- RobinFidèle du forum
"Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des souvenirs à demi corrompus.
"Aujourd'hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud, où l'Asie tout entière prend le visage d'une zone maladive, où les bidonvilles rongent l'Afrique, où l'aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d'en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n'a certes pas réussi à les produire sans contrepartie. Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s'élaborent des architectures d'une complexité inconnue, l'ordre et l'harmonie de l'occident exigent l'élimination d'une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est infectée. Ce que d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure lancée au visage de l'humanité.
Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l'illusion de ce qui n'existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l'accablante évidence que vingt-mille ans d'histoire sont joués. Il n'y a plus rien à faire : la civilisation n'est plus cette fleur fragile qu'on préservait, qu'on développait à grand peine dans quelques coins abrités d'un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur diversité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis. L'humanité s'installe dans la monoculture, elle s'apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comporte plus que ce plat."
Claude Levi-Strauss, "Tristes Tropiques", Plon, collection 10/18, page 25-26 (1955)
Fil conducteur pour l'étude du texte :
1) Premier paragraphe : Claude Levi-Strauss donne d'emblée la cause de la "fin des voyages". Quelle est-elle ? Remarquez l'emploi des temps dans ce premier paragraphe (présent, futur).
2) Deuxième paragraphe : le monde actuel. Pourquoi la civilisation introduit-elle "de l'ordure et des détritus" ? De quelle forme de civilisation s'agit-il ? Ce mouvement vous paraît-il inéluctable ? Peut-on produire sans détruite ? Pourquoi, à votre avis, ce problème se pose-t-il d'une façon plus cruciale à l'heure actuelle que dans le passé ?
3) Troisième paragraphe : "La duperie des récits de voyage". Qu'est-ce qu'une duperie ? Pourquoi ces récits sont-ils une "duperie" ? Pourquoi la civilisation de masse mérite-t-elle le nom de "monoculture" ?
Cherchez les termes qui révèlent la colère, le dégoût ou le mépris de l'ethnologue.
Rôle des "appositions" dans le texte. Quelle est leur forme, comment sont-elles amenées, quel rôle ont-elles ?
N.B. : l'apposition est une expansion du nom ou du groupe nominal d'un type particulier. Elle est détachée du groupe nominal par une pause à l'oral et une virgule à l'écrit. Ce n'est pas à proprement parler une fonction, comme le complément de nom, mais une construction ; exemple : "Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses (...)."
Thème à discuter :
Claude Levi-Strauss ne reprend-il pas le "mythe du bon sauvage" ? Quels auteurs du XVIIIème siècle rejoint-il par là ? Comment reprend-il ce mythe en l'appliquant à la civilisation actuelle ? Concevez-vous, en ce qui vous concerne, une opposition aussi nette entre nature et civilisation, autrefois et aujourd'hui ?
Dans un autre texte, Claude Levi-Strauss envisage un troisième terme entre la nature et la civilisation : la culture. Quel rôle cette dernière peut-elle jouer ?
Lectures complémentaires : D. Diderot : "Supplément au voyage de Bougainville, 1772 - Ronsard : "Contre les bûcherons de la forêt de Gastine (Lagarde et Michard Renaissance, page 126) - Montaigne, Lagarde et Michard Renaissance, pages 202-203 - "Paul et Virginie"
Film : "La forêt d'émeraude" de John Boorman
"Aujourd'hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud, où l'Asie tout entière prend le visage d'une zone maladive, où les bidonvilles rongent l'Afrique, où l'aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d'en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n'a certes pas réussi à les produire sans contrepartie. Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s'élaborent des architectures d'une complexité inconnue, l'ordre et l'harmonie de l'occident exigent l'élimination d'une masse prodigieuse de sous-produits maléfiques dont la terre est infectée. Ce que d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure lancée au visage de l'humanité.
Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l'illusion de ce qui n'existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l'accablante évidence que vingt-mille ans d'histoire sont joués. Il n'y a plus rien à faire : la civilisation n'est plus cette fleur fragile qu'on préservait, qu'on développait à grand peine dans quelques coins abrités d'un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur diversité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis. L'humanité s'installe dans la monoculture, elle s'apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comporte plus que ce plat."
Claude Levi-Strauss, "Tristes Tropiques", Plon, collection 10/18, page 25-26 (1955)
Fil conducteur pour l'étude du texte :
1) Premier paragraphe : Claude Levi-Strauss donne d'emblée la cause de la "fin des voyages". Quelle est-elle ? Remarquez l'emploi des temps dans ce premier paragraphe (présent, futur).
2) Deuxième paragraphe : le monde actuel. Pourquoi la civilisation introduit-elle "de l'ordure et des détritus" ? De quelle forme de civilisation s'agit-il ? Ce mouvement vous paraît-il inéluctable ? Peut-on produire sans détruite ? Pourquoi, à votre avis, ce problème se pose-t-il d'une façon plus cruciale à l'heure actuelle que dans le passé ?
3) Troisième paragraphe : "La duperie des récits de voyage". Qu'est-ce qu'une duperie ? Pourquoi ces récits sont-ils une "duperie" ? Pourquoi la civilisation de masse mérite-t-elle le nom de "monoculture" ?
Cherchez les termes qui révèlent la colère, le dégoût ou le mépris de l'ethnologue.
Rôle des "appositions" dans le texte. Quelle est leur forme, comment sont-elles amenées, quel rôle ont-elles ?
N.B. : l'apposition est une expansion du nom ou du groupe nominal d'un type particulier. Elle est détachée du groupe nominal par une pause à l'oral et une virgule à l'écrit. Ce n'est pas à proprement parler une fonction, comme le complément de nom, mais une construction ; exemple : "Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses (...)."
Thème à discuter :
Claude Levi-Strauss ne reprend-il pas le "mythe du bon sauvage" ? Quels auteurs du XVIIIème siècle rejoint-il par là ? Comment reprend-il ce mythe en l'appliquant à la civilisation actuelle ? Concevez-vous, en ce qui vous concerne, une opposition aussi nette entre nature et civilisation, autrefois et aujourd'hui ?
Dans un autre texte, Claude Levi-Strauss envisage un troisième terme entre la nature et la civilisation : la culture. Quel rôle cette dernière peut-elle jouer ?
Lectures complémentaires : D. Diderot : "Supplément au voyage de Bougainville, 1772 - Ronsard : "Contre les bûcherons de la forêt de Gastine (Lagarde et Michard Renaissance, page 126) - Montaigne, Lagarde et Michard Renaissance, pages 202-203 - "Paul et Virginie"
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