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- LevincentNiveau 9
Je vois en effet peut-être une distinction possible, dans le langage courant j'entends, entre principe et valeurs, dans une expression comme "être à cheval sur les principes", qui peut désigner l'attitude quelque peu rigide d'une personne qui dans ses actions donne la priorité aux principes. Cette expression peut servir à reprocher à cette personne de faire passer ces principes avant certaines valeurs, comme par exemple un enfant qui reprocherait à sa mère de faire primer dans son éducation les principes sur l'amour maternel.
- LevincentNiveau 9
Sur la question du relativisme des valeurs :
L'aspect subjectif que nous avons associé à la valeur nous incite à penser que toute valeur n'appartient qu'à un sujet particulier, et qu'elle ne vaut que pour lui. On est donc tenté de dire qu'une société ne peut donner la priorité à certaines valeurs plutôt qu'à d'autres, sinon de manière parfaitement arbitraire, et par là illégitime.
Cela est certainement vrai des valeurs que nous associons aux objets en raison des liens affectifs qu'ils nous évoquent. Les chaussettes léguées par mon grand-père n'ont de valeur que pour moi, et je ne peux raisonnablement m'attendre à ce qu'elles aient la même valeur aux yeux des autres que celle que je leur associe. Mais il en va déjà autrement d'autres types d'objets, tels que les œuvres d'art. Bien que l'appréciation que nous en faisons soit subjective, et que nous en ayons conscience, nous avons tout de même le sentiment que ce que nous éprouvons devant elles devrait être universellement reconnu. Ce qui est beau pour moi semble déborder de ma subjectivité et avoir une part dans le monde objectif. C'est d'ailleurs à peu près le cas, puisqu'une majorité de gens s'accordent à dire qu'un Picasso ou qu'un Rembrandt sont des chefs d’œuvre. Nous notons donc qu'il y a un moyen de partager des valeurs. Nous sommes autre chose que de simples monades incapables de communiquer avec l'extérieur, un terrain commun est possible pour les subjectivités individuelles. Cela est vrai pour les œuvres d'art dont la valeur peut se traduire par un prix de vente faramineux, mais cela est également vrai des valeurs plus abstraites, telles que la solidarité ou la liberté, qui ne sont pas la valeur de quelque chose, mais qui sont elles-mêmes des valeurs. Cela veut-il dire que les valeurs sont des abstractions ? Je dirais plutôt qu'elles sont la mesure des sentiments qui nous lient à ces abstractions et qui sont susceptibles de susciter des actions pouvant aller à l'encontre de nos propres intérêts. Ceci posé, nous comprenons comment une communauté de sentiment peut générer des valeurs communes. C'est le cas dans les groupes qui traversent une expérience collective. Mais alors se pose le problème suivant : si l'appartenance à un groupe détermine notre adhésion à des valeurs communément partagées, qu'en est-il des personnes extérieures au groupe qui, n'ayant pas vécu les mêmes choses, n'a pas développé d'affinité particulière envers ses valeurs ? Comme on l'a vu, les valeurs sont un motif extrêmement fort de l'action humaine, et il est probable que deux groupes ne partageant pas les mêmes valeurs finissent pas se battre pour impose la leur. Faut-il donc renoncer à toute valeur commune, au motif que ce serait un facteur de guerre, ou bien faut-il viser l'unité la plus large possible, qui fédère le plus grand nombre possible de personnes autour de mêmes valeurs supposément universelles ?
La première option reviendrait à déclarer que chacun est libre d'avoir ses propres valeurs, que nul ne peut en imposer, pas même l’État. C'est, en résumé, le projet libéral : les rapports sociaux ne doivent être régis que par l'intérêt individuel (le contraire même de la valeur, donc), et encadrés par le droit, qui est là pour empêcher l'empiètement des valeurs des uns sur les valeurs des autres (c'est la conception moderne de la liberté). Le marché et le droit constituent donc les deux axes de la société rendue totalement neutre du point de vue des valeurs. Cependant, le travail de Jean-Claude Michéa, que je citais l'autre jour, montre que ce mode de fonctionnement, en atomisant les individus (en en faisant justement des "monades" fermées sur elles-mêmes et libres individuellement de choisir leurs propres valeurs), leur fait oublier leur nature sociale, et ceci au détriment des liens de sociabilité élémentaires qui sont à la base de toute société. La rupture de ces liens, construits autour de la triple obligation dégagée par Mauss (donner, recevoir, rendre), conduisent à des conduites asociales et finissent par rendre toute société impossible, car dégénérant fatalement à la guerre de tous contre tous, péril dont Hobbes nous affirme qu'elle était justement censée nous protéger. Il semble donc nécessaire, afin de rendre la vie en société possible sans violer la liberté de chacun d'avoir ses valeurs à soi, d'imposer des valeurs communes minimales qui constitueraient une "décence commune" (common decency, l'expression est d'Orwell) et qui fournirait un socle pour juger communément que certaines choses ne se font pas (par exemple partir avec des millions d'euros de parachute doré lorsqu'on n'a pas été capable de satisfaire ses actionnaires).
J'étudierai la seconde option une autre fois, car il est déjà tard.
To be continued...
L'aspect subjectif que nous avons associé à la valeur nous incite à penser que toute valeur n'appartient qu'à un sujet particulier, et qu'elle ne vaut que pour lui. On est donc tenté de dire qu'une société ne peut donner la priorité à certaines valeurs plutôt qu'à d'autres, sinon de manière parfaitement arbitraire, et par là illégitime.
