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par John 9/8/2008, 16:23
"Le premier rôle d'un professeur devrait être la transmission des savoirs"


Claire Mazeron est professeur agrégée de géographie. Elle est occupe au Snalc (Syndicat National des Lycées et Collèges) la fonction de Secrétaire national à la pédagogie.

Voici les réponses qu'elle a eu l'amabilité d'apporter au questionnaire que nous lui avons soumis par mail en août 2008.


1) Claire Mazeron, vous êtes Secrétaire national à la pédagogie au Snalc. Quel jugement global portez-vous sur le système éducatif actuel en France ?

Il y a encore une trentaine d’années, la France possédait sans doute l’un des meilleurs systèmes éducatifs en Europe, sinon au monde. Certains « penseurs » et politiques, se fondant sur des lectures mal digérées de sociologues (tel Bourdieu), en ont fait la bête à abattre : trop « élitiste » (parce-que sélectif – 65% d’une classe d’âge n’obtenait certes pas le baccalauréat comme aujourd’hui), trop « directif » (parce-que le maître assumait effectivement le rôle de transmetteur des savoirs) et –pour certains moins bien intentionnés- trop cher. Aujourd’hui, il existe bien peu d’obstacles pour atteindre et obtenir le sésame d’entrée dans l’enseignement supérieur : la logique du « passe-dégage » dans les conseils de classe, celle des commissions d’appel complaisantes contribuent largement à –expression souvent entendue au ministère- « fluidifier » le système. L’élève est invité, tout au long de sa scolarité, à « construire ses propres savoirs », quand le maître lui est sommé de se taire, afin de ne pas freiner l’éclosion des connaissances et l’épanouissement de la personnalité. Au final, près de 40% d’élèves entrent en sixième sans maîtrise des fondements d’une scolarité réussie au collège, et autant échouent ensuite dès la première année d’université (chiffres officiels, qui occultent d’ailleurs les multiples procédés destinés à ne pas alourdir encore ces statistiques : complaisance dans les évaluations, compensation par des « disciplines » annexes plus « ludiques », etc.). Alors certes, il ne s’agit pas de regretter un système ancien – la fameuse « école à papa », où les maîtres abusaient sans nul doute d’une autorité excessive et dont on sortait parfois très – trop - jeune - ni même de déplorer un âge d’or à jamais perdu. Mais force est de constater que l’on est passé d’un extrême à un autre, et que toutes les mesures prises depuis trente ans en matière d’éducation –indifféremment par des gouvernements de droite comme de gauche- ont contribué à forger un système encore plus « élitiste » que le précédent, et surtout plus injuste : dans les années 1950, on trouvait encore 15% d’étudiants issus de milieux défavorisés dans les grandes écoles ; cette proportion se situe aujourd’hui à environ 3%, malgré l’apparente « démocratisation » -en fait simple massification- du système. On refuse d’apprendre aux élèves et surtout aux élèves les plus défavorisés – sous prétexte d’incompatibilité culturelle et sociale – les fondements de la littérature, des sciences ou tout simplement de l’écriture - lecture : le B. A. BA ou la grammaire de phrase, jugés « bêtifiants » dans les IUFM ont été remplacés par les méthodes naturelles/ semi-globales et l’Observation Réfléchie de la Langue, dont on sait aujourd’hui qu’elles sont particulièrement discriminantes pour qui n’a pas à la maison des parents capables d’apporter les pré-requis nécessaires. On pousse l’élève à la prise de parole intempestive, quand bien même il ne maîtrise que 300 mots de vocabulaire, et en oubliant qu’il ne peut reconstruire par lui-même des milliers d’années de recherches littéraires ou scientifiques. On fait entrer les parents à l’école, pour « faciliter » la transition entre la maison et la classe, en oubliant que les rôles d’éducateur et d’instituteur –chacun nécessaire- ne devraient pas se confondre. On cède aux modes, à toutes les modes, et l’on ouvre l’Ecole à tous les vents – éducation à la citoyenneté, au « développement-du-rable », aux conduites addictives, …- en occultant que la meilleure prévention reste l’instruction, laquelle finit par pâtir de tant d’heures perdues à écouter moult intervenants extérieurs –souvent très bien rémunérés… Il ne s’agit certes pas de tomber dans la caricature – chacun de nous peut apprécier, ça ou là, le travail remarquable d’un collègue fait dans le cadre d’un IDD ou la pertinence d’une sortie scolaire. Mais il faut bien reconnaître que nous sommes face à un dogme « pédagogiste », qui a tendance à balayer toute liberté pédagogique sur son passage comme les collègues soupçonnés d’enseignement « à l’ancienne ». En 1984 déjà, C. Milner expliquait cette évolution par l’association – a priori contre-nature - des « cœurs pieux » (pleins de bons sentiments vis-à-vis de « l’enfant ») et des « cyniques » (les gestionnaires, soucieux d’économie). Force est aujourd’hui de constater que les relais du pédagogisme se situent aussi bien dans une gauche libertaire et pétrie de bons sentiments (mais veillant scrupuleusement à placer ses enfants dans les établissements les plus protégés et les plus « élitistes ») qu’au sein d’une droite libérale pour laquelle le « chèque éducation » et les officines privées sont l’avenir radieux de l’Ecole.

