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Thalia de G
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par Thalia de G 16/03/12, 06:02 pm
J'ai enseigné en ZEP (une des plus dures, sinon la plus dure de l'académie de Grenoble). 80% de Musulmans. Et les œuvres que j'y étudiais, y compris des extraits de la Bible passaient fort bien. J'avais des 5e aussi à l'époque, ils n'ont jamais râlé contre le Moyen-Âge.

Et ma rage, je préfère la garder pour, plutôt contre, l'aggravation de nos conditions de travail que contre des programmes qui me siéent plutôt bien
Cipango
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par Cipango 16/03/12, 06:12 pm
J'ai enseigné en ZEP également, à l'époque classée troisième sur le podium des "pires" ZEP de l'Essonne (indicateurs du Rectorat). J'ai eu des 6e pendant les cinq années passées là-bas et les séquences sur l'Odyssée et les textes fondateurs en général les ont toujours passionnés! Ils savaient tout de la guerre de Troie et se la racontaient dans les couloirs. Quant à la Bible, j'en ai étudié sans problème des épisodes qui les ont beaucoup intéressés, alors que 60 % de mes élèves étaient musulmans.

Aujourd'hui dans un collège plus favorisé, je constate que les 6e parlent toujours d'Ulysse et d'Achille dans les couloirs et se jettent comme des affamés sur les exposés sur la guerre de Troie ou telle ou telle métamorphose d'Ovide.

Dragons, ton constat est étonnant, vraiment.
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par Thalia de G 16/03/12, 06:59 pm
Thalia de G a écrit:
Dragons a écrit:
deroute a écrit: Nous étudions des textes antiques et des civilisations passées

Oui, c'est ce qu'on veut faire à tout prix au collège, dans une perspective pseudo-diachronique.
Ainsi, les 6e se coltinent la Bible, Homère, et les 5e Rabelais, Marco Polo et tutti quanti.
Et après on se demande pourquoi les élèves n'ont plus le goût de lire...
Non mais :lol: quoi ...
J'espère que tu es ironique...
Je me cite moi-même pour une précision. C'est sur "coltinent" que je réagissais.
Quant à l'affirmation "n'ont plus le goût de lire", c'est un vrai problème, mais dont les causes sont ailleurs que dans l'étude de vieux textes.

Cela dit, quel est le titre du topic déjà ? Wink

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par grandesvacances 16/03/12, 08:03 pm
Thalia de G a écrit:
J'étudie les textes fondateurs en 6e et les élèves aiment ça. Ils sont très réceptifs parce qu'ils découvrent là d'où ils viennent et ne demandent qu'à se désoler de l'image du paradis perdu. Les aventures d'Ulysse les transportent, ils en ont déjà entendu parler et ont plaisir à découvrir les textes (bien sûr de manière moins approfondie que lorsque j'en traduisais des extraits).
C'est l'âge le plus favorable pour transmettre des œuvres patrimoniales et je ne m'en prive pas.

Je confirme !
De même, Le Roman de Renart est apprécié en 5e, et Le Cid passe bien en 4e. On ne va pas bouder son plaisir !
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par Dragons 16/03/12, 09:13 pm
Voilà le témoignage me semble-t-il intéressant d'un enseignant expérimenté, qui illustrera mieux que je ne le fais ce que je souhaitais démontrer.

https://www.youtube.com/watch?v=1TfVDjLdDEk&feature=related

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par Luigi_B 16/03/12, 09:26 pm
en lettres clas­siques, c'est par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reux, la dis­ci­pline n'étant pas direc­te­ment ancrée dans le concret.
C'est sûr que la langue française issue du grec et du latin à 90%, c'est tout sauf du concret... Et qu'est-ce que cette méfiance pour l'abstraction au lycée ? On n'est plus à l'école primaire. Ou peut-être que si, justement. Bernard Deforge analyse la crise des langues anciennes en France - Page 2 3795679266