Cela est certainement vrai des valeurs que nous associons aux objets en raison des liens affectifs qu'ils nous évoquent. Les chaussettes léguées par mon grand-père n'ont de valeur que pour moi, et je ne peux raisonnablement m'attendre à ce qu'elles aient la même valeur aux yeux des autres que celle que je leur associe. Mais il en va déjà autrement d'autres types d'objets, tels que les œuvres d'art. Bien que l'appréciation que nous en faisons soit subjective, et que nous en ayons conscience, nous avons tout de même le sentiment que ce que nous éprouvons devant elles devrait être universellement reconnu. Ce qui est beau pour moi semble déborder de ma subjectivité et avoir une part dans le monde objectif. C'est d'ailleurs à peu près le cas, puisqu'une majorité de gens s'accordent à dire qu'un Picasso ou qu'un Rembrandt sont des chefs d’œuvre. Nous notons donc qu'il y a un moyen de partager des valeurs. Nous sommes autre chose que de simples monades incapables de communiquer avec l'extérieur, un terrain commun est possible pour les subjectivités individuelles. Cela est vrai pour les œuvres d'art dont la valeur peut se traduire par un prix de vente faramineux, mais cela est également vrai des valeurs plus abstraites, telles que la solidarité ou la liberté, qui ne sont pas la valeur de quelque chose, mais qui sont elles-mêmes des valeurs. Cela veut-il dire que les valeurs sont des abstractions ? Je dirais plutôt qu'elles sont la mesure des sentiments qui nous lient à ces abstractions et qui sont susceptibles de susciter des actions pouvant aller à l'encontre de nos propres intérêts. Ceci posé, nous comprenons comment une communauté de sentiment peut générer des valeurs communes. C'est le cas dans les groupes qui traversent une expérience collective. Mais alors se pose le problème suivant : si l'appartenance à un groupe détermine notre adhésion à des valeurs communément partagées, qu'en est-il des personnes extérieures au groupe qui, n'ayant pas vécu les mêmes choses, n'a pas développé d'affinité particulière envers ses valeurs ? Comme on l'a vu, les valeurs sont un motif extrêmement fort de l'action humaine, et il est probable que deux groupes ne partageant pas les mêmes valeurs finissent pas se battre pour impose la leur. Faut-il donc renoncer à toute valeur commune, au motif que ce serait un facteur de guerre, ou bien faut-il viser l'unité la plus large possible, qui fédère le plus grand nombre possible de personnes autour de mêmes valeurs supposément universelles ?
La première option reviendrait à déclarer que chacun est libre d'avoir ses propres valeurs, que nul ne peut en imposer, pas même l’État. C'est, en résumé, le projet libéral : les rapports sociaux ne doivent être régis que par l'intérêt individuel (le contraire même de la valeur, donc), et encadrés par le droit, qui est là pour empêcher l'empiètement des valeurs des uns sur les valeurs des autres (c'est la conception moderne de la liberté). Le marché et le droit constituent donc les deux axes de la société rendue totalement neutre du point de vue des valeurs. Cependant, le travail de Jean-Claude Michéa, que je citais l'autre jour, montre que ce mode de fonctionnement, en atomisant les individus (en en faisant justement des "monades" fermées sur elles-mêmes et libres individuellement de choisir leurs propres valeurs), leur fait oublier leur nature sociale, et ceci au détriment des liens de sociabilité élémentaires qui sont à la base de toute société. La rupture de ces liens, construits autour de la triple obligation dégagée par Mauss (donner, recevoir, rendre), conduisent à des conduites asociales et finissent par rendre toute société impossible, car dégénérant fatalement à la guerre de tous contre tous, péril dont Hobbes nous affirme qu'elle était justement censée nous protéger. Il semble donc nécessaire, afin de rendre la vie en société possible sans violer la liberté de chacun d'avoir ses valeurs à soi, d'imposer des valeurs communes minimales qui constitueraient une "décence commune" (common decency, l'expression est d'Orwell) et qui fournirait un socle pour juger communément que certaines choses ne se font pas (par exemple partir avec des millions d'euros de parachute doré lorsqu'on n'a pas été capable de satisfaire ses actionnaires).
J'étudierai la seconde option une autre fois, car il est déjà tard.
To be continued...
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« Un philosophe moderne qui n'a jamais éprouvé le sentiment d'être un charlatan fait preuve d'une telle légèreté intellectuelle que son oeuvre ne vaut guère la peine d'être lue. »
Leszek Kolakowski
- User17706Bon génie
Que fait-on avec un principe? ─ on le respecte, on le met en oeuvre, on l'applique, on s'y conforme...
Que fait-on avec une valeur? ─ (à remplir sur le même modèle.)
«Principe» est un nom pour des règles («coucher toujours dès le premier soir»). «Valeur» est plutôt un nom pour des biens («les hommes poilus»).
Il n'est pas neutre d'appeler «principe» une règle. Il n'est pas neutre non plus d'appeler «valeur» un bien.
Parler d'irréfutabilité dans les deux cas, pourquoi pas, mais c'est surtout la différence qui me semble importante. Un principe n'est pas, normalement, par hasard princeps. Usuellement on estime avoir une raison (fût-elle d'un autre ordre que celui que le principe commande) de placer une règle à une position fondamentale. Avec la notion de valeur l'absence de justification semble nettement plus flagrante et surtout ne semble pas du même type. «Nous ne partons pas des mêmes principes» peut ouvrir une discussion sur les principes. «Nous n'avons pas les mêmes valeurs» est une façon de briser là.
Si l'on cherche à neutraliser au maximum la notion de valeur et à en faire seulement «ce à quoi l'on attache un prix» (certes la tautologie rôde), on pose un «sujet de la valorisation», pour jargonner, bref un sujet qui hiérarchise, qui préfère, qui néglige. Ce sujet-là, difficile de le désincarner, d'en faire un transcendantal. La rhubarbe est une cible de choix pour la limace; en revanche cette dernière méprise superbement les Impromptus de Schubert (la limace, sauf erreur, est dépourvue d'organe auditif). Difficile de ne pas relativiser la notion de valeur à un sujet (individuel ou collectif) qui est engagé dans des préférences: «J'aime le flan, il aime la salade» (Audiberti). Difficile, aussi, de dire qu'une préférence n'est pas elle-même toujours relative, non seulement au sujet qui préfère, mais également à ce à quoi ce qui est préféré est préféré. Il y a des développements chez les Stoïciens d'une grande profondeur sur la notion de «préférable»: ce qu'on choisira plutôt, mais qui n'est pas pour autant un bien au sens fort du terme. Cicéron se moque: le Stoïcien choisira plutôt la vie vertueuse avec le luxe d'une brosse à cheveux que la vie vertueuse sans ce luxe, mais ne veut pas admettre que la brosse à cheveux soit un bien au sens propre? Oui, c'est exactement ce que dit le Stoïcien: qu'il y a un décrochage, un changement de logique si j'ose dire, entre d'une part ce qui relève de la préférence, du «plutôt», et d'autre part ce qui constitue le bien proprement dit ou la vertu, qui, lui (elle), ne se monnaie ni ne se négocie.
