- VioletEmpereur
A la veille de travailler sur De l'esclavage des nègres, je m'interroge sur Montesquieu.
Comment peut-on dénoncer l'esclavage et être membre de la compagnie des Indes ?
Et puisque j'aborde la question de l'hypocrisie, dans les documents du Lagarde, je trouve cette citation de Kirkegaard que je voulais donner à mes élèves. Mais en cherchant sur goog-e, je ne trouve pas trace de cette citation pour K. Je la retrouve avec différents auteurs indiqués... bref, impossible d'en trouver l'origine exacte.
"L'hypocrite est un méchant qui veut paraître bon, l'ironiste est un bon qui accepte parfois d'être méchant."
Comment peut-on dénoncer l'esclavage et être membre de la compagnie des Indes ?
Et puisque j'aborde la question de l'hypocrisie, dans les documents du Lagarde, je trouve cette citation de Kirkegaard que je voulais donner à mes élèves. Mais en cherchant sur goog-e, je ne trouve pas trace de cette citation pour K. Je la retrouve avec différents auteurs indiqués... bref, impossible d'en trouver l'origine exacte.
"L'hypocrite est un méchant qui veut paraître bon, l'ironiste est un bon qui accepte parfois d'être méchant."
- SaraswatiNeoprof expérimenté
Dans une étude donnée par un prof (je n'ai plus le nom de l'auteur, je ne peux donc pas le citer), j'ai lu :
Remarque : le mot "nègre" n'
a pas de valeur péjorative au XVIII° siècle ; c'est le nom qu'on
donne en général aux habitants noirs de l'Afrique. "Quand les
Portugais découvrirent la côte occidentale de l'Afrique, ils
donnèrent aux peuples noirs qui l'habitent le nom de "negro",
qui signifie "noir" ; de là vient notre mot "nègre"
; on dit plutôt les "nègres" en parlant des habitats de
la côte occidentale d'Afrique que les Noirs". (dictionnaire
Littré).
Montesquieu lui-même est actionnaire de la
Compagnie des Indes. Cependant il est le premier à flétrir avec
tant de vigueur un tel scandale : asservissement inique et préjugé
racial (même s'il ne juge pas tout à fait les Nègres comme les
égaux des Européens).
Ce texte est l'aboutissement d'une longue
maturation. Il a parlé de la couleur des Noirs dans la Lettre
persane 59 et du rapport entre esclavage et religion dans la
Lettre 75. Dans De l'esprit des lois, il est conduit
logiquement à étudier les relations entre les lois théoriques et
les conditions réelles et infiniment variables dans leur application
selon les moeurs, les climat, les traditions. Il en résulte de
généreuses prises de position contre l'intolérance, le fanatisme,
l'injustice, etc. C'est dans cet esprit qu'est rédigé ce texte.
- VioletEmpereur
Merci Saraswati.
J'ai le même doc mais je trouve cela quand même bien hypocrite de sa part...Cela paraît tellement contradictoire avec l'esprit des lois.
J'ai le même doc mais je trouve cela quand même bien hypocrite de sa part...Cela paraît tellement contradictoire avec l'esprit des lois.
- RuthvenGuide spirituel
Pour la citation de Kierkegaard, elle vient de sa thèse de doctorat, Le concept d'ironie constamment rapporté à Socrate ; je n'ai pas le texte sous les yeux, mais Jankelevitch y fait référence très clairement dans son livre sur l'ironie :"L'hypocrite, dit Kierkegaard, c'est le méchant qui veut paraître bon, alors que le bon serait plutôt le bon qui se donne l'air méchant" avec la référence suivante, Kierkegaard, Dr Begriff der Ironie, mit ständiger Rücksicht auf Sokrates, trad. Kütemeyer, p.263-264.
- lilith888Grand sage
violet a écrit:Merci Saraswati.
J'ai le même doc mais je trouve cela quand même bien hypocrite de sa part...Cela paraît tellement contradictoire avec l'esprit des lois.
d'où l'intérêt parfois (souvent ?) de séparer l'homme du texte
- CelebornEsprit sacré
lilith888 a écrit:
d'où l'intérêt parfois (souvent ?) de séparer l'homme du texte
Et d'où l'intérêt de replacer l'homme dans son contexte. Toujours dangereux d'appliquer la grande vulgate droit-de-l'hommiste du XXe/XXIe siècle à un homme du XVIIIe.
_________________
"On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" (Lewis Carroll)
Mon Blog
- AbraxasDoyen
+ 1 !
Voltaire aussi fait des affaires (même de très bonnes affaires : il finit en étant l'un des hommes le splus riches de son temps).
Si vous parlez d'hypocrisie — ou même de double langage — vous risquez de faire passer les élèves à côté de ce qui est profondément révolutionnaire chez Montesquieu. De surcroît, les élèves fonctionnant volontiers en système binaire (bon / pas bon), ils vont en conclure que Montesquieu était un sale raciste, et ça, ça le fera pas…
Voltaire aussi fait des affaires (même de très bonnes affaires : il finit en étant l'un des hommes le splus riches de son temps).
Si vous parlez d'hypocrisie — ou même de double langage — vous risquez de faire passer les élèves à côté de ce qui est profondément révolutionnaire chez Montesquieu. De surcroît, les élèves fonctionnant volontiers en système binaire (bon / pas bon), ils vont en conclure que Montesquieu était un sale raciste, et ça, ça le fera pas…
- VioletEmpereur
Loin de moi, l'idée de leur parler d'hypocrisie ou de double langage...
Mais j'ai certains élèves qui risquent de me parler du fait que Montesquieu faisait des affaires liées à l'esclavage et la question risque de venir d'eux.
Comme je m'interroge aussi... je voulais voir ce que vous pensiez sur le forum.
Mais je suis personnellement plutôt binaire sur ce coup-là, comme les élèves et Montesquieu m'a déçue. Certes, il faut replacer dans le contexte du XVIII° et c'est déjà énorme de s'élever ainsi contre l'esclavage.
Mais j'ai certains élèves qui risquent de me parler du fait que Montesquieu faisait des affaires liées à l'esclavage et la question risque de venir d'eux.
Comme je m'interroge aussi... je voulais voir ce que vous pensiez sur le forum.
Mais je suis personnellement plutôt binaire sur ce coup-là, comme les élèves et Montesquieu m'a déçue. Certes, il faut replacer dans le contexte du XVIII° et c'est déjà énorme de s'élever ainsi contre l'esclavage.
- JohnMédiateur
Et d'où l'intérêt de replacer l'homme dans son contexte.
Ok, mais avec des réserves : que penser par exemple des théoriciens du nazisme sous Hitler alors ?
Hm, si la grande vulgate droit de l'hommiste c'est l'opposition à l'esclavage, je trouve que l'expression n'est pas très heureuse.Toujours
dangereux d'appliquer la grande vulgate droit-de-l'hommiste du XXe/XXIe
siècle à un homme du XVIIIe.
_________________
En achetant des articles au lien ci-dessous, vous nous aidez, sans frais, à gérer le forum. Merci !
"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- ysabelDevin
violet a écrit:Loin de moi, l'idée de leur parler d'hypocrisie ou de double langage...
Mais j'ai certains élèves qui risquent de me parler du fait que Montesquieu faisait des affaires liées à l'esclavage et la question risque de venir d'eux.
Comme je m'interroge aussi... je voulais voir ce que vous pensiez sur le forum.
Mais je suis personnellement plutôt binaire sur ce coup-là, comme les élèves et Montesquieu m'a déçue. Certes, il faut replacer dans le contexte du XVIII° et c'est déjà énorme de s'élever ainsi contre l'esclavage.
euh... là je doute.
_________________
« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- ysabelDevin
Montesquieu n'était sans doute pas plus hypocrite que nos "grands écolo" qui multiplient les voyages en avion...
_________________
« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- CelebornEsprit sacré
John a écrit:Et d'où l'intérêt de replacer l'homme dans son contexte.
Ok, mais avec des réserves : que penser par exemple des théoriciens du nazisme sous Hitler alors ?
Mis à part qu'ils nous mènent tout droit au point Godwin, je n'en penserai pas davantage dans ce sujet
Hm, si la grande vulgate droit de l'hommiste c'est l'opposition à l'esclavage, je trouve que l'expression n'est pas très heureuse.
