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Fabienne
Fabienne
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par Fabienne Dim 17 Juil 2016 - 9:22
Bonjour,

Avant de partir en vacances pour de vrai, je refais mes cours de 2nde sur le réalisme et le naturalisme.
Je bloque sur deux sujets, et mes lectures ne parviennent pas à répondre à mes demandes.

Tout d'abord, je cherche des extraits de romans réalistes ou naturalistes qui évoquent la puissance et le pouvoir de l'argent. J'ai pensé à un extrait de La Cousine Bette, où M. Crevel essaye de conquérir Mme Hulot en lui parlant d'argent, mais je le trouve un peu difficile pour des 2ndes. Dans Le Père Goriot aussi; l'argent est présent, mais en resurvolant l'oeuvre, je n'ai pas réussi à trouver d'extrait précis. Mes souvenirs de lecture de Lucien Leuwen sont lointains, mais je crois qu'il y avait quelque chose. L'Argent de Zola pourrait sans doute aussi convenir, mais encore une fois, quel extrait retenir?
Bref, si vous avez des suggestions de passages, ça m'intéresse.

Deuxième sujet, j'aimerais travailler sur l'influence de la photographie sur les auteurs réalistes. J'ai une écriture d'invention sous le coude que je parviendrais à introduire par ce biais. Je pensais aborder Niepce, Balzac qui pensait que la photographie volait les "spectres" des sujets... Mes recherches ne m'ont pas menée bien loin. Quelqu'un aurait des pistes de travail?

Merci d'avance.
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thrasybule
Devin

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par thrasybule Dim 17 Juil 2016 - 9:34
Pour le Père Goriot, voir le passage :" quand l'argent se glisse dans la poche d'un étudiant" (de mémoire, je ne sais plus à quel endroit du roman ça se trouve)
Iphigénie
Iphigénie
Prophète

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par Iphigénie Dim 17 Juil 2016 - 9:53
Bah le discours de Vautrin à Rastignac pourrait correspondre non? Je ne l'ai pas relu depuis longtemps cela dit.
Fabienne
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par Fabienne Dim 17 Juil 2016 - 10:15
Merci!
Je vais aller lire le passage que tu évoques Thrasybule.
Iphigénie, j'aimerais autant que possible ne pas utiliser le discours de Vautrin, que j'ai déjà exploité dans ma séquence précédente sur ces mouvements littéraires, dans l'optique "Comment réussir à Paris".
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azertine13
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par azertine13 Dim 17 Juil 2016 - 20:37
Dans le médecin de campagne il y a aussi des choses à prendre.
Iliana
Iliana
Grand sage

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par Iliana Dim 17 Juil 2016 - 20:45
Dans La Curée, il y a des choses aussi, mais je n'ai pas le livre sous les yeux. Notamment la scène du partage symbolique de Paris qu'Aristide Rougon imagine et décrit à Angèle ?

_________________
Minuit passé déjà. Le feu s'est éteint et je sens le sommeil qui gagne du terrain.
Je vais m'endormir contre vous, respirer doucement, parce que je sais où nous allons désormais.
Fauve - Révérence
Islane
Islane
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par Islane Dim 17 Juil 2016 - 21:15
Je crois que l'extrait dont parle Iliana se trouve dans le manuel Littérature seconde première chez Hachette p.124, 125.
Islane
Islane
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par Islane Dim 17 Juil 2016 - 21:32
Non je me trompe d'extrait... Je vais vérifier dans les autres manuels.
Alliance
Alliance
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par Alliance Mar 19 Juil 2016 - 7:42
Bouvard et Pécuchet ?
Pour ce qui est de la photographie, il y a un manuel de Seconde qui propose un dossier, mais je ne sais plus lequel malheureusement...
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Cath
Enchanteur

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par Cath Mar 19 Juil 2016 - 8:10
Je pense au très beau roman de Zola, La Joie de vivre.
Tem-to
Tem-to
Grand sage

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par Tem-to Mar 19 Juil 2016 - 9:12
Fabienne a écrit:Deuxième sujet, j'aimerais travailler sur l'influence de la photographie sur les auteurs réalistes. J'ai une écriture d'invention sous le coude que je parviendrais à introduire par ce biais. Je pensais aborder Niepce, Balzac qui pensait que la photographie volait les "spectres" des sujets... Mes recherches ne m'ont pas menée bien loin. Quelqu'un aurait des pistes de travail? Merci d'avance.
Dans La Curée, outre le rapport à l'argent, il y a aussi une scène dans le chapitre 3 où Maxime montre à Renée un album de photographies de mondaines de leur connaissance pour se moquer d'elles chacun leur tour.
C'est, je crois, une des premières références à la photographie comme image des personnes sur lesquelles on peut se laisser aller aux commentaires ironiques (comme aujourd'hui quand on feuillette Gala et autres revues de ce style). Evidemment Zola ne manque pas de dresser par l'intermédiaire des exclamations de René et Maxime des portraits à la fois physiques, moraux et psychologiques très gratinés des personnes qui avaient succombé à la mode grandissante d'aller se faire photographier.
Mademoiselle Labutte
Mademoiselle Labutte
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par Mademoiselle Labutte Mer 20 Juil 2016 - 20:07
Fabienne a écrit:
Avant de partir en vacances pour de vrai, je refais mes cours de 2nde sur le réalisme et le naturalisme.
Je bloque sur deux sujets, et mes lectures ne parviennent pas à répondre à mes demandes.

Tout d'abord, je cherche des extraits de romans réalistes ou naturalistes qui évoquent la puissance et le pouvoir de l'argent. J'ai pensé à un extrait de La Cousine Bette, où M. Crevel essaye de conquérir Mme Hulot en lui parlant d'argent, mais je le trouve un peu difficile pour des 2ndes. Dans Le Père Goriot aussi; l'argent est présent, mais en resurvolant l'oeuvre, je n'ai pas réussi à trouver d'extrait précis. Mes souvenirs de lecture de Lucien Leuwen sont lointains, mais je crois qu'il y avait quelque chose. L'Argent de Zola pourrait sans doute aussi convenir, mais encore une fois, quel extrait retenir?
Bref, si vous avez des suggestions de passages, ça m'intéresse.

Bonjour,

Le thème de l'argent est une question très vaste. Il me faudrait des précisions sur ton angle d'attaque. De quel point de vue veux-tu l'étudier ? Est-ce d'un point de vue individuel (les dégâts de l'avarice ou d'une attitude dispendieuse, par exemple, à l'échelle d'une vie ?) ou souhaites-tu te placer à l'échelle des transformations économiques que subit la société française du XIXe ? (Ou bien les deux perspectives t'intéressent-elles de manière égale ?  Very Happy )
Bon, après, ces deux aspects sont souvent étroitement liés dans la littérature réaliste, mais la nuance me semble importante pour essayer de t'aiguiller au mieux.
De prime abord, je te recommande :
- Illusions Perdues, de Balzac : de nombreux passages traitent de cette question, comme par exemple l'arrivée de Lucien à Paris, confronté au fossé qui le sépare à la jeunesse dorée de Paris - qui finira même par le séparer de son amour de jeunesse parce qu'il n'a pas les moyens, malgré sa grande beauté, de se conformer aux standards parisiens.
- Eugénie Grandet, de Balzac : le père Grandet est, surtout à la fin de sa vie, une allégorie de l'avarice, alors que l'argent n'intéresse pas du tout sa fille - et seule héritière - Eugénie; il peut être aussi intéressant d'étudier la manière dont Charles (neveu du père Grandet, ruiné par des manœuvres financières hasardeuses) devient, à la fin du roman, un homme méprisant et corrompu exclusivement intéressé par l'argent.
- Nana, de Zola : je pense notamment à la description de Nana "dévorant" la fortune de ses amants qu'elle traite comme autant de placements plus ou moins rentables.

Voilà, je ne lance que des pistes !   Very Happy  si tu souhaites que je précise mon propos, n'hésite pas !

_________________
Amants, heureux amants , voulez-vous voyager?
           Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
           Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.

La Fontaine, "Les Deux Pigeons", Fables (IX, 2)
gluche
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par gluche Jeu 21 Juil 2016 - 7:42
Pas d'extrait particulier à proposer, mais je suggère Gobseck de Balzac.
Fabienne
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par Fabienne Jeu 21 Juil 2016 - 8:24
Merci à tous pour vos suggestions.

J'ai finalement relu L'Argent de Zola, et j'en ai gardé deux passages:
- en LA le dialogue entre Mme de Beauvilliers et Saccard, opposant deux liens à l'argent: celui de l'ancienne noblesse et celui des spéculateurs du XIXème, incarnant la modernité ("un levier, dont l'emploi allait lui permettre de soulever le monde").
- en écho, une réflexion de Mme Caroline sur l'argent comme mal nécessaire. ("L'argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute végétation sociale, servait de terreau nécessaire aux grands travaux dont l'exécution rapprocherait les peuples et pacifierait la terre. Elle avait maudit l'argent, elle tombait maintenant devant lui dans une admiration effrayée.")

Zénobie: Tu l'auras compris, c'est plutôt le pouvoir de l'argent dans une société en mutation qui m'intéresse. Je vais essayer de bifurquer ensuite vers le personnage de l'arriviste avec Bel-Ami.

Si vous avez d'autres suggestions pour monter un cours sur l'influence de la photographie au XIXème, pensez à moi! Smile
Écusette de Noireuil
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Esprit éclairé

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par Écusette de Noireuil Jeu 21 Juil 2016 - 16:51
Il y a à plusieurs reprises une présence"physique" de l'argent dans Au Bonheur des dames , car à plusieurs reprises le caissier verse la recette du jour sur le bureau de Mouret,  notamment dans le dernier chapitre.

Pour la photo j'avais des idées pour le XXème,  mais évidemment c'est plus facile. .. Si quelque chose me revient pour je le XIXème je te dirai.

_________________
" Celui qui ne lit pas ne vit qu'une seule vie " (Umberto Eco )
Écusette de Noireuil
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par Écusette de Noireuil Jeu 21 Juil 2016 - 16:54
Il y aurait les réflexions de Baudelaire peut être

http://www.penser-la-photographie.com/litterature-et-photographie/baudelaire-extrait-salon-1859/

et aussi ça

http://www.zola.free.fr/biblio_zolaphotographe.htm

https://etudesphotographiques.revues.org/394


Dernière édition par Écusette de Noireuil le Jeu 21 Juil 2016 - 17:07, édité 1 fois

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Tem-to
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par Tem-to Jeu 21 Juil 2016 - 17:07
- Dans le texte d'un auteur critique, je ne me souviens plus de qui, un auteur disait qu'il avait fallu attendre la photographie pour bien restituer la position des jambes d'un cheval au galop. Il y était dit que toutes les représentations en peinture étaient jusqu'alors inexactes.

- Par ailleurs, dans les choses étonnantes (parce que morbides - désolé), dès l'apparition de la photo, il y a eu, outre la mode des portraits (conférer l'extrait du chapitre 3 de La Curée dont j'ai déjà parlé sur ce fil), la mode de se faire photographier avec quelqu'un de sa famille fraîchement décédé en s'arrangeant pour que sur la photo, le mort ait l'air vivant. Encore pardon, mais ce n'est pas inintéressant pour nous les profs. Pour les élèves, à chacun de voir...

- Pour rester sur Zola (lui-même photographe), il y a la photo où il est debout sur une locomotive au moment de son dossier préparatoire pour écrire La Bête humaine.
Fabienne
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par Fabienne Jeu 21 Juil 2016 - 22:29
Merci pour les liens Ecusette, et pour la référence à Zola Petitfils, je vais creuser ces pistes. il y a matière à faire quelque chose.

Petitfils: pour les photos avec des morts, c'était une pratique courante dans nos campagnes il y a encore 50 ans. J'ai dans mes archives familiales plusieurs exemplaires du genre. C'est à la fois glaçant et culturel, car là où je voyais la photo d'un cadavre, mes proches plus âgés voyaient des souvenirs...
Tem-to
Tem-to
Grand sage

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par Tem-to Ven 22 Juil 2016 - 5:25
Fabienne a écrit:Petitfils: pour les photos avec des morts, c'était une pratique courante dans nos campagnes il y a encore 50 ans. J'ai dans mes archives familiales plusieurs exemplaires du genre. C'est à la fois glaçant et culturel, car là où je voyais la photo d'un cadavre, mes proches plus âgés voyaient des souvenirs...
Merci Fabienne pour cette précision. Je ne savais pas que cette attitude avait perduré. J'avais vu des photos de ce style sur un site internet mais je ne me souviens plus lequel.
charlygp
charlygp
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par charlygp Ven 22 Juil 2016 - 15:01
La Curée, chapitre 3 :

Cependant la fortune des Saccard semblait à son apogée. Elle brûlait en plein Paris comme un feu de joie colossal. C'était l'heure où la curée ardente emplit un coin de forêt de l'aboiement des chiens, du claquement des fouets, du flamboiement des torches. Les appétits lâchés se contentaient enfin, dans l'impudence du triomphe, au bruit des quartiers écroulés et des fortunes bâties en six mois. La ville n'était plus qu'une grande débauche de millions et de femmes. Le vice, venu de haut, coulait dans les ruisseaux, s'étalait dans les bassins, remontait dans les jets d'eau des jardins, pour retomber sur les toits, en pluie fine et pénétrante. Et il semblait, la nuit, lorsqu'on passait les ponts, que la Seine charriât, au milieu de la ville endormie, les ordures de la cité, miettes tombées de la table, nœuds de dentelle laissés sur les divans, chevelures oubliées dans les fiacres, billets de banque glissés des corsages, tout ce que la brutalité du désir et le contentement immédiat de l'instinct jettent à la rue, après l'avoir brisé et souillé. Alors, dans le sommeil fiévreux de Paris, et mieux encore que dans sa quête haletante du grand jour, on sentait le détraquement cérébral, le cauchemar doré et voluptueux d'une ville folle de son or et de sa chair. Jusqu'à minuit, les violons chantaient ; puis les fenêtres s'éteignaient, et les ombres descendaient sur la ville. C'était comme une alcôve colossale où l'on aurait soufflé la dernière bougie, éteint la dernière pudeur. Il n'y avait plus, au fond des ténèbres, qu'un grand râle d'amour furieux et las ; tandis que les Tuileries, au bord de l'eau, allongeaient leurs bras dans le noir, comme pour une embrassade énorme.

charlygp
charlygp
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par charlygp Ven 22 Juil 2016 - 15:04
La Curée, chapitre 2 :

Agent voyer à la mairie de Paris, Aristide Saccard a emmené sa femme Angèle au restaurant. Il lui présente, exalté, le terrain futur des spéculations immobilières qui le rendront riche.

  Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s’ouvraient sur Paris, sur cet océan de maisons aux toits bleuâtres, pareils à des flots pressés emplissant l’immense horizon. Leur table était placée devant une des fenêtres. Ce spectacle des toits de Paris égaya Saccard. Au dessert, il fit apporter une bouteille de bourgogne.
 Il souriait à l’espace, il était d’une galanterie inusitée. Et ses regards, amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et pullulante, d’où sortait la voix profonde des foules. On était à l’automne ; la ville, sous le grand ciel pâle, s’alanguissait, d’un gris doux et tendre, piqué çà et là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges feuilles de nénuphars nageant sur un lac ; le soleil se couchait dans un nuage rouge, et, tandis que les fonds s’emplissaient d’une brume légère, une poussière d’or, une rosée d’or tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des Tuileries. C’était comme le coin enchanté d’une cité des Mille et une Nuits , aux arbres d’émeraude, aux toits de saphir, aux girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d’or dans un creuset.
  — Oh ! vois, dit Saccard, avec un rire d’enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris !
 Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n’être pas faciles à ramasser. Mais son mari s’était levé, et, s’accoudant sur la rampe de la fenêtre :
 — C’est la colonne Vendôme, n’est-ce pas, qui brille là-bas ?… Ici, plus à droite, voilà la Madeleine… Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire… Ah ! cette fois, tout va brûler ! Vois-tu ?… On dirait que le quartier bout dans l’alambic de quelque chimiste.
 Sa voix demeurait grave et émue. La comparaison qu’il avait trouvée parut le frapper beaucoup.
 Il avait bu du bourgogne, il s’oublia, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle, qui s’était également accoudée à son côté :
 — Oui, oui, j’ai bien dit, plus d’un quartier va fondre, et il restera de l’or aux doigts des gens qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! vois donc comme il est immense et comme il s’endort doucement ! C’est bête, ces grandes villes ! Il ne se doute guère de l’armée de pioches qui l’attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d’Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s’ils savaient qu’ils n’ont plus que trois ou quatre ans à vivre.
 Angèle croyait que son mari plaisantait. Il avait parfois le goût de la plaisanterie colossale et inquiétante. Elle riait, mais avec un vague effroi, de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds, et lui montrer le poing, en pinçant ironiquement les lèvres.
 — On a déjà commencé, continua-t-il. Mais ce n’est qu’une misère. Regarde là- bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre…
 Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts.
 — Tu veux parler de la rue de Rivoli et du nouveau boulevard que l’on perce, demanda sa femme.
 — Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l’Hôtel de Ville. Jeux d’enfants que cela ! C’est bon pour mettre le public en appétit… Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre… Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à la barrière du Trône, une entaille ; puis de ce côté, une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau ; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d’admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux quartiers.
 La nuit venait. Sa main sèche et nerveuse coupait toujours dans le vide. Angèle avait un léger frisson, devant ce couteau vivant, ces doigts de fer qui hachaient sans pitié l’amas sans bornes des toits sombres. Depuis un instant, les brumes de l’horizon roulaient doucement des hauteurs, et elle s’imaginait entendre, sous les ténèbres qui s’amassaient dans les creux, de lointains craquements, comme si la main de son mari eût réellement fait les entailles dont il parlait, crevant Paris d’un bout à l’autre, brisant les poutres, écrasant les moellons, laissant derrière elle de longues et affreuses blessures de murs croulants. La petitesse de cette main, s’acharnant sur une proie géante, finissait par inquiéter ; et, tandis qu’elle déchirait sans effort les entrailles de l’énorme ville, on eût dit qu’elle prenait un étrange reflet d’acier dans le crépuscule bleuâtre.
 — Il y aura un troisième réseau, continua Saccard, au bout d’un silence, comme se parlant à lui-même ; celui-là est trop lointain, je le vois moins. Je n’ai trouvé que peu d’indices… Mais ce sera la folie pure, le galop infernal des millions, Paris soûlé et assommé !
 Il se tut de nouveau, les yeux fixés ardemment sur la ville, où les ombres roulaient de plus en plus épaisses. Il devait interroger cet avenir trop éloigné qui lui échappait. Puis, la nuit se fit, la ville devint confuse, on l’entendit respirer largement, comme une mer dont on ne voit plus que la crête pâle des vagues. Çà et là, quelques murs blanchissaient encore ; et, une à une, les flammes jaunes des becs de gaz piquèrent les ténèbres, pareilles à des étoiles s’allumant dans le noir d’un ciel d’orage.
 Angèle secoua son malaise et reprit la plaisanterie que son mari avait faite au dessert.
 — Ah ! bien, dit-elle avec un sourire, il en est tombé de ces pièces de vingt francs ! Voilà les Parisiens qui les comptent. Regarde donc les belles piles qu’on aligne à nos pieds !
 Elle montrait les rues qui descendent en face des buttes Montmartre, et dont les becs de gaz semblaient empiler sur deux rangs leurs taches d’or.
 — Et là-bas, s’écria-t-elle en désignant du doigt un fourmillement d’astres, c’est sûrement la Caisse générale.
 Ce mot fit rire Saccard. Ils restèrent encore quelques instants à la fenêtre, ravis de ce ruissellement de « pièces de vingt francs », qui finit par embraser Paris entier. L’agent voyer, en descendant de Montmartre, se repentit sans doute d’avoir tant causé. Il accusa le bourgogne et pria sa femme de ne pas répéter les « bêtises » qu’il avait dites ; il voulait, disait-il, être un homme sérieux.
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