Autre question, après un pas de côté: la réflexion morale pourrait-elle tout bonnement se passer de la notion de valeur ou d'un équivalent? (On pourrait s'amuser à proposer de lire les travaux de Kant sur la morale comme une tentative de ce type.)
(Ceci n'est pas, ou pas vraiment, une réponse aux posts précédents.)
Que fait-on avec une valeur? ─ (à remplir sur le même modèle.)
«Principe» est un nom pour des règles («coucher toujours dès le premier soir»). «Valeur» est plutôt un nom pour des biens («les hommes poilus»).
Il n'est pas neutre d'appeler «principe» une règle. Il n'est pas neutre non plus d'appeler «valeur» un bien.
Parler d'irréfutabilité dans les deux cas, pourquoi pas, mais c'est surtout la différence qui me semble importante. Un principe n'est pas, normalement, par hasard princeps. Usuellement on estime avoir une raison (fût-elle d'un autre ordre que celui que le principe commande) de placer une règle à une position fondamentale. Avec la notion de valeur l'absence de justification semble nettement plus flagrante et surtout ne semble pas du même type. «Nous ne partons pas des mêmes principes» peut ouvrir une discussion sur les principes. «Nous n'avons pas les mêmes valeurs» est une façon de briser là.
Si l'on cherche à neutraliser au maximum la notion de valeur et à en faire seulement «ce à quoi l'on attache un prix» (certes la tautologie rôde), on pose un «sujet de la valorisation», pour jargonner, bref un sujet qui hiérarchise, qui préfère, qui néglige. Ce sujet-là, difficile de le désincarner, d'en faire un transcendantal. La rhubarbe est une cible de choix pour la limace; en revanche cette dernière méprise superbement les Impromptus de Schubert (la limace, sauf erreur, est dépourvue d'organe auditif). Difficile de ne pas relativiser la notion de valeur à un sujet (individuel ou collectif) qui est engagé dans des préférences: «J'aime le flan, il aime la salade» (Audiberti). Difficile, aussi, de dire qu'une préférence n'est pas elle-même toujours relative, non seulement au sujet qui préfère, mais également à ce à quoi ce qui est préféré est préféré. Il y a des développements chez les Stoïciens d'une grande profondeur sur la notion de «préférable»: ce qu'on choisira plutôt, mais qui n'est pas pour autant un bien au sens fort du terme. Cicéron se moque: le Stoïcien choisira plutôt la vie vertueuse avec le luxe d'une brosse à cheveux que la vie vertueuse sans ce luxe, mais ne veut pas admettre que la brosse à cheveux soit un bien au sens propre? Oui, c'est exactement ce que dit le Stoïcien: qu'il y a un décrochage, un changement de logique si j'ose dire, entre d'une part ce qui relève de la préférence, du «plutôt», et d'autre part ce qui constitue le bien proprement dit ou la vertu, qui, lui (elle), ne se monnaie ni ne se négocie.
Autre question, après un pas de côté: la réflexion morale pourrait-elle tout bonnement se passer de la notion de valeur ou d'un équivalent? (On pourrait s'amuser à proposer de lire les travaux de Kant sur la morale comme une tentative de ce type.)
(Ceci n'est pas, ou pas vraiment, une réponse aux posts précédents.)
- PanturleNiveau 8
PauvreYorick a écrit:
Autre question, après un pas de côté: la réflexion morale pourrait-elle tout bonnement se passer de la notion de valeur ou d'un équivalent? (On pourrait s'amuser à proposer de lire les travaux de Kant sur la morale comme une tentative de ce type.)
C'est intéressant, en effet. Dans une direction apparemment toute opposée, l'utilitarisme ne tente-t-il pas un geste similaire (Mill subsumant même l'impératif catégorique sous le principe d'utilité) ?
Du coup, je me demande comment de telles tentatives peuvent résister durablement à une critique consistant à réduire le principe au rang de valeur. Je pense par exemple à l'analyse marxienne de la morale de la bonne volonté comme faisant très petite-bourgeoise, ou aux sarcasmes de Nietzsche à l'encontre de la pureté de l'impératif catégorique et du principe d'utilité. (Ces deux exemples pouvant très bien être pris comme deux modèles de mauvaise foi.)
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Multaque res subita et paupertas horrida suasit.
- LevincentNiveau 9
PauvreYorick a écrit:
Autre question, après un pas de côté: la réflexion morale pourrait-elle tout bonnement se passer de la notion de valeur ou d'un équivalent? (On pourrait s'amuser à proposer de lire les travaux de Kant sur la morale comme une tentative de ce type.)
La question est bien posée dans la mesure où c'est la réflexion morale qui en est au centre, et non la morale elle-même. La démarche de Kant, qui consiste à chercher dans la raison elle-même un fondement à la morale, aboutit à trouver une norme qui sert en quelque sorte de mètre-étalon à toute action morale. Si une action est morale, alors sa maxime peut être érigé en principe universel, etc. Mais ce faisant, a-t-il trouvé ce qui motive véritablement l'action morale ? Schopenhauer, dans Le double problème fondamental de l'éthique, démontre de manière assez drôle que non : si un amant est porté à tuer son concurrent par un accès de jalousie, ce qui l'arrête n'est pas la pensée que la maxime de son action ne pourrait ainsi pas être érigée en principe universel pour tout être raisonnable, pas plus que celle selon laquelle il considèrerait ainsi son rival en tant que moyen et non en tant que fin. Non, le frein le plus puissant à son envie meurtrière, outre la loi, c'est la pensée de la souffrance fatale qu'il infligerait à l'autre. Schopenhauer fait donc de la compassion le fondement de toute conduite morale. Pour lui, la compassion, le fait de réellement souffrir en l'autre (et non à la place de) est la conséquence de sa métaphysique qui fait du monde la manifestation d'une volonté unique. Lorsque je fais du mal à autrui, je contrarie sa volonté, mais cette volonté est aussi la mienne, puisqu'en réalité je ne me distingue des autres choses que dans le monde des phénomènes, alors que la chose en soi, la volonté, est unique. Par conséquent, si Schopenhauer réfute Kant, sa morale est elle aussi sans valeurs, puisque ce qui nous pousse à agir moralement n'est pas une abstraction à laquelle nous attribuons une préférence sur toutes les autres choses, mais un sentiment diffus lié à notre généalogie d'êtres exprimant une volonté.
