant les réunions consacrées à la projection à peine commentée de diaporamas, par exemple. Certes, nous répondent les hautes huiles pédagogiques du pays, mais avec la réforme, ce sera la fin de l'ennui. Un genre de mutation de l'espèce collégienne, qui ne saura plus ce que c'est que de s'ennuyer.
Expliquez-nous donc, demandons-nous, avides, expliquez-nous donc, ô hautes huiles, comment cette mutation adviendra ! Fastoche, nous répondent, magnanimes, ces chères hautes huiles : on va donner du sens aux apprentissages, grâce à l'interdisciplinarité et à la pratique. Et de nous démontrer que pour fabriquer un château de sable, le mouflet fait de l'histoire (le château, évolution à travers les siècles), de la géométrie dans l'espace (maman, ma tour elle est pas bien ronde partout !), de la technologie (parce que c'est une discipline à convoquer pour toute "pratique" qui se respecte) et encore plein d'autres trucs. Et ce faisant, il apprend, sans s'en rendre compte, il lie les apprentissages les uns aux autres, et il ne s'ennuie pas. Bilan des courses, ses acquis sont à la fois ludiques et bien plus solides que si un prof grisâtre lui avait transmis ses connaissances dans une salle de classe tout aussi grisâtre. On va donc transposer ça au collège, avec les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires, et le premier qui dit EPItaphe ou EPIcétou, je le dénonce à l'inspecteur. Grâce à ces EPI, l'ennui se tordra de douleur comme un démon aspergé d'eau bénite et disparaîtra dans une petite fumée rigolote. Montrez-nous, supplions-nous, encore plus avides de savoir, montrez-nous des exemples d'EPI, que nous sachions comment faire...
Bon, parce que c'est vous, consentent les hautes huiles. Et l'académie de Lyon de nous déballer un exemple d'EPI réalisable en français, sous le titre de "éloge de la différence et développement durable". Vous ne voyez pas le rapport entre les deux ? Normal, c'est le principe même des EPI. Il s'agit d'un "travail d’écriture collective et de mise en voix d’un court texte élogieux adressé en voix off à un légume de forme atypique par un groupe d’élèves de 6ème ou à un objet scolaire par une classe de 4ème équipé(e) de tablettes" (orthographe d'origine, il existe donc des classes mâles et des classes femelles. Prenez des notes au lieu de ricaner).
Imaginez-vous la liesse qui s'emparera de la classe lorsque le professeur annoncera le thème du travail ? Imaginez-vous la passion suscitée par cette activité, ou plutôt, devrais-je dire, par ce moment de communion offert aux apprenants ? Ne me dites pas que ça ne vous a pas manqué, lorsque vous étiez en sixième. Que n'auriez-vous pas donné pour une séance consacrée à l'éloge d'une patate moche ou d'une poire marrante, avec un petit texte dûment mis en voix, un petit film avec la poire ou la patate en vedette, et la mise en scène qui va bien ?
-Madame, j'ai pas pu ramener de légume parce que ma mère elle a pas voulu m'en donner.
-Madame, c'est noté ?
-Eh, Madame, vous avez vu, y a Hugo qui a ramené une carotte en forme de zgueg !
-Madame, ma tablette veut pas s'allumer, je fais quoi ?
Ah oui, ça promet de bons moments. Surtout quand le CPE viendra faire un laïus sur l'interdiction de se battre à coups de fruits et de légumes dans les couloirs, avec un regard appuyé en direction de la prof qui fera semblant de n'y être pour rien.
-Je vous préviens, le prochain que je prends à ramener des légumes dans son cartable...
-Mais c'est la prof qu'a demandé ! D'ailleurs r'gardez, m'sieur, on va la filmer la courgette, on va faire une pub genre comme à Auchan !
-Madame, y a Kevin qui a éclaté sa banane sur mon classeur !
-Madame, à la fin, on peut manger les trucs qu'on a rapportés ?
-Madame, c'est noté ?
Avouez que vous avez hâte d'y être. Toutes ces têtes blondes, brunes et rousses enfin actrices de leur apprentissage, réalisant un ersatz de pub en cours de français, et donnant du sens à leur travail par la même occasion. Le développement durable, c'est vendre des trucs pas présentables, et le français, c'est le truc pour faire les slogans publicitaires qui ne sont pas en anglais. C'est sûr que ça va faire sens, pour des élèves déjà nourris à la pub.
Rendons donc gloire aux hautes huiles pédagogiques, et préparons gaiement les EPI qui demain raviront nos élèves !
Or donc, les élèves s'ennuient au collège, c'est la ministre qui l'a dit. Enfin : 71% des élèves de quartiers populaires sondés en 2010 disaient s'ennuyer à l'école (dans le primaire et le secondaire). Ce chiffre inclut ceux qui s'ennuient "quelquefois", parce qu'on sait bien que ces pauvres petits ont juste essayé de couvrir leurs enseignants miteux en minimisant leur ennui. Parce qu'ils ont bon fond.
En même temps, se dit l'observateur un brin lucide, sur une journée de – mettons – six heures de cours, il est difficile d'être au taquet du début à la fin, sans passer par cinq minutes où on se demande ce qu'il y a à la cantine au lieu de de se passionner pour tout ce qui se raconte. On y est tous passés, et même aujourd'hui, dans nos vies épanouissantes d'adultes, il nous arrive de nous faire tartir puissance mille. Pendant les réunions consacrées à la projection à peine commentée de diaporamas, par exemple. Certes, nous répondent les hautes huiles pédagogiques du pays, mais avec la réforme, ce sera la fin de l'ennui. Un genre de mutation de l'espèce collégienne, qui ne saura plus ce que c'est que de s'ennuyer.
Expliquez-nous donc, demandons-nous, avides, expliquez-nous donc, ô hautes huiles, comment cette mutation adviendra ! Fastoche, nous répondent, magnanimes, ces chères hautes huiles : on va donner du sens aux apprentissages, grâce à l'interdisciplinarité et à la pratique. Et de nous démontrer que pour fabriquer un château de sable, le mouflet fait de l'histoire (le château, évolution à travers les siècles), de la géométrie dans l'espace (maman, ma tour elle est pas bien ronde partout !), de la technologie (parce que c'est une discipline à convoquer pour toute "pratique" qui se respecte) et encore plein d'autres trucs. Et ce faisant, il apprend, sans s'en rendre compte, il lie les apprentissages les uns aux autres, et il ne s'ennuie pas. Bilan des courses, ses acquis sont à la fois ludiques et bien plus solides que si un prof grisâtre lui avait transmis ses connaissances dans une salle de classe tout aussi grisâtre. On va donc transposer ça au collège, avec les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires, et le premier qui dit EPItaphe ou EPIcétou, je le dénonce à l'inspecteur. Grâce à ces EPI, l'ennui se tordra de douleur comme un démon aspergé d'eau bénite et disparaîtra dans une petite fumée rigolote. Montrez-nous, supplions-nous, encore plus avides de savoir, montrez-nous des exemples d'EPI, que nous sachions comment faire...
Bon, parce que c'est vous, consentent les hautes huiles. Et l'académie de Lyon de nous déballer un exemple d'EPI réalisable en français, sous le titre de "éloge de la différence et développement durable". Vous ne voyez pas le rapport entre les deux ? Normal, c'est le principe même des EPI. Il s'agit d'un "travail d’écriture collective et de mise en voix d’un court texte élogieux adressé en voix off à un légume de forme atypique par un groupe d’élèves de 6ème ou à un objet scolaire par une classe de 4ème équipé(e) de tablettes" (orthographe d'origine, il existe donc des classes mâles et des classes femelles. Prenez des notes au lieu de ricaner).
Imaginez-vous la liesse qui s'emparera de la classe lorsque le professeur annoncera le thème du travail ? Imaginez-vous la passion suscitée par cette activité, ou plutôt, devrais-je dire, par ce moment de communion offert aux apprenants ? Ne me dites pas que ça ne vous a pas manqué, lorsque vous étiez en sixième. Que n'auriez-vous pas donné pour une séance consacrée à l'éloge d'une patate moche ou d'une poire marrante, avec un petit texte dûment mis en voix, un petit film avec la poire ou la patate en vedette, et la mise en scène qui va bien ?
-Madame, j'ai pas pu ramener de légume parce que ma mère elle a pas voulu m'en donner.
-Madame, c'est noté ?
-Eh, Madame, vous avez vu, y a Hugo qui a ramené une carotte en forme de zgueg !
-Madame, ma tablette veut pas s'allumer, je fais quoi ?
Ah oui, ça promet de bons moments. Surtout quand le CPE viendra faire un laïus sur l'interdiction de se battre à coups de fruits et de légumes dans les couloirs, avec un regard appuyé en direction de la prof qui fera semblant de n'y être pour rien.
-Je vous préviens, le prochain que je prends à ramener des légumes dans son cartable...
-Mais c'est la prof qu'a demandé ! D'ailleurs r'gardez, m'sieur, on va la filmer la courgette, on va faire une pub genre comme à Auchan !
-Madame, y a Kevin qui a éclaté sa banane sur mon classeur !
-Madame, à la fin, on peut manger les trucs qu'on a rapportés ?
-Madame, c'est noté ?
Avouez que vous avez hâte d'y être. Toutes ces têtes blondes, brunes et rousses enfin actrices de leur apprentissage, réalisant un ersatz de pub en cours de français, et donnant du sens à leur travail par la même occasion. Le développement durable, c'est vendre des trucs pas présentables, et le français, c'est le truc pour faire les slogans publicitaires qui ne sont pas en anglais. C'est sûr que ça va faire sens, pour des élèves déjà nourris à la pub.
Rendons donc gloire aux hautes huiles pédagogiques, et préparons gaiement les EPI qui demain raviront nos élèves !
- HonchampDoyen
Pensez aux topinambours, légume honni après la Seconde Guerre Mondiale, en France.
Pensez, il remplaçait les patates !
Il faut le réhabiliter .
Pensez, il remplaçait les patates !
Il faut le réhabiliter .
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"Tu verras bien qu'il n'y aura pas que moi, assise par terre comme ça.."
- ElevenNeoprof expérimenté
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2015-2016 : Première année contractuelle : sixièmes, cinquièmes.
2016-2017 : Deuxième année contractuelle : troisièmes, quatrièmes et cinquièmes.
2017-2018 : Troisième année contractuelle : sixièmes, cinquièmes.
2018-2019 : Quatrième année contractuelle : troisièmes, quatrièmes et sixièmes.
2019-2020 : Reconversion !
- Suzon GrisouNiveau 5
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"Success consists of going from failure to failure without loss of enthusiasm" Winston Churchill
- JennyMédiateur
Mais c'est quoi ce truc ?
(Je propose aux 6e de ramener des tomates atypiques ).
(Je propose aux 6e de ramener des tomates atypiques ).
- HannibalHabitué du forum
Il y a donc des gens que ce genre d'initiative excite. :shock:
"Et leur membre s'agace à des barbes d'EPI..."
"Et leur membre s'agace à des barbes d'EPI..."
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"Quand la pierre tombe sur l'oeuf, malheur à l'oeuf.
Quand l'oeuf tombe sur la pierre, malheur à l'oeuf." (proverbe)
- CathEnchanteur
Excellent, Raoul, bravo !
(Compétence : "faire preuve de mauvais esprit", acquise !)
(Compétence : "faire preuve de mauvais esprit", acquise !)
- kerangeloNiveau 7
Enormissime !!\"Raoul Volfoni a écrit:Bon, parce que c'est vous, consentent les hautes huiles. Et l'académie de Lyon de nous déballer un exemple d'EPI réalisable en français, sous le titre de "éloge de la différence et développement durable". Vous ne voyez pas le rapport entre les deux ? Normal, c'est le principe même des EPI. Il s'agit d'un "travail d’écriture collective et de mise en voix d’un court texte élogieux adressé en voix off à un légume de forme atypique par un groupe d’élèves de 6ème ou à un objet scolaire par une classe de 4ème équipé(e) de tablettes" (orthographe d'origine, il existe donc des classes mâles et des classes femelles. Prenez des notes au lieu de ricaner).
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Sapere aude
- RogerMartinBon génie
Le 1er avril anticipé. :shock:
Merci Raoul !
Merci Raoul !
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Yo, salut ma bande ! disait toujours le Samouraï.
I User5899.
User 17706 s'est retiré à Helsingør.
Strange how paranoia can link up with reality now and then.
- InvitéInvité
Cela dit, ça peut être très drôle, mai sur une écriture d’une ou deux heure maxi. Que ces gens sont prétentieux et veulent se donner une contenance que n'ont pas leurs œuvres...
- kerangeloNiveau 7
De toutes façons, ce sont des navets.corailc a écrit:Cela dit, ça peut être très drôle, mai sur une écriture d’une ou deux heure maxi. Que ces gens sont prétentieux et veulent se donner une contenance que n'ont pas leurs œuvres...
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Sapere aude
- amethysteDoyen
Merci pour ce regard plein d'humour sur une réalité navrante
- PseudoDemi-dieu
J'ai beaucoup ris en te lisant Raoul
Mais... Je ne sais pas si c'est un EPI, il est indiqué que le truc est fait en une heure.
Mais... Je ne sais pas si c'est un EPI, il est indiqué que le truc est fait en une heure.
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"Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse" Nietzsche
- ysabelDevin
Extra ton texte Raoul !
Ces gens sont tellement caricaturaux qu'o ne peut même plus les caricaturer...
Il n'y a pas à dire, pour le collège, les carottes sont cuites.
Ces gens sont tellement caricaturaux qu'o ne peut même plus les caricaturer...
Il n'y a pas à dire, pour le collège, les carottes sont cuites.
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« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- titeprofExpert
:lol:
Superbe texte, très drôle, merci !
(le coup des classes mâle et femelle, je ne m'en remet pas !)
Superbe texte, très drôle, merci !
(le coup des classes mâle et femelle, je ne m'en remet pas !)
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[center]Je suis comme le ciel, rien ne s'accroche à moi (mantra)
- PseudoDemi-dieu
titeprof a écrit: :lol:
Superbe texte, très drôle, merci !
(le coup des classes mâle et femelle, je ne m'en remet pas !)
Oui, faut dire que c'est énormissime !
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"Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse" Nietzsche
- e-WandererGrand sage
Consternant.
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