- RobinFidèle du forum
Anselme de Cantorbéry ou saint Anselme (Anselmus) est né à Aoste en 1033 (ou 1034 selon les sources) et mort à Cantorbéry le 21 avril 1109. Il fut un des plus grands écrivains mystiques de l'Occident médiéval, et considéré parfois comme le premier penseur scolastique. Canonisé en 1494, Anselme de Cantorbéry est proclamé docteur de l'Église en 1720.
"Prenons maintenant un exemple où apparaissent une volonté droite, c’est-à-dire juste, la liberté du choix et le choix lui-même ; et aussi la façon dont la volonté droite, tentée d’abandonner la rectitude, la conserve par un libre choix. Quelqu’un veut du fond du coeur servir la vérité parce qu’il comprend qu’il est droit d’aimer la vérité. Cette personne a, certes, la volonté droite et la rectitude de la volonté ; mais la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est une autre. Arrive une autre personne la menaçant de mort si elle ne ment. Voyons maintenant le choix qui se présente de sacrifier la vie pour la rectitude de la volonté ou la rectitude pour la vie. Ce choix, qu’on peut aussi appeler jugement, est libre, puisque la raison qui perçoit la rectitude enseigne que cette rectitude doit être observée par amour de la rectitude elle-même, que tout ce qui est allégué pour son abandon doit être méprisé et que c’est à la volonté de repousser et de choisir selon les données de l’intelligence rationnelle ; c’est dans ce but principalement, en effet, qu’ont été données à la créature raisonnable la volonté et la raison. C’est pourquoi ce choix de la volonté pour abandonner cette rectitude n’est soumis à aucune nécessité bien qu’il soit combattu par la difficulté née de la pensée de la mort. Quoiqu’il soit nécessaire, en effet, d’abandonner soit la vie, soit la rectitude, aucune nécessité ne détermine cependant ce qui est conservé ou abandonné. La seule volonté détermine ici ce qui est gardé et la force de la nécessité ne fait rien là où le seul choix de la volonté opère."
Anselme de Cantorbery, De La Concorde
Il fallait se poser les questions suivantes :
1) Quelle est la thèse développée par Anselme ? Comment l'illustre-t-il ? En quoi cette méthode est-elle originale ?
2) Quels sont les principaux concepts de ce texte ?
3) En quoi la volonté et la rectitude qui la rend droite sont-elles deux choses différentes ?
4) "servir la vérité", "aimer la vérité". De quelle vérité peut-il s'agir ?
5) Quel choix se présente à la personne qui veut servir la vérité ?
6) En quoi le choix de sacrifier la vie pour la rectitude ou la rectitude pour la vie peut-il être qualifié de "libre" ?
7) Quel est le rôle de la raison ?
8) Dans quel but la volonté et la raison ont-elles été données à la créature raisonnable ? Par qui ?
9) Par quoi le choix de la vérité est-il rendu difficile ?
10) Pourquoi le choix d'abandonner la rectitude n'est-il soumis à aucune nécessité ?
Éléments de réponse :
"La volonté droite conserve la rectitude par un libre choix" : Anselme ne choisit pas de démontrer cette thèse par une argumentation théorique, mais de se fonder sur un exemple, une "expérience cruciale" qui en démontrera existentiellement la validité. Cette méthode est originale parce qu'elle s'appuie sur la vie elle-même, sur un exemple concret et non sur des généralités.
Les principaux concepts qui apparaissent dans ce texte sont les suivants : "volonté droite", "volonté juste", liberté, rectitude, tentation, menace, choix, jugement, vie, mort, sacrifice, vérité, mensonge, liberté, jugement libre, raison, amour, intelligence rationnelle, créature raisonnable, nécessité, force.
Certains sont présentés comme équivalents : volonté droite et volonté juste, choix et jugement, liberté et jugement.
Certains s'opposent : liberté et nécessité, vie et mort, vérité et mensonge.
La volonté et la rectitude sont deux choses différentes : nous pouvons désirer faire quelque chose, en avoir la volonté et ne pas en avoir la force. L'apôtre Paul explique dans l’Épitre aux Romains que l'homme est divisé entre la chair et l'esprit.
Pour Augustin, "je fais le mal que je ne voudrais pas faire et je ne fais pas le bien que je voudrais faire ("Video meliora proboque, sed deteriora sequor.")
Hannah Arendt, dans la Vie de l'Esprit souligne que pour Augustin, la scission à l'intérieur de la nature humaine blessée par le péché originel ne se situe pas entre la chair et l'esprit comme chez Paul, mais à l'intérieur de la volonté elle-même.
La volonté et la rectitude qui la rend droite sont deux choses différentes : Anselme évoque une expérience que nous faisons couramment quand nous avons le désir de faire quelque chose et que nous n'en n'avons pas la force.
Anselme distingue donc entre la volonté ou le simple désir et la capacité ou la force d'accomplir de cette volonté.
"Servir la vérité", "aimer la vérité" : Anselme ne précise pas de quelle vérité il s'agit. On peut penser qu'il s'agit des vérités de la foi. Celui qui vient tenter la personne animée d'une volonté droite (du désir de dire la vérité) peut par exemple exiger qu'elle affirme que Dieu n'existe pas. Anselme fait sans doute allusion aux premiers chrétiens sommés de renier leur foi sous peine de mort.
La personne qui veut servir la vérité a le choix entre sacrifier sa vie pour la vérité ou de sacrifier la vérité pour sauver sa vie. Il s'agit d'un choix très clair, sans compromis. Le choix de sacrifier la vie pour la vérité peut seul être qualifié de libre car il ne se fait que par amour de la vérité. On peut en déduire que le choix de sacrifier la rectitude à la vie n'est ni libre, ni raisonnable.
Le concept décisif est celui de rectitude. Seule la rectitude (et non la simple volonté) nous permet d'avoir le courage de dire la vérité, de passer de la volonté à l'acte.
Anselme articule volonté, choix (jugement) et rectitude. Nous avons le désir de dire la vérité (volonté droite), nous avons le choix entre dire la vérité ou ne pas la dire (jugement) et nous avons ou non la force de mettre en œuvre cette volonté.
Le rôle de la raison, alliée à la volonté est de nous inciter à choisir la rectitude au service de la vérité et de l'acte juste, plutôt que de l'abandonner au profit du mensonge ou du mal. Anselme précise que c'est dans ce but que la volonté et la raison ont été données à l'homme par Dieu.
Le choix de la volonté d'abandonner la rectitude, c'est-à-dire de persévérer n'est soumis à aucune nécessité : la nécessité est le contraire de la liberté. Elle implique l'absence de choix : nous sommes agis par les lois de la nature, alors que nous avons le choix entre abandonner la rectitude ou de la conserver.
La "pensée de la mort" n'est pas une nécessité pour la volonté, mais une "difficulté", en d'autres termes, la pensée de la mort, l'instinct de conservation, la peur de mourir, constituent un obstacle à la rectitude de la volonté, mais n'obligent pas nécessairement la volonté à abandonner la rectitude.
Nous devons nécessairement choisir, mais ce choix lui-même n'est pas déterminé par la nécessité, autrement dit, nous avons, selon Anselme, la liberté de choisir entre la vie ou la mort, entre la rectitude de la volonté au service de la vérité et du bien ou l'abandon de la rectitude au profit du mensonge et du mal.
La nécessité ne peut rien contre la volonté. La liberté réside donc dans l'usage de la volonté.
Conclusion :
Anselme affirme que la volonté droite conserve la rectitude par un libre choix et illustre cette thèse par un exemple : un homme est placé dans la situation de choisir entre la rectitude au service de la vérité (et du Bien) et la mort et l'abandon de la rectitude et la vie. Cet exemple met en évidence le fait que volonté et rectitude sont deux choses différentes. La volonté est le simple désir de dire la vérité et de faire le Bien, la rectitude consiste à persévérer dans ce désir, à dire la vérité et à accomplir effectivement le Bien. La personne qui veut servir la vérité peut donc soit sacrifier la rectitude au profit de la vie, soit sacrifier la vie à la rectitude. Dieu a donné à l'homme la volonté et la raison afin d'être capable de choisir la rectitude. L'intérêt philosophique de ce texte réside principalement dans la mise en évidence de l'essence de la liberté humaine à partir d'une situation limite : la vie ou la mort. Le choix existentiel de la rectitude dans une situation limite "démontre" la liberté qui consiste, non à accomplir sa volonté propre, mais à accomplir la volonté divine.
Mais possibilité n'est pas nécessité. Nous avons donc, selon Anselme, la liberté de choisir. Un facteur important n'apparaît cependant pas dans ce texte d'inspiration augustinienne, la Grâce divine, qui aide l'homme à persévérer dans la volonté droite et qu'il doit demander dans la prière car la volonté blessée par le péché originel est incapable, seule, de persévérer dans le Bien.
Note :
Augustin d’Hippone (latin : Aurelius Augustinus), ou saint Augustin, né dans le municipe de Thagaste (actuelle Souk Ahras, Algérie) le 13 novembre 354 et mort le 28 août 430 à Hippone (actuelle Annaba, Algérie), est un philosophe et théologien chrétien de l’Antiquité tardive, évêque d’Hippone, et un écrivain latino-berbère romano-africain. Il est né d’un père romano-africain (africain romanisé) citoyen romain et d’une mère berbère chrétienne non romanisée, sainte Monique.
Augustin, "premier philosophe chrétien et "le seul que les Romains aient jamais eu", élabore une philosophie - Hannah Arendt parle de "description phénoménologique" (p. 389) - de la volonté et une doctrine du "libre arbitre", à partir de l'Epître aux Romains et contre les Stoïciens : "Non hoc est velle quod posse." : "Vouloir et pouvoir ne sont pas la même chose" (Confessions Livre VIII, chap. 8)... La loi n'ordonnerait pas si la volonté n'existait pas ; la grâce n'aiderait pas, si la volonté suffisait." (du libre arbitre), (La vie de l'esprit, p. 383)
"Si saint Augustin commence par conceptualiser la thèse de saint Paul, il va beaucoup plus loin et dépasse même ses premières conclusions conceptuelles - "faire acte de volonté et pouvoir accomplir ne sont pas la même chose", "la loi n'ordonnerait pas si la volonté n'existait pas ; la grâce n'aiderait pas si la volonté suffisait.", c'est le mode d'être attribué à l'esprit que de percevoir uniquement à travers une succession de contraires, le jour se changeant en nuit, la nuit en jour, l'apprentissage de la justice se faisant seulement en subissant l'injustice, celui du courage par la lâcheté, et ainsi de suite. Méditant sur ce qui s'était vraiment produit "au cours de la discussion orageuse dans laquelle il s'était lancé lui-même" avant sa conversion, il découvre que l'interprétation de saint Paul d'une lutte entre la chair et l'esprit est fausse. Car "mon corps obéissait plus aisément à la plus ténue volonté de mon âme, en remuant tel ou tel membre, au moindre commandement, que mon âme ne s'obéissait à elle-même pour réaliser seule sa grande volonté" (Confessions, Livre VIII, chap. 8). Le problème ne provient donc pas de la double nature humaine, mi-chair, mi-esprit ; il tient à la faculté de Volonté elle-même." (p. 390)
Saint Augustin, explique Hannah Arendt, trouve une solution en abordant le problème par un tout autre bout. Il entreprend d'examiner la Volonté, non pas isolée des autres facultés mentales, mais dans ses rapports avec elles ; la grande question devient alors : quelle est la fonction de la volonté dans la vie de l'esprit pris comme un tout ? (p. 395)
La réponse à cette question se trouve dans Les Confessions et dans le De Trinitate (De la Trinité), sous deux formes légèrement différentes : la triade mentale la plus importante est à l'image du Dieu trinitaire et se compose de la Mémoire (de l'Etre dans Les Confessions), de l'Intellect et de la Volonté... Ces trois facultés sont de rang égal, mais leur unicité est due à la Volonté : "La Volonté désigne à la Mémoire ce qu'il faut conserver et ce qu'il faut oublier ; elle dit à l'intellect quel objet choisir. La Mémoire et l'Intellect sont tous deux contemplatifs et, à ce titre passifs ; c'est la Volonté qui les fait fonctionner et, finalement, "les unit l'un à l'autre". Et ce n'est que quand, grâce à l'un des trois, à savoir la Volonté, "ces trois éléments sont réunis (coguntur) en un seul tout, cette réunion (coactus) fait donner à ce tout le nom de pensée (cogitatio)" (De Trinitate, Livre X, chap. 11, 18) (La Vie de l'esprit, p. 398)
"La Volonté, au moyen de l'attention unit, dans un premier temps, nos organes sensoriels au monde réel de façon significative, puis draine, si l'on peut dire, ce monde extérieur en nous et le prépare en vue d'autres opérations mentales : être retenu, compris, affirmé ou nié." (p. 399)
Elle est tournée vers l'action : "en canalisant l'attention des sens, réglant les images imprimées dans la mémoire et fournissant à l'intellect le matériau nécessaire à la compréhension, elle prépare le terrain à l'action." (p. 400)
"Chez saint Augustin, comme par la suite chez Duns Scot, le conflit interne de la Volonté se résout par une transformation de la Volonté elle-même, transformation en Amour. La Volonté - conçue dans son aspect fonctionnel et opérationnel comme agent de cohésion et d'appariement - peut aussi se définir en tant qu'Amour (dilectio).
Pour résumer, explique Hannah Arendt, chez saint Augustin, la Volonté, qui n'est pas conçue comme faculté séparée, mais en fonction du rôle qu'elle joue dans l'ensemble de l'esprit, où les facultés individuelles - mémoire, intellect, volonté - "sont en relation mutuelles" (De Trinitate, Livre X, chap. 10), trouve la rédemption en se transformant en Amour." (p. 404)
"Prenons maintenant un exemple où apparaissent une volonté droite, c’est-à-dire juste, la liberté du choix et le choix lui-même ; et aussi la façon dont la volonté droite, tentée d’abandonner la rectitude, la conserve par un libre choix. Quelqu’un veut du fond du coeur servir la vérité parce qu’il comprend qu’il est droit d’aimer la vérité. Cette personne a, certes, la volonté droite et la rectitude de la volonté ; mais la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est une autre. Arrive une autre personne la menaçant de mort si elle ne ment. Voyons maintenant le choix qui se présente de sacrifier la vie pour la rectitude de la volonté ou la rectitude pour la vie. Ce choix, qu’on peut aussi appeler jugement, est libre, puisque la raison qui perçoit la rectitude enseigne que cette rectitude doit être observée par amour de la rectitude elle-même, que tout ce qui est allégué pour son abandon doit être méprisé et que c’est à la volonté de repousser et de choisir selon les données de l’intelligence rationnelle ; c’est dans ce but principalement, en effet, qu’ont été données à la créature raisonnable la volonté et la raison. C’est pourquoi ce choix de la volonté pour abandonner cette rectitude n’est soumis à aucune nécessité bien qu’il soit combattu par la difficulté née de la pensée de la mort. Quoiqu’il soit nécessaire, en effet, d’abandonner soit la vie, soit la rectitude, aucune nécessité ne détermine cependant ce qui est conservé ou abandonné. La seule volonté détermine ici ce qui est gardé et la force de la nécessité ne fait rien là où le seul choix de la volonté opère."
Anselme de Cantorbery, De La Concorde
Il fallait se poser les questions suivantes :
1) Quelle est la thèse développée par Anselme ? Comment l'illustre-t-il ? En quoi cette méthode est-elle originale ?
2) Quels sont les principaux concepts de ce texte ?
3) En quoi la volonté et la rectitude qui la rend droite sont-elles deux choses différentes ?
4) "servir la vérité", "aimer la vérité". De quelle vérité peut-il s'agir ?
5) Quel choix se présente à la personne qui veut servir la vérité ?
6) En quoi le choix de sacrifier la vie pour la rectitude ou la rectitude pour la vie peut-il être qualifié de "libre" ?
7) Quel est le rôle de la raison ?
8) Dans quel but la volonté et la raison ont-elles été données à la créature raisonnable ? Par qui ?
9) Par quoi le choix de la vérité est-il rendu difficile ?
10) Pourquoi le choix d'abandonner la rectitude n'est-il soumis à aucune nécessité ?
Éléments de réponse :
"La volonté droite conserve la rectitude par un libre choix" : Anselme ne choisit pas de démontrer cette thèse par une argumentation théorique, mais de se fonder sur un exemple, une "expérience cruciale" qui en démontrera existentiellement la validité. Cette méthode est originale parce qu'elle s'appuie sur la vie elle-même, sur un exemple concret et non sur des généralités.
Les principaux concepts qui apparaissent dans ce texte sont les suivants : "volonté droite", "volonté juste", liberté, rectitude, tentation, menace, choix, jugement, vie, mort, sacrifice, vérité, mensonge, liberté, jugement libre, raison, amour, intelligence rationnelle, créature raisonnable, nécessité, force.
Certains sont présentés comme équivalents : volonté droite et volonté juste, choix et jugement, liberté et jugement.
Certains s'opposent : liberté et nécessité, vie et mort, vérité et mensonge.
La volonté et la rectitude sont deux choses différentes : nous pouvons désirer faire quelque chose, en avoir la volonté et ne pas en avoir la force. L'apôtre Paul explique dans l’Épitre aux Romains que l'homme est divisé entre la chair et l'esprit.
Pour Augustin, "je fais le mal que je ne voudrais pas faire et je ne fais pas le bien que je voudrais faire ("Video meliora proboque, sed deteriora sequor.")
Hannah Arendt, dans la Vie de l'Esprit souligne que pour Augustin, la scission à l'intérieur de la nature humaine blessée par le péché originel ne se situe pas entre la chair et l'esprit comme chez Paul, mais à l'intérieur de la volonté elle-même.
La volonté et la rectitude qui la rend droite sont deux choses différentes : Anselme évoque une expérience que nous faisons couramment quand nous avons le désir de faire quelque chose et que nous n'en n'avons pas la force.
Anselme distingue donc entre la volonté ou le simple désir et la capacité ou la force d'accomplir de cette volonté.
"Servir la vérité", "aimer la vérité" : Anselme ne précise pas de quelle vérité il s'agit. On peut penser qu'il s'agit des vérités de la foi. Celui qui vient tenter la personne animée d'une volonté droite (du désir de dire la vérité) peut par exemple exiger qu'elle affirme que Dieu n'existe pas. Anselme fait sans doute allusion aux premiers chrétiens sommés de renier leur foi sous peine de mort.
La personne qui veut servir la vérité a le choix entre sacrifier sa vie pour la vérité ou de sacrifier la vérité pour sauver sa vie. Il s'agit d'un choix très clair, sans compromis. Le choix de sacrifier la vie pour la vérité peut seul être qualifié de libre car il ne se fait que par amour de la vérité. On peut en déduire que le choix de sacrifier la rectitude à la vie n'est ni libre, ni raisonnable.
Le concept décisif est celui de rectitude. Seule la rectitude (et non la simple volonté) nous permet d'avoir le courage de dire la vérité, de passer de la volonté à l'acte.
Anselme articule volonté, choix (jugement) et rectitude. Nous avons le désir de dire la vérité (volonté droite), nous avons le choix entre dire la vérité ou ne pas la dire (jugement) et nous avons ou non la force de mettre en œuvre cette volonté.
Le rôle de la raison, alliée à la volonté est de nous inciter à choisir la rectitude au service de la vérité et de l'acte juste, plutôt que de l'abandonner au profit du mensonge ou du mal. Anselme précise que c'est dans ce but que la volonté et la raison ont été données à l'homme par Dieu.
Le choix de la volonté d'abandonner la rectitude, c'est-à-dire de persévérer n'est soumis à aucune nécessité : la nécessité est le contraire de la liberté. Elle implique l'absence de choix : nous sommes agis par les lois de la nature, alors que nous avons le choix entre abandonner la rectitude ou de la conserver.
La "pensée de la mort" n'est pas une nécessité pour la volonté, mais une "difficulté", en d'autres termes, la pensée de la mort, l'instinct de conservation, la peur de mourir, constituent un obstacle à la rectitude de la volonté, mais n'obligent pas nécessairement la volonté à abandonner la rectitude.
Nous devons nécessairement choisir, mais ce choix lui-même n'est pas déterminé par la nécessité, autrement dit, nous avons, selon Anselme, la liberté de choisir entre la vie ou la mort, entre la rectitude de la volonté au service de la vérité et du bien ou l'abandon de la rectitude au profit du mensonge et du mal.
La nécessité ne peut rien contre la volonté. La liberté réside donc dans l'usage de la volonté.
Conclusion :
Anselme affirme que la volonté droite conserve la rectitude par un libre choix et illustre cette thèse par un exemple : un homme est placé dans la situation de choisir entre la rectitude au service de la vérité (et du Bien) et la mort et l'abandon de la rectitude et la vie. Cet exemple met en évidence le fait que volonté et rectitude sont deux choses différentes. La volonté est le simple désir de dire la vérité et de faire le Bien, la rectitude consiste à persévérer dans ce désir, à dire la vérité et à accomplir effectivement le Bien. La personne qui veut servir la vérité peut donc soit sacrifier la rectitude au profit de la vie, soit sacrifier la vie à la rectitude. Dieu a donné à l'homme la volonté et la raison afin d'être capable de choisir la rectitude. L'intérêt philosophique de ce texte réside principalement dans la mise en évidence de l'essence de la liberté humaine à partir d'une situation limite : la vie ou la mort. Le choix existentiel de la rectitude dans une situation limite "démontre" la liberté qui consiste, non à accomplir sa volonté propre, mais à accomplir la volonté divine.
Mais possibilité n'est pas nécessité. Nous avons donc, selon Anselme, la liberté de choisir. Un facteur important n'apparaît cependant pas dans ce texte d'inspiration augustinienne, la Grâce divine, qui aide l'homme à persévérer dans la volonté droite et qu'il doit demander dans la prière car la volonté blessée par le péché originel est incapable, seule, de persévérer dans le Bien.
Note :
Augustin d’Hippone (latin : Aurelius Augustinus), ou saint Augustin, né dans le municipe de Thagaste (actuelle Souk Ahras, Algérie) le 13 novembre 354 et mort le 28 août 430 à Hippone (actuelle Annaba, Algérie), est un philosophe et théologien chrétien de l’Antiquité tardive, évêque d’Hippone, et un écrivain latino-berbère romano-africain. Il est né d’un père romano-africain (africain romanisé) citoyen romain et d’une mère berbère chrétienne non romanisée, sainte Monique.
Augustin, "premier philosophe chrétien et "le seul que les Romains aient jamais eu", élabore une philosophie - Hannah Arendt parle de "description phénoménologique" (p. 389) - de la volonté et une doctrine du "libre arbitre", à partir de l'Epître aux Romains et contre les Stoïciens : "Non hoc est velle quod posse." : "Vouloir et pouvoir ne sont pas la même chose" (Confessions Livre VIII, chap. 8)... La loi n'ordonnerait pas si la volonté n'existait pas ; la grâce n'aiderait pas, si la volonté suffisait." (du libre arbitre), (La vie de l'esprit, p. 383)
"Si saint Augustin commence par conceptualiser la thèse de saint Paul, il va beaucoup plus loin et dépasse même ses premières conclusions conceptuelles - "faire acte de volonté et pouvoir accomplir ne sont pas la même chose", "la loi n'ordonnerait pas si la volonté n'existait pas ; la grâce n'aiderait pas si la volonté suffisait.", c'est le mode d'être attribué à l'esprit que de percevoir uniquement à travers une succession de contraires, le jour se changeant en nuit, la nuit en jour, l'apprentissage de la justice se faisant seulement en subissant l'injustice, celui du courage par la lâcheté, et ainsi de suite. Méditant sur ce qui s'était vraiment produit "au cours de la discussion orageuse dans laquelle il s'était lancé lui-même" avant sa conversion, il découvre que l'interprétation de saint Paul d'une lutte entre la chair et l'esprit est fausse. Car "mon corps obéissait plus aisément à la plus ténue volonté de mon âme, en remuant tel ou tel membre, au moindre commandement, que mon âme ne s'obéissait à elle-même pour réaliser seule sa grande volonté" (Confessions, Livre VIII, chap. 8). Le problème ne provient donc pas de la double nature humaine, mi-chair, mi-esprit ; il tient à la faculté de Volonté elle-même." (p. 390)