Mais la doctrine de Schopenhauer se distingue-t-elle véritablement de celle de Kant, qui établit, à la fin de Critique de la raison pratique, un lien entre "la loi morale à l'intérieur de moi" et "le ciel étoilé au-dessus de ma tête"? Ce que Kant exprime ici n'est-il pas une intuition de la liaison entre tous les êtres de l'univers, n'est-ce pas une méditation apaisée qui prend sa source dans la conscience de l'unité du cosmos ? Pour moi, cette remarque de Kant est ce qui le sauve de sa morale très sèche, rigide, mécanique, elle est ce qui met un peu de vie dans un principe qui en manquait terriblement. Mais ce principe revivifié n'en est pour autant pas une valeur, et pourtant il conserve sa légitimité sur la conduite de la morale.
Il y a un autre zig qui me fait penser à Kant, c'est Confucius. C'est en quelque sorte l'exemple vivant d'une morale que Kant a théorisé sans en montrer d'exemple flagrant. Confucius, c'est le lettré hyper-conservateur, qui fait des convenances sociales une norme absolue, qui se méfie des grands idéaux et des belles valeurs, qui recommande de s'observer et de se corriger soi-même le plus strictement possible, et qui pourtant paraît rayonnant, débonnaire, débordant de vitalité et de sympathie. Il était moqué par Tchouang-tseu, qui mettait la liberté individuelle et le contact avec la nature au-dessus de tout (valeur, donc), et qui pourtant est un anti-moraliste (amoralité avec des valeurs)(on peut citer Sade, aussi, dans un autre registre). Le suiveur de Confucius, Mencius, postule une disposition morale présente au coeur de chaque être humain, à partir de l'exemple suivant : si vous voyez un enfant sur le point de tomber dans un puits, vous vous précipitez pour le retenir. Ce qui vous a porté au secours de l'enfant, ce n'est pas l'espoir d'une récompense, ce n'est pas l'idée que vous serez incommodé par les cris de l'enfant, non plus que l'envie d'obtenir la gratitude des parents ou tout autre avantage personnel : ce qui a déclenché votre geste, c'est cette disposition morale, appelée "racine foncière". Elle est présente naturellement en chaque être humain, mais elle peut dégénérer si on ne la cultive pas par l'étude. Pour aller plus loin dans cette notion et pour voir comment on peut la rapporter à la loi morale kantienne, je peux conseiller de lire Spécificités de la philosophie chinoise, de Mou Zongsan, si vous aimez l'exotisme.
Tout cela pour dire que le champ me paraît effectivement assez large pour penser la morale sans recourir à la notion de valeurs.
- PanturleNiveau 8
Levincent a écrit: Kant, qui établit, à la fin de Critique de la raison pratique, un lien entre "la loi morale à l'intérieur de moi" et "le ciel étoilé au-dessus de ma tête"? Ce que Kant exprime ici n'est-il pas une intuition de la liaison entre tous les êtres de l'univers, n'est-ce pas une méditation apaisée qui prend sa source dans la conscience de l'unité du cosmos ?
(...)
Tchouang-tseu, qui mettait la liberté individuelle et le contact avec la nature au-dessus de tout (valeur, donc), et qui pourtant est un anti-moraliste (amoralité avec des valeurs)(on peut citer Sade, aussi, dans un autre registre).
Ce paradoxe apparent me fait penser au dialogue entre Socrate et Calliclès (dont le discours accorde aussi une place privilégiée à la φύσις).
« Les savants, Calliclès, affirment que le ciel et la terre, les dieux et les hommes, sont liés ensemble par l’amitié, le respect et l’ordre, la modération et la justice, et pour cette raison ils appellent l’univers l’ordre des choses, non le désordre ni le dérèglement. Tu n’y fais pas attention, je crois, malgré toute ta science, et tu oublies que l’égalité géométrique est toute-puissante parmi les dieux comme parmi les hommes. Tu es d’avis qu’il faut travailler à l’emporter sur les autres : c’est que tu négliges ta géométrie. » (Gorgias, 508 a)
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Multaque res subita et paupertas horrida suasit.
- LevincentNiveau 9
J'en était au point où je me demandais s'il était préférable que des valeurs communes soient partagées par le groupe le plus grand possible.
Si nous avons vu que le caractère absolu que les valeurs peuvent avoir du point de vue de ceux qui les adoptent peut amener à des affrontements entre groupes affichant des valeurs opposées ou même différentes, alors nous pouvons supposer que le remède à la violence guerrière soit l'instauration d'une universalité des valeurs, c'est-à-dire au rassemblement de toute l'humanité sous la même banière, la déclaration de valeurs non pas propres à une culture, mais inhérentes à l'humanité même, de façon à ce que tout être humain puisse s'y reconnaître. C'est le projet du christianisme, de l'islam, mais aussi de l'universalisme des droits de l'Homme. Un regard sur l'histoire laisse perplexe quant à la possibilité qu'une telle chose se réalise un jour, et ce d'autant plus où ce n'est pas un universalisme qui tente de rassembler des particularismes, mais différents universalismes, ou prétendus tels, qui se font concurrence. Mais quand bien même, un tel état de choses est-il souhaitable ? L'avantage avec le relativisme des valeurs, c'est que je peux affirmer ma liberté en me constituant ma propre hiérarchie des valeurs. Je peux également, si les valeurs majoritaires d'un pays ne me plaisent pas, changer de pays. Or, aucune possibilité de ce genre ne me serait laissée dans un monde unifié, et je n'aurais qu'à choisir entre l'adhésion forcée à des valeurs et l'exclusion, si les valeurs "gagnantes" ne me convenaient pas. Mais si les valeurs instaurées à un niveau mondial sont bien telles que je les ai décrites, c'est-à-dire inhérentes à notre humanité, le fait d'y adhérer n'est-il pas justement un acte de liberté, car affirmation de ma nature véritable et adéquation avec moi-même ? Ce serait sans doute le cas, mais encore faut-il que je dispose d'un critère sûr pour sélectionner et hiérarchiser les valeurs.