Non, ce n'est pas ça. C'est pour dire qu'on ne peut pas appliquer la mentalité de la société du XXIe siècle comme ça au XVIIIe, pas plus qu'au Moyen Âge ou à l'Antiquité, et donc dire joyeusement (par exemple) que la démocratie athénienne était un leurre car les femmes n'étaient pas des citoyennes et que c'est honteux. Aujourd'hui, on est clairement dans une société droit-de-l'hommisée, avec les tas d'avantages que cela comporte (et je suis le premier à m'en réjouir, crois-le bien !), avec ses soucis aussi. Mais cela ne permet pas de juger à l'emporte-pièce les mentalités antérieures à la nôtre. Les étudier, les comprendre, les analyser, parfait ! Voir le combat pour les droits de la femme, pour les droits des minorités, contre le racisme, passionnnant! Mais il est en revanche difficile de juger un homme du XVIIIe sièle autrement qu'avec les valeurs du XVIIIe siècle, qu'avec la mentalité de l'époque. Il me semble que de ce point de vue, Montesquieu s'en sort assez bien, et que ce serait donner une image de lui BEAUCOUP + ERRONEE aux élèves en laissant penser qu'il est vraiment pas net qu'en le présentant comme une "Lumière" ^^.
_________________
"On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !" (Lewis Carroll)
Mon Blog
- lilith888Grand sage
Celeborn a écrit:
Non, ce n'est pas ça. C'est pour dire qu'on ne pas appliquer la mentalité de la société du XXIe siècle comme ça au XVIIIe, pas plus qu'au Moyen Âge ou à l'Antiquité, et donc dire joyeusement (par exemple) que la démocratie athénienne était un leurre car les femmes n'étaient pas des citoyennes et que c'est honteux. Aujourd'hui, on est clairement dans une société droit-de-l'hommisée, avec les tas d'avantages que cela comporte (et je suis le premier à m'en réjouir, crois-le bien !), avec ses soucis aussi. Mais cela ne permet pas de juger à l'emporte-pièce les mentalités antérieures à la nôtre. Les étudier, les comprendre, les analyser, parfait ! Voir le combat pour les droits de la femme, pour les droits des minorités, contre le racisme, passionnnant! Mais il est en revanche difficile de juger un homme du XVIIIe sièle autrement qu'avec les valeurs du XVIIIe siècle, qu'avec la mentalité de l'époque. Il me semble que de ce point de vue, Montesquieu s'en sort assez bien, et que ce serait donner une image de lui BEAUCOUP + ERRONEE aux élèves en laissant penser qu'il est vraiment pas net qu'en le présentant comme une "Lumière" ^^.
tout à fait d'accord avec ça
- DwarfVénérable
Et à titre de comparaison, nous avons beau critiquer (et à raison) la société de consommation nous la cautionnons quoi qu'on en dise... Comme quoi...
Et oui, Abraxas, le premier autre exemple qui m'est venu en tête a été Voltaire...
Et oui, Abraxas, le premier autre exemple qui m'est venu en tête a été Voltaire...
- JohnMédiateur
il est en revanche difficile de juger un homme du XVIIIe sièle autrement qu'avec les valeurs du XVIIIe siècle
Je veux bien. Mais si j'applique ce raisonnement, j'en arrive à la conclusion qu'il faut juger Dietrich Eckart et Alfred Rosenberg dans leur époque. Par conséquent, il s'agit simplement d'intellectuels qui appartiennent à l'un des courants de leur temps.
_________________
En achetant des articles au lien ci-dessous, vous nous aidez, sans frais, à gérer le forum. Merci !
"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- DwarfVénérable
Non, John, bien sûr, mais sans verser dans le relativisme ou le marxisme sauvages, on peut arriver à concevoir que certaines positions sont forcément plus délicates que ce que nous aurions tendance à penser spontanément. Avec une vision a posteriori des choses, forcément, nous bénéficions d'un confort que n'avaient pas ces contemporains. Nous ne savons sans doute pas comment nous aurions réagi immergés dans certains événements historiques et de certaines problématiques ou enjeux. Aujourd'hui, nous avons le recul et le constat des conséquences...
- AbraxasDoyen
Je vais peut-être me fâcher avec John… Non, au fond, je ne crois pas…
Les théories racistes de Rosenberg doivent être analysées via l'amont, et non via l'aval (complètement d'accord avec ce qu'écrit plus haut Celeborn). Les théories raciales naissent au XIXème siècle pour tout un tas de raisons, et s'implantent sur un terreau assez fertile (sinon, ça n'aurait pas marché un instant — si on ne passe pas par l'amont, on ne pige pas que l'un des peuples les plus cultivés d'Europe — les Allemands — ait plébiscité Hitler, et qu'un autre peuple issu de l'école de la République (la France…) ait plébiscité Pétain (parce qu'enfin, les opposants, en 40, il fallait les chercher au microscope).