2) Selon vous, quels sont les rôles du professeur envers ses élèves ?

Le premier rôle du professeur devrait être la transmission des savoirs. Vouloir le transformer progressivement en éducateur socio-culturel, chargé de palier les manques éducatifs, est un leurre dangereux. Il est normal qu’un professeur soit chargé, en dehors du temps effectif d’enseignement, de recevoir les parents, d’assister aux conseils de classe ou de corriger des examens, toutes tâches directement liées à la fonction d’enseignement. J’ajoute qu’il ne serait pas inconcevable qu’il soit fortement incité à se former tout au long de sa carrière, dans sa/ses discipline(s), afin de remettre à jour ses connaissances, sinon combler un vide – toujours possible- de formation initiale. Aujourd’hui, la tendance est cependant à la multiplication des tâches annexes « d’éducation », pour lesquelles nous ne sommes ni formés ni mêmes souvent volontaires : éducation à la sécurité routière, prévention des conduites à risques (drogue-sida-violence-racket-sexualité- hygiène bucco-dentaire…), … sans parler de l’encadrement de sorties souvent « pompes-à-fric » pour associations locales subventionnées (et ne vivant que de cela). L’impact réel de toutes ces « actions » est d’ailleurs souvent nul : nos élèves savent très bien qu’il est mal de racketter et qu’il vaut mieux mettre un préservatif avant d’aller s’ébattre. Pour autant, il n’y a jamais eu autant de violence ou de grossesses non désirées dans les établissements scolaires. Et l’on n’a jamais perdu autant d’heures de cours non plus à mettre en place ces « sensibilisations ». Alors disposer de personnes relais, spécifiquement formées, dans les établissements, pourquoi pas ? Mais faire assumer toutes ces tâches aux seuls enseignants est un non-sens dangereux : non seulement nous n’avons plus le temps de transmettre quoi que ce soit (et c’est pourtant bien instruire qui éduque – Voir Alain, Propos sur l’éducation), mais nous risquons d’y perdre notre âme : à vouloir faire le métier d’éducateur, nous serons bientôt payés – et considérés - comme tels. La plupart des tâches annexes sont déjà imposées sans compensation de quelque nature que ce soit et la réunionite aigue s’est étendue à la plupart des établissements. Ne manquent plus que les 35 heures en établissement –formule bien connue de nos cousins d’Outre-manche - et nous serons corvéables à merci. La connivence politique en la matière est d’ailleurs forte : quand l’une des candidate à la présidentielle s’oublie sur le sujet, le ministère actuel en fait le point fort de la future réforme des lycées…

La suite de l'entretien est disponible ici:

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