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User28384
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par User28384 Mar 02 Fév 2016, 21:30
Bonsoir chers collègues. Corrigé transmis à mes élèves de Terminales S... J'appréhende votre jugement, mais aimerais savoir ce que vous en penser...



Analyse du texte de PLATON extrait du Phédon : « Lorsqu'on commence … les raisonnements n'offrent rien de sain ».



[47] SUJET N° 47 - 11PHSCAS1 - 2011 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE


Lorsqu’on commence, sans avoir acquis aucune compétence en la matière, par accorder son entière confiance à un raisonnement et à le tenir pour vrai, on ne tarde pas à juger qu’il est faux : il peut l’être en effet, comme il peut ne pas l’être ; puis on recommence avec un autre, et encore avec un autre. Et, tu le sais bien, ce sont surtout ceux qui passent leur temps à mettre au point des discours contradictoires qui finissent par croire qu’ils sont arrivés au comble de la maîtrise et qu’ils sont les seuls à avoir compris qu’il n’y a rien de sain ni d’assuré en aucune chose, ni en aucun raisonnement non plus ; que tout ce qui existe se trouve tout bonnement emporté dans une sorte d’Euripe (1), ballotté par des courants contraires, impuissant à se stabiliser pour quelque durée que ce soit, en quoi que ce soit.
-C’est la pure vérité, dis-je.
-Mais ne serait-ce pas vraiment lamentable, Phédon, dit-il, d’éprouver pareil sentiment ? Lamentable, alors qu’il existe un raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel, d’aller ensuite, sous prétexte qu’on en rencontre d’autres qui, tout en restant les mêmes, peuvent nous donner tantôt l’opinion qu’ils sont vrais et tantôt non, refuser d’en rendre responsable soi-même, ou sa propre incompétence ? Lamentable encore de finir (...) par se complaire à rejeter sa propre responsabilité sur les raisonnements, de passer désormais le reste de sa vie à les détester et à les calomnier, se privant ainsi de la vérité et du savoir concernant ce qui, réellement, existe ?
-Par Zeus, dis-je, oui, ce serait franchement lamentable !
- Il faut donc nous préserver de cela avant tout, dit-il. Notre âme doit se fermer entièrement au soupçon que, peut-être, les raisonnements n’offrent rien de sain. PLATON, Phédon

(1) Euripe : nom d’un canal séparant l’île d’Eubée du continent grec. Ce canal est connu pour le phénomène de ses courants alternatifs qui changent de direction plusieurs fois par jour.








[Remarque préliminaire : Platon dénonce, dans cet extrait, la pensée des sceptiques. Néanmoins, affirmer, comme certains d’entre vous l’ont fait, qu’il y dénonce la pensée des sophistes est une interprétation que l’on peut également admettre. Corrigé dont le contenu est commandé par les notions vues en cours].










I – Premier découpage logique : découpage de premières lectures.

(1) l.1-2 : Un constat : le dépit, la déception du sujet hétéronome  → Si ce dernier prend l'habitude, alors qu'il ne sait pas penser par lui-même, à considérer comme vrai un raisonnement qui n'est pas le nôtre,  il « ne tarde pas à juger qu'il est faux » .

● Expressions et termes importants à relever :
- « sans avoir acquis aucune compétence »
- « en la matière »
- « à un raisonnement »
- « le tenir pour vrai »
- « on ne tarde pas à le juger faux » : pourquoi ???


(2) l. 3-4 : Cercle vicieux au lieu d'être vertueux : on est ballotté d'affirmations dogmatiques en affirmations dogmatiques → certaines sont peut-être vraies ; d'autres sont peut-être fausses : pourquoi ???

● Expressions et termes importants à relever :
« on recommence avec un autre, et encore un autre ».


(3) l. 4-10 : Dénonciation de la pensée sceptique et / ou sophistique du fait de son / leur systématisme, de sa /leur radicalité : l’héraclitéisme devient un principe, une manière coupable de penser.

● Expressions et termes importants à relever :
- « ceux qui passent leur temps à mettre au point »
- « des discours contradictoires »
- « croire qu’ils sont arrivés au comble de la maîtrise»
- « les seuls à avoir compris »
- « il n’y a rien de sain ni d’assuré en aucune chose, ni en aucun raisonnement non plus » : comment comprendre ce LIEN entre « chose » et « raisonnement » établi par Platon ?
- « que tout ce qui existe = Euripe = balloté par des courants contraires, impuissant à se stabiliser pour quelque durée que ce soit, en quoi que ce soit » →  Héraclite

(4) l. 11-12 : Condamnation, par Platon, de cette position. Affirmation de la thèse : « Il existe un raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel ».

● Expressions et termes importants à relever :
- « lamentable »
- « un raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel » :  Pourquoi ? Qu’est-ce qui permet de rendre ce jugement nécessaire ?


(5) l. 12-18 : Double faute morale et intellectuelle selon Platon :
→ le refus de responsabilité  ou l’incompétence de ceux qui considèrent que le vrai n’est pas, ou qu’il est non connaissable (l. 14-15).
→ se complaire dans la négation de toute vérité possible ; détester ; calomnier les raisonnements, se privant ainsi de la vérité et du savoir concernant ce qui, réellement existe (l. 16-17).

● Expressions et termes importants à relever :
- «  refuser d’en rendre responsable soi-même, ou sa propre incompétence ».
- « les détester »
- « rejeter sa propre responsabilité sur les raisonnements »
- « les calomnier »
- « se privant ainsi de la vérité et du savoir concernant ce qui, réellement, existe » / Parménide, les Essences du monde Intelligibles de Platon.



(6) l. 19-20 : Rappel de la nécessité morale et intellectuelle de souscrire à la thèse rationaliste : « Notre âme doit se fermer entièrement au soupçon que, peut-être, les raisonnements n’offrent rien de sain ».

● Expressions et termes importants à relever :
- « notre âme doit » : pourquoi ?
- « se fermer entièrement au soupçon (attitude sceptique) que, peut-être, les raisonnements n’offrent rien de sain » : qu’y a-t-il  de dangereux dans ce soupçon ?



II – Plan du devoir


A - Découpage logique → plan de la partie explicative

→ § 1 : [l. 1-4] : la raison de dépit de la personne hétéronome face à la pluralité des raisonnements.
→ § 2 : [l. 4-7] : déception rendue nécessaire par la pensée sceptique (et / ou sophiste).
→ § 3 :[l. 7-10] : conception sceptique [et/ou sophiste] du vrai, erronée, qui se fonde sur une conception héraclitéenne de l’être.
→ § 4 : [l. 11- 14] : thèse rationaliste qui fait de l’attitude sceptique (et/ou sophistique) une attitude « lamentable ».
→ § 5 : [l. 15 -17] : pourquoi « lamentable » ? La faute, intellectuelle et morale, de la misologie, ou haine de la raison.
→ § 6 : [l. 17-20] : l’être véritable (Parménide, Les Essences du monde intelligible) interdit tout « soupçon » quant à la possibilité d’atteindre la vérité

B -  Plan  de la deuxième partie
→ §1 : Parce que l'âme est immortelle, la connaissance absolue est possible : la théorie socratique de la réminiscence.
→ §2 : Et si l'âme n'était pas immortelle ? Peut-on se débarrasser, aussi facilement que le fait Platon, de la critique sceptique de l’adhésion à un postulat, quel qu’il soit ?
→ §3 : L'optimisme rationaliste de Platon peut-il résister aux arguments sophistiques ?



III – Rédaction du devoir


Introduction

Le thème de cet extrait du Phédon est le rapport que la raison humaine entretient avec l'idée de vérité. Selon Platon, et telle est la thèse rationaliste du texte, la raison peut produire un discours vrai, restituant universellement les propriétés de l'objet. La raison est ainsi capable de déterminer la vérité absolue. Encore faut-il, cependant, être capable de penser par soi-même. Celui qui ne le peut pas ne pourra éviter de se sentir perdu devant la pluralité des raisonnements qu'on lui offre (l.1-4). Un sentiment que rendront nécessaire sceptiques et sophistes, qui démontrent spectaculairement la contingence de la thèse comme de l'antithèse (l. 4-7). Comment pourrait-il en être autrement dans un réel toujours en devenir (l.7-10) ? Ce serait cependant une « lamentable » façon de penser rétorque l'auteur(l. 11-14), pour qui la raison est au contraire capable d'un « raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu'il est tel ». Ce serait en effet condamner l'intelligence humaine à une insupportable et dangereuse misologie (l. 14-17), qui équivaudrait à renoncer à l’idée même de vérité – renonciation absurde dans le réel de Parménide (l. 17-20). La théorie socratique de la réminiscence ne justifie-telle pas la thèse rationaliste de Platon ? Toutefois, cette théorie du ressouvenir repose un postulat, celui de l’immortalité de l’âme, dont la nécessité ne résiste guère à la critique sceptique. Le relativisme culturel et moral à l’œuvre dans le monde ne nous oblige-t-il pas, malgré la protestation platonicienne, à renoncer à l’idée de vérité universelle ?



Partie explicative

§1 – Platon commence par un constat : le dépit, intellectuel et moral, de ceux qui, hétéronomes, ne savent pas penser par eux-mêmes (« sans avoir acquis aucune compétence en la matière » (l. 1) ) réside dans leur rapide embarras et leur indécision bientôt définitive, i.e. dans le sentiment de ne plus savoir quel discours considérer comme étant la vérité. Je ne suis pas en effet  capable, spontanément, de penser tout seul, et j’accorde d’abord tout naturellement mon « entière confiance à un raisonnement (l. 2) » que l’autre me  présente comme achevé : il est cohérent, explicatif,  paraît décrire le réel tel qu’il est ;  il répond à mes questions et est argumenté. Il s’agit d’un « raisonnement »  – donc non pas d’une affirmation seulement péremptoire et lapidaire, mais d’un long enchaînement de propositions qui se déduisent logiquement les unes des autres, et qui portent sur le monde, l’homme, ou une valeur. Le tout forme alors une argumentation qui me convainc par sa force démonstrative. Or, je vais y renoncer et ma raison se sentira trahie. Pourquoi ? Parce que, dans les faits, je ne pourrai pas ne pas rencontrer son antithèse qui, finalement, après examen, me paraîtra tout aussi plausible : l’exacte représentation opposée du monde se révèle paradoxalement aussi satisfaisante rationnellement. Comme je ne suis pas capable (« aucune compétence » (l.1)) de saisir le vrai par moi-même, je n’ai pas d’autre choix que de m’en remettre à l’autre…pour m’apercevoir qu’un autre encore infirme ses représentations. Déçu, je rejetterai donc le premier raisonnement (« on ne tarde pas à juger qu’il est faux » (l. 2) ), qui n’est plus que contingent. Le problème est que je ne sais plus quoi penser, à quel discours adhérer, quelle valeur suivre. Cela d’autant plus que les raisonnements se multiplient, chacun contredisant l’autre. Ma raison, insuffisamment autonome, se perd nécessairement dans ce foisonnement d’autres versions également possibles du réel.
§2 – Cette déception intellectuelle est surtout alimentée par ceux, gravement coupables au yeux de l’auteur, « qui passent leur temps à mettre au point des discours contradictoires » (l. 4-5). Les formules « passer son temps à  » et « mettre au point » sont significatives. Toutes deux traduisent la volonté et la finalité systématiques des pensées des sceptiques et sophistes à démolir, par principe, un discours qui aurait la prétention de correspondre, seul, au réel – obligeant à renoncer à la vérité et à suspendre son jugement.  « Passer son temps à », en effet, c’est ne faire rien d’autre que, c’est occuper toute son intelligence exclusivement à ; et « mettre au point des discours contradictoires», c’est inventer, imaginer, se creuser l’esprit pour façonner un discours orienté, dans l’intention expresse qu’il constitue une aporie logique. Le raisonnement est alors précisément adapté, ajusté et réduit à sa seule fonction polémique. Il s’agit de contredire pour simplement contredire, manifestant ainsi  une technique et objective prouesse intellectuelle.
§3 - Une telle puissance contradictoire donne, aux négateurs de l’idée de vérité, une double illusion. La première est  celle de « croire qu’ils sont arrivés  au comble de la maîtrise » (l. 5) : parce qu’ils peuvent à chaque fois enfermer le débat dans une aporie apparemment insurmontable, ils croient avoir épuisé tout ce dont est capable la raison humaine, qui serait ainsi réductible à l’art stérile de la dispute. La seconde est de croire qu’ils sont les découvreurs privilégiés d’une vérité logique profonde  – vérité tragiquement évidente d’après laquelle « il n’y a rien de sain ni d’assuré en aucune chose, ni en aucun raisonnement non plus » (l. 6-7). L’idée d’un discours vrai, logiquement défini comme un, objectif, universel, nécessaire, anhistorique parce que a priori, n’existerait tout simplement pas : il serait une impossibilité pure. Il n’y aurait réellement que de l’incertain parce qu’il n’y aurait que du mouvant. Il y aurait même quelque chose de malsain, de dangereux à affirmer qu'un discours et un seul correspond au réel : dogmatisme, ethnocentrisme, fanatisme… Et cette logique sceptique trouve sa justification dans l’ontologie d’Héraclite. Une ontologie qui met en évidence les aspects toujours changeants de l’être : « tout ce qui existe se trouve tout bonnement emporté dans une sorte d’Euripe […] impuissant à se stabiliser pour quelque durée que ce soit, en quoi que ce soit » (l. 7-9). En d’autres termes, « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », et ce fleuve d’Héraclite est identique à l’Euripe mentionné par Platon : tout est devenir, donc tout est non être. Tel est le sens du lien de dépendance que le sceptique (ou le sophiste) établit entre « chose «  et « raisonnement » dans la formule de Platon : « ni d’assuré en aucune chose, ni en aucun raisonnement non plus » : il y a une identité entre la nature des discours (toujours contradictoires) et la nature de l’être (toujours changeant).  Le discours rationaliste, qui se veut fidèlement descriptif ou justement normatif, ne pourra rien décrire d’objectif, parce qu’il n’y a précisément pas d’objet (qui demeure identique à lui-même) ; parce qu’il ne pourra pas saisir l’identité d’un réel qui, ontologiquement, est immédiatement évanescent. Dès lors, comment affirmer « quoi que ce soit » (l. 9) qui excède le caractère éphémère de l’être ? Si l’objet devient sans cesse, les discours qui l’appréhendent seront nécessairement porteurs de ces variations. Ils ne pourront alors pas ne pas être contradictoires. On ne peut, par conséquent, que suspendre son jugement – comme les sceptiques – ou affirmer – comme les sophistes – que tous les discours sont légitimes.
§4 – Pourtant, emprunter ce chemin de pensée serait « lamentable » (l. 11) affirme Platon. La critique est, ici, d’ordre moral et intellectuel à la fois. Toute entreprise de relativisation du vrai relève, pour l’auteur, de la faute méprisable et condamnable. Il ne s’agit pas de découvrir le vrai, mais d’annuler dans une joute oratoire, par principe, ce qui est affirmé. La philosophie ne saurait se réduire à cela. Elle est autrement ambitieuse : « Il existe un raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel » (l. 12) ; et la tâche de la philosophie est précisément de le déterminer. Cette thèse rationaliste, défendue par Platon, exprime l’exigence éthique de la philosophie dès ses débuts, quête inlassable, jamais découragée, du vrai. Un usage beaucoup plus profond de la raison fait de celle-ci, non plus un moyen, simple, de joute argumentative, mais la faculté de produire un « discours vrai », i.e. un discours qui saisit les essences des êtres, des choses et des valeurs. Qu’est le « vrai », en effet, sinon, la définition des essences ? Et l’essence, pour Platon, est l’être véritable. Ce discours sera « solide », ou inébranlable, parce qu’il atteint l’être invariable de l’étant. Et on pourra « comprendre qu’il est tel » parce que, lui, contrairement à tous les autres, pourra rendre raison de sa nécessité rationnelle. Il sera donc, pour chacun d’entre nous, le seul strictement nécessaire, comme le sont les propositions mathématiques. A une ontologie d’obédience héraclitéenne, où tout est « emporté dans une sorte d’Euripe », Platon oppose les principes de la logique d’identité, de contradiction et du tiers exclu. Le philosophe rationaliste soumet l’ontologie aux exigence de la logique. Parce que A est A , il ne saurait être non A ; il ne saurait pas même être A’ ou A’’ (A en devenir). Et, puisque l’objet O répond à une essence et une seule, universelle, si le discours A, sur cet objet, est vrai, le discours non A, sur ce même objet, ne saurait être vrai. De même, sur l’objet O, ou le discours A est vrai, ou le discours non A est vrai : une troisième possibilité est exclue. Ces principes sont consubstantiels à la raison humaine – qui se fait violence, se trahit elle-même, qui n’est plus raisonnable si elle pense autrement. Et, selon Platon, ces exigences du raisonnement rationnel sont oubliées par les  petits  raisonneurs, sceptiques ou sophistes, qui se croient grands.
§5 – Des exigences oubliées de manière « lamentable » parce que trop difficiles à mettre en œuvre dans les définitions que l’on propose : l’on préfère alors « refuser » (l. 14) de se rendre soi-même « responsable » (l. 14) de notre incapacité (« sa propre incompétence » l. 15) à respecter ces principes rationnels. Ce n’est plus « nous » qui sommes responsables de l’échec de connaissance, c’est la raison elle-même, qui argumente dans tous les sens. Aussi, les sceptiques et les relativistes vont-ils réduire la vérité à un conflit, apparemment irrésistible, d’opinions – parce que l’opinion, intellectuellement, est beaucoup plus facile à élaborer et à proposer aux hommes. Mais les opinions qui rendent incertains les esprits de ceux qui voudraient pourtant savoir sont soutenues par des contradictions uniquement de façade, rendues seulement possibles par un travail encore insuffisant de la raison. Inconscient de la superficialité de ses raisons, le sceptique, ou le relativiste, va commettre la faute, intellectuelle et morale à la fois,  de « finir par se complaire à rejeter sa propre responsabilité sur les raisonnements, de passer le reste de sa vie à les détester et à les calomnier » (l. 15-17). Le rapport à la raison devient l’expression d’une rancune passionnelle contre la raison : la trop grande difficulté qu’il y a à penser correctement, i.e. à penser en respectant toujours les principes rationnels dans les discours sur le monde et l’homme, devient le motif de la misologie, ou haine de la raison, de ceux pour qui, sceptiques ou sophistes, penser universellement est trop difficile.
§6 - Ces derniers se privent alors « de la vérité et du savoir, concernant ce qui réellement existe » (l. 17-18). La disjonction est exclusive : ou bien l’on se contente des apparences du monde sensible, soumises au devenir d’Héraclite – et le conflit d'opinions antithétiques en est la copie nécessaire ; ou bien l'on va au-delà du monde sensible, l'on sort de la caverne et l'on contemple le monde intelligible, « ce qui réellement existe » : le monde des Idées, des Essences – et l'on a alors affaire à des objets de connaissances inaltérables, qui demeurent toujours identiques à eux-mêmes. Le discours qui les retranscrit fidèlement aura la même fixité que ses objets. La raison qui parvient à les saisir produit ainsi des vérités absolues. L'être véritable est donc l'être de Parménide, pour qui on ne peut forcer l'être à ne pas être. Le devenir est donc exclu, à la fois, du réel et du raisonnement vrai. La logique, ou le raisonnement vrai de la philosophie ne fait que se régler en effet sur cette ontologie fixiste. L'essence, éternelle, qui définit les caractères universels, anhistoriques des choses, est ainsi l'être véritable, bien au-dessus du monde sensible qui n'en est que l'imparfaite copie. Mais réussir à atteindre ces essences demande une capacité d'appréhension d'intuitions premières qui n'a rien d'évident, privilège de quelques-uns seulement. Cette absence d'évidence peut faire croire à l'inexistence du vrai. Or cette croyance ne doit pas être, selon Platon  : « Notre âme doit se fermer entièrement au soupçon que, peut-être, les raisonnements n'offrent rien de sain » (l. 19-20). Il s'agit d'un impératif catégorique commandé par la suprême valeur de la vérité, que ratent complètement sceptiques et sophistes. La vérité est le bien premier de la philosophie dans la mesure où, sans elle, nous demeurons les prisonniers enchaînés de la caverne. La vérité s’avère être la condition de possibilité de notre liberté et de notre justesse morale. Si nous ne savons pas, comment vivre justement ? Quelles valeur privilégier ? Comment considérer l'autre ? Les raisonnements de la philosophie ont, ainsi, un enjeu pratique. Mais les sceptiques et relativistes ont renoncé : « les raisonnements n'offrent rien de sain », parce que l'indécision (les sceptiques), ou l'intérêt, l'impression personnels (les sophistes) seraient des limites indépassables de notre raison. Platon, quant à lui, n'accepte pas l'idée d'une raison défaite, réduite à une faculté si peu profonde qu'elle en perdrait toute sa valeur. Tout discours, dans le cas contraire, serait légitime. Le discours humaniste n’aurait pas plus de vérité que le discours barbare. S’il devient possible, « sur chaque chose, de tenir deux discours contradictoires » comme l’affirme le sophiste Protagoras, la notion même de vérité disparaît. Une disparition dont l’humanité ne peut tout simplement pas se permettre : elle serait alors livrée à la puissance rhétorique des détenteurs de la puissance, notamment politique – et serait à leur merci. Seule, donc, l’idée platonicienne de raisonnements vrais  universellement garantit la critique possible, le jugement objectif de pouvoirs, d’anthropologies ou de théologies liberticides. Ainsi, pour sa propre sauvegarde, la raison doit  résolument s’interdire « le soupçon que, peut-être, les raisonnements n’offrent rien de sain ». Il faut donc, non pas haïr la raison, mais la sacraliser.

Transition
L’immortalité de l’âme rend nécessaire cette confiance que Platon place dans la raison, qui n’a plus, en effet, qu’à se ressouvenir. L’âme, cependant, est-elle immortelle ? Ce postulat qui fonde la théorie socratique de la réminiscence n’a, en soi, rien d’évident. Pourquoi, en effet, à travers les siècles, rencontre-t-on toujours aussi peu de maïeuticiens pour lever l’amnésie des hommes ? Est-ce à dire qu’il faut renoncer à l’idéal rationaliste de vérité défendu par l’auteur ? Peut-on se débarrasser, aussi facilement que le fait le philosophe grec, des arguments relativistes ? La raison peut-elle aller au-delà des limites que le scepticisme lui assigne, annulant ainsi toute possibilité de « raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel » ?

Partie critique

§ 1 – « Un raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel » est possible, pour la simple raison que l’âme est immortelle, qu’elle a côtoyé les vérités éternelles avant ses incarnations. Platon fait sien ce postulat de Socrate. Notre âme est omnisciente mais, pour notre malheur, souffre d’amnésie. S’étant rendue coupable d’injustice, elle est précipitée par les dieux dans une succession de corps. Or, l’incarnation agit tel un traumatisme qui la rend oublieuse des vérités qu’elle porte pourtant en elle. La connaissance du « raisonnement vrai, solide » est dès lors possible si l’âme se souvient. Et cette réminiscence heureuse a pour condition la rencontre avec un maïeuticien de l’envergure de Socrate qui, par la violence de son ironie, par ses questions de plus en plus pressantes, ébranle suffisamment l’âme pour provoquer le rappel de vérités absolues : raisonner « vrai » n’est rien d’autre que se remémorer. L’échange avec Socrate a ainsi une tout autre fin que l’échange avec un sceptique ou un sophiste : le premier fait ré-advenir en moi le vrai, alors que les derniers maintiennent mon esprit dans l’ignorance. Ma raison, à la naissance, n’est donc pas une page blanche. Elle contient tout le savoir ou, chez Descartes, un certain nombre d’idées innées, placées en mon âme par Dieu – idées innées qui expliqueraient l’universalité des raisonnements mathématiques et de propositions morales. Malebranche, héritier de Descartes, dira par exemple  que l’homme rationnel, qu’il soit Chinois ou Français, conviendra évidemment qu’ « il faut préférer son ami à son chien ». De même, le Chinois, le Français, le Grec comprendront la moralité objective du sacrifice d’Antigone face au roi Créon : autant de « raisonnements vrais » qui confortent la thèse platonicienne.
§2 – Encore faut-il adhérer au postulat de l’immortalité de l’âme et à son savoir ancien, ou divin, en elle. Or, l’on sait le sort que les sceptiques réservent à une telle adhésion. Par nature, en effet, le postulat est une proposition première sur laquelle l’entièreté du raisonnement repose. Y recourir est nécessaire, du fait de l’impossible régression argumentative à l’infini, pour la raison humaine (qui consisterait à prouver la preuve de la preuve de la preuve, etc). La faiblesse démonstrative essentielle du postulat est d’être strictement indémontrable. Il n’est rien d’autre qu’une hypothèse. Platon, Pascal, Descartes, Malebranche opposent, à ce caractère hypothétique, l’argument de l’évidence apodictique des axiomes premiers. Mais les sceptiques opposent, avec raison, le caractère peu satisfaisant de l’évidence comme critère de vérité. Quelle évidence retenir comme vraie parmi toutes celles qui existent dans les esprits des hommes ? Celle du cinquième postulat d’Euclide ? Les géométries non euclidiennes montrent sa non nécessité. Mon évidence morale, d’après laquelle la femme relève, en dignité, de la même humanité que l’être humain de sexe masculin ? Dans ces conditions, pourquoi ce raisonnement, qui me semble si « vrai », si « solide », est-il rejeté par d’autres cultures qui font de la femme un être mineur à vie, devant être placé sous la tutelle de l’homme ? Dès lors, le postulat épicurien d’une âme matérielle périssable avec le corps est une décision de l’esprit tout aussi cohérente que la croyance en une âme immortelle. Cependant, si l’âme n’est plus immortelle, la raison humaine n’a plus aucune raison d’être savante. De ce fait, la thèse de Platon s’écroule d’elle-même. Ne restent plus que des antinomies de la raison, des discours contradictoires qui se font face, chacun aussi rationnel que l’autre – obligeant la raison à suspendre tout jugement qui prétendrait dire quoi que ce soit de certain sur le réel.
§3 – Ne doit-on pas, dès lors, se résigner à considérer avec Protagoras, que « L’homme est la mesure de toute chose : telles les choses me paraissent, telles elles me sont ; telles elles te paraissent, telles elles te sont » ? Peut-il exister réellement « un raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel », entraînant l’accord de tous les esprits  ainsi que l’affirme Platon ?  Tout discours sur le monde sera en effet nécessairement porteur de la subjectivité de celui qui l’énonce. Une subjectivité d’autant plus radicale qu’elle est séparée des autres par une idiosyncrasie, un vécu, une sensibilité, des capacités, une perception, un conditionnement éducatif, historique et culturel propres à chacun. Est-ce moi qui pense quand je revendique le respect nécessaire de la pratique de l’excision ? Est-ce ma société ? Est-ce moi qui pense quand j’estime la monogamie supérieure à la polygamie ? Quand j’estime barbare le système indien  des castes ? Est-ce ma culture ? Si j’avais été Indien, n’aurais-je pas moi-même reconnu certains comme objectivement intouchables ?  Peut-on penser au-delà de sa culture ? S’en extraire pour la juger avec objectivité ? « Plaisante justice qu’une rivière borne » écrivait, avec ironie, Blaise Pascal : la géographie et la coutume en place (et non pas la raison universelle chère à Platon) seuls critères de vérité reconnus par les hommes … De fait, partout dans le monde des anthropologies, des théologies, des idéologies entrent en guerre les unes contre les autres. Quel « raisonnement vrai, solide » leur opposer ? Le relativisme culturel et moral est ainsi le mode de fonctionnement du monde – que l’on ne peut ignorer –  et fait, de la vérité universelle que recherche l’auteur, une promesse de la raison non réalisée aujourd’hui encore.


Conclusion

La raison humaine peut-elle dépasser le conflit d’opinions contradictoires pour proposer, en lieu et place, un raisonnement (ou discours) universellement vrai ? Platon répond  par l’affirmative, donnant ainsi toute sa raison d’être à la philosophie. A quoi cette dernière servirait-elle, en effet,  si le vrai n’était pas, ou si le vrai n’était pas connaissable ? Toutefois, celui qui ne sait pas penser par lui-même sera jeté dans le trouble, incapable de trancher entre les multiples thèses et antithèses qui s’affrontent. Tel est précisément le tort des sceptiques et des sophistes, qui absolutisent la contradiction intellectuelle, en en faisant une vérité à la fois logique et ontologique. Attitude  que l’auteur dénonce comme « lamentable », tant elle contredit et viole les principes mêmes de la raison et la nature de l’être véritable, précipitant ses défenseurs dans une misologie hautement coupable. Or, se défier de la raison, c’est oublier que l’âme est simplement amnésique, et qu’elle peut se ressouvenir, pour proposer, dès lors, les raisonnements vrais qui ne peuvent pas ne pas être. Cependant, cette confiance en la raison doit être nuancée : le postulat sur lequel elle repose n’est pas le seul possible, rendant la suspension du jugement nécessaire. Peut-être, malgré l’opposition farouche de l’auteur,  ne pourra-t-on jamais dépasser le relativisme culturel et moral qui, plus que jamais, régit l’ordre du monde ?
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User28384
Niveau 8

[Philo] corrigé donné à des Term S Empty Re: [Philo] corrigé donné à des Term S

par User28384 Mar 02 Fév 2016, 21:33
avec une belle faute, s'il-vous- plaît, dès la deuxième ligne ....... "ce que vous en pensez", bien sûr !!!
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User17706
Bon génie

[Philo] corrigé donné à des Term S Empty Re: [Philo] corrigé donné à des Term S

par User17706 Mar 09 Fév 2016, 18:53
Hello, je n'avais pas vu ce fil Smile
 [Remarque préliminaire : Platon dénonce, dans cet extrait, la pensée des sceptiques. Néanmoins, affirmer, comme certains d’entre vous l’ont fait, qu’il y dénonce la pensée des sophistes est une interprétation que l’on peut également admettre. Corrigé dont le contenu est commandé par les notions vues en cours].
Ça me pose un petit problème de chronologie : parler de « scepticisme » avant Platon ou à son époque (et en fait avant Pyrrhon), c'est quand même délicat. En revanche, il est possible de voir quelque allusion à des pratiques sophistiques, comme celle des dissoi logoi, et généralement aux techniques de retournement d'auditoire où un Gorgias ou un Protagoras, dit-on, excellaient. La question est de savoir s'il faut désespérer du raisonnement : le passage (90 b-e) intervient juste après que Platon a forgé le mot misologos sur le modèle de misanthropos (89 d), comme ton explication le rappelle d'ailleurs ; misologie qui n'est pas forcément facile à identifier à une doctrine à proprement parler.

Peut-être une autre réserve ou remarque (discutable certes, comme toute remarque) : je ne suis pas certain qu'il y ait lieu de distinguer faute morale et faute intellectuelle du point de vue du Socrate qui s'exprime ici ; la moralité de la pensée ne s'ajoute pas du dehors à sa vérité, ce ne sont pas deux fautes.
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User28384
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[Philo] corrigé donné à des Term S Empty Re: [Philo] corrigé donné à des Term S

par User28384 Mar 09 Fév 2016, 19:36
Merci, Pauvre Yorick, pour ces très justes remarques. Je n'avais même pas pensé à la cohérence chronologique ... Shame on me ... Ai été aveuglé par les arguments sceptiques d'Agrippa    - que nous avions développés en cours et dont je trouve l'exploitation féconde pour de nombreux sujets sur la vérité et la raison -    Erreur de débutant que je ne suis pourtant plus Embarassed.
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