Un exemple encore plus proche. Les écolos actuels (et moi aussi, je pense que ce sont des apprentis-totalitaristes) ne font que reprendre les thèses des écolos des années 60, qui s'exprimaient via la science-fiction (John Brunner, par exemple, mais il y en a une foule d'autres) ou les fanzines et revues déglingués (la Gueule ouverte de Gébé, au début des années 70).
Eh bien, pourtant, ça n'a rien à voir (et je suis l'un des rares sur ce forum à avoir connu les uns et les autres). Parce que les visions apocalyptiques des années 60 s'alimentaient dans le sentiment de la guerre froide, dont elles étaient au fond la métaphore, et celles des années 70 dans mai 68 — contestation du modèle capitaliste : voir l'An 01, qui a marqué profondément les consciences — le dernier avatar de cette bande d'illuminés, ce sont les écolos qui prêchent actuellement la décroissance — donnant l'occasion au petit Nicolas de faire remarquer qu'ils ne sont sans doute pas au curant qu'il y a quatre millions de chômeurs qui aimeraient bien faire repartir la croissance…
Quant au mouvement écolo actuel, du moins en France, il s'alimente dans les ambitions de Cécile Duflot — enfin, j'exagère un peu, mais à peine.
Sur l'An 01, pour celles et ceux qui n'y connaissent que pouic, voir
https://www.dailymotion.com/video/xfp68_a-lan-01_school
Les théories racistes de Rosenberg doivent être analysées via l'amont, et non via l'aval (complètement d'accord avec ce qu'écrit plus haut Celeborn). Les théories raciales naissent au XIXème siècle pour tout un tas de raisons, et s'implantent sur un terreau assez fertile (sinon, ça n'aurait pas marché un instant — si on ne passe pas par l'amont, on ne pige pas que l'un des peuples les plus cultivés d'Europe — les Allemands — ait plébiscité Hitler, et qu'un autre peuple issu de l'école de la République (la France…) ait plébiscité Pétain (parce qu'enfin, les opposants, en 40, il fallait les chercher au microscope).
Un exemple encore plus proche. Les écolos actuels (et moi aussi, je pense que ce sont des apprentis-totalitaristes) ne font que reprendre les thèses des écolos des années 60, qui s'exprimaient via la science-fiction (John Brunner, par exemple, mais il y en a une foule d'autres) ou les fanzines et revues déglingués (la Gueule ouverte de Gébé, au début des années 70).
Eh bien, pourtant, ça n'a rien à voir (et je suis l'un des rares sur ce forum à avoir connu les uns et les autres). Parce que les visions apocalyptiques des années 60 s'alimentaient dans le sentiment de la guerre froide, dont elles étaient au fond la métaphore, et celles des années 70 dans mai 68 — contestation du modèle capitaliste : voir l'An 01, qui a marqué profondément les consciences — le dernier avatar de cette bande d'illuminés, ce sont les écolos qui prêchent actuellement la décroissance — donnant l'occasion au petit Nicolas de faire remarquer qu'ils ne sont sans doute pas au curant qu'il y a quatre millions de chômeurs qui aimeraient bien faire repartir la croissance…
Quant au mouvement écolo actuel, du moins en France, il s'alimente dans les ambitions de Cécile Duflot — enfin, j'exagère un peu, mais à peine.
Sur l'An 01, pour celles et ceux qui n'y connaissent que pouic, voir
https://www.dailymotion.com/video/xfp68_a-lan-01_school
- Reine MargotDemi-dieu
John a écrit:il est en revanche difficile de juger un homme du XVIIIe sièle autrement qu'avec les valeurs du XVIIIe siècle
Je veux bien. Mais si j'applique ce raisonnement, j'en arrive à la conclusion qu'il faut juger Dietrich Eckart et Alfred Rosenberg dans leur époque. Par conséquent, il s'agit simplement d'intellectuels qui appartiennent à l'un des courants de leur temps.
Heu...enfin il y avait aussi beaucoup d'intellectuels opposés au nazisme quand même. ce n'est pas comme si le nazisme faisait partie du paysage de l'époque, jamais vraiment remis en question, tandis que l'esclavage n'avait rien d'extraordinaire au XVIIIe, sauf pour une poignée de Philosophes justement.
_________________
Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum