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Robin
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Bac philo 2014, série ES : explication d'un texte d'Hannah Arendt Empty Bac philo 2014, série ES : explication d'un texte d'Hannah Arendt

par Robin 19/6/2014, 08:28
Baccalauréat général, session 2014, Philosophie, épreuve du Lundi 16 Juin 2014, série ES

Expliquez le texte suivant :


"La différence décisive entre les outils et les machines trouve peut-être sa meilleure illustration dans la discussion apparemment sans fin sur le point de savoir si l'homme doit "s'adapter" à la machine ou la machine s'adapter à la "nature" de l'homme. (...)

Pareille discussion ne peut être que stérile : si la condition humaine consiste en ce que l'homme est un être conditionné pour qui toute chose, donnée ou fabriquée, devient immédiatement condition de notre existence ultérieure, l'homme s'est "adapté" à un milieu de machines dès le moment où il les a inventées.

Elles sont certainement devenues une condition de notre existence aussi inaliénable que les outils aux époques précédentes.

L'intérêt de la discussion à notre point de vue tient donc plutôt au fait que cette question d'adaptation puisse même se poser. On ne s'était jamais demandé si l'homme était adapté ou avait besoin de s'adapter aux outils dont il se servait : autant vouloir l'adapter à ses mains.

Le cas des machines est différent. Tandis que les outils artisanaux, à toutes les phases du processus de l’œuvre, restent les serviteurs de la main, les machines exigent que le travailleur les serve et qu'il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique.

Cela ne veut pas dire que les hommes, en tant que tels, s'adaptent ou s'asservissent à leurs machines ; mais cela signifie bien que, pendant toute la durée du travail à la machine, le processus mécanique remplace le rythme du corps humain. L'outil de plus raffiné reste au service de la main qu'il ne peut ni guider ni remplacer. La machine la plus primitive guide le travail corporel et éventuellement le remplace tout à fait.

(Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, 1958)


Posez-vous les questions suivantes :


1) Quel est le thème de cet extrait ?

2) Quel problème l'auteur s'est-il posé ?

3) Quelle est la thèse de l'auteur ?

4) Quel est le plan du texte ?

5) Sur quoi la discussion à laquelle Hannah Arendt fait allusion au début du texte porte-t-elle ?

6) Pourquoi cette discussion est-elle "sans fin" ?

7) Pourquoi est-elle stérile ?

8) Expliquez : "l'homme est un être conditionné" ?

9) Expliquez "condition inaliénable" ?

10) En quoi consiste, selon H. Arendt, l'intérêt de la discussion sur la question de savoir si c'est l'homme qui doit s'adapter à la machine ou l'inverse ?

11) Pourquoi la question se pose-t-elle à propos des machines et non des outils ?

12) Quelle différence y a-t-il, selon H. Arendt entre un outil et une machine ?



Eléments de réponse :



Méditant sur la "condition de l'homme moderne", Hannah Arendt s'intéresse au machinisme et à la question de la technique.

Elle traite, dans cet extrait,  de la différence entre l'outil qui existe depuis des temps immémoriaux (les silex et les pierres taillées) et la machine qui apparaît tardivement dans l'histoire de l'humanité.

La thèse d'Hannah Arendt est que "l'outil reste au service de la main, alors que la machine guide le travail corporel ou le remplace".

La machine fait l'objet de représentations variées, souvent contradictoires : moyen d'augmenter le bien-être des hommes, facteur de progrès ou, à l'inverse, engin maléfique susceptible de se retourner contre l'homme pour l'asservir.

Hannah Arendt commence par montrer que les représentations que l'on se fait de la machine et les "discussions" qui en découlent, relèvent le plus souvent de l'opinion, de la doxa et rarement d'une réflexion philosophique digne de ce nom. La discussion (et non le dialogue) autour de ce sujet est "stérile" et "sans fin". Elle est stérile car les bases sur lesquelles elle repose sont incorrectes, elle est sans fin car elle n'aboutit à rien.

La différence entre une "discussion stérile et sans fin" et un dialogue, même "aporétique" (qui n'aboutit à aucune conclusion certaine), réside dans le fait que l'on s'est efforcé ou non de poser correctement le problème en précisant la "définition" des termes employés.

Il est impossible de répondre à la question de savoir si l'homme doit s'adapter à la machine ou l'inverse si l'on n'a pas préalablement défini ce qu'est une machine et ce qu'est l'homme.

Hannah Arendt se montre donc ici l'héritière d'une tradition philosophique qui remonte à Platon. Mais la définition qu'elle donne de l'homme se rapproche des philosophes et des anthropologues contemporains : Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre, Lucien Malson dans la préface de son ouvrage sur les "enfants sauvages" dans lequel il fait le point sur la question du rapport entre nature et culture et sur la définition de l'homme.

Pour Hannah Arendt, comme pour ceux auquel elle pense sans les citer, il n'y a pas de nature humaine, "on ne naît pas homme, on le devient" (Jean Rostand) par l'éducation et par la culture.

"l'homme est un un être conditionné pour qui toute chose devient immédiatement condition de son existence ultérieure". En d'autres termes, il n'y a pas d'un côté une nature humaine éternelle et de l'autre la culture et la technique car l'homme se fabrique en quelque sorte lui-même en fabriquant des outils et en inventant des machines. Il n'y pas, par exemple un homme éternel qui conduit des automobiles, mais il y a désormais des "automobilistes" dont le rapport à l'espace et au temps, à lui-même et aux autres, est totalement différent de celui de ses ancêtres, même s'il ne conduit pas.

La machine, ajoute Hannah Arendt, est devenue une condition "inaliénable" de notre existence dans ce sens où il nous est impossible, comme on dit, de "revenir en arrière". Elle est devenue un facteur inséparable de la "condition de l'homme moderne".

Cependant, la discussion sur la question de savoir si l'homme doit s'adapter à la machine ou l'inverse met en évidence la spécificité de la machine par rapport à l'outil. En effet, on ne s'est jamais demandé si l'outil devait s'adapter à l'homme ou l'homme à l'outil, autant se demander si l'homme devait s'adapter à ses mains, puisque l'outil n'est jamais que le prolongement de son corps.

"Le cas des machines est tout différent" : les machines ne sont pas des prolongements des mains et du corps humain, "elles exigent que le travailleur les serve et qu'il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique". Hannah Arendt reprend la définition communément admise de la machine :

Une machine (latin machina, du grec dorien mākʰanā (μηχανή), signifiant : astuce, invention ingénieuse, dispositif) est un produit fini mécanique capable d'utiliser une source d'énergie communément disponible pour effectuer par elle-même, sous la conduite ou non d'un opérateur, une ou plusieurs tâches spécifiques, en exerçant un travail mécanique sur un outil, la charge à déplacer ou la matière à façonner. Une machine peut être fixe (machine-outil, machine à laver…) ou mobile (locomotive, tondeuse à gazon...)

Note : En tant que réalité technique, la machine est une construction artificielle qui consiste en « un assemblage de parties déformables avec restauration périodique des mêmes rapports entre les parties » (G. Canguilhem, La Connaissance de la vie) ; elle a pour fonction de transformer de l'énergie provenant d'une source naturelle (eau, vent, vapeur, électricité, pétrole, atome, soleil) et d'utiliser cette transformation. Il faut attendre la Renaissance pour voir apparaître deux caractéristiques essentielles de la machine, l'automatisme et la régulation, ou contrôle par la machine elle-même de son propre mécanisme. (encyclopédia universalis)

La machine apparaît tardivement dans l'histoire de l'humanité, durant la période hellénistique (IIIème siècle av. J.-C.). Elle se développe surtout  à partir du XVIIIème, parallèlement aux sciences mathématiques et à la physique, bouleversant les rapports de production antérieurs et la relation traditionnelle entre l'homme et la nature.

Contrairement aux outils qui restent les serviteurs de la main, les machines exigent que le travailleur les serve et qu'il adopte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique. Prenons l'exemple d'un outil, le marteau. Je peux le prendre en main, le laisser, le reprendre, commencer une tâche aujourd'hui ou la remettre à demain. C'est moi qui décide de son usage. Le marteau est parfaitement adapté à ma main dont il est une extension. Il n'en est pas de même d'une machine, par exemple une chaîne de montage automobile. L'ouvrier spécialisé doit s'adapter à la machine, il ne peut pas "prendre son temps", il doit adapter son corps au rythme de la machine, effectuer un geste chronométré, toujours le même.

Contrairement aux outils qui restent les serviteurs de la main, les machines exigent que le travailleur les serve et qu'il adopte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique.

Les "discussion" suscitées par l'avènement de la machine doivent donc, pour Hannah Arendt, éviter, d'une part, de penser "l'aliénation" propre au monde moderne en se référant à une nature humaine éternelle et comprendre, d'autre part, ce qu'est véritablement une machine et en quoi réside la différence entre une machine et un outil : la machine n'est pas un "prolongement" du corps et "l'aliénation" de l'homme moderne ne réside pas tant dans l'asservissement à la machine que dans le fait que "la machine guide le travail corporel et est même en mesure de le remplacer".

Il se pourrait que loin de "l'asservir", la machine "libère" l'homme des tâches de production matérielle, réalisant ainsi le vieux rêve d'Aristote dans le Livre I de La Politique : "Si les navettes filaient toutes seules, il n'y aurait pas besoin d'esclaves".

La véritable aliénation de l'homme moderne ne réside pas, pour Hannah Arendt, dans l'asservissement aux machines, mais dans le fait que "cette société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail grâce au machinisme ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté".
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