Nous ne pouvons que remarquer la grande diversité de ce que les uns et les autres valorisent. Tel va vanter les vertus de la concurrence et de l'esprit de compétition, qui stimule les talents, tel autre fera valoir que l'égalité a l'avantage de ne pas produire de laissés pour compte ; certaines nations valorisent le courage, d'autres préfèrent la ruse que les premières méprisent (on se reportera à l'ouvrage de Yuri Slezkine, Le Siècle Juif, qui montre comment cette préférence pour l'une ou pour l'autre de ces deux vertus tient au côté "appollinien" ou "mercurien" du peuple en question). Il semble donc difficile de faire émerger des valeurs qui surpassent absolument les autres, puisqu'à chaque valeur on peut en opposer une autre qui la neutralise et l'empêche de concourir pour la place de valeur universellement reconnue.
Mais revenons à ce que nous avons dit à propos des valeurs. Ce peut être des objets (oeuvres d'art, objets historiques), ou des qualités (force, continence, générosité) auxquels nous accordons notre préférence, soit des abstractions, des idéaux qui peuvent nous pousser à agir même contre nos propres intérêts. Dans le cas des idéaux, on peut se demander si la neutralisation dont nous venons de parler a toujours cours. Des hommes sont capables de risquer leur vie pour défendre la liberté, la paix, la justice, mais pas pour la servitude, la guerre ou l'injustice. Entendons-nous bien : des hommes peuvent mourir parce qu'ils sont en état de servitude, parce qu'ils servent la guerre ou l'injustice, mais ce faisant c'est la poursuite de l'intérêt qu'ils avaient à ces choses et les contraintes qui les retenaient qui les amènent à cette fin tragique. Ce n'est pas l'idée en elle-même de servitude, de guerre ou d'injustice qui les a enflammé jusqu'à se porter volontaire au martyr. Nous pouvons donc dire que des valeurs telles que la liberté, la paix, ou la justice (liste non exhaustive) sont munies d'une positivité qui les impose naturellement au rang de valeurs universalisables, et que tout projet d'universalisme ne peut se faire sans elles.
Si nous avons vu que le caractère absolu que les valeurs peuvent avoir du point de vue de ceux qui les adoptent peut amener à des affrontements entre groupes affichant des valeurs opposées ou même différentes, alors nous pouvons supposer que le remède à la violence guerrière soit l'instauration d'une universalité des valeurs, c'est-à-dire au rassemblement de toute l'humanité sous la même banière, la déclaration de valeurs non pas propres à une culture, mais inhérentes à l'humanité même, de façon à ce que tout être humain puisse s'y reconnaître. C'est le projet du christianisme, de l'islam, mais aussi de l'universalisme des droits de l'Homme. Un regard sur l'histoire laisse perplexe quant à la possibilité qu'une telle chose se réalise un jour, et ce d'autant plus où ce n'est pas un universalisme qui tente de rassembler des particularismes, mais différents universalismes, ou prétendus tels, qui se font concurrence. Mais quand bien même, un tel état de choses est-il souhaitable ? L'avantage avec le relativisme des valeurs, c'est que je peux affirmer ma liberté en me constituant ma propre hiérarchie des valeurs. Je peux également, si les valeurs majoritaires d'un pays ne me plaisent pas, changer de pays. Or, aucune possibilité de ce genre ne me serait laissée dans un monde unifié, et je n'aurais qu'à choisir entre l'adhésion forcée à des valeurs et l'exclusion, si les valeurs "gagnantes" ne me convenaient pas. Mais si les valeurs instaurées à un niveau mondial sont bien telles que je les ai décrites, c'est-à-dire inhérentes à notre humanité, le fait d'y adhérer n'est-il pas justement un acte de liberté, car affirmation de ma nature véritable et adéquation avec moi-même ? Ce serait sans doute le cas, mais encore faut-il que je dispose d'un critère sûr pour sélectionner et hiérarchiser les valeurs.
Nous ne pouvons que remarquer la grande diversité de ce que les uns et les autres valorisent. Tel va vanter les vertus de la concurrence et de l'esprit de compétition, qui stimule les talents, tel autre fera valoir que l'égalité a l'avantage de ne pas produire de laissés pour compte ; certaines nations valorisent le courage, d'autres préfèrent la ruse que les premières méprisent (on se reportera à l'ouvrage de Yuri Slezkine, Le Siècle Juif, qui montre comment cette préférence pour l'une ou pour l'autre de ces deux vertus tient au côté "appollinien" ou "mercurien" du peuple en question). Il semble donc difficile de faire émerger des valeurs qui surpassent absolument les autres, puisqu'à chaque valeur on peut en opposer une autre qui la neutralise et l'empêche de concourir pour la place de valeur universellement reconnue.
Mais revenons à ce que nous avons dit à propos des valeurs. Ce peut être des objets (oeuvres d'art, objets historiques), ou des qualités (force, continence, générosité) auxquels nous accordons notre préférence, soit des abstractions, des idéaux qui peuvent nous pousser à agir même contre nos propres intérêts. Dans le cas des idéaux, on peut se demander si la neutralisation dont nous venons de parler a toujours cours. Des hommes sont capables de risquer leur vie pour défendre la liberté, la paix, la justice, mais pas pour la servitude, la guerre ou l'injustice. Entendons-nous bien : des hommes peuvent mourir parce qu'ils sont en état de servitude, parce qu'ils servent la guerre ou l'injustice, mais ce faisant c'est la poursuite de l'intérêt qu'ils avaient à ces choses et les contraintes qui les retenaient qui les amènent à cette fin tragique. Ce n'est pas l'idée en elle-même de servitude, de guerre ou d'injustice qui les a enflammé jusqu'à se porter volontaire au martyr. Nous pouvons donc dire que des valeurs telles que la liberté, la paix, ou la justice (liste non exhaustive) sont munies d'une positivité qui les impose naturellement au rang de valeurs universalisables, et que tout projet d'universalisme ne peut se faire sans elles.
- PanturleNiveau 8
Rapport de jury de l'agrégation externe de 2003
On y trouve des choses intéressantes autour du sujet "Faits et valeurs".
On y trouve des choses intéressantes autour du sujet "Faits et valeurs".
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Multaque res subita et paupertas horrida suasit.
- User19866Expert
A l'issue de la lecture de la 1re page de ce fil, je vous avoue humblement ne pas avoir compris les interventions suivantes :
Je remarque qu'en une page de discussion, personne n'a encore défini principes et valeurs, sauf Elyas qui s'y est essayé sans que personne ne lui dise ce qu'il ou elle pensait de ses définitions. (Et ce, en dépit du fait que mon professeur de philosophie nous disait sans cesse de commencer par définir les termes du sujet ! Je ne vous félicite pas, Messieurs-Dames philosophes !)
Je lis la 2e page et je reviens vers vous.
Le relativisme comporte un fardeau d'incroyance que peu d'hommes peuvent supporter s'ils sont vraiment conscients de son poids. Notre relativisme repose en équilibre instable sur la conviction que la démocratie est bonne ─ et qu'elle gagnera la partie sans avoir à être soutenue par la nature ou la raison. [...] En d'autres termes, elle rend la culture générale superflue et même impossible.
Si une bonne âme pouvait éclairer ma lanterne.Le principe, quant à lui, en tant que principe, semble aussi exclure toute réfutation, qu'il "commanderait" de bout en bout (ἀρχή désigne en grec tant le commencement que le commandement), entraînant ainsi un raisonnement circulaire (cf. ce que dit Aristote en Métaphysique, Gamma, 1006a sur le principe de non-contradiction : si je tentais de le démontrer ou de le réfuter, je serais obligé d'y recourir en tant que principe dans ma démonstration). Il faudrait tester cette hypothèse sur d'autres principes : une des propriétés du principe est-elle de ne pouvoir être démontré/réfuté sans être convoqué dans la démonstration ? [...] De leur côté, les principes semblent pouvoir trouver la justification de leur élection dans leur puissance heuristique.
Je remarque qu'en une page de discussion, personne n'a encore défini principes et valeurs, sauf Elyas qui s'y est essayé sans que personne ne lui dise ce qu'il ou elle pensait de ses définitions. (Et ce, en dépit du fait que mon professeur de philosophie nous disait sans cesse de commencer par définir les termes du sujet ! Je ne vous félicite pas, Messieurs-Dames philosophes !)
Je lis la 2e page et je reviens vers vous.
- User19866Expert
Ne peut-on pas dire que "valeur" a aussi une prétention universelle ?Cripure a écrit:J'avais tenté, de façon brouillonne, de formuler que le principe est une idée fondatrice à prétention universelle, quand la valeur n'attend point le nom représente ce que chacun dans son coin estime bon. J'ai bien conscience que c'est maigre, mais bon...
Sinon, j'ai retenu les définitions suivantes :
Le principe comme fondement juridique, OK. Mais alors le fait que tous les citoyens soient égaux en droits, c'est un principe ou une valeur ?Elyas a écrit:[U]n principe [...] s'inscrit dans le cadre législatif comme un des fondements juridiques de notre pays, donc un principe de la République [...] une des choses premières constitutives de notre contrat social et juridique
Quid alors des "principes de la République" ?Levincent a écrit:Un principe est ce qui fonde une connaissance ou une pratique. On parle des principes de la géométrie ou du principe de précaution. [...] Une valeur peut être associée à un objet, comme une oeuvre d'art. Elle désigne alors une préférence pour cet objet par rapport à d'autres.
Le 4e amendement de la Constitution américaine, c'est un principe ou une valeur ? Ne peut-on pas avoir des principes absolus valant pour tout le monde dans un microcosme donné (ici, les Etats-Unis) qui deviennent valeur dans un macrocosme (ici, l'échelle mondiale) ?Levincent a écrit:Autre différence : les principes sont absolus et valent pour tout le monde, tandis que les valeurs sont relatives.
En revanche, j'ai bien aimé ces passages :
Levincent a écrit:Je mets donc les principes et les valeurs dans deux catégories distinctes qui correspondent aux catégories du statique et du dynamique chez Bergson. Le statique correspond au mécanique et au rationnel, tandis que le dynamique renvoie au vivant et à la mystique.
Levincent a écrit:Cela veut-il dire que les valeurs sont des abstractions ? Je dirais plutôt qu'elles sont la mesure des sentiments qui nous lient à ces abstractions
Par ailleurs,
N'y a-t-il pas là concaténation avec la notion de culture (acquise, et propre à un certain groupe, dirait Bourdieu) ? Partage-t-on des valeurs universelles, ou bien se conforme-t-on à des principes de vie en communauté ?Levincent a écrit:C'est d'ailleurs à peu près le cas, puisqu'une majorité de gens s'accordent à dire qu'un Picasso ou qu'un Rembrandt sont des chefs d’œuvre. Nous notons donc qu'il y a un moyen de partager des valeurs.
Bon, Levincent pondant des pavés, je vais saucissonner mes réponses à ce fil en plusieurs messages, de manière thématique en quelque sorte. Cela facilitera sûrement les réponses éventuelles.
- Tem-toGrand sage
Très humblement : une valeur est subjective, un principe ne l'est pas ?
- User19866Expert
Ah bon ? Ce sont des définitions largement acceptées, ça ?PY a écrit:«Principe» est un nom pour des règles («coucher toujours dès le premier soir»). «Valeur» est plutôt un nom pour des biens («les hommes poilus»).
On ne peut pas hiérarchiser, préférer, négliger certains principes plutôt que d'autres ?PY a écrit:Si l'on cherche à neutraliser au maximum la notion de valeur et à en faire seulement «ce à quoi l'on attache un prix» (certes la tautologie rôde), on pose un «sujet de la valorisation», pour jargonner, bref un sujet qui hiérarchise, qui préfère, qui néglige.
Bref, je ne suis pas sûre d'avoir compris la différence, au terme de ma lecture.
- User19866Expert
Moi je veux bien partir de là. Mais tu pourrais me citer un principe qui réponde à ta définition, et qui ne soit pas scientifique (mathématique, géométrique, physique) ? Par exemple, que mettrais-tu derrière l'expression "les principes de la République" ?Petitfils a écrit:Très humblement : une valeur est subjective, un principe ne l'est pas ?
- User5899Demi-dieu
Oh vu la formulation, on peut sûrement le direDalathée2 a écrit:Ne peut-on pas dire que "valeur" a aussi une prétention universelle ?Cripure a écrit:J'avais tenté, de façon brouillonne, de formuler que le principe est une idée fondatrice à prétention universelle, quand la valeurn'attend point le nomreprésente ce que chacun dans son coin estime bon. J'ai bien conscience que c'est maigre, mais bon...
Mais je ne crois pas. Parce que peut-on disjoindre "valoir" de "valoir pour quelqu'un" ?
- User5899Demi-dieu
Le caractère non héréditaire des fonctions et la séparation des pouvoirs.Dalathée2 a écrit:Moi je veux bien partir de là. Mais tu pourrais me citer un principe qui réponde à ta définition, et qui ne soit pas scientifique (mathématique, géométrique, physique) ? Par exemple, que mettrais-tu derrière l'expression "les principes de la République" ?Petitfils a écrit:Très humblement : une valeur est subjective, un principe ne l'est pas ?
- User5899Demi-dieu
Mais cette valeur se fixe en salle des ventesLevincent a écrit:Une majorité de gens s'accordent à dire qu'un Picasso ou qu'un Rembrandt sont des chefs d’œuvre. Nous notons donc qu'il y a un moyen de partager des valeurs.
- Tem-toGrand sage
Dalathée2 a écrit:Moi je veux bien partir de là. Mais tu pourrais me citer un principe qui réponde à ta définition, et qui ne soit pas scientifique (mathématique, géométrique, physique) ? Par exemple, que mettrais-tu derrière l'expression "les principes de la République" ?Petitfils a écrit:Très humblement : une valeur est subjective, un principe ne l'est pas ?
En ce qui concerne la République française, je dirais la Constitution française
- User17706Bon génie
Non, vu que personne ne définit jamais rien. En revanche il me semble que ça rend compte de l'usage ultramajoritaire.Dalathée2 a écrit:Ah bon ? Ce sont des définitions largement acceptées, ça ?PY a écrit:«Principe» est un nom pour des règles («coucher toujours dès le premier soir»). «Valeur» est plutôt un nom pour des biens («les hommes poilus»).
Si, bien entendu.Dalathée2 a écrit:On ne peut pas hiérarchiser, préférer, négliger certains principes plutôt que d'autres ?PY a écrit:Si l'on cherche à neutraliser au maximum la notion de valeur et à en faire seulement «ce à quoi l'on attache un prix» (certes la tautologie rôde), on pose un «sujet de la valorisation», pour jargonner, bref un sujet qui hiérarchise, qui préfère, qui néglige.
Non mais comme j'ai dit ailleurs, il faudrait remettre en ordre tout le fatras des remarques de ce fil. Je me souvenais que c'était le boxon, mais pas à ce point.
- User19866Expert
Je comprends, à partir de cet exemple, comment on peut grosso modo placer un élément dans la catégorie "principes" ou dans la catégorie "valeurs". Cependant, ici, la distinction me paraît s'effectuer à partir de l'appartenance au domaine juridique (Elyas disait : "[U]n principe [...] s'inscrit dans le cadre législatif comme un des fondements juridiques de notre pays"). A cet égard, "le vivre ensemble" (si tant est que qui que ce soit soit en mesure de définir ce faux substantif) n'est pas un principe mais une valeur. Soit.Cripure a écrit:Le caractère non héréditaire des fonctions et la séparation des pouvoirs.Dalathée2 a écrit:Moi je veux bien partir de là. Mais tu pourrais me citer un principe qui réponde à ta définition, et qui ne soit pas scientifique (mathématique, géométrique, physique) ? Par exemple, que mettrais-tu derrière l'expression "les principes de la République" ?Petitfils a écrit:Très humblement : une valeur est subjective, un principe ne l'est pas ?
Mais la définition donnée (principe = universel ; valeur = subjective) ne me paraît pas pour autant satisfaisante en ce qu'elle ne permet à coup sûr de ranger un élément dans l'une ou l'autre catégorie. J'ai l'impression que s'en tenir à cette définition, c'est risquer de faire reposer la distinction sur une forme de pifomètre personnel. Cela étant, il se peut que ce soit un peu comme la définition de ce qui est moral et de ce qui ne l'est pas : tout le monde est capable de dire si une chose est morale ou non, mais il semble impossible d'établir une liste de critères à la fois nécessaires et suffisants.
Le fait qu'on accorde aux axiomes "caractère non héréditaire des fonctions" et "séparation des pouvoirs" le titre de "principe" n'est-il pas un reflet de notre subjectivité et de nos valeurs ?
Et d'ailleurs, qu'appelle-t-on (même improprement) "les valeurs de la République" ? Est-ce que cette expression est juste une erreur de vocabulaire (on parle de "valeurs" au lieu de parler de "principes") ou bien on se réfère dans l'un et l'autre cas à des éléments différents ?
Moui, enfin tu admettras sans doute que ce genre de réponse (à supposer que ce ne soit pas juste une manière d'ergoter sur l'usage du mot "définition" ) n'est pas entièrement satisfaisant. Si on veut avoir une discussion sur le sujet "valeurs et principes", il serait bon d'avoir une définition, même imparfaite, même minimale, de la chose.PauvreYorick a écrit:Non, vu que personne ne définit jamais rien. En revanche il me semble que ça rend compte de l'usage ultramajoritaire.Dalathée2 a écrit:Ah bon ? Ce sont des définitions largement acceptées, ça ?PY a écrit:«Principe» est un nom pour des règles («coucher toujours dès le premier soir»). «Valeur» est plutôt un nom pour des biens («les hommes poilus»).