On ne peut se conten­ter de faire des ver­sions. Sinon, ce moment cru­cial de la construc­tion de l'homme moderne qu'est la période gréco-romaine n'intéressera plus per­sonne. Considéré comme un acquis, d'ici peu, plus per­sonne ne sera capable de remon­ter aux sources.
Parce que, quand on ne comprend pas un texte grec ou latin, on peut plus facilement remonter aux sources, bien sûr... :shock:

badin a écrit:Je ne suis pas prof de langues anciennes, mais il faut tout de même apprendre à se remettre en question si crise il y a, et crise il y a, n'est-il pas?
Vous faites du théâtre en mathématiques pour faire progresser les élèves ? araignée

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par Pryneia 16/03/12, 10:38 pm
Cipango a écrit:J'ai enseigné en ZEP également, à l'époque classée troisième sur le podium des "pires" ZEP de l'Essonne (indicateurs du Rectorat). J'ai eu des 6e pendant les cinq années passées là-bas et les séquences sur l'Odyssée et les textes fondateurs en général les ont toujours passionnés! Ils savaient tout de la guerre de Troie et se la racontaient dans les couloirs. Quant à la Bible, j'en ai étudié sans problème des épisodes qui les ont beaucoup intéressés, alors que 60 % de mes élèves étaient musulmans.

Aujourd'hui dans un collège plus favorisé, je constate que les 6e parlent toujours d'Ulysse et d'Achille dans les couloirs et se jettent comme des affamés sur les exposés sur la guerre de Troie ou telle ou telle métamorphose d'Ovide.

Dragons, ton constat est étonnant, vraiment.

+1

Je n'enseigne pas en ZEP pour ma part, mais j'ai évoqué Œdipe et la guerre de Troie à maintes reprises cette année, les élèves sont scotchés à chaque fois. Le destin terrible de ce premier suscite toujours des réactions très vives chez les élèves. Le sacrifice d'Iphigénie par son père Agamemnon les scandalise. Le matricide perpétré par Electre et son frère Oreste les révolte.
Quand je dois parler de mythologie, je suis toujours certaine de faire carton plein Smile

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par Pryneia 16/03/12, 10:43 pm
Luigi_B a écrit:
en lettres clas­siques, c'est par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reux, la dis­ci­pline n'étant pas direc­te­ment ancrée dans le concret.
C'est sûr que la langue française issue du grec et du latin à 90%, c'est tout sauf du concret... Et qu'est-ce que cette méfiance pour l'abstraction au lycée ? On n'est plus à l'école primaire. Ou peut-être que si, justement. Bernard Deforge analyse la crise des langues anciennes en France - Page 2 3795679266

+1000. Je suis même pour que l'on introduise des rudiments d'étymologie dès l'école élémentaire. Il me semble que celle-ci peut aider les élèves à mieux comprendre le français (cf. les consonnes muettes en fin de mot, comme dans corps par exemple, les familles de mots, etc.)

Luigi_B a écrit:
On ne peut se conten­ter de faire des ver­sions. Sinon, ce moment cru­cial de la construc­tion de l'homme moderne qu'est la période gréco-romaine n'intéressera plus per­sonne. Considéré comme un acquis, d'ici peu, plus per­sonne ne sera capable de remon­ter aux sources.
Parce que, quand on ne comprend pas un texte grec ou latin, on peut plus facilement remonter aux sources, bien sûr... :shock:

badin a écrit:Je ne suis pas prof de langues anciennes, mais il faut tout de même apprendre à se remettre en question si crise il y a, et crise il y a, n'est-il pas?
Vous faites du théâtre en mathématiques pour faire progresser les élèves ? araignée

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par Dragons 16/03/12, 10:58 pm
Pryneia a écrit: Je suis même pour que l'on introduise des rudiments d'étymologie dès l'école élémentaire.

Euh... parole de fils d'instit qui a bossé toute sa carrière en CP et qui a longuement travaillé sur les problèmes de l'apprentissage de la langue au primaire, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution...
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par Pryneia 16/03/12, 11:04 pm
Dragons a écrit:
Pryneia a écrit: Je suis même pour que l'on introduise des rudiments d'étymologie dès l'école élémentaire.

Euh... parole de fils d'instit qui a bossé toute sa carrière en CP et qui a longuement travaillé sur les problèmes de l'apprentissage de la langue au primaire, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution...

