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Gérard Haddad, Manger le Livre Empty Gérard Haddad, Manger le Livre

par Robin Mer 24 Avr 2013, 19:40
Gérard Haddad, Manger le Livre, rites alimentaires et fonction paternelle, Bernard Grasset, coll. Figures, 1984

"Dans son entreprise de fondation de la psychanalyse, Freud a voilé les liens qui l'unissaient à la religion juive. Pourtant certaines de ses intuitions ne sont compréhensibles qu'à la lumière des textes hébraïques. Tel est le point de départ de Gérard Haddad, qui l'entraînera au-delà de Freud à émettre une hypothèse très neuve, déchiffrée dans les rites alimentaires juifs : l'acte originel qui détermine l'intégration de l'individu dans le groupe est un acte de dévoration très particulier puisqu'il s'agit de manger des mots organisés en Livre.

Manger le Livre, voilà l'acte fondamental.

De surprenantes passerelles apparaissent entre l'Eucharistie et les mythes culinaires bororos, ou la dyslexie et les techniques publicitaires. Mais Gérard Haddad nous permet aussi de comprendre pourquoi et comment l'alcool souvent intervient dans la création littéraire. Ibsen, Lowry et tant d'autres nous révèlent le secret connu et masqué depuis qu'il y a des hommes : nous sommes tous des mangeurs de Livre."

" Le mythe du complexe d’œdipe est un rêve de Freud, explique Gérard Haddad, rêve qui reste à déchiffrer. A la fin de son œuvre, Lacan présentait ainsi la pointe extrême de la critique qu'il faisait aux théories freudiennes (Jacques Lacan, Séminaires : l'Envers de la psychanalyse, 1969-1970, non publié). Freud préféra cette forme mythique à un abord direct de la question paternelle, contournant ainsi la terrible épreuve d'une confrontation à l'El-Schaddaï, à la religion de ses pères, armature intellectuelle à laquelle, bien que mécréant, il était lié par toutes les fibres de son âme.

C'est de ce point, ou à peu près que Lacan termina, qu'il fallut repartir, s'assurer dans un premier temps de l'isomorphie de la psychanalyse et du Midrach. cette vérification dépasse toute attente et le recul permet désormais d'affirmer dans une formule de style léninien : la psychanalyse, c'est le Midrach plus la castration. Notre précédent ouvrage (L'enfant illégitime, sources talmudiques de la psychanalyse, 1981) avait développé à quel point la technique psychanalytique, cet art de lire dans le discours du patient, n'était étrangement que le retour massif de l'antique Midrach juif, renié, incompris même parmi les juifs "éclairés", revenant dans le sillage du médecin viennois labourer, secouer dans son tréfonds toute pensée moderne sur l'homme. Ce point d'ancrage affermi devient point de départ pour le déchiffrage du rêve freudien..."

Plan de l'ouvrage :


Première partie : Le Père freudien en question

1) De la loi du père au respect du frère

2) Penser avec ses dents

Deuxième partie : Le discret et le continu


1) Un étrange repas

2) De l'écriture au Livre

3) La naissance du sujet

4) L'écriture et le feu

5) Le cru, le cuit... et le symbolique

6) Le Livre dans le champ freudien

Troisième partie : Le Livre et la clinique


1) Au-delà d'une clinique de l'oralité

2) La preuve par le schizo

3) La dyslexie et son père

4) Le médicament et la psychosomatique

5) La fille aux perles

6) L'alcoolique

Conclusion

Annexe : La transférance signifiante

Un entretien avec l'auteur (source : Psythère) à propos de son ouvrage Le péché originel de la psychanalyse, Lacan et la question juive : link

Gérard HADDAD, "adopté par LACAN", vient de publier un ouvrage critique, sur un thème que l’on pourrait formuler selon Dolto : la psychanalyse au risque du judaisme, c’est à dire d’un originaire. Ce qui serait une façon de camper le travail réflexif et critique d’HADDAD qui n’épargne aucun Maître... pas même LACAN.

Le péché originel de la psychanalyse : "quelque chose dans Freud n’a jamais été analysé" : son rapport au judaïsme. Or insiste Lacan, "remonter à cette origine est tout à fait essentiel si nous voulons mettre l’analyse sur ses pieds".

Votre ouvrage semble marquer une étape dans votre élaboration autour de l’articulation entre la psychanalyse notamment lacanienne et la question juive. Cette dernière n’a cessé de vous travailler. Pouvez vous donc nous préciser ce qui fait la thèse centrale de votre livre, dont le ton « iconoclaste » est donné très rapidement ?

G. H. : Je pense plutôt que mon livre s’inscrit dans le prolongement du travail que je mène depuis 30 ans, depuis ma thèse de médecine publiée sous le titre L’enfant illégitime, réflexion croisée entre judaïsme et psychanalyse. D’une certaine manière, ce livre est la conclusion de cet effort. En même temps j’ai voulu que ce livre reste « ouvert », document de travail pour d’autres chercheurs pour aller plus loin. Ce dernier travail, qui se situe dans le prolongement direct du récit de mon analyse « Le jour où Lacan m’a adopté », a mis en évidence la place centrale que la question du judaïsme occupait dans la pensée de Lacan. Celui-ci voulait comprendre ce qui avait permis à Freud de découvrir la psychanalyse. Pour lui, la réponse ne faisait aucun doute ; son judaïsme mais en même temps ce judaïsme n’est ni avoué, ni analysé, ce qui constitue le « péché originel de la psychanalyse ». Il voulut donc reprendre cette question « là où Freud l’avait laissée ». C’est à ce moment qu’il se trouve expulsé, excommunié de l’Internationale Psychanalytique. Pour lui, ce projet fut la cause de son expulsion. J’ai voulu reprendre les pièces de cette affaire restée dans l’ombre. Mais en même temps, sur certains points, j’ai voulu montrer que Lacan, à côté de remarques très intéressantes et nouvelles sur le judaïsme, s’est parfois trompé.

Vous allez plus loin car vous dites aussi très clairement que l’entreprise de Lacan est à certains égards un échec, dont les conséquences seraient dramatiques pour l’avenir de la psychanalyse elle-même.

G. H. : Ce n’est pas ce que je dis. Toute pensée comporte ses limites et ses trébuchements. La pensée de Lacan est une pensée ouverte et il demandait lui-même à être contesté. Il me semble que la psychanalyse a plus souffert de son exclusion que de tout autre facteur.

La critique que vous faites de l’institution analytique égratigne certaines notabilités, dont l’historienne E. Roudinesco que vous vilipendez sans ménagement pour avoir surtout tronqué selon vous, - et votre thèse paraît très étayée -, la vérité du rapport de Lacan au judaïsme et avoir ainsi favorisé une approche de Lacan rivée au contre-sens... Contre sens ou péché originel de Lacan qui aurait frayé la voie à un courant « chrétienisant » de la psychanalyse (Dolto en étant l’éminente figure de proue). Pourriez vous ramasser ici cette critique ?

G. H. : Je ne veux plus polémiquer à propos de Roudinesco. Elle est pour moi le symptôme de la dégradation des normes du travail scientifique et universitaire qui règne aujourd’hui dans certains cénacles intellectuels parisiens. Mais je préfère clore définitivement cette polémique.

La conception-trinitaire- RSI de Lacan, le (ou les) « Nom-du-père », la représentation lacanienne anthropomorphe du divin, ne prèchent-ils... pas plutôt en faveur d’un infléchissement d’un autre ordre ? Que reste-t-il justement aujourd’hui du Nom-du-père que suivant Lacan vous indexez au Tétragramme ? De manière un peu provocatrice je vous demanderai si vous ne posez pas Dieu en dernier ressort comme point de capiton contre la psychose, dont l’analyse doit pourtant laïciser le capitonnage (destitution du SSS) ?

G.H. : Pour Lacan Dieu est un signifiant, il relève du symbolique. « Dieu-re » , disait-il. Pour Maimonide Dieu appartient au Réel, inimaginable, irreprésentable. Il y a sur ces questions beaucoup de confusion et de malentendus qu’il serait important d’éclaircir, par exemple dans un colloque.

Vous articulez la défaite du postlacanisme à travers son émiettement non conjonctural en groupuscules divers, en horde post-primitive en quelque sorte, à cette méprise fondamentale faite de fascination/répulsion qui lierait Lacan à la chose juive. Pourriez vous préciser derechef ce que vous voulez dire ?

G.H. : Lacan, ce génie, ressemble à Napoléon qui laissa la France plus petite qu’il ne l’avait trouvée. Je crois que tout tourne autour de sa théorie de la psychose avec laquelle il débuta son œuvre. Dans un premier temps, il construit cette extraordinaire théorie de la psychose comme « forclusion du Nom-du-Père » produit par le judaïsme. Puis à la fin de sa vie il critiqua violemment ce Nom-du-Père qu’il souhaitait dépasser. Il y a là une contradiction que peu d’élèves ont explorée. Si bien que cette forclusion habite le lacanisme lui-même rendant folles les institutions qui se réclament de cet enseignement.

La figure du philosophe médieval Maimonide étaie vos commentaires très éclairants et critiques sur ce que vous appelez même le « Midrash » de Lacan, dont vous montrez l’imprégnation par une pensée mystique, ésotérique relevant de l’approche kabbalistique du judaisme, approche vis-à-vis de laquelle vous avez toujours pris vos distances. Vous citez aussi Y. Leibowitz, philosophe israelien de gauche, récemment disparu, avec lequel vous avez écrit. Quelle relation avez-vous à présent avec « Le » judaïsme ? Est-ce un rapport uniquement textuel ? Quel lien reste-t-il entre vous et Moshé Gaash ?

G. H. : La rencontre de Y. Leibowitz, dont j’ai traduit six livres (vient de paraître « Les fondements du judaïsme » Ed. CERF) fut décisive. Mon rapport au judaïsme s’en est trouvé apaisé, dans la mesure où la pensée de Maimonide permet de vivre le monde moderne, dominé par la science, sans distorsion avec la foi.

Le judaïsme ne saurait être un rapport simplement textuel, il est d’abord une série de préceptes. Pour ce qui concerne l’Etat d’Israël (Moshe Gaash étant le pseudonyme que je m’étais choisi), en même temps que j’affirme mon attachement à son peuple, à Jérusalem, je me trouve dans une position très critique, leibowitzienne, par rapport à la politique des dirigeantsde cet Etat qui conduit l’ensemble de notre peuple à la catastrophe. Les êtres qui me sont les plus chers habitent là bas et je tremble chaque jour pour eux. Je pense à la terrible tragédie qui a frappé David Grossman comme elle a frappé tant de nos familles. Il faut arrêter le malheur dont la cause principale est connue. L’oppression d’un autre peuple constitue avant tout, la destruction de notre héritage et donc de notre raison de vivre. Le sionisme s’est construit dans un certain rejet de l’histoire et des valeurs juives considérées comme galoutiques. Cette position est mère de tous les malheurs présents et surtout à venir si on ne saisit pas immédiatement et à tout prix les possibilités de paix avec le monde arabe qui sont réelles.

Vous terminez votre ouvrage sur une invitation à rétablir un certain setting analytique souvent raillé par certains lacaniens, en réouvrant la question du rite, impensé par le Maître et ses suivants : « le plus grand ratage de la doctrine de Lacan »... La kabbale fait tout de même aussi une place axiale à la dimension du rite (« Les rites qui font Dieu » Ch. Mopsik). Comment expliquez vous que Lacan n’ait pu considérer cette dimension, même par le biais de ses sources gordiniennes ? Par le fait que celles-ci n’en relevaient pas la singulière importance et/ou parce qu’appendue à celle-ci se profilait pour lui aussi « la boue noire de l’occultisme » ? La religion oui, la magie non... en quelque sorte, alors que l’anthropologie depuis Marcel Mauss montre que l’on ne peut se débarasser aussi simplement de leur articulation, en postulant un clivage étanche et artificieux entre ces deux « faits sociaux totaux »... J-A. Miller critique souvent par exemple, « l’orthopraxie », qui serait le lot de l’IPA supposée y trouver sa seule cohérence. Le "rite" du setting est habituellement dénoncé selon l’antienne persiflante du « tabou » et de l’assèchement, de l’infondé au niveau de ...l’esprit. De quoi y déceler peut-être quelque résonance assez « orthodoxe » et convenue finalement dans ce leitmotiv anti-ipéiste ? On n’échapperait pas aux lieux communs culturels en quelque sorte. Vous en appelez donc au rite, à la lettre, pour cohérer l’essaim analytique lacanien toujours en proie à la groupusculisation , la dilution voire la dissolution perpétuelle ?

Note : le setting définit les conditions dans lesquelles se déroule la séance psychanalytique : le cabinet dans lequel l’analyste reçoit le patient, le déroulement de la séance : la durée, la position du patient (allongé, assis), les modalités de l'attention de l'analyste (attention flottante, écoute bienveillante, patience...), du discours de l'analysé (associations libres), des interventions de l'analyste (le but étant d'amener l'analysé à des mutations étayées sur son propre désir), bref, d'une manière générale, les conditions susceptibles de favoriser le transfert et le contre-transfert. (d'après Christian Jeanclaude, psychanalyste, auteur)

G. H. : Je pense qu’une réflexion, une théorisation de la question du setting est indispensable en effet. J’ai émis l’hypothèse que le mépris de Lacan pour le setting « la halacha analytique » relève d’une position paulinienne., c’est-à-dire du mépris chrétien pour la halacha juive qui serait mortifère.. Il faut sortir de ce mépris qui n’est pas sérieux.

- Vous récusez le détour d’Ulysse (Freud) par Ithaque (Thèbes). L’Oedipe : « rêve ou symptôme de Freud » selon Lacan et fiction résolument inutile ? Ne garde-t-il tout de même pas quelque valeur opératoire, quelque soit l’outrance d’une modélisation que Freud a tenté de garantir en recourant à une anthropologie balbutiante sensée y porter la caution d’une transculturalité, autrement dit d’un universel ?

G.H. : Bien évidemment l’Œdipe garde toute sa valeur opératoire de même que la physique newtonienne garde sa valeur dans la théorie de la relativité. Mais je trouve très intéressante cette notion que Lacan introduit « L’épreuve de vérité », celle d’Abraham au Moriah ou de Moise devant le buissson ardent. Chaque sujet, un jour traverse une épreuve de vérité.

- Quel rôle assignez vous par ailleurs à la fonction paternelle aujourd’hui dont certains paraissent vouloir hâter la fin dans une société fantasmée comme une horde fraternelle pacifique... où division sexuelle, et différence des générations auraient déguerpi de l’espace de nos représentations ?

G.H. : La paternité est aujourd’hui en crise profonde. Lacan avait saisi cela très tôt avec son concept de « père humilié » qu’il emprunte à Claudel. Il en avait déduit l’horizon d’une psychose généralisée de l’humanité. « Tous à l’asile » disait-il. La réalité politico-sociale ne semble pas lui donner tort. Peut être a-t-il cherché avec sa topologie, son projet de dépasser le Nom du Père à trouver un palliatif à cette crise. Il ne l’a apparemment pas trouvé.

Quelles perspectives envisagez vous, -à l’heure du biocomportementalisme et du chant du cygne de la psychiatrie -, pour la psychanalyse ?

G.H. : Je pense que la psychanalyse est un acquis important qui a aidé tant de personnes. Personnellement, je lui dois le peu de figure que j’ai en ce monde. L’avenir de la psychanalyse dépend des analystes. J’ai essayé par mes livres d’y contribuer.

Entretien réalisé par Frank BELLAICHE - Mai 2007


Gérard Haddad, né en 1940 à Tunis, est un ingénieur agronome, psychiatre et psychanalyste français. Il rencontre Jacques Lacan en 1969 et entame avec lui une psychanalyse qui durera douze ans. Marxiste, athée, il voit avec stupeur émerger, au cours de son analyse, la force du sentiment religieux qui l'habite, ce qui le conduit à retrouver le judaïsme et à l'étudier en lecture croisée avec la psychanalyse. Sa rencontre avec Yeshahou Leibowitz marque également son parcours.
Gérard Haddad a également une œuvre d'écrivain, de traducteur de l'hébreu et d'éditeur.
Essais :

L'Enfant illégitime : Sources talmudiques de la psychanalyse, Hachette Littératures, 1981
Manger le livre, Grasset, 1984
Les Biblioclastes, Grasset, 1990 ; rééd. sous le titre Les Folies millénaristes, Librairie générale française, 2002
(avec Antonieta Haddad) Freud en Italie : Psychanalyse du voyage, Albin Michel, 1994
Lacan et le judaïsme, Desclée de Brouwer, 1996
Maïmonide, Belles Lettres, 1998
(avec Didier Sicard) Hippocrate et le Scanner, Desclée de Brouwer, 1999
Le jour où Lacan m'a adopté, Grasset & Fasquelle, 2002
(avec Hechmi Dhaoui) Musulmans contre l'Islam ?, Cerf, 2006
Le péché originel de la psychanalyse, Seuil, 2007
Les femmes et l'alcool, Grasset, 2009
Lumière des astres éteints, Grasset, 2011

Récits :

Moshe Gaash : Comment faire son aliya en 20 leçons, Seuil, Point Virgule, 1987

Traductions de l'hébreu :

Œuvres de Yeshayahou Leibowitz :
Israël et le judaïsme, ma part de vérité, Desclée de Brouwer, 1993
Brèves leçons bibliques, Desclée de Brouwer, 1995
Peuple, Terre, État, Plon, 1995
Science et valeurs, Desclée de Brouwer, 1997
(avec Yann Boissière) Les Fondements du Judaïsme, Cerf, 2007

Eliezer Ben Yehouda et Itamar Ben Avi, La Renaissance de l'hébreu, Desclée de Brouwer, 1998
Contes talmudiques, Hachette Littératures, 1999

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