- yranohHabitué du forum
J'aimerais essayer de travailler la traduction à la façon dont en parle Judet de La Combe dans l'Avenir des Anciens, c'est-à-dire comme un exercice de liberté après la rigueur de l'analyse. Liberté avec la langue française. Voici un passage que j'avais relevé :
Il cite des travaux d'élèves que je trouve vraiment intéressants, par exemple (désolé pour les coquilles que je ne parviens pas à corriger) :
Je suis persuadé que leur professeur était Marie Cosnay, qui a par exemple merveilleusement traduit les Métamorphoses.
Elle a proposé des ateliers de traduction.
Par hasard, certains d'entre vous y auraient-ils participé ? Auriez-vous quelques éléments de méthode, ou des exercices à partager ?
Et sans connaître le travail de Marie Cosnay, certains d'entre vous travaillent-ils selon cette perspective ? Avez-vous des conseils à donner, une méthodogie, des conseils de lecture ?
- l'Avenir des Anciens:
- En plus, pour que l’exercice débouche sur l’exploration par les élèves et l’enrichissement de leurs capacités expressives personnelles et sur une pratique active de leur propre langue, la traduction, une fois la grammaire bien saisie et le sens compris, achève ce processus de découverte et d’appropriation. La traduction, ici, se distingue de la version, qui vise d’abord à découvrir le sens juste des phrases. Ce moment est bien évidemment essentiel : savoir transposer, dans sa langue, l’analyse que l ‘on a faite de la phrase ancienne, s’assurer de sa compréhension littérale.
La version s’arrête là. Elle demande à l’élève d’utuliser un français standard, impersonnel. Mais s’arrêter là donne ne fausse idée de ce que peut une langue. […] Chercher l’expression individuelle comme l’avait déjà fait le texte ancien, en encourageant les élèves à tester leur connaissance des possibilités de leur langue, qu’ils confrontent avec les découvertes proposés par le texte ancien, en innovant, en élargissant, grâce au détour par un autre texte, par son analyse grammaticale serrée, leur propre compétence de locuteurs et d’auteurs. Une liberté d’autant plus grande et efficace qu’elle sera passé d’abord par les contraintes de l’analyse. Quand cette expérience est menée en classe, les résultats sont souvent étonnants, de rigueur et de créativité. La langue se libère quand elle est passée d’abord par la grammaire.
Il cite des travaux d'élèves que je trouve vraiment intéressants, par exemple (désolé pour les coquilles que je ne parviens pas à corriger) :
- travaux d'élèves cités:
- Exemples :
élève de 3e :
Catulle qui traduit Sappho
Celui-ci me semble l’égal d’un dieu
Celui-ci, si possible, me paraît plus fort que les dieux,
Celui-ci qui est assis devant toi,
Qui toujours t’admire et t’écoute
Rire doucement : ce qui, à moi, misérable,
M’arrache tous les sentiments dès que
Je te regarde, Lesbia, rien d’un son
Ne franchit le pas de ma bouche,
Ma langue s’assoupit, sous mon corps une légère
Caleur couleur, de leur propre
Bruit mes oreilles bourdonnent, mes lumières jumelles
Sont couvertes d’un voile de nuit.
Élève de 4e, Catulle, poème 64, v. 128sq et 154 sq)
Alors elle court vers les vagues contraires
De la mer tremblante.
Relevant ses doux vêtements sur ses mollets nus,
Folle de tristesse, se plaignant une dernière fois,
Révélant des larmes glacées qui coulent sur sa bouche humide…
« Morte je ne serai pas recouverte par la jetée de terre !
Quel monstre a pu t’engendrer sous un rocher isolé ?
Quelle mer a vomi cet être qu’elle a conçu dans les vagues d’écume ? »
Je suis persuadé que leur professeur était Marie Cosnay, qui a par exemple merveilleusement traduit les Métamorphoses.
Elle a proposé des ateliers de traduction.
Par hasard, certains d'entre vous y auraient-ils participé ? Auriez-vous quelques éléments de méthode, ou des exercices à partager ?
Et sans connaître le travail de Marie Cosnay, certains d'entre vous travaillent-ils selon cette perspective ? Avez-vous des conseils à donner, une méthodogie, des conseils de lecture ?
- IphigénieProphète
La démarche paraît séduisante, mais quand on voit ce qu’elle a inspiré à travers l’exercice de commentaires de traductions au lycée on peut être sceptique: là il parle bien d’un deuxième temps après parfaite maîtrise de la traduction littérale et c’est sûrement alors intéressant . Mais il faut que les élèves arrivent à la phase 1 assez vite, pour que ce soit rentable en matière de temps.
Mais pourquoi pas: il faut essayer.
Mais pourquoi pas: il faut essayer.
- Theriakos96Habitué du forum
C'est un vrai problème qui dépasse, me semble-t-il, les bornes de l'enseignement scolaire. Au XIXème et même avant les traductions (ou vulgarisations avant encore) étaient libres pour deux raisons : d'abord elles ne visaient pas ceux qui connaissaient les LA (à l'époque pas besoin de traduction, savoir le latin signifiait savoir lire un bouquin en latin d'un bout à l'autre), deuxièmement elles visaient ceux qui ne comprenaient rien à la langue ancienne, donc pas de souci de précision, il fallait "faire beau", rendre les effets de la langue d'origine en la langue cible, donc être très libre (il y avait très très peu d'éditions bilingues). Pour les élèves en revanche des traductions littérales juxtalinéaires permettaient l'apprentissage de la langue. Aujourd'hui en revanche les éditions bilingues s'adressent à un public qui connaît moyennement les langues anciennes (c'est à dire pour la plupart du temps incapable de lire sans la traduction en texte en latin ou en grec) et la traduction se veut précise parce qu'elle fonctionne comme une béquille pour aider la compréhension de la langue = la traduction littéraire a bien peu de sens (je ne connais personne ou presque qui lit des classiques seulement en traduction, dans la mesure où ceux-ci intéressent seulement les étudiants et les passionnés des LA). Je ne sais pas si mon propos est clair, mais : aujourd'hui, à quoi bon faire de la traduction littéraire? Pour qui? Ce n'est évidemment que mon avis. (évidemment je ne propose pas des traductions juxtalinéaires qui ne rendent rien du texte d'origine, mais des traductions qui ressemblent à des versions, ça oui!).
_________________
Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvenimur et extollimur magnitudine gigantea.
– Jean de Salisbury, Metalogicon, III, 4
- yranohHabitué du forum
Iphigénie, oui, l'idée est de passer d'abord par une analyse très rigoureuse. Je ne vois aussi l'intérêt de l'exercice que par ce biais. Pour le temps je ne sais pas s'il faut parler en terme de rentabilité. On ne peut sans doute pas beaucoup mieux employer son temps en latin qu'en analysant la langue. C'est surtout le rythme du cours qui peut poser problème. Mais il faudrait pouvoir exactement comment engager ce type de travail.
Theriakos, je ne suis pas sûr en effet d'avoir compris ce que tu dis. L'idée n'est pas de former des traducteurs pour le Budé. Il s'agit, pour des élèves, de s'approprier le latin en s'appropriant le français. La liberté dont parle Judet de La Combe et que je rappelle n'est pas celle prise avec le texte de départ, mais bien avec la langue française, pour rendre le texte au mieux, et en même temps faire "oeuvre" en quelque sorte, dans la mesure de leur moyen. Par des sauts de lignes, des répétitions inattendues, des images étonnantes dans notre langue, des jeux étymologiques, voire des audaces grammaticales ("rien d'un son / ne franchit le pas de ma bouche").
Theriakos, je ne suis pas sûr en effet d'avoir compris ce que tu dis. L'idée n'est pas de former des traducteurs pour le Budé. Il s'agit, pour des élèves, de s'approprier le latin en s'appropriant le français. La liberté dont parle Judet de La Combe et que je rappelle n'est pas celle prise avec le texte de départ, mais bien avec la langue française, pour rendre le texte au mieux, et en même temps faire "oeuvre" en quelque sorte, dans la mesure de leur moyen. Par des sauts de lignes, des répétitions inattendues, des images étonnantes dans notre langue, des jeux étymologiques, voire des audaces grammaticales ("rien d'un son / ne franchit le pas de ma bouche").
- IphigénieProphète
Je pense que Theriakos met l'accent sur les injonctions de plus en plus contradictoires de l'enseignement du latin: mais si tu arrives à introduire ce genre d'exercice de traduction, ce peut être très intéressant. Le tout est de mettre sa priorité quelque part et d'avoir le temps d'aller au-delà.
- yranohHabitué du forum
Je crois que j'avais mal compris ce que tu disais sur le temps (décidément...). Il se peut que la phase d'analyse, si elle trop pointilleuse, n'empêche de travailler plus de masse. Si c'est ça, oui, je suis d'accord. Mais pas facile d'estimer ça sans savoir comment on travaille précisément.
Ça fait 2 ou 3 mois que je pense à contacter Marie Cosnay sans oser le faire. Je me lance.
Ça fait 2 ou 3 mois que je pense à contacter Marie Cosnay sans oser le faire. Je me lance.
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum