- TriskelNiveau 7
J'ajoute une preuve au dossier proposé par Raoul Volfoni.
- Spoiler:
- Relisant Lolita, un passage anecdotique m'a interpelé. C'est un de ces moments ciselés d'ironie, où l'expérience américaine de Nabokov affleure, un de ces moments que les lecteurs frustrés choisissent comme preuve de l'ingratitude du réfugié. Nous sommes dans la deuxième partie. La virée automobile de 48 000 kilomètres a pris fin, nous sommes en août 1948 et Humbert et Lo sont arrivés dans la ville universitaire de Beardsley. Humbert décide d'inscrire Lolita dans une institution privée et, à cet effet, il en rencontre la directrice, mrs. Pratt. Cette dernière se lance dans une description de son établissement, et particulièrement de son orientation pédagogique :Vladimir Nabokov a écrit:« Nous ne désirons pas, monsieur Humbird, que nos élèves deviennent des rats de bibliothèque ou soient capables de réciter toutes les capitales de l'Europe, que personne ne connaît de toutes façons, ou encore qu'elles apprennent par cœur les dates de batailles oubliées. Ce que nous désirons, c'est l'adaptation de l'enfant au vivre ensemble. […] Votre délicieuse Dolly va bientôt entrer dans une tranche d'âge où les rendez-vous, les sorties, les tenues pour sortir, l'agenda des sorties, l'étiquettes des sorties, ont la même importance à ses yeux que, disons, le travail, les connexions professionnelles, le succès professionnel à vos yeux, ou la même importance que [souriant] le bonheur de mes filles à mes yeux. Dorothy Humbird est déjà impliquée dans tout un système de vie sociale fait, que nous le voulions ou pas, de kiosques de hot-dogs, de drugstores aux coins des rues, de sodas, de films, de quadrilles, de fêtes du drap sur la plage, et même de soirées coiffures ! Naturellement, à Beardsley, nous désapprouvons quelques unes de ces activités ; et nous en réorientons certaines pratiques dans des directions plus constructives. Mais nous nous efforçons de tourner le dos au brouillard pour regarder le soleil en face. Pour dire les choses avec brièveté, tout en adoptant certaines techniques pédagogiques, nous nous intéressons plus à la communication qu'à la composition. C'est-à-dire, avec tout le respect dû à Shakespeare et aux autres, que nous voulons que nos filles communiquent librement avec le monde réel autour d'elles plutôt que de les plonger dans de vieux livres moisis. Nous tâtonnons encore, peut-être, mais nous tâtonnons intelligemment, comme un gynécologue palpant une tumeur. Nous pensons, docteur Humburg, en termes organismaux et organisationnels. Nous en avons fini avec la masse de sujets inutiles qui étaient traditionnellement proposés aux jeunes filles, ne laissant aucune place, en ces jours anciens, aux connaissances et aux compétences, aux comportements dont elles auront besoin pour mener leur vie et – comme un cynique pourrait le dire – la vie de leurs maris. Monsieur Humberson, disons-le ainsi : la position d'une étoile est importante, mais l'endroit le plus pratique dans une cuisine pour une glacière est peut-être plus important encore pour une ménagère en herbe. Vous dites que tout ce que vous attendez de l'école, c'est une éducation solide pour les enfants. Mais qu'entendons-nous par éducation ? Autrefois c'était principalement un phénomène verbal ; j'entends, vous pouvez faire apprendre par cœur à un enfant une bonne encyclopédie, et il il ou elle en saura autant voire plus que ce que l'école peut lui offrir. Docteur Hummer, est-ce que vous réalisez que pour le pré-adolescent moderne, les dates médiévales sont moins vitales que les dates des week-ends [battement des paupières] ? – pour reprendre un bon mot que la psychanalyste de Beardsley s'est permis l'autre jour. Nous ne vivons pas seulement dans un monde d'idées, mais dans un monde de choses. Les mots sans expérience n'ont aucun sens. Pourquoi diable Dorothy Hummerson se soucierait-elle de la Grèce et de l'Orient avec leurs harems et leurs esclaves ? »
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L'espoir des cantharides
Est un bien bel espoir.
- JPhMMDemi-dieu
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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- HocamSage
Oui, ce passage de Lolita est l'un de ces textes glaçants qui semblent annoncer des théories développées plus tard dans le domaine des « sciences de l'éducation ». Difficile de rester calme en le lisant, même quand on garde à l'esprit que ces mots sont ceux d'un personnage de fiction bien distinct de l'auteur.
Un fil de ce forum évoquait déjà le lien avec les pédagogies nouvelles, en 2012.
Le jeu de mots sur « dates » (« medieval dates »/« weekend ones ») est difficile à rendre, je te l'accorde. :lol: Je n'ai pas l'édition française sous la main, mais ce serait intéressant de voir comment s'en est sorti le traducteur.
Un fil de ce forum évoquait déjà le lien avec les pédagogies nouvelles, en 2012.
Le jeu de mots sur « dates » (« medieval dates »/« weekend ones ») est difficile à rendre, je te l'accorde. :lol: Je n'ai pas l'édition française sous la main, mais ce serait intéressant de voir comment s'en est sorti le traducteur.
- TriskelNiveau 7
Le fil que tu cites (j'ai l'impression d'avoir inventé l'eau tiède, d'un coup !) propose une traduction, qui est soit de Paratge, soit de Kahane. Elle ne conserve pas le jeu de mot, et je trouve, en toute modestie, que je ne m'en suis pas trop mal sorti.
Evidemment que Nabokov se détache de ce personnage, juste après, Humbert est consterné ("appalled") par le ramassis de c****ies qu'il vient d'entendre.
Evidemment que Nabokov se détache de ce personnage, juste après, Humbert est consterné ("appalled") par le ramassis de c****ies qu'il vient d'entendre.
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- CeladonDemi-dieu
Tout ce qui a fait ses preuves y est remis en question avec la plus parfaite bonne foi et sans aucune intelligence. Jusqu'au patronyme de l'interlocuteur. C'est ahurissant, pour un texte de la première moitié du 20e !!!
- HocamSage
Triskel a écrit:Le fil que tu cites (j'ai l'impression d'avoir inventé l'eau tiède, d'un coup !) propose une traduction, qui est soit de Paratge, soit de Kahane. Elle ne conserve pas le jeu de mot, et je trouve, en toute modestie, que je ne m'en suis pas trop mal sorti.
Oui ! D'autant que la prose de Nabokov n'est pas nécessairement ce qu'il y a de plus facile à traduire.
Par simple goût pour la traduction, j'ai rapidement cherché d'autres options pour rendre ce passage en français. On pourrait proposer « les grands récits de l'histoire ont moins d'importance que leurs petites histoires à eux », mais c'est un peu plat et on peut trouver mieux.
Quoi qu'il en soit, merci d'avoir rappelé l'existence de ce passage.
- TriskelNiveau 7
Ravi qu'il ait plu On gardera le débat de la belle infidèle pour une autre fois.
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L'espoir des cantharides
Est un bien bel espoir.
- LouisBarthasExpert
Merci.
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- Spinoza1670Esprit éclairé
Très joli texte.
Le processus de destructiondes savoirs de l'enseignement des disciplines est déjà bien amorcé dans les années 50 aux USA. Un des grands responsables : G. Stanley Hall.
cf. http://www.sauv.net/delord/survol.html note 11
Cf. aussi les réflexions de Hannah Arendt sur cette question :
https://www.neoprofs.org/t50810-hannah-arendt-la-crise-de-l-education
Le processus de destruction
cf. http://www.sauv.net/delord/survol.html note 11
Cf. aussi les réflexions de Hannah Arendt sur cette question :
https://www.neoprofs.org/t50810-hannah-arendt-la-crise-de-l-education
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- InvitéPPPNiveau 8
Il faut reconnaître que c'est impressionnant. C'est le preuve que le mal ne date pas d'hier.
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