- RobinFidèle du forum
Publiés après la mort de Pascal, Les Pensées sont constituées de textes parfois très brefs qui révèlent les tensions d'un penseur à la fois chrétien et scientifique. Pascal souligne les limites de la raison et la grandeur de la foi : la foi et la raison sont compatibles, à condition que la raison accepte ses propres limites : "Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison." :
"Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur (1) ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y a point de part essaye de les combattre. Les pyrrhoniens (2) qui n'ont que cela pour objet y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvement, nombres, (est) aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours.
La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non le contraire de ce qu'ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre.
Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.
La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n'est que faible, si elle ne va jusqu'à connaître cela.
Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles ?
Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison.
Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu (3) de la raison.
Blaise Pascal, Pensées (1670)
1.- Coeur : ne désigne pas ici la vie affective, mais l'intuition directe et immédiate des premiers principes.
2.- Pyrrhoniens : sceptiques, pour qui il faut douter de tout ; ils représentent le doute "hyperbolique", radical, par opposition au doute "méthodique".
3.- désaveu : contestation
1) "les premiers principes" : au sens philosophique, "principe" désigne ce qui vient en premier, ce qui est à l'origine, du latin "principium", qui signifie commencement. En géométrie, les "principes" se nomment des axiomes. Les axiomes sont l'objet d'une compréhension intuitive immédiate, ils ne sont pas démontrables ("le raisonnement n'y a point part"). Par exemple, l'axiome de base de la géométrie d'Euclide suivant lequel par une droite, il ne passe qu'une parallèle et une seule à une autre droite. Pascal donne d'autres exemples de "principes" : "nous ne savons que nous ne rêvons pas", "il y a espace, temps, mouvements, nombres."
2) Pascal juge inutile le travail des pyrrhoniens (les sceptiques radicaux comme Pyrrhon d'Elis) parce qu'ils remettent en question la notion de vérité, y compris celle des premiers principes. Descartes, contemporain de Pascal, distingue de son côté dans les Méditations métaphysiques le doute méthodique (utile) et le doute hyperbolique ou radical (inutile). Le doute méthodique est au service de la recherche d'un premier principe (le cogito), le doute hyperbolique remet en question notre capacité de connaître (les sens nous trompent toujours, nous ne sommes assurés de rien) et aboutit à la suspension du jugement.
3) Pascal établit la faiblesse de notre raison sur l'impuissance à prouver les premiers principes.
4) La raison doit s'appuyer sur le coeur, c'est-à-dire sur l'intuition directe et immédiate des premiers principes.
5) Il y a deux excès, selon Pascal :
a) exclure la raison
b) n'admettre que la raison
Si on exclut la raison, on rend la religion absurde et ridicule.
Si on n'admet que la raison, la religion n'a plus rien de mystérieux (d'un mot grec qui signifie "caché") et de surnaturel ; on détruit donc la religion pour la remplacer par une morale ou une sagesse humaines.
6) "Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison." : Cette phrase est paradoxale car elle semble aller à l'encontre du principe d'identité. La raison ne peut pas se désavouer elle-même, sauf à devenir le contraire de la raison. le non-sens, l'absurde...
Pascal entend par là que la raison humaine est limitée : il y a des réalités naturelles qui la surpassent, sans parler des réalités surnaturelles. La raison doit accepter de reconnaître qu'il y a "une infinité de choses qui la surpassent". Cette reconnaissance de ses limites par la raison est une force et non une faiblesse. La faiblesse de la raison serait de ne pas reconnaître ses limites. N'admettre que la raison, c'est donc se montrer déraisonnable.
Emmanuel Kant, philosophe allemand du siècle des Lumières montrera de son côté dans La critique de la raison pure que la raison ne peut pas connaître les "premiers principes" qu'il appelle les "noumènes", par opposition aux phénomènes, par exemple l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme... sont indémontrables car Dieu et l'âme ne sont pas des phénomènes accessibles à l'intuition sensible et aux catégories de l'entendement humain.
7) Pour Pascal, comme pour saint Thomas d'Aquin (théologien catholique du XIIIème siècle), la raison est subordonnée à la foi ; saint Thomas a exprimé cette subordination dans une formule célèbre : "philosophia ancilla theologiae" (la philosophie est la servante de la théologie).
La pensée moderne prétend s'affranchir des limitations de la raison. Freud, par exemple, dans L'Avenir d'une illusion refuse l'idée que les vérités religieuses surpassent la raison. Le rationalisme et le scientisme n'admettent pas l'existence de vérités métaphysiques ou religieuses, au-delà des réalités observables et quantifiables, ni de limitation aux pouvoirs de la raison.
"Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur (1) ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y a point de part essaye de les combattre. Les pyrrhoniens (2) qui n'ont que cela pour objet y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvement, nombres, (est) aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours.
La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non le contraire de ce qu'ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre.
Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.
La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n'est que faible, si elle ne va jusqu'à connaître cela.
Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles ?
Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison.
Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu (3) de la raison.
Blaise Pascal, Pensées (1670)
1.- Coeur : ne désigne pas ici la vie affective, mais l'intuition directe et immédiate des premiers principes.
2.- Pyrrhoniens : sceptiques, pour qui il faut douter de tout ; ils représentent le doute "hyperbolique", radical, par opposition au doute "méthodique".
3.- désaveu : contestation
1) "les premiers principes" : au sens philosophique, "principe" désigne ce qui vient en premier, ce qui est à l'origine, du latin "principium", qui signifie commencement. En géométrie, les "principes" se nomment des axiomes. Les axiomes sont l'objet d'une compréhension intuitive immédiate, ils ne sont pas démontrables ("le raisonnement n'y a point part"). Par exemple, l'axiome de base de la géométrie d'Euclide suivant lequel par une droite, il ne passe qu'une parallèle et une seule à une autre droite. Pascal donne d'autres exemples de "principes" : "nous ne savons que nous ne rêvons pas", "il y a espace, temps, mouvements, nombres."
2) Pascal juge inutile le travail des pyrrhoniens (les sceptiques radicaux comme Pyrrhon d'Elis) parce qu'ils remettent en question la notion de vérité, y compris celle des premiers principes. Descartes, contemporain de Pascal, distingue de son côté dans les Méditations métaphysiques le doute méthodique (utile) et le doute hyperbolique ou radical (inutile). Le doute méthodique est au service de la recherche d'un premier principe (le cogito), le doute hyperbolique remet en question notre capacité de connaître (les sens nous trompent toujours, nous ne sommes assurés de rien) et aboutit à la suspension du jugement.
3) Pascal établit la faiblesse de notre raison sur l'impuissance à prouver les premiers principes.
4) La raison doit s'appuyer sur le coeur, c'est-à-dire sur l'intuition directe et immédiate des premiers principes.
5) Il y a deux excès, selon Pascal :
a) exclure la raison
b) n'admettre que la raison
Si on exclut la raison, on rend la religion absurde et ridicule.
Si on n'admet que la raison, la religion n'a plus rien de mystérieux (d'un mot grec qui signifie "caché") et de surnaturel ; on détruit donc la religion pour la remplacer par une morale ou une sagesse humaines.
6) "Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison." : Cette phrase est paradoxale car elle semble aller à l'encontre du principe d'identité. La raison ne peut pas se désavouer elle-même, sauf à devenir le contraire de la raison. le non-sens, l'absurde...
Pascal entend par là que la raison humaine est limitée : il y a des réalités naturelles qui la surpassent, sans parler des réalités surnaturelles. La raison doit accepter de reconnaître qu'il y a "une infinité de choses qui la surpassent". Cette reconnaissance de ses limites par la raison est une force et non une faiblesse. La faiblesse de la raison serait de ne pas reconnaître ses limites. N'admettre que la raison, c'est donc se montrer déraisonnable.
Emmanuel Kant, philosophe allemand du siècle des Lumières montrera de son côté dans La critique de la raison pure que la raison ne peut pas connaître les "premiers principes" qu'il appelle les "noumènes", par opposition aux phénomènes, par exemple l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme... sont indémontrables car Dieu et l'âme ne sont pas des phénomènes accessibles à l'intuition sensible et aux catégories de l'entendement humain.
7) Pour Pascal, comme pour saint Thomas d'Aquin (théologien catholique du XIIIème siècle), la raison est subordonnée à la foi ; saint Thomas a exprimé cette subordination dans une formule célèbre : "philosophia ancilla theologiae" (la philosophie est la servante de la théologie).
La pensée moderne prétend s'affranchir des limitations de la raison. Freud, par exemple, dans L'Avenir d'une illusion refuse l'idée que les vérités religieuses surpassent la raison. Le rationalisme et le scientisme n'admettent pas l'existence de vérités métaphysiques ou religieuses, au-delà des réalités observables et quantifiables, ni de limitation aux pouvoirs de la raison.
- Blaise Pascal : La Justice et la Force (explication d'un extrait des Pensées)
- Ferdinand Alquié, Le désir d'éternité (explication d'un extrait)
- Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs (explication d'un extrait)
- Henri Bergson, L'évolution créatrice (explication d'un extrait)
- Pascal : "Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le coeur".
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