- RobinFidèle du forum
Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l'expliquer à la demande, je ne le sais pas! Et pourtant - je le dis en toute confiance - je sais que si rien ne se passait il n'y aurait pas de temps passé, et si rien n'advenait, il n'y aurait pas d'avenir, et si rien n'existait, il n'y aurait pas de temps présent. Mais ces deux temps, passé et avenir, quel est leur mode d'être alors que le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours présent sans passer au passé, il ne serait plus le temps mais l'éternité.
Si donc le présent, pour être du temps, ne devient tel qu'en passant au passé, quel mode d'être lui reconnaître, puisque sa raison d'être est de cesser d'être, si bien que nous pouvons dire que le temps a l'être seulement parce qu'il tend au néant. [...] Enfin, si l'avenir et le passé sont, je veux savoir où ils sont. Si je ne le puis, je sais du moins que, où qu'ils soient, ils n'y sont pas en tant que choses futures ou passées, mais sont choses présentes. Car s'ils y sont, futur il n'y est pas encore, passé il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils n'y sont que présents. Quand nous racontons véridiquement le passé, ce qui sort de la mémoire, ce n'est pas la réalité même, la réalité passée, mais des mots, conçus d'après ces images qu'elle a fixées comme des traces dans notre esprit en passant par les sens.
Mon enfance par exemple, qui n'est plus, est dans un passé qui n'est plus, mais quand je me la rappelle et la raconte, c'est son image que je vois dans le présent, image présente en ma mémoire. En va-t-il de même quand on prédit l'avenir ? Les choses qui ne sont pas encore sont-elles pressenties grâce à des images présentes ? Je confesse, mon Dieu, que je ne le sais pas. Mais je sais bien en tout cas que d'ordinaire nous préméditons nos actions futures et que cette préméditation est présente, alors que l'action préméditée n'est pas encore puisqu'elle est à venir. Quand nous l'aurons entreprise, quand nous commencerons d'exécuter notre projet, alors l'action existera mais ne sera plus à venir, mais présente. [...]
Il est dès lors évident et clair que ni l'avenir ni le passé ne sont et qu'il est impropre de dire : il y a trois temps, le passé, le présent, l'avenir, mais qu'il serait exact de dire : il y a trois temps, un présent au sujet du passé, un présent au sujet du présent, un présent au sujet de l'avenir. Il y a en effet dans l'âme ces trois instances, et je ne les vois pas ailleurs : un présent relatif au passé, la mémoire, un présent relatif au présent, la perception, un présent relatif à l'avenir, l'attente. Si l'on me permet ces expressions, ce sont bien trois temps que je vois et je conviens qu'il y en a trois.
saint Augustin, Confessions, Livre XI
Ce passage fait suite à une méditation sur la création du monde par Dieu. Dieu n'a pas pu créer le monde à un certain moment du temps, car il est éternel et immuable. Dieu a donc crée le temps en même temps qu'il a crée le monde et il domine tous les temps, passé, présent et avenir, de toute éternité.
Dans ce passage, Augustin s'interroge sur la nature du temps. Chacun croit savoir ce qu'est le temps, mais quand il s'agit de le définir, les difficultés surgissent car, à proprement parler, le temps "n'est" pas. En effet, aucune des "dimensions" sous lesquelles l'expérience humaine reconnaît le temps n'existe à proprement parler : le passé n'est plus, le présent tend sans cesse à rejoindre le passé et l'avenir n'est pas encore.
Qu'est donc que le temps ? Nous croyons tous savoir ce qu'est le temps. Mais nous le sentons davantage que nous ne sommes capables de l'expliquer à d'autres. Le temps est la dimension essentielle de notre existence : nous vivons dans le temps, nous savons que nous sommes nés à un moment du temps que nous appelons le passé ; nous appelons présent le moment que nous vivons actuellement et futur ce qui n'est pas encore survenu.
Mais dire que le temps c'est le passé, le présent et le futur, ce n'est pas vraiment répondre à la question "qu'est ce que le temps ?", répondre à la question philosophique par excellence depuis Platon "Ti estin ?", la question de l'essence.
La possibilité de répondre à une question portant sur l'essence suppose que ce sur quoi porte la question ait une permanence, une stabilité. Or le temps n'a ni permanence, ni stabilité... il paraît donc impossible de le définir !
"Or, je le déclare hardiment..." Pourtant, cette réalité apparemment indéfinissable existe. Et elle a trois caractères : la disparition, sans laquelle il n'y aurait pas de passé, le renouvellement, sans lequel il n'y aurait pas d'avenir et le fait d'être, sans lequel il n'y aurait pas de présent.
Mais, si le passé est ce qui a disparu et l'avenir ce qui n'est pas encore, comment peut-on affirmer qu'ils sont ?
Il en est de même du présent : le temps présent "n'est pas" non plus, il n'a aucune permanence ; chacun de mes instants présents s'abolit dans le passé. Un présent immuable, un présent qui serait toujours le présent ne serait pas le présent (et ce ne serait pas non plus un "cadeau" !). Le présent n'est donc le présent que par rapport au passé et au futur. Pour qu'il y ait temps et pour qu'il y ait le présent, il faut que "quelque chose" puisse s'abolir, persister et advenir. Le présent implique l'existence de quelque chose qui "est". Si ce qui "est" persistait, ce ne serait plus le présent, mais l'éternité (l'éternité est donc un éternel présent). Seul Dieu est éternel ou, pour le dire plus exactement, seul Dieu "est". Il a crée le temps et domine tous les temps.
Le temps en tant que présent, passé et avenir, abolition, persistance momentanée (l'instant) et devenir est donc défini par rapport à ce qu'il n'est pas : l'éternité. Le temps n'est pas l'éternité ; le paradoxe de l'instant, son "mystère", c'est qu'il ne peut être que dans la mesure où il va cesser d'être, le paradoxe du présent, c'est qu'il vit de mourir, d'instants et instants.
Il est donc commode, mais illégitime de prétendre qu'il "est". Le présent existe dans la mesure où il tend à n'être plus. Il en est de même du passé qui fut du présent qui n'est plus et du futur qui sera, lui aussi, un présent qui s'abolira, à son tour, dans le passé.
Pour Augustin, la dimension essentielle du temps, celle qui permet de le "définir", c'est le présent, car seul le présent "est" ; il n'est pas absolument, mais il est relativement. ce qui "est" vraiment dans le temps, c'est le présent, mais le présent ne peut être le présent qu'en tant qu'il se dépasse vers le futur (qu'il se "transcende"), c'est-à-dire qu'il tend à s'anéantir. Le présent est donc un être qui tend sans cesse vers la néant.
Ce texte nous invite à réfléchir sur les catégories du langage et en particulier sur le sens du verbe "être". Définir, c'est dire ce qu'est une chose (Ti esti ?), mais l'idée d'être renvoie à une stabilité, à une immuabilité qui ne convient pas au temps.
Ce texte fondamental dans l'histoire de la philosophie a inspiré des penseurs aussi divers que Kant (le temps comme forme a priori de l'aperception transcendantale dans la Critique de la Raison pure) : le temps ne dérive pas de l'expérience, il est la condition préalable (a priori) de toute expérience possible, Husserl, le fondateur de la phénoménologie, ou Heidegger dont l’œuvre majeure, Être et Temps (Sein und Zeit, 1932) porte précisément sur le rapport entre le "Dasein" et le Temps, la réalité humaine étant définie par son rapport "existential" au temps sous la forme du souci, de l'angoisse, de l'être pour la mort (il ne faut pas prendre le mot "angoisse" dans un sens pathologique, mais existentiel). Pour Heidegger, le "Dasein" (la conscience et l'existence humaine) n'est pas simplement "dans le temps" comme les autres "étants", ce qui le distingue fondamentalement des choses et des autres êtres vivants.
"Le temps a l'être seulement parce qu'il tend au néant.", écrit saint Augustin, assimilant le temps à l'homme dans sa relation à Dieu et à l'éternité. En tant que créature, l'homme, comme le temps, tend au néant ; seul Dieu subsiste éternellement. Les Confessions expriment le désir d'échapper au temps pour accéder à l'éternité en vivant en Dieu de la vie même de Dieu, expérience mystique qu'Augustin relate dans "la vision d'Ostie" dont le récit s'inspire des Ennéades de Plotin et qui lui ouvre les perspectives lumineuses de la vie éternelle, ou mieux - car une telle expérience est, par définition éphémère - d'accepter la temporalité en essayant de vivre de telle sorte que la temporalité de la condition terrestre préfigure l'éternité de la vie divine.
La "définition" augustinienne du temps ne cerne pas un réalité "objective", un milieu neutre (le temps de la physique qui n'est pas le temps, mais du temps spatialisé, comme l'a montré Bergson), mais une modalité fondamentale de la réalité humaine dans son "être au monde" comme conscience transcendantale, expérience intime de la temporalité néantisante.
Si donc le présent, pour être du temps, ne devient tel qu'en passant au passé, quel mode d'être lui reconnaître, puisque sa raison d'être est de cesser d'être, si bien que nous pouvons dire que le temps a l'être seulement parce qu'il tend au néant. [...] Enfin, si l'avenir et le passé sont, je veux savoir où ils sont. Si je ne le puis, je sais du moins que, où qu'ils soient, ils n'y sont pas en tant que choses futures ou passées, mais sont choses présentes. Car s'ils y sont, futur il n'y est pas encore, passé il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils n'y sont que présents. Quand nous racontons véridiquement le passé, ce qui sort de la mémoire, ce n'est pas la réalité même, la réalité passée, mais des mots, conçus d'après ces images qu'elle a fixées comme des traces dans notre esprit en passant par les sens.
Mon enfance par exemple, qui n'est plus, est dans un passé qui n'est plus, mais quand je me la rappelle et la raconte, c'est son image que je vois dans le présent, image présente en ma mémoire. En va-t-il de même quand on prédit l'avenir ? Les choses qui ne sont pas encore sont-elles pressenties grâce à des images présentes ? Je confesse, mon Dieu, que je ne le sais pas. Mais je sais bien en tout cas que d'ordinaire nous préméditons nos actions futures et que cette préméditation est présente, alors que l'action préméditée n'est pas encore puisqu'elle est à venir. Quand nous l'aurons entreprise, quand nous commencerons d'exécuter notre projet, alors l'action existera mais ne sera plus à venir, mais présente. [...]
Il est dès lors évident et clair que ni l'avenir ni le passé ne sont et qu'il est impropre de dire : il y a trois temps, le passé, le présent, l'avenir, mais qu'il serait exact de dire : il y a trois temps, un présent au sujet du passé, un présent au sujet du présent, un présent au sujet de l'avenir. Il y a en effet dans l'âme ces trois instances, et je ne les vois pas ailleurs : un présent relatif au passé, la mémoire, un présent relatif au présent, la perception, un présent relatif à l'avenir, l'attente. Si l'on me permet ces expressions, ce sont bien trois temps que je vois et je conviens qu'il y en a trois.
saint Augustin, Confessions, Livre XI
Ce passage fait suite à une méditation sur la création du monde par Dieu. Dieu n'a pas pu créer le monde à un certain moment du temps, car il est éternel et immuable. Dieu a donc crée le temps en même temps qu'il a crée le monde et il domine tous les temps, passé, présent et avenir, de toute éternité.
Dans ce passage, Augustin s'interroge sur la nature du temps. Chacun croit savoir ce qu'est le temps, mais quand il s'agit de le définir, les difficultés surgissent car, à proprement parler, le temps "n'est" pas. En effet, aucune des "dimensions" sous lesquelles l'expérience humaine reconnaît le temps n'existe à proprement parler : le passé n'est plus, le présent tend sans cesse à rejoindre le passé et l'avenir n'est pas encore.
Qu'est donc que le temps ? Nous croyons tous savoir ce qu'est le temps. Mais nous le sentons davantage que nous ne sommes capables de l'expliquer à d'autres. Le temps est la dimension essentielle de notre existence : nous vivons dans le temps, nous savons que nous sommes nés à un moment du temps que nous appelons le passé ; nous appelons présent le moment que nous vivons actuellement et futur ce qui n'est pas encore survenu.
Mais dire que le temps c'est le passé, le présent et le futur, ce n'est pas vraiment répondre à la question "qu'est ce que le temps ?", répondre à la question philosophique par excellence depuis Platon "Ti estin ?", la question de l'essence.
La possibilité de répondre à une question portant sur l'essence suppose que ce sur quoi porte la question ait une permanence, une stabilité. Or le temps n'a ni permanence, ni stabilité... il paraît donc impossible de le définir !
"Or, je le déclare hardiment..." Pourtant, cette réalité apparemment indéfinissable existe. Et elle a trois caractères : la disparition, sans laquelle il n'y aurait pas de passé, le renouvellement, sans lequel il n'y aurait pas d'avenir et le fait d'être, sans lequel il n'y aurait pas de présent.
Mais, si le passé est ce qui a disparu et l'avenir ce qui n'est pas encore, comment peut-on affirmer qu'ils sont ?
Il en est de même du présent : le temps présent "n'est pas" non plus, il n'a aucune permanence ; chacun de mes instants présents s'abolit dans le passé. Un présent immuable, un présent qui serait toujours le présent ne serait pas le présent (et ce ne serait pas non plus un "cadeau" !). Le présent n'est donc le présent que par rapport au passé et au futur. Pour qu'il y ait temps et pour qu'il y ait le présent, il faut que "quelque chose" puisse s'abolir, persister et advenir. Le présent implique l'existence de quelque chose qui "est". Si ce qui "est" persistait, ce ne serait plus le présent, mais l'éternité (l'éternité est donc un éternel présent). Seul Dieu est éternel ou, pour le dire plus exactement, seul Dieu "est". Il a crée le temps et domine tous les temps.
Le temps en tant que présent, passé et avenir, abolition, persistance momentanée (l'instant) et devenir est donc défini par rapport à ce qu'il n'est pas : l'éternité. Le temps n'est pas l'éternité ; le paradoxe de l'instant, son "mystère", c'est qu'il ne peut être que dans la mesure où il va cesser d'être, le paradoxe du présent, c'est qu'il vit de mourir, d'instants et instants.
Il est donc commode, mais illégitime de prétendre qu'il "est". Le présent existe dans la mesure où il tend à n'être plus. Il en est de même du passé qui fut du présent qui n'est plus et du futur qui sera, lui aussi, un présent qui s'abolira, à son tour, dans le passé.
Pour Augustin, la dimension essentielle du temps, celle qui permet de le "définir", c'est le présent, car seul le présent "est" ; il n'est pas absolument, mais il est relativement. ce qui "est" vraiment dans le temps, c'est le présent, mais le présent ne peut être le présent qu'en tant qu'il se dépasse vers le futur (qu'il se "transcende"), c'est-à-dire qu'il tend à s'anéantir. Le présent est donc un être qui tend sans cesse vers la néant.
Ce texte nous invite à réfléchir sur les catégories du langage et en particulier sur le sens du verbe "être". Définir, c'est dire ce qu'est une chose (Ti esti ?), mais l'idée d'être renvoie à une stabilité, à une immuabilité qui ne convient pas au temps.
Ce texte fondamental dans l'histoire de la philosophie a inspiré des penseurs aussi divers que Kant (le temps comme forme a priori de l'aperception transcendantale dans la Critique de la Raison pure) : le temps ne dérive pas de l'expérience, il est la condition préalable (a priori) de toute expérience possible, Husserl, le fondateur de la phénoménologie, ou Heidegger dont l’œuvre majeure, Être et Temps (Sein und Zeit, 1932) porte précisément sur le rapport entre le "Dasein" et le Temps, la réalité humaine étant définie par son rapport "existential" au temps sous la forme du souci, de l'angoisse, de l'être pour la mort (il ne faut pas prendre le mot "angoisse" dans un sens pathologique, mais existentiel). Pour Heidegger, le "Dasein" (la conscience et l'existence humaine) n'est pas simplement "dans le temps" comme les autres "étants", ce qui le distingue fondamentalement des choses et des autres êtres vivants.
"Le temps a l'être seulement parce qu'il tend au néant.", écrit saint Augustin, assimilant le temps à l'homme dans sa relation à Dieu et à l'éternité. En tant que créature, l'homme, comme le temps, tend au néant ; seul Dieu subsiste éternellement. Les Confessions expriment le désir d'échapper au temps pour accéder à l'éternité en vivant en Dieu de la vie même de Dieu, expérience mystique qu'Augustin relate dans "la vision d'Ostie" dont le récit s'inspire des Ennéades de Plotin et qui lui ouvre les perspectives lumineuses de la vie éternelle, ou mieux - car une telle expérience est, par définition éphémère - d'accepter la temporalité en essayant de vivre de telle sorte que la temporalité de la condition terrestre préfigure l'éternité de la vie divine.
La "définition" augustinienne du temps ne cerne pas un réalité "objective", un milieu neutre (le temps de la physique qui n'est pas le temps, mais du temps spatialisé, comme l'a montré Bergson), mais une modalité fondamentale de la réalité humaine dans son "être au monde" comme conscience transcendantale, expérience intime de la temporalité néantisante.
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