Saint Augustin, explique Hannah Arendt, trouve une solution en abordant le problème par un tout autre bout. Il entreprend d'examiner la Volonté, non pas isolée des autres facultés mentales, mais dans ses rapports avec elles ; la grande question devient alors : quelle est la fonction de la volonté dans la vie de l'esprit pris comme un tout ? (p. 395)
La réponse à cette question se trouve dans Les Confessions et dans le De Trinitate (De la Trinité), sous deux formes légèrement différentes : la triade mentale la plus importante est à l'image du Dieu trinitaire et se compose de la Mémoire (de l'Etre dans Les Confessions), de l'Intellect et de la Volonté... Ces trois facultés sont de rang égal, mais leur unicité est due à la Volonté : "La Volonté désigne à la Mémoire ce qu'il faut conserver et ce qu'il faut oublier ; elle dit à l'intellect quel objet choisir. La Mémoire et l'Intellect sont tous deux contemplatifs et, à ce titre passifs ; c'est la Volonté qui les fait fonctionner et, finalement, "les unit l'un à l'autre". Et ce n'est que quand, grâce à l'un des trois, à savoir la Volonté, "ces trois éléments sont réunis (coguntur) en un seul tout, cette réunion (coactus) fait donner à ce tout le nom de pensée (cogitatio)" (De Trinitate, Livre X, chap. 11, 18) (La Vie de l'esprit, p. 398)
"La Volonté, au moyen de l'attention unit, dans un premier temps, nos organes sensoriels au monde réel de façon significative, puis draine, si l'on peut dire, ce monde extérieur en nous et le prépare en vue d'autres opérations mentales : être retenu, compris, affirmé ou nié." (p. 399)
Elle est tournée vers l'action : "en canalisant l'attention des sens, réglant les images imprimées dans la mémoire et fournissant à l'intellect le matériau nécessaire à la compréhension, elle prépare le terrain à l'action." (p. 400)
"Chez saint Augustin, comme par la suite chez Duns Scot, le conflit interne de la Volonté se résout par une transformation de la Volonté elle-même, transformation en Amour. La Volonté - conçue dans son aspect fonctionnel et opérationnel comme agent de cohésion et d'appariement - peut aussi se définir en tant qu'Amour (dilectio).
Pour résumer, explique Hannah Arendt, chez saint Augustin, la Volonté, qui n'est pas conçue comme faculté séparée, mais en fonction du rôle qu'elle joue dans l'ensemble de l'esprit, où les facultés individuelles - mémoire, intellect, volonté - "sont en relation mutuelles" (De Trinitate, Livre X, chap. 10), trouve la rédemption en se transformant en Amour." (p. 404)
- User5899Demi-dieu
Nous n'avons pas à reprendre "saint" concernant Augustin. Le tableau d'avancement catholique et son éventuelle hors-classe ne nous concernent pas.
- RobinFidèle du forum
Cripure a écrit:Nous n'avons pas à reprendre "saint" concernant Augustin. Le tableau d'avancement catholique et son éventuelle hors-classe ne nous concernent pas.
On peut avoir la sainteté sans la "hors classe". La preuve, je n'ai pas la "hors classe" !
J'e reprends "saint" quand je cite Hannah Arendt dans la note. Elle n'écrit pas Anselme, mais "saint" Anselme, sinon je n'ai pas mentionné la "hors classe". Je connais les usages universitaires. Ils sont devenus très chatouilleux là-dessus, mais il me semble bien me souvenir que Desanti qui ne fréquentait pourtant pas les églises nous parlait de "saint" Thomas d'Aquin. J'ai écrit un article sur la pensée du pape Jean-Paul II dans lequel je parle de Karol Wojtyla et non pas de "saint" Karol Wojtyla, bien qu'il soit passé à la hors classe... après sa vie !
- RobinFidèle du forum
Cripure, si vous continuez à votre âge à jouer avec des nounours, vous n'aurez pas la hors-classe !
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