Pourquoi ?
Pour ma part, je pensais plutôt l'introduire à partir du CE2, car il est plus facile pour les élèves d'adopter une réflexion métalinguistique (j'ai été PE moi aussi, Dragons, pendant près de 4 ans).

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par fugue 16/03/12, 11:13 pm
Dragons a écrit:
Pryneia a écrit: Je suis même pour que l'on introduise des rudiments d'étymologie dès l'école élémentaire.

Euh... parole de fils d'instit qui a bossé toute sa carrière en CP et qui a longuement travaillé sur les problèmes de l'apprentissage de la langue au primaire, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution...

Mes élèves (CM1) montrent toujours beaucoup d'intérêt quand je fais de petites explications étymologiques (le nt des verbes de la 3ème ppluriel, le x de voix, le sens de poly/gone, l'orthographe de temps etc...). Sans y passer un temps spécifique d'apprentissage, bien sûr, on peut les éveiller aux racines de notre langue à peu de frais.
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par Dragons 16/03/12, 11:13 pm
Pryneia disons que le problème de l'apprentissage du français est plutôt porté sur l'éternel problème de la méthode syllabique ou globale (sans parler des autres).
Le nombre d'enfants souffrant de problèmes tels que la dyslexie, dyspraxie et j'en passe a explosé depuis plusieurs années. Déjà qu'ils ont ENORMEMENT DE MAL avec le français contemporain, je ne sais pas si introduire des notions d'étymologie pour des enfants souffrant de "pathologies linguistiques" serait une réelle bonne chose. Si déjà on arrive à les faire s'exprimer à peu près correctement à l'oral pour qu"ils puissent avoir une vie à peu près correcte, ce sera déjà pas mal. La réflexion métalinguistique serait à mon avis réservée à quelques élites (enfants de profs par exemple).
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par fugue 16/03/12, 11:19 pm
Dragons a écrit:La réflexion métalinguistique serait à mon avis réservée à quelques élites (enfants de profs par exemple).

Cette phrase sonne comme une provocation; j'ai du mal à croire que ce soit réellement ton avis.
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par Pryneia 16/03/12, 11:26 pm
Dragons a écrit:Pryneia disons que le problème de l'apprentissage du français est plutôt porté sur l'éternel problème de la méthode syllabique ou globale (sans parler des autres).
Le nombre d'enfants souffrant de problèmes tels que la dyslexie, dyspraxie et j'en passe a explosé depuis plusieurs années. Déjà qu'ils ont ENORMEMENT DE MAL avec le français contemporain, je ne sais pas si introduire des notions d'étymologie pour des enfants souffrant de "pathologies linguistiques" serait une réelle bonne chose. Si déjà on arrive à les faire s'exprimer à peu près correctement à l'oral pour qu"ils puissent avoir une vie à peu près correcte, ce sera déjà pas mal. La réflexion métalinguistique serait à mon avis réservée à quelques élites (enfants de profs par exemple).

Mais justement, partageons ce savoir avec tout le monde ! Si les familles ne l'apportent pas, c'est bien à l'école de prendre le relais !

Je suis bien d'accord avec fugue.
En ce qui me concerne, j'ai fait réfléchir mes élèves de CE2 sur l'origine des consonnes muettes à la fin des mots. Pour "corps", je leur ai expliqué que ce mot venait du latin corpus. Cela donnait du sens à la présence de ces deux lettres qu'on n'entend pas et qui ne marquent ni le féminin ni le pluriel. Les élèves retiennent mieux les orthographes délicates des mots issus du grec ancien lorsqu'on explique leur origine. Les langues anciennes sont des clés pour mieux comprendre et connaître notre langue moderne !

