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- AmaliahEmpereur
cannelle21 a écrit:Je vais suivre ton fil.
Pour évoquer la destruction, je fais Oradour, de Tardieu, qui fonctionne bien.
ET pour évoquer le génocide juif en parallèle, je fais des extraits de la pièce de théâtre L'instruction.
Je ne réponds pas directement à la question, mais ça me permet de suivre le fil.
De qui est cette pièce, Cannelle?
- LouisBarthasExpert
Près de la moitié des juifs assassinés sous l'occupation allemande le furent à l'est de la ligne Molotov-Ribbentrop, habituellement par balles, parfois par gaz ; on emploie généralement l'expression de "Shoah par balles". Ils étaient ensevelis dans des fosses.Nadejda a écrit:L'image du camp s'est imposé dans l'imaginaire occidental mais ce n'est "qu'une" des modalités de la mise à mort.
À son retour d'Auschwitz, Primo Levi écrivit ce poème :
LA TRÊVE
Nous rêvions dans les nuits sauvages
des rêves denses et violents
que nous rêvions corps et âme :
rentrer, manger, raconter
jusqu'à ce que résonnât, bref et et bas,
l'ordre qui accompagnait l'aube :
« Wstawać » ;
et notre coeur en nous se brisait.
Maintenant nous avons retrouvé notre foyer,
notre ventre est rassasié,
nous avons fini notre récit.
C'est l'heure. Bientôt nous entendrons de nouveau
l'ordre étranger :
« Wstawać ».
11 janvier 1946
(À une heure incertaine, Gallimard)
_________________
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- MUTISExpert
Il est dans l'anthologie de Rachel Ertel (Dans la langue de personne) et à ma connaissance il n'a pas de titre.Celadon a écrit:Terrible. Il a un titre, ce poème, Mutis ?
Parmi les textes que j'ai retrouvés sur le sujet, voici 2 poèmes extraits du recueil « Dans les demeures de la mort » (1943-1947) de Nelly Sachs
Un enfant mort parle
Ma mère me tenait par la main,
Alors quelqu'un leva le couteau des adieux
La mère glissa sa main hors de la mienne
Afin que cela ne me touchât pas.
Mais très doucement elle effleura encore une fois ma hanche
Et là sa main saigna -
Depuis lors le couteau des adieux coupa
En deux la bouchée dans la gorge -
Il se dressa dans l'aube avec le soleil
Et commença à s'aiguiser dans mes yeux -
À mes oreilles percèrent et vents et eaux,
Et chaque voix de consolation me poignarda le cœur -
Lorsqu'on me conduisit à la mort
Au dernier instant je sentis encore
L'arrachement du couteau des adieux.
À vous qui bâtissez la nouvelle maison
Quand toi, tu dresseras à nouveau tes murs -
Ton foyer, ta couche, et la table et la chaise -
Ne pends pas tes larmes, celles pour ceux qui sont partis,
Ceux qui n'habiteront plus avec toi,
Ni à la pierre
Ni au bois -
Sinon il pleurera dans ton sommeil,
Si court mais que tu dois encore accomplir. Ne soupire pas, quand tu fais ton lit
Sinon tes rêves se mêleraient
À la sueur des morts.
Ah, les murs et les objets quotidiens
Sont sensibles comme des harpes de vent
Et comme un champ où pousse la douleur
Et ils ressentent en toi ton alliance avec la poussière.
Construis, quand le sablier ruisselle
Mais ne pleure pas les minutes
Parties ensemble avec la poussière
Qui recouvre toute lumière
Le tout début du livre « Le chant du peuple juif assassiné » de Katzenelson
Chante, chante ! Prends ta harpe, vide, creuse et légère,
Sur ses cordes fines jette tes doigts pesants,
Cœurs lourds de douleur, et chante le dernier chant,
Chante les derniers Juifs d’Europe sur cette terre.
Comment chanter ? Comment ouvrir la bouche et chanter,
Moi qui suis resté seul et dernier –
Ma femme et mes enfants, mes deux petits –horreur !
M’étreint l’horreur…On pleure ! J’entends au loin des pleurs….
Chante, chante ! Lève haut ta voix brisée de douleur,
Cherche ! Monte Le trouver là-haut, s’Il y est encore –
Et chante, chante-Lui le chant dernier du Juif dernier –
Il a vécu, est mort, sans sépulture, et n’est plus !...
Comment chanter ? Comment lever ma tête roide ?
Ma femme déportée, et mon Bentsion, et Yomele, un enfant,
Ils ne sont plus à mes côtés, et ne me quittent pas un instant !
Ô ombres noires de mes seules lumières, ombres aveugles et froides !
Chante, chante une dernière fois encore sur cette terre,
Jette la tête en arrière, vrille sur Lui ton regard lourd,
Et chante une dernière fois, joue pour Lui sur ta harpe légère :
De juifs il n’en est plus ! Exterminés, à jamais disparus !
Comment chanter ? Comment lever les yeux,
Ce regard figé en ma tête pétrifiée ? Une larme gelée
Reste collée sur mon œil vitreux…Elle veut s’arracher, veut couler,
Et ne peut se détacher, ne peut tomber…Dieu, mon Dieu !
Chante, chante, lève haut vers le ciel aveugle ton regard blanc,
Comme s’il était encore dans les cieux un Dieu…Fais-lui signe,
Comme si brillait encore sur nous une haute splendeur qui nous illumine !
Assis sur les ruines de ton peuple assassiné, lance ton chant !
Il y a aussi ce texte de Benjamin Fondane que je trouve très riche :
Refus du poème
Les filles du chant sont venues :
- " Veux-tu de nous ? Nous sommes nues,
nos lèvres sentent la lavande "...
- Je songe aux ravins de Finlande
où dorment des soldats de gel...
Les vierges de sel du poème
m'ont dit : - " II est temps qu'on nous aime !
Nous sommes nues sous la peau. "
- Je songe aux navires sous l'eau
noyés derrière les vitrines...
Les molles putains de mon songe
me crient : - " Lâche pied et plonge,
que les poissons sont frais et muets ! "
- Je songe aux forçats d'Allemagne :
ils sont maigres maigres sous le fouet...
Les douces mères du sommeil
me choient : " Couche-toi ! Les orteils
dressés vers la pointe du somme.
La belle-au-bois qui dort dans l'homme
ne se nourrit que de baisers... "
- Je songe aux énormes brasiers
qui brûlent autour de la terre...
La vieille édentée de la mort
m'a dit : - " Chaque cheval a son mors.
Ton lot sur terre est la mort lente.
Que ça te déplaise ou non, chante !
Nul être n'a droit au merci...
À quoi penses-tu, ombre vague ? "
- Ô très chère, je songe à Prague !
Je n'entends pas, je n'entends plus
les prières de ses synagogues...
(1943)
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"Heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière" (Audiard)
"Ce n'est pas l'excès d'autorité qui est dangereux, c'est l'excès d'obéissance" (Primo Levi)
"La littérature, quelque passion que nous mettions à le nier, permet de sauver de l'oubli tout ce sur quoi le regard contemporain, de plus en plus immoral, prétend glisser dans l'indifférence absolue" (Enrique Vila-Matas)
" Que les dissemblables soient réunis et de leurs différences jaillira la plus belle harmonie ; rien ne se fait sans lutte." (Héraclite)
"Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n'être pas fou" (Pascal).
- Thalia de GMédiateur
Moi non plus, je ne connaissais pas cette expression. Il est vrai aussi qu'on ne peut réduire la Shoah aux camps d'extermination.Amaliah a écrit:Merci Cripure pour la bourde et Nadejda pour les précisions. Je ne connaissais pas l'expression "littérature des ravins".
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Le printemps a le parfum poignant de la nostalgie, et l'été un goût de cendres.
Soleil noir de mes mélancolies.
- klaus2Habitué du forum
Si Peter Weiss (die Ermittlung : "l'Instruction,"un oratorio en onze chants")) a été traduit en français, c'est le plus fort, le plus poignant que j'ai pu lire sur la Shoah.
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Eine andere Sprache zu können, ist wie eine zweite Seele zu besitzen.“ – Karl der Große. "Parler une autre langue, c'est comme posséder une seconde âme" (Charlemagne)
- klaus2Habitué du forum
J'ai trouvé ça en français : http://www.babelio.com/livres/Weiss-Linstruction/517122
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Eine andere Sprache zu können, ist wie eine zweite Seele zu besitzen.“ – Karl der Große. "Parler une autre langue, c'est comme posséder une seconde âme" (Charlemagne)
- LouisBarthasExpert
Thalia de G a écrit:Moi non plus, je ne connaissais pas cette expression. Il est vrai aussi qu'on ne peut réduire la Shoah aux camps d'extermination.Amaliah a écrit:Merci Cripure pour la bourde et Nadejda pour les précisions. Je ne connaissais pas l'expression "littérature des ravins".
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- charlygpNiveau 9
Je remonte ce post pour remercier les participants pour les poèmes proposés.
Merci Mutis de la belle découverte poétique qui m'a ému.
Merci Mutis de la belle découverte poétique qui m'a ému.
- VioletEmpereur
Chœur des Orphelins
NOUS ORPHELINS
Nous adressons notre plainte au monde :
On a abattu notre branche
Et on l’a jetée au feu –
De nos tuteurs on a fait du bois de chauffage –
Nous orphelins reposons sur les champs de la solitude.
Nous orphelins
Nous adressons notre plainte au monde :
La nuit nos parents jouent à cache-cache avec nous –
Derrière les plis noirs de la nuit
Leurs visages nous contemplent,
Leurs bouches parlent :
Nous étions du bois sec dans la main d’un bûcheron –
Mais nos yeux sont devenus des yeux d’ange
Et vous observent,
Au travers des plis noirs de la nuit
Ils regardent –
Nous orphelins
Nous adressons notre plainte au monde :
Les pierres nous tiennent lieu désormais de jouets,
Les pierres ont des visages, les visages de nos pères et mères
Elles ne se fanent pas comme les fleurs, elles ne mordent pas comme les animaux
Et elles ne se consument pas comme du bois sec quand on les jette dans le four
Nous orphelins nous adressons notre plainte au monde :
Monde, pourquoi nous as-tu ravi nos tendres mères
Et nos pères qui disent : mon enfant, tu me ressembles !
Nous orphelins ne ressemblons plus à personne en ce monde !
Ô monde,
Nous portons plainte contre toi !
Nelly Sachs, Chœurs après minuit 1946
- Invité ElExpert spécialisé
Violet
J'ai parfois donné celui-ci, tiré de "Dans les demeures de la mort":
Ô les cheminées
Ô les cheminées
Sur les demeures de la mort si bien imaginées,
Quand le corps d'Israël monta dissous en fumée au travers de la fumée - Comme une étoile qui devint noire
Le reçut le ramoneur
À moins que ce fût comme un rayon de soleil ?
Ô les cheminées !
Chemins de liberté pour la poussière de Jérémie et de Job -
Qui donc pour vous le conçut et le bâtit pierre à pierre
Ce chemin pour les fugitifs de fumée ?
Ô les demeures de la mort,
Si bien arrangées
Pour le maître de logis, qui sinon aurait été l'invité Ô vous doigts
Gisants au seuil de l'entrée
Comme un couteau entre la vie et la mort -
Ô les cheminées
Ô vous les doigts,
Et le corps d'Israël en fumée monte en fumée !
J'ai parfois donné celui-ci, tiré de "Dans les demeures de la mort":
Ô les cheminées
Ô les cheminées
Sur les demeures de la mort si bien imaginées,
Quand le corps d'Israël monta dissous en fumée au travers de la fumée - Comme une étoile qui devint noire
Le reçut le ramoneur
À moins que ce fût comme un rayon de soleil ?
Ô les cheminées !
Chemins de liberté pour la poussière de Jérémie et de Job -
Qui donc pour vous le conçut et le bâtit pierre à pierre
Ce chemin pour les fugitifs de fumée ?
Ô les demeures de la mort,
Si bien arrangées
Pour le maître de logis, qui sinon aurait été l'invité Ô vous doigts
Gisants au seuil de l'entrée
Comme un couteau entre la vie et la mort -
Ô les cheminées
Ô vous les doigts,
Et le corps d'Israël en fumée monte en fumée !
- NadejdaGrand sage
Retombé sur ce poème de Rose Ausländer (en zonant sur Facebook — comme quoi on n'y trouve pas que des futilités) :
Relevés (II)
avec les morts
nous ne descendons pas dans le fleuve
bénis par les morts
avec leurs larmes
alors poussent nos cheveux
alors poussent dans nos cheveux notre mort
je n’oublie pas
ma maison paternelle
la voix de ma mère
le premier baiser
les montagnes de Bucovine
la fuite pendant la première guerre mondiale
l’invasion des nazis
les tremblements de peur dans les caves
le médecin qui nous a sauvé la vie
l’Amérique douce-amère
Hölderlin Trakl Celan
mes tourments de l’écriture
cette contrainte de l’écrire toujours encore
lorsque je déploie l'écharpe bleu pâle
vers le Sud
Jérusalem m'envahit
avec temples et chants sacrés
je suis âgé de plus de cinq mille ans
mon écharpe est une balancelle
quand je ferme mes yeux
vers le Sud
Jérusalem dévale des collines
Jeune de cinq mille ans
et m'envahit
dans une arôme d'orange
nous avons un jeu dans l'air
ô mes contemporains
mon étoile est suspendue
à un cordon ombilical
je bois son lait
bientôt
si j'étais née
derrière ma mort
tu me ferais grandir
Rose Ausländer, Poèmes (trad. Gil Pressnitzer)
Relevés (II)
avec les morts
nous ne descendons pas dans le fleuve
bénis par les morts
avec leurs larmes
alors poussent nos cheveux
alors poussent dans nos cheveux notre mort
je n’oublie pas
ma maison paternelle
la voix de ma mère
le premier baiser
les montagnes de Bucovine
la fuite pendant la première guerre mondiale
l’invasion des nazis
les tremblements de peur dans les caves
le médecin qui nous a sauvé la vie
l’Amérique douce-amère
Hölderlin Trakl Celan
mes tourments de l’écriture
cette contrainte de l’écrire toujours encore
lorsque je déploie l'écharpe bleu pâle
vers le Sud
Jérusalem m'envahit
avec temples et chants sacrés
je suis âgé de plus de cinq mille ans
mon écharpe est une balancelle
quand je ferme mes yeux
vers le Sud
Jérusalem dévale des collines
Jeune de cinq mille ans
et m'envahit
dans une arôme d'orange
nous avons un jeu dans l'air
ô mes contemporains
mon étoile est suspendue
à un cordon ombilical
je bois son lait
bientôt
si j'étais née
derrière ma mort
tu me ferais grandir
Rose Ausländer, Poèmes (trad. Gil Pressnitzer)
- ethel ordenerNiveau 2
Je ne suis pas tout à fait dans le thème car il s'agit de l'expérience du camp et pas du génocide juif en particulier mais je voulais tout de même partager ce poème sur le fil. Charlotte Delbo était communiste et résistante. Elle a été arrêtée et déportée à Auschwitz avec son mari qui, lui, n'en est pas revenu. Elle était la secrétaire de Louis Jouvet.
Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d’un pas alerte sportif lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d’être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le cœur
la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d’être vivants…
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d’argent
comment comment
vous pardonner d’être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
Je vous en supplie
Faites quelque chose
Apprenez un pas
Une danse
Quelque chose qui vous justifie
Qui vous donne le droit
D’être habillés de votre peau de votre poil
Apprenez à marcher et à rire
Parce que ce serait trop bête
A la fin
Que tant soient morts
Et que vous viviez
Sans rien faire de votre vie.
Je reviens
d’au-delà de la connaissance
il faut maintenant désapprendre
je vois bien qu’autrement
je ne pourrais plus vivre.
Et puis
mieux vaut ne pas y croire
à ces histoires
de revenants
plus jamais vous ne dormirez
si jamais vous les croyez
ces spectres revenants
ces revenants
qui reviennent
sans pouvoir même expliquer comment.
(Charlotte Delbo, Une connaissance inutile, 1970
Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d’un pas alerte sportif lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d’être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le cœur
la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d’être vivants…
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d’argent
comment comment
vous pardonner d’être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
Je vous en supplie
Faites quelque chose
Apprenez un pas
Une danse
Quelque chose qui vous justifie
Qui vous donne le droit
D’être habillés de votre peau de votre poil
Apprenez à marcher et à rire
Parce que ce serait trop bête
A la fin
Que tant soient morts
Et que vous viviez
Sans rien faire de votre vie.
Je reviens
d’au-delà de la connaissance
il faut maintenant désapprendre
je vois bien qu’autrement
je ne pourrais plus vivre.
Et puis
mieux vaut ne pas y croire
à ces histoires
de revenants
plus jamais vous ne dormirez
si jamais vous les croyez
ces spectres revenants
ces revenants
qui reviennent
sans pouvoir même expliquer comment.
(Charlotte Delbo, Une connaissance inutile, 1970
- LaotziSage
ethel ordener a écrit:Je ne suis pas tout à fait dans le thème car il s'agit de l'expérience du camp et pas du génocide juif en particulier mais je voulais tout de même partager ce poème sur le fil. Charlotte Delbo était communiste et résistante. Elle a été arrêtée et déportée à Auschwitz avec son mari qui, lui, n'en est pas revenu. Elle était la secrétaire de Louis Jouvet.
Très beau poème effectivement, je me permets juste de préciser une chose. Le mari de Charlotte Delbo, Georges Dudach, a bien été arrêté avec elle, mais il a été fusillé au Mont Valérien et non déporté à Auschwitz (Delbo a été déportée dans un convoi composé uniquement de femmes, le convoi du 24 janvier 1943, le seul de déportées politiques envoyé à Auschwitz, avec aussi Danielle Casanova ou Marie-Claude Vaillant Couturier).
Un autre extrait de Delbo que j'aime beaucoup du même ouvrage :
Ce point sur la carte
Cette tache noire au centre de l’Europe
cette tache rouge
cette tache de feu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres
pour des millions
un lieu sans nom.
De tous les pays d’Europe
de tous les points de l’horizon
les trains convergeaient
vers l’in-nommé
chargés de millions d’êtres
qui étaient versés là sans savoir où c’était
versés avec leur vie
avec leurs souvenirs
avec leurs petits maux
et leur grand étonnement
avec leur regard qui interrogeait
et qui n’y a vu que du feu,
qui ont brulé là sans savoir où ils étaient.
Aujourd’hui on sait
Depuis quelques années on sait
On sait que ce point sur la carte
c’est Auschwitz
On sait cela
Et pour le reste on croit savoir.
_________________
"Trouvez donc bon qu'au lieu de vous dire aussi, adieu comme autrefois, je vous dise, adieu comme à présent."
- ethel ordenerNiveau 2
Très beau poème effectivement, je me permets juste de préciser une chose. Le mari de Charlotte Delbo, Georges Dudach, a bien été arrêté avec elle, mais il a été fusillé au Mont Valérien et non déporté à Auschwitz (Delbo a été déporté dans un convoi composé uniquement de femmes, le convoi du 24 janvier 1943, le seul de déportées politiques envoyé à Auschwitz, avec aussi Danielle Casanova ou Marie-Claude Vaillant Couturier). a écrit:
Oops, merci pour la correction. Cela me revient maintenant.
- OlympiasProphète
Je crois qu'il y a aussi des poèmes de Celan.
- Sophie38Fidèle du forum
Très intéressant ce fil. merci
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