- RobinFidèle du forum
II. - Art et sémiologie
L'art est-il langage ?
La peinture
La vocation de la peinture n'est pas de signifier. La peinture donne à voir. Ce faisant, elle montre, elle ne dit pas. Elle n'est pas un signifiant dont l'être se transcende vers un signifié. Avec ce qu'elle représente, elle n'est pas dans le rapport du mot au concept, ni de la carte au territoire : elle ne désigne pas, elle est. Et inversement, l'objet représenté n'est rien d'autre que le représenté ; il refuse d'être confronté à un autre objet, l'objet réel, comme si la qualité de la peinture devait se mesurer à l'exactitude de la reproduction, comme pour une carte ou une planche anatomique. La ressemblance n'est pas un critère de la qualité esthétique, comme la justesse des mots l'est de la véracité du discours." (Mikel Dufrenne, Esthétique et Philosophie, tome I, p. 91)
Dans Points, lignes, surfaces, Wassili Kandinsky cherche à connaître le lexique et la grammaire des formes et des couleurs pour en faire la théorie. Mais de la théorie à sa pratique, il y a toute la distance de l'exercice à la création. (op. cité, p. 92)
"Pas plus que de champ sonore préexistant, il n'y a de champ pictural capable de constituer une langue pour un discours pictural, c'est-à-dire un système d'éléments différentiels ou de termes opposables et combinables. Comme dit Francastel, "la double articulation qui caractérise les langues ne s'applique pas à l'art... Il est impossible de décomposer une œuvre figurative en ses éléments" (Pierre Francastel, La réalité figurative, p. 124)
"Ce qui caractérise les éléments qui entrent dans la texture de l’œuvre, c'est d'abord qu'ils ne sont pas vraiment signifiants."
"Peindre, ce n'est ni appliquer une théorie, ce n'est pas davantage prélever dans un ensemble disponible les termes pour les ordonner selon les règles d'un code, - dans quelle séquence linéaire ? Peindre, c'est obéir à l'appel de l’œuvre." (Esthétique et Philosophie, p. 92)
"Il ne s'agit pas d'ordonner les éléments épars avec plus ou moins d'ingéniosité, ni de puiser dans un répertoire d'existants ; la forme plastique est un dynamisme... Le signe se détermine, disait Matisse, dans le moment où il se découvre en fonction de l’œuvre en cours... La cohérence de l’œuvre est au bout du processus de création, et non pas au départ." (Pierre Francastel, Sociologie de l'Art, p. 290)
"L’œuvre est faite par la main - une main intelligente - pour le regard. Et non pour un entendement, comme est agencé le discours..."
"Même si le peintre, dans son acte, cesse de théoriser, il ne cesse pas de contrôler son opération : il compose, et composer, n'est-ce pas agencer des éléments selon certaines procédures, c'est-à-dire manier une langue ?" (Esthétique et Philosophie, p. 93)
Le cinéma
"Le cinéma, comme la peinture figurative, donne à voir ; mais parce qu'elle organise la succession des images, il peut raconter une histoire. ceci donne à l'objet représenté plus d'importance qu'il n'en a dans la peinture : on va au cinéma pour voir se dérouler une histoire, on juge le film sur le sujet." (p. 94)
"Quelle sorte de langage implique la narrativité du film ? Autrement dit, comment le film est-il signifiant ?"
"L'image filmique est toute différente du signe linguistique. D'abord elle est un analogon avant d'être une image. Comme analogon, elle n'est pas signifiante, sinon à force de l'être : nulle distance en elle du signifié au signifiant. Elle montre, parce qu'elle est ce qu'elle représente, comme aussi bien l'image picturale. Et ceci suffit pour distinguer le cinéma du langage."
"Toute la magie du cinéma, qu'on a tant célébrée, réside dans cette transfiguration du réel, cette poétisation de l'image. (Mitry, Esthétique et Psychologie du cinéma, p. 131). Mais si le cinéma se rapproche par là du langage, c'est du langage en tant que poétique, de ce langage qui conjure l'objet au lieu de le signifier. Ensuite, l'image peut devenir symbole de façon plus prosaïque lorsqu'elle renvoie en effet à quelque chose d'autre qui n'est pas présent dans le plan de la séquence : par exemple lorsque, dans Le Cuirassé Potemkine, le lorgnon abandonné du docteur Smirnov ou les bougies brisées du piano signifient la défaite et la vacuité des forces conservatrices. Mais un tel symbolisme n'est pas conventionnel ; il est fortement motivé, par tout le film ; c'est dans ce film seulement qu'un lorgnon peut avoir ce sens. Une fois de plus, il semble que l’œuvre soit à elle-même sa propre langue, qu'elle soit seule à pouvoir constituer ses éléments en signes."
"Le cinéma n'a rien qui corresponde à la double articulation de la langue : ni phonèmes, ni monèmes."
"Le fameux effet Koulevchov, longuement analysé par Mitry, p. 283 et sq., donne un démenti à ceux qui s'en recommandent pour exalter les vertus du montage : même dans deux images juxtaposées aléatoirement, le spectateur découvre une suite qui fait sens ; mais c'est dans l'esprit du spectateur, en fonction de son savoir, que joue l'implication logique, et c'est un concept qu'il saisit sur les images." (Esthétique et Philosophie, p. 96)
L'art est-il langage ?
La peinture
La vocation de la peinture n'est pas de signifier. La peinture donne à voir. Ce faisant, elle montre, elle ne dit pas. Elle n'est pas un signifiant dont l'être se transcende vers un signifié. Avec ce qu'elle représente, elle n'est pas dans le rapport du mot au concept, ni de la carte au territoire : elle ne désigne pas, elle est. Et inversement, l'objet représenté n'est rien d'autre que le représenté ; il refuse d'être confronté à un autre objet, l'objet réel, comme si la qualité de la peinture devait se mesurer à l'exactitude de la reproduction, comme pour une carte ou une planche anatomique. La ressemblance n'est pas un critère de la qualité esthétique, comme la justesse des mots l'est de la véracité du discours." (Mikel Dufrenne, Esthétique et Philosophie, tome I, p. 91)
Dans Points, lignes, surfaces, Wassili Kandinsky cherche à connaître le lexique et la grammaire des formes et des couleurs pour en faire la théorie. Mais de la théorie à sa pratique, il y a toute la distance de l'exercice à la création. (op. cité, p. 92)
"Pas plus que de champ sonore préexistant, il n'y a de champ pictural capable de constituer une langue pour un discours pictural, c'est-à-dire un système d'éléments différentiels ou de termes opposables et combinables. Comme dit Francastel, "la double articulation qui caractérise les langues ne s'applique pas à l'art... Il est impossible de décomposer une œuvre figurative en ses éléments" (Pierre Francastel, La réalité figurative, p. 124)
"Ce qui caractérise les éléments qui entrent dans la texture de l’œuvre, c'est d'abord qu'ils ne sont pas vraiment signifiants."
"Peindre, ce n'est ni appliquer une théorie, ce n'est pas davantage prélever dans un ensemble disponible les termes pour les ordonner selon les règles d'un code, - dans quelle séquence linéaire ? Peindre, c'est obéir à l'appel de l’œuvre." (Esthétique et Philosophie, p. 92)
"Il ne s'agit pas d'ordonner les éléments épars avec plus ou moins d'ingéniosité, ni de puiser dans un répertoire d'existants ; la forme plastique est un dynamisme... Le signe se détermine, disait Matisse, dans le moment où il se découvre en fonction de l’œuvre en cours... La cohérence de l’œuvre est au bout du processus de création, et non pas au départ." (Pierre Francastel, Sociologie de l'Art, p. 290)
"L’œuvre est faite par la main - une main intelligente - pour le regard. Et non pour un entendement, comme est agencé le discours..."
"Même si le peintre, dans son acte, cesse de théoriser, il ne cesse pas de contrôler son opération : il compose, et composer, n'est-ce pas agencer des éléments selon certaines procédures, c'est-à-dire manier une langue ?" (Esthétique et Philosophie, p. 93)
Le cinéma
"Le cinéma, comme la peinture figurative, donne à voir ; mais parce qu'elle organise la succession des images, il peut raconter une histoire. ceci donne à l'objet représenté plus d'importance qu'il n'en a dans la peinture : on va au cinéma pour voir se dérouler une histoire, on juge le film sur le sujet." (p. 94)
"Quelle sorte de langage implique la narrativité du film ? Autrement dit, comment le film est-il signifiant ?"
"L'image filmique est toute différente du signe linguistique. D'abord elle est un analogon avant d'être une image. Comme analogon, elle n'est pas signifiante, sinon à force de l'être : nulle distance en elle du signifié au signifiant. Elle montre, parce qu'elle est ce qu'elle représente, comme aussi bien l'image picturale. Et ceci suffit pour distinguer le cinéma du langage."
"Toute la magie du cinéma, qu'on a tant célébrée, réside dans cette transfiguration du réel, cette poétisation de l'image. (Mitry, Esthétique et Psychologie du cinéma, p. 131). Mais si le cinéma se rapproche par là du langage, c'est du langage en tant que poétique, de ce langage qui conjure l'objet au lieu de le signifier. Ensuite, l'image peut devenir symbole de façon plus prosaïque lorsqu'elle renvoie en effet à quelque chose d'autre qui n'est pas présent dans le plan de la séquence : par exemple lorsque, dans Le Cuirassé Potemkine, le lorgnon abandonné du docteur Smirnov ou les bougies brisées du piano signifient la défaite et la vacuité des forces conservatrices. Mais un tel symbolisme n'est pas conventionnel ; il est fortement motivé, par tout le film ; c'est dans ce film seulement qu'un lorgnon peut avoir ce sens. Une fois de plus, il semble que l’œuvre soit à elle-même sa propre langue, qu'elle soit seule à pouvoir constituer ses éléments en signes."
"Le cinéma n'a rien qui corresponde à la double articulation de la langue : ni phonèmes, ni monèmes."
"Le fameux effet Koulevchov, longuement analysé par Mitry, p. 283 et sq., donne un démenti à ceux qui s'en recommandent pour exalter les vertus du montage : même dans deux images juxtaposées aléatoirement, le spectateur découvre une suite qui fait sens ; mais c'est dans l'esprit du spectateur, en fonction de son savoir, que joue l'implication logique, et c'est un concept qu'il saisit sur les images." (Esthétique et Philosophie, p. 96)
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