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par Dragons 16/03/12, 11:30 pm
Si les notions étymologiques sont peu complexes, d'accord. Mais ce que je veux dire, c'est qu'il ne faudrait pas que cela ajoute de la difficulté à l'apprentissage de la langue pour des personnes qui ont déjà du mal avec un apprentissage sans étymologie, et que cela créé un fossé entre ces deux catégories.
Ne nous leurrons pas, les élèves qui apprennent le grec ou le latin dans le secondaire sont ceux qui ont à la base une bonne maîtrise de la langue française (ou qui peuvent être aidés à la maison pour cela), et vous savez aussi bien que moi la réputation de ces classes que l'on dit "bonnes", et où s'opère déjà une sélection linguistique mais aussi sociale dès l'entrée au collège.
Barthes avait raison: le langage inscrit le locuteur dans une "aire sociale". Contentons-nous de faire en sorte que cette dernière soit à peu près la même pour tout le monde...
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par Luigi_B 16/03/12, 11:57 pm
Barthes avait tort, et pas seulement sur la question maoïste ! http://www.sauv.net/merlin.php

Le latin n'est pas réservé à ceux qui ont de bonnes bases en français, il contribue à asseoir ces bases (analyse, lexique, orthographe, culture). C'est bien pour ça qu'il est si recherché par les parents des milieux favorisés. Et qu'il devrait l'être par tous : on n'a jamais créé autant d'inégalités que depuis qu'on a fermé tant de classes de latin et de grec.

Ce n'est pas la langue qui est fasciste, c'est d'empêcher de la comprendre qui l'est.

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par deroute 17/03/12, 01:10 am
J'enseigne dans un collège "chaud" du 93 et mes élèves adorent la mythologie, les textes antiques ainsi que l'étymologie. Tout simplement parce qu'ils comprennent eux à quoi ça sert! Bien sur il faut leur expliquer . Mais c'est notre métier normalement Suspect Je pense qu'ils apprécient qu'on ne les prenne pas pour des c*** et qu'on leur fasse découvrir des chose qui, contrairement à ce que tu penses, les concernent d'une façon ou d'une autre. Je n'arrive pas à comprendre comment tu peux être enseignant en raisonnant de cette façon!

Et non, je ne suis pas professeur pour suivre les programmes ou faire les moutons mais pour essayer de leur ouvrir l'esprit et leur faire découvrir des choses auxquelles ils n'ont pas accès.
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par Dragons 17/03/12, 10:14 am
deroute a écrit: Je n'arrive pas à comprendre comment tu peux être enseignant en raisonnant de cette façon!

Ben écoute, je ne fais que constater ce que je vis au quotidien (ainsi que la plupart de mes collègues). Quand tu en es arrivé au stade où tu ne peux pas prononcer le nom "Hercule" dans une classe (sous peine de jeux de mots) où les élèves (et les familles) ont "des vies aux antipodes des volumes écrits qu'ils ont entre les mains" (P.Bergounioux), je ne sais pas s'il y a vraiment de solutions miracles. Ecoutez, quand de grands professionnels de l'éducation vous disent qu'avec certains publics, il n'y a vraiment rien à faire, je ne pense pas qu'ils disent cela pour le plaisir d'être "pessimistes". Mais je crois qu'à un moment il faut arrêter de se voiler la face. Ne me dites pas que vous ne voyez pas les difficultés grandissantes pour enseigner. C'est sûr, on va en arriver à un point où le seul fait pour un élève de ne pas tout casser en classe va devenir du: "élève attentif, intéressé par la matière". La dégradation des conditions d'enseignement n'est plus à démontrer voyons! Et les programmes qu'on nous impose participent, à mon sens, à la dégradation de l'enseignement. Mais j'ouvre les paris: d'ici 5 ans vous n'aurez plus ces oeuvres au programme pour les classes de 6e et 5e.

Deroute: et depuis quand ne peut-on pas être enseignant en ayant un regard critique sur notre métier? De toute manière, outre cette question des programmes, et pour revenir au topic, il y aura toujours une incompréhension entre profs de lettres classiques et profs de lettres modernes. Quand j'entends des gens dire: "comment peut-on enseigner le français sans faire du latin, du grec et de l'ancien français?" ça me fait vomir. Quand j'entends des gens qui souhaitent le maintien de l'épreuve d'ancien français au Capes, ça me fait vomir. Quant à moi, je n'ai ni fait du grec, ni du latin, ni de l'ancien français, et je dois dire que cela ne me gêne aucunement pour enseigner au lycée. Et s'il faut expliquer l'étymologie de tel ou tel mot, je fais des recherches, et puis c'est tout. Pas besoin d'en faire une épreuve obligatoire au Capes.

D'ailleurs, si le métier était si attractif, comment expliquez-vous qu'en 6 ans il y ait une diminution de 70% du nombre de candidats aux concours de l'enseignement? C'est quoi votre réponse face à cette réalité concrète?
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par Luigi_B 17/03/12, 10:23 am
Pour la réponse, lis plutôt le post de Moonchild : https://www.neoprofs.org/t45185p60-afp-philippe-meirieu-et-sebastien-clerc-nous-expliquent-que-les-enseignants-ne-vont-pas-bien#1330386

Les élèves n'ont pas à subir ton rejet personnel de l'ancien français, du grec et du latin, ou même de la culture et de la littérature antiques.

Pour ma part, je confirme après des années de ZEP, et parmi les pires, que les élèves boivent la mythologie, sont fascinés par l'antiquité et aspirent à comprendre la langue qu'ils parlent. Et je ne vois pas au nom de quoi on les en priverait.


Dernière édition par Luigi_B le 17/03/12, 10:29 am, édité 1 fois

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par Pryneia 17/03/12, 10:28 am
Dragons a écrit:
deroute a écrit: Je n'arrive pas à comprendre comment tu peux être enseignant en raisonnant de cette façon!

Ben écoute, je ne fais que constater ce que je vis au quotidien (ainsi que la plupart de mes collègues). Quand tu en es arrivé au stade où tu ne peux pas prononcer le nom "Hercule" dans une classe (sous peine de jeux de mots) où les élèves (et les familles) ont "des vies aux antipodes des volumes écrits qu'ils ont entre les mains" (P.Bergounioux), je ne sais pas s'il y a vraiment de solutions miracles. Ecoutez, quand de grands professionnels de l'éducation vous disent qu'avec certains publics, il n'y a vraiment rien à faire, je ne pense pas qu'ils disent cela pour le plaisir d'être "pessimistes". Mais je crois qu'à un moment il faut arrêter de se voiler la face. Ne me dites pas que vous ne voyez pas les difficultés grandissantes pour enseigner. C'est sûr, on va en arriver à un point où le seul fait pour un élève de ne pas tout casser en classe va devenir du: "élève attentif, intéressé par la matière". La dégradation des conditions d'enseignement n'est plus à démontrer voyons! Et les programmes qu'on nous impose participent, à mon sens, à la dégradation de l'enseignement. Mais j'ouvre les paris: d'ici 5 ans vous n'aurez plus ces oeuvres au programme pour les classes de 6e et 5e.

Deroute: et depuis quand ne peut-on pas être enseignant en ayant un regard critique sur notre métier? De toute manière, outre cette question des programmes, et pour revenir au topic, il y aura toujours une incompréhension entre profs de lettres classiques et profs de lettres modernes. Quand j'entends des gens dire: "comment peut-on enseigner le français sans faire du latin, du grec et de l'ancien français?" ça me fait vomir. Quand j'entends des gens qui souhaitent le maintien de l'épreuve d'ancien français au Capes, ça me fait vomir. Quant à moi, je n'ai ni fait du grec, ni du latin, ni de l'ancien français, et je dois dire que cela ne me gêne aucunement pour enseigner au lycée. Et s'il faut expliquer l'étymologie de tel ou tel mot, je fais des recherches, et puis c'est tout. Pas besoin d'en faire une épreuve obligatoire au Capes.

D'ailleurs, si le métier était si attractif, comment expliquez-vous qu'en 6 ans il y ait une diminution de 70% du nombre de candidats aux concours de l'enseignement? C'est quoi votre réponse face à cette réalité concrète?

Je suis restée mesurée jusqu'à présent, mais là, ce sont tes propos qui me "font vomir" (sic). T'es-tu seulement un jour frotté aux langues anciennes ? Manifestement non, car tu ne sais quels trésors tu perds.
Si tu veux prétendre maîtriser pleinement le français, il me paraît inconcevable d'occulter ainsi la dimension diachronique de la langue. Cela équivaut à dire que l'Histoire ne sert à rien, que seul le temps présent compte. Le français n'est pas apparu ex nihilo, le latin et le grec ancien se manifestent tous les jours, et cela à travers les mots les plus prosaïques. Comment peut-on ainsi vouloir faire table rase du passé ?

Sans doute que tes élèves sentent ta défiance vis-à-vis des humanités, c'est pourquoi ils n'y accrochent pas. Comme tu n'es pas convaincu, tu ne les convaincs pas.

Pour ce qui est de l'attractivité du métier, on en a déjà beaucoup parlé dans diverses sections du forum : je te renvoie à l'analyse de Moonchild :

Moonchild a écrit:Je ne dis pas que le salaire n'a aucun rôle à jouer mais je ne pense pas que ce soit la principale cause du mépris envers les enseignants ; il y a eu plusieurs autres évolutions qui à mon avis ont été beaucoup plus déterminantes.

- L'entrée dans la société du spectacle et du divertissement ne laisse plus la même place au savoir et à l'effort ; le coeur même du métier d'enseignant est déconsidéré, indépendamment de toute question de rémunération et il y a même une forme de revanche contre le corps professoral qui dans l'imaginaire collectif représente une certaine élite intellectuelle avec laquelle il faut en finir, parfois au nom de l'égalité.

- Je crois que Marie-Laetitia a raison d'évoquer l'impact de la sécurité de l'emploi sur l'opinion publique : c'est un point essentiel dans une société qui est depuis plusieurs décennies marquée par un chômage de masse endémique ; dans un tel contexte, la sécurité de l'emploi est perçue comme un véritable privilège. On me dira que les autres fonctionnaires sont aussi concernés, mais ils n'ont pas tellement bonne presse non plus (voir la réputation des agents de la SNCF) et de plus les profs se retrouvent en première ligne car ils ont tout simplement une plus grande visibilité, tout un chacun ayant été longuement confronté à eux, en général beaucoup plus qu'aux autres agents de l'état - confrontation qui a parfois engendré rancoeurs et souvenirs douloureux.

- La massification de l'éducation a profondément et mécaniquement changé la donne. Quand la poursuite d'études longues était rare, l'école était une chance et de là découlait globalement un sentiment de gratitude envers les enseignants qui en ouvraient l'accès ; ils jouaient un rôle exceptionnel. Désormais la poursuite d'études est devenue banale, le diplôme est perçu comme un droit et les enseignants sont par conséquent vus comme de simples exécutants, des agents de services ordinaires dont la mauvaise volonté ou l'incompétence seraient les principaux obstacles à la réussite individuelle des élèves. Le professeur est presque devenu un gêneur, c'est souvent celui qui ne reconnaît pas à sa juste valeur les qualités de mon Kevin chéri et qui, en lui mettant de mauvaises notes, le décourage tout en brisant son rêve d'être pilote de chasse. Sans compter que l'élévation du niveau moyen de la population a permis l'apparition en plus grand nombre de parents consommateurs, experts auto-proclamés en pédagogie, prompts à intervenir dans les pratiques des enseignants ; les médecins sont confrontés aux mêmes difficultés avec des patients-experts de mieux en mieux "informés" grâce aux magazines de santé ou à des sites comme Doctissimo.

- Un autre point crucial, peut-être même le plus important, est le bouleversement du rapport à l'autorité, d'une part au niveau de l'ensemble de la société avec l'évolution radicale de la position respective entre enfants et adultes, et d'autre part au sein même de l'institution scolaire qui a entériné ce renversement de valeur en mettant l'élève au coeur du système et en organisant l'impunité des perturbateurs. Pour un bon nombre d'élèves et de parents, le prof est payé pour ne pas contrarier les gamins, pour subir et s'écraser en cas de conflit ; bref, pour être une carpette. Et le pire c'est qu'en pratique ils ont souvent raison car on ne peut pas dire que notre hiérarchie nous aide à affirmer notre autorité. Sur ce plan, une revalorisation des salaires ne changera rien : une carpette, même payée deux ou trois fois plus, reste une carpette et n'inspire que du mépris.

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par Pryneia 17/03/12, 10:29 am
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par Luigi_B 17/03/12, 10:30 am
Moonchild fait référence maintenant. A quand une communication au Collège de France ? Bernard Deforge analyse la crise des langues anciennes en France - Page 2 2252222100

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par deroute 17/03/12, 11:16 am
C'est sur que certains éléments du programme sont très loin de leur réalité mais dans ce cas, on n'enseigne plus l'histoire non plus? Si je suis ton raisonnement jusqu'au bout c'est ce à quoi j'aboutis. On ne veut pas leur apprendre trop de choses et surtout pas les origines des choses!

Je me répète mais, pour moi, enseigner c'est leur faire comprendre pourquoi ces éléments sont intéressants! Dans mon collège, ils sont très intéressés par le latin parce que c'est une chance pour eux de savoir plus de choses que les autres et des choses qu'on ne peut pas apprendre ailleurs justement. Mais qu'est-ce que tu apprends aux élèves?

Et ça n'a rien à voir avec le fait de ne pas avoir de regard critique sur le métier! Au contraire, essayer d'apporter ce quelque chose aux élèves doit être la seule chose que j'apprécie vraiment dans mon boulot! Le gros problème de notre société c'est de chercher, comme toi, l'immédiat au détriment de ce qui est plus complexe et pourtant oh combien plus intéressant!
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par Artémis 17/03/12, 11:18 am
En lisant ce qu'écrit Dragons, je me pose une question : n'y aurait-il pas corrélation entre le faible niveau d'exigence que les profs s'imposent à eux-mêmes (enseigner le français sans s'interroger sur ses racines) et la baisse d'exigences inévitables (apparemment) demandées aux élèves ?
Autrement dit, moins les profs vont loin, moins les élèves ont envie d'aller loin ?
En tous cas, cette idée d'habiter une maison qui n'aurait pas de fondations me semble pour le moins périlleuse...
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par fugue 17/03/12, 11:25 am
deroute a écrit:C'est sur que certains éléments du programme sont très loin de leur réalité mais dans ce cas, on n'enseigne plus l'histoire non plus? Si je suis ton raisonnement jusqu'au bout c'est ce à quoi j'aboutis. On ne veut pas leur apprendre trop de choses et surtout pas les origines des choses!


Malheureusement c'est désormais le discours dominant: l'école est là pour apprendre des compétences qui seront utiles dans la "vraie vie".
C'est navrant.
Dragons
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par Dragons 17/03/12, 11:58 am
Artémis, dis-donc tu y vas fort en parlant de "faible niveau". Tu ne me connais pas, qui es-tu pour me juger ainsi? C'est comme cela que l'on fait entre collègues?
Parce que si tu veux parler de niveau, on va le faire. Je connais des personnes qui ont eu le Capes en ayant très bien réussi l'épreuve d'ancien français et de latin/grec et qui n'avaient jamais lu Zola, Balzac, Flaubert, Duras, et j'en passe. Pour toi, ça ce n'est pas avoir un "faible niveau"?

Quand je vois des enseignants qui se gargarisent de pouvoir expliquer à des 5e l'étymologie de certains mots parce qu'ils sont des "spécialistes" en langues anciennes, et qui ont une culture littéraire au ras des pâquerettes, je me demande qui a vraiment un "faible niveau".

Ecoute, j'enseigne en lycée, et je peux te dire que ce qui importe au quotidien c'est ma culture littéraire que j'élargis jour après jour pour pouvoir faire découvrir aux élèves la littérature dans son ensemble et de façon précise et nuancée, et non pas tant de connaître l'étymologie de tel ou tel mot. Chercher l'étymologie de tel ou tel mot dans un dictionnaire, c'est à la portée de tout le monde. Par contre, quand on a pas les connaissances littéraires et bien... là c'est plus compliqué.
Si tu trouves honteux qu'on puisse être enseignant sans avoir jamais fait de langue ancienne, moi ce que je trouve honteux c'est qu'on puisse être enseignant sans avoir une culture littéraire ultra-étendue, et que l'on ne puisse pas faire un cours de 10H d'histoire littéraire sans avoir une note sous les yeux.

Ne me dites pas que vous faites partie de ces gens qui êtes convaincus qu'on ne peut pas être un bon professeur de lettres si l'on a jamais fait de latin ou d'ancien français...

D'un côté vous me direz, nos métiers sont différents. Au collège vous êtes professeurs de français, au lycée nous sommes professeurs de lettres.
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