En l'état, je suis absolument incapable de voir clairement où se situe la différence. (Il y a bien cette histoire d'universel et de subjectif, qui donne un élément de réponse. )
- RogerMartinBon génie
Là c'est sûr on se croirait dans le flood. J'en rajoute un peu?
valeur = relatif, partagé, consensuel, mais principe = fondateur, absolu, catégorique ?
valeur = relatif, partagé, consensuel, mais principe = fondateur, absolu, catégorique ?
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Strange how paranoia can link up with reality now and then.
- User5899Demi-dieu
J'appelle principes (ci-dessus) ce sans quoi il n'y a pas de république (par exemple, la présence d'une famille royale en Grande-Bretagne, d'un roi en Belgique ou d'un hibou au Luxembourg (hihihi ) fait que ces régimes ne sont pas républicains). Quand Sarkozy a voulu faire nommer son fils à la tête de l'EPAD, ce fut un beau scandale.Dalathée2 a écrit:Le fait qu'on accorde aux axiomes "caractère non héréditaire des fonctions" et "séparation des pouvoirs" le titre de "principe" n'est-il pas un reflet de notre subjectivité et de nos valeurs ?
Et d'ailleurs, qu'appelle-t-on (même improprement) "les valeurs de la République" ? Est-ce que cette expression est juste une erreur de vocabulaire (on parle de "valeurs" au lieu de parler de "principes") ou bien on se réfère dans l'un et l'autre cas à des éléments différents ?
En revanche, proclamer la nécessité de l'accueil des réfugiés n'est pas un acte consensuel et la république, qu'elle les accueille ou pas, n'est pas menacée dans ses principes.
Non ?
- User17706Bon génie
Ben la remarque que j'ai proposée (et dont on trouve trace dans la langue courante) fournit justement un bout de base de départ pour distinguer les deux, et il me semble toujours que ça décrit une base commune (même si, en effet, ce n'est pas du tout une définition, ça je l'admets et même le souligne).Dalathée2 a écrit:Moui, enfin tu admettras sans doute que ce genre de réponse (à supposer que ce ne soit pas juste une manière d'ergoter sur l'usage du mot "définition" ) n'est pas entièrement satisfaisant. Si on veut avoir une discussion sur le sujet "valeurs et principes", il serait bon d'avoir une définition, même imparfaite, même minimale, de la chose.PauvreYorick a écrit:Non, vu que personne ne définit jamais rien. En revanche il me semble que ça rend compte de l'usage ultramajoritaire.Dalathée2 a écrit:Ah bon ? Ce sont des définitions largement acceptées, ça ?PY a écrit:«Principe» est un nom pour des règles («coucher toujours dès le premier soir»). «Valeur» est plutôt un nom pour des biens («les hommes poilus»).
Par exemple, si tu dis que l'égalité devant la loi est un principe, tu renvoies à ce qui se formule, sous forme complète, comme une règle, juridique en l'occurrence ("les hommes naissent et demeurent [...] égaux en droits"). On jugerait assez incongru de présenter l'égalité devant la loi comme une valeur.
Si tu demandes un exemple de valeur, tu vas te trouver régulièrement avec un substantif difficilement explicitable (tu peux avoir "fraternité" ou "charité" comme réponse, par exemple).
- User5899Demi-dieu
Hibou parce que grand duc parce que grand duché
Il fallait vraiment expliquer ? :shock:
Il fallait vraiment expliquer ? :shock:
- User19866Expert
Je comprends la définition. C'est vraiment se placer sur le plan du droit, de la définition légale de la république.Cripure a écrit:J'appelle principes (ci-dessus) ce sans quoi il n'y a pas de république (par exemple, la présence d'une famille royale en Grande-Bretagne, d'un roi en Belgique ou d'un hibou au Luxembourg (hihihi ) fait que ces régimes ne sont pas républicains). Quand Sarkozy a voulu faire nommer son fils à la tête de l'EPAD, ce fut un beau scandale.Dalathée2 a écrit:Le fait qu'on accorde aux axiomes "caractère non héréditaire des fonctions" et "séparation des pouvoirs" le titre de "principe" n'est-il pas un reflet de notre subjectivité et de nos valeurs ?
Et d'ailleurs, qu'appelle-t-on (même improprement) "les valeurs de la République" ? Est-ce que cette expression est juste une erreur de vocabulaire (on parle de "valeurs" au lieu de parler de "principes") ou bien on se réfère dans l'un et l'autre cas à des éléments différents ?
En revanche, proclamer la nécessité de l'accueil des réfugiés n'est pas un acte consensuel et la république, qu'elle les accueille ou pas, n'est pas menacée dans ses principes.
Non ?
Je remarque deux conséquences de cette définition des "principes de la République" (qui, d'ailleurs, prend une majuscule dans cette expression, je crois ; est-ce que cela change foncièrement l'acception de l'expression ?). D'une part, je ne suis pas certaine que la séparation des pouvoirs est une condition d'existence sine qua non de la république (cf. les juges de la Cour Suprême américaine, nommés par l'exécutif, mais on peut aussi imaginer que cette disposition soit valable pour tous les juges : les Etats-Unis resteraient une république). D'autre part, du coup, il n'y a finalement que peu de choses qui répondent à cette définition du "principe de la République" : l'égalité, la démocratie, la liberté sont alors des valeurs et non des principes. Les seuls "principes de la République" sont alors ceux qui permettent d'organiser l'attribution d'un mandat par une partie du corps social.
- Tem-toGrand sage
RogerMartin a écrit:Là c'est sûr on se croirait dans le flood. J'en rajoute un peu?
valeur = relatif, partagé, consensuel, mais principe = fondateur, absolu, catégorique ?
En France, la polygamie est officiellement interdite. La peine de mort aussi. C'est absolu. Ce sont des principes qui répondent à des valeurs majoritaires en France.
Mais ces valeurs sont subjectives.
Dans d'autres pays, la polygamie est acceptée et la peine de mort non abolie.
Sur quel terrain raisonnons-nous ? Celui à l'échelle de l'humanité ? Dans quel contexte temporel ? Diachronique ou synchronique ?
Il faudrait resserrer le cadre de la discussion.
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